70 Humeurs & opinions - septembre 2010 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 28 septembre 2010

La crampe de l'écrivain


Déclarer ses œuvres à la Sacem est un passage désagréable quand on en a écrit des tripotées. J'ai l'impression de faire des lignes comme lorsque nous étions punis en classe. J'ai mal au dos à hurler, je n'arrive plus à tenir un stylo, je n'ai qu'une idée, passer à autre chose. Il est pourtant indispensable de déposer les œuvres écrites pour les films présentés à l'exposition Révélations au Petit Palais. Il ne s'agit pas seulement de perception, mais également de protection. On a connu des escrocs qui déposaient une chanson, ou même seulement le titre, avant que son auteur l'ait fait alors qu'il l'avait évoqué par exemple à la radio. Ensuite, ça se plaide, ça se négocie, ça se prouve, mais que d'ennuis pouvant être évités ! La répartition est le moment le plus agréable, parce qu'en général on ne s'y attend pas, même si elle tombe à dates fixes.
J'ai l'habitude d'attaquer les sociétés d'auteurs de l'intérieur et de les défendre à l'extérieur. Les plus intéressés à les voir s'affaiblir sont les industriels et les majors qui voudraient bien s'en débarrasser. J'ai acheté ma maison avec mes droits d'auteur, c'est dire si j'y suis attaché. J'ai participé plusieurs fois aux modifications des statuts (statut d'improvisateur de jazz, signature collective, dépôt sur support enregistré), joué les conseillers pour les nouvelles technologies (sans succès puisque les trois sociétés d'auteurs auxquelles j'appartiens se sont fourvoyées avec Hadopi et que je n'ai jamais réussi à toucher ce qui m'était dû pour tous les CD-Roms dont j'ai composé la musique). Je me souviens aussi que le responsable de la répartition d'alors m'expliqua que "l'on ne dépense pas des francs pour toucher des sous". J'ai écrit plusieurs articles sur le sujet, mais il est temps que j'aille m'allonger...
Heureusement, Antoine et moi partons ce matin pour Bruxelles présenter Nabaz'mob à l'ICT 2010 (Information and Communication Technologies) dans les Galeries Royales St Hubert. Nous serons en bonne compagnie puisque seront également présents Reactable et les Belges de Lab[au]. Cela me changera les idées.

samedi 18 septembre 2010

Un terroriste peut en cacher un autre


L'expulsion honteuse des Roms était censée servir de paravent à l'affaire Bettencourt. Mauvaise pioche : Mediapart pointe à nouveau cette manifestation exemplaire de la collusion du monde des affaires avec l'État voyou en publiant les enregistrements sonores où l'on entend tout ! Comme l'Europe s'en mêle et place la France sur la sellette, il faut trouver un nouveau truc pour déjouer l'attention du public. L'enlèvement de cinq Français au Niger tombe à pic et l'annonce de la réactivation du plan Vigipirate devrait offrir un peu de répit aux bandits qui nous gouvernent et qui opèrent, de plus, avec une extrême maladresse. Il ne leur suffit pas d'être méchants, il faut aussi qu'ils soient mauvais.
On ne va revenir sur la déportation des Roms puisque le monde entier se charge de rappeler les droits de l'homme à notre beau pays. Je suggère par contre aux amateurs de polars et de conspiration politique de s'abonner à Mediapart pour s'offrir le plaisir d'écouter Patrice de Maistre, l'homme de confiance de Liliane Bettencourt dévoiler les secrets de la corruption. Obligé d'articuler clairement pour permettre à sa cliente un peu sourde de le comprendre, il nous fait partager un feuilleton digne des meilleures fictions américaines. Mediapart organise le dossier en sept chapitres :
1. Les enregistrements, les témoignages, les documents
2- Eric Woerth, l'UMP, conflit d'intérêts et financements politiques
3- Polémique sur l'indépendance de la justice
4- Editoriaux, analyses, entretiens
5- Mediapart et le droit à l'information
6- Bettencourt, une histoire et un groupe, L'Oréal
7- Comment l'affaire est devenue un scandale politique
Entendre de Maistre réclamer son petit cadeau, du superflu, mais qui lui ferait tellement plaisir, un yacht en l'occurrence, ou expliquer que faire des chèques à Valérie Pécresse, Éric Woerth et Nicolas Sarkozy, "c'est pas cher et ils apprécient", est aussi ahurissant que tout le reste. En couverture de Télérama, le couple de sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot en remet une couche en étudiant comment vivent les riches en France. Mediapart les suit en vidéo... L'étau se resserre autour de Woerth que le président de la République a soutenu mordicus, et pour cause ! Dans un pays qui se prétend démocratique, tout le gouvernement aurait dû démissionner et le peuple devrait voter sa méfiance pour que le système sarkozien soit balayé. Une fois pour toutes ? Certainement pas ! Cela ne résoudrait pas les problèmes de fond, puisqu'aujourd'hui ce sont les financiers qui dirigent les états, avec à leurs têtes des marionnettes. Berlusconi est un des rares à jouer sur les deux tableaux, magnat corrompu jusqu'à la moelle ayant réussi à mettre la main sur le pouvoir. En France, son homologue n'est qu'un petit valet à la solde du Capital.
Acculé, il devient agressif, voire dangereux lorsque son homme de main Hortefeux, chargé des basses œuvres, évoque un risque terroriste sur le sol français. De deux choses l'une, soit la France a des cadavres dans le placard et ses "élus" savent très bien pourquoi des attentats seraient susceptibles d'être perpétrés en représailles, comme lors des factures impayées à l'Iran qui avaient abouti à la boucherie du magasin Tati rue de Rennes en 1986, soit les services secrets pourraient déclencher ici ou là quelque "pare-feu" qui mettrait en fait le feu aux poudres...
Vous pouvez penser que je me fais du cinéma, mais je ne suis qu'un amateur en termes de storytelling. Reprenez toutes les grandes affaires depuis l'incendie de Rome jusqu'au 11 septembre, en passant par celui du Reichstag, en vous demandant à qui profite le crime, et vous aurez froid dans le dos. Sur Mediapart, l'enquête sur l'assassinat des moines de Tibéhirine montre bien comment on peut se jouer de la crédulité de la population et faire porter le chapeau à la partie adverse. L'Histoire rendra peut-être justice, mais le mal aura été fait. N'attendons pas qu'il soit trop tard pour chasser les imposteurs !

P.S.: pardonnez-moi d'illustrer mon billet avec une image gore, ce n'est pas mon habitude. Je suis également désolé de ne pas être capable d'indiquer l'auteur de la photo, et enfin, non, ce n'est pas Sylvester Stallone dans Rambo V. Un terroriste peut en cacher un autre !

lundi 13 septembre 2010

Zoom arrière


Comme nous avions passé un week-end tranquille entourés d'amis, je n'avais rien à raconter que de banal, mais tendre et roboratif. Dans un cas pareil, je suis tenté par la pause, une première après cinq ans de blog quotidien. Par acquis de conscience, j'ai demandé à Françoise si elle avait un sujet pour moi. Que nenni ! Alors je suis allé regarder mes dernières photos pour voir si l'une d'elles m'inspiraient. Il n'y a pas de miracle.
Lundi dernier, j'avais remarqué le texte de la pancarte vissée, pour ne pas dire clouée, sur un arbre le long du Gave de Pau, juste en face de la grotte où Bernadette Soubirous vit ses apparitions. Comme le tronc était également planté entre deux modernes fontaines d'eau miraculeuse, je notai l'humour de la situation. Mais je n'avais pas remarqué la variation de ponctuation selon les langues, ni surtout le dessin central. Faut-il se méfier des robinets disséminés partout sur le site, vu l'affluence en ce lieu "ceint" ? Ou les rayons entourant la main du noyé potentiel signalent-ils l'imminence d'un bras salvateur ?


Il est évident que les déçus, tentés de se jeter à l'eau, devraient être légion. Rappelons que la Vierge apparut à Bernadette en 1858, mais rien n'indique que depuis elle y ait élu domicile ou choisi comme lieu de villégiature. C'est pourtant de cet emplacement exact que la "simple d'esprit", je cite Zola, eut sa dix-huitième et dernière apparition. Nous ne sentons rien d'autre que l'angoisse égoïste de centaines de pèlerins, concentrés sur leur mal-être...


Comme nous faisons sagement la queue dans la grotte, deux femmes nous bousculent pour toucher la roche devant nous. Ce geste incivique en dit long sur la place du sacré dans ce supermarché de l'image pieuse. Il est une chose d'avoir la foi, une autre d'avoir les foies. La poudre d'or qu'on jette aux yeux de celles et ceux qui veulent à tout prix avoir une réponse à leurs angoisses sent le soufre. Les croyants exigent la quadrature du cercle. Seuls les scientifiques et les matérialistes ont le goût du mystère.

jeudi 9 septembre 2010

Touché !


Une amie s'interrogeait récemment sur son intérêt pour la décapitation, bien qu'elle ne soit nullement tentée par sa pratique, rassurons-nous. Notez tout de même qu'à l'appel d'embauche du dernier bourreau, avant la suppression de la peine de mort en 1981, trois cents personnes se proposèrent pour faire fonctionner la guillotine. Il eut été passionnant de faire une enquête pour savoir ce qu'étaient devenus les candidats malheureux !
Comme nous marchions dans l'obscurité, je remarquai que la coupure partageait nos cinq sens au niveau du cou de manière inégale. La vue, l'ouïe, l'odorat et le goût roulaient dans la sciure tandis que le toucher restait à genoux. Approchons-nous du crâne et du cerveau qu'il abrite pour constater que notre sensibilité s'exerce essentiellement par la vue et l'ouïe, laissant loin derrière l'odorat perdu au fil des siècles et le goût dont la marge de man?uvre se réduirait à quatre paramètres, sucré-salé-acide-amer si les Japonais n'ajoutaient l'umami qui permet d'identifier le glutamate et le kombu. Dans nos sociétés policées on touche peu, sauf les travailleurs manuels à qui leur profession évite d'être accusés de pelotage ! L'outil n'est pas non plus le doigté. Les masseurs, médecins, coiffeurs, etc. ont ce privilège. Une Italienne me confirmait hier soir que lorsqu'elle touche ses interlocuteurs, pratique courante dans son pays, les Français regardent sa main, ce qui devient pour elle embarrassant. On caresse son chat ou son chien, mais aujourd'hui on prend de dangereux risques avec les enfants, même si ce sont les siens ! Les mères indiennes massent les leurs, mais s'appuyer sur le bras de votre voisin ou de votre voisine produit souvent un malaise et sème la confusion... On tombe vite sur un tabou que la sexualité saura braver dans l'intimité. Les ébats sont d'autant plus frénétiques ou sensibles que "le toucher nous est ravi", comme je l'écrivais dans la chanson Camille du CD Carton. Contrairement aux autres sens, le toucher n'est pas raisonnable. Il ne s'expose vraiment que dans la sublimation du corps, peau à peau.
Mon amie touche donc du doigt un sujet épineux. Sans le savoir elle identifie la ligne pointillée qui sépare le corps du cerveau. Il ne s'agit nullement de la question de la mort qui pourrait s'exprimer de mille autres manières, mais de la relation qu'entretiennent le senti et le réfléchi. Ainsi le corps s'abandonne au chaos tandis que le cerveau prend le contrôle.

Illustration : Exécution sans jugement chez les rois maures de Henri Régnault (1870) par Pierre Oscar Lévy pour l'exposition Révélations au Petit Palais à Paris (2010).

mercredi 8 septembre 2010

Avec les pompons... Avec les pompiers


Une fois de plus, nous avons surtout eu l'impression de faire nombre pour exprimer notre mécontentement contre Little Sarko et sa bande, mais de politique nous n'en avons pas senti les effluves.
La retraite qui se rapproche devrait me mobiliser, mais mon statut d'intermittent ne me permettra pas d'en jouir de façon notable. Je sais que je devrais travailler jusqu'à la fin de ma vie. Bien que ce ne soit pas seulement une obligation, mais aussi un plaisir, je ne suis pourtant pas certain d'en avoir toujours la force. J'y suis donc allé par solidarité et pour grossir les rangs. 1+1+1+...= 2,7 millions dans la rue !
Depuis maintenant pas mal d'années les manifestations ressemblent à des promenades sympathiques, relativement silencieuses, aucun slogan consistant ne venant marteler le bitume. Si la fantaisie est rare, j'ai apprécié le simulacre de jeu télévisé avec une fausse Bettencourt et un Woerth assez ressemblant. Les Français swinguent comme des passe-lacets lorsqu'il s'agit de marcher. On est loin de la marée humaine qui s'avançait sur nous en dansant lorsque nous filmions le cortège de l'ANC à Johannesburg en 1993 ! Un monde était à construire. Mais ici, en 2010, de quel avenir rêvons-nous ? Pour quoi sommes-nous prêts à nous battre et abandonner nos privilèges ? Nous semblons avoir plus à perdre qu'à gagner. Quel leurre ! Même si le patronat s'engraisse toujours plus sur le dos de la masse laborieuse, il serait plus sain de retourner la question que de défendre nos acquis, fruits des désirs dictés par ceux-là mêmes que nous fustigeons. Si nous voulons changer de société, c'est d'abandon que nous devons discuter, ou de partage pour être plus juste. Que sommes-nous prêts à perdre pour accorder ce monde aux désirs que nous prétendons défendre ?
Hier après-midi entre République et Nation les pompiers eurent leur petit succès. Bras dessus bras dessous ils exprimaient une détermination rare dans le défilé. De plus ils traînaient avec eux leur célèbre sirène, détachée de son camion rouge. Pour qui espère ou attend un peu de fougue d'un tel après-midi, ils furent certainement les moins pompiers du cortège.

mardi 7 septembre 2010

Il n'y a pas de miracle


Journée Lourdes et humide. Pas de miracle. Le temps semblait tourner à l'orage. La ville de Bernadette Soubirous exhalait un parfum morbide. L'angoisse des clients s'exprimait unanimement. Est-ce véritablement la dernière station avant l'autoroute ? Les auxiliaires en blanc s'affairaient autour des plus mal portants. Les chaises roulantes glissaient péniblement vers la grotte de Massabielle où les fidèles faisaient la queue pour palper la roche noire. Elles repartaient pourtant comme elles étaient venues. Autodafé du XXIe siècle, d'énormes cierges flambaient comme un bûcher. Seuls les colverts s'épanouissaient sur le gave de Pau qui traverse le site. Sans nous concerter, l'un et l'autre avons évité le contact avec la chasse d'eau. L'eau qui coule des toilettes puant la vieille urine est-elle aussi bénite ? Boulevard de la Grotte on vend toutes sortes de flacons à remplir aux dizaines de fontaines éparpillées sous la basilique de l'Immaculée-Conception. Les plus kitsch ont la forme de la Vierge avec un petit bouchon bleu sur la tête. La barre qui commençait à nous plomber les sinus était-elle due aux vibrations du sanctuaire ou étions-nous seulement affamés ? Devant un jambon de porc noir et une énorme côte de veau garnie de cèpes et de truffes je racontai à Sonia Lourdes et ses miracles, le fantastique film de Georges Rouquier, commande du Diocèse qu'il transforme en enquête à la fois sincère et pleine d'humour, sentiment résolument absent hier matin devant la piscine où attendaient sagement les pèlerins. Aux marchands du Temple qui s'égrènent tel un chapelet sur les deux côtés de la rue principale j'ai acheté une petite cloche en céramique et deux briquets à l'effigie de Bernadette. Nous avions opté pour le Palais du Rosaire, grand bazar aux prix vraiment attrayants : 2,50€ la cloche, moins d'1€ le briquet, et à partir de 5€ vous avez droit à un cadeau, en l'occurrence trois images pieuses. Mécréants à l'esprit définitivement mal tourné, nous avons fui cette ville de débauche batracienne et repris l'avion pour Paris avant que le ciel ne se gèle, grève oblige !