70 Cinéma & DVD - septembre 2023 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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lundi 25 septembre 2023

Los Angeles Plays Itself lui taille un costard à sa démesure


Le montage d'archives de Thom Andersen dure 2h50, c'est dire si on en ressort rincé par ce maximalisme dont la somme commentée non-stop finit par sonner comme un écho minimaliste, une musique répétitive qui vous emporte dans sa spirale. C'est fatigant, mais c'est épatant. C'est fatigant, parce que Los Angeles n'est pas une ville de tout repos, comme les films qui la mettent en scène, comme le montage de tant d'extraits courts qui lui taillent un costard à sa démesure. D'une part, il est évident que le regard critique est celui d'un communiste américain. On le comprend à la manière de comparer riches et pauvres, donc blancs et les autres, d'analyser l'économie de tous ces crimes. D'autre part, Los Angeles Plays Itself est une mine pour cinéphiles. Parmi les deux cents films cités, il y en a forcément quelques uns qui vous auront échappé, comme les incontournables The Exiles, Bush Mama, Bless Their Little Hearts dans la lignée de Charles Burnett avec Killer of Sheep, néoréalisme alternatif qui clôt cet immense travail de démystification autant que de glorification... C'est un documentaire très fort. En prenant la ville comme personnage ou sujet, Andersen décortique le mythe hollywoodien. Les pauvres y marchent ou prennent le bus. L'architecture visionnaire est transformée en décors sinistres. Andersen déconstruit Blade Runner, "nostalgie de la dystopie". En choisissant des images qui nous renvoient à nos passions ou à ce que nous ignorions, il nous ferre. Il nous attrape comme les films savent le faire, par leur suggestion perverse à l'identification.


Terminé de monté en 2003, ses projections étaient restées longtemps confidentielles. Sorti enfin officiellement en 2013, Los Angeles Plays Itself profite d'une nouvelle version de 2023, et de sa première en Blu-Ray ou DVD. Il est accompagné d'un livret indispensable où Andersen pointe quelques erreurs de sa part, mais surtout refait le film en 24 pages. Son texte, écrit en 2008, est un nouvel accompagnement. Il s'appuie toujours sur Sunset Boulevard, Les anges sauvages, Chinatown, L.A. Confidential, etc., pour produire une analyse fondamentalement politique, rappelant des faits méconnus comme les importantes déportations vers le Mexique pendant les années 1930 ou les mouvements chicanos pour les droits civiques des années 1960 et 1970. Il rend hommage à des documentaires plus récents sur Los Angeles comme Bastards of The Party et Crips and Bloods: Made in America qui démontent les mensonges sur les gangs, ou encore South Main, Chris and Don: A Love Story... Son film est autant un jeu de pistes cinéphilique jubilatoire qu'une analyse marxiste cruelle que ne renierait pas Slavoj Žižek, l'auteur de Bienvenue dans le désert du réel.

→ Thom Andersen, Los Angeles Plays Itself, DVD ou Blu-Ray Carlotta, 20€

jeudi 21 septembre 2023

Deep End, je pourrais mourir ce soir


Jusqu'au coup de théâtre final, Deep End est un film de faux-semblants où les apparences rivalisent d'ambiguïté. La comédie initiatique révèlera un drame de l'adolescence et les personnages dévoileront une cruauté inattendue. Si Jane Asher et John Moulder-Brown sont à croquer ils finiront dévorés par un monde sans scrupules qui tranche avec les représentations de l'époque. Tourné en 1970 par Jerzy Skolimowski, cinéaste rare à la filmographie toujours surprenante (Le départ, Travail au noir, Essential Killing, [et le dernier, magnifique Eo]…), Deep End explose de couleurs vives et franches comme chez Demy, s'accompagnant des musiques composées par le chanteur pop Cat Stevens et le groupe expérimental Can, références extrêmes à un Swinging London qui restera à jamais hors-champ. Pourtant le film n'a pas d'âge, comme les plus belles réussites de son auteur. Les émois du jeune éphèbe sont filmés avec humour et sensibilité sans sombrer dans les poncifs, le désir et la frustration de l'âge ingrat mariant le sexe et la mort en un ballet nautique suffocant. La chanson de Cat Stevens qui accompagne le générique à la peinture saignante du début s'appelle But I Might Die Tonight (Je pourrais mourir ce soir). Nous ne pensions pas atteindre 30 ans. On oublie facilement que les contes de fées sont souvent cruels et tragiques.


Ressorti au cinéma à l'époque de cet article du 4 août 2011, le film est publié en DVD, accompagné d'un documentaire inédit comme Carlotta en a le secret.

mardi 19 septembre 2023

La cible de Peter Bogdanovich


Celui ou celle qui a traduit Targets, le titre du premier long métrage de Peter Bogdanovich, en La cible n'avait certainement pas vu le film pour oublier le pluriel. Charles Whitman, un des premiers assassins de masse anonyme de l'histoire des États Unis qui tira sur la foule du haut d'un gratte-ciel au Texas deux ans plus tôt, en 1966, inspirera aussi probablement plus tard Luis Buñuel avec le tueur poète du Fantôme de la liberté. Dans les deux cas les réalisateurs banalisent le tueur sans jamais le rendre antipathique et soulignent l'absurdité du geste. Si Buñuel insistera dans ce sens en le faisant libérer après l'avoir condamné à mort, Bogdanovich livre une critique de l'Amérique où la violence est intrinsèque sous une couverture bien pensante.
Targets est passionnant à plus d'un titre. Il fut produit par Roger Corman dont la fin de The Terror (L'halluciné) (1963), coréalisé par Francis Ford Coppola, Monte Hellman, Jack Hill et Jack Nicholson qui y tient le rôle d'un jeune officier, est projeté en introduction. Son principal acteur, Boris Karloff, la créature historique de Frankenstein, incarne cette fois Byron Orlok, un comédien fatigué qui lui ressemble évidemment, y compris dans sa personnalité en fin de carrière. Parallèlement à cette déchéance annoncée, un jeune homme, bien sous tous rapports, entendre chrétien amateur d'armes à feu comme son papa qu'il appelle "Sir", revenu de la guerre du Viet Nâm, est pris d'une folie meurtrière qui lui échappe. Les deux histoires se croiseront dans une mémorable scène finale sur le parking d'un drive-in où est projeté le dernier film de la star du film d'horreur, conscient que ce spectacle est ringard et dépassé face à la réalité affolante de la violence contemporaine. Le film de Bogdanovich, qui joue lui-même le rôle du jeune réalisateur, est truffé de références cinématographiques qui amuseront les cinéphiles, mais le cinéaste reconnaît ce qu'il doit à Samuel Fuller qui livra les meilleurs idées du scénario tout en refusant d'être payé et d'apparaître au générique. Généreux, il pensait que sa présence occulterait celle du jeune Bogdanovich. C'est du Fuller tout craché, également pour pousser les situations dans ce qu'elles ont de plus extrême.
En entremêlant fiction et réalité dans la présentation de l'épouvante, Targets souligne la schizophrénie américaine dans son rapport à l'horreur.


Comme souvent chez l'éditeur cinéphile Carlotta, les suppléments sont passionnants, d'une part une introduction de Bogdanovich qui revient sur la genèse du film et son rapport au producteur Roger Corman, d'autre part un entretien avec Jean-Baptiste Thoret qui insiste sur son œuvre présentant le cinéma comme mode de vie ou philosophie, à l'envers du sens commun.

→ Peter Bogdanovich, La cible, Blu-Ray/DVD Carlotta, 20€. Édition Prestige avec memorabilia, 30€, sortie aujourd'hui !

lundi 18 septembre 2023

Revision


Jouant aux dix films à emporter sur une île déserte avec Jonathan, je fais une recherche dans mon Blog, et vlan, L'ile déserte sort du chapeau à la date du 18 mai 2007. Je ne m'étais alors autorisé que des films publiés en DVD. La donne a changé. Ma cinémathèque a considérablement augmenté. Aujourd'hui, 31 mai 2011, comme nos listes sont trop longues, nous choisissons seulement des films que nous pourrions revoir quel que soit le moment, là, à l'instant.
Dans le désordre, comme ils me viennent, je sélectionne :
Muriel (Alain Resnais) qui était déjà le premier de ma liste précédente et dont j'ai affublé ma fille en second prénom à son grand dam
La nuit du chasseur (Charles Laughton), film orphelin que Carlotta vient de ressortir au cinéma
Adieu Philippine (Jacques Rozier) dont je connais tous les dialogues par cœur
Johnny Guitare (Nicholas Ray), idem
L'âge d'or (Luis Buñuel) puisqu'il faut bien n'en choisir qu'un
Faust (F.W.Murnau) d'autant que le Drame en avait composé une partition complète et que nous ne l'avons jamais joué
Le testament du Dr Mabuse (Fritz Lang) comme M qui forme dyptique avec lui
Le testament d'Orphée (Jean Cocteau), son dernier film résume toute son œuvre
Anathan (Josef von Sternberg), un autre dernier film, en japonais, commenté par l'auteur
La grande illusion (Jean Renoir) pour ne pas prendre La règle du jeu que Jonathan emporte déjà !
Les demoiselles de Rochefort (Jacques Demy), mais c'eut pu être Les parapluies ou Une chambre en ville
Uccellacci e uccellini (Pier Paolo Pasolini) aussi bien que La ricotta
Histoire(s) du cinéma (Jean-Luc Godard), pirouette élargissant fabuleusement le champ
Cela fait déjà 14 et tous ceux ou celles qui se prêtent à l'exercice trichent en ajoutant qu'ils ont laissé de côté tel ou tel, comme moi Les petites marguerites (Vera Chytilova), Un chant d'amour (Jean Genet), La rue de la honte (Mizoguchi Kenji), Vertigo (Alfred Hitchcock), Mon oncle (Jacques Tati), Le guépard (Lucchino Visconti), Gertrude (Carl T.Dreyer), Persona (Ingmar Bergman), La glace à trois faces (Jean Epstein), A Movie (Bruce Conner), The Peeping Tom (Michael Powell), Hellzapoppin (H.C. Potter), La route parallèle (Ferdinand Khittl), L'homme à la caméra (Dziga Vertov), La face cachée de la lune, que je ne pourrais pas forcément regarder là, tout de suite, sans réfléchir. J'ai carrément oublié Welles, Pasolini, Dreyer, Moullet, Vigo, Bresson, Ophüls, Fuller, Chaplin, Keaton, Fassbinder, Oshima, Varda, Marker, Jacques Tourneur, Lynch, Pelechian, faute de n'avoir pas su choisir... Ni documentaires ni animations, ni ceux de Françoise Romand ou les miens, ni courts-métrages... Le pari est stupide.
Aussi subjectif que moi, Jonathan Buchsbaum sélectionne Muriel et L'âge d'or comme moi, mais ajoute La règle du jeu, Dead Man, Citizen Kane, Satantango, La terre tremble, M le maudit, Les mémoires du sous-développement, Point Blank, Le samouraï, L'éclipse et bien d'autres, parce que nous trichons définitivement tous ! Jonathan, qui m'a suggéré Hell in the Pacific de John Boorman pour illustrer notre île déserte, propose que la prochaine fois nous nommions dix films des vingt dernières années en espérant qu'on arrivera à dix...
L'exercice est un peu vain, mais il peut fournir des pistes. Les choix, forcément subjectifs, renvoient à l'histoire de chacun. Le cinéma a tout à voir avec le souvenir et le fantasme, l'identification à des histoires vécues et les perspectives que l'on se donne encore. Dans ma liste je note tout de même que la mémoire et le testament se complètent, que l'on peut toujours tourner la page et renaître, que tous mes chouchous sont des vecteurs tirant leurs sources dans le passé pour mieux affronter l'avenir et qu'ils incarnent tous une lutte contre la mort. Ce qui me ramène à mon interrogation initiale sur les raisons de ma veille. Le cinéma m'empêcherait de m'endormir, donc de mourir, mais c'est la musique qui me réveille, un merle en particulier, me rassurant chaque matin que je suis toujours en vie.

P.S.: probablement qu'aujourd'hui j'ajouterais quelques films plus récents, mais la cinéphilie demande parfois du temps pour que les raretés fassent surface...

vendredi 8 septembre 2023

Le lion, sa cage et ses ailes


Sans l'avènement de la vidéo portable Le lion, sa cage et ses ailes n'aurait jamais existé. Sans celui du DVD je n'aurais pas pu regarder les huit films qu'Armand Gatti tourna avec les ouvriers immigrés de chez Peugeot à Montbéliard. Il aura fallu deux inventions technologiques pour que nous parviennent ces paroles rares dans le paysage audiovisuel français. Sur son site l'exceptionnelle biographie d'Armand Gatti rédigée par Marc Kravetz raconte le poète, dramaturge, cinéaste, mais aussi résistant inlassable, parachutiste tombé de nulle part, déporté, évadé, journaliste, globe-trotter. Son père balayeur anarchiste et sa mère femme de ménage franciscaine l'appellent Dante Sauveur Gatti, mais ce n'est pas le sujet qui nous intéresse ici, concentrons-nous sur l'objet !
Double DVD publié par les Éditions Montparnasse dans la collection dirigée par Nicole Brenez et Dominique Païni, "Le geste expérimental", Le lion, sa cage et ses ailes rassemble huit films tournés de 1975 à 1977 avec Hélène Chatelain et Stéphane Gatti, par, pour et selon les ouvriers, regroupés en communautés d'origine. Là où le repli communautaire pourrait paraître réactionnaire, la responsabilité de chacun renvoie à une solidarité de tous. Dans le livret l'introduction de Jean-Paul Fargier et la reproduction des affiches en sérigraphie annonçant le film rendent ma chronique bien fade. Si l'époque produisait des images grises, cent fleurs écloront sur le terreau vidéo. Cette Babel schizophrène est une œuvre unique, exemplaire, parce qu'elle échappe à tout ce qui a existé jusqu'à aujourd'hui. Elle pourrait incarner la véritable télé-réalité ou le cinéma-vérité, des modèles subjectifs évidemment, car la fiction a la véracité du rêve et le documentaire s'inspire des individus sans ne jamais généraliser. Pour être de partout il faut être de quelque part. On comprend mieux pourquoi des Polonais filment Le Premier Mai, des Marocains Arakha, des Espagnols L'oncle Salvador, des Géorgiens La difficulté d'être géorgien, des Yougoslaves La Bataille des 3 P., des Italiens Montbéliard est un verre... Partout la musique les accompagne. Le cinéma militant de Gatti rappelle celui de Godard, parce qu'il fait éclater la narration traditionnelle en s'interrogeant sans cesse, provoquant chez les spectateurs un sentiment de jamais vu tout au long de cette épopée des temps modernes. Il propose aux ouvriers immigrés de composer leurs propres scénarios, de critiquer ce qu'ils ont tourné, 90 heures en 6 mois pour aboutir à 5 heures 30 de films d'inégale longueur, sans formatage, tous radicalement passionnants. Du grand art l'air de rien.
À l'heure où les immigrés sont une fois de plus la cible de la sociale-démocratie plus réactionnaire que jamais, où la télévision est incapable de se renouveler et de jouer son rôle pédagogique, où le cinéma nous sert les sempiternels atermoiements, où le formatage règne partout en maître-étalon, il est indispensable de suivre cette cure de jouvence qui libère la parole, les images et les sons du peuple. Ce sont nos voix que l'on a muselées, car nous fûmes ou nous sommes tous, à l'exception des banquiers cyniques qui assèchent le monde, des travailleurs immigrés, résistants aux vies irremplaçables, garants de la mémoire comme de l'avenir, porteurs de la nécessité de créer, librement.

Article du 13 mai 2011

vendredi 1 septembre 2023

Anatomie d'une chute


J'avais bien travaillé au studio depuis le matin à préparer le séance d'enregistrement de lundi prochain. C'est un peu tôt pour choisir les instruments dont je jouerai pour ce nouveau Pique-nique au labo, cette fois avec la clarinettiste Hélène Duret et la harpiste Rafaelle Rinaudo, mais l'impatience me pousse à me projeter la semaine prochaine. J'en ai profité pour tester la pédale Eventide H9 Max sur le Tenori-on sans être certain que je les utiliserai. Rolls des effets électroniques, le H3000 et la H90 sont déjà dans les circuits auxiliaires. La conscience tranquille, je suis donc descendu au Cin'Hoche voir le film de Justine Triet, Anatomie d'une chute, qui a obtenu la Palme d'Or à Cannes cette année.
Jouissant de mon propre grand écran depuis plus de vingt ans et d'une offre quatre fois plus importante que la Cinémathèque française, je ne fréquente que très rarement les salles de cinéma, mais plusieurs raisons me poussaient à sortir. Plusieurs amis avaient été emballés par le film qui vient de sortir alors que je dois toujours attendre leur publication en DVD pour découvrir les plus récents, d'autres amis, et parfois les mêmes, m'exhortent à quitter ma tanière si je ne veux pas rester éternellement célibataire, cela me faisait du bien de marcher un peu jusqu'au centre ville et puis il est toujours sain de bouleverser ses habitudes. Contrairement à ce qu'avancent certains de mes proches je ne vois aucune différence à assister seul au spectacle dans une grande salle clairsemée ou dans mon salon, si ce n'est que chez moi c'est plus confortable. Pourtant la salle municipale de Bagnolet, qui avec ses deux écrans dépend désormais d'Est Ensemble, est très agréable, sa programmation art et essai en version originale est impeccable. J'ai noté que Les feuilles mortes, le nouveau Kaurismäki, ou Fermer les yeux de Victor Erice y sont programmés très bientôt.
Pas de regret pour mon choix. Le film de Justine Triet est excellent. On y retrouve son attirance pour les procès, le monde de la littérature, la psychanalyse, la vie de couple et des rôles de femme complexes. Comme chez Vecchiali ou Cassavetes, l'équipe du film est quasi familiale : son compagnon Arthur Harari, réalisateur comme elle de grand talent (Diamant noir, Onoda), joue dans tous ses films (La bataille de Solférino, Victoria, Sibyl) et a coécrit celui-ci, elle est fidèle à la comédienne allemande Sandra Hüller (Toni Erdmann, I'm Your Man) comme à Virginie Efira présente dans deux autres de ses films, etc. J'ai toujours pensé que cette complicité favorisait certaines aventures, même si le conflit profite à d'autres. Vous remarquerez que je ne parle pas du film, ni même ne livre la bande-annonce. D'une part je déteste spoiler (divulgâcher), d'autre part j'évoque rarement des sujets traités largement par la presse. Il est ainsi inutile que je m'étale sur la polémique suscitée par le discours de Triet sur la politique gouvernementale, mes lecteurs/trices connaissent mon engagement. Allez voir le film, c'est bien.
Je suis rentré et, après le dîner, j'ai regardé Limbo de Ben Sharrock que m'avait conseillé Françoise. Plusieurs films récents portent ce même titre, un polar poisseux hongkongais réalisé par Soi Cheang, une enquête en territoire aborigène de l'Australien Ivan Sen, et une dizaine d'autres plus anciens ! Étonnamment j'avais regardé ces deux-là, tournés en noir et blanc, la semaine précédente. Le film anglais de Sharrock dresse le portrait d'un groupe de demandeurs d’asile attendant de connaître leur sort sur une petite île de pêcheurs en Écosse. Le ton doux et amer, un peu surréaliste, la lenteur humoristique, rappellent certains films nordiques, islandais ou finlandais, des films où s'exprime la tendresse humaine. Cela change des portraits égocentriques et un peu cyniques de l'Allemand Christian Petzold comme dans son récent Roter Himmel (Le ciel rouge).
Entre temps je m'étais arrêté acheter un kebab sur le chemin. Manger de la junk food m'arrive peut-être deux fois dans l'année. Une manière de souligner l'exotisme de ma sortie cinématographique ? L'occasion de manger des frites, ce que je ne fais jamais évidemment. Juste le temps d'appeler Étienne Mineur à Genève pour discuter de la magnifique pochette qu'il concocte à base d'intelligence artificielle pour le vinyle La preuve du groupe Poudingue. Si mes articles ont parfois un caractère anatomique, celui-ci n'a pas de chute.

P.S.: Comme j'avais beaucoup apprécié Anatomie d'une chute, j'ai regardé le seul film de Justine Triet que je ne connaissais pas, Victoria. J'ai été surpris, mais pas étonné, de constater certaines ressemblances, sauf que celui-ci est traité sur le mode de la comédie alors qu'Anatomie est un drame... Un couple se déchire. Difficulté d'un écrivain à écrire son roman tout en s'inspirant de sa vie de couple. Une mère plutôt absente. Velléités procédurières. Absurdité du système de la justice... Quand on creuse on se rend compte que la plupart des cinéastes (tous et toutes peut-être) font toujours le même film. Cette fois Triet réussit son meilleur.
Quant à Limbo, Françoise, dont c'est le film préféré cette année, s'étonne que je n'en dise pas plus. Je lui ai répondu que "la scène d'ouverture ressemble tout de même bigrement aux films de Dominique Abel (L'iceberg, Rumba, La fée, etc.). De mon côté j'ai préféré Eo, Pacifiction, Triangle of sadness et, en ce qui concerne les migrants et autochtones, les derniers films de Kaurismäki (Le Havre, L'autre côté de l'espoir). Donc pas si original que cela à mes yeux, mes oreilles et mon cœur 😉 Mais je comprends que Limbo [lui] plaise, les très beaux cadres sont en effet du genre des [siens], et le film est très fin dans ses allusions sans en remettre trois couches, et surtout il prend son temps (dans tous les sens du terme)."