70 Humeurs & opinions - mai 2017 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mercredi 31 mai 2017

Contreplongée


Il y a plus d'une centaine de mots qui commencent par contre dans le dictionnaire. Éviter de se plaindre. En étant tout contre et contre tout on est déjà moins seul. J'ai de la chance de t'avoir même lorsque l'on ne se voit pas. Quelques étages nous séparent, c'est long, mais c'est par le travail des tâches ménagères qui nous mène à gérer le fascicule 2042 que nous faisons bloc. On n'arrive à rien sans débloquer. Pour imprimer nickel il fallait que Mercure ait Chrome, c'est parti mon kiki. Les autres navigateurs se sont perdus en mer. Une aspiration vers l'éther laisse les terres derrière nous. Comme je suis allongé sur le dos se découpe une image plutôt pour. Malgré le coup de bambou du bilan, elle a du charme, avec les palmes. Mais surtout rien d'académique, ou bien à l'archet. Les pizz de la contrebasse se perdent dans le brouillard. Il fait temps clair. Ça sonne bien. Chaque fois qu'on l'affuble du contre, l'instrument devient grave, même très très grave. Le contrepoint satisfait mon goût pour la dialectique, mais ne fait pas le poids devant le hors-champ. Même pas besoin de fermer les yeux pour tout voir. Le panoramique révélé aux aveugles. Les sourds s'en contrefichent. Ils n'en croient pas leurs yeux. L'idée me plaît. J'adore les contre-emplois. À jouer avec les mots j'ai la tête qui se tourne vers les cieux. C'est louche. Comme si mes oreilles rentraient dans leurs orbites. Le vertige fait basculer le contrepet en contre-sens. Nous voilà bien. C'est l'idée. Repousser à demain ce qui fut fait hier pour en profiter plus tard. C'est l'art. Je passe la journée à tester des sons sur mon clavier. Pas çui-ci, l'autre. Chaque programme est un nouvel instrument qu'il faut apprivoiser. Il y en a des milliers, des centaines de milliers, probablement beaucoup plus. C'est comme les étoiles qu'on ne voit pas. On dirait que le ciel est bleu. Sans nuances l'horizon s'efface. Je suis piégé. Je me noie là où j'ai pied.

mercredi 24 mai 2017

Revue du Cube #12


Dans son nouvel édito de La Revue du Cube, Nils Aziomanoff pose le thème du numéro 12 : "La démocratisation des moyens numériques de conception et de diffusion, associée au développement des dynamiques sociales d’inter créativité, invite chacun à dépasser ses capacités à "faire et être". À l’ère des machines qui pensent et de l’intelligence connective, la création numérique porte en elle les germes d’une révolution sans précédent : celle de l'être créatif au cœur du progrès social, culturel et économique. « Tous créateurs ! », est-ce le nouvel horizon d’une humanité en quête d’élan émancipateur et de sens partagé ?" J'y ai donc répondu comme chaque fois :

Sourire ou pataugeoire ?

Enfant, je voulais inventer plus tard des machines qui ne servent à rien. Était-ce une révolte contre le travail parce que je voyais mes parents s’y esquinter jour et nuit ou bien une fascination pour le mouvement ? Je ne sais pas, mais ma mère avait un tout autre souvenir, elle prétendait que je voulais fabriquer des machines utiles à l’humanité. J’ai réussi ma vie en construisant quantité de machines qui ne servent à rien, mais sont fondamentalement utiles à l’humanité. On appelle cela de l’art.
Adolescents en mai 68, nous portions l’imagination au pouvoir et nous avons œuvré pour que plus de gens aient accès à la création. Il y a, par exemple, vingt fois plus de musiciens en France qu’à l’époque. Cela n’est pas sans poser quantité de problèmes, car s’est développé parallèlement un chômage sans communes mesures avec ce que nous connaissions alors. Les machines étaient censées soulager nos peines et le Nouvel Observateur titrait « La société des loisirs ». Loin de partager le temps gagné, le Capital a choisi de se l’approprier exclusivement en empochant les bénéfices de la mutation. Les actionnaires reçoivent plus de dividendes et les travailleurs continuent à suer sang et eau, même si les chaînes ont changé de matière. Le développement de l’informatique aurait pu aussi libérer les énergies créatives, profiter à toutes les populations ; elle aura surtout servi à délocaliser en allant exploiter de la main d’œuvre à bon marché à l’autre bout de la planète.
Débarrassés du mythe du plein emploi, nous pourrions imaginer dégager du temps pour réfléchir à ce que nous aimons faire. Il paraît que seulement 5% de la population active exerce un emploi coïncidant avec sa passion ! La création pourrait être envisagée sous cet angle d’une liberté retrouvée. Mais il ne faut pas confondre un hobby et la nécessité de s’exprimer comme on crie dans le noir.
Devenir créateur n’est pas un choix. C’est avant tout répondre à une souffrance. Sous-France s’amuseraient Godard ou Lacan. Ne supportant pas le monde tel qu’il est, l’artiste s’en invente de nouveaux. Il plonge dans un imaginaire, parfois utopique et lumineux, parfois sombre et critique, jouant le plus souvent d’une dialectique où les deux se complètent. Selon les un/e/s ou les autres le drame ou la comédie prennent le pas sur l’autre. Il y a d’autres manières de se battre, mais les créateurs sont toujours des initiateurs. L’art appliqué répond à une commande, mais l’origine de son engagement réside dans une démarche personnelle s’adressant à une communauté.
Certaines expressions se conjuguent miraculeusement au pluriel comme la musique, la danse, le cinéma, le multimédia, etc., qui sont des sports d’équipe, mais on peut aussi écrire des romans, peindre ou sculpter à plusieurs. Le partage s’exerce également avec le public, les lecteurs, auditeurs, etc. L’œuvre échappe alors à son créateur. Le regard de chacun/e la transforme et lui donne son sens, une interprétation parfois inattendue.
Adulte, j’ai profité du mariage des arts, des sciences et des technologies qu’évoque Nils Aziosmanoff dans son édito toujours aussi inspirant. Formé au cinématographe (la vidéo n’existait pratiquement pas), l’un des premiers synthésistes en France (les musiciens inaugurèrent les home studios), toujours émoustillé par la moindre invention nouvelle (le multimédia n’est qu’une forme actuelle de l’opéra), je n’ai pourtant pas l’impression d’être différent d’un collègue qui pratiquerait l’art le plus brut. Depuis à peu près le début du siècle précédent les enregistrements avaient permis aux œuvres de voyager sans leurs auteurs. Les outils que nous utilisons ne sont que des jouets entre nos mains. Que le monde se développe ou s’écroule je choisis ceux à ma portée. Je pourrai toujours siffler en me baignant dans une rivière et peindre avec ma merde. De préférence dans l’autre sens, la rivière après la merde !
L’important est de continuer à exercer cette activité critique, l’art représentant le dernier rempart contre la barbarie, et je m’inquiète forcément de l’avenir lorsque je constate que la finance a pris le contrôle total de l’État en plaçant l’un de ses sbires à sa tête en suivant les lois du marketing. Pensée à son inventeur, Edward Bernays, neveu de Freud qui a appliqué les théories psychanalytiques à la manipulation de l’opinion publique ! Les Français se rassureront en pensant que c’est bon de vivre en démocratie. Pourtant mettre une croix dans un carré, ou appuyer sur un bouton, sans comprendre les répercussions que cela aura sur nos vies, n’est qu’une illusion de démocratie, un placébo de civisme aggravé, une mascarade. Très jeune, j’ai donc choisi la création artistique parce que j’avais l’impression que je pourrais changer le monde et prendre la parole puisqu’on ne manquerait pas de m’interroger sur mes motivations à concevoir des choses aussi bizarres. J’en profitai chaque fois, quitte à me retrouver blacklisté à Radio France plus d’une fois dans ma carrière, ou tricard pour avoir défendu les droits d’auteur auprès d’établissements publics !
Récemment nous avons été proches de changer le cours de l’Histoire. Nous avons failli malgré l’extraordinaire travail des militants de la France Insoumise qui se sont d’ailleurs beaucoup appuyés sur les nouvelles technologies et les réseaux sociaux. Mais le monde glisse inexorablement vers la sixième extinction. Si la vie réserve quantité de surprises, ce ne sont pourtant pas toujours de mauvaises ! Il n’y a pas de mauvais outils, tout dépend de l’usage que l’on en fait. Dans cette photographie, est-ce notre pays qui me sourit ou bien une pataugeoire où se réfléchissent de menaçants nuages ? À chacun et chacune d’entre nous d’en décider.

mercredi 10 mai 2017

Visa dévissée


De temps en temps je rends service à nos voisins sans "papiers français", qui squattent un bâtiment qui appartenait à Natixis à côté de chez nous, pour des opérations bancaires qui leur sont évidemment interdites ou compliquées. Il m'est arrivé d'envoyer de l'argent par Internet parce que La Poste est hyper lente ou d'encaisser un chèque puisque, sans domicile fixe, ils ne peuvent avoir de compte à leur nom. J'ignore si la loi l'autorise ou pas, mais c'est la moindre des choses. La semaine dernière, l'un d'eux me demande de payer son visa pour le Cameroun sur le site de l'ambassade, car il n'a évidemment pas de carte de paiement. Je m'y reprends à trois fois, mais la mienne est chaque fois refusée. J'invoque la mauvaise gestion du site, mais le même problème se reproduit plus tard dans la journée pour un achat en ligne que je dois exécuter. Je laisse aussitôt un message à ma banque qui me rappelle le lendemain pour me confirmer que mon compte VISA est réactivé ! Comment cela, réactivé ? Mon interlocuteur m'explique que devant la recrudescence actuelle de fraudes sur Internet ma carte Premier a été bloquée. Sans me prévenir. Sans explication. Cela ne dépend pas de la banque, mais du centre qui gère toutes les cartes bancaires. Si je n'avais pas réagi rapidement, si j'avais été à l'étranger, si j'avais eu une affaire pressante, j'aurais été autrement plus pénalisé par cette initiative unilatérale ne dépendant, paraît-il, d'aucun mouvement étrange sur mon compte, juste une lubie de la machine gestionnaire. Heureusement que tous les préposés n'ont pas encore été remplacés par des robots !
Je me souviens de cet après-midi incroyable avec Antoine à Tallinn où nous jouions l'opéra des lapins. L'Estonie s'étant équipée tardivement a un système très moderne par rapport au reste de l'Europe : on paie tout avec la carte, même les enfants lorsqu'ils s'achètent des bonbons sur le chemin de l'école. Or ce samedi à 14h, jour où la population fait ses courses en masse, le réseau des cartes bancaires est tombé en panne. Pas moyen évidemment de retirer de l'argent liquide au distributeur puisque rien ne marche. Le pays est ainsi immobilisé pendant plusieurs heures. Nous l'avons pris en rigolant, les consommateurs obligés d'errer l'âme en peine dans les rayons sans rien pouvoir acheter ou invités à sortir se promener au soleil puisqu'il n'y a rien d'autre à faire qu'à attendre. C'est beau le progrès !

lundi 8 mai 2017

Veillées élect'orales : La voix est libre


Voilà, La Voix est libre. Quinzième anniversaire d'un festival hors normes portant le chœur de toutes les résistances contre la barbarie et la stupidité des êtres humains. Des artistes, scientifiques, philosophes du monde entier y participent dans une atmosphère de fête et de liesse partagée. Son directeur, Blaise Merlin, revendique cette "zone de libre-étrange" où les rencontres sont souvent surprenantes. La proximité des élections présidentielles avaient suscité ces deux jours de Veillées élect'orales avant les Rencontres du 3e tour de cette semaine. Sur le parvis du Cirque Électrique la Grande Tombola offre de tirer au lepenball, dégager le système au chamboule-tout, poser au maton, enregistrer un discours d'une minute, se faire tatouer un logo antifa, crier un slogan tiré au sort, karahoqueter un chant révolutionnaire. Après la harangue de Fantazio pour apprivoiser la mort, Médéric Collignon et Élise Caron balbutient le leurre puisque les jeux de mots sont de rigueur toute la soirée...


Les deux jours précédents, des poètes et musiciens syriens exilés rencontrèrent les âmes-sœurs de l'Occident. On me dit que l'émotion était à son comble à l'Église Saint-Merry et à la Maison de la Poésie. Au pupitre Jacques Bonnafé nous invite à pénétrer sous le chapiteau pour entendre les programmes des "candidats déclarés" accompagnés par trois "scrutateurs agoraphones", Élise Caron dont les talents de meneuse de revue impertinente ne sont plus à démontrer, Médéric Collignon dont la folie maîtrisée est communicative, Denis Charolles dont la batterie recale les bégaiements des orateurs...


Voilà, la voie est libre, nous allons enfin pouvoir recommencer à réfléchir. Probablement que ceux qui nous dirigent continueront à agiter le spectre du fascisme pour nous faire avaler quantité de mesures anti-sociales. Le feront-ils à grand renfort d'ordonnances et de 49.3 sous prétexte d'aller vite ? La vitesse a bon dos. Mais la démocratie dont ils se gargarisent en prend un sacré coup. On accélérera les procédures de licenciement pour que les riches s'en mettent toujours plus plein les poches. La loi El Khomeri semblera une mesurette en regard de ce qui se prépare. Macron signera-t-il le TAFTA ? J'ai parié une bouteille de Champagne avec mon voisin, macroniste convaincu. C'est stupide, je n'aime les bulles qu'en bande dessinée. Par contre on avalera des OGM américaines sans piper. Faites chauffer la colle ! Espérons que nos centrales nucléaires tiendront la distance sans se fissurer parce que c'est reparti de plus belle... Pourvu que Trump ne déclare pas la guerre à la Russie, parce qu'adhérant à l'OTAN on serait forcés d'y aller comme un seul homme. Il faut comprendre les États Unis, affaiblir l'Europe est tout bénef pour eux et puis la reconstruction est un marché juteux dont ils ont autant l'habitude que de mettre de l'huile sur le feu. Mais je médis peut-être et m'égare de triage.
Nous étions là vendredi soir pour rigoler un bon coup avant la mascarade des urnes. Pour pallier la défection énigmatique d'Achille Mbembe, Blaise Merlin lut un texte interminable du philosophe camerounais, tunnel plombant avant un enregistrement d'Édouard Glissant et la prestation inopinée de Christiane Taubira, venue, dit-elle, en spectatrice. Si ce n'est sa parfaite connaissance de l'œuvre d'Aimé Césaire et sa culture rare parmi ses collègues, elle incarnait néanmoins tout ce que les artistes présents raillèrent toute la soirée. Après un long monologue qui rappelait insidieusement son soutien plus ou moins contraint à Macron, profitant de l'obscurité elle quitta discrètement aussitôt le chapiteau !


Cette soirée de veillée élect'orale accueille d'abord Jacques Rebotier qui improvise d'après ses notes. Complice de longue date d'Élise Caron, il est accompagné par le trio qui magnifie ses pointes anti-macroniques, caractéristique de tous les intervenants dont aucun n'est dupe de la manipulation d'opinion dont sont victimes les citoyens. Rebotier joue sur les mots pour évoquer la casse sociale, là où d'autres se moquent de la langue de bois des politiciens de métier.


C'est le cas du candidat Fantazio dont le bon sens fait ressortir l'absurde d'un système rôdé pour nous enfumer. Collignon se dandine en jouant d'un synthétiseur de poche, pirouette et s'étale, ou jazzifie de son cornet à freetes. Charolles trombone et force de frappe. Caron flûte et minaude mieux que les présentatrices patentées de la télé... J'ai tellement ri à la méchanceté du clown Ludor Citrik que j'en ai oublié de faire des photos !


Comme il sait si bien le faire, Franck Lepage démonte le discours vide de sens des spécialistes du genre en choisissant les mots utilisés par Emmanuel Macron dans ses prestations publiques. Tirant aléatoirement dix-sept concepts fumeux, il improvise une logorrhée hallucinante, fidèle à son modèle, puis démasque la supercherie des termes positifs du nouveau président de la République qui a remplacé ceux qui pourraient fâcher. Lepage termine sur la nécessité d'une révolution (oh, le mot qui fait encore plus peur que les autres!) si nous voulons sortir du marasme dans lequel les cyniques exploiteurs nous ont entraînés.


En clôture, Jacques Bonnafé explose de mots valises en sauts de cabri. Le comédien, aussi drôle que corrosif, danse autour de la piste, serre les mains de ses électeurs potentiels, hip-hopant dans son costume gris souris, embouchant sa trompette de cavalerie, pour un finale haut en couleurs de sa cravate à fleurs.


Les soirées de La Voix Est Libre sont souvent trop longues, mais toujours réussies. La générosité des artistes n'a pas de limite, nous faisant oublier la dureté des bancs en bois du Cirque Électrique et l'absurdité de notre aliénation. J'ai raté le spectacle de samedi avec D' de Kabal, Denis Lavant, Dieudonné Niangouna, Papanosh, André Minvielle, etc. Mais cette semaine la fête continue au même endroit Porte des Lilas, puis à La Marbrerie, à la Piscine Oberkampf et au nouveau Fgo-Barbara. Le programme est fameux. Vous m'en direz des nouvelles !

lundi 1 mai 2017

Coup d'état


Avant tout je n'essaye de convaincre personne, mais je me sens obligé d'expliquer ma position qui semble choquer beaucoup de monde. L'agressivité dont font preuve nombreux électeurs volontaires ou involontaires de Macron serait-elle le signe de leur mauvaise conscience ? Guidés par la peur, ils s'apprêtent à voter pour un programme de droite très dur, beaucoup sans l'avoir lu. Ni écouté comme lorsqu'il revendique de gouverner à coups d'ordonnances et de 49.3 ! Lorsque Macron appliquera la politique dictée par les financiers qui l'ont formé à cela, comment réagiront celles et ceux dont le vote sera sa caution ?
Les Insoumis qui s'abstiennent ou votent blanc insistent clairement pour qu'aucun citoyen ayant voté pour Mélenchon au premier tour ne cède aux chimères du Front National sous prétexte que Marine Le Pen copie certains points du programme de la France Insoumise qu'elle n'appliquerait évidemment pas si elle était élue. Cette hypothèse fortement improbable est un bourrage de crânes que nous imposent les chaînes de télévision et la presse papier, toutes aux mains de milliardaires, banquiers, marchands d'armes, adeptes de l'évasion fiscale et du surf sur les articles de la loi... Les affaires sont les affaires ! Je crois que seuls L'Humanité et La Croix leur échappent encore, mais ni l'un ni l'autre ne soutiennent la décision que je tente d'expliquer ici.
À l'approche du second tour qui opposera la menace de l'extrême-droite au candidat des banques, le débat fait donc rage et pas seulement sur les réseaux sociaux. Étonnamment il ne concerne pas les programmes des deux prétendants, mais il se polarise sur les abstentionnistes de la France Insoumise. Cette décision fait elle-même débat, Jean-Luc Mélenchon laissant libres celles et ceux qui l'ont soutenu pendant des mois. Sur leur site, les Insoumis peuvent ainsi indiquer s'ils souhaitent voter Macron, blanc ou nul, abstention. Si les "abstentionnistes" conçoivent très bien qu'une grande majorité de Français votent hélas pour un jeune pantin fabriqué comme un produit de marketing, dont le programme est d'une rare vacuité, mais dont les quelques éléments et les actes seront une catastrophe sociale, économique, écologique et politique, celles et ceux qui craignent que Marine le Pen l'emporte ne supportent pas que les Insoumis refusent de donner un blanc-seing au candidat du Capital le plus cynique qui nous est jamais été imposé. Les premiers expriment la peur en agitant le spectre du fascisme, les seconds refusent d'être manipulés comme nous l'avions été en 2002 lors du duel Chirac-Le Pen père. Or Macron n'est pas Chirac. Chirac n'a pas fait grand chose de ses douze ans à la tête du pays, mais en bon gaulliste il nous avait au moins empêchés d'aller faire la guerre en Irak. Par contre, Macron renforcera notre vassalité envers les États Unis, tant d'un point de vue guerrier qu'économique (CETA, TAFTA, OTAN...), sans parler de la catastrophe écologique qui se profile (vive le nucléaire !). Mais là n'est pas la question, du moins pour celles et ceux qui appellent à faire barrage à Le Pen fille, attaquant avec véhémence l'irresponsabilité des "abstentionnistes".
D'abord ne nous leurrons pas, le jonglage des pronostics de pourcentage au second tour est du même acabit que le scandale anti-démocratique des sondages du premier tour. Jamais la manipulation d'opinion n'aura été aussi forte, les électeurs se polarisant sur les chances d'un tel ou d'une telle plutôt que sur leurs programmes. Si la France Insoumise a bien un mérite, et ce entre autres grâce au talent d'orateur de son candidat, capable d'improviser chaque discours sur un sujet différent pendant deux heures en captivant la foule par la clarté de son argumentation, c'est de redonner goût à la politique à des millions de citoyens, en particulier aux jeunes engagés dans ce mouvement.
Les partisans de Benoit Hamon sont les plus virulents bien qu'ils portent leur responsabilité dans le résultat du premier tour. On peut se demander en effet pourquoi leur candidat ne s'est pas retiré au profit de Mélenchon lorsqu'il devint évident que son score serait pitoyable. Ils auraient ainsi empêché Le Pen d'accéder au second tour en votant pour le seul candidat de gauche qui avait ses chances de l'emporter. Il fut rétorqué que Hamon ne pouvait se désister sans faire perdre les 14 millions non remboursables alors au PS. Quelle honnêteté l'y aurait poussé après que la plupart des dirigeants de son parti l'aient trahi en même temps que tous ceux qui avaient participé aux primaires socialistes, lorsque ces ténors appelèrent à voter Macron dès le premier tour ? Cette naïveté ne ressemble pas à ses actes passés. La critique "Voter Hamon au premier tour, c'est voter Macron au second" était explicite. Des hamonistes qui n'avaient cessé de cracher sur Mélenchon, en lui imputant des termes que celui-ci avait pourtant démontés, s'étaient ralliés à lui la veille du vote après avoir œuvré dans l'autre sens pendant des semaines ! On peut se demander si Hollande, dont l'exécrable politique libérale a poussé la population à s'en défier, n'a pas tout magouillé en sortant Macron, son poulain, de la primaire, laissant aller Hamon au casse-pipe pour siphonner les voix de Mélenchon et l'empêcher de réaliser la sixième république. Hamon est-il un honnête dindon de la farce ou complice de l'affaire en échange de quelque responsabilité prochaines ? L'avenir le révèlera. Résultat des courses : les socialistes sincères appellent aujourd'hui à voter pour un candidat de droite à la politique ultra-libérale alors qu'ils avaient la possibilité de faire élire un candidat de gauche dont le programme était très proche du leur, si proche que plus d'une fois ils s'en inspirèrent allègrement, sauf sur la politique extérieure opposant une doctrine va-t-en-guerre à la recherche de la paix par voies diplomatiques.
Est-ce que Macron est plus proche de l'insipide Bush Jr, du glamour Obama, d'un Rastignac new look ? Probablement un peu des trois. Ses interventions publiques sont un mélange de langue de bois et d'anonnements, se flattant de ne pas avoir écrit ses discours et de ne pas les comprendre lui-même. Mais les maîtres de Hollande et Valls devaient changer de héraut en faisant élire un bon serviteur. D'autres questions restent entières : un duel Macron-Mélenchon au second tour était très incertain quant au résultat, surtout avec la force de frappe médiatique dont dispose Macron.
De même que je dus m'expliquer quinze jours durant pour avoir refusé d'être "Je suis Charlie", et l'on a pu en constater ensuite les effets, je ne pourrais me regarder dans la glace si je me laissais prendre à nouveau comme en 2002. Je comprends celles et ceux qui comptent sur leurs doigts en évoquant les pires cauchemars. Mais la peur est mauvaise conseillère. Le FN est le jouet diabolique du PS qui l'a sciemment fait monter depuis 35 ans pour d'une part diviser la droite traditionnelle et d'autre part agiter le spectre du fascisme chaque fois qu'une véritable gauche risquerait d'ouvrir les yeux des citoyens qui élisent systématiquement leurs bourreaux de peur d'hériter de pire. Le coup d'état est rondement mené. La finance peut se gargariser. Elle a de bons petits soldats. De temps en temps je repense à Edward Bernays, le neveu de Freud, père de la propagande politique institutionnelle et de l'industrie des relations publiques, inventeur du marketing qui appliqua la psychologie du subconscient à la manipulation de l'opinion publique. Mais ne me demandez pas d'être complice de cette mascarade, je veux continuer à vivre debout pour me battre contre les injustices et le saccage en règle de la planète. À chacun selon sa conscience, mais quoi que vous décidiez, ne votez pas Le Pen...

Illustration : photogramme du remarquable The Century of the Self (Le siècle du soi) du documentariste anglais Adam Curtis - en anglais et un seul morceau sur YouTube ou en plusieurs parties avec sous-titres français sur Daily Motion - vous n'en reviendrez pas !