70 Humeurs & opinions - février 2011 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 25 février 2011

Retour de l'espoir


Les révolutions arabes prouvent que rien n'est jamais joué. Dans l'une de ses conférences, le philosophe Slavoj Žižek s'étonnait que chacun envisage la fin du monde, mais pas celle du capitalisme. La chute des dictatures montre que tout est possible, ou, comme le rappelle mon camarade Pierre Oscar Lévy à la fin de chacun de ses billets, "depuis le 14 janvier 2011, et le début de la Révolution Tunisienne, l'improbable est certain." Je n'irai pas jusqu'à croire, comme mon père me l'enseigna, que le bien finit toujours par triompher, mais la loi des cycles qui régit l'univers, du fait le plus intime aux chamboulements planétaires, de la physique du son et de la lumière à nos humeurs fluctuantes, montre que rien n'est inéluctable. En marge de l'entropie qui ne saurait être négligée si l'on tient sérieusement à notre planète, la révolution est le temps qu'il faut pour nous jouer de bons et de mauvais tours. Rien n'est stable. Aucun système, aucun corps, aucun atome. Le mouvement historique qui vient de commencer peut redonner espoir à tous les aquoibonistes, exploités du monde entier sous la coupe de quelques nantis qui leur font croire que c'est dans l'ordre des choses. De la Chine à l'Afrique, des Amériques à l'Europe, les gouvernements du monde entier sentent le danger d'un réveil des consciences. Car les opprimés de toutes sortes sont des millions de fois plus nombreux que les élites qui les oppriment ou les exploitent. Le démagogique Yes, we can! du président Obama pourrait signifier l'éveil de nos populations anesthésiées, formatées par le corps d'armée de la communication, télévision en tête. Taxé d'utopiste pour n'avoir jamais perdu mes illusions, j'ai coutume de répondre que tant qu'un seul homme résistera au renoncement ambiant le feu de la révolte ne pourra s'éteindre. Sur tout le globe les braises attendent d'être ranimées. Les capitalistes s'inquiètent avec raison, les banquiers fignolent leurs programmes de reconversion, les entreprises de travaux publics se frottent les mains, les marchands d'armes cherchent où créer de nouveaux marchés, et les femmes et les hommes, écœurés de l'arrogance et de l'impunité de ceux qui nous gouvernent, apprennent ou se souviennent que, pour changer le monde, il n'est que soi-même.

jeudi 24 février 2011

Instantané des âmes


Comme j'attendais une amie journaliste pour lui conter ma dernière facétie Internet, 60 heures de musique inédite et gratuite sur drame.org et un album mis en ligne le jour-même de son enregistrement, je regardais les usagers du métro remonter de la station Belleville en rang serré et de face. Ma photo ne rend pas l'expérience non préméditée que je tentai alors. Manque de culot ou respect de l'anonymat ? Probablement les deux.
Comme je cherchais de laquelle des six bouches de métro pouvait surgir mon rendez-vous, j'éliminai celle où la foule compressée entoure le marché de la misère, particuliers démunis vendant quelques rares objets de leur quotidien à des frères de galère, beaucoup d'hommes, très peu de femmes. Les sorties devant Paris Store et au milieu du boulevard charriant peu de voyageurs, j'avais le choix entre deux, proches de la rue de Belleville, occultant la remontée mécanique dissimulée que mon amie choisira évidemment, me surprenant dans mon exercice équilibriste.
Espérant l'apercevoir remonter l'escalier sur lequel j'ai jeté mon dévolu, je me concentre sur les mouvements de groupe, dévisageant chacune et chacun le plus rapidement possible. Il m'est impossible de m'attarder plus d'un quart de seconde sur une figure sans manquer la suivante. Au bout d'un moment j'attrape le rythme et commence à percer les regards éblouis par la lumière du jour comme épinglés par le flash d'un photographe. Plus j'insiste plus je m'enfonce dans ce qui est présent au delà de l'expression, cette arrière-pensée que les yeux ne sauraient cacher, le doute ou le bonheur, l'amertume ou la franchise, la distraction ou l'angoisse... Toutes les émotions du monde défilent devant moi comme des bolides dans un jeu vidéo. Cherchant à les attraper au vol, je les frôle comme un jongleur auquel toutes les quilles échappent, pas le temps de les toucher qu'elles repartent déjà dans un saut périlleux que le monte-en-l'air exécute pour ne pas se faire prendre à son tour. Vertige de l'improvisation qui n'autorise aucun faux-pas, j'étais aspiré par les figures de style de mon jeu lorsque mon amie sortit de nulle part, intriguée par mon air ahuri, comme si elle me réveillait en sursaut. Je lui expliquai que lorsque j'écris ou compose et que le téléphone sonne, mon interlocuteur s'excuse toujours d'interrompre mon sommeil.