70 Humeurs & opinions - décembre 2016 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 23 décembre 2016

Tout est vérouillé


Passé rue Mazarine aux Éditions de l'Herne chercher un exemplaire du Cahier consacré à Michel Houellebecq dans lequel j'ai écrit un article sur notre collaboration, je franchis à pied le Pont Neuf. De là j'aperçois l'impasse de la rue de Nevers au fond de laquelle je faisais semblant de chanter lorsque j'étais louveteau aux Éclaireurs de France, une meute de scouts laïques où j'ai passé trois années merveilleuses de huit à onze ans. À sa droite la Monnaie de Paris présente actuellement l'exposition Not Afraid of Love de Maurizio Cattelan. À sa gauche la rue Dauphine où en mai 68 j'allais en mobylette acheter L'Enragé, puis les journaux underground Le Parapluie, It et Suck à la Librairie Parallèles. Dessous "coule la Seine". J'adore la traverser où que ce soit à Paris, en touriste.
"Et nos amours, faut-il qu'il m'en souvienne".
C'est bien le premier plan qui me choque. Des amoureux ont accroché des milliers de cadenas sur l'avancée du pont construit sous Henri III et terminé sous Henri IV. Cette pratique avait commencé à Paris sur le Pont des Arts et elle s'étend maintenant à d'autres passerelles. Étrange comportement de considérer l'amour comme quelque chose de fermé, replié sur soi ! Ces naïfs jettent ensuite la clef de ces "cadenas d'amour" dans le fleuve, quitte à revenir détruire rageusement cette ceinture de chasteté moderne quand le couple se défait.
"Passent les jours et passent les semaines, ni temps passé, ni les amours reviennent..."
Les familles recomposées sont en effet plus nombreuses dans les grandes villes que les liaisons éternelles. Je repense au remarquable discours de Jean-Luc Mélenchon au meeting LGBT, probablement le plus intéressant de sa campagne de 2012. Si je me souviens bien, il s'était d'abord étonné du besoin de se marier, un peu anachronique pour des gens de notre génération. Il avait ensuite suggéré que le mariage gay devienne le modèle de nouvelles associations, entre frère et sœur, entre amis, etc., pour protéger le compagnon ou la compagne qui nous sont chers...
"Vienne la nuit sonne l'heure, les jours s'en vont, je demeure."

mercredi 21 décembre 2016

Le malaise est plus profond

...
J'aurais beau évoquer la politique gouvernementale, les élections présidentielles, la guerre en Syrie ou ailleurs, Fukushima ou la sixième extinction, il me semble que le problème n'est pas là. Beaucoup de gens sont malheureux, déçus, sans perspective d'avenir, cyniques. Ils ont l'impression que rien ne peut changer. Comme le répète le philosophe Slavoj Žižek : "Tout le monde conçoit la fin du monde, mais pas celle du capitalisme !". Les puissants donnent le mauvais exemple en ne respectant pas les lois qu'ils ont fixées. Comment alors exiger que les citoyens lambda agissent autrement, à leur petit niveau ? Les automobilistes se moquent de la priorité à droite ou des piétons qui souhaitent traverser, ils forcent le passage. C'est chacun pour soi, alors que seule la solidarité pourrait nous sauver.
La crise, propulsée par les grands patrons qui rétribuent leurs actionnaires, augmentent leurs propres salaires, placent leur argent dans des paradis fiscaux et licencient à tour de bras en délocalisant, n'améliore pas le moral. On s'accroche à des valeurs galvaudées comme la prétendue démocratie. On connaît la phrase de Woody Allen : La dictature c'est "ferme ta gueule", la démocratie c'est "cause toujours". On accuse les dictateurs d'être sanguinaires, mais on leur vend des armes et on se rend coupables de crimes contre l'humanité en Afrique et ailleurs. On tente de se rassurer en nommant des boucs-émissaires de façon manichéenne, les bons d'un côté, les méchants de l'autre, alors que tous les États ont les mêmes pratiques qui ne cachent que l'appât du gain. L'argent est devenu maître. Il l'est depuis longtemps, mais la société de consommation étouffe la libido. Le désir s'évanouit, et avec lui l'espoir d'un monde meilleur.
On se raccroche à sa bonne conscience en pleurant les victimes de tel ou tel attentat, alors que chaque jour la guerre fait des milliers de morts et que 40 000 enfants meurent de malnutrition, sans compter les espèces autres que la nôtre qui disparaissent les unes après les autres. Et ce, chaque jour, inlassablement, sans qu'on s'en émeuve. On se satisfait de "Je suis Charlie" ou "ich bin ein Berliner". Si l'on ignore la manipulation de masse à l'œuvre, cette compassion vire au cynisme. Dans les entreprises les dépressions nerveuses se multiplient, les burn out sont devenus la normalité, les suicides touchent plus souvent ceux qui voudraient bien faire et que le système met au rencard. Nombreux fonctionnaires font leur travail sans comprendre l'importance du service public. Ils nous répondent n'importe comment lorsqu'on s'adresse à l'Assurance Maladie, à Pôle Emploi ou à la Préfecture. Il faut appeler ou se déplacer plusieurs fois pour être certain que l'information délivrée n'est pas erronée. Il n'y a pas de secret, les employés se comportent à l'image de leur hiérarchie. Lorsque j'étais enfant, mon père m'avait averti : "même si tu dois balayer la rue, fais-le bien, sinon tu n'ennuieras !". Pour lutter contre la morosité, la grève du zèle reviendrait à bien faire son travail.
Mais les emplois se raréfient, alors que les politiques font semblant qu'ils vont réduire le chômage. Il faudrait repenser la société de fond en comble. La grève ne peut être efficace que générale, sinon les citoyens sont montés les uns contre les autres par le pouvoir. Ceux qui tiennent les rênes ne lâcheront pas sans que les populations les y forcent. Cela n'arrivera pas à coups de pétitions ou de défilés à tourner en rond dans un aquarium. Quand le ras-le-bol sonnera-t-il le réveil des peuples ?
La misère et la dépression ont souvent généré des révolutions, mais les moments de liesse ne durent pas. Il y a déjà le risque qu'elle soit brune, car sans éducation politique les populistes ont beau jeu de faire croire qu'ils agiraient autrement. Ils choisissent des boucs-émissaires en stigmatisant telle ou telle communauté. Sinon, selon l'adage que le pouvoir corrompt, il faut envisager des structures qui ne soient pas corruptibles. Cela se prépare en amont. Le programme des Insoumis est un pas dans ce sens, il s'appelle L'avenir en commun. Les militants le vendent 3 euros sur les marchés. La probabilité que cela passe est faible évidemment, mais elle existe. Il suffirait que les citoyens lisent les propositions pour retrouver déjà un semblant de sourire.
Car le moral est faible. Trop de personnes ont fait le deuil de leurs utopies. On se plaint. On pleure. On se met en colère. Mais on ne travaille pas. Pourtant c'est dans le travail de proximité que l'avenir se joue, dans la manière de se comporter avec ses voisins et avec son chat. Il faut souvent commencer pas des détails. Pour les généralités, il est indispensable de se méfier des informations, quelles qu'elles soient. On les reconnaît à ce qu'elles n'exposent que des phénomènes anecdotiques, sans ne jamais analyser les causes. On veut nous faire croire que c'est compliqué. Compliqué jamais, complexe souvent, d'accord ! Nous devons aller chercher nous-mêmes ce que raconte l'adversaire pour comprendre ce qui est en jeu. Les États utilisent tous les mêmes ressorts pour manipuler l'opinion, cela s'appelle le roman national. Leurs services secrets commettent des attentats pour déstabiliser l'opinion, ils accusent l'opposition de ce dont ils sont les auteurs, ils taxent les libres-penseurs de conspirationnisme, ils musèlent les lanceurs d'alerte, ils assassinent les démocrates pour ne conserver que les opposants les plus radicaux, etc.
L'Internationale du Capital est la seule internationale qui a réussi son coup d'État. Paul Valéry disait : "La guerre, un massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent mais ne se massacrent pas." Nous le citons, mais nous l'oublions chaque fois que cela nous concerne de près. Les émotions étouffent toute tentative d'analyse. Les médias à la solde des puissants nous enfument. Rappelons que 9 milliardaires contrôlent presque toute la presse française, et qu'ils sont liés aux banquiers et à des marchands d'armes. Qui croire alors dans ce contexte ? Il ne s'agit pas de croire, mais de nous souvenir de nos rêves et de les assumer pour chasser le cynisme régnant. Quel monde souhaitons-nous offrir à nos enfants ? C'est notre responsabilité, uniquement la nôtre, mais ensemble avec tous et toutes !

lundi 19 décembre 2016

Game of Thrones en Syrie


En lisant les appels pour Alep provenant de camarades avec qui je partage souvent quantité points de vue sur la géopolitique, je n'ai pu m'empêcher de douter des informations délivrées parce qu'elles venaient essentiellement de quotidiens comme Libération (j'ai cherché les bios de ses deux principaux actionnaires Bruno Ledoux et Patrick Drahi sur Wikipédia, site conspirationniste mondialement connu, et je n'en croyais pas mes yeux !) et Le Monde (là c'est Xavier Niel, Pierre Bergé et Matthieu Pigasse, c'est un peu moins énorme, mais ça vaut son pesant de cacahuètes), tombés aux mains de milliardaires et banquiers associés. Les chaînes de télévision étaient BFMTV et France Infos, ce qui revenait à peu près au même quant à leur fiabilité. Après avoir lu récemment Crépuscule de l'Histoire (la fin du roman national ?) de l'historien israélien Shlomo Sand, il était facile de comprendre que chaque État s'invente une histoire qui justifie ses actes, manipule l'opinion pour ne pas avoir à en rendre compte et s'en sert de plus pour éviter les questions embarrassantes. Dès que l'on met en doute la version officielle de notre pays nous sommes taxés de conspirationnisme, un terme inventé par les Américains pour faire taire les critiques au moment de la guerre du Vietnam. Pour comprendre ce qui se passe où que ce soit, le seul moyen logique est d'écouter ce que revendiquent toutes les forces en présence, car chaque gouvernement protège ses intérêts économiques en falsifiant la réalité. Vous remarquerez qu'en général seuls des faits nous sont livrés, mais pratiquement jamais les causes et les enjeux. Il est indispensable que nous acquiescions sans poser de questions, manière aussi de rendre notre cerveau disponible aux vendeurs de lessive et de Coca-Cola. Pour avoir vécu des expériences professionnelles en Algérie (1993), en Afrique du Sud avant et après Mandela, à Sarajevo pendant le siège, au Liban, etc. j'ai pu apprécier le grand écart entre ce que les médias racontaient ici et la réalité sur le terrain. J'ai même été témoin d'une falsification énorme de l'Histoire que l'on m'interdit de révéler de manière convaincante ! J'ai cru longtemps qu'avoir un regard distancié sur l'Histoire permettait d'éviter cet enfumage que l'actualité nous sert religieusement. Je me trompais, l'Histoire est seulement le résumé des actualités d'alors, aux mains de ceux qui détiennent le pouvoir, que ce soient les vainqueurs ou ceux qui savaient écrire. Ainsi, en voyant s'exciter la Toile autour des massacres à Alep, j'eus le sentiment que mes camarades se fourvoyaient comme jadis avec Solidarność, les charniers de Timisoara, les armes de destructions massives en Irak, la dictature de Khadafi, le Dalaï Lama, Je suis Charlie, etc. Cette liste doit déjà en faire bondir plus d'un ou une, et je pourrais détailler ultérieurement si besoin... Passé le fait que charger Poutine et ne voir en Castro qu'un dictateur permet de descendre Mélenchon en hausse dans les sondages, tout sondage qui de mon point de vue devrait d'ailleurs être interdit pour être systématiquement anti-démocratique. Je cherchai donc des informations venant des diverses forces en présence en Syrie. Les réseaux sociaux sont une source très riche, pas moins fiable que les journaux aux mains de professionnels qui ont montré par le passé qu'ils ne vérifiaient pas souvent les informations qu'ils divulguaient (depuis des faits divers comme l'affaire Grégory, Outreau, la fausse agression de Marie L. dans le RER jusqu'aux images envoyées d'Alep alors qu'il n'y avait absolument aucun journaliste occidental sur place). Le journalisme d'investigation coûte cher, d'où le succès de Mediapart grâce à son indépendance et ses nombreuses révélations. J'appelai aussi des camarades résidant en Irak et faisant accessoirement des incartades en Syrie.

Il ne fait aucun doute que les Russes ont bombardé Alep, mais les Américains, les Turcs, les Irakiens, les Kurdes, Daesh et d'autres groupes intégristes commettent eux aussi des massacres dans d'autres villes syriennes sans que l'opinion française s'en émeuve. À noter que les Syriens se fichent totalement des bougies que les occidentaux allument en protestation contre leurs bourreaux, histoire de se donner bonne conscience ! Il est certain qu'Assad est un dirigeant sanguinaire, mais les autres protagonistes sont tous des dictateurs en place ou potentiels. Il n'y a pas plus de liberté d'expression en Irak, au Kurdistan, en Turquie, en Arabie Saoudite, etc. Les rebelles "démocrates" contre le régime syrien ont été rapidement mis hors d'état de lui nuire et pas seulement par ses sbires. À Alep flottaient les drapeaux noirs de Al Nosra et d'autres groupes intégristes, même si ce n'est pas Daesh, et ceux-là bombardaient la partie ouest de la ville, plus riche que le quartier est. Le point de vue kurde livre un éclairage intéressant sur la question. Il existe en Syrie quantité de milices. Ce qui se prépare à Mossoul risque d'être bien plus meurtrier et les Russes n'y participent pas, du moins pour l'instant. Les images envoyées d'Alep provenaient de Syria Charity, basée à Paris, ex "Pour une Syrie libre", ONG en accord avec Al Nosra et Al Qaida. The Syrian Campaign, basée à Londres, est financée par la famille Asfari qui dirige Petrofac, et par la Fondation Rockfeller. Le journaliste américain Bilal Abdul Kareem présent sur toutes les télés et vivant sur place est converti au Salafisme depuis 1997. Pierre Le Corf qui défend le régime syrien depuis Alep Ouest est lié à l'extrême-droite chrétienne. L'AFP est un organe totalement inféodé aux intérêts français. Etc. Presque toutes les ONG sont financées par des états impliqués dans le conflit. Comme la presse elles font partie de ce quatrième corps d'armée qu'est la communication.

La guerre au Moyen Orient est une guerre économique, comme le fut par exemple la première guerre mondiale, elle concerne les hydrocarbures, gazoducs et oléoducs. Les populations locales paient le prix de cette bagarre pendant que les plus puissants attendent que la situation pourrisse pour ramasser les marchés. On sait les profits juteux que les Américains font de la reconstruction comme par exemple dans les Balkans, et la vente d'armes bat son plein. Les Russes qui viennent de passer un accord avec les Turcs semblent avoir réalisé dans le même temps la plus grosse livraison d'armes jamais reçue par les Kurdes, et les Chinois ont fini par comprendre qu'il fallait aussi profiter de cette aubaine au Moyen Orient. La guerre concerne d'abord l'Arabie Saoudite et l'Iran : Sunnites et Chiites se détestent plus qu'ils ne haïssent Israël ! L'Arabie Saoudite est associée au Qatar, aux USA et accessoirement à la France et autres pays européens impliqués. Poutine soutient l'Iran et Assad qui lui octroie son seul accès à la Méditerranée, il s'oppose évidemment aux USA dont les bases militaires sont installées tout le long de la frontière russe. Erdogan tire probablement les ficelles en faisant semblant d'attaquer Daesh pour mieux pilonner les Kurdes, car son but primordial est d'empêcher la création d'un état kurde. Il livre des armes aux Sunnites pendant qu'il fait ami-ami avec Poutine ! C'est un imbroglio incroyable d'alliances et de traîtrises ressemblant terriblement à Game of Thrones. On peut apprécier le bilan de nos guerres en Lybie où il n'existe plus aucun gouvernement, mais une ribambelle de tribus qui s'entredéchirent. C'est plus ou moins ce qui est à l'œuvre en Syrie, après le démantèlement de l'Irak. Le nombre de factions belligérantes dépasse notre entendement. Nous avons d'une part les intérêts pétroliers des consommateurs occidentaux et d'autre part ceux des vendeurs qui s'entretuent pour remporter la mise. Les soldats français n'ont d'autre mission que de zigouiller leurs concitoyens engagés dans le Djihad, car il n'est pas question qu'ils infectent les prisons françaises à leur retour. Idem pour les Anglais, les Belges, les Hollandais ou les Allemands. La seule attitude possible n'est pas de dénoncer telle ou telle exaction d'un des protagonistes, mais de faire en sorte d'arrêter la guerre. C'est d'ailleurs le sens des propos de Jean-Luc Mélenchon à qui les médias aux ordres essaient de faire dire n'importe quoi qui lui soit défavorable pour les élections présidentielles, par exemple en sortant des extraits de leur contexte. Or pour arrêter la guerre nous devons remettre en cause nos modes de consommation, en particulier tout ce qui concerne l'énergie... En attendant, l'Europe va devoir faire face à un afflux gigantesque de réfugiés qui fuient la destruction de leurs pays et dont nous sommes complices, entre autres, en tant que consommateurs d'énergie et fournisseurs d'armes.

P.S.: Pierre Le Corf m'écrit :"Bonjour Monsieur, permettez moi de vous demander, qu'est-ce qui vous permet d'écrire que je suis lié à l'extrême droite chrétienne? Je suis chrétien d'éducation mais n'ai pas été dans une église depuis 1 an et suis encore moins un adorateur de la droite, étant plutôt à gauche, désolé de vous décevoir. Quant à me placer à la droite d'un terroriste sans faire de jeux de mots ça ne passe pas."

samedi 17 décembre 2016

Le Monde nous enfume


Dans un article du quotidien Le Monde du jeudi 15 décembre les journalistes Samuel Laurent et Adrien Sénécat publient un article intitulé Fausses images et propagande de la bataille d’Alep qui pourrait laisser penser à une certaine objectivité de leur part. Ils commencent donc par signaler l'interview de la journaliste canadienne Eva Bartlett qui remet en cause les informations des médias occidentaux. Leur contestation de ce témoignage est basée sur des "contacts de journalistes à Beyrouth avec des personnes ayant fui Alep, certains récits validant tout à fait l’existence de civils victimes des forces syriennes". Qu'il y ait des victimes à Alep n'est pas contestable, mais aucune des informations livrées par Eva Bartlett n'est analysée. Ils insistent essentiellement sur le fait que le témoignage de cette journaliste indépendante, très impliquée en Palestine, est diffusé par Russia Today, site financé par le pouvoir russe. Mauvaise pioche : RT reprend seulement l'organe officiel de l'ONU d'où est tiré ce témoignage ! Puisque les Français donnent des leçons au monde entier, voyons d'où viennent les informations des médias français ou américains ?


Le Monde évite soigneusement de creuser ses propres sources dont Karam Al-Masri, correspondant de l’Agence France-Presse (AFP) à Alep. Or le conseil d'administration de l'AFP est composé majoritairement d'éditeurs de presse, et son budget ne s'équilibre qu'en empruntant aux marchés financiers. Son C.A. est donc composé de 8 représentants des directeurs de journaux quotidiens, 2 représentants du personnel, 2 représentants de la radio et de la télévision française, 3 représentants des services publics (le premier ministre, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et le ministre des affaires étrangères nommant chacun un représentant), le PDG ! Si l'on voulait échapper au "roman national", la revendication d'indépendance et de neutralité de l'AFP peut être sérieusement mise en doute ! Rappelons aussi que Le Monde appartient majoritairement à Xavier Niel, Pierre Bergé et Matthieu Pigasse, et que la quasi totalité des quotidiens français est aux mains de 9 milliardaires, quand ils ne sont pas banquiers ou marchands de canons ! Si c'est cela, l'impartialité, il y a de quoi s'inquiéter... Chaque pays impliqué dans le conflit utilise la communication comme arme de guerre.
Pour faire semblant d'équilibrer la manipulation d'opinions, les journalistes du Monde reconnaissent que l'image de l'orpheline qui tente de survivre est fausse, tirée du tournage d’un clip de la chanteuse libanaise Hiba Tawaji en 2014. S'ils relatent l’histoire récurrente de la destruction du « dernier hôpital d’Alep » répété une quinzaine de fois en 6 mois, ils tentent de minimiser la compilation du blogueur Olivier Berruyer en avançant qu'elle est composée de messages venus d’un peu partout dans le monde, et pas forcément de journalistes ! Chaque fois ils ne manquent pas d'évoquer l'aspect "conspirationniste" des sites qui dénoncent ces manipulations. Etc.
Accuser qui que ce soit de conspirationnisme est une manière de le faire taire ou de lui retirer tout crédit. Il est politiquement incorrect de remettre en cause la moindre information officielle. Le comble de la mauvaise foi revient aux conseils donnés dans l'encadré en fin d'article "pour ne pas se faire avoir par des rumeurs" :
- Partez du principe qu’une information donnée sur le web par un inconnu est par défaut plus fausse que vraie.
- Fiez-vous plutôt aux médias reconnus, aux journalistes identifiés et connus. Et ne considérez pas non plus que cela suffit à rendre leurs informations vraies. Dans des situations de crise comme celle-ci, l’information circule très vite, et peut souvent s’avérer par la suite erronée. Il vaut mieux attendre que plusieurs médias donnent un même fait pour le considérer comme établi.
- Une photo n’est jamais une preuve en soi, particulièrement quand elle émane d’un compte inconnu. Elle peut être ancienne, montrer autre chose que ce qui est dit, ou être manipulée.
- Un principe de base est de recouper : si plusieurs médias fiables donnent la même information, elle a de bonnes chances d’être avérée.
- Méfiez-vous aussi des informations anxiogènes (type « ne prenez pas le métro, un ami a dit un autre ami que la police s’attendait à d’autres attentats », un message qui tourne apparemment samedi matin) que vous pouvez recevoir via SMS, messages de proches, etc, et qui s’avèrent fréquemment être des rumeurs relayées de proche en proche, sans réelle source.
C'est oublier à qui appartient la presse qui diffuse les informations que nous prenons pour argent comptant. C'est oublier les annonceurs qui font pression sur les rédactions. C'est oublier le nombre incalculable d'enfumages dont la presse s'est fait écho (je me souviens du Monde pendant la siège de Sarajevo !) depuis le massacre de Timisoara jusqu'au gaz chimique soi-disant employé par les soldats d'El Assad, en passant par les armes de destruction massives en Irak et quantité de faits divers comme l'affaire Grégory, l'attaque bidon d'une fille dans le métro, les profanations du cimetière de Carpentras, etc. Tout cela pour ne pas avoir pris la peine ni le temps de vérifier leurs sources. Les professionnels devraient pourtant montrer l'exemple !
C'est pourtant bien grâce aux réseaux sociaux que l'on peut souvent apprendre ce qui se passe sur la planète, dès que l'on a la chance d'avoir des contacts sur place. La presse papier a des jours de retard sur ce qui y circule, et si l'on veut savoir ce qui se passe aujourd'hui en Turquie par exemple, il n'y a pas meilleure source... Alors quand un quotidien français traite les informations contradictoires de conspirationnistes, terme inventé par la CIA pour dénigrer les opposants à la guerre du Vietnam, mieux vaut prendre cela avec des pincettes !

P.S.: j'ai écrit ces lignes il y a quelques jours. Après contacts avec des camarades en Irak et accessoirement Syrie, je tenterai ces jours-ci d'analyser la situation en Syrie, et ce sans manichéisme. Les forces en présence sont multiples, les dictateurs potentiels rivalisent avec les réguliers, les manipulations médiatiques se manifestent de toute part au service de chaque État, les intérêts économiques de chacun dictent leurs mouvements au gré d'accords contradictoires, en gros c'est Game of Thrones, les populations faisant les frais des spéculateurs et des possédants comme dans presque toutes les guerres...

mercredi 14 décembre 2016

Le fantôme au couteau entre les dents


Le Capital a peur. Les banquiers envoient leurs agents médiatiques au charbon pour s'assurer que Jean-Luc Mélenchon ne sera pas présent au second tour. Ils savent maintenant que cette probabilité est à considérer sérieusement. Il pourrait se retrouver face à Fillon (ou un autre, qu'importe !) et, si les indécis, se mettaient à lire le programme des Insoumis, tous les espoirs sont permis, d'où affolement total. Pour monter l'opinion contre lui, ils ressortent le fantôme du communiste avec le couteau entre les dents. Que ce soit la droite officielle ou son clone qui n'a plus de socialiste que le nom, ils possèdent tous les grands journaux, via 9 milliardaires, banquiers et marchands de canons, sans compter la télévision aux ordres du pouvoir. Il faut donc faire peur. On a donc droit au couplet contre l'antisémitisme pour empêcher la communauté juive de voter pour lui, parce que condamner la colonisation et la politique d'extrême-droite du gouvernement israélien leur permet de faire un amalgame honteux. On charge Fidel Castro de manière délirante sans aucune connaissance de l'histoire de Cuba pour l'assimiler à un dictateur, en évitant de rappeler les 52 années d'embargo et les 500 tentatives d'assassinat. Même chose avec Poutine qui n'est évidemment pas un saint, loin de là, mais qui doit résister aux attaques américaines dont les bases encerclent la Russie. On focalise tout sur Alep alors que des massacres aussi terribles se déroulent dans d'autres villes, d'autres pays, encore plus meurtriers (détail d'importance puisque c'est sur le devant de l'actualité, mais il n'y avait plus aucun journaliste à Alep et l'ONG Syria Charity qui a son siège à Paris est essentiellement financée par l'Arabie Saoudite). Tout cela tient du "roman national". On en remet une couche avec ses supposées accointances avec Tariq Ramadan ou celles de Clémentine Autain. Calomniez, il en restera toujours quelque chose. Le Capital n'a pas fini de porter des coups bas, car l'enjeu est de taille. On le montre grimaçant, on l'accuse d'être agressif face aux provocations de journalistes qui essaient de le coincer avec des questions idiotes, sans savoir que Mélenchon est né mal-entendant et que toute agression verbale non frontale le déstabilise à cause de son handicap. On lui reproche d'accaparer le pouvoir alors qu'il a déclaré mettre en place une Constituante chargée d'élaborer la Constitution de la VIe République, proposant la révocation possible de tous les élus sans exception en cours de mandat. De plus, aucun élu ne pourra participer à la Constituante et aucun de ses rédacteurs ne pourra ensuite être élu. Doutant de la réalité de la démocratie sans éducation de la population, j'envisageais de m'abstenir, mais devant les attaques incessantes contre le candidat des Insoumis, je comprends qu'il exprime une chance de sortir du marasme où les cyniques se complaisent.

Quelques pistes en nota bene : le vote blanc reconnu, le droit de vote dès 16 ans, sortie des traités européens pour retrouver une cohérence politique et économique, sortie de l'OTAN, œuvrer pour la paix au Moyen Orient, arrêt de la collaboration avec les pétro-monarchies, 35 heures réelles, retraite à 60 ans, recrutement de 60 000 enseignants, augmentation du SMIC de minimum 150€, remboursement des soins prescrits y compris dentaires et optiques, transition écologique vers 100% d'énergies renouvelables d'ici 2050, cantines 100% bio, etc.

P.S. : j'avais étourdiment écrit qu'il manquait des propositions pour la culture, mais je n'étais pas arrivé au chapitre 77.

lundi 12 décembre 2016

Les voyageurs de l'espace chantent des écrivains


Les voyageurs de l'espace est le dernier album du violoncelliste Didier Petit qui s'est envolé avec la chanteuse Claudia Solal et le percussionniste Philippe Foch. L'Observatoire de l'Espace du CNES (Centre National d'Études Spatiales) a commandé des textes sur l'espace à plusieurs écrivains que le trio a mis en musique. Libérées de l'attraction terrestre, les chansons ont perdu leurs étiquettes pour composer une play-list sidérale. Une adaptation du Contact de Gainsbourg ouvre le bal avant de glisser vers l'improvisation. Dans la fusée flottent des réminiscences dont on reconnaît parfois ici ou là les ectoplasmes portés par les voix. Passager clandestin de Charles Pennequin permet de s'échapper de soi-même sur un rythme hypnotique, Dessin dans le ciel de Jean Robert et Claude Roy était originalement chantée par Serge Reggiani, Xoxo de Karin Serres est une projection nocturne sur l'écran géant qui nous surplombe, avec Le dandy de l'espace Olivier Bleys taille un costard à sa combinaison, Mariette Navarro transpose ses sentiments sur Philae comme Éric Pessan dont Le syndrome du zéro joue d'un fatal décompte, Martine fait partie des singes qui ont essuyé les plâtres permettant à Sabine Macher de voir le monde avec d'autres yeux, Coline Pierré se prend pour une météorite dans Discrètement je m'éclipse et le cover de What a wonderful World permet au trio d'atterrir avec un optimisme que j'ai toujours connu à Didier Petit !
J'avais 9 ans lorsque le premier astronaute John Glenn, mort la semaine dernière, a tourné autour de la Terre. Mon oncle Roger lui avait fait dédicacer une photo à mon intention. La voûte céleste me plonge dans des abîmes de perplexité lorsque les lumières de la ville sont suffisamment éloignées pour ne pas la polluer. Mon père collectionnait les livres de science-fiction. J'ai envié Didier Petit lorsqu'il lui a été offert de faire un vol en apesanteur avec son violoncelle fabriqué par Laurent Paquier. L'Observatoire de l'Espace du CNES m'avait aussi permis d'accompagner en musique l'écrivain Pierre Senges relatant son vol parabolique à bord de l'Airbus Zéro-G ; ces Remarques faites (ou subies) la tête en bas sont en écoute et téléchargement gratuits sur drame.org.
Les voyageurs de l'Espace, présenté dans un petit coffret avec les paroles, est un recueil de chansons où compositions instantanées et préalables dessinent une carte du ciel qui nous fait voyager d'écrivain en écrivaine comme à saute-mouton d'une étoile à l'autre.

→ Claudia Solal, Didier petit, Philippe Foch, Les voyageurs de l'Espace, Buda Musique, 16,05€

vendredi 2 décembre 2016

Quel sens ? (in Revue du Cube #11)


À la question de Nils Aziosmanoff, président du Cube, posée dans son édito, ont répondu plus de 40 contributeurs dans un numéro exceptionnel lancé dans le cadre de la Social Good Week 2016. Comme chaque fois je me suis prêté au jeu...

LE SENS DE LA VIE

Il n’est d’autre art que du sens. Qu’on le prenne par n’importe lequel des cinq, il nous touche en surface pour s’enfoncer jusque sous la boîte crânienne, terminaison et commencement de toute chose. Peu importe qu’il soit unique ou interdit, giratoire ou moral, c’est là-haut que ça se passe. L’esthétique n’est rien sans l’éthique, carrefour de culture et fruit de l’inconscient. Renvoyant Lénine¹ au siècle précédent par fait accompli, ce n’est plus « que faire ? », mais « qu’en faire ? » qui nous interroge. Entendre alors qu’à s’enferrer dans cet enfer il faut bien opposer le désir de s’en sortir. Et pour se faire à battre pendant qu’il est encore chaud, offrir ce que l’on a de meilleur, après tri sélectif de ce qui nous fut légué. Le sens de la vie.

Parcours des initiés

Enfant j’avalais l’information goulument, plus en gourmand qu’en gastronome. À six ans j’entrepris la lecture du Petit Larousse de A à Z. Mon disque dur virtuel arrivant régulièrement à saturation, j’en oubliai le détail, mais m’imprégnai de l’ensemble. L’école est un outil remarquable dès lors qu’on la dévoie à ses fins. Et j’étais affamé ! Le temps de l’apprentissage est une époque merveilleuse si la leçon permet d’y faire le tri. La faire avaler coûte que coûte ne produit qu’adhésion aveugle ou rejet allergique. La seule finalité acceptable est d’apprendre à penser par soi-même en faisant son propre chemin parmi le savoir encyclopédique et les moyens techniques mis à disposition. Passer à côté de ces opportunités est une grave erreur que certains rebelles paieront de leurs exactions. Pour être un bon pirate il est nécessaire de connaître le système sur le bout des doigts. Les rencontres sont la plupart du temps la clef vers l’émancipation. Nous ne serions pas toutes et tous ici si nous n’avions eu la chance de croiser des initiateurs. Et tout est bon dans le cochon tant que le choix est offert. Quant à la liberté elle se prend, manière d’avancer qui tient plus d’une démarche fantôme que d’une réalité fantasmée.

S’accaparer les outils du savoir

Arrive un âge où les étagères ploient sous les livres, les disques, les films, les objets, les pensées, les certitudes et les doutes. Le temps est venu de transmettre. Nous avions partagé, il s’agit de donner. On avait conservé, pensant qu’on y reviendrait peut-être. Mais les jours sont comptés. L’immortalité est un leurre à l’heure déjà sonnée de la sixième extinction. Question de temps. De toute manière nous ne serons plus là. On aura beau trier, compiler, terminer, enjoliver, c’est vivre dans le passé. Ne vaut-il pas mieux être qu’avoir été ? L’un ne va pas sans l’autre, certes. Comme on fait des enfants, on laisse quantité d’informations derrière soi qui évolueront dans un sens ou dans l’autre, qui prendront la tangente, s’accrocheront au vecteur ou choisiront astucieusement quelque résultante. Chaque fois qu’un livre entre dans ma maison il faudrait qu’un autre en sorte. Chaque fois qu’une idée entre dans ma maison il faudrait qu’une autre en sorte. Pour l’instant c’est un vœu pieu, mais je m’y emploie comme on fait sa gymnastique, par autodiscipline, comme l’on s’oblige à marcher, à regarder ailleurs, à écouter les autres, à sortir, à sortir de soi pour comprendre que chacun à ses raisons. Je me souviens de la fin du film La chienne² de Jean Renoir lorsque Michel Simon retrouve une vieille connaissance, tous deux devenus clochards : « J’ai tout fait, c’est bien simple…J’ai été marchand d’habits, trimardeur, ivrogne, voleur, et même pour commencer… assassin ! » Et l’autre de répondre en se marrant : « Ben, mon vieux, qu’est-ce que tu veux, faut de tout pour faire un monde ! »

Transmettre

Ainsi il y a déjà douze ans, sur les conseils d’Étienne Mineur, j’inaugurai un blog quotidien généraliste, mélange de réflexions personnelles et d’universalité, à raison d’un article illustré et titré, sept jours sur sept les cinq premières années, puis avec une pause salutaire le week-end. L’idée première était de tester l’exercice afin d’en faire quelque création dont je n’avais pas encore la moindre idée, mais je me pris au jeu du feuilleton, l’audience s’agrandissant dans des proportions inespérées, surtout après son passage en miroir sur Mediapart. J’espérais qu’écrire ce que je rabâchais m’en débarrasserait, quitte à renvoyer mes interlocuteurs au champ de recherche du site en question. Après 3500 articles le blog est devenu une mémoire à laquelle j’ai moi-même souvent recours. Or quel qu’en soit le sujet je tente chaque fois de faire sens, soit de laisser filtrer directement ou plus insidieusement mes idées sur la société qui nous oppresse, la vie que nous pourrions mener en diminuant le stress, les révoltes légitimes que nous devons mener pour accoucher de nouvelles utopies, les questions laissées pour compte… Le travail d’investigation est permanent pour soutenir des projets méconnus, en particulier d’une jeunesse exceptionnellement dynamique, mais que la plupart des médias officiels ignorent, faute de croire que leur propre rentabilité est liée à ce qu’ils pensent être l’actualité. Or la solution existe souvent dans les marges, fruit du sens de la contradiction et de l’imagination, laissant entrevoir que l’impossible est le réel.

La dernière chance

À quoi bon donc inventer, si ce n’est pour donner un sens à la vie ? Il suffit de regarder le ciel, une nuit étoilée, loin des lumières de la ville, pour prendre les dimensions de notre orgueil, tant dans l’espace que dans le temps. Individuellement nous tendons vers un infiniment petit tel que seule l’union peut donner un sens. La solidarité ne peut être qu’absolue. Elle réclame à ce que nous changions toutes nos habitudes, que nous abandonnions quantité de nos privilèges. Cette mutation ne peut être que générale pour être efficace et passe par des choix politiques en rupture totale avec le gâchis du capitalisme et sa déclinaison ultra-libéraliste qui met à sac la planète. Dans What Matters Now, le dernier disque du groupe Ursus Minor³, le poète Sylvain Giro clame : « Nous n'héritons pas de la terre de nos parents, nous empruntons celle de nos enfants. »

¹ Vladimir Ilitch Lénine, Que faire ?, 1901.
² La chienne, Jean Renoir, extérieur jour, rencontre avenue Matignon de Michel Simon (Maurice Legrand) et Gaillard (l’adjudant Alexis Godard), 1931.
³ Ursus Minor, What Matters Now, Hope Street, dist. L’autre distribution, 2016.