70 Humeurs & opinions - avril 2016 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 26 avril 2016

Comment taire ?


Ma dernière réponse à Raymond Macherel, chargé de communication du film Comme des lions de Françoise Davisse, précise quelques faits et réflexions qui, même sortis du contexte, évoquent quelques remarques et sentiments que je ressasse depuis trop longtemps. Commencé sur FaceBook, continué sur Mediapart, cet "échange" voit probablement ici son terme, car il ne sert à rien d'insister lorsque c'est peine perdue. Par contre, à la relecture j'y décèle en filigranes quelques éléments de morale qui me sont chers. Les points abordés sont donc des réponses du tac au tac aux propos de mon interlocuteur.
1. La gauche n'est ni au pouvoir, ni au gouvernement. Je ne l'ai jamais cru, au grand jamais. Je ne suis pas non plus dupe des votes auxquels j'ai participé depuis que je suis en âge. Cinq minutes dans l'isoloir pour un résultat nul à chaque tirage de cette loterie pipée que l'on a encore le toupet d'appeler "démocratie". La bonne blague !
2. Mélenchon ne m'a jamais tiré de larmes. Il ne faut tout de même pas exagérer. J'ai apprécié son discours devant les associations LGBT et celui de Marseille où je n'étais pas, pas plus qu'à la Bastille.
3. Je ne comprends pas ton anti-mélenchonisme, après l'avoir adulé avec les mêmes excès romantiques de langage et les trémolos dans la voix que tu emploies aujourd'hui pour en encenser d'autres. De mon côté je n'ai jamais appartenu au PCF, ni au PG, ni d'ailleurs à aucun parti, mon engagement étant plus philosophique que politique, me retrouvant parfois sur le terrain dans des moments et des lieux en situation cruciale. Je fus compagnon de route des uns et des autres. J'ai ainsi soutenu (artistiquement) une campagne présidentielle par solidarité contre la droite officielle et celle prétendument socialiste. Je n'ai jamais été dupe de ce qui nous attendait. Donc aucune déception (ni en 1981 où je n'ai pas fait la fête, ni en votant contre Maastricht, ni aux dernières élections où j'ai fini par voter blanc parce que le noir, disait Monet, n'est pas une couleur, alors que le blanc est la somme de toutes, du moins quand on court vite). Déception tout de même de constater que lorsqu'il s'agit de culture, les "politiques" rejouent toujours le populaire contre l'imagination. Le style manque cruellement à l'idée, ici comme ailleurs. Et cela me rend triste quand Mediapart invite Zebda ou Les Yeux Dla Tête pour animer leur fête annuelle. C'est du même niveau que les manifs qui ressemblent à une promenade dominicale en famille.
Nuit Debout a au moins le mérite d'inventer autre chose... On évite ainsi le "tous pourris" et le "c'est trop compliqué", et l'on s'interroge sérieusement sur l'avenir, sans pour autant avoir la moindre idée de comment rassembler toutes ces fantastiques initiatives et énergies positives...
4. N'étant ni rentier, ni journaliste salarié, je ne vois pas comment je descendrai dans le Gard pour aller au cinéma, qu'elle qu'en soit la programmation, mais je m'en réjouis pour les habitants de là-bas. En dehors de cela je sors peu, car mes activités m'accaparent et mes loisirs s'épanouissent à des heures où tout est fermé!
5. Je n'ai jamais rencontré Ruffin, alors je vois mal comment il serait "mon ami", à moins que tu adoptes la terminologie de Zuckerman.
6. Tu continues à jouer l'opposition Ruffin/Davisse du plus mauvais goût. Cela transpire la jalousie et ne fera pas monter le nombre d'entrées d'un film pour lequel tu es payé pour le promouvoir.
7. Je continue à ne pas comprendre tes références aux films d'Orson Welles quant au monde qu'il aurait imaginé et que tu fustiges. De plus, les deux films militants dont tu parles et ceux dont tu t'es occupé précédemment n'ont hélas rien à gagner à être comparés avec ceux de Welles ou de cinéastes qui ont cherché la forme appropriée à ce qu'ils rêvaient d'exprimer. C'est bien ce qui m'ennuie dans la plupart des films politiques, qu'ils soient fiction ou documentaire. En général ils ne convainquent que celles et ceux qui sont déjà convaincus, et leur style est tout sauf inventif. Les vrais films politiques empruntent des chemins de traverse et nous poussent à la réflexion longtemps même après avoir été réalisés.
8. Quant on voit pour qui tu as travaillé et comment tu leur tailles en costard je ne sais pas comment le prennent ceux pour qui tu roules aujourd'hui lorsqu'ils te confient le soin de t'occuper d'eux ! Ton emballement d'hier et ta charge contre eux aujourd'hui frisent l'hystérie.
9. Je t'ai répondu du tac au tac, mais je me vois mal continuer à polémiquer en ce qui te concerne. Je le fais ici comme sur FB, pas forcément pour celles et ceux à qui je semble m'adresser, mais parce que j'imagine que nous sommes lus par d'autres qui préfèrent ne pas prendre part au débat, mais s'en imprègnent forcément.
Bien à toi,
jjb

vendredi 22 avril 2016

Les animaux dénaturés contre l'humanité


Il y a dix ans je dessinai un petit portrait illustré de l'écrivain Vercors. Je suis tenté de le rééditer aujourd'hui, confronté à des réflexions que me dictent des discussions sur l'avenir menées récemment avec des jeunes gens inquiets du leur ou de celui de leurs enfants. À l'étude de l'Histoire comment espérer que les choses s'améliorent un jour ? Un jour peut-être, une nuit debout, mais l'état de grâce semble éphémère face à l'appétit suicidaire et criminel des plus gourmands. Il suffit d'en abattre un pour qu'un autre se sente investi de la place libérée. Les révolutions sont des cycles qui repassent systématiquement par les mêmes points sur l'axe des abscisses. L'arrogance des puissants nous mène chaque fois à la catastrophe. Qu'en est-il de l'évolution de l'espèce ? Tant qu'il restera des historiens, notre époque apparaîtra certainement comme l'une des plus cruelles de l'Histoire de l'humanité, et des plus absurdes. La course au progrès sonne la mort de la planète. Nous allons vite, nous nous chauffons et nous nous éclairons grâce aux énergies fossiles qui polluent l'air que nous respirons, nous jouons les apprentis-sorciers du nucléaire, notre alimentation carnée affame le tiers monde (pour fabriquer un kilo de protéine animale il en faut sept de végétales). Et quelques petits malins ne trouvent rien de mieux que d'exploiter la force de travail de leurs congénères pour se goinfrer, aller encore plus vite, dans un mouvement mortifère exponentiel.
En regardant le film Le fils de Saul on peut comprendre que les Juifs ne furent que les boucs-émissaires d'une haine viscérale de l'humanité tout entière, le refoulement de l'autre qui est en soi devenu insupportable. Ils n'étaient pas les seules victimes de la folie nazie, les communistes avaient subi les premiers ce "crime contre l'humanité" qui porte bien son nom, y succombèrent les improductifs pensionnaires des asiles pour vieux ou d'aliénés, les homosexuels, les Tziganes, etc., toutes celles et tous ceux qui ne rentraient pas dans le moule de cette nouvelle société. Celle-là fut arrêtée, mais qu'en est-il réellement de la nôtre qui fomente partout des guerres, sauf chez nous, sous des prétextes fallacieux ? Elles cachent simplement nos besoins d'énergie, d'alimentation, de nouvelles technologies, notre soif de dominer le monde et la matière, toutes les autres espèces, tout ce qui vit, soit l'intégralité du monde que nous sommes capables d'appréhender et d'atteindre de l'infiniment grand à l'infiniment petit. Ce ne sont pas six millions de victimes, ou même onze millions si l'on intègre toutes celles du nazisme, mais des centaines de millions que nous affamons, détruisons par les armes que nos États fabriquent, asservissons en les payant une broutille et en leur faisant croire à l'inéluctabilité de leur condition d'exploités. Leur démission, savamment inculquée par les médias relayant les lois inventées par les maîtres d'un monde qui se servent aujourd'hui des images comme ils l'ont toujours fait à grand renfort de religion et de patriotisme, du concept familial ou du fantasme de la propriété, est la condition indispensable pour que le système perdure. Ce sont les questions que se posent les tenants de la décroissance, les réflexions de certaines Nuit Debout, les citoyens qui ne veulent plus qu'on leur bourre le mou avec une démocratie qui n'en a que le nom... Pour comprendre cette organisation diabolique on peut avoir recours à la psychanalyse et au matérialisme historique, mais on oublie trop souvent que nous sommes aussi des mammifères qui avons pris le pouvoir sur toutes les autres espèces animales, que nous les avons assujetties, exploitées en bonne conscience en décidant qu'elles n'avaient pas d'âme, que nous avons coupé le cordon ombilical qui nous rattachait à la nature, et que nous en subissons les conséquences comme tous les colonialistes, coincés entre détruire les peuples qu'ils volent ou les exploiter productivement. Nous avons ainsi cette attitude envers tout ce qui n'est pas nous-mêmes, et la nature entière en fait les frais. Nous oublions que c'est elle qui nous a fait et nous a permis de survivre jusqu'ici. Combien sommes-nous seulement à vouloir vivre ?

Suit le texte publié le 8 juillet 2006 (et augmenté de quelques liens) sur Vercors, écrivain incontournable et pourtant mésestimé, qui me semble le plus proche des interrogations de mon nouvel article...

Les dessins de Vercors


Heureusement qu'approchent les vacances. Il y a des matins où il est difficile de rédiger mon article. Je ne sais pas toujours par quel bout commencer. Souvent le sujet s'impose de lui-même. Parfois une image m'entraîne. Ce matin, j'ai pensé proposer les incunables qui hantent ma bibliothèque : Cover to Cover de Michael Snow, Bonjour Cinéma de Jean Epstein, Essays before a Sonata de Charles Ives, un rouleau de piano mécanique de Conlon Nancarrow, des partitions des années 20 magnifiquement illustrées, des 33 tours devenus introuvables... Je me suis arrêté sur deux livres de Jean Bruller dit Vercors, hérités de mon père et dont j'ignore le cheminement. Silences date de 1937, les vingt aquarelles de La nouvelle clé des songes de 1934.

Avant d'entrer en résistance et de publier clandestinement Le silence de la mer en 42, écrit l'année précédente, Vercors était le caricaturiste Jean Bruller. Je ne l'ai appris qu'en 1983 lorsque nous avons choisi le Rêve de l'incompétence inopportune (ci-dessous) comme pochette du deuxième disque du grand orchestre d'Un Drame Musical Instantané, Les bons contes font les bons amis. Recherchant l'autorisation de Jean Bruller, je tombai sur Vercors ! Symbole de la résistance à l'occupation nazie, pacifiste prônant la résistance civile, compagnon de route du Parti Communiste jusqu'à l'invasion de la Hongrie en 1956 (nationalité de son père), cofondateur des Éditions de Minuit alors clandestines, Vercors avait eu une autre vie, avant. La guerre a tout changé, son mode de vie, sa conscience, son métier. Il est devenu écrivain. Et là encore, il y a deux Vercors, le résistant (Le piège à loup, Armes de la nuit, La puissance du jour, Les yeux et la lumière, La bataille du silence) et l'humaniste (Les animaux dénaturés, Sylva, la traduction de Pourquoi j'ai mangé mon père de Roy Lewis...). En 1990, Rita Vercors m'écrivait en parlant de lui, « mon mari - Vercors et Jean Bruller », et lui signait simplement Bruller. Il mourra un an plus tard à l'âge de 89 ans.


Invité à l'émission Apostrophes, comme Bernard Pivot lui demande pourquoi il n'est jamais passé à la télévision depuis trente ans, Vercors lui retourne ironiquement la question. C'est un homme intègre, un philosophe qui défend ses idées par le biais de la littérature. Chargé d’établir la « liste noire » des écrivains collaborateurs, il plaide pour la responsabilité de l’écrivain. N’acceptant pas l’intransigeance partisane d’Aragon et ne voulant plus jouer le rôle de la « potiche d’honneur », il démissionne de la présidence du Comité National des Écrivains. Il s’éloignera de toute participation à la vie publique tout en restant fidèle à ses idéaux, s’engageant contre la guerre du Vietnam. Il avait déjà été l'un des signataires de l’Appel des 121 réclamant le droit à l’insoumission pendant la guerre d’Algérie.


La qualité des gravures est exceptionnelle, les couleurs tranchent avec les impressions habituelles. Bruller les réalise chez lui, à Villiers-sur-Morin au cours de l'été 1937, et précise que « le tirage, dépendant des loisirs de l'artiste et de son courage, s'est fait par tranches... » Un dernier détail dont je me souviens, c'est la taille de ses oreilles, je n'en ai jamais vu d'aussi grandes.

vendredi 8 avril 2016

Coyotes, chiens, crapauds !


Hier était le jour des contrariétés administratives ciblées droits d'auteur. J'avais déjà eu maille à partir avec la Sacem qui choisit de tarifer l'une de mes prestations selon un barème absurde, mais qui a au moins l'avantage d'exister alors que mon cas de figure ne s'est encore jamais présenté. J'ai l'habitude d'innover et par conséquent d'essuyer les plâtres, donc par expérience je me méfie de faire les frais d'une entente compliquée entre un producteur puissant et ma société d'auteurs. Je reviendrai sur cette histoire lorsque je recevrai mon feuillet de répartition, mais en attendant j'espère que la Sacem prendra en considération mes arguments et protégera sérieusement ses ayant droits quel que soit leur portefeuille.
La suite de la journée fut du même acabit. J'avais choisi de déclarer par Internet les pièces composées pour Harpon avec Amandine Casadamont. Le site n'est pas très bien conçu lorsqu'il s'agit de déclarer plusieurs œuvres successivement. De plus au bout d'un certain nombre de déclarations, un bug bloque la machine et il faut se reconnecter. J'aurais exécuté ces opérations à l'ancienne, soit les envoyer par la poste avec les mp3 sur un CD, j'aurais probablement gagné du temps, sauf la signature d'Amandine qui a pu ainsi valider l'ensemble sans se déplacer. Ce n'est qu'un petit détail, mais il explique mon énervement lorsque j'apprends que SoundCloud bloque l'une des séquences sonores de l'exposition Carambolages...
La webmaster du site Internet du Grand Palais m'écrit que SoundCloud conteste les droits de la pièce numéro 24 où figure Mountain Ambience with Insects in Close Perspective and Coyotes, Dogs, Frogs and Crickets in Background issue de The Hollywood Edge Sound Effects Library, et que celle-ci est bloquée tant que nous ne contestons pas à notre tour la réclamation de cette succursale de Sound Ideas. Ne trouvant aucune trace d'un tel fichier dans ma bibliothèque, je recherche l'objet sonore parmi les centaines de milliers répertoriés sur mes différents supports. J'écoute, j'écoute. Le nom du producteur m'aide finalement à identifier Continuous Barks and Howls with Crickets and Frogs sur un CD du coffret Animal Trax AT9 Ambience I que j'ai acheté chez Univers-Sons il y a plus de quinze ans. Il ne porte pas le même nom, mais c'est l'index 25 de la rubrique Coyotes/Dogs. Sur le livret sommaire il est spécifié qu'en achetant ce produit j'ai le droit de l'utiliser dans toute composition audio ou programme audiovisuel. Ne sachant pas en quelle année je l'ai acquis, je prends la photo ci-dessus pour attester de ma bonne foi. Passablement énervé, d'autant que j'ai plusieurs fois été victime de réclamations indues qui avaient empêché la diffusion de mon travail le temps que je prouve mon bon droit, je fouille dans mes archives pour retrouver la facture, justificatif incontestable. Eurêka ! Par de menus détails transcrits en souvenirs délavés dans mon cerveau en ébullition je finis par mettre la main dessus. Je donne ainsi les informations nécessaires à la webmaster pour qu'elle fasse débloquer le fichier-son incriminé, mais j'ai perdu trois heures à ce sport stérile au lieu de faire de la musique.

jeudi 7 avril 2016

La nuit debout... Ça commence comme ça !


Il y a longtemps que l'on attendait que les jeunes prennent leur avenir en main. Nous, nous vivons dans le présent, depuis bientôt 50 ans en ce qui me concerne. Tout avait commencé comme ça. Par se révolter contre l'absurdité d'un gouvernement à la solde des patrons. Par prendre la parole qui était exclusivement accaparée par les mandarins et le Journal Télévisé. Par échanger des idées. Par y prendre du plaisir. Par rencontrer du monde. Le monde. César Vayssié les filme. Écoutez-les.


Frédéric Lordon est sur la brèche. J'enrage d'être cloué chez moi. Il a bon dos mon lumbago. Dès que je me penche sur le mouvement, une onde dorsale me rappelle à l'ordre. On est pourtant loin du désordre. Cela s'organise. Chaque initiative porte ses fruits. Nous sommes le 38 mars, il suffit d'ajouter 31 à leur avril.


Le signal a probablement été lancé par la projection du film de François Ruffin, Merci Patron ! Vous l'avez vu ? Sinon il faut y aller, absolument ! Ce n'est pas d'une grande profondeur politique, mais cela fait tellement de bien de rigoler, ensemble. Et puis cela montre que tous les espoirs sont permis, parce que le système est faible et qu'il fait seulement semblant d'être fort.


La salle était comble à Bagnolet. Des jeunes, des vieux. Les membres du journal Fakir accompagnent le film partout où ils peuvent et répondent aux questions de la salle. J'évite en général d'évoquer les sujets largement traités par la presse. Mais cette actualité me touche intimement. Elle fait partie de mon quotidien depuis toujours. Je souhaite seulement la partager avec celles et ceux qui ne sont pas encore au courant de ce qui se prépare Place de la République à Paris, dans d'autres quartiers, d'autres villes en France et ailleurs. Il recommence à faire beau. Ce soir allez y faire un tour, à Paris, à Rennes, à Nantes, à Lyon, à Nîmes, à Toulouse, à Strasbourg...

Photo : Assemblée populaire du 32 mars, République, Paris © MaxPPP/EPA/Ian Langsdon

mercredi 6 avril 2016

Profil et conditions de vie des musiciens


Le Pôle de Coopération pour les Musiques Actuelles en Pays de Loire en partenariat avec Le Petit Faucheux, Fraca-Ma et Le Jazz est Là publie un quatre pages d'une enquête sur la situation des musiciens du secteur des musiques actuelles se produisant sur scène, professionnels on non.
J'ai toujours des réserves sur ce genre d'enquête réalisée à partir d'un questionnaire et aboutissant à des pourcentages a priori représentatifs pour son formatage excluant quantité de cas particuliers n'entrant pas dans les cases, de précisions personnelles qui éclaireraient autrement les résultats. L'an passé je m'entretins moi-même avec nombre de musiciens, producteurs de disques, directeurs de salles et de festivals, disquaires, distributeurs, journalistes en vue de réaliser un long article commandé à l'origine par Le Monde Diplomatique. Les raisons qui me firent abandonner, du moins provisoirement, en tout cas dans la cadre de ce mensuel, ne sont pas extérieures aux témoignages reçus, ceux-ci réfléchissant les difficultés, absurdités et scandales de ce milieu professionnel, somme toute assez proche des autres mondes du travail. Je reviendrai sur cette douloureuse affaire un de ces jours en espérant avoir le courage de mettre noir sur blanc le résultat des vingt heures d'interviews déjà réalisées. C'est dire que l'enquête coordonnée par Claire Hannecart m'intéresse vivement malgré les réserves exposées plus haut.
Elle note d'abord que 88% des musiciens de jazz et musiques improvisées sont des hommes, un peu moins que la moyenne nationale des 33 400 musiciens et chanteurs intermittents dont seulement 23% sont des femmes. Bien qu'ils multiplient les projets, jouant aussi bien en leaders qu'en sidemen, leur statut d'intermittent est fragile, 80% d'entre eux n'étant pas certains d'avoir leurs heures à échéance de leurs droits. Les deux tiers d'entre eux ont suivi un enseignement de plus de dix ans. Le même pourcentage s'applique à ceux qui vivent de la musique, mais 83% perçoivent moins de 25 000 € par an. Les trois quarts s'impliquent dans une association et 39% investissent personnellement plus de 500 € dans la production discographique. Le tiers d'entre eux voyagent à l'étranger. En entrant dans les détails on lit qu'il y a 41% d'intermittents contre 25% ne remplissant pas les conditions nécessaires, les 34% restants sont des amateurs. Le quart vit essentiellement d'activités pédagogiques, mais 58% y ont recours en complément. L'âge moyen du musicien de jazz étant de 36 ans, on comprend que beaucoup lâchent en marchant. Ils sont sinon obligés de participer à des projets musicaux qui n'ont rien à voir avec leur passion. Les répétitions sont rarement payées, soi-disant 24% et 40% des intermittents mais avec seulement une répétition rétribuée sur cinq, chiffre dont je doute franchement, car si l'on compte le temps d'entretien personnel le chiffre global devrait s'approcher plutôt de zéro ! Il y aurait énormément de choses à dire sur ces chiffres, qui sont d'ailleurs plus détaillés dans le document PDF.
Par exemple sur le statut et le rôle des femmes dans les orchestres, sur le parcours des autodidactes, sur le grand écart d'une musique à l'autre dans cette catégorie du jazz et des musiques improvisées, terme aussi vague que celui de musiques actuelles, sur les conditions monstrueuses que proposent certains clubs, sur l'économie secrète qu'ils entretiennent, sur la paresse des programmateurs, sur la misère de la presse spécialisée... Il faudrait comparer avec les musiciens étrangers, ici et dans leurs pays, évaluer l'impact des mises de fond, révéler les attributions de subventions et la répartition des droits d'auteur puisque nombreux sont aussi compositeurs, etc.

lundi 4 avril 2016

Arnaque aux banques


Le cambrioleur a escaladé la grille du voisin qui donne sur la rue avant de franchir le mur mitoyen. Dans la cour, à l'abri des regards, il a fracturé la fenêtre en PVC en l'attaquant par le bas. Le complice qui faisait probablement le guet l'aura prévenu d'un bruit à l'étage du dessus, abrégeant la visite de l'appartement où seuls les tiroirs avaient été tous retournés. Pas d'argent liquide, pas de bijoux, le butin est maigre. Ils se contentent du petit électro-ménager, en général ordinateurs portables, tablettes, appareils-photos, téléphones... Ils passent souvent à côté d'objets dont ils ne connaissent pas la valeur. Tout doit aller très vite. Quelques minutes. Cela ressemble en général à des larcins de petites frappes. Les témoins, qui bizarrement n'interviennent jamais, racontent toujours que ce sont des jeunes avec des cagoules. Cette fois les voleurs ont emporté un chéquier qui traînait dans le fond d'un sac. Mais qu'en faire sans papiers d'identité ?
Quelques jours plus tard des chèques entre 2000 et 5000 euros sont présentés à la banque qui recrédite heureusement aussitôt les sommes débitées, d'autant qu'il n'y a pas grand chose sur le compte. L'opposition avait été effectuée dès le cambriolage constaté, mais comment se fait-il que la banque paie alors qu'il n'y a pas d'argent sur le compte ? Elle ne surveille non plus jamais les signatures en bas des chèques. Mais comment peut-on accepter un chèque d'un tel montant sans présentation d'une ou deux pièces d'identité ? L'inspecteur du commissariat de la gare du Nord, ayant attrapé un individu louche porteur d'une collection de cartes bleues, nous explique l'arnaque. Les voleurs proposent à des personnes fragiles de louer leur carte bancaire en échange d'un pourcentage sur l'opération. Ils créditent le compte de ces paumés avec les chèques volés et retirent ensuite l'argent ! J'imagine que certains se contentent de vendre le chéquier à des spécialistes de cette escroquerie. La suite de l'opération m'échappe. Les complices dont le nom est inscrit sur le chèque sont facilement repérables, mais comment interpeller les auteurs de l'arnaque si ce n'est en interrogeant les couillons qui ont loué leur carte ? Quels moyens de pression ont la police d'un côté pour les faire parler, les bandits de l'autre pour qu'ils se taisent ? Les banques étant cette fois les principales victimes de ce crime organisé, la police se démène plus que pour les divers objets dérobés aux particuliers ! Le casse est nettement plus juteux que des appareils revendus une bouchée de pain aux Puces ou je ne sais où.