70 Humeurs & opinions - novembre 2010 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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samedi 27 novembre 2010

Double vue


Il y a des professions où les escrocs sont légion comme nombre de réparateurs qui peuvent vous vendre n'importe quoi lorsque l'on n'a aucune compétence dans le métier. Heureusement certains ont une morale et vous réconcilieraient avec l'humanité. Par exemple, le Garage Best à Montreuil, 90 rue du Midi, redore d'un coup le blason de tous ses confrères. Comme ma voiture est toute neuve je n'irai pas le voir de sitôt, mais je regrette de ne pas l'avoir connu plus tôt.
Je n'ai compris que très récemment que la plupart des ophtalmologistes ne sont que des pourvoyeurs d'ordonnances. Ils n'expliquent rien, ne réfléchissent pas aux usages particuliers de chacun, appliquant leur analyse physique machinalement pour que le rendez-vous soit le plus bref possible. Derrière, les opticiens font tout le travail, corrigeant le bâclage et en assument souvent les frais. J'ai dû ainsi changer mes verres progressifs inadaptés à ma pratique quotidienne pour une paire de vue lointaine, parfaite pour conduire à deux roues comme en quatre, et une autre de vue intermédiaire qui me permet enfin de lire et de voir mes interlocuteurs et trices. Je conserve mes anciennes montures de presbyte pour bouquiner. Je vais enfin voir net ce qui se passe à un mètre, mais quelle collection !
Les spécialistes sont des handicapés à l'esprit étroit qui ne conçoivent le monde que sous un seul angle. Les seuls que je respecte sont des généralistes avec des spécialités, ce qui leur confère en plus d'une vue large un petit supplément d'âme bienvenu en ces temps inhumains.

mercredi 24 novembre 2010

Croire ou conduire


À celles et ceux qui, avec raison, se méfient des machines je répondrai que les êtres humains ne valent guère mieux, d'autant qu'ils sont les concepteurs du monde mécanique où nous évoluons. N'y a-t-il d'autre logique que celle de nos cerveaux exploités pour leur servilité plus que pour leur potentiel critique ?
Comment expliquer les spammeurs qui infestent, empestent et infectent les commentaires de mon blog par tombereaux alors qu'au-dessus du bouton d'envoi j'ai spécifié dans les langues qu'ils utilisent :
Aucune PUBLICITÉ ne sera publiée
ADVERTISING won't be published
SPAMMERS, STOP SENDING... ?
Mais rien n'y fait. Chaque matin je découvre une trentaine de messages idiots que je ne mettrai pas en ligne puisque la console d'administration permet de filtrer les indésirables, vendeurs de chaussures ou de montres. Il est possible que le code, appelé captcha, censé éviter les spams automatiques ne soit plus opérationnel. Jusqu'ici il était a priori impossible aux robots pollueurs de répondre à une question visuelle faisant appel à une logique même rudimentaire, mais les obstinés ont peut-être trouvé le moyen de contourner l'obstacle, à moins que la main d'œuvre exploitée du tiers monde soit si lobotomisée par les tâches automatiques que cela prendrait plus de temps d'assimiler l'absurdité de leur obstination que de remplir la case vide.
Ma perplexité n'a d'égal que mon énervement devant la déshumanisation des individus et la médiocrité des systèmes de rentabilité. À partir de là interrompez votre lecture si vous ne voulez pas être étranglé par le nœud coulant de la narration méticuleuse de la bêtise faite homme.
Je me suis déjà ouvert ici des mystères du transport de marchandises. Chaque expédition ou réception de lapins en plastique, soit trois flight-cases d'un total de 150 kilos, donne lieu à une nouvelle péripétie. Cette fois UPS est hors de cause, puisque lundi dernier notre contact allemand charge DHL de nous rapporter le clapier. Arrivé mercredi matin à Paris, j'apprends vendredi que les flights sont en rade, car le transporteur n'a pas mon téléphone et ne peut me prévenir de la livraison. Mon numéro est évidemment écrit partout sur leurs parois ! Dans l'impossibilité de joindre DHL à Paris (leur site est si mal conçu que je vous livre solidairement leur standard récupéré en Allemagne : export 01 64 62 32 10 et import 01 64 62 32 14), leur succursale münichoise fera le joint. Si je ne m'étais pas inquiété nos bestioles seraient toujours enfermées dans quelque entrepôt à se geler les oreilles. Promesse de livraison est faite pour lundi matin et, en effet, à midi moins dix le chauffeur me prévient qu'il sera là dans dix minutes. Et puis rien. Deux heures plus tard la pause déjeuner est terminée. Le téléphone de la responsable est toujours sur répondeur et sa boîte est pleine, gag récurrent depuis plusieurs jours. Après cinq coups de fil à Augsburg j'apprends finalement que le camion a été empêché d'emprunter ma rue par des automobiles mal garées. Croyez-vous qu'il aurait pu me rappeler ? Je fais un scandale et le livreur revient du Raincy pour me refaire le coup du goulet. Cette fois je lui dis de ne pas bouger pour qu'Antoine et moi le rejoignions avec la Pépite et y transvasions le contenu. Comme je ne comprends pas son incapacité puisque des semi-remorques déchargent régulièrement à vingt mètres de chez nous, le chauffeur m'explique que son GPS avait beau être très clair la rue est trop étroite. Il n'a pas eu l'idée d'emprunter la suivante ou de faire le tour par l'autre côté. On ne contredit pas un GPS pas plus que l'on insulte Dieu.

samedi 13 novembre 2010

Devoir d'insolence


Retourné m'acheter Nique la France pour mon anniversaire, Nicolas demande au libraire de La réserve à Mantes combien il en a vendus. Quatre, répond-il fièrement. Sauf que c'est mon copain qui lui avait pris les quatre ! Douze euros pour un petit livre plein de photos le majeur en l'air, de textes où est revendiqué que décidément "exister, c'est exister politiquement" et un CD 12 titres où le rap engagé s'accompagne à l'accordéon, à la guitare et aux percussions, ce n'est plus la question de savoir si c'est donné, la nécessité de soutenir une initiative aussi salutaire que jubilatoire se dessine au fil des pages et des plages.
Z.E.P., pour Zone d'Expression Populaire, dénonce avec aplomb et intelligence l'image que le pouvoir donne des jeunes des quartiers. Les textes de Saïd Bouamama, sociologue et docteur en socio-économie, fustigent l'identité nationale et la fabrication d'un ennemi de l'intérieur, la nostalgie coloniale et la politique de la menace, l'islamophobie comme arme de destruction massive, les exemples de réussite et les fayots de la république, ils révèlent l'importance de la question palestinienne et revendiquent la légitimité de la révolte des quartiers et leur impatience. Les dizaines de doigts d'honneur photographiés par Pitinome et Pib sont marrants, mais leur systématisme n'a pas la force des paroles des chansons du disque.
L'album Devoir d'insolence est téléchargeable gratuitement sur le site de Z.E.P., mais il est indispensable de soutenir une si enthousiasmante initiative en achetant les 144 pages de papier et la galette en plastique (Darna Edition). Si la musique dresse un pont entre le rap et la chanson française, les paroles de Z.E.P. sont mieux aiguisées que tous les discours. C'est dense. Vous vous surprendrez à fredonner "T'as vu la gueule du patrimoine, on a foutu le bordel avec nos tronches de polygames, ça jase..." Le p'tit beur qui rape sur du musette raille le paternalisme et le racisme dominants. Les refrains entonnent "Nique la France et son passé colonialiste, ses odeurs, ses relents et ses réflexes paternalistes, nique la France et son histoire impérialiste, ses murs, ses remparts et ses délires capitalistes", mais ce sont les couplets qui font sens en contant les détails d'un quotidien révoltant. Pas de baratin !, ils résistent avec les moyens du bord. Les documents sonores et les citations arabes et kabyles sont remarquablement choisis. Leurs mots sont plus justes que les miens. Ça sautille comme une fête, parce que la résistance, contrairement au renoncement, est euphorique. Si vous désespérez devant l'inanité des paroles de la chanson contemporaine, écoutez le langage de la rue, les gars de Z.E.P. s'y entendent et ils nous redonnent l'espoir qu'aucun tribun n'est plus capable d'insuffler !

mercredi 10 novembre 2010

Saints hommes en double page


De temps en temps j'attrape un de ces journaux gratuits qui polluent le métro et les cerveaux de ses usagers, histoire de savoir ce qui se trame ailleurs que dans ma petite sphère protégée. J'avais déjà constaté le gigantesque décalage entre les quotidiens Libération et Le Monde et leurs suppléments gratuits financés par les annonceurs proposant des objets de luxe à des prix dont peu de lecteurs peuvent imaginer la véracité tant ils atteignent des sommets d'arrogance en ces périodes de crise. Mais cette fois le torchon DirectSoir de lundi dernier me tombe des mains à moins que ce soit moi qui parte à la renverse devant tant de médiocrité snobinarde (le snobisme consiste à adopter les attributs d'une classe qui n'est pas la sienne) et de m'as-tu vu tendance. Approchons-nous de la double page "En mode design" pour en découvrir le sommaire, soit par ordre d'apparitions, car il s'agit des icônes d'une nouvelle religion, Jeff Koons, Philippe Starck, Jean-Michel Basquiat (... l'art ait son âme), Ben, Takashi Murakami et Damien Hirst... L'opulence du clergé n'a jamais choqué les fidèles. Que cela ne nous empêche pas de dénoncer la supercherie qui consiste à faire rêver les pauvres en leur agitant sous le nez des appâts inaccessibles, en les plumant au passage, la consommation étant au même tarif que toutes les loteries cautionnées par l'État.
Attention, prévient le journaliste compilateur, il n'y en aura pas pour tout le monde !, des fois qu'on hésite à se payer la montre mythique G-Schock de Casio à 4000€ de Murakami. Rassurons-nous, les profits générés par la vente de la gamme "crème de corps" de Kiehl's, customisée par Koons avec son œuvre Tulips, seront versés à The Koons Family Institute qui lutte contre l'exploitation et l'enlèvement des enfants tandis que 10% du prix de vente des Chuck Taylor All Star de Converse personnalisées par Hirst seront reversés au Fonds mondial de la lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Alors rien pour les pauvres ? Pas d'affolement, le T-shirt Rica Lewis à 25€ permet à Ben de proclamer que "L'art est partout" et Starck de délivrer "L'air du temps" avec son flacon Nina Ricci à 69€, une misère ! J'ignore comment Basquiat se retrouve pour la troisième saison consécutive avec les hommages de Reebok à 110€, mais j'espère qu'il se retourne dans sa tombe. Ah les saints hommes !

mercredi 3 novembre 2010

Magnifiques clichés


Sur la chaîne Euronews l'émission emblématique No Comment montre, depuis 1993, les images sans le commentaire envahissant du Journal télévisé. La manipulation n'est pas forcément absente, mais il y a au moins quelque chose à voir et à entendre. De son côté, le photo-reportage a toujours été à cheval entre le rapport et l'évocation. Sur Boston.com (Boston Globe), The Big Picture propose une sélection de photographies, toujours exceptionnelles, ayant trait à l'actualité et rassemblées thématiquement. Allez vous y promener et vous y trouverez certainement un sujet qui cadrera avec vos aspirations. Que cela les amuse, les irrite ou les questionne, la France en grève passionne les étrangers car nos révoltes figurent toujours un baromètre pour le reste du monde. La sélection proposée pointe néanmoins la distance entre la réalité et sa représentation. Si la France y semble à feu et à sang, il est facile d'imaginer que cette transposition spectaculaire peut s'appliquer à chacun des thèmes abordés. Je me souviens qu'en mai 1968, des amis américains, ultra-réactionnaires au demeurant, avaient téléphoné à mes parents pour leur dire que nos chambres étaient prêtes puisqu'au vu de leurs actualités nous avions sombré en pleine guerre civile. Ou encore, au plus fort de la guerre du Liban, les bijoutiers de Beyrouth continuaient leur petit business dans certains quartiers sans que cela semble les affecter. Pour avoir couvert certains moments chauds de notre histoire en Algérie, en Afrique du Sud ou pendant le siège de Sarajevo, j'ai pu constater que nous ne vivions jamais les événements comme ils étaient relatés par la presse, et ce dans les deux sens. Car si certains faits sont magnifiés, d'autres sont sciemment tus. La véritable horreur est souvent immontrable parce que, trop étendue géographiquement, elle ne rentre pas dans le cadre de l'appareil. L'objectif captera donc ce qui est cernable et les meilleurs résultats feront soit apparaître un sous-texte révélateur, soit permettra au lecteur de s'évader et de se faire son propre cinéma. Aucune image ne peut jamais montrer la vérité, car elle servira toujours un discours ou un fantasme, le cadre ne permettant que de voir sous un seul angle. L'appareil à filmer le hors-champ reste à inventer, et la vérité ne sera jamais qu'une illusion.