"C'est la barbe !" répond Sacha Distel quand Maurice Chevalier entonne "Pense aux mille plaisirs du monde et pense aux mille désirs qui nous agitent, le possible est sans frontières, et l'on découvre cent mystères en route". Paroles de la comédie musicale Gigi de Vincente Minelli, d'après Colette, traduites par Boris Vian. C'est la barbe ! Comment l'entendre ici ? La photo de 1978 a du succès, à mes yeux pour commencer. À l'époque j'aurais aimé le savoir, et l'assumer sereinement. D'Artagnan, Zappa, Dave Grohl, Jésus Christ, les références ne manquent pas dans les commentaires actuels bien sympathiques. Trois ans plus tard je la coupai. Me reconnaissant dans la glace, je sautai littéralement de joie, comme un petit zébulon. Quarante années de plus, je la laisse à nouveau pousser cet été, comme ça, pour jouer. Cette fois je ne reconnais plus l'enfant. Remontent mes débuts dans le monde, la vie qui s'offre à moi, l'amour, la musique... Aujourd'hui les amis me disent gentiment que cela me rajeunit. Alors c'est comme aller chez le coiffeur, couper ou laisser pousser, c'est le changement qui fait le boulot. Qu'annonce ce nouveau visage ? Rien n'est sûr. Question de patience. Vivons-nous dans le regard des autres ou dans la vision narcissique qu'impliquent les réseaux sociaux ? Les deux me semblent y participer. On voudrait parfois n'exister que par son esprit, sa tendresse, mais à quoi cela rime sans partage ? Il est rassurant de savoir que rien n'est immuable. Sauf la mort, biologiquement inéluctable. En attendant, le nombre des années ne signifie pas grand chose, si ce n'est qu'on est vivant. Je suis cet enfant timide, ce jeune homme fougueux, ce vieux sage. J'ai tous les âges depuis le premier, mais pas encore le prochain. La langue française nous permet de les avoir tous, comme un mille-feuilles quantique, alors que l'anglais ou l'allemand nous fige à être. On glisserait vite sur "To be or not to be" (William j'expire !). Il suffit de choisir l'âge qui convient selon les circonstances. En tout cas, je n'ai presque jamais celui imprimé sur mon passeport. Le traître ! "Pense aux mille plaisirs du monde et pense aux mille désirs qui nous agitent, le possible est sans frontières, et l'on découvre cent mystères en route..."