70 Cinéma & DVD - avril 2022 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mercredi 6 avril 2022

Peaky Blinders à bout de souffle


Pourquoi les dernières saisons des meilleures séries sont-elles souvent ratées ? Mad Men avait ainsi déjà perdu tout son intérêt. La fin de Game of Thrones avait été bâclée. Récemment Le bureau des légendes n'avait pas su conserver sa rigueur exemplaire. La quadrature du cercle est un piège. À chercher à boucler la boucle, les scénaristes s'enferrent. Il n'est pas si simple de résoudre. En musique la coda est un art. Je n'ai jamais aimé les codas, j'ai toujours préféré terminer en l'air. Ce n'est pas une queue de poisson. Plutôt une ouverture. Une ouverture sur l'imaginaire de chacun plutôt qu'une manière de pouvoir un jour remettre le couvert. Alan Ball avait réussi un coup de maître avec le dernier épisode de l'inégalable Six Feet Under, histoire qu'aucun producteur ne l'exhorte à rallonger la sauce. Même chose avec The Wire de David Simon, passionnante jusqu'au bout.
La sixième et dernière saison de Peaky Blinders est une énorme déception. Triste et molle, elle essaie un autre ton, très sombre, mais la passion n'y est plus. Cillian Murphy n'est plus que l'ombre de lui-même et même la musique est ratée. Peut-être que les droits d'auteur des morceaux de rock ont grimpé avec le succès de la série ? Je ne "spoile" jamais rien, mais on peut franchement s'éviter cette désillusion. Tout semble tiré en longueur. Six épisodes qui auraient pu n'en faire qu'un, alors qu'on nous annonce un long métrage pour plus tard. Séquel séquelle. À être trop gourmand, la poule aux œufs d'or devient stérile.


Ces derniers temps j'ai préféré regarder la troisième saison de L'amie prodigieuse, produite par la RAI, que diffusera France-TV, un peu plus faible que les précédentes, donc inquiétude sur la quatrième et ultime à venir l'an prochain. Ou The Tunnel que je n'avais jamais vue ; la première saison de ce thriller franco-britannique est un remake de l'excellente série suédo-danoise Bron, mais les deux suivantes sont des scénarios originaux (Canal +). Ou la seconde de la dystopique Raised by Wolves (Warner TV) dont les premiers épisodes avaient été réalisés par Ridley Scott. J'ai regardé l'intégralité de l'israélienne Shtisel, plongée dans la vie d'une famille juive haredim, c'est charmant, un peu répétitif, intéressant, même si je préfère mille fois Unorthodox. La britannique Vigil qui se passe dans un sous-marin est un bon thriller. Je ne parle pas des séries déjà évoquées dans cette colonne ! Je n'ai terminé ni Severance (Apple TV+) ni la seconde saison d'En thérapie (Arte). La première, assez kafkaïenne, avec Adam Scott, John Turturro, Christopher Walken, Patricia Arquette, véhicule un humour absurde. J'ignore où cela va nous mener. La seconde semble du niveau de la première saison, cette fois réalisée selon les personnages par Agnès Jaoui, Emmanuelle Bercot, Arnaud Desplechin et Emmanuel Finkiel, avec toujours d'excellents comédiens, dont évidemment Frédéric Pierrot.
J'avais gardé un excellent souvenir de Frédéric Pierrot qui était le narrateur du spectacle et du CD Chroniques de résistance produit par nato et dans lequel ma fille Elsa chantait sept chansons. J'avais écrit les paroles de l'une d'elles sur une musique de Tony Hymas.

mardi 5 avril 2022

Une vie Parallèles


Tandis que les années 70 étaient évoquées je me disais que ce voyage dans le passé de la Librairie Parallèles ne parlait qu'à ceux qui l'avaient connue alors, et puis comme se présentent les années 80 qui m'avaient échappé j'ai été happé par la suite et j'ai rectifié ma pensée. Bien au delà de l'aventure des librairies parallèles, c'est le rôle formidable des libraires, véritables passeurs, que la réalisatrice Xanaé Bove montre dans son documentaire Une vie Parallèles. Pas seulement ces chantres de l'underground, de la presse alternative, des fans de fanzines et de publications politiquement critiques, mais ce métier formidable qui tient souvent du défricheur et du conseiller, vous aiguillant en fonction de vos goûts, un rapport intime avec le lecteur qu'aucun site marchand ne remplacera jamais...
Je suis ému de reconnaître Pierre Scias qui tenait la Librairie Actualités rue Dauphine. J'y avais découvert L'Art vivant ou la première mouture d'Actuel, les journaux anglais It et Suck, les dessinateurs Crumb et Shelton ; nous y achetions le Parapluie d'Henri-Jean Enu où notre camarade Antoine Guerreiro avait fini par placer des dessins ou L'enragé dont je possède l'intégralité, mais surtout nous pouvions y discuter politique et musique, deux sujets qui commençaient à se fréquenter à la rentrée 68 quand on s'intéressait au rock et à la révolution. Philippe Bone, Christophe Bourseiller, Françoise Droulers, David Dufresne, Patrice Van Eersel, Henri-Jean Enu, Marsu, Daniel Paris-Clavel, Géant Vert et d'autres témoignent de la création de la Librairie Parallèles, rue Saint Honoré près du trou des Halles, et de son évolution, mais ce sont aussi ceux que j'ai croisés qui font remonter mes souvenirs : Gilles Yepremian rencontré au Lycée Claude Bernard, Philippe Thyiere qui avait pris le relais par ses conseils avisés, Thierry Delavau qui avait commandé Utopie standard à Un Drame Musical Instantané pour la compilation CD Passionnément du label V.I.S.A., Guillaume Dumora toujours de bon conseil au Monte-en-l'air lorsque je désire savoir ce que devient la bande dessinée... C'est pareil avec la musique. Dans la bande-son je retrouve Red Noise, Crium Delirium, Fille qui Mousse, etc., même si j'ai manqué la période punk avec les Béruriers Noirs.


Les anars sont très présents dans cette histoire, parce que leur dogmatisme est toujours individuel contrairement aux autres gauchistes affiliés à tel ou tel groupuscule, parce qu'ils sont sensibles au rock (et au free jazz même s'il n'est pas évoqué dans le film), parce qu'ils sont à la recherche d'une autre vie que celle que leur proposent leurs aînés, les premiers donc à s'intéresser à l'écologie, à la vie en communauté, à tout ce que l'on appelait alors alternatif. Internet a supplanté le Catalogue des Ressources, mais celles et ceux qui sont attaché/e/s à l'objet ne jurent que par le papier, le fait-main, les œuvres qui se créent dans les marges. Une forme de résistance qui laisse toute sa place à la passion, enflammée, inextinguible.

→ Xanaé Bove, Une vie Parallèles, DVD Capuseen, 15€