70 Cinéma & DVD - juin 2010 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

lundi 28 juin 2010

Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon


Le film d'Elio Petri m'avait marqué à sa sortie en 1970, mais je n'en gardais aucun souvenir si ce n'est la figure de Gian Maria Volontè, un acteur politiquement engagé à une époque où le cinéma italien était particulièrement productif. Le scénario ne réserve aucune surprise puisque tout est posé dès la première scène, un crime gratuit qui vaudrait démonstration à son auteur, chef de la brigade criminelle promis au poste de directeur de la section politique qui considère droits communs et révolutionnaires de la même engeance. Son crime tendrait à prouver que personne n'aura l'audace de le démasquer même après avoir laissé sciemment une multitude d'indices qui l'accusent formellement. Sa fonction sociale serait au-dessus des lois et sa hiérarchie n'aurait aucun intérêt à le voir condamné alors que l'Italie traverse une période troublée par une recrudescence d'attentats. Le pouvoir peut mener à tous les abus comme à la folie. L'Histoire en fit souvent la démonstration. Le sado-masochisme du commissaire serait une soupape de sécurité à son omnipotence si elle ne se bloquait, le pouvoir ne guérissant pas l'impuissance. C'est sur ce terrain que sa maîtresse le blesse, l'acculant à passer à l'acte. Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon révèle la mécanique fascisante de l'État lorsqu'il se croit au-dessus des lois, comme nos "démocraties" avec des chefs d'état dont les décisions et les largesses arrogantes n'ont d'égal que leur sentiment d'impunité.
Carlotta nous gratifie encore d'une édition DVD quasi définitive, copie remasterisée et bonus exceptionnels dont un entretien passionnant avec Ennio Morricone qui raconte dans le détail comment il a composé la musique sans ne voir aucune image, des témoignages de première main et un long documentaire sur le réalisateur.

mardi 8 juin 2010

Ciné-Romand sur UniversCiné


À l'initiative d'une cinquantaine de producteurs et distributeurs indépendants français, UniversCiné est un site de vidéo à la demande (VoD) proposant plusieurs centaines de films indépendants tel qu'on puisse y faire maintes découvertes. À côté des classiques, le choix permet de donner une seconde chance aux œuvres dont la sortie en salles fut trop confidentielle. On peut louer pour 48h (3,99€) ou acheter (9,99€), télécharger ou regarder en streaming. L'offre légale est nettement moins chère qu'un DVD, même si certains collectionneurs seront frustrés de ne pas posséder l'objet graphique quand celui-ci le mérite ! Par contre, UniversCiné offre des bonus exclusifs de très grande qualité.
Ainsi l'entretien que Françoise Romand a donné à Laurent Carpentier donne vraiment envie de voir ses films. Les extraits ponctuent intelligemment les propos tenus par la réalisatrice. UniversCiné a donc choisi de diffuser en VoD son dernier long-métrage, Ciné-Romand, tandis qu'elle termine le prochain dans sa salle de montage.
Tourné entre 1999 et 2004, présenté dans des versions provisoires au Festival de Rotterdam en 2002 et au Festival de Femmes de Créteil en 2005, on croyait Thème Je achevé, mais Françoise a décidé de revisionner ses rushes avant de lancer la fabrication de son quatrième DVD dont Claire et Étienne Mineur confectionneront encore une fois la pochette haute en couleurs. À la fois tendre, drôle et provoquant, Thème Je est une auto-fiction où l'imagination vient titiller le réel avec insolence. Il sera complété par son premier film, Rencontres, où dès 1977 on reconnaît son style mêlant documentaire et fiction avec le thème de l'identité servant de fil rouge à toute son œuvre.

vendredi 4 juin 2010

Philippe Falardeau, la vérité des mensonges


Découvrant par hasard La moitié gauche du frigo du Québécois Philippe Falardeau, nous eûmes l'irrésistible envie de voir ses films suivants, Congorama et C'est pas moi, je le jure ! Pendant tout la durée de son premier long-métrage à la fois politique et hilarant, nous nous sommes demandés s'il s'agissait d'un documentaire ou d'une fiction. Un jeune réalisateur y filme les déboires de son co-locataire à la recherche d'un emploi. C'est beaucoup plus fort que les démonstrations laborieuses des documentaristes tristes dont la France a le secret. Pour le second film, il n'y a plus d'ambiguïté sur sa nature, le scénario est magistral, les comédiens merveilleusement dirigés et l'humour toujours aussi décapant. Dans tous les cas, c'est filmé avec une grande intelligence et une soif du détail qui épate au détour de chaque plan en évitant les explications laborieuses et les redondances audio-visuelles. Je ne peux m'empêcher de me demander pourquoi la critique privilégie toujours les mêmes réalisateurs et les mêmes films quand il en existe d'aussi inventifs.


Le troisième film valide quelques clefs de l'univers du cinéaste comme la difficulté de marcher ou la paternité, mais c'est surtout du mensonge qu'il est question, car Philippe Falardeau adore nous raconter des histoires. Il ne pouvait trouver meilleur médium que le cinéma ! La franchise du héros de La partie gauche du frigo trouve un écho avec le vol de l'ingénieur joué par Olivier Gourmet dans le sublime Congorama et la mythomanie du gamin de C'est pas moi, je le jure ! Le scénario de Congorama est à des kilomètres de la paresse de la plupart des films français. Les fils du récit se tissent en un imbroglio où tous les éléments du puzzle finissent par trouver leur place dans une folie maniaque où l'asservissement à la quadrature du cercle est tourné en dérision, comme dans le dernier plan où Gourmet bouge la tête à la manière saccadée de l'émeu. Cherchez les DVD, Congorama est distribué en France, les autres au Canada...

mercredi 2 juin 2010

Le psychédélisme de Tanaami est contagieux


En les scannant j'ai fait glisser le bandeau sous le livre relié qui est en fait un format allongé (non carré) compilant près d'une centaine de dessins pleine page sans commentaires, précédés d'une préface de feu Shūji Terayama rédigée en 1975 et suivi d'une filmographie de Keiichi Tanaami qui s'étale jusqu'en 2009. L'objet est superbe et mériterait à lui seul l'acquisition bien qu'il ne soit que l'accompagnement du DVD présentant 14 films d'animation de celui que Terayama appelait "Sombre magicien du cinéma électrique. Prestidigitateur de la télévision en couleur. Gérant de la discothèque mentale. (...) Méditation zen de l'agent de vente de l'érotique (...) Apprenti coloriste ayant dans l'idée que les ombres aussi ont bien des nuances." Si je connaissais depuis longtemps l'œuvre de Terayama pour l'avoir rencontré hagard dans les rues de Cannes nocturne et lui avoir tenu compagnie pendant le festival du film de 1972, je ne connaissais de Tanaami que la pochette de l'édition japonaise du Jefferson Aiplane After Bathing At Baxter's. Les deux heures de film sont suivies d'un entretien avec Tanaami et d'un petit sujet d'Arte sur son travail.
Chalet Pointu, en collaboration avec Carte Blanche, publie ce petit chef d'œuvre de psychédélisme nippon (31,60€ port inclus), trip lysergique convoquant le traumatisme du bombardement de Tokyo en 1942, les poissons rouges de son grand-père, des yeux et des oreilles, des formes érotiques, et plus essentiellement des images puisées dans sa mémoire ou extirpées de ses rêves. La technique du flicker provoque la transe. Plusieurs des films sont des duels graphiques avec son ami animateur Nobuhiro Aihara. Les musiques, successivement de Takashi Inagaki, Morio Agata, Kuknacke ou Masahiro Saeki, soutiennent l'animation des dessins à la main dans une pop instrumentale drôle, hypnotique et inventive dont les Japonais ont le secret. Retour aux origines de l'art, improvisation, enfance, plaisir... Sans story-board, les films de Tanaami défiant la logique, la contagion nous gagne et nous nous laissons progressivement aller à notre tour à la rêverie. Lysergique, balbutiai-je.