70 Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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lundi 1 avril 2024

Portée


Les petits sont arrivés sur le fil comme une bande de hooligans. Françoise Romand a dégainé sa caméra. Mes commentaires l'agaçaient. Ne pouvais-je me taire ? La voix humaine, hors-champ, souligne pourtant la perspective. Comment échapper au cliché animalier YouTube ? Françoise a monté le morceau que Bernard Vitet et moi avions enregistré à l'été 1976, au tout début de notre collaboration qui allait durer trente-deux ans [plus quelques années de simple amitié]. Celle avec Françoise date de bientôt dix [quinze au bout du conte]. Le violon, la contrebasse à tension variable et l'orgue à bouche se mélangeant aux piaillements et aux bruits d'ailes, l'évocation commune de la portée est devenue une réalité langagière bien que ce Poison soit paradoxalement une musique non écrite. Tout le monde fait semblant, les oiseaux, nous, Françoise, les spectateurs. Envie d'y croire. L'anthropomorphisme fait le succès des plans-séquences qui inondent la Toile. Retour à l'envoyeur. Les oiseaux ont donné corps à notre dialogue ornithologique. Clip.



Article du 28 mai 2012

jeudi 25 janvier 2024

Le courant est passé


Nous en faisions trop. Dès le premier album d'Un Drame Musical Instantané en 1977, certains auditeurs nous taxaient de coïtus interruptus. On nous accusait de zapper avant que le public ait eu le temps de s'installer. Notre soif d'invention les laissait sur leur faim. Combien de fois nous a-t-on conseillé d'ajouter une bonne rythmique à nos élucubrations protéiformes ! Emportés par la passion du laboratoire et l'excitation de l'inconnu, nous n'avons jamais voulu céder aux sirènes du succès. Cela ne nous empêcha pas de vivre de notre musique, mais nous n'avons jamais connu que des succès critiques, deux mètres de linéaire sur les étagères de nos archives au rayon presse. Entendre que nos fans s'y retrouvaient, mais qu'aucun succès populaire n'était envisageable.
Seuls les lapins de Nabaz'mob surent briser la vitre et rassembler tous les publics, sans que nous l'ayons d'ailleurs prévu puisque le spectacle avait été créé à l'origine pour une occasion unique. Dans les premiers mois Antoine Schmitt et moi nous demandions même ce que nous avions fait de mal pour que cela marche autant. Six ans plus tard l'opéra [continuait] de tourner, à notre plus grande surprise.


Cette réussite, et d'autres que j'avais commises dans les domaines du multimédia (CD-Rom et sites Internet de création) ou du cinématographe, forçait mes interrogations. Cette ligne pure et dure de l'artiste contemporain manquerait-elle de générosité ? Lorsque nous désirons convaincre, nous nous donnons pourtant les arguments pour le faire. En écoutant les premières improvisations du trio formé avec Birgitte Lyregaard et Sacha Gattino je retrouvai l'entrain du Drame des débuts, plaisir partagé de nous retrouver ensemble et d'inventer des formes, des alliages de timbres, des paysages sonores laissant libre cours à l'imagination de l'auditeur. Pour composer une chanson, la plupart des groupes pop ou électro se seraient contentés d'une seule des quinze idées esquissées dans chacun des morceaux de nos deux premiers albums. Suffisait-il de développer un climax pour caractériser chacune de nos pièces en la rendant plus abordable ? S'appuyer sur un texte concentre la théâtralisation, ce que j'appelle souvent le drame même lorsqu'il s'agit d'une comédie, et cerne notre imagination. Il est certain que mes disques de chansons, que ce soit Crasse-Tignasse pour les enfants ou Carton, rencontrèrent un succès plus large que les pièces instrumentales. La chanson donne un cadre au sujet, canalisant la digression dont nous sommes friands.


C'est ainsi qu'est née la musique de El Strøm, après un an de gestation. Le premier concert donné [...] au Triton confirma nos choix. Même si elles sont bien barjos, nos chansons [surent] séduire le public que l'on devrait écrire au pluriel tant la salle était bigarrée. Hélène Collon me sussura qu'elle n'avait jamais entendu autant de langues différentes dans cette salle. Je crus comprendre qu'il s'agissait de celles qu'emploie Birgitte sur scène alors qu'elle évoquait l'espagnol, l'italien, l'anglais, le danois, le suédois, l'arabe, etc., des spectateurs ! Alors voilà, nous avons des chansons servies par une voix exceptionnelle, des rythmes composés aux petits oignons par Sacha, des instruments extraordinaires excitant la curiosité du public, des mélodies poignantes, une bonne dose d'humour qui fit se tordre la salle, mais encore faut-il trouver des lieux où reproduire le miracle ! Je n'ai plus la patience à faire la prospection nécessaire pour multiplier les petits pains. Le salaire des concerts n'est plus non plus un argument motivant. Seul l'enthousiasme de notre équipe pour notre travail me forcerait à commettre cette douloureuse acrobatie qui consiste à téléphoner aux programmateurs de salles et festivals. En attendant, nous n'avons rien trouvé de mieux que de mettre en ligne nos premiers pas sur le site El Strøm, cinq chansons filmées par Françoise, les trois albums en écoute et téléchargement gratuits, quelques photos et l'irrésistible envie de jouer, jouer encore et toujours, comme si c'était la première fois, ou la dernière.

Six ans après cet article du 5 avril 2012 est sorti l'album Long Time No Sea de El Strøm. Mais Sacha Gattino s'exila à Rennes et Birgitte Lyregaard regagna son Danemark natal, ce qui mit fin à notre merveilleux trio.

mercredi 10 janvier 2024

Rendez-vous chez Lacan


Contrairement aux médias omniprésents et prétendument universels, la psychanalyse s'adresse à une personne à la fois. Pas de généralité, mais du cas par cas. Contrairement à la médecine qui se cantonne aux symptômes, elle recherche les causes, quitte à nous révéler ce que nous ne voulons pas savoir de nous-mêmes et qui détermine nos actes ou nos difficultés à vivre.
[En 2008] j'écrivais, sous le titre Jacques Lacan, poète circonlocutoire, l'influence prépondérante que sa pensée eut sur moi qui n'ai jamais eu recours à la psychanalyse. À l'évoquer il me fait peser chaque mot que je tape, comme s'il possédait un sens double que sa phonétique ou la syntaxe de la phrase révèlent.


Le film de Gérard Miller, Rendez-vous chez Lacan, comble un vide. Il n'existait qu'un seul DVD sur Jacques Lacan (édité par Arte) où figurent la conférence de Louvain, un petit entretien avec la réalisatrice Françoise Wolf et un documentaire maladroit d'Elisabeth Roudinesco. Avec l'émission Radiophonie et quelques rares documents en ligne sur ubu.com, le film majeur Télévision réalisé en 1973 par Benoît Jacquot et Jacques-Alain Miller (que le psychanalyste réussit alors à imposer en deux parties le samedi à 20h30 sur la première chaîne !) n'est toujours pas publié en DVD, alors qu'il exista en VHS et est vendu (virtuellement) sur le site de l'INA.


Gérard Miller a rencontré Lacan grâce à son frère Jacques-Alain, fidèle élève qui rédigea le Séminaire et qui épousa sa fille Judith. Il en tire un portrait fidèle pour qui sait lire entre les lignes ("Gardez-vous de comprendre !" est l'antidote à toute conclusion hâtive), une analyse simple et précise (son "Je dis toujours la vérité" rime avec "les poètes ne mentent pas, ils témoignent" de Jean Cocteau), mêlant humour et pertinence ("Soyez lacaniens si vous le voulez... Moi, je suis freudien"). Gérard Miller interroge des patients de Lacan, ses élèves, mais aussi ses proches, pour tenter de comprendre qui était l'homme derrière le mythe ("L'inconscient est construit comme un langage", "Ce que Freud rappelle, c’est que ce n’est pas le mal mais le bien qui engendre, qui nourrit la culpabilité", "L’amour, c’est donner ce qu’on n’a pas"). Il pénètre dans son cabinet et son appartement, reproduit les rares photographies qui existent, son commentaire s'adressant paradoxalement au plus grand nombre pour lever le voile sur le mystère Lacan. En bonus, les deux entretiens avec son frère Jacques-Alain et Judith, ainsi que son propre commentaire, sont aussi passionnants que le film de 51 minutes (ed. Montparnasse).

Article du 9 janvier 2012, suivi de celui du 22 novembre 2008

Jacques Lacan, poète circonlocutoire


Ouf ! Voilà qui me rassure. Dans le film Jacques Lacan, la psychanalyse réinventée, Françoise Dolto, Pontalis et d'autres psychanalystes racontent qu'ils ne comprenaient souvent pas grand chose à ce que racontait le second génie de l'inconscient, mais qu'il leur semblait pouvoir devenir intelligents s'ils persévéraient. Fin des années 70, grâce à Dominique Meens qui me demande de l'enregistrer pour lui, je suis renversé par Radiophonie, sept questions de Robert Georgin auxquelles répond longuement Jacques Lacan pour les Après-midis de France Culture. Tout m'échappe, mais j'ai le sentiment d'être en présence d'une mine d'or et me laisse bercer par la poésie de la langue. Je place alors le psychanalyste aux côtés de Jean Cocteau et Jean-Luc Godard, ces trois voix devenant fondatrices de mon passage à l'âge adulte.
Je jouis des effets circonlocutoires qui permettent de tourner autour du sujet sans jamais viser le centre, mais s'en approchant au plus près au fur et à mesure des révolutions. La poésie, qu'elle soit verbale, sonore ou picturale, a cette force de ne jamais se périmer, contrairement à la science démentie à l'instant même où toute théorie est émise. La poésie vise juste, parce qu'elle va puiser ses racines au plus profond du moi, reflet égocentrique de toute organisation sociale. Dans son histoire féline, Cocteau écrivait que les poètes ne mentent jamais, ils témoignent.

Jacques Lacan fut peu enregistré, encore plus rarement filmé. Son dernier séminaire, à Caracas, se trouve en mp3 sur Ubu.com, comme ceux intitulés L'envers de la psychanalyse, ... Ou pire, Encore, Les non-dupes errent, L'insu que sait de l'une-bévue s'aile à mourre, un hommage à Lewis Carroll et Alice, un Petit Discours à l'ORTF et le premier impromptu de Vincennes. Télévision, one-man show extraordinaire de 1973 tourné par Benoît Jacquot (texte sur un petit fascicule paru au Seuil dans la collection du Champ Freudien que le psychanalyste dirigeait, et également présent sur Ubu), est avec Radiophonie la trace la plus importante en marge de ses Écrits ! Ce film, de très loin le plus passionnant de tous, n'a pas encore été porté en DVD, bien qu'il exista en VHS. Arte Vidéo édite aujourd'hui la Conférence de Louvain accompagnée de Jacques Lacan, la psychanalyse réinventée, documentaire d'Elisabeth Kapnist, écrit avec Elisabeth Roudinesco, ponctué par une musique inopportune de Michel Portal sur des plans vides. Ce film n'est pas à la hauteur du précédent, Jacques Lacan parle, réalisé par Françoise Wolff que le précédent cite abondamment et qui se terminait par un petit entretien où Lacan semble énervé par son interlocutrice. La conférence est exemplaire du fait qu'un jeune étudiant néo-situationniste l'agresse patissièrement, anticipant la tradition des entarteurs belges, tandis que celui-ci retourne la salle en défendant le révolté contre les endormis. Mais Télévision reste le chef d'œuvre qu'il serait urgent de rééditer.

mercredi 27 décembre 2023

À notre place


Je relis cet article du 5 décembre 2011 à la lumière des douze années passées. Il est nécessaire de le resituer dans son contexte. Depuis, l'espoir est venu des artistes tandis que les médias s'enfonçaient majoritairement dans la banalité kleenex de l'audimat. Les jeunes musiciens sont beaucoup moins fascinés par les États Unis qu'ils ne l'étaient alors, assumant leurs racines multiples. Par contre, la place que la presse leur octroie ressemble à une peau de chagrin. Un journaliste de Télérama qui souhaitait écrire sur mon dernier concert s'est vu répondre que c'était "trop pointu" alors qu'il y a vingt ans je pouvais y avoir deux pages et il y a encore quatre ans me retrouver gratifié d'un "Beau Geste". L'espace consacré à l'art se voit considérablement étouffé par celui de la culture (je pense à Jean-Luc Godard qui avançait que la culture est la règle et l'art est l'exception). La barbarie ambiante aurait pourtant bien besoin des contrefeux de la sensibilité et de l'intelligence que seules la poésie incisive, la création critique et l'imagination débordante exposent.

Un artiste peut-il éviter de se poser la question de ses origines, entendre ici culturelles ? En 2007, pour le magazine Poptronics, j'avais développé le discours de la méthode qui m'est cher pour réaliser un pop'lab intitulé L'étincelle. Illustré et sonorisé, il préfigurait en cela mon roman La corde à linge paru [alors] sur publie.net [inaccessible depuis, comme mon second roman, USA 1968 deux enfants, qui pourrait être bientôt réédité sous format papier avec QR codes].

Discutant toujours avec le même ami journaliste, interlocuteur privilégié de Après le disque, ma lettre à la presse papier, et de mon article La presse jazz enterre son avenir, je m'interrogeai une fois de plus sur le rôle de la presse, ses responsabilités et ses démissions. Qu'elle soit spécialisée, ici musicale, ou généraliste dans ses pages culture, elle sert le plus souvent de vecteur de promotion à l'industrie culturelle [le plus souvent] américaine, ou, plus largement, anglo-saxonne. Les colonisés qui jouent du jazz comme à New York ou du rock comme à Londres se retrouvent parfaitement dans cette collaboration inconsciente qui encense leurs idoles, porte-drapeau de l'envahisseur. Mais qu'en est-il des artistes qui cherchent leur voix en composant avec toutes les influences subies, autant celles de leurs amours de jeunesse (comment aurions-nous pu échapper aux vagues du jazz, du rock, du rap ou de la techno ?) que de plus profondes, qui nous enracinent dans nos terroirs, ou matures, qui nous font nous interroger sur celles-ci ?

La chanson française ou les musiques classique et contemporaine n'ont-elles pas pour moi autant d'importance que les rythmes adoptés outre-atlantique ? Ils furent en effet importés directement d'Afrique, parfois avec escale aux Antilles ou en Amérique du Sud, et non issus de leurs propres terroirs, génocide indien oblige. Les esclaves ont payé leur tribut au nouveau monde. L'impérialisme culturel américain, un terme qui fait sans doute vieux jeu alors qu'il reflète plus que jamais la réalité, a annexé cet apport noir pour mieux conquérir le reste du monde. Je pense à ces bataillons "de couleur" qui ne se mélangeaient pas aux blancs pendant la seconde guerre mondiale. Car le jazz est arrivé en Europe avec l'armée de libération, en 1917 d'abord, en 44 ensuite, rapidement devenue d'occupation. Le swing s'est installé à grand renfort de dollars, ce qui n'enlève rien à ses qualités artistiques, mais fait regretter que ce soit au détriment des autres styles en vigueur. L'anglais, ici comme ailleurs, est devenu un nouvel espéranto.

Loin de moi l'idée de quelque protectionnisme comme il est pratiqué aux États Unis à l'égard de ce qui vient de l'extérieur, mais le besoin d'affirmer la part européenne, française ou parisienne qui est la mienne, comme celle de ma culture juive, pourquoi pas, tant que cela reste culturel et n'empiète pas sur la séparation de l'église et de l'État [ou ne sert pas à justifier le génocide commis actuellement par les criminels au pouvoir en Israël]. Les Européens, qu'ils composent de la musique populaire, entre autres des chansons, ou de la musique savante (que nous serions tentés d'appeler impopulaire [à l'instar de Robert Wyatt, bien mal en point ces derniers temps, lorsqu'il évoquait sa propre musique] !), doivent autant à Vienne qu'à Berlin, à Rome qu'à Barcelone, à Paris qu'à Lisbonne. Si Zappa, Cage, Ives, Ayler, Miles ou les Beatles ont pu m'influencer, ne suis-je également l'héritier de Berlioz, Debussy, Satie, Poulenc, Varèse, Kosma, Ferré ou Gainsbourg ? Mais aussi de Bach et Schönberg, Verdi et Granados, Weill et Rota... D'autres camarades pourraient tout aussi bien revendiquer les influences d'Afrique du nord ou d'Afrique centrale, des Antilles ou de certaines régions d'Asie, de la Corse ou de la Bretagne, tant l'hexagone est constitué d'une mozaïque de cultures, traces coloniales, invasions assimilées, diversité intégrée. Or nos revues musicales n'ont d'oreille que pour ce qui se décline en anglais, essentiellement soutenu par l'industrie culturelle américaine. [Ma critique des couves de Jazz Mag me vaut d'y être totalement interdit depuis une quinzaine d'années, drôle de conception du rôle de la presse !] On me fait remarquer que les petits Français ont leur place dans leurs colonnes, mais ce ne sont que des strapontins (si ma référence n'était pas sévèrement connotée j'ajouterais que leur infiltration tient de la cinquième colonne). Face au pouvoir hégémonique de l'Amérique, n'est-ce pas légitime de chercher à réfléchir sincèrement le paysage musical français et européen ? Les revues en question se trompent-elles de fonction ou manquent-elles d'ambition ? [Il existe heureusement des foyers de résistance comme le Journal des Allumés du Jazz ou le site Citizen Jazz qui étend sa curiosité à toute l'Europe. Tous deux sont d'accès gratuit !]

Le rôle de la presse est d'orienter le débat, de lancer des courants, de forcer la main des paresseux, d'ouvrir les oreilles de plus en plus formatées. En 1920, Henri Collet lança le Groupe des Six qui n'avaient pourtant pas grand chose de commun. En 1957, en nommant La Nouvelle Vague, Françoise Giroud dans L'Express rassemblait de jeunes cinéastes qui ne se ressemblaient guère. Je ne sais pas qui a baptisé la French Touch, mais combien de jeunes musiciens se sont enfoncés dans cette brèche et ont profité de l'aubaine ? [Il y a dix ans j'avais tenté de promouvoir "les Affranchis", mais pour que cela prenne il eut fallu que cela ne vienne pas de moi, m'a avoué un journaliste du magazine honteux qui fait l'impasse sur tout mon travail !] La presse ne peut se contenter de compter les points ou, pire, d'en donner. Elle doit prendre parti, générer des mouvements, s'investir dans l'action. La chanson française est animée de sursauts, les musiques improvisées issues des nouvelles traditions européennes ont généré quantité de ramifications, les musiques traditionnelles sont en perpétuelle révolution, les contemporains réexploitent enfin leurs origines au lieu de se fondre dans le même moule, mais les journalistes tardent à comprendre les enjeux dont ils sont les rapporteurs auprès du grand public à défaut d'en être les initiateurs.

Alors que l'on nous imposait de gré ou de force une constitution européenne basée uniquement sur les échanges marchands, ne devrait-on pas développer une Europe des cultures ? Du solide, en comparaison des tours de passe-passe financiers. De l'amitié entre les peuples, pour de vrai. Au menu, hors d'œuvres à volonté, spécialités locales, plateau de fromages et farandole des desserts ! Il n'est jamais trop tard pour se ressaisir, regarder ce qui se trame autour de soi pour composer sans ségrégation avec ce qui nous est envoyé par-dessus l'océan. Que l'on désire danser ou écouter dans le recueillement, nous avons le choix. Arrêtons de prendre sans cesse les États Unis pour modèle avant qu'ils ne s'écroulent, ou soutenons leurs résistances, autant boycottées que les nôtres. À nous de jouer !

Photo origine inconnue

lundi 18 septembre 2023

Revision


Jouant aux dix films à emporter sur une île déserte avec Jonathan, je fais une recherche dans mon Blog, et vlan, L'ile déserte sort du chapeau à la date du 18 mai 2007. Je ne m'étais alors autorisé que des films publiés en DVD. La donne a changé. Ma cinémathèque a considérablement augmenté. Aujourd'hui, 31 mai 2011, comme nos listes sont trop longues, nous choisissons seulement des films que nous pourrions revoir quel que soit le moment, là, à l'instant.
Dans le désordre, comme ils me viennent, je sélectionne :
Muriel (Alain Resnais) qui était déjà le premier de ma liste précédente et dont j'ai affublé ma fille en second prénom à son grand dam
La nuit du chasseur (Charles Laughton), film orphelin que Carlotta vient de ressortir au cinéma
Adieu Philippine (Jacques Rozier) dont je connais tous les dialogues par cœur
Johnny Guitare (Nicholas Ray), idem
L'âge d'or (Luis Buñuel) puisqu'il faut bien n'en choisir qu'un
Faust (F.W.Murnau) d'autant que le Drame en avait composé une partition complète et que nous ne l'avons jamais joué
Le testament du Dr Mabuse (Fritz Lang) comme M qui forme dyptique avec lui
Le testament d'Orphée (Jean Cocteau), son dernier film résume toute son œuvre
Anathan (Josef von Sternberg), un autre dernier film, en japonais, commenté par l'auteur
La grande illusion (Jean Renoir) pour ne pas prendre La règle du jeu que Jonathan emporte déjà !
Les demoiselles de Rochefort (Jacques Demy), mais c'eut pu être Les parapluies ou Une chambre en ville
Uccellacci e uccellini (Pier Paolo Pasolini) aussi bien que La ricotta
Histoire(s) du cinéma (Jean-Luc Godard), pirouette élargissant fabuleusement le champ
Cela fait déjà 14 et tous ceux ou celles qui se prêtent à l'exercice trichent en ajoutant qu'ils ont laissé de côté tel ou tel, comme moi Les petites marguerites (Vera Chytilova), Un chant d'amour (Jean Genet), La rue de la honte (Mizoguchi Kenji), Vertigo (Alfred Hitchcock), Mon oncle (Jacques Tati), Le guépard (Lucchino Visconti), Gertrude (Carl T.Dreyer), Persona (Ingmar Bergman), La glace à trois faces (Jean Epstein), A Movie (Bruce Conner), The Peeping Tom (Michael Powell), Hellzapoppin (H.C. Potter), La route parallèle (Ferdinand Khittl), L'homme à la caméra (Dziga Vertov), La face cachée de la lune, que je ne pourrais pas forcément regarder là, tout de suite, sans réfléchir. J'ai carrément oublié Welles, Pasolini, Dreyer, Moullet, Vigo, Bresson, Ophüls, Fuller, Chaplin, Keaton, Fassbinder, Oshima, Varda, Marker, Jacques Tourneur, Lynch, Pelechian, faute de n'avoir pas su choisir... Ni documentaires ni animations, ni ceux de Françoise Romand ou les miens, ni courts-métrages... Le pari est stupide.
Aussi subjectif que moi, Jonathan Buchsbaum sélectionne Muriel et L'âge d'or comme moi, mais ajoute La règle du jeu, Dead Man, Citizen Kane, Satantango, La terre tremble, M le maudit, Les mémoires du sous-développement, Point Blank, Le samouraï, L'éclipse et bien d'autres, parce que nous trichons définitivement tous ! Jonathan, qui m'a suggéré Hell in the Pacific de John Boorman pour illustrer notre île déserte, propose que la prochaine fois nous nommions dix films des vingt dernières années en espérant qu'on arrivera à dix...
L'exercice est un peu vain, mais il peut fournir des pistes. Les choix, forcément subjectifs, renvoient à l'histoire de chacun. Le cinéma a tout à voir avec le souvenir et le fantasme, l'identification à des histoires vécues et les perspectives que l'on se donne encore. Dans ma liste je note tout de même que la mémoire et le testament se complètent, que l'on peut toujours tourner la page et renaître, que tous mes chouchous sont des vecteurs tirant leurs sources dans le passé pour mieux affronter l'avenir et qu'ils incarnent tous une lutte contre la mort. Ce qui me ramène à mon interrogation initiale sur les raisons de ma veille. Le cinéma m'empêcherait de m'endormir, donc de mourir, mais c'est la musique qui me réveille, un merle en particulier, me rassurant chaque matin que je suis toujours en vie.

P.S.: probablement qu'aujourd'hui j'ajouterais quelques films plus récents, mais la cinéphilie demande parfois du temps pour que les raretés fassent surface...

vendredi 1 septembre 2023

Anatomie d'une chute


J'avais bien travaillé au studio depuis le matin à préparer le séance d'enregistrement de lundi prochain. C'est un peu tôt pour choisir les instruments dont je jouerai pour ce nouveau Pique-nique au labo, cette fois avec la clarinettiste Hélène Duret et la harpiste Rafaelle Rinaudo, mais l'impatience me pousse à me projeter la semaine prochaine. J'en ai profité pour tester la pédale Eventide H9 Max sur le Tenori-on sans être certain que je les utiliserai. Rolls des effets électroniques, le H3000 et la H90 sont déjà dans les circuits auxiliaires. La conscience tranquille, je suis donc descendu au Cin'Hoche voir le film de Justine Triet, Anatomie d'une chute, qui a obtenu la Palme d'Or à Cannes cette année.
Jouissant de mon propre grand écran depuis plus de vingt ans et d'une offre quatre fois plus importante que la Cinémathèque française, je ne fréquente que très rarement les salles de cinéma, mais plusieurs raisons me poussaient à sortir. Plusieurs amis avaient été emballés par le film qui vient de sortir alors que je dois toujours attendre leur publication en DVD pour découvrir les plus récents, d'autres amis, et parfois les mêmes, m'exhortent à quitter ma tanière si je ne veux pas rester éternellement célibataire, cela me faisait du bien de marcher un peu jusqu'au centre ville et puis il est toujours sain de bouleverser ses habitudes. Contrairement à ce qu'avancent certains de mes proches je ne vois aucune différence à assister seul au spectacle dans une grande salle clairsemée ou dans mon salon, si ce n'est que chez moi c'est plus confortable. Pourtant la salle municipale de Bagnolet, qui avec ses deux écrans dépend désormais d'Est Ensemble, est très agréable, sa programmation art et essai en version originale est impeccable. J'ai noté que Les feuilles mortes, le nouveau Kaurismäki, ou Fermer les yeux de Victor Erice y sont programmés très bientôt.
Pas de regret pour mon choix. Le film de Justine Triet est excellent. On y retrouve son attirance pour les procès, le monde de la littérature, la psychanalyse, la vie de couple et des rôles de femme complexes. Comme chez Vecchiali ou Cassavetes, l'équipe du film est quasi familiale : son compagnon Arthur Harari, réalisateur comme elle de grand talent (Diamant noir, Onoda), joue dans tous ses films (La bataille de Solférino, Victoria, Sibyl) et a coécrit celui-ci, elle est fidèle à la comédienne allemande Sandra Hüller (Toni Erdmann, I'm Your Man) comme à Virginie Efira présente dans deux autres de ses films, etc. J'ai toujours pensé que cette complicité favorisait certaines aventures, même si le conflit profite à d'autres. Vous remarquerez que je ne parle pas du film, ni même ne livre la bande-annonce. D'une part je déteste spoiler (divulgâcher), d'autre part j'évoque rarement des sujets traités largement par la presse. Il est ainsi inutile que je m'étale sur la polémique suscitée par le discours de Triet sur la politique gouvernementale, mes lecteurs/trices connaissent mon engagement. Allez voir le film, c'est bien.
Je suis rentré et, après le dîner, j'ai regardé Limbo de Ben Sharrock que m'avait conseillé Françoise. Plusieurs films récents portent ce même titre, un polar poisseux hongkongais réalisé par Soi Cheang, une enquête en territoire aborigène de l'Australien Ivan Sen, et une dizaine d'autres plus anciens ! Étonnamment j'avais regardé ces deux-là, tournés en noir et blanc, la semaine précédente. Le film anglais de Sharrock dresse le portrait d'un groupe de demandeurs d’asile attendant de connaître leur sort sur une petite île de pêcheurs en Écosse. Le ton doux et amer, un peu surréaliste, la lenteur humoristique, rappellent certains films nordiques, islandais ou finlandais, des films où s'exprime la tendresse humaine. Cela change des portraits égocentriques et un peu cyniques de l'Allemand Christian Petzold comme dans son récent Roter Himmel (Le ciel rouge).
Entre temps je m'étais arrêté acheter un kebab sur le chemin. Manger de la junk food m'arrive peut-être deux fois dans l'année. Une manière de souligner l'exotisme de ma sortie cinématographique ? L'occasion de manger des frites, ce que je ne fais jamais évidemment. Juste le temps d'appeler Étienne Mineur à Genève pour discuter de la magnifique pochette qu'il concocte à base d'intelligence artificielle pour le vinyle La preuve du groupe Poudingue. Si mes articles ont parfois un caractère anatomique, celui-ci n'a pas de chute.

P.S.: Comme j'avais beaucoup apprécié Anatomie d'une chute, j'ai regardé le seul film de Justine Triet que je ne connaissais pas, Victoria. J'ai été surpris, mais pas étonné, de constater certaines ressemblances, sauf que celui-ci est traité sur le mode de la comédie alors qu'Anatomie est un drame... Un couple se déchire. Difficulté d'un écrivain à écrire son roman tout en s'inspirant de sa vie de couple. Une mère plutôt absente. Velléités procédurières. Absurdité du système de la justice... Quand on creuse on se rend compte que la plupart des cinéastes (tous et toutes peut-être) font toujours le même film. Cette fois Triet réussit son meilleur.
Quant à Limbo, Françoise, dont c'est le film préféré cette année, s'étonne que je n'en dise pas plus. Je lui ai répondu que "la scène d'ouverture ressemble tout de même bigrement aux films de Dominique Abel (L'iceberg, Rumba, La fée, etc.). De mon côté j'ai préféré Eo, Pacifiction, Triangle of sadness et, en ce qui concerne les migrants et autochtones, les derniers films de Kaurismäki (Le Havre, L'autre côté de l'espoir). Donc pas si original que cela à mes yeux, mes oreilles et mon cœur 😉 Mais je comprends que Limbo [lui] plaise, les très beaux cadres sont en effet du genre des [siens], et le film est très fin dans ses allusions sans en remettre trois couches, et surtout il prend son temps (dans tous les sens du terme)."

vendredi 28 avril 2023

Radio Drame


Numériser l'ensemble de mes archives est un exploit surhumain, pas seulement pour des questions de temps, mais aussi parce que les bandes quart de piste ou deux pistes ainsi que les cassettes se désagrègent chimiquement quand ce ne sont pas les machines qui font défaut. Les DAT et les premiers CD-R sont également fragiles. Seuls les vinyles et le papier résistent à l'épreuve du temps. Il est souvent trop tard, les bandes déposant une bouillasse sur les têtes du Revox qui m'obligent à les nettoyer dix fois à l'alcool pour une seule bobine. Une cassette a déposé des particules métalliques que je dois souffler pour ne pas esquinter la platine toute neuve. Comme je demandais au gérant de Scoop comment font les autres propriétaires de bandes, il me répondit : "ils meurent". Entendre que les praticiens des années 70 disparaissant au fur et à mesure, leurs descendants jettent les bandes que plus aucun magnéto ne peut lire, à moins qu'ils soient conscients de l'importance de leur héritage. Le patrimoine, aussi gigantesque soit-il, disparaît à une vitesse V. Le trou noir dans l'histoire de l'humanité se profile.

[Le 8 décembre 2010 j'avais écrit avoir] ajouté "Émissions de radio" à la collection des albums inédits du nouveau site drame.org. [Depuis, ce sont 30 heures d'entretiens, extraits musicaux, reportages in situ, pièces inédites qui complètent les 154 heures de musique offertes à l'écoute et au téléchargement gratuit sous format mp3]. De 1979 à [2021] ma voix est devenue plus grave alors que mes préoccupations l'ont toujours été. Celles de Francis Gorgé et Bernard Vitet se joignent à la mienne pour expliquer le travail d'Un Drame Musical Instantané et défendre nos idées que ce soit sur la musique ou la vie en général, avec humour, provocation et la rage de vivre. J'ai coupé une séquence de 1995 qui risquait d'être comprise de travers ; j'y répondais qu'Internet ne serait pas une révolution pour tout le monde, que rien ne changerait fondamentalement, parce que chaque jour 30000 enfants continueraient de mourir de malnutrition, parce que le Capital fait feu de tout bois. Comme toute révolution, il s'agit de revenir là où l'on est déjà passé et cela profite généralement à une seule classe.

Redécouvrant ces enregistrements jamais réécoutés depuis, je suis fasciné par nos propos qui révèlent explicitement le "discours de la méthode" qui a toujours marqué mon travail et dont ce Blog est une des manifestations actuelles. Dans la première plaquette du Drame nous citions Eisenstein : "il ne s'agit pas de représenter un spectacle qui a achevé son cours (œuvre morte), mais d'entraîner le spectateur dans le cours du processus (œuvre vivante)." Je ne peux rêver mieux pour exprimer pourquoi la mise en ligne d'un corpus aussi copieux s'inscrit dans ma démarche. Passé le nombre et la diversité des œuvres, m'intéressent l'art et la manière, et, plus encore, les motivations qui m'auront fait agir.

Même si le Drame renaît de ses cendres avec de nouvelles œuvres présentes et à venir en duo avec Francis Gorgé, depuis vingt ans les émissions de radio se sont évidemment focalisées sur mon travail personnel. Certaines en dressent un portrait fidèle comme Couleurs du Monde de Françoise Degeorges (63 minutes, 2021), Tapage nocturne de Bruno Letort (31 minutes, 2019), Radio Panik avec Nico Bogaerts (4 heures, 2020)... L'ensemble de 30 heures au total représente une sorte de making of de plus d'un demi-siècle d'activités. J'y ai aussi ajouté 2h30 de messages (1977-1989), drôles ou bouleversants, avec l'album Brut de répondeur.

jeudi 13 avril 2023

Crass, du punk à l'avant-garde


Il y a des jours comme ça, où la simple écoute d'un disque illumine votre journée et fait passer les pilules amères que l'actualité nous sert sur un plateau télé. Il y a des jours comme ça, où on l'on vénère le jour où la musique est entrée dans nos vies. Il y a des jours comme ça, des jours comme des nuits, où l'on pourrait écouter le même disque en boucle tant il recèle de trésors secrets, de charades à tiroirs, de rage intacte, fécondée par un romantisme adolescent que l'on espère ne jamais sacrifier sur l'autel de la maturité. Si le groupe punk Crass a accompagné des camarades nés plus tard comme l'ami Stéphane Berland, producteur d'exception du label Ayler Records, j'avais totalement ignoré ce mouvement jusqu'à ces dernières années. À l'époque, j'avais déserté la pop et le rock pour le free jazz, la musique classique et contemporaine, pratiquant l'improvisation en compositeur savant. La semaine dernière, alors que je pédalais sur mon vélo d'appartement en écoutant Radio Libertaire, je suis ainsi tombé par hasard sur leur dernier album, 10 Notes On A Summer's Day A Swan Song. J'eus aussitôt l'impression de reconnaître des membres de ma famille. J'aurais pu l'enregistrer tel quel. Peut-être l'ai-je déjà commis ? Il suffirait de compiler quelques morceaux parmi mes préférés.
Compiler, empiler, c'est ce que Penny Rimbaud a réalisé en enregistrant d'abord un piano "abstrait" sur le clic (métronome) qui permettra aux trois chanteurs (Eve Libertine, Steve Ignorant, Joy de Vivre) de se caler, puis la guitare (Phil Free), la basse (Pete Wright) et enfin la batterie (Penny Rimbaud lui-même), l'inverse de ce dont ils avaient l'habitude sur leurs six albums précédents. Tout cela purement improvisé ! Bien l'entendre comme une composition instantanée, ou plus justement d'instantanés successifs. À noter que Penny Rimbaud s'octroie le premier jet et la sauce finale (ainsi que les graphismes cosignés avec G Sus). Comme si cela ne suffisait pas et faisant la nique à tout le mouvement punk, il ajouta en effet des cordes et des cuivres joués, tant bien que mal, sur un vieux synthé Roland. Histoire d'enfoncer le bouchon, le premier CD de ce double album, enregistré en 1984-1985 et merveilleusement remasterisé en 2020, enchaîne une version vocale, et une autre instrumentale tant celle-ci surprit et plut à son compositeur.
Ce chant du cygne, comme il l'appelle, différent de tout ce que le groupe avait pu produire et fondamentalement avant-gardiste, sema la zizanie et marqua la fin de Crass. L'album fit évidemment un flop comme tous mes disques préférés de groupes dont les fans ne reconnurent pas leurs idoles. Exemple célèbre : Their Satanic Majesties Request des Rolling Stones, pur chef d'œuvre, encore plus inventif que le Sgt. Pepper's des Beatles auquel il répondait. En écoutant 10 Notes On A Summer's Day A Swan Song, j'ai d'ailleurs pensé à Agitation de İlhan Mimaroğlu, Trout Mask Replica de Captain Befheart & His Magic Band, voire la Sinfonia de Luciano Berio, mes chouchoux. Pas étonnant que Penny Rimbaud se réclame de Benjamin Britten, John Cage et Karkheinz Stockhausen. Le résultat est un chaos hyper romantique qui se démarque puissamment des Sex Pistols et des Clash. On a les provocateurs qu'on mérite !


Crass était un collectif sans leader, jouant tous sous pseudonymes et se vêtant d'uniformes noirs en réaction contre le culte de la personnalité en vogue chez les musiciens de rock. "Leur position était directement liée à l'anarchisme libertaire ou aux courants de pensées politiques communautaristes du XXe siècle. Prenant au mot le manifeste punk du do-it-yourself, Crass combine la chanson, le film, le collage sonore, le graphisme et la subversion pour lancer un front soutenu critique et novateur contre tout ce qui leur paraissait être une culture basée sur la violence, la guerre, le sexisme, l'hypocrisie religieuse et le mode de vie bourgeois du Royaume-Uni thatcherien. Ils [avaient été] parmi les pionniers de l'anarcho-pacifisme alternatif et engagé dominant la scène punk" (entre guillements un résumé tiré de Wikipedia).
Les notes du livret foncièrement politiques sont en cela passionnantes. De plus, il est abondamment illustré et offre les paroles que j'aurais autrement du mal à suivre. Il y a même un petit poster glissé dans le coffret, évidemment pas un 90x90 cm comme celui figurant dans certains vinyles ! Par contre le deuxième CD, encore plus court (16 minutes) que le précédent (20 minutes), offre six morceaux inédits du même acabit. Punk symphonique, flamenco destroy, hard pop, chœurs profanes, drone organique, chronique anti-tchatchérienne, poésie abrasive... De l'agit-prop au sein même du mouvement punk qui ruait déjà monstrueusement dans les brancards ! Au dos du coffret, est imprimé en lettres majuscules "Germany got Baader-Meinhof. England got punk, but it couldn't be silenced", à côté d'un paragraphe de Bonjour Tristesse de Françoise Sagan, et à l'intérieur du livret un long texte de Charles Baudelaire. On ne peut plus clair. Crasse en devient un euphémisme.

→ Crass, 10 Notes On A Summer's Day A Swan Song, 2 CD Crass Records, 18,94€ (écoutez, écoutez fort, et si cela vous plaît, profitez de la qualité sonore maximale et du bel objet qui l'habille en cherchant le commerçant le moins cher ! Les autres disques de Crass sont d'une tradition punk plus conventionnelle...).

mardi 14 février 2023

(Tapage) Nocturne par Birgé et Segal


L'article du 12 juin 2010 évoque la séance qui marqua le début d'une nouvelle époque où j'assumai de ne plus être "un drame musical instantané". Une page de 32 ans se tournait. C'est le premier index de ce qui deviendra Pique-nique au labo, rencontres régulières avec des improvisateurs enregistrées et publiées aussitôt en albums virtuels sur drame.org. Un double CD en témoigne, bientôt suivi par un deuxième volume courant 2023. C'est aussi un des premiers jalons de notre collaboration avec Vincent Segal et de notre longue amitié. Les photos avaient été prises par le regretté Bruno Riou-Maillard, l'assistant de Bruno Letort. La session est accessible gratuitement sous le titre Comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie !

La radio nous permet de vérifier que nous sommes sur la même longueur d'ondes. La Passion du Vinyl avait été une performance, un jeu de réminiscences, une action-music à deux voix. Cet échange valide nos cordes sympathiques en jouant sans images. Le producteur Bruno Letort n'aurait pu en avoir l'initiative sans avoir entendu parler de notre visite-concert de l'exposition Vinyl à La Maison Rouge. Il n'avait pas vu le film tourné par Françoise Romand. Mais l'idée du duo lui avait plu. Attraper Vincent Segal entre deux trains lui semblait une épreuve. Le violoncelliste et moi avons instantanément sauté sur l'occasion. Sans n'avoir jamais répété ensemble, nous nous étions promenés parmi les pochettes de disques de la collection Schraenen. Sans n'avoir jamais répété ensemble, nous avons hoché la tête pour dire que oui, nous étions prêts. L'enregistrement tournait.
Tout était très doux. Comme la nuit. Nous avions passé deux heures à brancher la mixette, mais surtout à ne pas réussir à récupérer France Musique dans mon ordinateur. Question de câbles, d'asymétrie, d'impédance. Tant pis, fit Vincent, on fera sans. J'acquiesce. Ce n'est pas grave. Je voulais transformer le son de la modulation de fréquence en temps réel, comme dans les années 70 lorsque je montais en direct mes radiophonies. Il est comique de voir tout ce monde penché sur la question sans qu'aucun stress ne s'en dégage. Nous nous lançons donc dans une suite de mouvements courts dont la conversation est le fil rouge, avec en option majeure une ambiance acoustique à ce nocturne "tapageur".


Tapage nocturne est le nom de l'émission de Bruno Letort qui [passait] le dimanche à minuit sur France Musique. Plutôt que jouer aux casques, Vincent Segal proposa de ne pas amplifier son violoncelle tandis que je diffusais le son de mes machines au travers de deux enceintes, à une puissance acoustique s'entend. Tendre l'oreille, être sans cesse à l'écoute, nous réalisons que "nous" jouons ensemble, avec nos instruments relégués à leur rôle d'instruments. D'habitude, si nous sommes amplifiés ou lorsque nous nous coiffons d'un casque, ce sont nos sons qui jouent ensemble, pas nous.
La palette de Vincent me fait penser à un mobile de Calder. Chaque élément a sa forme, son timbre, et l'œuvre n'est équilibrée que par l'audacieuse composition qui l'unifie. Il alterne pizz et archet, joue plusieurs mélodies simultanément, écrase les accords ou rythme l'inexorable pulsion qui nous amène jusqu'à ce dimanche minuit, puisque ces compositions "instantanées" ont été mises en boîte il y a quelques jours. Débarrassé de mes claviers, je joue du Tenori-on sur lequel j'ai ajouté deux banques de sons personnels (la voix d'Elsa enfant et les percussions échantillonnées de mon VFX), ainsi que de la Mascarade machine, l'application conçue avec Antoine Schmitt pour notre duo ensemble. L'instrument constitué d'un ordinateur portable avec webcam et, par extension d'un spot et d'un NanoKontrol, est une sorte de Thérémine du XXIème siècle que l'on contrôle en bougeant les mains à la manière d'un montreur de marionnettes à gaine. Je fais l'appoint avec ma trompette à anche, une varinette et un appeau. Notre musique de chambre se joue d'une jeune complicité où chacun réagit au doigt et à l'œil. [...]

vendredi 23 décembre 2022

Histoire de fantômes


Ma chambre est plongée dans le noir. Je suis seul dans mon lit, bruyant et remuant comme un beau diable. Il y a longtemps Françoise avait filmé mes bonds de dormeur, sorte de lévitation convulsive. Me voici donc rassurant, oui ce n’est que moi, mais je suis tout de même désolé de tout ce raffut, tu me connais. On a du mal à s’y faire, partagé entre la précaution de ne pas réveiller l’autre et la liberté qu’il n’y ait personne sur le flanc est. Pas moyen de m’y faire totalement. Je ne profite qu’à moitié de cette absence. Dans le même temps je me laisse aller à certaines trivialités et je m’en excuserais presque. Mon ciboulot danse d'un pied sur l'autre, tel un homme têtard. Le désir est parfois plus contraignant que la réalité. C’est alors mon neuvième jour de grippe, sans pour autant le bout du tunnel. Je vais plusieurs fois cracher dans les cabinets, me recouchant pour aussitôt me relever en faisant attention de ne pas allumer la lumière pour ne pas te réveiller. Il est crucial de remplir mon verre d’eau. On ne peut se passer de boire. Je repose donc chaque fois délicatement le récipient dont les parois ont fini par devenir troubles. J’ai rarement été aussi malade. Je n’ai plus de fièvre, mais j’ai perdu la voix et je ne veux pas que Didi, fils du vénérable Wang Jen-Ghié, me coupe la tête pour m'aider à la retrouver. Les quatre premières nuits, terriblement blanches, m’ont coincé dans un no man’s land où les irritations nasales puis les quintes de toux ont eu raison de la mienne. Pourtant je ne rêve pas. Est-il possible que tu sois, que vous soyez, à la fois présente/s et absente/s ? Entre souvenirs et ectoplasmes. Le chat de Schrödinger s’est malicieusement couché entre Django et Oulala. Je glisse comme un fantôme, sans pieds ni jambes, sous mon peignoir de coton noir, comme un suaire de suie. Il m’arrive d’avoir des bouffées de chaleur sans que j’en comprenne l’origine. Ben v'là aut'chose ! L'andropause ? Si ce n’était que ÇA. La morphine a momentanément réglé son compte à ma toux compulsive, mais j’ai mal aux cheveux. La fatigue ne me lâche pas. Les aliens de trois ou quatre centimètres que j’ai extraits de mes narines m’inquiétaient ; il aurait fallu qu'ils bougent pour que Cronenberg me les rachète. Tintin. Aucune trace de ces bestioles sur le Net. Les spécialistes s'en fichent. Mises de côté pour éventuelle analyse, elles finissent par se dessécher, rendant mon récit peu compréhensible. Je peste, repensant aux quatre pages D'une histoire féline que Cocteau relate dans son Journal d'un inconnu et aux fantômes successifs qui m’ont collé dans de beaux draps. Ce sont pourtant bien les miens.

Deux jours et un TGV plus tard, je me réveille encore une fois dans le noir. Un filet de lumière passe sous la porte. Je me demande si j'ai oublié d'éteindre avant de m'endormir ou si le soleil a déjà pointé son nez. C'est dire à quel point je suis désynchronisé. J'émerge simplement d'une sieste réparatrice. La solitude ne me convient pas tant que l'unicité, mais je suis toujours aphone. Ce n'est pas très pratique pour communiquer avec Eliott qui, lui, a des séquelles de surdité de sa récente crève. Nous avons convenu que je siffle, me remémorant les grimaces de Harpo, ce qui me change de mon côté Groucho et de mon pseudo, Mellow, qui, retranscrit à la japonaise, sonne comme une guimauve. La guimauve serait anti-inflammatoire, antitussive, décongestionnante, émolliente et drainante. Fondamentalement expérimental, je suis prêt à tout essayer, y compris l'irrationalité, fut-elle philosophiquement matérialiste, une forme d'animisme moderne. L'inconscient est l'un des principaux carburants de l'énigme.

Le troisième rêve portait sur l'identité du rêveur !

mardi 20 décembre 2022

Todd Solondz


Si vous connaissez Happiness, il vous a forcément marqué. Vous courrez donc voir la suite dix ans après. Nous avions ri d'un bout à l'autre de ce film à la noirceur sans pareil, qui décrit les terribles secrets d'une famille apparemment bien banale. Ne nous y trompons pas, toutes les familles ont des cadavres enfermés dans les placards, mais l'American Way of Life est bâtie sur cet aller et retour entre le pire et le meilleur, faisant mine de croire au pardon quand tout n'est qu'oubli programmé. La véritable violence se dessine dans ces interstices où l'être humain, recherchant un bonheur égoïste, espère faire croire à sa normalité alors qu'il combat avec plus ou moins de succès ses monstres dans l'intimité.


Life During Wartime retrouve la famille de Happiness dix ans plus tard avec de nouveaux acteurs pour les mêmes rôles et Todd Solondz, qui nous avait un peu déçus avec Storytelling et Palindromes, signe son meilleur film depuis son succès de 1998. Certains personnages sont également issus de son second long métrage Welcome to the Dollhouse (Bienvenue dans l'âge ingrat). Son premier, la comédie musicale très woodyallenienne Fear, Anxiety & Depression avait été reniée par son auteur. Si l'humour est toujours présent dans le regard acide que le réalisateur porte sur ses personnages, Life During Wartime provoque moins de rires que Happiness car il est plus tendre. Il n'en a pas la méchanceté, peut-être parce que le 11 septembre aura anesthésié les enfants de l'Oncle Sam. Et Solondz de rapprocher pédophilie et terrorisme, ce qui se trame dans la clandestinité, dans la clandestinité de leurs fantasmes offerts au grand jour en toute banalité. Les parents n'étant plus capables de distinguer ce qui caractérise l'âge adulte, la petite fille de sept ans s'avale du Prozac ou du lithium comme si c'était du Coca. Son frère s'en sortira peut-être mieux, pur produit de l'éducation juive, où le petit mâle naît à treize ans le jour de sa Bar Mitzvah. En l'absence du père annoncé comme mort alors qu'il sort d'une peine de dix ans de prison, le gamin endosse le rôle de chef de famille, caution morale à la fantaisie de sa mère qui voudrait refaire sa vie avec un type bien dont le fils atteint du syndrome d'Asperger (c'est très à la mode, le héros de My Name is Khan en est également atteint) est le seul à ne pas s'intéresser au sexe, plus préoccupé par l'accession de la Chine au premier rang mondial. L'une de ses tantes, scénariste à Hollywood qui a rompu avec sa famille pro-israélienne, s'est fait tatouer Jihad sur le bras, tandis que l'autre qui a quitté son pervers de mari est une sorte de fantôme qui converse avec les morts. À noter l'étonnant Paul Reubens, autrefois connu sous le nom de Pee Wee Herman, héros du premier long métrage de Tim Burton et de nombreux shows télévisés pour la jeunesse, dont la carrière avait été brisée après deux arrestations, la première pour s'être masturbé dans un cinéma porno, la seconde pour une affaire de pédophilie dont il s'était sorti mais qui avait laissé des traces dans l'opinion puritaine. [...]


L'oubli et le pardon sont justement le sujet du film, et lors de l'avant-première au Méliès à Montreuil où nous avait invités Dominique Cabrera, le réalisateur qui était présent, suggéra qu'une famille pieuse pardonnerait plus facilement qu'une famille laïque. Cette affirmation nous parut plus que douteuse si nous nous référons à la politique de l'État religieux d'Israël qui s'appuie sur la mémoire meurtrie du génocide en se vengeant sur une autre population qu'il a spoliée. Heureusement, Life During Wartime, le plus politique de tous ses films, est plus une divagation poétique portée par une analyse féroce de la normalité américaine.
Tourné en numérique par Ed Lachman avec une caméra RED, il aura permis à Solondz de fignoler la direction d'acteurs sans se préoccuper du prix de la pellicule. La scène avec Charlotte Rampling est absolument formidable, mais tout est remarquablement joué dans ce cauchemar éveillé où le quotidien semble lisse alors que les personnages sont perpétuellement en tension, sauf peut-être la petite fille qui est déjà perdue, avalée par les médicaments comme beaucoup d'enfants américains. Françoise fit remarquer à Solondz que s'il pensait que le petit garçon s'en sortirait mieux c'est parce qu'il s'y identifiait. Et le réalisateur de répondre comme tous ses personnages, en faisant semblant de ne pas entendre, mais en s'y résignant, parce que l'on ne peut choisir entre la mémoire et la vengeance, ou l'oubli et le pardon. Seule l'analyse peut nous permettre de rompre le cycle infernal. La compréhension des démons permet de les apprivoiser en remontant aux sources, ce que l'étude comportementale ne saurait résoudre par quelque traitement mécaniste.

Article du 11 avril 2010

lundi 5 décembre 2022

Vous aurais-je oublié ?


Sur le site du Drame le lien est discret, mais tout en bas de la page d'accueil il faut tomber sur les Crédits pour découvrir mes remerciements à toutes celles et tous ceux que j'ai accompagnés ou qui m'ont accompagné d'une manière ou d'une autre. Comme ma mémoire fait défaut, j'ai constitué cette liste au fur et à mesure depuis 1995, création du premier site, et 2010 lorsque Jacques Perconte m'aida à sa refonte. Hélas parfois le nom de certains ou certaines ne me dit plus rien et je dois faire des recherches compliquées pour raviver ma mémoire. L'important c'est qu'il ou elle soit là, y compris celles et ceux qui nous ont quittés et qui nous manquent souvent cruellement. Musiciens, cinéastes, plasticiens, comédiens, chorégraphes, écrivains, ingénieurs du son, techniciens, journalistes, illustrateurs, maquettistes, producteurs, organisateurs de spectacles, développeurs, scénographes, gens de radio ou de télévision, commissaires d'exposition, disquaires, photographes, assistants, je ne serais pas là sans elles et sans eux.

J'ai ainsi tenu à remercier Homeira Abrishami, Françoise Achard, Sophie Agnel, Paula Aisemberg, Lucien Alfonso, Pedro Almodóvar, Anne Amiand, Richard Arame, Steve Argüelles, Feodor Atkine, José Artur, Cyril Atef, Étienne Auger, Serge Autogue, Gérard Azoulay, Mourchid Baco, Mama Baer, Bradford Bailey, Balanescu String Quartet, Anilore Banon, Patrick Barbéris, Raùl Barboza, Luc Barnier, Patrice Barrat, Bruno Barré, Igor Barrère, Franpi Barriaux, Uriel Barthélémi, Hélène Bass, Blick Bassy, Michal Bathory, Nathalie Baudoin, Ruedi Baur, Michael Bazini, Sidney Bechet, Claudette Belliard, Dominique Belloir, Patrick Bensard, Samuel Ber, Antoine Berjeaut, Sophie Bernado, Sébastien Bernard, Maryse Bernatet, Jacques Berrocal, Michel Berto, Jacques Bidou, Christian Billette, Elsa Birgé, Geneviève et Jean Birgé, Jane Birkin, Charles Bitsch, Ludovic Blanchard, Daphna Blancherie, Emmanuelle Blanchet, Nico Bogaerts, Richard Bohringer, Marc Boisseau, François Bon, Antoine Bonfanti, Raymond Boni, Marianne Bonneau, Stéphane Bonnet, Marc Borgers, Irina Botea, Elisabeth Boudjema, Noémie Breen, Hélène Breschand, Dee Dee Bridgewater, Alex Broutard, Jean Bruller dit Vercors, Étienne Brunet, Menica Brunet-Fabulet, Jean-Yves Bouchicot, Jean-Louis Bucchi, Nicolas Buquet, Bumcello, Noël Burch, Christine Buri-Herscher, Michèle Buirette, Fara C, Geneviève Cabannes, Dominique Cabréra, Patrice Caillet, Philippe Caloni, Lulla Card, Phillipe Carles, Carolyn Carlson, Rafael Carlucci, Élise Caron, Kent Carter, Amandine Casadamont, Gwen Catalá, Stéphane Cattaneo, François Cavanna, Marc Cemin, Evan Chandlee, Dorothéee Charles, Denis Charolles, Christophe Charpenel, Jean-Louis Chautemps, Lulu Chedmail, Nicolas Chedmail, Nicholas Christenson, Mino Cinelu, Mikaël Cixous, Eric Clapton, Valentin Clastrier, Nicolas Clauss, Bass Clef, Annabel Clin, Alain Cluzeau, Gilles Cohen, David Coignard, Denis Colin, Médéric Collignon, Isabelle Collin, Hélène Collon, Henry Colomer, Pascal Contet, Controlled 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avons partagé de délicieux moments.

Dédicace spéciale à Frank Zappa, John Cage, Robert Wyatt, Michel Portal dont les encouragements furent précieux à mes débuts. Pensée quotidienne à Bernard Vitet. Je n'ai évidemment pas cité Francis Gorgé avec qui j'ai commencé, l'autre pilier d'Un drame musical instantané et toujours mon ami. Pour les autres, se reporter aux paroles de l'index 1 de l'album Chansons.

mardi 8 novembre 2022

19 courts métrages de la Nouvelle Vague


Dans 24 heures de la vie d'un clown la voix off de Jean-Pierre Melville rappelle les effets de Sacha Guitry doublant ses comédiens, enregistrés muets dans leur quotidien, alors que le son est présent sur la piste, probablement resynchronisé. Mais ici le sujet du film que le cinéaste réalise et produit lui-même en 1946, un an avant Le silence de la mer, est le clown Béby revenant sur ses souvenirs. Ce n'est pas encore la Nouvelle Vague, pas plus que Van Gogh ou Guernica d'Alain Resnais offerts en bonus, mais il la préfigure. Il faut bien des pères à ces jeunes cinéastes que Françoise Giroud rassemblera malgré eux en 1958 sous le terme de Nouvelle Vague. La fiction s'invite explicitement dans ce documentaire. On comprend que le cinéma vérité usurpe évidemment son nom. Dès qu'on pose une caméra et qu'on pratique le montage, il y a mise en scène. Ici le style est déjà melvillien.
Le générique du court métrage de Jacques Rivette, Le coup du berger, tourné en 1956, fait apparaître Jean-Claude Brialy, acteur fétiche de la bande, coscénaristes Claude Chabrol producteur délégué et Charles Bitsch qui signe les images, Jean-Marie Straub assistant-réalisateur ! Mais c'est surtout la renaissance du producteur Pierre Braunberger qui lancera tous ces "Jeunes Turcs" des Cahiers du Cinéma. Dès 1927 il produit Alberto Cavalcanti et les premiers films de Jean Renoir, fait tourner son cousin François Reichenbach, présent dans ce double DVD avec l'étonnant À la mémoire du rock, témoignage d'une époque (1962, foules de jeunes en délire avec Eddy Mitchell, Vince Taylor et Johnny Hallyday, mais aussi d'intéressants décalages musicaux avec Boccherini !) et Le petit café (1963), mais aussi Truffaut, Godard, Rouch, etc. Je me souviens de lui à la fin de sa vie, c'était très émouvant de voir ce tout petit monsieur dont le visage était entièrement recouvert de poil blanc comme un oisillon tombé du nid et de penser qu'on lui doit La chienne, Partie de campagne, Tirez sur le pianiste, Cuba si, Vivre sa vie, Petit à petit, etc.
On retrouve Brialy dans deux autres vaudevilles, Tous les garçons s'appellent Patrick de Jean-Luc Godard, scénario Eric Rohmer et Une histoire d'eau que Godard cosigne avec Truffaut. La drague, très mal vue aujourd'hui, et les histoires d'alcôve travaillent ces jeunes cinéastes, pour la plupart des petits bourgeois qui rêvent de coucher avec des actrices. Ils ont condamné les vieux réalisateurs qui traitaient de sujets sociaux et certains, tel François Truffaut, reviendront même au classicisme qu'ils fustigeaient. La différence tient au style, tournage en extérieurs, dialogues enlevés voire improvisés, lumière naturelle, montage rock 'n roll, économie de moyens, complicité d'une jeunesse dorée de l'après-guerre qui veut s'amuser... Ces courts métrages leur permettent de faire leurs armes avant leurs premiers longs. Pour Charlotte et son Jules Godard double Jean-Paul Belmondo, monologue critiquement machiste inspiré par Le bel indifférent de Jean Cocteau.
En 1956 Alain Resnais possède déjà une maîtrise incroyable (c'est son vingt-et-unième court métrage) lorsqu'il filme la Bibliothèque nationale pour Toute la mémoire du monde sur un scénario de Rémo Forlani... Un chef d'œuvre. Lumière, angles et mouvements de la caméra, montage, choix du texte comme dans l'autre film présenté, une commande, Le chant du styrène, deux ans plus tard... Cette fois le commentaire, un hymne à la matière plastique tout en alexandrins, est de Raymond Queneau et la musique de Pierre Barbaud, inventeur de la musique algorithmique !
Musique jazz composée par André Hodeir pour le documentaire plus classique Ô saisons, ô châteaux d'Agnès Varda qui, contrairement aux autres a déjà réalisé un long métrage, La pointe courte, probablement le premier film de la Nouvelle vague.
Plus original, commencé comme un documentaire, Les surmenés de Jacques Doniol-Valcroze, glisse d'abord vers la critique sociale par le texte, puis vire à la comédie avec Brialy et Jean-Pierre Cassel. À noter la musique de Georges Delerue, un habitué du groupe, entre électronique et jazz.
Bien qu'il ne se reconnaisse pas dans la Nouvelle Vague, mais produit par Braunberger, Maurice Pialat est représenté ici par deux courts métrages, L'amour existe, un très beau documentaire mélancolique sur la banlieue parisienne tourné en 1961, et l'année suivante Janine, sur un scénario de Claude Berri qui rappelle un peu Tous les garçons s'appellent Patrick, deux types évoquant la même fille sans savoir qu'ils parlent de la même. Musique de René Urtreger.
Dans Chanson de gestes de Guy Gilles on retrouve la poésie du quotidien propre à la Nouvelle Vague. Jeanne Barbillion fait partie des rares femmes qu'on a laissées réaliser ! Pour L'avatar botanique de mademoiselle Flora elle choisit Bernadette Lafont (dont je ne reconnais pas la voix), Raoul Coutard à la lumière, Michel Legrand et Jacques Loussier pour la musique, mais qui est le trompettiste ? Miles ?). Les tambours accompagnent les chants et danses de La goumbé des jeunes noceursJean Rouch tient la caméra à l'épaule. Pour la fiction Les veuves de quinze ans il a choisi les jazzmen Gérad Gustin et Luis Fuentes pour suivre deux petites bourgeoises yéyé. L’une est sérieuse, l’autre pas. Encore un film sur la jeunesse des années 60, avec la question du bonheur, sujet de Chronique d'un été quatre ans auparavant...
Deux versions de La sixième face du Pentagone, extraordinaire document réalisé en couleurs par Chris Marker et François Reichenbach, sont proposées. Française ou anglaise. Le film relate la marche sur le Pentagone organisée en octobre 1967 par la jeunesse américaine en opposition à la guerre du Viêt-Nam. Passionnant évidemment.
On termine avec La direction d'acteur par Jean Renoir où "le patron" donne une leçon magistrale à Gisèle Braunberger. Confronté à des comédiens, j'ai toujours suivi à la lettre les conseils de Renoir ! Indispensable.

19 courts métrages de la Nouvelle Vague, Double DVD Doriane, 6½ heures, avec un livret illustré de 16 pages rendant hommage au travail du producteur Pierre Braunberger, 25€, sortie le 14 novembre 2022

vendredi 4 novembre 2022

Le son de Vinyl



LA PASSION DU VINYLE

Après la première station sous le signe de la musique d'ameublement d'Erik Satie, nous avons gravi le chemin transportant l'un sa boîte de violoncelle et un tourne-disques, l'autre sa valise remplie de disques et d'instruments électroniques. Passés devant le Domaine Musical, Eskimo des Residents, Portal par Alechinsky, nous nous sommes arrêtés pour piétiner et diffuser les Footsteps de Christian Marclay. Depuis son acquisition, plus le vinyle est esquinté plus le son est intéressant. Quelques mètres plus loin, pour interpréter un duo de musique répétitive devant les Philip Glass de Sol LeWitt, je sors mon Tenori-on dont le son est plus discret que je ne m'y attendais, obligeant Vincent Segal à jouer pianissimo. Tandis que je diffuse lithurgiquement le 45 tours souple de L'Apothéose du Dollar par Salvador Dali, Vincent glisse un petit Bach (photo 1) ! Sous la vitrine, nous découvrons un disque en chewing gum qui aurait plu au Catalan.


Vincent attaque O Superman, qu'il a déjà fait avec Laurie Anderson, en jouant simultanément la pédale rythmique et la mélodie. Mes boucles vocales au Tenori-on prennent quelques libertés avec l'original (photo 6). Nous sommes plus révérencieux avec 4'33 de John Cage ; j'ignore si c'est une première mondiale de l'interpréter en duo, mais nous jouons parfaitement ensemble (photo 3) ! Vincent déploie une partition très annotée de Ligeti et une autre, autographe, de Pierre Boulez. J'accompagne au Kaossilator Martin Fournier, spectateur anglophone, récitant magnifiquement un texte d'Allen Ginsberg, avant que mon camarade s'interroge sur le Johnny Griffin de Warhol et que je conte mes aventures adolescentes avec les Beatles. J'offre quelques exemplaires de Rideau ! à la cantonade après que nous ayons exécuté un playback à la flûte et au violoncelle sur M'enfin (photo 2). Ce n'est pas tous les jours que les visiteurs d'une exposition d'art contemporain repartent avec une des œuvres sous le bras ! Nouveau duo avec flûte devant The Last LP de Michael Snow où nous prétendons avoir arrangé un morceau d'une tribu disparue, à l'image du canular de l'artiste canadien. Auparavant j'ai montré les pochettes doubles d'un autre album de Snow et du trio Laurie Anderson / John Giorno / William Burroughs. À cette occasion je suggère à Vincent de faire l'expérience du triple sillon de la quatrième face : le choix du morceau est aléatoire.


J'ai apporté des extraits de 3/3 par 1/2 (trois tiers par Un DMI) que nous avions enregistré sur Machiavel avec trois bouts de vinyle de trois différents disques du Drame (écoutable ici). La force centrifuge du tourne-disques portable expulse les tranches de gâteau noires qui scratchent toutes seules sous l'aiguille, composant un morceau inédit surprenant, d'autant que j'ai placé dessous l'une des faces bruitistes du Snow (photos 4-5). Terminant par un hommage à Fluxus, Vincent trace un sillon avec un clou sur la surface vierge du disque à graver soi-même de Maurice Lemaître, puis il joue des Keuss Keuss tandis que je hurle, un susu dans la bouche, sur deux de ses poèmes, L'équipée sauvage et Valse japonaise ! C'est terminé, Vinyl ferme pour ce soir, nous avons improvisé un programme de près de deux heures. Le public est aussi enchanté que nous deux qui nous sommes bien amusés...

Photos © Mathilde Morières, sauf n°3 Corinne Dardé (celle où l'on voit Françoise Romand filmer, ce qui laisse présager d'un futur YouTube qui sera également en ligne sur le site de La Maison Rouge). Merci les filles !

Article du 23 mars 2010

LE SON DE VINYL


Françoise Romand a terminé le montage du film tourné lors du concert-visite que nous avons réalisé avec le violoncelliste Vincent Segal le 21 mars à La Maison Rouge (Photo Mathilde Morières). Filmé avec une HandyCam, le court-métrage rend bien l'ambiance de la performance qui dura près de deux heures. Nous avons exclu l'interprétation mémorable de 4'33 de John Cage qui se prête mal à une diffusion cinématographique et avons écourté nombre de stations. De même, nous ne nous sommes pas attardés sur les dizaines de pochettes que nous avons commentées en direct, préférant privilégier les séquences musicales. Pour rendre digeste la diffusion sur Internet, nous avons découpé le film de 23'23 en trois parties.


Première Partie (8'37)
Vincent Segal (violoncelle) et Jean-Jacques Birgé (Tenori-on)
autour de Christian Marclay, Helio Oiticica, Philip Glass, Laurie Anderson...


Seconde Partie (5'46)
Jean-Jacques Birgé (Kaossilator), Vincent Segal (violoncelle) et la participation de Martin Fournier (voix)
autour de Laurie Anderson, William Burroughs, John Giorno, Allen Ginsberg, Salvador Dali, Iannis Xenakis, Pierre Boulez...


Troisième Partie (9'00)
Vincent Segal (violoncelle, tourne-disques, keuss keuss) et Jean-Jacques Birgé (flûte, tourne-disques, susu, varinette)
autour d'Un Drame Musical Instantané, Michael Snow, Maurice Lemaître...

J'ai choisi de placer le film à la fois sur DailyMotion, YouTube et Vimeo, ici dans l'ordre croissant de qualité constatée avec le même fichier. Il est intéressant de noter que la meilleure reproduction s'avère celle du site le moins fréquenté.

P.S. : je remarque seulement ce matin que le 33 tours d'Hélène Sage et Bernard Vitet, Supposons le problème résolu paru chez GRRR également, figurait dans le catalogue de l'exposition, aux côtés de Rideau ! et À travail égal salaire égal d'Un Drame Musical Instantané.

Article du 5 avril 2010

FACE B, EN CLÔTURE DE LA MAISON ROUGE

La fin de cette aventure se tiendra huit ans plus tard à l'occasion de la soirée de clôture de La Maison Rouge. Le 27 octobre 2018, Vincent Segal, Antonin-Tri Hoang et moi-même y avons joué Face B en direct sur un montage de Daniela Franco. Le film de cette soirée est sur le lien ci-dessus agrémenté d'un dernier article daté du 17 mai 2019.

vendredi 21 octobre 2022

Les comédies de la liste Rosenbaum


En suivant scrupuleusement la liste des comédies transgressives américaines indiquée par Jonathan Rosenbaum dans The Unquiet American, nous découvrons évidemment des joyaux que nous ignorions. Le dernier en date fut The Three Caballeros, un dessin animé de long métrage, réalisé par Norman Ferguson en 1944, un des meilleurs de chez Walt Disney, qui mélange prises de vue réelles, avec chanteurs et danseurs sud-américains, et les personnages de Donald Duck, Joe Carioca et Panchito Pistoles. Ce film expérimental est un cocktail explosif de kitsch et de psychédélisme débridé. On frise Tex Avery pour les gags absurdes et la scène éthylique imaginée par Salvador Dali dans Dumbo pour les traitements graphiques.
Les films de Lubitsch ne sont pas tous aussi drôles ou pétillants d'intelligence les uns que les autres : nous avons été emballés par Angel, un petit bijou avec Marlene Dietrich et Melvyn Douglas, et par La huitième femme de Barbe-Bleue avec Gary Cooper et Claudette Colbert. Les dialogues y sont étincelants, les situations jubilatoires, c'est du grand art. Trouble in Paradise (Haute pègre) et Cluny Brown (La folle ingénue) ne sont pas du même niveau, mais sont très plaisants ; par contre, nous avons été déçus par Heaven Can Wait (Le ciel peut attendre). Ce sont toutes des comédies de mœurs où les femmes s'affranchissent de la condescendance masculine, où les allusions sexuelles sont légion et où les conventions bourgeoises volent en éclats. Je n'évoque ici que les films projetés ces dernières semaines, il nous reste quantité de Lubitsch muets à découvrir, périodes allemande et américaine, et je ne parle pas des merveilles que nous connaissons par cœur comme The Shop Around the Corner, Ninotschka, To be or not to be, voire Design For Living (Sérénade à trois) et That Uncertain Feeling (Illusions perdues)...
Nous ne connaissions Preston Sturges que de nom, mais The Palm Beach Story (Madame et ses flirts) est un chef d'œuvre lubitschien avec Claudette Colbert et Joel McCrea et Christmas in July (Le gros lot) une jolie fable sociale. Tous ces films sont des screwball comedies mettant la plupart du temps en scène des couples qui s'aiment et se cherchent des noises. Dans le genre, Adam's Rib (Madame porte la culotte) de George Cukor est probablement le meilleur de tous ceux interprétés par le tandem Katherine Hepburn - Spencer Tracy. Parmi les descendants du maître Lubisch dont il a été l'élève, Billy Wilder est un des plus représentatifs. Si mon préféré reste One Two Three, nous passons un agréable moment devant Avanti! et, plus encore, The Fortune Cookie (La grande combine) avec Jack Lemon et un Walter Matthau au meilleur de sa forme.
Will Success Spoil Rock Hunter? (La blonde explosive) de Frank Tashlin, avec Jayne Mansfield, Tony Randall et Groucho Marx, ne vaut pas certains de ses films avec Jerry Lewis, mais il annonce l'univers de la pub de Mad Men et écorne avec humour l'univers de la communication comme le fait dramatiquement Wilder dans le remarquable Ace in the Hole (Le gouffre aux chimères), démonstration implacable de la manipulation de l'opinion à des fins mercantiles, cinquante ans avant notre ère.
The Fountain of Youth est une curiosité télévisuelle où Orson Welles mélange prises de vue fixes et mobiles en mettant à profit ses talents de conteur. Il nous reste à voir pas mal de films de la liste ou ceux cités dans les articles publiés par Rosenbaum dans son livre-catalogue et dont j'ai scrupuleusement noté les titres. Mon billet ne fait que les survoler, livrant des pistes aux amateurs de comédies, genre que les filles réclament souvent en projection et que j'ai eu longtemps du mal à fournir ! J'ai gardé celles d'Albert Brooks et d'Elaine May pour la fin. Rosenbaum prétend que Brooks est dix fois plus drôle que Woody Allen, mais trop original pour avoir du succès. Real Life est un pastiche de télé-réalité de 1971 tordant et prémonitoire, intelligent et corrosif, tandis que, moins réussi, Lost in America attaque le mythe américain de la liberté en un double petit bourgeois d'Easy Rider ! De même, Elaine May réalise un pendant au Lauréat de Mike Nichols avec The Heartbreak Kid, une comédie noire avec le génial Charles Grodin, et Ishtar, une comédie ratée avec Warren Beatty Dustin Hoffman, Isabelle Adjani et Grodin, qui a le mérite d'aborder l'ingérence de la CIA à l'étranger au travers d'une loufoquerie où les deux principaux protagonistes incarnent un couple de chanteurs ringards envoyés à Marrakech pour un contrat miteux.
Entendre Françoise pliée de rire deux soirs de suite mérite d'être souligné ! La comédie de science-fiction Innerspace (L'aventure intérieure) de Joe Dante nous a donné envie de voir ses autres films dont le succès n'a jamais égalé celui des Gremlins. Comme pour nombre de films choisis par Rosenbaum, cela s'explique par leur côté politiquement incorrect et leur originalité. Nous sommes montés d'un cran dans le délire avec la politique-fiction The Second Civil War où l'État d'Idaho, fermant ses frontières à des enfants réfugiés pakistanais après un conflit nucléaire avec l'Inde, déclenche une Seconde guerre de sécession, attisée par les médias télévisuels. Si cette satire hilarante et incisive renvoie furieusement aux présidents des États-Unis passés et à venir, ainsi qu'aux différentes guerres qu'ils n'ont cessé de mener, elle met en scène avec un humour dévastateur le spectacle qu'organise quotidiennement les médias qui nous gouvernent.
Pour ne pas rester scotchés uniquement sur les films américains, fussent-ils critiques, et désertant la liste Rosenbaum, nous avons regardé Le temps qu'il reste (DVD France Télévisions Distribution) du Palestinien Elia Suleiman, nettement moins drôle que les précédents ''Chronique d'une disparition'' et surtout ''Intervention divine''. Le film a beau être juste et personnel, il reste un gout de déjà vu qui sied peut-être aux gags répétitifs de Suleiman, mais déçoit au regard des inventions auxquelles il nous avait habitué. Évidemment satirique avec l'occupation israélienne, il a le mérite de savoir se moquer aussi bien de son peuple...
Sur les écrans, le blockbuster Precious est un film sympa et moins consensuel que les clichés dramatiques d'un Ken Loach. Lee Daniels sait filmer avec légèreté une situation tragique, même si les séquences glamour sont un peu lourdes. Il y a tout de même de jolies trouvailles comme lorsque Precious se voit en blonde dans le miroir ou qu'elle s'identifie physiquement avec les héros du petit écran. Arriver à réaliser une comédie dramatique sur le viol, l'inceste, l'obésité n'est pas une mince affaire. Dans ce pamphlet social, le casting essentiellement féminin et noir ainsi que les rebondissements du scénario donnent une bouffée d'air frais au cinéma américain contemporain.

Article du 4 mars 2010

lundi 17 octobre 2022

L'institution du mariage


Lorsque nous fûmes en âge d'y être confrontés, ma génération trouva le mariage complètement has been. Comme si nous avions besoin de l'assentiment social pour valider notre amour ! Nul besoin de rendre officielle une histoire qui ne concernait que deux amants. Les choses se sont corsées dès lors que nous avons procréé ou acquis des biens, que ce soit le fruit d'un labeur ou par héritage. On est toujours rattrapés par la famille et la cohorte de névroses qu'elle traîne à sa suite.
Je me suis marié alors que ma fille avait déjà trois ans, à une époque où la loi était différente d'aujourd'hui, essentiellement pour obtenir l'autorité parentale s'il arrivait quelque chose à sa mère. L'affaire fut expédiée en cinq minutes ; devant courir chercher Elsa à la crèche, nous n'avons même pas eu le temps d'offrir un coup à boire à nos deux témoins. Le divorce est toujours à l'image du mariage. Treize ans plus tard, le nôtre fut simple, prononcé en consentement mutuel avec une avocate commune. La charge symbolique que l'on place dans le mariage explose forcément dans les mêmes proportions si une séparation doit avoir lieu.
Avec des enfants parvenus à l'âge adulte, les enjeux ne sont plus les mêmes. Le mariage répond alors en général au souci de protéger le survivant en cas de décès de l'un des conjoints. Là encore il s'agit plus d'un contrat pratique que d'une histoire d'amour. L'amour n'a rien à voir avec les petits arrangements et les grandes cérémonies, surtout lorsque l'on a su apprendre à vivre ensemble depuis bon nombre d'années. Quand à le fêter c'est d'un morbide achevé. Il y a des raisons plus joyeuses d'inviter celles et ceux que l'on aime qu'à l'occasion d'un contrat envisageant la mort d'un des deux hôtes.
Reste que l'institution du mariage abrite, quoi qu'il arrive, de lourds réflexes symboliques qui interrogent la famille et la place qu'on lui donne souvent inconsciemment. Comme le service militaire obligatoire permettait à certains garçons d'échapper à leur milieu social, le mariage permet de s'affranchir partiellement de "la loi du sang" en exerçant une coupure avec son passé dans une perspective de construction de l'avenir. Si l'on subit inéluctablement ses antécédents génétiques, allant même pour beaucoup jusqu'à les reproduire, se marier peut représenter un choix personnel pour décider de ce que nous voulons garder ou laisser de notre héritage familial, entendre là ce qui tient de la névrose ô combien reproductible autant que des valeurs intellectuelles prodiguées. Pour s'en affranchir, le mariage n'est nullement indispensable, mais il a le mérite, sans évoquer les avantages fiscaux, de mettre les choses au point en affirmant ses propres choix face au pouvoir des siens et d'entériner le métissage en faisant entrer l'un et l'autre conjoints dans un système complexe et forcément réactionnaire, la famille, agrandissant même le cercle puisque la symétrie implique le doublé. Avec cette nouvelle cellule on perpétue la coutume en la régénérant, mais on assume aussi son passé en privilégiant l'avenir. Car la véritable famille n'est pas celle qui nous fit, que nous subissons sans n'avoir rien demandé, mais celle que nous nous choisissons, sans nécessairement recourir aux exclusions pour autant. Le qui-vive s'impose pourtant, car il restera à quotidiennement inventer sa vie, et ce en la partageant autant que possible avec toutes celles et ceux que nous aimons.

Article du 16 février 2010



Le mariage m'est toujours apparu comme la caution sociale d'une union entre deux personnes, sans évoquer la pression perverse qui verrouille la rébellion. L'amour n'a pas grand chose à y gagner. La confusion est courante et produit quantité de quiproquos, comme celle entre le sexe et l'amour. Les liens existent, mais les us et coutumes nous emprisonnent dans un fatras facilement inextricable pouvant se transformer en chaos. Le bonheur, ou plus exactement la randonnée vectorielle qui le cible, est une affaire très personnelle, souvent éphémère si l'on n'y prend quotidiennement garde, un leurre pour celles et ceux qui ont confondu les termes, une chance pour celles et ceux qui ont adopté le partage comme base de toutes les relations humaines. Mes sous-entendus sont évidemment lourds de sens, mais je ne vais pas rédiger ici une thèse sur le sujet.
Elsa avait trois ans lorsque sa mère et moi nous sommes mariés. La loi était différente et je n'avais jusque là aucune autorité parentale en cas d'accident, de sa maman ou de notre fille. Il eût fallu passer devant un juge, alors autant prendre rendez-vous avec le maire ! Plus le mariage est simple, moins le divorce est pénible. Dix ans plus tard, Michèle et moi nous sommes séparés à l'amiable avec la même avocate, et nous sommes restés amis.
Après quelques années de purgatoire, d'erreurs de casting, d'amours contrariés, j'ai rencontré l'amour de ma vie, entendre celui de la maturité. Nous fêterons bientôt notre dixième anniversaire et mes sentiments n'ont fait que se fortifier avec le temps. Nous nous sommes donc mariés hier, sans cérémonie puisque nous préférerons fêter notre amour aux contrats et autres testaments certifiés. Ma démarche n'est pas inspirée par le présent, mais par ce que l'avenir nous réserve, la garantie d'éternité pour celle ou celui qui survivra. Elle est aussi éminemment symbolique pour d'autres raisons plus intimes où les sentiments font cocktail avec la psyché. Une chose est certaine, je suis extrêmement heureux de vivre avec Françoise et j'espère que notre mariage n'y changera rien, puisque j'essaie déjà chaque jour de m'améliorer un peu. [...]

Article du 29 novembre 2012

P.S.: nous avons divorcé à l'amiable le 30 octobre 2018.
Je ne pense jamais me remarier, mais aimer, ah ça oui, j'ai depuis été amoureux et je le serai encore...

mardi 27 septembre 2022

Disparition de ma tante Catherine


Ma tante Catherine Bloch est décédée il y a quelques jours. Jeune sœur de ma maman, de dix ans de moins qu'elle, elle était la dernière représentante de la génération précédente. En général lorsqu'on parle d'une délivrance nous faisons référence à une maladie extrêmement douloureuse ou à un état végétatif qui ne rime plus à rien. En ce qui la concerne elle passa toute sa vie à côté de la plaque et depuis de nombreuses années elle était devenue épouvantablement seule et malheureuse. Parfaitement égoïste, la seule des trois sœurs à se savoir folle, elle inspirait à sa famille et ses voisins plus de pitié qu'autre chose, aussi loin que je m'en souvienne. Avec ma sœur Agnès nous avons tenté de l'extirper des griffes de brigands qui la déplumaient régulièrement, au point qu'elle vendit il y a deux ans son appartement en viager pour céder à la pire des piranhas qui ne manquait pas de la battre lorsqu'elle résistait. Elle nous implora de ne pas la mettre sous tutelle, ni porter plainte, ce qui l'angoissait plus que les malversations et sévices qu'elle acceptait d'endurer. Après tout, c'était son choix, nous l'avons respecté. Le plus pénible était ses coups de téléphone, répétés en pleine nuit à une heure d'intervalle, lorsqu'elle craignait que nous risquions d'intervenir pour la protéger. Notre dernière conversation remonte à seulement quelques jours. Elle ressassait toujours la même chose, ses insomnies avec inversion du rythme nycthéméral (elle réveillait ma mère à des heures impossibles), ses problèmes de boyaux qui la faisait s'appuyer sur le ventre en se couchant par terre si elle avait avalé un petit pois (Françoise avait tourné un court métrage autour de ses problèmes de caca. Une vie de merde, vous dis-je, même si cela faisait rire, jaune, ses sœurs lorsqu'elle se mettait debout pour péter sans bouger de sa place au restaurant !), ses médicaments (hypocondriaque, plus aucun médecin ne voulait la voir ou lui répondre, même les pompiers, en désespoir de cause elle était allée jusqu'à appeler la protection civile !), sa solitude extrême qui explique qu'elle avait cédé à des escrocs qui lui signifiaient évidemment quelque intérêt de présence. Les vieilles personnes seules sont des proies faciles. C'est terrible, nous ne pouvions pas faire plus que ce qu'elle nous autorisait et se permettait à elle-même. Elle avait pourtant été une jeune femme brillante, ingénieure de haut niveau chez IBM, et même une très jolie femme, mais elle avait pété les plombs très tôt, vivant avec mon grand-père jusqu'à sa mort pour partir ensuite avec la mère de sa meilleure amie qui s'est aussitôt brouillée. N'y voyez aucune assumation quelconque, la semaine dernière elle se posait encore des questions sur sa sexualité jamais libérée. Ma sœur partageait ma tristesse à ne pas savoir comment l'aider et mes deux cousins avaient fini par ne plus répondre à ses coups de fil intempestifs et déplacés. Les voisins se sont inquiétés de ne pas la voir, l'épicier idem, les pompiers l'ont découverte. Pour l'instant je n'en sais pas plus. J'ai choisi une photo sympa où elle est entourée par ses deux grandes sœurs. Maman (à droite) est partie le première en 2019 à 90 ans (Catherine n'est pas allée la voir les dernières années alors qu'elle habitait à cinq cents mètres, car elle angoissait de marcher jusque là), Arlette (à gauche) a suivi en 2020 à 95 ans, Catherine allait en avoir 83. Nous avions convenu de nous rappeler en novembre pour nos anniversaires.

jeudi 30 juin 2022

Électrocution au révolver


Cette soirée du 13 janvier 2010 aura été une soirée mémorable, car c'est probablement la dernière à laquelle mon camarade Bernard Vitet s'est rendu avant de tomber malade. Elle revêt aussi une certaine importance pour le pianiste Benoît Delbecq qui avait émis depuis longtemps le souhait de passer une soirée avec notre ami, exceptionnel compositeur et trompettiste. Bernard s'est éteint le 3 juillet 2013 après deux ans et demi qui lui furent très pénibles.

Bernard Vitet se promène toujours avec de drôles de briquets qu'il achète à une Chinoise de son quartier. Il ne craint pas qu'un convive les embarque par inattention. Ce sont souvent des chalumeaux qui permettent d'orienter la flamme horizontalement. L'engin qu'il tient à la main pendant qu'il discute avec Benoît Delbecq est particulièrement pervers. Si l'on actionne la gâchette on reçoit une décharge électrique terriblement puissante. Le choc semble aussi fort que lorsque l'on touche du 220 volts. Pour allumer ses cigarettes, qu'il enchaîne les unes sur les autres malgré ses poumons fragiles, il doit agir sur le chien. L'atmosphère est enfumée. Fut un temps où nous travaillions quotidiennement ensemble avec Francis Gorgé. L'odeur de ses blondes court-circuitaient celle des Bastos de Bernard, mais à la fin de la journée le studio était envahi d'un nuage de poison. Je devais aérer pendant des heures après leur départ et j'avais fini par installer un avaleur de fumée faisant également office d'ionisateur. Aujourd'hui le moindre mégot empuantit l'espace clos et je dois vider les cendriers au fur et à mesure pour ne pas me sentir oppressé. Nous ne sommes plus habitués. L'atmosphère du salon est moins confinée, mais Françoise fait des courants d'air à nous faire attraper la crève.


Après le dîner, Benoît nous fait écouter son nouvel album en quartet avec le trompettiste norvégien Arve Henriksen, le batteur Lars Juul et son vieux complice Steve Argüelles trafiquant les sons aux commandes du logiciel Usine et de son filtre Sherman. Ce Way Below the Surface des Poolplayers est coolissime, nous attirant vers les grands fonds où la pesanteur est un vague souvenir. Je me sens plus proche de la musique de Benoît quand il prépare son piano que lorsqu'il en joue "nature". Le Bösendorfer du studio de La Mise en Circuit sonne alors comme un orchestre. J'apprécie toujours son élégance et le raffinement de son jeu tout en nuances, plus varié et évidemment mieux mis en valeur sur son nouvel album solo, The Civitella Project, également produit chez Songlines.
Nous réécoutons aussi Machiavel sur lequel nous jouons tous les trois. Le disque d'Un Drame Musical Instantané a été enregistré en 1998. Déjà douze ans [24 aujourd'hui] ! Benoît figure au sampleur et au synthé sur le premier morceau Night Knight avec Bernard à la trompette, Steve à la batterie et Philippe Deschepper à la guitare. Je produis les nappes de cordes et introduis pour la première fois du Theremin dans un morceau. Il joue aussi sur L'aiguille creuse, toujours avec Bernard, mais cette fois je me sers d'un processeur vocal et DJ Nem scratche remarquablement ses platines. Le disque a beau rassembler des pièces que nous avons composées Bernard, Francis et moi de 1980 à 1982, des remix d'Agnès Desnos, Étienne Auger, Luigee Trademarq et Steve, un faux vieux morceau avec le trombone Yves Robert, le puzzling de 3/3 par 1/2 où nous avions découpé trois disques noirs du Drame en trois morceaux égaux comme les parts d'une tarte, puis recollé trois tiers différents ensemble sur la platine du tourne-disques, et mon préféré, Crimes parfaits, avec la radiophonie de centaines d'échantillons que l'on appellerait aujourd'hui "plunderphonics", l'album, très électro, est étonnamment homogène. Antoine Schmitt a réalisé l'adaptation pour Mac et PC de la partie CD-Rom de Machiavel qui ne tournait plus sur les nouvelles machines et qui [est] téléchargeable gratuitement sur le site Internet qui lui [est] dédié.

Article du 14 janvier 2010

jeudi 21 avril 2022

Dazibao(s) de Tusques


Livraison des CD Plumes et poils d'Un Drame Musical Instantané au Souffle Continu et réception des 2 LP Dazibao de François Tusques en piano solo. Lorsque j'étais gamin, j'embêtais chaque fois le pianiste en lui demandant pourquoi il n'enregistrait plus sur piano préparé comme sur son disque de 1977 publié au Chant du Monde qui m'avait enchanté, me faisant connaître cet instrument en même temps que Hamonia Mundi publiait les Sonates et interludes de John Cage sur sa collection économique Musique d'abord, mais qui dataient tout de même de trente ans plus tôt. Je découvrirai plus tard les pièces d'Henry Cowell composées au début du XXe siècle qui inspirèrent Cage, et la nouvelle génération française, Benoît Delbecq, Françoise Toullec, Sophie Agnel, Ève Risser, Roberto Negro, Thibault Walter, Loris Binot... qui insèrent des petits objets sur la table d'harmonie pour faire sonner le clavier comme un gamelan ou un orchestre de cordes et percussion. J'ai attendu tout ce temps-là. Et même encore un disque, puisque c'est seulement sur le second volume de ces Dazibao que je retrouve mon émotion de jeune homme.
Sur le premier, c'est le Tusques jazz et free, comme celui avec lequel notre vieux camarade commun Bernard Vitet fera son dernier concert. Militant maoïste, le pianiste bluesy donne à ses morceaux des titres longs comme le bras, avec le poing levé au bout. Il salue les frères d'armes de l'époque, Don Cherry, Sunny Murray, Clifford Thornton, la troupe du Chêne noir, Michel Le Bris et les 100 fleurs. Le second se rapproche des Black Panthers, comme sur la suite de l'album Répression de Colette Magny dont Tusques composa la musique. Mais le piano préparé lui fait prendre des libertés qu'il n'avait pas soupçonnées à l'origine. J'adore.
Au début des années 70 nous clamions, avec raison, que tout est politique. Cette notion s'est hélas un peu perdue. Pourtant le quotidien influe sur l'inspiration des artistes. Et Tusques de revendiquer avec justesse les contradictions inhérentes à son statut. La conscience qu'un artiste a du monde oriente sa manière de le traduire, au filtre de son analyse, de sa révolte et de son imagination. Les styles ne viennent pas de nulle part, ils réfléchissent l'environnement dans lequel ils ont été dessinés. Hier comme aujourd'hui, la musique est un miroir du monde, une poésie sans paroles qui dresse des constats, terribles et merveilleux, affligeants ou pleins d'espoir.

→ François Tusques, Piano Dazibao / Dazibao n°2, 2 LP Souffle Continu (rééditions du label Futura de 1970/1972), 23€ chaque ou 42€ les deux

mardi 5 avril 2022

Une vie Parallèles


Tandis que les années 70 étaient évoquées je me disais que ce voyage dans le passé de la Librairie Parallèles ne parlait qu'à ceux qui l'avaient connue alors, et puis comme se présentent les années 80 qui m'avaient échappé j'ai été happé par la suite et j'ai rectifié ma pensée. Bien au delà de l'aventure des librairies parallèles, c'est le rôle formidable des libraires, véritables passeurs, que la réalisatrice Xanaé Bove montre dans son documentaire Une vie Parallèles. Pas seulement ces chantres de l'underground, de la presse alternative, des fans de fanzines et de publications politiquement critiques, mais ce métier formidable qui tient souvent du défricheur et du conseiller, vous aiguillant en fonction de vos goûts, un rapport intime avec le lecteur qu'aucun site marchand ne remplacera jamais...
Je suis ému de reconnaître Pierre Scias qui tenait la Librairie Actualités rue Dauphine. J'y avais découvert L'Art vivant ou la première mouture d'Actuel, les journaux anglais It et Suck, les dessinateurs Crumb et Shelton ; nous y achetions le Parapluie d'Henri-Jean Enu où notre camarade Antoine Guerreiro avait fini par placer des dessins ou L'enragé dont je possède l'intégralité, mais surtout nous pouvions y discuter politique et musique, deux sujets qui commençaient à se fréquenter à la rentrée 68 quand on s'intéressait au rock et à la révolution. Philippe Bone, Christophe Bourseiller, Françoise Droulers, David Dufresne, Patrice Van Eersel, Henri-Jean Enu, Marsu, Daniel Paris-Clavel, Géant Vert et d'autres témoignent de la création de la Librairie Parallèles, rue Saint Honoré près du trou des Halles, et de son évolution, mais ce sont aussi ceux que j'ai croisés qui font remonter mes souvenirs : Gilles Yepremian rencontré au Lycée Claude Bernard, Philippe Thyiere qui avait pris le relais par ses conseils avisés, Thierry Delavau qui avait commandé Utopie standard à Un Drame Musical Instantané pour la compilation CD Passionnément du label V.I.S.A., Guillaume Dumora toujours de bon conseil au Monte-en-l'air lorsque je désire savoir ce que devient la bande dessinée... C'est pareil avec la musique. Dans la bande-son je retrouve Red Noise, Crium Delirium, Fille qui Mousse, etc., même si j'ai manqué la période punk avec les Béruriers Noirs.


Les anars sont très présents dans cette histoire, parce que leur dogmatisme est toujours individuel contrairement aux autres gauchistes affiliés à tel ou tel groupuscule, parce qu'ils sont sensibles au rock (et au free jazz même s'il n'est pas évoqué dans le film), parce qu'ils sont à la recherche d'une autre vie que celle que leur proposent leurs aînés, les premiers donc à s'intéresser à l'écologie, à la vie en communauté, à tout ce que l'on appelait alors alternatif. Internet a supplanté le Catalogue des Ressources, mais celles et ceux qui sont attaché/e/s à l'objet ne jurent que par le papier, le fait-main, les œuvres qui se créent dans les marges. Une forme de résistance qui laisse toute sa place à la passion, enflammée, inextinguible.

→ Xanaé Bove, Une vie Parallèles, DVD Capuseen, 15€

lundi 28 mars 2022

Jean-Jacques ?!


Jean-Jacques ? Hall 2 de la Gare de Lyon. Je réchauffe mon Akita Bento au micro-ondes du stand Ekiben quand Juliette Lemontey m'interpelle. Derrière son masque j'ai du mal à reconnaître l'artiste-peintre dont j'aime beaucoup les œuvres. Comme je lui dis que nous sommes en partance pour les Cévennes elle me demande si je vais voir Gila. J'en suis comme deux ronds de flan, car visiter notre ami sur Mars est à notre programme. Je n'avais pas eu le temps d'y atterrir lors de mon périple estival, or sa planète est à moins de dix minutes de Bez-Esparon, près du Vigan, où nous passerons dans une semaine...


Jean-Jacques ! Trois heures plus tard Gare de Nîmes. Nous cherchons à quelle sortie nous attend Pascale quand Françoise Degeorges apparaît, flanquée des musiciens qu'elle emmène Salle de l'Odéon. Je n'avais pas revu la productrice de Radio France depuis sa merveilleuse émission Ocora Couleurs du Monde qu'elle m'avait consacrée il y a exactement un an. Françoise nous invite le soir-même au concert organisé pour Norouz, fête du nouvel an persan. Les frères Jaberi venus d'Iran m'impressionnent, mais le chanteur ouzbek Ilyâs Arabov nous emporte littéralement.


Jean-Jacques ? Une semaine est passée. Centre d'art La Fenêtre à Montpellier. Un grand gars m'appelle à son tour. Celui que nous appelions le petit Martin au milieu des années 70 lorsqu'il était assistant à Radio France est devenu le réalisateur et compositeur Martin Meissonnier. Anne et Luc nous avaient proposé de les accompagner à l'exposition "Albert et sa fanfare poliorcétique" dans laquelle Martin avait joué de la guitare !


Les coïncidences se sont donc accumulées pendant ce voyage de dix jours où nous avons sillonné les Cévennes à la recherche de nature et d'air pur. Trois bonnes surprises qui m'ont ravi et auxquelles je ne m'attendais guère, en plus des autres amis que nous avions prévu de visiter cette fois. Nous avons donc commencé notre aventure en déjeunant chez Fred et Seb, la graphiste-rédactrice Fred Jarnot qui travaille avec ma compagne et l'artiste-illustrateur Seb Jarnot dont nous allons voir l'expo Synthética à la Galerie Negpos à Nîmes, puis à Montignargues où réside Pascale qui nous a guidé à La Baume et Anduze pour commencer. C'était absolument génial, mais j'y reviendrai, dans tous les sens du terme.
En attendant nous sommes sur le retour et je n'y comprends rien : je ne reconnais personne sur le quai, ni au départ, ni à l'arrivée...

mardi 22 février 2022

Jean-André Fieschi


À la mort de Jean-André Fieschi en 2009, j'avais écrit 3 articles, les 3, 4 et 17 juillet. Il avait été notre professeur d'histoire du cinéma et d'analyse de films à l'IDHEC pendant trois ans, puis j'étais devenu son assistant pendant les quatre années suivantes. Avec mon père et le compositeur-trompettiste Bernard Vitet, il fut l'un des trois initiateurs qui marquèrent ma vie.

JEAN-ANDRÉ FIESCHI, LE PASSEUR A REJOINT LE STYX


Je suis abasourdi. Il y a une heure, dans le taxi qui nous ramenait vers l'est, je discutais de la vie avec ma fille Elsa dont nous venions de fêter l'anniversaire de 24 ans. Beaucoup de tendresse, la responsabilité du passage d'un homme mûr à une jeune adulte, la part des choses... Le recul nécessaire pour comprendre qui l'on est en se retournant sur nos passés nous permet d'envisager l'avenir comme une suite d'aventures extraordinaires. Oui, beaucoup de tendresse pour celles et ceux qui nous ont formés, même si les maladresses constituent souvent collection. Ne sachant pas par quel bout le prendre, je ne réaliserai l'annonce qu'après avoir dormi un peu. Le message de Jean-Patrick Lebel et Christiane Lack anticipe l'orage qui s'annonce et me foudroie : "Cher Jean-Jacques, pardon pour la brutalité de cette très triste nouvelle. Jean-André Fieschi, qui était au Brésil avec Émile Breton, Michel Marie et d'autres, est mort brusquement hier au moment de son intervention dans un colloque sur Jean Rouch. Nous sommes dans l'affliction et t'embrassons fort."
J'aurais pu titrer tout aussi bien "La mort d'un maître" et il fut le mien. Jean-André était mon troisième père, après mon géniteur dont le regard posé sur moi ne me quitte pas et Frank Zappa qui initia mon récit. Il est terrible de penser que Bernard Vitet [décédé en 2013] dont la santé m'inquiète depuis plusieurs mois est le dernier survivant de cette bande des quatre. J'ai rencontré Jean-André lorsque j'avais 18 ans, jeune étudiant en première année de l'Idhec. Responsable de l'analyse de films, il nous initia au cinématographe dans ce qu'il a de plus beau, de plus intelligent, de plus magique surtout. J'évoquai longuement les merveilleuses années passées en sa compagnie dans mon billet intitulé "Remember My Forgotten Man". Je le prenais pour un génie, un génie suicidaire encombré par tant de mémoire et d'intuition, par ses trésors cachés acquis souvent dans des circonstances mystérieuses, ses silences qui nous auraient fait perdre patience si notre dette n'était inextinguible. Le cinéaste et critique était un passeur. Tous ceux et celles qu'il forma en gardent un souvenir indescriptible. En exergue de ses Nouveaux Mystères de New York il avait inscrit cette phrase de [Freud qu'il attribuait à] Paracelse : "Je vous apporte la peste, moi je ne crains rien, je l'ai déjà." Sa reconnaissance publique n'a jamais été à la hauteur de son enseignement, car la plupart de ce qu'il nous transmettait passait par l'oral et par les documents qu'il sortait comme des lapins ou des colombes de son chapeau-claque. Il avait connu les plus grands et savait leur rendre hommage. J'eus la chance de partager plus d'une tranche du gâteau pendant mes années de formation. L'entendre au sens où Jean Renoir les préférait à toute tranche de vie.
Comme je ne sais pas où trouver une photo de lui dans mes archives, je fais une capture écran de son rôle en Professeur Heckell dans Alphaville, derrière, à droite d'Eddy Constantine, Jean-Louis Comolli et Laszlo Szabo. Et j'appelle Elsa parce que, s'il m'arrive de donner des leçons, des conférences ou des conseils, c'est pour que ne s'éteigne jamais sa lumière. Les pierres précieuses dont il me fit cadeau et qui me brûlent les doigts m'aident à vivre depuis, sans discontinuité. JAF avait 67 ans. Je pense à ses trois enfants en entendant la voix de la mienne et je trouve enfin mes larmes.
Tu as rejoint la cohorte des fantômes qui ont peuplé ta vie. Mourir au Brésil, c'est bien un tour à ta façon. Si tu pouvais partager cet ultime rebondissement tu en rigolerais bien.

FILMOGRAPHIE DE JEAN-ANDRÉ FIESCHI


L'héritage intellectuel de JAF fut si considérable que sa mort génère en moi un sentiment d'usurpation. Je n'y étais pas préparé. Cherchant à honorer ce que j'appelais ma "dette inextinguible" je plonge dans mes archives et compile une biographie curieusement absente du Web. Je retrouve des projets, des lettres, des articles, des entretiens, des films, des images dont cette photo que j'ai prise dans les années 70... Une biographie au carbone qu'il avait rédigée au début de notre collaboration sur Les nouveaux mystères de New York (1976-1981) nous donne de précieuses informations, quand j'aimerais reproduire certains de ses écrits, toujours remarquables.

Jean-André Fieschi
(5 mai 1942, Ajaccio, Corsica - 1er juillet 2009, São Paulo, Brésil)

1949 : Vision de Bambi au Rio Opéra.
1961 : Les Cahiers du Cinéma, époque Rohmer.
1963 : Réalisation, à Barcelone, de Cuixart, pour la Galerie Metras.
64/68 : Cahiers du Cinéma, époque Rivette. Secrétariat de rédaction de la revue, articles, entretiens, rencontres (Renoir, Bunuel, Sternberg, Rossellini, Pagnol, Visconti, Straub).
1966 : En plus des CdC, chronique hebdomadaire au Nouvel-Observateur.
Réalisation de L'accompagnement, écrit en collaboration avec Claude Ollier et Maurice Roche, et traversé par les mêmes + Edith Scob, Marcelin Pleynet, André Téchiné. Montage : Jean Eustache. Partition sonore : Michel Fano. Le film était dédié à Julio Cortazar, Prime du CNC (60 000F), ventes aux USA, Canada
(ligne illisible dûe à la pliure)
65/68 : Fonde et dirige avec Noël Burch, l'IFC (Institut de Formation Cinématographique), atelier un peu utopique où furent chargés de cours, de recherches ou de travaux pratiques W.Borowczyk, Marguerite Duras, Michel Fano, Jean-Luc Godard, Pierre Guyotat, Marcel Hanoun, André Hodeir, Robert Lapoujade, Christian Metz, Claude Ollier, Alain Resnais, Jean Ricardou, Jacques Rivette, Jean Rouch, Alain Robbe-Grillet, rien que du beau monde.
66/68 : Réalisation, dans la série (défunte) de Janine Bazin et André S.Labarthe "Cinéastes de notre temps" de :
Pasolini l'Enragé (1h40)...
Domaine italien 2 : Bertolucci (on pouvait avoir des excuses à ce moment-là), De Bosio, Bellochio ?
La Première Vague (Delluc, Dulac, Epstein, Young Mr L'Herbier), travail de recherche de montage, de teintage, et d'archivage de ce qui pouvait encore être archivé.(coréal: Noël Burch)
M.L'Herbier : une re-vision, réévaluation de l'œuvre muette de M.L'H.
Également, participation aux émissions sur Bunuel et Sternberg.
68/69 : Chronique régulière à "La Quinzaine Littéraire".
69/70 : Chargé de cours à Paris I (Histoire du cinéma).
Co-auteur, avec Claude Ollier, de textes radiophoniques, La Fugue et Cinématographe, dans le cadre de l'A.C.R. (Atelier de Création Radiophonique).
70/71 : Pratique intensive du cinéma d'intervention directe (film réalisés pour les municipalités d'Argenteuil, Bobigny, Sartrouville, pour la Confédération Génbérale du Travail, pour le Théâtre des Amadiers à Nanterre, etc.
L'histoire vivante, sur la mémoire du mouvement ouvrier, starring Jacques Duclos, vainqueur d'un cendrier de cristal (rose) au Fesrtival de Leipzig de l'année suivante. (coréal: Bernard Eisenschitz)
71/73 : Enseignement à l'IDHEC (Histoire du cinéma, travail sur le montage, direction de tournages).
Pratique de la vidéo d'animation, dans les entreprises de la Seine St Denis.
Participe à la rédaction d'une encyclopédie monumentale du Cinéma, dirigée par Richard Roud, en cours de publication à Londres et New York simultanément.
Textes sur Bunuel, Epstein, Hitchcock, Murnau, Rivette, Rouch, Sennett, Straub, Tati, Vertov.
73/75 : Directeur de production à Unicité (films, vidéos, disques, journaux muraux, etc.). Étude sur des terrains très diversifiés (entreprises, quartiers, municipalités, régions, etc.) des différents supports audiovisuels et de leus spécificités. Enquêtes, voyages.
Auteur d'émissions de télévision, dans la série (défunte) de Monique Assouline "Grand Écran" : Le film noir américain et Jean Renoir (Réal: Charles Bitsch), L'enfant et ses images (R: Pierre Beuchot). Également : Il était une fois la Comédie musicale (R: Raoul Sangla).
Parallèlement, découverte, expérimentation et pratique intensive de la Paluche, écriture de scénarii (pour Bernard Stora, Eduardo de Gregorio), interventions dans les pages "spectacles" du "Monde", réalisation d'une émission (FM) sur la musique traditionnelle corse, ainsi qu'un disque sur le même sujet.
1976 : Paluche encore, naissance d'un projet tout à fait spécial, double travail concernant le projet lui-même et les moyens de le faire aboutir.


Complétons imparfaitement avec la filmographie publiée lors de sa rétrospective à la Galerie du Jeu de Paume en 1999 :
Permanencia del Barroco (1963)
Théâtre (1980), coréal. Jean-Pierre Mabille, avec Françoise Lebrun, Dominique Labourier, Jean-François Stévenin, Maurice Garrel, Jean-Claude Dreyfus, Jacques Lassalle
Bande Eustache (Jean qui pleure, Jean qui rit) (1982)
L'horreur de la lumière (1982, vidéo-paluche), 25', image-montage : JAF, avec Georges Didi Huberman
Les Monts Oural (1982, 5'), image-montage : JAF, avec Pascale Murtin et François Hiffler (Grand Magasin)
Les Dogons et Chamber Music (1983)
Baby Sitter (1984, 13') avec Anouk Grinberg
Un enfant au sommeil agité (1985, vidéo-paluche/UMT, 13') avec Grand Magasin
Le tueur assis (1985, 60'), scénario-dialogues JAF et Jean Echenoz d'après Patrick Manchette, avec Jean-Pierre Léaud, Roland Amstutz, Caroline Chaniolleau, Jean Dautremay, Michel Delahaye, David Gabison, Yann Collette, Hugues Massignat, Catherine Laulhère
Lettre à une jeune comédienne (40 ans d'Avignon : les acteurs) (1987, 26') avec Maria Casarès, Alain Cuny, Ludmila Mikaël, Gérard Desarthe, Maurice Bénichou
L'idée perdue (1988, 21'), texte Jean Paulhan, avec Anouk Grinberg
Portrait imaginaire d'Alain Cuny (1988, 120') - 1re partie Le savon noir, 2e partie La jeune fille Violaine, image Jacques Bouquin et JAF, montage JAF, avec Alain Cuny, Anouk Grinberg
Chloé, bonne à Rome (1988, 5') avec Grand Magasin
Tommaso Landolfi (1986, 27'), image Luc Pagès et JAF, montage JAF, avec Olimpia Carlisi, Idolina Landolfi
Joë Bousquet (1990, 27'), id., avec Hélène Alexandridis et la voix du Poisson d'or
Pasolini l'enragé (1966-1993, 65'), image Georges Lendi, avec Pier Paolo Pasolini, Franco Citti, Sergio Citti, Ninetto Davoli (photo ci-dessus)
Ramentevoir (1993, installation, Centre Pompidou, "Manifestes")
Que faire ? (bis) (1994, 59'), image/son/montage JAF, entretiens Jacques de Bonis, musique Jean Wiener, avec Jean Burles, Yves Clot
Ninetto le messager (1995, 28'), image Maurice Perrimond, montage Danielle Anezin, avec Ninetto Davoli
Le Talisman (1996, 4')
L'illusion (1997, 60') autour de L'illusion comique de Pierre Corneille montée par Jean-Marie Villégier, image JAF, montage Danielle Anezin
CinéMuse (1997, 13') avec Christine Hoffet
Mosso Mosso (Jean Rouch comme si...) (1998, 73'), image JAF et Gilberto Azevedo, Montage Danielle Anezin, avec Damouré Zika, Tallou Mouzourane, Hamidou Godye... et Jean Rouch
Le Commencement des lions (1998, 4') avec Martha Fieschi
Kaydia (Nouvelles impressions d'Afrique) (1998)
Le jeu des voyages (1987-2004, 20 heures!)
La fabrique du "Conte d'été" (2005, 90'), coréal. Françoise Etchegaray

LE TRAVAIL DU DEUIL


On est comme à la campagne. Le cimetière de Charonne jouxte l'église Saint-Germain-de-Charonne qui servit de décor à la scène finale des Tontons flingueurs. C'est dire si la cérémonie commençait bien. Les vieux amis ressemblaient à des boulistes ayant raté l'heure de la sieste. Sous un soleil brûlant aux effluves presque corses, les oraisons prononcées en hommage à Jean-André Fieschi en dressèrent un portrait fabuleux et varié, certains avec énormément d'émotion, d'autres plein d'humour, les plus proches se laissant aller à quelques piques pleines de tendresse. Ainsi sa compagne Françoise Risterucci, Émile Breton, Christiane Lack, Jean-Patrick Lebel, Michel Vinaver et d'autres se succèdent au micro, mais ce sont certainement les témoignages de ses enfants, Marthe et Simon, qui sont les plus poignants et les plus fidèles. J'espérais retrouver certains visages, j'en découvre d'autres, je n'en avais oublié aucun. Une chanson corse et la trompette de Miles Davis accompagnent les derniers adieux. En guise de faire-part, la famille a mis à disposition des cartes postales figurant Jean-André à différentes époques de sa vie. Il a toujours adoré les images. J'en choisis une où l'on voit bien qu'il pouvait ne pas être toujours commode !
Lorsque ce fut mon tour je bégayai quelques mots à la mémoire de mon ami :
Cher Jean-André, je n'aurais jamais imaginé me retrouver dans ces circonstances.
Nous avons arpenté ensemble maints cimetières en lieux de promenade et de mémoire, de Venise sur l'île San Michele où nous étions venus porter des fleurs à la demande d'un ami sur la tombe de Stravinsky aux côtés duquel reposait Diaghilev jusqu'au Père Lachaise où tu voulais me montrer celle de Pierre Zucca. Un après-midi comme celui-ci, tu m'avais amené ici-même et tu m'avais indiqué celle de l'infâme Brasilach qui n'était pourtant pas ta tasse de thé bien qu'il ait écrit une célèbre histoire du cinéma.
Ce cimetière de Charonne, nous devrions le rebaptiser cimetière de Charon en hommage à tes qualités de passeur. Je parlais de toi en t'appelant "mon Maître", car lorsque j'étais jeune homme, tu m'appris la moitié de ce que je sais et me donna la méthode pour acquérir le reste. Je disais aussi que ma dette était inextinguible et ton dernier coup de théâtre ne me facilite pas la tâche. Tu tenais toi-même ce pouvoir initiatique de Claude Ollier. Aussi, pour que ta flamme ne s'éteigne jamais, il nous reste à continuer à transmettre ce que tu nous a légué, une appréhension aussi magique que matérialiste de notre monde.
On ne réveille pas un somnambule qui marche au bord du toit. Dors bien et continue à nous faire rêver.

mercredi 26 janvier 2022

Ça qui est merveilleux


En cette période sinistre où nos mines sont aussi grises que le ciel, l'humour est salvateur. Lorsqu'il est servi sur un plateau aux traits incisifs et couleurs chatoyantes de la graphiste Trax, on saute dessus toutes oreilles jointes, histoire de fuir le tunnel viral. Pourtant il n'y a rien de plus actuel que les préoccupations de la chanteuse Dominique Fonfrède dans ses phrases sensiques, émotionnelles ou absurdes, la bouche pleine de borborygmes et d'onomatopées. Ça dévore. Idem pour le piano préparé de Françoise Toullec. Id (ça en latin) aime. Ça aime, Ça qui est merveilleux. Dans la langue de Beckett qui inspire cette fois encore le duo, après Dramaticules, leur premier disque, ça se dit Oh this is a happy day. Ça sort de Oh les beaux jours !, une pièce de théâtre tragi-comique où Winnie est enterrée jusqu'au cou et s'enfonce peu à peu. Ça est à l'origine des choses que nous sommes. Qu'on nous sonne, le diable est dans les détails et les deux musiciennes y plongent corps et âme. Dans la harpe du piano, dans les petits riens du quotidien, plus dingue que le réel. Telles leurs cordes, si bien préparées que les deux filles peuvent se laisser glisser à l'improvisation comme ça leur chante. Il faut les voir aussi en concert ! Mais ici l'image est inscrite sur la galette. Fonfrède textualise, Toullec compose, et nous, nous compostualisons sur le chemin qui mène à la folie du monde. Y a de quoi rire ! Jaune, fou, éclaté. Merveilleux, sans aucun doute. Ah Ça oui !

→ Dominique Fonfrède & Françoise Toullec, Ça qui est merveilleux, CD GRRR, dist. Orkhêstra

vendredi 14 janvier 2022

Neuf articles avec Agnès Varda

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UNE LEÇON DE JEUNESSE
20 juin 2006


Agnès Varda s'expose à la Fondation Cartier à Paris [...]. La cinéaste qui inaugura la Nouvelle Vague avec La pointe courte (1954) et Cléo de 5 à 7 (1961), avant la bande de garçons des Cahiers du Cinéma, est célèbre pour ses films L'une chante l'autre pas, Sans toit ni loi, Jacquot de Nantes (sur son mari Jacques Demy), Les glaneurs et la glaneuse et nombreux courts-métrages.
L'année dernière, nous avions déjà admiré le travail de cette jeune femme de 78 ans à la Galerie Martine Aboucaya où elle présentait Le triptique de Noirmoutier jouant sur le hors champ par un amusant coulissement de persiennes, et surtout Les veuves de Noirmoutier, où 14 écrans entourent un quinzième central. En face, sont installées 14 chaises avec 14 casques audio. À chaque chaise et casque correspond le son de l'une des séquences, les chaises dessinant en miroir le même damier que l'ensemble des séquences projetées. L'image composite reste la même, mais le son change. À soi de retrouver la veuve à qui il appartient... L'une d'entre elles est évidemment l'auteur. Ces deux installations sont présentées au sous-sol avec trois autres, celles-ci conçues, comme celles du rez-de-chaussée, à l'occasion de cette exposition dont le thème est l'île de Noirmoutier où la cinéaste possède une propriété. En 2005, Agnès Varda recevait ses amis déguisée en patate (sic), clin d'œil à ses premiers pas d'artiste plasticienne à la Biennale de Venise en 2003 où elle avait présenté Patatutopia et à sa taille, haute comme trois pommes (de terre) !
Au rez-de-chaussée de l'immeuble dessiné par Jean Nouvel, sont installées trois œuvres. Ping Pong Tong et Camping est un petit film de plage en boucle, projeté sur un matelas gonflable, avec en alternance le percussionniste Bernard Lubat qui tapote bombardé de balles de ping pong ou le BACHotron de Roland Moreno, le génial inventeur de la carte à puces (aussi allumé que le fut Einstein dans sa vie quotidienne, voyez son site si vous pouvez en croire vos oreilles !). Seaux, raquettes, pelles en plastique aux couleurs vives, encadrent l'écran, et sur le côté, une autre boucle vidéo montre des tongs encore plus fantaisistes que celles accrochées tout en haut. C'est gai, ludique et charmant. Dans La cabane aux portraits sont accrochés d'un côté 30 hommes et de l'autre 30 femmes ; c'est plus sévère, sauf si les cartes se mélangent quand la nuit tombe et que la Fondation ferme ses portes ? N'oublions pas qu'Agnès Varda commença au théâtre comme photographe de plateau, en particulier en Avignon avec Jean Vilar ! Dans le catalogue de l'exposition ressemblant à un très beau livre pour enfants et particulièrement réussi, elle fait appel au décorateur de l'expo, Christophe Vallaux, pour ses dessins (voir ci-dessus). Ma cabane de l'échec est une serre dont les murs sont constitués des chutes de pellicule du film Les créatures, déjà tourné dans l'île, flop de l'année 1966 avec Catherine Deneuve et Michel Piccoli, dont on ne peut voir que les images anamorphosées pendant le long des murs ou un extrait, plus loin, sur une vieille table de montage...

Au sous-sol, Le passage du Gois simule la route submersible qui relie l'île au continent, une barrière automatique scande les marées, empêchant ou laissant passer les visiteurs. Le Tombeau de Zgougou est représenté par un tumulus sur lequel est projeté un petit film d'animation avec des coquillages. On connaissait déjà l'Hommage à Zgougou, bonus du film Les glaneurs et la glaneuse, mais ce dernier épisode est si tendre qu'on pense encore à un rituel pour atténuer la douleur des enfants. Ceux d'Agnès, Mathieu et Rosalie, sont grands, mais elle tient très bien sa place de grand-mère gâteau. Enfin, près d'un tas de sel, les fenêtres de La grande carte postale ou Souvenir de Noirmoutier s'ouvrent sur cinq petites scénettes cinématographiques : la main de Demy malade sur le sable, des enfants farceurs montrent leurs fesses, des oiseaux mazoutés agonisent, est-ce un noyé qui flotte entre deux eaux ?
Le site de la Fondation Cartier est très bien fait, beaucoup d'informations et d'images sur L'île et Elle, si ce n'est une insupportable (par sa répétitivité) boucle de percussion du camarade Lubat. La conception sonore du site n'est vraiment pas à la hauteur du reste, mais on a hélas si souvent l'habitude de couper le son sur Internet, n'est-ce pas ?
On peut être étonnés que ce soit deux cinéastes dont la carte vermeille commence à s'effacer qui réalisent parmi ce qui se fait de plus intéressant et de plus émouvant dans le domaine des nouvelles technologies, et ce de manière totalement artisannale. Je pense aux films de Chris Marker et à son CD-Rom "Immemory'', comme à Agnès Varda dont les boni sont amoureusement composés pour accompagner la réédition de ses films ou ceux de son mari, le très regretté Jacques Demy, et ici l'amorce d'une nouvelle carrière d'artiste plasticienne à bientôt 80 ans ! Car ce n'est pas la prouesse technique qui fait sens, mais le regard que ces deux amoureux des chats portent sur le monde, et sur ces formes d'expression modernes leur offrant de nouveaux champs d'expérimentation, terrain de jeu où se mêlent ici une véritable tendresse et la plus grande fantaisie.

LES JUSTES
22 janvier 2007


Si vous habitez Paris, allez au Panthéon voir la formidable installation artistique de la juvénile Agnès Varda sur les Justes ! L'entrée est gratuite. C'est aussi une occasion de visiter le monument qui d'habitude est d'une froideur absolue et d'un kitsch achevé.
La réalisatrice Agnès Varda accomplit là un miracle. Comment rendre hommage aux Français et Françaises qui, pendant la seconde guerre mondiale, ont pris le risque de cacher des Juifs, désobéissant aux Nazis et au régime de Vichy ? Des citadins ont été sauvés par des paysans. Des enfants eurent la vie sauve grâce au courage de ces hommes et de ces femmes dont les photographies occupent le centre de la nef. Certains ont été arrêtés et déportés à leur tour. À la fin de la projection, des spectateurs ne peuvent s'empêcher de laisser couler une larme. Agnès Varda réussit l'exploit de réaliser une œuvre contemporaine qui s'adresse au plus grand nombre.
Quatre écrans encerclent les cadres photographiques. Deux films sont projetés deux par deux sur des murs de pierre reconstitués et dressés pour masquer les quatre habituelles statues ringardes. Le premier est tourné en noir et blanc comme un document d'époque ; le second, en couleurs, est une évocation dramatique. Les deux films, aux plans très semblables, sont synchrones, le temps de neuf minutes d'un montage magiquement rythmé, sonorisé par les bruits du drame, par une berceuse yiddish et un violon alto l'imitant en tournant autour du sol. La fiction et le documentaire se rejoignent dans notre imaginaire. Paradoxalement, Agnès Varda a cherché des visages de Justes qui ressemblent à ses acteurs. Elle joue de toutes les dialectiques pour atteindre l'émotion juste. On peut marcher autour de l'installation, rester figé devant le spectacle de la résistance, laisser ses yeux errer d'un écran à l'autre, il est impossible de perdre le fil de la narration.
Au fond, sur un cinquième écran, est projetée l'image d'un arbre. La nature entre au Panthéon. Grâce soit rendue également à la cinéaste qui réussit à inverser la proportion de femmes dans ce mausolée des grands hommes. Sous la coupole, on peut voir sur leurs beaux visages combien elles furent aussi à résister à l'occupant et à la collaboration... Agnès Varda nous avait ravis avec ses installations ludiques à la galerie Martine Aboucaya ou à la Fondation Cartier, elle nous pousse ici à réfléchir au-delà de ce qui est montré.


L'installation a été inaugurée sous la coupole par le Président de la République, le 18 janvier, date anniversaire de la libération d'Auschwitz par l'Armée Rouge. Dans ce camp, mon grand-père est mort asphyxié sous une douche de gaz Zyklon B. Pourtant, je ne peux m'empêcher de penser que cette cérémonie est une manœuvre de la droite au pouvoir pour récolter les votes de la communauté juive aux prochaines élections. Tandis que l'on célèbre justement ces "Justes parmi les Nations", où se cachent celles et ceux de notre actualité ? N'y-t-il pas quelque cynisme à célébrer ces Justes d'hier tandis que des enfants sont extirpés aujourd'hui de leurs classes pour être expulsés vers leur pays où parfois les attend le pire ? Ceux et celles qui les cachent en cet instant ne risquent certainement pas la mort. Les camps n'existent plus, pensez-vous. Rappelez-vous les derniers mots de Jean Cayrol à la fin du film d'Alain Resnais, Nuit et brouillard
''Qui de nous veille dans cet étrange observatoire pour nous avertir de la venue de nouveaux bourreaux ? Ont-ils vraiment un autre visage que le nôtre ?
Quelque part, parmi nous, il y a des kapos chanceux, des chefs récupérés, des dénonciateurs inconnus.
Il y a tous ceux qui n'y croyaient pas, ou seulement de temps en temps.
Et il y a nous qui regardons sincèrement ces ruines comme si le vieux monstre concentrationnaire était mort sous les décombres, qui feignons de reprendre espoir devant cette image qui s'éloigne, comme si on guérissait de la peste concentrationnaire, nous qui feignons de croire que tout cela est d'un seul temps et d'un seul pays, et qui ne pensons pas à regarder autour de nous, et qui n'entendons pas qu'on crie sans fin.''
Heureusement il y a des Justes... Mais ce ne sont pas toujours les mêmes.

Agnès Varda, à la lecture du billet, nous donne la primeur de la bonne nouvelle :
Vu les 27 OOO visiteurs , “ils” ont décidé la prolongation. Donc installation en place juska dimanche 28 - 17 heures, et fermeture à 18h. Je l’ ai appris en allant organiser le repliage des photos ce soir... Salut et amitié.

LA PETITE DAME EST UNE GRANDE
23 décembre 2007


[...] je souhaite vous parler d'Agnès Varda et de son double-dvd Tous Courts. J'ai beau connaître et apprécier ses longs métrages, j'ai réalisé la dimension de son travail à la projection de l'ensemble de ses courts publiés intégralement par sa maison de production, Ciné-Tamaris. Je voulais les avoir tous vus avant de les chroniquer, mais le coffret est si copieux (6 heures) qu'il n'est pas prudent d'attendre plus longtemps pour vous les conseiller.
L'invention et la fantaisie d'Agnès Varda, sans cesse renouvelées, en font l'égal de Jean-Luc Godard ou de Chris Marker. D'ailleurs, les critiques oublient trop souvent qu'elle réalisa en 1954 le premier film de la Nouvelle Vague, intitulé La pointe courte, bien avant tous les autres. Seulement Agnès Varda est une femme, ce qui fait tâche dans le monde de machos du cinématographe. La plupart des cinéastes de la Nouvelle Vague ont simplement poussé leurs aînés vers la sortie pour prendre, vite assagis, leur place encore chaude en s'engouffrant dans un nouveau clacissisme qui n'avait pas même l'élégance des anciens. Varda, elle, n'a jamais cessé d'inventer et de bouleverser les usages. Son compagnonnage avec son mari, le sublime et lyrique Jacques Demy, permit aux imbéciles de la reléguer au second plan. Demy lui-même n'a pas encore la renommée qu'il mérite, auteur aussi politique que sensible.
Varda commence donc par garder les enfants de Jean Vilar et deviendra la photographe officielle du Festival d'Avignon. Elle passe ensuite au cinéma et ces dernières années elle se lance dans l'art contemporain avec des installations multimédia parmi les rares à produire du sens et à porter la marque d'un auteur. Seuls Godard et Marker ont garder cette ferveur, remettant leur titre en jeu, travaillant sans relâche, explorant les nouveaux supports (télévision, expositions, CD-Roms...). Sachant manier le verbe comme Perec, Agnès Varda est une artiste complète et une productrice hors pair. Les petites variations qui introduisent chaque court métrage sont d'une grande intelligence critique et d'une simplicité qui parlera à chacun. Ses "boni" et l'interface sont soignés comme seuls les indépendants prennent le temps de le faire. Un luxe d'artisan pour une œuvre d'art !
Éternelle jeunesse... La cinéaste octogénaire a conservé la vivacité de ses débuts. Inventif, précis, copieux, drôle, fascinant, Tous Courts est chapitré en Courts touristiques, Cinevardaphoto, Courts « contestataires » et « parisiens », sans compter l’essai 7 P., cuis., s. de b. plus quatorze mini-films de la série Une minute pour une image dont elle a écrit et dit le commentaire. Chacun des 16 films est une surprise, un rayon de soleil, un éclat de lumière. Je découvre l'euphorique Oncle Yanco et le poétique Ulysse, mais je n'ai pas encore tout vu ni tout entendu. Sa Réponse de femmes réfléchit une époque fameuse où les filles affirmaient leur pouvoir. Celui d'Agnès Varda est celui de l'imagination. Que rêver de mieux ?

CE TEMPS DE LATENCE
4 mars 2008


J'ai souvent envie de changer d'appareil-photo. Mon vieux CoolPix a l'avantage d'avoir un viseur rotatif me permettant de faire des photos sans me faire repérer. Je peux viser sans mettre l'œil en tenant l'appareil sur mon ventre ou prendre des images en plongée en le tendant au-dessus de ma tête. Mais le délai d'une seconde entre le moment où j'appuie et le déclenchement m'interdit de faire des instantanés. C'est très frustrant pour les portraits que j'aime prendre dans le feu de l'action. Je me fiche de la définition, puisqu'il s'agit la plupart du temps d'illustrer les billets de mon blog. Les cinq millions de pixels suffisent généralement à tous les documents imprimés. [...]
J'ai une idée derrière la tête depuis un moment déjà. Je voudrais tirer le portrait des personnes que je rencontre, jour après jour. Cela me plairait. Nous en avons discuté avec Agnès Varda lorsqu'elle est passée à la maison, un dimanche où je travaillais avec Franck. Il n'y avait pas beaucoup de lumière, mais cela ne l'a pas empêchée de l'encadrer sur le canapé. Agnès a commencé comme photographe, elle a couvert le Festival d'Avignon à l'époque de Jean Vilar. J'aime beaucoup l'écouter lorsqu'elle parle de ses projets ou qu'elle évoque Jacques Demy. Je ne sais pas si je réussirai à faire cette série de portraits, parce que chaque fois que je décide de m'y mettre, j'oublie de le faire, et je m'en aperçois seulement quand la personne est partie. Je me rends compte que dans les arcanes de ma mémoire, c'est ce qui me manque. J'ai plus souvent conservé les voix, les écrits, mais rarement les figures. Ce dimanche-là, j'ai commencé avec Franck en copiant Agnès. Mais j'avais déjà oublié le lendemain. [...] Il faut que je trouve un moyen de me discipliner ou peut-être ne m'y résoudrai-je jamais ? Est-ce de la timidité, le besoin d'être bien là, une fausse bonne idée ? Temps différé ou temps de latence ? Celui de voir ou celui de revoir ?

SES 80 BALAIS
31 mai 2008


Elle les a même eu hier soir, et c'est le fils de 16 ans du scénographe Christophe Vallaux qui a eu l'idée de demander aux amis d'Agnès de venir chacun chacune avec un balai pour en faire un bouquet d'anniversaire. La photo prise devant sa porte, sur le trottoir de la rue Daguerre, montre l'octogénaire du jour, toujours aussi pimpante, étreignant celui que Françoise a customisé en le bombant de rose fluo, d'orange sanguine et d'or. J'y ai noué un petit cadeau et Yolande Moreau a réussi à raccrocher le pompon fuschia qui s'était décollé du manche. Les deux nôtres détonent au milieu de la rutilance de l'ensemble. Les seuls à avoir servi, ils possèdent une histoire, atterrissant chez Agnès après de très nombreuses heures de vol. Au milieu de la foule des amis, j'en retrouve deux qui me touchent particulièrement.
La première est Luce Vigo qui me rappelle que je fus le premier à mettre en musique À propos de Nice, le film muet de son père, le cinéaste Jean Vigo. C'est aussi le premier ciné-concert que le Drame créa, c'était en 1976. Vingt-cinq autres chefs d'œuvre cinématographiques suivront, qui nous firent faire le tour du monde. Nous abandonnâmes lorsque le genre devint une mode, lassés peut-être aussi de rester trop longtemps dans la fosse d'orchestre ou derrière l'écran. La dernière fois que j'avais été en contact avec Luce, c'était pour l'annuaire des anciens élèves de l'Idhec qu'elle aura mis trois ans au lieu de trois mois à rassembler.
Le second est un autre vieux monsieur dont j'ai toujours aimé le travail. Un des tableaux de Jacques Monory illustrait la pochette de Carnage, le dernier 33 tours d'Un Drame Musical Instantané. Plus tard, l'Ekta "Technicolor" d'une toile détruite nous servit de carte postale. Enfin, nous composâmes la musique du film que la vidéaste Dominique Belloir réalisa sur ses toiles pour la Cité des Sciences et de l'Industrie et qui accompagne, je crois, encore le public qui fait la queue devant le Planétarium. Monory, un sourire toujours aussi charmeur, me parle de la vanité du monde qui ne cesse de croître, un monde stupide et terrible auquel il continue paradoxalement de s'accrocher. N'est-ce que de la curiosité ? Un jour où nous parlions de ses monochromes bleus, il me confia : "la nature m'écœure !". Je pensai bizarrement à Varèse dont le titre Déserts est souvent compris de travers.
Si, au détour d'un couloir, une pancarte clame "J'ai mal partout", en voilà trois qui n'ont pas de quoi se plaindre. La vie est belle, à condition de s'exprimer dans la résistance et le partage. Hier soir, Agnès rayonnait.

LES PLAGES D'AGNÈS
17 décembre 2008


Ce jour-là sortait Les plages d'Agnès, autoportrait d'Agnès Varda qui feint de se peindre à reculons alors que la "grand-mère de la nouvelle vague" volète parmi ses souvenirs avec toujours autant d'humour, d'intelligence et d'émotion comme elle le fit le long de 33 longs et courts-métrages, après avoir été photographe, avant de se plonger dans le bain de ses installations contemporaines... Mais là ce sont des plages, comme celles d'un disque, ou bien les pages d'un livre qu'on tourne, jeux de mots survolés à tire d'ailes, jeux de plage qu'on partage avec ses enfants et petits enfants, pas seulement la famille, mais aussi celles qu'elles a influencées, ceux qu'elles a croisés. Jacques Demy est évidemment présent partout, mais lors de la projection au Cinéma des Cinéastes je fus particulièrement ému par son évocation de Jean Vilar et de tous les comédiens disparus, comme plus tard Delphine Seyrig... Les deux bandes-annonces résument bien la boule à facettes qui fait tourner sa tête couronnée : à la fois coquète et drôle, elle a laissé pousser ses cheveux teints en conservant une calotte grise sur le dessus de son crâne !


À la fin du film, la cinéaste interrompt le générique pour ajouter quelques plans "volés aux copains". C'est la séquence de ses 80 balais et là, sur l'écran, je me vois au milieu de la fête. À la sortie, Agnès me dit "Tu as vu, on ne voit que toi !". Trop mignonne ! Moi, je m'étais laissé porter par les vagues, par les jeux de miroirs sur la plage du Nord, par la beauté de Sète, par le sable sous les pavés de la rue Daguerre, par les retrouvailles à Venice et Santa Monica, par les embruns de Noirmoutier, avec une irrésistible envie de découvrir les quelques films que je ne connais pas encore...

IMAGO
5 juin 2009

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Voilà déjà un an que 80 balais ont salué la naissance de l'artiste. Si Agnès Varda est un bourreau de travail, elle a appris à prendre son temps, profitant des fleurs de son jardin en forme de couloir rue Daguerre. À l'heure du thé elle s'endort régulièrement pour récupérer de ses longues journées de labeur. Sa vivacité, son intérêt pour les nouvelles technologies et son enthousiasme sont rafraîchissants. Tandis qu'elle prépare l'édition DVD des Plages d'Agnès, elle œuvre déjà à une nouvelle installation pour la Biennale de Lyon. Elle nous raconte le tournage sur la Seine à bord du voilier qu'il a fallu transporter depuis Sète, la douzaine d'autorisations nécessaires, le vent, la lumière, les bateaux-mouches, les horaires impossibles imposés par les autorités, le propriétaire inquiet caché dans la cale qui redresse la tête au mauvais moment, l'absence de toilettes sur les quais... Le cinéma est affaire de patience, de calculs savants et d'improvisation de dernière minute. Cela me manque parfois. J'en retrouve quelque chose quand j'improvise sur scène ou lorsque je dois défendre mes choix devant un client, mais rien n'est plus excitant que de capter ces moments fugaces que l'on figera sur ce qui tient lieu de pellicule comme on épingle un papillon. Cruel et magnifique.

FURTIVEMENT
9 novembre 2009


Après son succès en salles, Les Plages d'Agnès sort en DVD, agrémenté de petits boni comme elle dit : Trapézistes et voltigeurs (8'), Daguerre-Plage (6'), une planche de quatre magnets d'après l'affiche de Christophe Vallaux (en chemise bleue sur la seconde photo) et un livret de seize pages. Si l'on m'aperçoit à la toute fin du film d'Agnès Varda, lors de ses 80 balais, nous pensions que Françoise avait disparu du montage. Que nenni ! Un arrêt sur image m'a permis de saisir le photogramme. Quatre images, c'est un sixième de seconde, juste le temps d'apercevoir son ensemble rose et vert, mais pas assez pour reconnaître sa frimousse.


Quant à moi, je suis bêtement fier d'apparaître tout sourire au milieu du générique. Le mois qui a suivi la sortie du film il n'y eut pas un jour sans que l'on m'accoste dans la rue. Pour deux secondes à l'écran ! On peut imaginer le calvaire des acteurs et actrices à sortir dans le monde. Lunettes noires et vitres fumées, déguisement et postiches, négation de son identité et réclusion, tous les moyens sont bons pour gagner l'anonymat.
Michael Lonsdale me raconta qu'un soir où il dînait à Strasbourg avec Roger Moore et Mireille Mathieu, appréciez l'improbable trio, quelle ne fut pas l'angoisse de découvrir 2000 personnes à la sortie du restaurant ! Un autre jour, un chauffeur de taxi étale son admiration pour le comédien, pour terminer pas lui demander d'avoir la gentillesse de lui signer un autographe, "Monsieur Galabru...", et Michael de signer Michel Galabru pour ne pas décevoir "son" admirateur ! Je me souviens des fans se couchant sous les pneus de la voiture de George Harrison avec qui je venais de jouer, des crises d'hystérie des admirateurs de Richard Bohringer pendant les répétitions du K ou simplement du malaise des autres artistes à la table de Robert De Niro.
Lorsque j'étais adolescent je rêvais de célébrité. À fréquenter et travailler avec des stars, j'appris plus tard la rançon de la gloire et appréciai, en tant que compositeur, d'en percevoir les bénéfices sans en subir les préjudices...

IL N'Y A PLUS D'ABONNÉE AU NUMÉRO QUE VOUS AVEZ DEMANDÉ
29 mars 2019


Agnès, j'apprends ton départ par cette application nécrologique qu'est FaceBook. Décidément c'est l'hécatombe des mamans cette année. Tu n'appelleras plus. Tu ne t'endormiras plus en prévenant que c'est bon signe si ma musique te berce. C'est une idée très pénible de penser à tous ces balais qui ne serviront plus à personne probablement. Mais beaucoup de monde vont penser à toi aujourd'hui. Il en aura fallu du temps pour une aventurière comme toi. Tu y es allée souvent à la machette. Cette fois la communication est définitivement coupée. Ça fait mal.

lundi 3 janvier 2022

En quête de mes doubles


Depuis cet article du 27 février 2009, Bernard nous a quittés il y a déjà huit ans, les autres ont pris l'envergure que je leur souhaitais, mais ne plus avoir de partenaires réguliers quotidiens pour partager mes élucubrations et mes interrogations musicales me manque cruellement.

Si je n'ai pas reproduit le système initiatique qui me fut transmis par Jean-André Fieschi, lui-même instruit par l'écrivain Claude Ollier, je n'en ai pas moins toujours cherché mes doubles, d'autres moi-même en somme parmi les générations qui me suivent. Ne rêvant pas d'en faire à leur tour mes élèves, j'ai préféré les considérer comme des collaborateurs avec qui partager mes jeux. Le désir de revivre sans nostalgie les épisodes passés de ma jeunesse, probablement de la comprendre, la tendresse complaisante que j'éprouve pour mon passé, m'ont souvent poussé vers celles et ceux avec qui je sens des points communs, ce qui les différencie a priori de mes compléments, pièces d'un puzzle dont l'équilibre est la clef de voûte. Aucun pseudo double ne peut pour autant être autrement qu'un complément et chaque complément est à sa manière un autre double. Mais je sens bien la différence entre les opposés qui s'attirent et les semblables qui partagent. Bernard Vitet et Francis Gorgé incarnent l'accord parfait de trois individus radicalement différents embarqués sur le même navire, en l'occurrence Un Drame Musical Instantané, près de [cinquante] ans d'amitié, trois tiers d'Un dmi, pour jouer sur les mots comme sur les touches. 3/3 d'1/2 est d'ailleurs le titre que je donnai à l'une des pièces de l'album Machiavel après que nous ayons découpé en trois les vinyles du Drame pour en reconstituer un seul sur la platine tourne-disques ! La joie fut immense de marcher ensemble, de tout casser parfois, de reconstruire aussi le monde à nos mesures, microscopique dans les effets, immense par nos ambitions de rêveurs. Il en fut de même avec mes compagnes [...].
Pourtant la tendresse que j'éprouvai, par exemple, pour les élucubrations instrumentales d'Hélène Sage, les constructions provocantes d'Ève Risser, la rigueur obsessionnelle de Laure Nbataï, la fantaisie gastronomique de Sacha Gattino, la soif d'apprendre d'Antonin Tri Hoang, sans oublier ma propre fille, ne ressembla jamais à la fascination que je ressentais pour les autres, ceux qui savent ce dont j'ignore tout, les peintres, les conteurs, les virtuoses, les ouvriers, les ingénieurs, les voyous... Mes doubles m'émeuvent, mes compléments m'épatent. Les uns valident mes choix, les autres les certifient. Tous à la fois me rassurent et me font marcher au bord d'un précipice où l'écho me demande d'abord qui je suis.

Depuis 2009, j'ai eu la joie de partager des instants magiques avec encore d'autres musiciens/ciennes (Vincent Segal, Edward Perraud, Birgitte Lyregaard, Linda Edsjö, Alexandra Grimal, Pascale Labbé, Joce Mienniel, Sylvain Kassap, Fanny Lasfargues, Ravi Shardja, Bass Clef, Jorge Velez, Benoît Delbecq, Fantazio, Lucien Alfonso, Hervé Legeay, Laurent Stoutzer, Francisco Cossavella, Controlled Bleeding, Quatuor Ixi, Ronan Le Bars, David Venitucci, Jef Lee Johnson, Hélène Bass, Samuel Ber, Médéric Collignon, Julien Desprez, Pascal Contet, Sophie Bernado, Bumcello, Sylvain Lemêtre, Sylvain Rifflet, Amandine Casadamont, Tony Hymas, Mathias Lévy, Élise Dabrowski, Cyril Atef, Wassim Halal, Hasse Poulsen, Christelle Séry, Jonathan Pontier, Jean-François Vrod, Karsten Hochapfel, Nicholas Christenson, Jean-Brice Godet, Naïssam Jalal, Fidel Fourneyron, Élise Caron, Lionel Martin, Basile Naudet, Gilles Coronado, Philippe Deschepper, François Corneloup, Uriel Barthélémi, Hélène Breschand, Michèle Buirette, Nicolas Chedmail, Maxime Morel, Denis Charolles, Julien Eil, Antoine Viard, Benjamin Sanz, etc.), des chorégraphes (Claudia Triozzi, Sandrine Maisonneuve), des plasticiens/ciennes (Antoine Schmitt, Nicolas Clauss, Sun Sun Yip, Anne-Sarah Le Meur, John Sanborn, Jacques Perconte, Valéry Faidherbe, Éric Vernhes, Ella & Pitr, Daniela Franco, David Coignard, mc gayffier, Romina Shama), des graphistes (Claire et Étienne Mineur, Mikaël Cixous, Étienne Auger, Ruedi Baur, Nicolas Moog), des réalisateurs/trices (Françoise Romand, Pierre Oscar Lévy, Sonia Cruchon, Nicolas Le Du, Olivier Koechlin, Gila, Martin Maillardet, Corinne Dardé, Mathilde Morières), des écrivains (Jacques Rebotier, Pierre Senges, Michel Houellebecq, Isabelle Fougere, Dana Diminescu, Arnaud Le Gouëfflec), des photographes (Raymond Depardon, Elliott Erwitt, Hiroshi Sugimoto, Dulce Pinzon, Alec Soth, Simon Norfolk, Tendance Floue, Magnum, Olivier Degorce, etc.), un commissaire d'exposition (Jean-Hubert Martin), un inventeur (Olivier Mevel), des producteurs/trices (Madeleine Leclair, Walter Robotka, Théo Jarrier et Bernard Ducayron, Jean Rochard, Jean-Pierre Mabille, Sophie de Quatrebarbes, Yassine Slami, Xavier Ehretsmann), mais pas le moindre raton-laveur. Nous nous appelons, je vais les écouter, ils passent me voir, mais ce n'est pas pareil. Heureusement il y a plein d'ami/e/s qui ne figurent pas dans la liste...

mercredi 22 décembre 2021

Des livres incopiables


Je n'ai pas encore eu le temps de les lire, mais j'ai feuilleté les quatre petits ouvrages publiés par l'éditeur indépendant Tendance Négative après qu'Étienne Mineur m'ait indiqué Un Étrange phénomène de H. G. Wells, le dernier paru. Si Étienne est un des plus célèbres infographistes, il s'est toujours intéressé au papier, réalisant de magnifiques pochettes de disques pour mon label GRRR ou pour les DVD de Françoise Romand. Récemment il s'est d'ailleurs mis à produire des spirogami, incroyables sculptures en papier découpé au laser et présentées en spirales sous cloche de verre. J'ai la chance d'en posséder deux de la collection précédente, mais celle de 2021 est encore plus fascinante. Depuis 1995 nous avons en outre collaboré ensemble à de nombreux projets multimédia.
La particularité du fascicule de H.G. Wells est la nécessité de plier certaines pages pour pouvoir les lire, analogie de la feuille de papier pliée pour rapprocher deux points distants. Cette facétie est dictée par le récit, Un étrange phénomène "devançant d’une quarantaine d’années la théorie du « trou de ver », sorte de raccourci à travers l’espace-temps, dont l’existence n’a été suggérée par Einstein et Rosen qu’en 1935" ! Chaque publication de Tendance Négative obéit à des lois suggérées par les romans. Un Petit homme de Fiodor Sologoub est un ouvrage à géométrie variable dont les pages et le texte rétrécissent petit à petit, comme le haut fonctionnaire petit de corps et d’esprit a l’obsession de réduire sa femme à sa mesure. Le papier peint jaune de Charlotte Perkins Gilman nécessite un coupe papier pour découvrir ce que cache le papier peint où se projettent hallucinations et apparitions fantomatiques de ce "récit psychologique empreint d’un engagement féministe d’avant-garde, charge contre le patriarcat et l’obscurantisme médical de la fin du XIXe siècle". Les pages du Horla de Guy de Maupassant semblent s'effacer au fur et à mesure. Tous deux épuisés, L’Étrange histoire de Benjamin Button de F. Scott Fitzgerald était constitué d'un miroir et différents papiers, Carmilla de Sheridan Le Fanu était mordu et recouvert de sang...
Si je lis romans et essais autant que possible sur ma liseuse, ces livres, comme les disques dont le livret ou le graphisme sont liés à l'objet matériel, ou les livres d'images, de photos et de bandes dessinées, justifient qu'on les acquiert dans leur forme "archaïque", a fortiori, la plus pérenne.

jeudi 16 décembre 2021

Les cloches du Drame


Depuis cet article du 6 février 2009, le clavier de cloches tubulaires est entre les mains de la percussionniste Linda Edsjö quelque part dans le Perche, et le Dragon serait revenu à Françoise Achard. Ces instruments imaginés et construits par Bernard Vitet auront au moins échappé au triste effacement dont mon camarade aura été victime après son décès.

En 1983 Bernard Vitet construisait un clavier de cloches tubulaires pour le répertoire du grand orchestre d'Un Drame Musical Instantané. Il trouvait intéressant d'en jouer à plat tel un vibraphone plutôt que de les suspendre sur un portique comme dans les orchestres symphoniques. On peut l'entendre dans le disque Les bons contes font les bons amis, sur les pièces Ne pas être admiré, être cru et Révolutions. Durant quelques années nous l'avions prêté à Gérard Siracusa qui avait tenu un des deux pupitres de percussion. Je l'ai retrouvé chez Bernard où il encombrait son studio. J'ignore encore où je vais stocker l'imposante valise qui lui sert de caisse de résonance que l'on place sur des tréteaux pour en jouer. Les seize tubes en métal du la bémol au do sont posés sur du polystyrène qui à sa connaissance est le meilleur matériau pour cet usage, analogue à l'air contenu dans une caisse de violoncelle. On en joue par exemple avec des baguettes sur lesquelles on a collé des superballs entourées de mousse ou des mailloches dures et feutrées. Sur la photo ci-dessous, la caisse en bois trapézoïdale, également façonnée par Bernard avec longue poignée élégante et roulettes, est à sa droite, le long de la paroi du monte-charges. Je ne suis pas très rassuré de voir mon camarade suspendu en l'air par un câble, accompagnant une partie de notre matériel dont les trompes qui font aussi partie de sa lutherie originale, des tubes en PVC avec entonnoirs en guise de pavillons.


Bernard a conçu de nombreux claviers accordés avec des objets très divers. Dans le parc en plein air de St Quentin-en-Yvelines il posa d'immenses lames de marimba au-dessus d'une fosse pour que les enfants en jouent en sautant dessus. Dans le cadre des Gémeaux à Sceaux, il a également été l'initiateur d'étonnantes parties de tennis-poêles (accordées) avec blackballs. Le proviseur qui l'avait engagé avec Françoise Achard fut l'objet d'innombrables plaintes du voisinage. Plus tard, lors de la création du Unit avec Michel Portal il inventa le clavier de poêles à frire que Bernard Lubat s'empressa d'imiter aussitôt. Pour l'opéra Histoire de loups de Georges Aperghis, il avait construit avec Bruno Schnebelin des claviers de limes de toutes tailles et des gongs réalisés à partir de panneaux de signalisation récupérés dans la rue ! J'aurais bien aimé installer le Dragon qui figurait dans les spectacles avec Françoise Achard et que Bernard enregistra pour son disque Mehr Licht !, mais mon propre studio n'y suffirait pas, tant en hauteur qu'en largeur ; c'est un balafon géant avec des résonateurs en résine de polyester (les moules étaient des ballons de football gonflés à la bonne taille) munis de membranes en plastique pour les timbres ; son mât est équipé d'un clavier de pot de fleurs et les haubans de différents métallophones. Les pots de terre pendent aujourd'hui dans les archives et je peux en jouer de temps en temps à condition de grimper sur une échelle...

lundi 6 décembre 2021

Le tamis de la correspondance


Depuis cet article du 26 juillet 2009, comme beaucoup j'ai des problèmes à suivre les messages qui arrivent sur toutes sortes d'applications, telles Messenger, Messages, WhatsApp, Signal, LinkedIn, Twitter, Instagram, etc. puisque je suis inscrit ici et là en plus des douze adresses mail (sic) et de ma boîte aux lettres postale homologuée pour recevoir des petits paquets physiques. Sans parler de ce qui va mourir dans les indésirables ou filtrés en amont par mes différents fournisseurs d'accès ! Quant au téléphone fixe, il est squatté par des camelots ignorant que je me suis inscrit à l'inutile BlocTel. J'ai donc fini par livrer mon numéro de portable que je réservais à mes intimes, mais comme si je ne l'emporte pas dans ma poche lorsque je suis à la maison, je rate la plupart des appels, alors que j'ai semé des fixes un peu partout...

Envoyer des mails n'est plus une méthode fiable pour correspondre. Spams ou afflux considérable de courrier risquent de faire passer à la trappe des messages importants.
Avant l'ère informatique, écrire une lettre à la main ou dactylographiée impliquait une démarche signifiante, d'autant qu'elle nécessitait de s'appliquer lisiblement, de rédiger une enveloppe, d'y coller un timbre et de passer à la poste. Il suffit aujourd'hui de taper quelques mots et d'appuyer sur un bouton. La gratuité profite à la frénésie. Quand je pense qu'à l'avènement des mails certains ont prétendu que cela allait tuer l'écrit !
La quantité délirante de spams publicitaires et autres imbécilités absorbe des messages importants sans que l'on comprenne pourquoi le filtre a dirigé tel ou tel dans la poubelle qu'il sera bien imprudent de vider sans en vérifier le contenu.
Ces derniers temps, au lieu de me plaindre des centaines de spams envahissant mon dossier d'indésirables, je me suis systématiquement désinscrit, réduisant leur nombre au moins par dix. Il faut d'ailleurs que je pense à coller une étiquette "Pas de publicité" sur ma boîte aux lettres pour la soulager elle aussi. (fait depuis cet article du 26 juillet 2009)
Envoyer un SMS, décrocher son téléphone ou se fendre d'une missive postale est aujourd'hui beaucoup plus prudent si l'on veut être certain de toucher son correspondant.
Lorsque je désire que mon courrier ressorte du lot distribué par le facteur, je colle un timbre de collection plutôt qu'une banale Marianne, personnalisant l'enveloppe en fonction du destinataire. Ma petite collection de timbres en vigueur (ils le sont tous hormis ceux édités par le Gouvernement de Vichy) rassemble trois Tex Avery (le loup, Droopy et la pin-up), un Auguste, la baie d'Halong, un mammouth, Henner et Garouste... Les augmentations régulières m'obligent néanmoins à compléter le tarif par des Marianne à centimes [Françoise m'écrit que cela n'existe plus].
Lorsque je veux être certain d'être lu, je choisis également une carte postale qui marquera le coup parmi une seconde collection, toujours d'images. Par exemple, L'origine du monde de Courbet génère immanquablement une réponse !
Quant à Internet, les réseaux sociaux, comme le mal fichu et odieux FaceBook, s'avèrent plus fiables que le mail traditionnel. [...] Pour ne pas être submergé par le nombre et préserver une qualité de la relation, j'ai pris l'habitude de n'accepter que les personnes que je connais ou dont les informations m'en donnent envie. J'envoie sinon un mail intitulé "Qui êtes-vous ?" en copiant-collant le message : "Avant d'accepter une demande d'amis, je pose cette question à tous ceux et à toutes celles que je ne connais pas, quand ma mémoire fait défaut ou que les informations de FaceBook ne me permettent pas de l'apprendre."
L'autre méthode consiste à posséder un nombre dément d'adresses mail dédiées chacune à une activité, mais si l'on se connecte avec son smartphone cela peut s'avérer fastidieux. On choisira.
Le Blog peut aussi être considéré comme une manière de communiquer sans être obligé de radoter. Je l'espère. Il y a mille façons d'écrire, de parler, d'échanger, de voir et d'entendre, mais il n'y en a qu'une pour vivre véritablement, il faut sortir, marcher, étreindre pour ressentir ce qui ne peut s'écrire.

vendredi 12 novembre 2021

Lors Jouin (5 articles)



LE GÉNÉRAL DE GAULLE
4 janvier 2009


Écouter et voir Lors, Laurent Jouin, me font voyager. Me fait ou me font ? Dans le temps, dans la ville, à la campagne, sur l'eau, euh, là je m'avance peut-être un peu... Donnant naisance, en alternance, à une profonde gravité et un grand éclat de rire. Pas ensemble. L'un après l'autre. Acteur comique, chanteur dramatique. De l'un à l'autre. D'un claquement de doigt.
J'ai filmé Lors à l'Ile Tudy en août 1996. Il chante a capella une chanson "traditionnelle" qu'il a collectée sur le terrain, Le Général de Gaulle, de Louis Raoul. Onze ans plus tard, il enregistrera ce petit bijou, accompagné par Robert Kevran, sur son CD/DVD Chansons de la Bretagne éternelle d'hier et de toujours, pour maintenant par rapport à demain (Keltia Musique). C'eut été un crime que cela se perde !

LE BARDE
14 mai 2007


On continue dans la détente. Et on s'amuse, et on rigole... " Rikita rozenn gaer a Java, Deus da zansal ha deus da voucha, Da vouezh zo flour pa ganez da sonenn, Da zaoulagad evel diou steredenn... " Ainsi commence le refrain de Rikita (jolie fleur de Java) en version bretonne par le barde Lors Jouin dans l'album Chansons de la Bretagne éternelle d'hier et de toujours pour maintenant par rapport à demain (cd + dvd de 26 minutes !). C'est sans aucun doute le disque le plus ringard de l'année, le plus kitsch et le plus authentique. Les Bretons s'y reconnaîtront sans mal, à en pisser dans leurs braies. Les autres auront peut-être besoin de quelque explication pour savoir si c'est de l'andouillette ou du cochon. Les deux certainement.
Lors Jouin joue le jeu sans aucun compromis en collectant ces chansons qui marquent l'histoire de la Bretagne, mais en les interprétant avec la plus grande honnêteté, collant à une réalité souvent complexe, quitte à prendre tous les accents du terroir, à chanter volontairement faux ou désynchronisé pour les clips vidéo, avec un orchestre de synthés et un remarquable accordéoniste. Plus vrai que nature !
Par exemple, En avant les Bretons est la marche que chantèrent quatre cents énergumènes partis sur le Front de l'Est, parce que les Français étaient leurs ennemis et que les Allemands étaient ceux des Français ; à la Libération, ce syllogisme pourtant si peu suivi permit à l'État de cogner sur les Bretons et des les mettre à l'index (on arrêtait quiconque jouait du biniou ou de la bombarde !). À la même époque, Le Général de Gaulle est un hymne à la Résistance, hommage aux soldats marins fusiliers bretons, certes emprunt d'une bonne dose d'anti-germanisme. "Faut de tout pour faire un monde", ce n'est pas différent de chez nous (lorsqu'elle était petite, ma fille me demanda un jour si la Bretagne était en France) ! C'est tout de même sur ce bout de la Terre que l'extrême-gauche fait ses meilleurs scores et Le Pen son plus mauvais... Le barde peut citer le réactionnaire Théodore Botrel, mais ne le glorifie point. C'est le travail d'un ethnologue, aussi attaché à la forme qu'au fond.


Le barde a choisi d'illustrer cette marche avec des pingouins, aux couleurs du drapeau breton, le gwen ha du (littéralement blanc et noir), bannière herminée inspirée au début du XXe siècle par le drapeau américain ! Mais ces Bretons sont de drôles d'oiseaux qui défèquent devant la caméra... Le spectacle n'entretient aucune ambiguïté politique, car le barde commente chacune des ses chansons d'anecdotes croustillantes plus drôles les unes que les autres. Comédien, imitateur, il prend tous les accents de Pleyben à Ploudéac, accompagné deux heures durant par Robert Kervran à l'accordéon et son "petit ensemble", un orchestre virtuel de balloche pur jus, sans le soufre qui arrêterait la fermentation des pommes. Que l'on voyage un peu et l'on se rend compte que les Tziganes roumains utilisent chez eux les mêmes synthés pourris plutôt que les violons de la world. De l'authentique, vous dis-je, même si ça nous défrise le bigoudi de la bigouden. Sur scène, un écran projette des images d'archives ou d'autres ringardises pseudo-pychédéliques. Le barde n'a peur de rien, il raille sa culture avec tendresse comme les Belges ou les Juifs inventent des histoires drôles. En Bretagne, tout passe par la musique et la danse.

Lien vers l'interview du Barde

À l'époque de Silex (fantastique label de disques racheté par Auvidis et enterré par Naïve), son fondateur, André Ricros, m'avait expliqué que le folklore est le terrain de la réaction et que la musique traditionnelle est celui du progrès, voire de la révolution. C'est lui qui compara Lors Jouin à Nusrath Fateh Ali Khan, dans un répertoire certes très différent de celui du "barde" ! Lors réalise ici un travail critique et burlesque qui remet le folklore à sa place en en utilisant toutes les ressources, fussent-elles du plus mauvais goût. Vive le mauvais goût s'il nous permet d'entendre La brune de Langoëllan, anonyme coquin paru jadis sur l'Anthologie de la Chanson Française : " De quoi te méfies-tu belle charcutière, J'ai dans ma poche du boyau tout suiffé... ".
Les Bretons qui connaissent Lors Jouin depuis trente ans comprendront facilement le canular, humour grinçant qui vise juste. Les "étrangers" auront besoin d'une petite introduction comme celle que je me suis fixée. Alors, plutôt qu'écouter des fadeurs panceltiques, il est indispensable de découvrir ses autres méfaits. Certains sont tendres et comiques comme avec Les Ours du Scorff que tous les enfants adoreront s'ils ne les connaissent déjà, d'autres plus graves et actuels tel son groupe Toud'Sames (tous ensemble) réunissant Jean-Michel Veillon à la flûte, Alain Genty à la basse, David Hopkins et Dom Molard aux percussions. Retrouvez les déchirants gwerziou a capella du cd Moualc'h ar meneiou ou Tan Dehi, son duo avec le guitariste Soïg Sibéril, ou encore Les Ânes de Bretagne avec son éternel comparse Gigi Bourdin, une sacrée paire de joyeux drilles. J'ai toujours rêvé d'engager Laurent (c'est Lors en gallo) comme comédien, son premier ou son second métier, peut-être dans le feuilleton que nous ne finissons pas d'écrire avec Françoise, un rôle de gardien de phare reconverti en gardien d'immeuble parisien...

ANNIE EBREL & LORS JOUIN SE DISPUTENT TOST HA PELL
1er janvier 2015


Je suis tombé par hasard sur un disque qui m'avait échappé, duo de deux grands chanteurs bretons, Lors Jouin et Annie Ebrel, mais ce qui m'a titillé ce sont les ambiances qui tapissent le décor de certaines des pièces, quelques gouttes de pluie, une cantine (fest noz ?), des murmures... Resituer ainsi les histoires chantées nous transportent dans une réalité qui rappelle les illusions du cinématographe ou de la littérature. Il est surprenant que les responsables artistiques n'y aient pas plus souvent recours. Je prêche évidemment pour ma paroisse, ayant plus d'une fois intégré des bruits réels et des ambiances paysagères à des albums dont j'avais la direction.
Pour le disque Tost Ha Pell les deux joyeux drilles jouent à se disputer et se répondre, le plus souvent a capella. Je n'y comprends pas grand chose, car tout est en breton, mais le livret offre la traduction de ces duos typiques : un paysan et un marin, une mère et sa fille, un Cornouaillais et un Trégorois, voire le coq du clocher et l'horloge ! La dispute ou diskourioù est un genre vocal un peu oublié bien qu'il reflète les us et coutumes d'une société. (Coop Breizh)


Si vous n'êtes pas Breton ou n'avez jamais passé du temps dans le nez de l'Hexagone, bout de la Terre avant plongeon dans l'immensité de l'océan, vous serez surpris d'entendre cette langue vivante dans l'extrait vidéo ci-dessus. Un jour que Lors Jouin m'avait emmené chez les frères Morvan et que je trempais comme eux un petit beurre dans le vin rouge, l'un des vieux chanteurs s'excusa de ne pas parler français devant qui n'en travais que pouic. Comme je lui répondais que cela ne me gênait pas du tout et que je les écoutais comme si c'était de la musique, il s'esclaffa : "À quoi cela servirait que je parle français avec mes vaches ?!".


J'ai toujours été un grand fan de Lors Jouin, qu'il chante de tristes gwerzioù ou de gaies chansons à répondre. Comédien hilarant dans le registre de Jacques Villeret, il interprète Le Barde avec un mordant qui en troubla plus d'un dans son pays. Je l'avais filmé chantant l'inénarrable Général De Gaulle, une chanson qui remonte à la Seconde Guerre Mondiale. Dans le second extrait vidéo il est avec l'exquise Annie Ebrel, accompagnés par d'extraordinaires musiciens, le violoniste Jacky Molard, Ronan Pellen au bouzouki et la contrebassiste Hélène Labarrière de plus en plus "trad" depuis qu'elle vit en Bretagne !

SI LA MER MONTE...
26 mai 2015


Les Ours du Scorff sont égaux à eux-mêmes, fabuleux. Le public qui connaît leurs chansons bretonnes par chœur, leur répond d'une seule voix. Gigi Bourdin semble se réveiller d'une longue hibernation, plus zen tu meurs. Lors Jouin parsème d'intermèdes comiques son chant puissant qui l'a fait surnommé par certains le Nusrath du Centre Bretagne. Le violoniste Fanch Landreau [disparu en ce mois de novembre 2021], le guitariste Soïg Sibéril et le banjoïste Jacques Yves Réhault participent à la fête où les grands retrouvent leur âme de petits, et les enfants leurs rêves en kouign-amann.

LES OURS SONT DEVENUS DES ÂNES
25 septembre 2017


Les Ânes de Bretagne, ce sont d'abord Gigi Bourdin & Laurent Jouin. Depuis un quart de siècle qu'on les connaissait en Ours du Scorff à amuser les enfants de leurs chansons spirituelles aux jeux de mots à la Bobby Lapointe, seraient-ils devenus adultes avec leurs textes coquins ? N'y comptez pas trop. Certes les arrangements de Hélène Labarrière et Jacky Molard, qui signent aussi les compositions, sont correctement vêtus, mais les textes de Gigi Bourdin sont toujours aussi facétieux. Le bestiaire de ces garnements a juste changé de zoo. Il reste fondamentalement breton, même lorsqu'ils singent le moyen-orient sur Le loukoum. La basse de Labarrière, les violons, guitares et mandoline de Molard sont épaulés de temps en temps par l'accordéon de Janick Martin, les percussions d'Antonin Volson ou la clarinette de Dominique Le Bozec. Comme la musique est dansante, on peut au choix savourer les paroles ou se laisser porter par le rythme des chants à répondre qui nous entraîne dans la farandole du fest-noz...

→ Gigi Bourdin & Laurent Jouin, Les Ânes de Bretagne, cd Innacor, dist. L'autre distribution, 16,50€

vendredi 22 octobre 2021

Jacques Lacan, poète circonlocutoire


Articles des 22 novembre 2008 et 9 janvier 2012

Ouf ! Voilà qui me rassure. Dans le film Jacques Lacan, la psychanalyse réinventée, Françoise Dolto, Pontalis et d'autres psychanalystes racontent qu'ils ne comprenaient souvent pas grand chose à ce que racontait le second génie de l'inconscient, mais qu'il leur semblait pouvoir devenir intelligents s'ils persévéraient. Fin des années 70, grâce à Dominique Meens qui me demande de l'enregistrer pour lui, je suis renversé par Radiophonie, sept questions de Robert Georgin auxquelles répond longuement Jacques Lacan pour les Après-midis de France Culture. Tout m'échappe, mais j'ai le sentiment d'être en présence d'une mine d'or et me laisse bercer par la poésie de la langue. Je place alors le psychanalyste aux côtés de Jean Cocteau et Jean-Luc Godard, ces trois voix devenant fondatrices de mon passage à l'âge adulte.
Je jouis des effets circonlocutoires qui permettent de tourner autour du sujet sans jamais viser le centre, mais s'en approchant au plus près au fur et à mesure des révolutions. La poésie, qu'elle soit verbale, sonore ou picturale, a cette force de ne jamais se périmer, contrairement à la science démentie à l'instant même où toute théorie est émise. La poésie vise juste, parce qu'elle va puiser ses racines au plus profond du moi, reflet égocentrique de toute organisation sociale. Dans son histoire féline, Cocteau écrivait que les poètes ne mentent jamais, ils témoignent.


Jacques Lacan fut peu enregistré, encore plus rarement filmé. Son dernier séminaire, à Caracas, se trouve en mp3 sur Ubu.com, comme ceux intitulés L'envers de la psychanalyse, ... Ou pire, Encore, Les non-dupes errent, L'insu que sait de l'une-bévue s'aile à mourre, un hommage à Lewis Carroll et Alice, un Petit Discours à l'ORTF et le premier impromptu de Vincennes. Télévision, one-man show extraordinaire de 1973 tourné par Benoît Jacquot (texte sur un petit fascicule paru au Seuil dans la collection du Champ Freudien que le psychanalyste dirigeait, et également présent sur Ubu), est avec Radiophonie la trace la plus importante en marge de ses Écrits ! Ce film, de très loin le plus passionnant de tous, n'a pas encore été porté en DVD, bien qu'il exista en VHS. Arte Vidéo édite aujourd'hui la Conférence de Louvain accompagnée de Jacques Lacan, la psychanalyse réinventée, documentaire d'Elisabeth Kapnist, écrit avec Elisabeth Roudinesco, ponctué par une musique inopportune de Michel Portal sur des plans vides. Ce film n'est pas à la hauteur du précédent, Jacques Lacan parle, réalisé par Françoise Wolff que le précédent cite abondamment et qui se terminait par un petit entretien où Lacan semble énervé par son interlocutrice. La conférence est exemplaire du fait qu'un jeune étudiant néo-situationniste l'agresse patissièrement, anticipant la tradition des entarteurs belges, tandis que celui-ci retourne la salle en défendant le révolté contre les endormis. Mais Télévision reste le chef d'œuvre qu'il serait intelligent de rééditer.


Contrairement aux médias omniprésents et prétendument universels, la psychanalyse s'adresse à une personne à la fois. Pas de généralité, mais du cas par cas. Contrairement à la médecine qui se cantonne aux symptômes, elle recherche les causes, quitte à nous révéler ce que nous ne voulons pas savoir de nous-mêmes et qui détermine nos actes ou nos difficultés à vivre.
Il y a trois ans j'écrivais, sous le titre Jacques Lacan, poète circonlocutoire, l'influence prépondérante que sa pensée eut sur moi qui n'ai jamais eu recours à la psychanalyse. À l'évoquer il me fait peser chaque mot que je tape, comme s'il possédait un sens double que sa phonétique ou la syntaxe de la phrase révèlent.

Le film de Gérard Miller, Rendez-vous chez Lacan, comble un vide. Il n'existait qu'un seul DVD sur Jacques Lacan (édité par Arte) où figurent la conférence de Louvain, un petit entretien avec la réalisatrice Françoise Wolf et un documentaire maladroit d'Elisabeth Roudinesco. Avec l'émission Radiophonie et quelques rares documents en ligne sur ubu.com, le film majeur Télévision réalisé en 1973 par Benoît Jacquot et Jacques-Alain Miller (que le psychanalyste réussit alors à imposer en deux parties le samedi à 20h30 sur la première chaîne !) n'est toujours pas publié en DVD, alors qu'il exista en VHS et est vendu (virtuellement) sur le site de l'INA. Gérard Miller a rencontré Lacan grâce à son frère Jacques-Alain, fidèle élève qui rédigea le Séminaire et qui épousa sa fille Judith. Il en tire un portrait fidèle pour qui sait lire entre les lignes ("Gardez-vous de comprendre !" est l'antidote à toute conclusion hâtive), une analyse simple et précise (son "Je dis toujours la vérité" rime avec "les poètes ne mentent pas, ils témoignent" de Jean Cocteau), mêlant humour et pertinence ("Soyez lacaniens si vous le voulez... Moi, je suis freudien"). Gérard Miller interroge des patients de Lacan, ses élèves, mais aussi ses proches, pour tenter de comprendre qui était l'homme derrière le mythe ("L'inconscient est construit comme un langage", "Ce que Freud rappelle, c’est que ce n’est pas le mal mais le bien qui engendre, qui nourrit la culpabilité", "L’amour, c’est donner ce qu’on n’a pas"). Il pénètre dans son cabinet et son appartement, reproduit les rares photographies qui existent, son commentaire s'adressant paradoxalement au plus grand nombre pour lever le voile sur le mystère Lacan. En bonus, les deux entretiens avec son frère Jacques-Alain et Judith, ainsi que son propre commentaire, sont aussi passionnants que le film de 51 minutes (ed. Montparnasse).

vendredi 24 septembre 2021

Appelez-moi Madame


Il y a deux bandes-annonces du film Appelez-Moi Madame de Françoise Romand, la première date de la sortie du film en 1986, la seconde lors de sa remasterisation exécutée en 2020 après la sortie du DVD.

Le sujet du film ? Dans un petit village normand, un militant communiste, marié et père d'un adolescent, devient transsexuel à 55 ans, aidé par sa femme.
À sa sortie en 1987, le célèbre critique du New-York Times, Vincent Canby, écrivait "Miss Romand fait des documentaires uniques. Elle s'attache aux faits mais il y a certaines réalités que peu de romanciers ou écrivains supposés sérieux traiteraient si ce n'est sous des pseudonymes... Dans Appelez-moi Madame, la cinéaste nous fait partager sa curiosité, son étonnement et son regard..." Pour cette édition dont Étienne Mineur a conçu la pochette, Françoise a réalisé deux entretiens, l'un en français, l'autre en anglais, compléments de programme qui tranchent radicalement avec les bonus habituels !


Documentaires ou fictions, tous les films de Françoise Romand interrogent l'identité de ses personnages. Dans Mix-up ou Méli-mélo des bébés sont échangés à la naissance, dans Appelez-moi Madame un militant communiste devient transsexuel à 55 ans, dans Les miettes du purgatoire deux jumeaux vivent en symbiose avec leurs parents très âgés, dans Passé Composé un homme à la recherche douloureuse de son passé rencontre une femme amnésique qui fuit le sien, dans Vice Vertu et Vice Versa deux voisines de palier s'échangent leurs vies, l'une prostituée de luxe l'autre intellectuelle au chômage, jusqu'à Thème Je où la cinéaste retourne sur elle la caméra en fouillant les histoires de famille et les réinventant, se permettant avec elle-même ce qu'elle n'aurait jamais osé avec qui que soit d'autre. [Baiser d'encre est un conte moral sur le couple d'artistes Ella & Pitr.]
Documentaires ou fictions, la cinéaste mord le trait et met en scène les hommes et les femmes de la vie réelle comme s'ils étaient des personnages de roman. Pour elle, la vérité n'a jamais existé au cinéma. Les regards face caméra renvoient au miroir du spectateur. Avec tendresse et compassion, Françoise Romand recompose le passé en faisant jouer aux protagonistes leurs propres rôles. Espiègle et complice, elle ouvre la porte à toutes leurs fantaisies.


Dès le début d'Appelez-moi Madame le ton est donné. Ovida Delect fait un signe de connivence à la caméra et raconte ses fantasmes que la cinéaste concrétisera en images. La musique de Nicolas Frize accompagne la mariée qui court au ralenti sur la plage. En 1986 dans un petit village normand, devenir transsexuel à 55 ans avec l'aide de sa femme n'est pas une mince affaire pour ce communiste et poète, ancien résistant resté muet sous la torture. L'amour d'Huguette pour son mari devenu femme transcende tous les poncifs et son douloureux sacrifice réfléchit le statut de toutes les femmes. Avoir été directrice de l'école maternelle fait passer la pilule auprès des villageois. Dans un micro-trottoir rythmé par le hachoir du boucher, la réalisatrice se débarrasse rapidement des remarques grivoises que le curé couronne. Les deux mamies tournent le dos à ces commérages. Les films de Françoise Romand évitent les commentaires, ils parlent d'eux-mêmes, réfléchissant les vies ordinaires de personnages extraordinaires sous l'œil fantasque de la mise en scène. Le drame se joue toujours dans la comédie. La distance n'est pas celle de l'auteur à son sujet, mais du sujet au filmage, rapprochant le spectateur au plus près de l'émotion en le faisant entrer incidemment dans les arcanes du cinéma.

Hier jeudi 23 septembre 2021, Françoise Romand a reçu le Prix Charles Brabant de la SCAM 2020 pour l'ensemble de son œuvre.

Ses 6 DVD sont sur SuperAlibi/BigCartel, dont Appelez-moi Madame, 20€

Article du 23 octobre 2008

lundi 20 septembre 2021

Ping Pong pour deux somnambules


Article du 11 octobre 2008

[...] Depuis que je joue en duo avec Nicolas Clauss, je suis aux anges lorsque nous nous produisons en spectacle. Sous le nom des Somnambules, nous avions adoré jouer avec d'autres musiciens tels Pascale Labbé, Didier Petit, Étienne Brunet, Éric Échampard, mais j'étais trop préoccupé par l'orchestre pour me fondre totalement aux tableaux interactifs de Nicolas.
Bien que je sois capable de produire autant de bruit qu'un grand orchestre, je n'ai jamais apprécié le solo, pas tant pour la musique que pour le plaisir du ping pong. Les images que mon camarade anime en direct me renvoient une critique, des propositions, un univers qui me stimulent et me permettent d'improviser librement. D'un spectacle à l'autre, nos interprétations à tous deux peuvent différer radicalement, nous créons de nouvelles œuvres, nous en donnant à cœur-joie. Ce billet n'apporte aucune analyse, les films parlent d'eux-mêmes, aujourd'hui mes notes livrent seulement quelques informations "techniques"...


Durée de chaque film :
Jumeau Bar 4'08 - Modified 6'07 - L'ardoise 5'33 - Les dormeurs 3'17

Ainsi, nous commençons souvent avec Jumeau Bar dont je transforme les sons avec mon Eventide H3000, une sorte de synthétiseur d'effets que j'ai programmé pour passer les sons à la moulinette. Nicolas construit également ses boucles en proposant sa propre version du module interactif original. [...] Pervertir le travail que j'ai réalisé il y a quelques années est une opération très amusante. Je tire le scénario vers l'humour, en trafiquant les sons synchronisés, en exagérant les nuances par des effets appropriés à chaque plan.


J'ai placé les quatre films sur DailyMotion et YouTube, mais je préfère en général le premier qui n'incruste pas son nom dans l'image comme on marque les troupeaux. Modified est le dernier tableau de Nicolas Clauss, pas encore en ligne, le plasticien hésitant à l'heure actuelle entre exposer ses tableaux animés sur le Net ou off line dans des espaces réels. La rareté produirait-elle plus de désir ? Le plus souvent, ses œuvres rendent mieux leur jus lorsqu'elles sont projetées sur de grands écrans, les ordinateurs ne rendant pas la beauté du détail, l'émotion de l'immersion...
En modifiant électroniquement ma voix, une cythare inanga (rapportée de Stockholm en 1972), un erhu (violon vietnamien acheté deux ans plus tard rue Xavier Privas) et une flûte roumaine (je ne me souviens plus d'où elle vient, mais ses sons stridents passent au-dessus de n'importe quel ensemble ou magma électro-acoustique), je suis la logique du tableau interactif joué en direct par Nicolas, un Organisme Programmatiquement Modifiable...


Avec deux petits instruments électroniques, un Tenori-on et un Kaossilator, j'accompagne les divagations dessinées d'une bande de gamins avec qui Nicolas a élaboré l'installation interactive de L'ardoise. J'ai réussi à m'approprier le Tenori-on depuis que j'y ai glissé mes propres sons. Il n'y a hélas que trois banques personnelles pour 125 timbres d'usine. J'utilise ici des échantillons de mon VFX. Le Kaossilator me sert de joker. Lorsqu'on improvise, il est toujours utile d'avoir plus de matériel que ce dont on a besoin. Au dernier moment, j'ai décidé d'ajouter une radiophonie réalisée en 1976, premier mouvement de mon inédite Elfe's Symphonie que je diffuse avec un cassettophone pourri. Depuis, je l'ai numérisée pour pouvoir la traiter électro-acoustiquement avec l'AirFx, un autre effet qui permet, par exemple, de scratcher n'importe quelle source sonore comme un DJ sur sa platine, mais sans y toucher, en jouant avec un rayon infra-rouge en 3D !


Le dernier film qu'a tourné Françoise Romand à La Comète 347 montre Les dormeurs, une pièce de Nicolas de 2002 que j'aime beaucoup et que j'accompagne à la trompette à anche. Comme Jumeau Bar, vous pouviez jouer vous-même [à l'époque de cet article, soit avant que Shockwave ne fonctionne plus]...

mardi 31 août 2021

Mixology de Katerina Fotinaki


Je suis toujours surpris et agréablement surpris par des albums qui échappent aux classifications qu'imposent les marchands. En recevant celui de Katerina Fotinaki, je m'attendais évidemment à un disque de "musique du monde". Elle avait collaboré aux projets de sa compatriote Angélique Ionatos, mais j'ignorais qu'elle avait étudié avec Bernard Cavanna au Conservatoire de Gennevilliers. Tout cela s'échappe en fumée, bulles de savon, petites étincelles pop qui me rappellent l'approche jadis d'une Natacha Atlas. En mélangeant des reprises de Kiss Off de Violent Femmes, Carmen de Bizet, Septembre de Barbara, une berceuse de Benjamin Godard ou un rebetiko avec des compositions personnelles, Katerina Fotinaki construit un puzzle fictionnel qui nous fait parcourir l'arc-en-ciel de ses enchantements. Les textes de Louise Labbé, Kostis Palamas, Françoise Lo, Guillaume de Machaut, T.S. Elliot, William Blake transforment l'onirisme en poésie du quotidien. S'accompagnant de toutes sortes de guitares, de basses, de percussions, d'anches libres, en chantant en français, anglais et grec, elle alterne monologues et dialogues aéroportés et glisse sur des pistes aux couleurs aussi vives qu'inattendues. Il s'agit bien de la musique du monde, mais sans que cela soit un genre ou un style, son éventail représentant simplement un amour encyclopédique pour la voix et les émotions qu'elle transmet, universelles, magiques.

→ Katerina Fotinaki, Mixology, CD Klarthe, dist. Socadisc, 15€, sortie le 10 septembre 2021

mardi 24 août 2021

Le seul snob au piano électrique préparé


On sait, peut-être, mon attachement au piano préparé, perversion de l'instrument consistant à changer le timbre et la hauteur de chaque note en glissant de petits objets entre les cordes. Passé au clavier numérique je me contente de clones informatiques comme celui, remarquable, de l'Ircam ou d'autres permettant des effets inédits, mais m'interdisant ce que font les pianistes que j'admire, tels Roberto Negro, Eve Risser, Benoît Delbecq, Sophie Agnel, Françoise Toullec... J'utilise également des programmes de claviers électriques préparés et c'est justement un CP70 sur lequel joue Thibault Walter avec son trio composé de Jean-Luc Ponthieux à la contrebasse et Pablo Cueco au zarb. Sa percussion à peau offre des variations de timbre qui répondent merveilleusement au pseudo gamelan du piano électrique Yamaha de Walter. Celui-ci revendique les entre-deux que ses préparations impliquent, les gammes perdant leur tempérament (contrairement aux musiciens !) et les rythmes adoptant le style de l'entre-soi où le swing hérite de ces magnifiques à-peu-près. Je n'ai pas tenté de déchiffrer les 11 anagrammes que les titres secrètent, mais ces RER lointain, Ralenti noir, Arme outrancière, Apre énigme, Tribu, Remontage caduc, Sages renommées, Pagnol dégraisse, Le seul snob, Test O.R.L. quantique, Un requiem est rempart nous font déjà voyager avec une grande délicatesse sans qu'il soit besoin d'alourdir notre catastrophique bilan carbone en prenant l'avion.

→ Thibault Walter Trio, Le seul snob, CD Élément 124, dist. Inouïes, 15,70€, sortie le 3 septembre 2021

jeudi 17 juin 2021

Ce répondeur restitue les messages


Le blog ressemble parfois à des poupées gigognes. Comme je retrouvai un article du 1er septembre 2008 sur les messages de mon ancien répondeur, je m'aperçois que j'en avais conservés beaucoup plus que je ne pensais. De 1977 à 1989, ce sont deux heures et demie de souvenirs souvent bouleversants qui sont réapparus, constituant une sorte d'évocation radiophonique, tantôt dramatique, tantôt drôle, feuilleton palpitant où je retrouve les voix de celles et ceux que j'ai aimé/e/s. Sur la page du site qui lui est consacrée, on peut lire :
"En 1977 l'usage du répondeur téléphonique était peu répandu en France. Les premiers messages enregistrés sur le répondeur Sanyo rapporté des USA par Luc Barnier montrent comment les interlocuteurs, déstabilisés par la machine, sont dans l'obligation de l'apprivoiser. L'ensemble, sauvé grâce au système d'enregistrement sur cassettes audio, une en boucle pour les annonces, l'autre de 30 ou 45 minutes pour les messages laissés, constitue un cut-up dramatique d'une force incroyable. En quelques secondes, parfois quelques minutes, la nécessité d'aller à l'essentiel provoque des saynètes documentaires produisant l'effet de la fiction. Certaines sont énigmatiques, d'autres triviales, de temps en temps un concert intime crée une pause... À se confier seul dans l'urgence face à une machine sans état d'âme émerge la profondeur analytique. Que l'on identifie les voix n'a pas d'importance, sauf pour ceux qui connaissaient les nombreux disparus qui nous manquent cruellement. Le ton de la voix, un silence, un rire forcé, une confidence... Le divan machine. L'usage généralisé ne permettrait plus aujourd'hui une telle franchise. La puissance évocatrice de cette collection fabuleuse de témoignages où les protagonistes sont livrés au miroir de la parole rappelle à la fois les paysages sociaux des radiophonies que je composais dès 1973, les confrontations godardiennes des Histoire(s) du cinéma et mon goût pour les pièces courtes et dramatiques qu'en musique on appelle vulgairement des morceaux."

Mon projet d'album me pousse à numériser des dizaines d'heures d'archives. J'ai presque terminé de recopier les cassettes du répondeur téléphonique dont j'ai conservé nombreux messages des années 80. C'est émouvant. Je découvre la mort de mon père vécue de façon elliptique, sa voix affaiblie, celle de ma mère après, ma soeur... Il y a des passages très drôles, particulièrement au début : comme c'était l'un des premiers appareils du genre, les interlocuteurs sont souvent décontenancés ou bien ils laissent un message dans le style des fantaisies sonores que j'inventais pour personnaliser les annonces, effets de ralenti, délai, etc. Il y a des voix mémorables comme celles de Bernard Vitet, de Colette Magny, d'André Dussollier, de Franck Royon Le Mée, beaucoup d'amis, des anonymes, la mienne lorsque j'appelle à la maison. [...]

Quelle émotion d'entendre ces voix qui se répondent malgré elles : Jean-André Fieschi, Jacques Marugg, ma sœur Agnès, Geneviève Louveau, Hervé Bourde, Francis Gendron, Brigitte Dornès, Jean-Marc Foussat, Daniel Deshays, Marie-Jésus Diaz, Mercédès Volait, Marianne Bonneau, Véronique Berthonneau, Hélène Sage (solo d'accordéon et aspirateur, voix et contrebasse, piano et tuba, boîte à musique et anche selon les messages !), mes parents, Sheridan Williams, Jouk Minor, Francis Gorgé, Philippe Legris, mon cousin Serge, Dominique Meens, Bruno Girard, ma tante Catherine, Horace, Lulla Card Chourlin, Philippe Labat, Emmanuelle K, Dominique Noguez, Hélène Bass, Anne-Laure Poulain, Jean-Louis Chautemps, Dino Giannasi, Béatrice Soulé, Patrice Petitdidier, Gérard Siracusa, Henry Colomer, Marie-Noëlle Rio, Jean-Patrick Lebel, Jacques Bidou, Hold-Up, Tamia, Denis Colin, Kent Carter, Michel Séméniako, Serge Autogue, Françoise Degeorges, Guy Brousmiche, Guy Pannequin, Lucilla Galeazzi, Bernard Eisenschitz, François Tusques, Jean-Pierre Mabille, Bernard Parmegiani, Yves Prin, Pere Fagès, Bruno Barré, Steve Stapleton, Laurent Bayle, Patrick Roudier, Roger Tessier, Didier Petit, Yves Robert, Michèle Buirette, Patrick Schuster, Michel Bastian, Didier Silhol, Marie-Noëlle Sabatelli, Gilles Folques, Pierre Luc, Gérard Menant, Hélène Richard, Thierry Berteau, Claude Tchamitchian, Michèle Cotinaud, Ghislaine Petit, Daniel Verdier, Jocelyne Leclercq, Dominique Fonfrède, Régis Franc, Marie-Christine Gayffier, Stéphanie Aubin, Robert Weiss, Pierre-Étienne Dornès, Jean Gaudin, Marie-Jo Lafontaine, Jean-Jacques Henry, Michel Polizzi, Aurélie Ricard, Henri Texier, György Kurtag Jr., Lindsay Cooper, Galilée Al Rifaï, Vincent Voisin, Dominique Cabrera, Antony Marschutz, André Ricros, Claude Thiébaut et tant d'autres...

À l'époque on fabriquait du solide. Je suis allé ramper pour récupérer l'appareil dans la sous-pente et j'ai pu recopier deux messages d'annonce enregistrés sur des bandes spéciales sans fin. Je n'en ai retrouvé que deux, mais ni les marrants ni ceux en musique. Pour le premier j'utilisai un harmoniseur et sur le second on entend les miaulements de Lupin et Monsieur Hulot derrière Elsa. En m'esquintant les genoux sur le sol rêche du grenier, j'ai aperçu sur le chemin les boîtes contenant 30 000 diapositives que je n'ai jamais regardées depuis l'époque du light-show, celles que nous avons mises en scène avec des comédiens pour H Lights, les polarisations, les abstraites, les cinétiques, les liquides séchés... Il doit y avoir aussi notre périple aux USA en 1968, le Maroc et l'Italie les années précédentes. Je ne me souviens plus quand j'ai commencé à prendre des diapos.

J'y suis revenu depuis, puisqu'en 2014 je publiai le roman augmenté USA 1968 deux enfants.

jeudi 6 mai 2021

Qu'est devenu Martin Arnold ?


On se souvient peut-être des magnifiques détournements de films hollywoodiens que Martin Arnold réalisait à la fin du siècle dernier. Je reproduis mon article de 2009 pour mémoire en bas de celui-ci, ce qui vous permettra d'apprécier trois de ses œuvres les plus célèbres et particulièrement brillantes. Or, dès l'année suivante, Martin Arnold s'attaquait aux Mickey animés qu'il déconstruit en boucles tout aussi bégayantes, mais en maniant la gomme comme ses prédécesseurs le pinceau, avec toujours le principe qu'une histoire peut en cacher une autre. Sur son site, on pourra ainsi découvrir nombreux films courts : Shadow Cuts, Soft Palate, Self Control, Haunted House, Tooth Eruption, Whistle Stop, Black Holes, Elsewhere, ainsi que Full Reheasal qui inaugure peut-être une nouvelle direction. Dans l'obscurité d'un noir profond, Martin Arnold révèle ainsi le rire, le ronflement, la douleur, la peur, la raillerie, le désespoir, le suicide, l'euphorie, qui se succèdent en épures ironiques.

Et tout en bas, j'ai ajouté un extrait de Deanimated: The Invisible Ghost (2002), qui fait le pont entre sa première période et sa seconde. Grâce aux effets numériques, Martin Arnold efface progressivment les personnages du film d'épouvante The Invisible Ghost (1941) pour ne conserver que les décors et les mouvements de caméra.

L'ATTAQUE DE MARTIN ARNOLD
Article du 19 mai 2009


Ayant accompagné Françoise au Point Éphémère pour la signature de ses deux premiers DVD au Salon des éditeurs indépendants, j'ai fait quelques trouvailles dont les œuvres cinématographiques quasi complètes de Martin Arnold, un cinéaste autrichien qui rappelle étonnamment le Steve Reich des débuts lorsque le compositeur répétitif américain travaillait sur du "found footage" pour It's Gonna Rain ou Come Out. Ici rien de systématique, mais une science du cut-up microscopique et du bégaiement sémiologique à couper le souffle. Martin Arnold fait des boucles avec des films trouvés. Les photogrammes lui dictent des effets que son imagination cultive comme dans une champignonnière. Ondulations, glissements, flashbacks, renversements, kaléidoscopes, pas de deux diabolique dont on ne voudrait manquer aucun instant pour un en pire, parsèment Pièce touchée (1989), manège diabolique où le spectateur est pris d'un vertige hypnotique qui se développera de manière encore plus perverse dans les films suivants.


Pour Passage à l'acte (1993, ces deux premiers titres sont en français), l'artiste autrichien intègre le son à la boucle pour tailler un short (les films font chacun environ un quart d'heure) à la famille américaine et aux mâles dominants en pleine crise d'autorité. Si la scène devient cocasse, elle n'en demeure pas moins fascinante, hypnotique. Les effets stroboscopiques du "flicker film", ralentissant l'action, génèrent une analyse cruelle du principe cinématographique. The Cineseizure, titre du DVD édité à Vienne par Index en partenariat avec Re:Voir, pourrait d'ailleurs se traduire "Ciné-attaque" comme dans une apoplexie.


Le troisième film de la trilogie (la suite des œuvres d'Arnold est constituée essentiellement d'installations), Alone. Life Wastes Andy Hardy (1998) détourne une comédie musicale avec une virulence inattendue. Mickey Rooney, mais plus encore Judy Garland sont torturés par le hachoir du cinéaste transformant en drame œdipien l'original par des tremblements où le mouvement des lèvres et le frémissement de la peau révèlent la sexualité refoulée des films de l'époque. Martin Arnold fait partie, comme Mark Rappoport, de ces entomologistes du cinéma qui en révèlent les beautés cachées, inconscientes et convulsives, sans ne jamais sortir du cadre.
Comme toujours, les films sont à voir sur grand écran pour que la magie fonctionne à plein. Le DVD offre en prime quelques "pubs" pas piquées des hannetons, de l'humoristique Jesus Walking On Screen à la douche de Vertigo pour la Viennale. Terriblement drôle et monstrueusement juste.

DE L'AUTRE CÔTÉ DU PONT
Post scriptum de mai 2021


L'installation Deanimated: The Invisible Ghost, dont la durée totale est de 60 minutes, est plus fantômatique que le film original. Bela Lugosi, Polly Ann Young et John McGuire ne laissent plus passer que leurs ombres, un peu de poussière, les balles qui explosent... La narration devenue incohérente interroge notre incarnation et notre disparition.

mercredi 28 avril 2021

L'Amazone verte, le roman de Françoise d'Eaubonne


Comme l'évoquait Jacques Denis samedi dernier au téléphone, il est terriblement difficile de chroniquer un disque ou un livre dont on a déjà eu le malheur, ou le bonheur, de lire plusieurs articles le concernant. S'il est indispensable de ne rien connaître d'un film avant de le découvrir soi-même, vierge de tous préjugés, il est plus facile de se laisser aller à ses émotions et ses réflexions quand sa perception n'est pas "polluée" par le regard des autres, surtout lorsqu'ils sont pertinents. Ainsi L'Amazone verte, le roman de Françoise d'Eaubonne écrit par Élise Thiébaut, trône sur mon bureau depuis quelques semaines sans que je sache comment m'en approprier la critique. J'aimerais signaler le récit de cette aventurière du XXe siècle, mais répéter ce qui a déjà été dit ne présente que peu d'intérêt à mes yeux, même si vous aimeriez en savoir plus !
L'histoire incroyable de cette femme hors du commun, féministe jusqu'au bout des ongles avec toutes les ambiguïtés que ce terme a véhiculé dans les faits, y est plus présente que son écoféminisme tardif, terme qu'elle a néanmoins inventé en 1974, comme ceux de phallocrate et sexocide. L'année suivante, j'étais assistant de Charles Bitsch pour un disque 33 tours 30 centimètres du Parti Communiste Français dédié à l'Année de la Femme (écoute fortement conseillée) ! Je me souviens de ma colère lorsque le Comité central avait refusé d'inclure une phrase de Friedrich Engels que j'avais découverte, expliquant que la femme est le prolétaire de l'homme. L'argument consistait à prétendre que c'était trop dur à encaisser pour les camarades, quel que soit leur sexe. Cette même année, Françoise d'Eaubonne dépose une bombe sur le chantier de la centrale nucléaire de Fessenheim !... J'avais auparavant croisé des militantes du droit des femmes chez Catherine Clément, comme par exemple Hélène Cixous, et je me souviens aussi avoir bu des coups au Blue Bar à Cannes en 1972 avec Guy Hocquenghem et Jack Lang pour parler du FHAR, le Front Homosexuel d'Action Révolutionnaire, alors que j'étais envoyé au Festival par l'Idhec, mon école de cinéma ! Tout jeune homme et n'étant adepte d'aucune des organisations précitées, je dégustais les informations comme si je lisais l'encyclopédie. C'est ainsi que j'ai dévoré le nouveau livre d'Élise Thiébaut qui avait déjà signé le best-seller Ceci est mon sang, Les fantômes de l'Internationale et Mes ancêtres les Gauloises, ouvrages tous chroniqués dans cette colonne.
En définitive, au lieu de tenter d'analyser les contradictions de l'Amazone verte Françoise d'Eaubonne, me voici à évoquer ma propre traversée du féminisme et de ce qu'on appela la libération sexuelle à une époque où j'étais privé de galipettes si j'accordais mal mes adjectifs et où "on" avait affiché dans ma cuisine "Une femme sans homme, c'est comme un poisson sans bicyclette" ! Les stations de son chemin de croissance et des croix sens m'ont rappelé les bornes kilométriques qui jalonnèrent mon propre périple lorsque je croisai le PCF, le MLF (dont elle fut l'une des fondatrices) et le FHAR (de celui-ci aussi). Ne sachant pas comment résumer l'histoire de celle qui signa le Manifeste des 121 sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie (rédigé par Dionys Mascolo et Maurice Blanchot) et celui des 343 pour le droit à l'avortement (rédigé par Simone de Beauvoir), qui s'engagea avec Michel Foucault pour le droit des prisonniers et contre la peine de mort, qui rapprocha écologie et féminisme face au patriarcat omniprésent, et qui vécut plusieurs vies en une seule, je ne peux que recommander la lecture de cette saga paradoxale qui en raconte autant sur cette femme exceptionnelle que sur l'époque qu'elle traversa, manière habile d'évoquer aussi la nôtre pour essayer de comprendre comment on en est arrivé là...

→ Élise Thiébaut, L'Amazone verte (Le roman de Françoise d'Eaubonne), Ed. Charleston, 18€

lundi 12 avril 2021

Un livre GROS comme ÇA


Une fois de plus je suis bluffé par la nouvelle production d'Ella & Pitr. Les papierspeintres ont publié eux-mêmes le répertoire chronologique de la soixantaine de Géants qu'ils ont peints sur les toits du monde. Depuis 8 ans, ils dessinent de grands Colosses endormis sur des supports horizontaux, voire verticaux comme le barrage désaffecté du Piney haut de 45 mètres. Ils détiennent aussi le record de la plus grande œuvre urbaine du monde sur le toit du Parc Expo de Paris, à la Porte de Versailles, d'une surface de 25 000 mètres carrés. De Saint-Étienne au Chili, en passant par l'Inde et le Canada, la Bulgarie ou la Norvège, ce livre raconte les coulisses, les esquisses de leur projet démesuré. Leurs textes, et ceux de Stéphanie Lemoine, Thomas Schlesser, Emmanuel Grange constituent un discours de la méthode, ou comment l'idée leur est venue et comment ils se sont donnés les moyens de cette idée folle. Elle peut même paraître absurde si l'on pense que la plupart de leurs Colosses ne sont visibles que du ciel ! Ils existent évidemment par les magnifiques photos reproduites dans ce livre relié Gros comme ça dont la couverture cartonnée, toilée et étoilée, est marquée et gaufrée à chaud à l'argent. Ces farceurs adorent les paradoxes. Leur humour incisif et leur autocritique sincère s'insinue dans le moindre détail. Ce n'est pas avec ces œuvres quasi participatives qu'ils vivent, mais plus certainement avec les peintures vendues via la Galerie Lefeuvre & Roze rue du Faubourg Saint-Honoré ! Ils prennent l'argent où il est, tout en offrant généreusement leur travail aux anonymes passants de la rue.


Tout au long des 250 pages de cet épais volume 30.5 x 22 cm, on pourra admirer les détails des fresques, les draps souillés d'abstractions incontrôlées, les notes passionnantes et drôles racontées par les deux joyeux drilles, les circonstances dramatiques, laborieuses ou comiques qui ont accompagné leurs créations. Ella & Pitr ne s'occupent pas seulement de créer, ils détruisent aussi leurs œuvres si le temps qui passe ne fait pas la sienne. Ils peignent sur la neige qui fond, sur le sable que la mer submerge, sur l'herbe qui jaunit, sur la terre labourée par les bulldozers, sur les falaises de carrières dynamitées... Je pense évidemment aux machines suicidaires de Tinguely qui s'autodétruisent, comme on en voit une dans le film Mickey One d'Arthur Penn, à l'autodafé de Tania Mouraud, à la démolition de la maison de Jean-Pierre Raynaud, à Girl with Balloon déchiquetée par Banksy chez Sotheby's...


Dans leur passé de street artistes, leurs affiches finissent toujours par se décoller et se déchirer. L'éphémérité de toute chose, de ce que nous sommes, est soulignée par leurs mises en scène. Ces nouvelles "vanités" ne sont jamais innocentes. Ne vivons-nous pas tous et toutes dans un réseau inextricable de contradictions ? Dans l'incapacité de les résoudre, il peut être sain de trouver un compromis ; ainsi nos deux artistes vendaient en galerie un morceau d'une œuvre plus grande laissée à la rue. Aujourd'hui ils filment des rideaux de scène qui s'écroulent, demain qu'inventeront-ils encore pour se renouveler et garder leur âme d'enfant, secret de l'art, mais que trop de faiseurs oublient.


Sur leur site de vente Superbalais, il n'y a pas seulement ce livre de 1,5 kg. On trouve des T-shirts marrants, des petits livres sympas, des bananes, des sérigraphies pour casser sa tire-lire, et même le DVD du film Baiser d'encre que Françoise Romand leur a consacré en 2015, un conte moral qui deviendra forcément culte avec le temps, d'autant que j'en ai composé la musique !

→ Ella & Pitr, Gros comme ça, 35€

samedi 27 mars 2021

Couleurs du monde sur France Musique


En podcast sur France Musique, Françoise Degeorges me consacre son émission hebdomadaire Couleurs du Monde. La publication du CD Perspectives du XXIIe siècle, produit par le Musée d'Ethnographie de Genève, en est évidemment l'une des raisons principales. La productrice est récemment venue m'interviewer au Studio GRRR avec le réalisateur Pierre Willer qui tenait la perche. Je n'ai pas rencontré leur collaboratrice Floriane Esnault et j'ignorais tout du montage final, mais sur le site de France Musique est publiée la liste des extraits musicaux, avec une petite biographie, soit :

Les Années 1950 (CD Le Centenaire de JJB)
Improvisation sur les couleurs du monde (je ne me souvenais plus du tout de ce que j'avais bricolé lors de ma démonstration !)
Les Années 1960 - avec Hervé Legeay, Vincent Segal, Cyril Atef (CD Le Centenaire de JJB)
Les Années 2040 - avec Antonin-Tri Hoang (CD Le Centenaire de JJB)
Acceptez un conseil - avec Linda Edsjö (CD Pique-nique au labo)
Bolet Meuble - avec Francis Gorgé (LP Avant Toute)
Radio Silence - avec Bernard Vitet (CD Carton)
Nabaz'mob - l'opéra pour 100 lapins communicants réalisé avec Antoine Schmitt
Prise de contact - avec Antonin-Tri Hoang, Vincent Segal (CD Pique-nique au labo)
Musette (CD L'homme à la caméra/La glace à trois faces avec le grand orchestre d'Un Drame Musical Instantané, solistes : Patrice Petitdidier, Bruno Girard)
M'enfin - avec Francis Gorgé, Bernard Vitet (LP/CD Rideau !)
Les Jambes - avec 17 voix du monde (CD Perspectives du XXIIe siècle)
Berceuse ionique - avec Jean-François Vrod, Sylvain Lemêtre (CD Perspectives du XXIIe siècle)
Aksak Tripalium - avec Nicolas Chedmail, Antonin-Tri Hoang, Sylvain Lemêtre (CD Perspectives du XXIIe siècle)
Amore 529 - avec Brigitte Fontaine, Bernard Vitet (CD Opération Blow Up)
Tapis volant - avec Alexandra Grimal (CD Pique-nique au labo)

L'émission est disponible en podcast pendant 3 ans.

vendredi 12 mars 2021

Fausto Romitelli (1963-2004)


Pour défendre les jeunes musiciens ou les défunts méconnus, et écrire quotidiennement sur leurs créations, j'exerce une veille permanente. Ma solidarité s'appuie également sur les conseils de rabatteurs amis qui m'indiquent ce que j'appelle "des biscuits pour l'hiver". Fin des années 60, mon camarade de lycée Michel Polizzi et François qui travaillait chez Givaudan, magasin de disques au carrefour Raspail-St Germain, m'initièrent à la pop et au free jazz, aussi bien qu'au reggae ou Harry Partch. Jean-André Fieschi me réconcilia avec le classique et l'opéra. André Ricros m'apprit la différence entre musiques folklorique et traditionnelle. Depuis, je bénéficie des suggestions épisodiques de quelques uns qui connaissent ma curiosité, tels Jean Rochard, Stéphane Berland, Franpi, Antonin-Tri Hoang et quelques autres.

PROFESSOR BAD TRIP
Article du 26 avril 2008

Si Franck Vigroux ne jouait pas ce soir au Zebulon de New York avec l'accordéoniste Andrea Parkins, il serait venu écouter l'interprétation de Professor Bad Trip par l'Ensemble Intercontemporain à la Cité de la Musique. Hervé Zénouda m'en avait déjà parlé en 2005. Vigroux m'a fait connaître l'œuvre de Fausto Romitelli comme les étudiants de l'Ircam m'avait parlé de Salvatore Sciarrino six ans plus tôt à Valenciennes. Lorsqu'ils ne sont pas versés dans les sempiternels revivals, ce que les plus jeunes écoutent est toujours riche d'enseignement. J'avais noté la date en septembre et nous y voilà !
La première partie réunit l'enivrant Steve Reich avec Eight Lines et le plus conventionnel Philippe Hurel avec son concerto pour piano, Aura. Si Reich continue de nous donner le vertige en nous entraînant dans les méandres de la musique répétitive, Hurel nous laisse de marbre malgré son intéressant travail sur les quarts de ton. Musique bourgeoise de rigueur : comme la plupart des compositeurs dits "contemporains", par son acceptation surannée de la modernité, il la caricature en défendant les attributs de la classe sociale qui l'a engendré(e). Entr'acte.
Françoise remarque qu'elle a rarement entendu un compositeur contemporain aussi contemporain que Romitelli, et Sylvain Kassap de renchérir en insistant sur la réécoute indispensable de la version discographique de Professor Bad Trip par l'Ensemble Ictus, dont le répertoire correspond mieux au génial italien disparu en 2004 à l'âge de 41 ans que l'E.I.C. C'était tout de même amusant de voir Pierre Strauch s'escrimer au violoncelle électrique fuzz aux côtés de Vincent Segal à la basse, le seul de l'orchestre à oser hocher la tête ! Des trois leçons de Romitelli, la dernière laissa la mieux transparaître la magie de son art, mélange réussi de toutes les musiques "contemporaines ", au sens propre cette fois, au sein d'un langage et d'une syntaxe parfaitement maîtrisés. Les trois cordes, les trois vents, le piano, la percussion y côtoient la guitare et la basse électriques comme la bande électronique sans que cela choque à aucun moment. Romitelli se permet même de faire jouer du kazoo et de l'harmonica miniature à ses interprètes. Tout coule de source, même si c'est celle du Styx.
Pendant le concert, je scrute la salle et constate à quel point elle est éclairée. Généralement, on la noie dans le noir pour focaliser l'attention sur la scène. Dans les concerts de rock, de jazz ou de variétés, on sent bien que ça remue, on n'a pas besoin de souligner sa présence par l'image. Rien à cacher, tout le monde se tient bien. Franchement, même si c'était une belle soirée, cela manquait furieusement de soufre.

PERLES DE CULTURE
Article du 21 février 2007


Professor Bad Trip et An Index of Metals (Cypress Records) de Fausto Romitelli, compositeur contemporain autant inspiré par le free que le rock, par l'école spectrale que par l'électro-acoustique, sont d'authentiques chefs d'œuvre. Même s'il touche à une probable et relative immortalité, son prénom ne l'aura hélas pas empêché d'être emporté par un cancer en 2004, à l'âge de 41 ans. La musique est d'une puissance incroyable, la richesse du matériau sonore inépuisable, l'architecture une cathédrale. Donnez à un adepte psychédélique de Henri Michaux, un fanatique de l'impureté, un enfant de "l'artificiel, du distordu et du filtré", les moyens proprets de l'institution contemporaine, et vous pourriez réussir le cocktail alchimique explosif qui a cramé ma galette argentée. L'ensemble belge Ictus le suit dans ses expérimentations démentes. Avec ou sans électronique ajoutée, la musique sonne inouïe. Dans le disque intitulé Professor Bad Trip, à côté des pièces d'ensemble, il y a un solo de flûte à bec contrebasse qui sonne comme de grandes orgues et Trash TV Trance, un solo de guitare électrique dont pourraient s'inspirer à leur tour les expérimentateurs les plus aventureux.


An Index of Metals est un double, version audio et version dvd en vidéo-opéra cosigné avec Paolo Pachini. La musique est encore plus corrosive que dans les œuvres précédentes. Utilisation de tous les bruits parasites, grattements de vinyle, friture numérique, clics, infrabasses, dans un univers varèsien adapté au nouveau siècle... On passe d'un monde à l'autre sans ne jamais quitter l'univers. La guitare électrique se même parfaitement à l'orchestre. Qu'écoutait donc Romitelli pour se détendre lorsqu'il rentrait chez lui ? A-t-il jamais fait de la scène lorsqu'il était adolescent ? Qu'y a-t-il vu et entendu ? Tant de questions sans réponse me brûlent les lèvres tandis que je suis assailli par les sons qui m'entourent et "ignorant des choses qui le concernent". Deux versions image, un ou trois écrans. Deux versions son, stéréo ou 5.1. Le travail vidéographique est décent, mais la "modernité" (comprendre "qui suit la mode") affadit le propos musical beaucoup plus ouvert et généreux. Le texte lui-même propose des hallucinations autrement plus originales (Drowninggirl, Risinggirl, Earpiercingbells). J'imagine une interprétation à la Godard dans son Histoire(s) du cinéma plutôt que ces textures cliniques, fussent-elles empruntées au réel (exercice de style que de fabriquer des images de synthèse sans aucun artifice ; je choisis ici mes moments préférés comme illustrations). Mais quel bonheur de découvrir un nouveau compositeur que l'on ignorait encore la veille ! Romitelli s'est éteint à Milan le 27 juin 2004. An Index of Metals est son requiem.
Ces albums sont sous-tendus par des dramaturgies de matière qui racontent une histoire, poèmes tremblés parfaitement maîtrisés. Ils mènent inexorablement au travail de Vigroux. Je me reconnais dans le drame (entendre théâtre et plus précisément théâtre musical radiophonique) comme dans le Drame (comprendre Un Drame Musical Instantané). Lorsque j'entends ou que je vois des choses qui me plaisent, je n'ai plus à les réaliser moi-même, ça me fait des vacances. Quel soulagement !

P.S.: en 2016, à La Scala de Paris, j'eus la chance d'assister à une version d'An Index of Metals par la soprano Donatienne Michel-Dansac, créatrice du "rôle" avec Ictus, accompagnée par United Instruments of Lucilin dirigés par Julien Leroy. Pas de vidéo, mais des lumières de François Menou, peut-être plus adaptées à l'œuvre.

mercredi 17 février 2021

Retour sur mon duo avec Nicolas Clauss


Il ne nous reste que des souvenirs, aujourd'hui un autre d'il y a treize ans.
Leur morne absurdité condamne des générations d'artistes, les plus jeunes plus fragiles que tous les autres. Notre création Perspectives du XXIIe siècle est ajournée sine die. Alors nous nous replions sur nos pénates. Notre force de résistance est intacte. Ils ont tout à craindre. Elle explosera. En attendant, dans le mois qui vient j'enregistrerai deux trios, le premier avec Naïssam Jalal et Mathias Lévy, le second avec Élise Caron et Fidel Fourneyron. C'est dire si je ne me laisse pas abattre !

Article du 18 mars 2008

Donc, le lendemain, pour mon duo avec Nicolas Clauss à L'Échangeur, je n'emporterai pas de clavier. Mon instrument principal devient mon micro devant lequel je chante, joue de la flûte et de la trompette à anche. Je transforme tous les sons en temps réel, les miens comme ceux que Nicolas produit en jouant de ses modules interactifs, avec mon Eventide (une sorte de synthétiseur d'effets que j'ai programmés) et mon AirFX que je module sans le toucher en faisant au dessus de lui des passes "magnétiques" (en fait, optiques, puisqu'il s'agit d'un rayon avec un système de repères en 3D). Jamais nous ne sommes parvenus à faire aussi bien ressortir l'humour grinçant de Jumeau Bar, les effets amplifiant les intentions critiques que véhicule ce petit bar de campagne. Après un White Rituals des plus SM, voix et flûte aidant, j'accompagne L'ardoise avec mon Tenori-on dont je joue ce soir pour la première fois. J'oscille entre le côté kawaï (mignon) des dessins d'enfants et les sujets graves qu'ils évoquent. Lorsque je n'installe pas le cadre, décor qui permettra tous les possibles et parfois même l'impossible, je cherche surtout la complémentarité avec les images projetées par Nicolas. Nous terminons notre petite prestation par de délicats et lugubres Dormeurs qui s'écroulent au combat comme des quilles s'affalant sous leur propre poids et font sonner leur marche ralentie au son d'une martiale trompette à anche. Rebelote. Nicolas et moi sommes aux anges, impatients de recommencer l'expérience du duo, et heureux d'avoir participé à une si belle soirée. Françoise Romand a réagencé quelques extraits de notre prestation pour le petit film qu'elle a réalisé.


Mirtha Pozzi et Pablo Cueco avaient ouvert le bal par leur duo de percussion, avec Étienne Bultingaire aux manettes. Grosse surprise du remarquable jeu théâtral de Didier Petit qui partage la scène avec son violoncelle et le chorégraphe Mic Guillaumes. Final avec Jean-François Pauvros transformant son instrument en vielle et revenant progressivement vers ce qu'elle est, une guitare électrique vrombissante.
Le surlendemain, je vais écouter Pascal Contet maltraitant délicatement son accordéon devant l'installation végétale de Johnny Lebigot, Lucia Recio donnant la réplique aux sculptures en bois que José Lepiez caresse astucieusement, et les WormHoles dirigés de main de maître à l'archet par l'ami Didier Petit, grand organisateur de ce somptueux et malin mini-festival, hôte parfait, qui sait mieux que personne ce que signifie la générosité... Lucia passe d'un registre à l'autre, tantôt grave et bruitiste, tantôt rock et coupant ; Camel Zekri à la guitare en demi-teintes et Edward Perraud au jeu inventif et grinçant, Bultingaire aux effets métropolitains complètent ce quintet original dont la clarinettiste Carol Robinson est l'invitée et que je n'avais pas revue depuis l'enregistrement de Sarajevo (Suite). À l'entrée (et à la sortie !), Théo Jarrier et Hervé Péjaudier tiennent la boutique de disques installée sur des tréteaux de fortune et ça marche. Lors du concert au Triton, les vinyles du Drame étaient partis comme des petits pains, les plus jeunes étant friands de 33 tours. [...]

mardi 16 février 2021

Retour sur le concert avec Donkey Monkey


Treize ans ont passé depuis ce concert avec Ève Risser et Yūko Ōshima. L'année précédente j'avais évoqué un concert de leur duo, Donkey Monkey. En 2011 je les avais engagées en Arles alors que j'étais directeur musical des Soirées des Rencontres de la Photographie ; ainsi, au Théâtre Antique, elles accompagnèrent brillamment le Mano a mano entre les agences VII et Tendance Floue. Je ne me souviens pas avoir rejoué avec Yūko dont j'adore le mélange de percussion, voix et électronique. Quant à Ève, en 2014 nous avons enregistré l'album Game Bling, trio avec Jocelyn Mienniel dont une pièce figure sur le récent double CD, Pique-nique au labo. Yūko vit toujours à Strasbourg, travaillant beaucoup pour le théâtre et Ève poursuit ses projets mirobolants... Enfin, évoquer des concerts après bientôt un an de disette, fruit pourri de la gestion désastreuse et criminelle de notre gouvernement, est-ce une si bonne idée ? Y revenir sonnera comme une victoire contre cette période quasi vichyssoise ; Macron parlait de guerre, il faudra bien lui jouer la Libération !

Article du 17 mars 2008

J'attendais que Françoise Romand ait monté cet extrait de notre concert pour revenir sur ma rencontre musicale avec Donkey Monkey, le duo formé par la pianiste alsacienne Ève Risser et la percussionniste japonaise Yūko Ōshima. Le résultat fut à la hauteur de nos espérances. La complicité humainement partagée s'est laissée transposer naturellement sur la scène du Triton. La première partie, s'appuyant sur des morceaux du duo, était plus popisante tandis que la seconde, basée sur mes programmations virtuelles, était plus explosée. Comme chaque fois, il en faut pour tous les goûts et nous avons entendu assez de commentaires pour saisir que les uns ou les autres préfèrent tel ou tel morceau. C'est toujours ainsi. Si l'on écoute les avis des spectateurs, il faut en récolter suffisamment pour que tous les passages trouvent leurs admirateurs ou leurs détracteurs. Tout entendre, mais n'en faire qu'à sa tête, en l'occurrence un être tricéphale dont les méninges carburent au-delà de la vitesse autorisée. Après cette première rencontre sans véritable répétition, nous nous sommes découverts dans l'action. Je perçois ce que je pourrais améliorer à mon niveau : soigner les codas et développer les complicités avec chaque musicienne indépendamment de leur duo, dramatiser mon apport par des ambiances de reportage et des évènements narratifs, étoffer mon instrumentation acoustique lorsque les morceaux durent plus que prévu, par exemple j'emporterais bien le trombone et le violon vietnamien, mais je supprimerais les projections sur écran difficilement compréhensibles pour le public en les remplaçant par des compositions où l'improvisation libre se construit autour de modèles dramatiques.


J'en saurai plus après avoir écouté l'enregistrement de la radio. Nous avions en effet commencé la soirée par un petit entretien avec Anne Montaron puisque France Musique diffusera la soirée [...] dans le cadre de son émission "À l'improviste".
Les filles ont lancé le mouvement, je les ai rejointes en commençant à jouer depuis les coulisses avec un petit instrument improbable que j'ai acheté dans un magasin de farces et attrapes il y a près de 40 ans ! C'est une sorte d'appeau dans lequel je dois souffler comme un malade pour en sortir de puissants sons de sax suraigus. Sur le dessus de cet instrument tricolore affublé d'une petite percussion en métal sur bois, je bouche le trou unique pour rythmer mes phrases. J'accompagne mon solo de déhanchements suggestifs tandis que je rencontre l'objectif d'Agnès Varda venue filmer notre performance en vue de son prochain film intitulé Les plages d'Agnès [P.S.: la séquence n'y figuera pas, Agnès ayant oublié de brancher le son (!), mais j'apparais dans le dernier plan du film pour ses 80 balais !]. Mes guimbardes tiennent alternativement le rôle de basse et de contrepoint rythmique au duo excité du piano et de la batterie. Le second morceau est plein d'humour, Ève et Yūko chantant en japonais un blues nippon que j'accompagne avec des effets vocaux qui vont de l'électroacoustique déglinguée à des imitations yakuzesques de comédiens nô. La première partie se clôt sur un longue pièce de pluie où les sons tournent des unes à l'autre sans que l'on ne sache plus à qui sont les gouttes qui éclatent ici et là. Ève a préparé le piano avec des tas de petits objets étranges tandis que Yūko est passée au sampleur... Après l'entr'acte, les filles s'amusent à suivre ou contrarier de nouvelles gouttes, cette fois sorties tout droit du diagramme de FluxTunes projeté sur l'écran derrière nous, ping-pong qui nous oblige à rattraper les notes comme si c'était des balles. Les trois garnements étalent ensuite leurs jouets pour trois petits solos et une coda en trio (carillon, toy-piano, jeu de cloches, synthétiseurs et Theremin à deux balles) suivi d'un duo de pianos où Ève doit sans cesse rebondir face à mes quarts de ton renversés. Nous terminons par un zapping de ouf où je joue du module Big Bang face aux deux filles qui usent, abusent et rusent irrévérencieusement avec leur répertoire pour me couper systématiquement et alternativement la chique. Le petit rappel est on ne peut plus tendre, Ève s'étant saisie de sa flûte traversière, Yūko nous enchantant de sa langue maternelle et ma pomme terminant dans le grave de ma trompette à anche. Nous espérons maintenant pouvoir remettre ça un de ces soirs, ça, une véritable partie de plaisir !
Sauf les rares jam-sessions où je ne jouais que du Theremin, c'est la première fois que je jouais aussi peu de clavier. Mes touches noires et blanches et mes programmes construits au fil des années incarnent une sécurité dont je souhaite me débarrasser. Aussi, le lendemain, pour mon duo avec Nicolas Clauss à L'Échangeur, je n'en emporterai carrément pas... (à suivre)

mardi 9 février 2021

Les miettes du purgatoire


Article du 21 février 2008

Formidable ! Des téléspectateurs ont enregistré le court-métrage que Françoise Romand avait réalisé en 1992 pour Strip-Tease et l'ont mis en ligne, ce qu'elle ne pouvait se permettre [P.S.: depuis, elle a remasterisé le film et "changé quelques petites choses" ; c'est cette version qui est offerte ici]. En effet, la nièce des deux jumeaux a demandé que Les miettes du purgatoire ne soit plus diffusé à la télévision. Or cette interdiction a fait plus de publicité au film que si il était resté un épisode parmi d'autres de la célèbre série. Il est, grâce à elle, devenu "culte" et Internet permet de découvrir ce petit joyau qui tranchait déjà avec le style de Strip-Tease. Car Françoise ne se moque pas de ses personnages, elle vibre en compassion avec eux comme dans toutes ses autres œuvres. Cette tendresse a chaque fois tissé une complicité avec celles et ceux qu'elle filmait, lui permettant de tourner comme personne.


Les deux parents sont aujourd'hui décédés, et seul reste en vie l'un des deux frères, Yves, qui ne voit d'ailleurs aucun inconvénient à ce que le film soit projeté [P.S.: Je crois me souvenir qu'il est décédé lui aussi, depuis]. À la mort d'Alain, la famille aurait aimé brûler tous ses tableaux, effaçant ainsi ce qui pouvait sembler incorrect dans cette morale morbide qui compose le charme discret de la bourgeoisie.
Il est passionnant de mettre en relation Les miettes du purgatoire et le long-métrage Mix-Up ou Méli-Mélo que Françoise tourna sur deux bébés échangés à la naissance, jumelles à leur manière croisée. À propos de Mix-Up, voir le site DVDBeaver qui a réalisé une page autour du film avec de belles captures d'écran.

P.S. de 2021 : Françoise Romand a reçu cette année le Prix de la SCAM pour l'ensemble de son œuvre.

mercredi 13 janvier 2021

Madame de...


Article du 3 décembre 2007

Madame de... est une valse viennoise. La tête me tourne. Mon corps vacille. Le destin est obscur. Saurons-nous l'aborder avec dignité, humilité ? Je pense aux romans d'Arthur Schnitzler. Françoise répond Edith Wharton. Les mouvements amples de la caméra ont l'élégance des personnages. Les avant-plans en amorce renforcent la distance freudienne de notre regard. Ici les miroirs réfléchissent aussi. La lumière de Christian Matras vaporise un voile d'une précision absolue sur les âmes et les objets. Les yeux dans les yeux. Paupières baissées. Un geste. Coup de foudre. La moindre réplique renvoie au décor, à un costume ou à la scène, sans jamais négliger ni les différences de classe, ni les rapports entre les femmes et les hommes. Tout est écrit et tout semble si naturel que nous pénétrons en somnambules les rêves de celles et ceux que filme Max Ophüls. Ses personnages n'ont pas le choix, ils s'enfoncent dans le récit comme nous traversons la vie sans savoir, que lorsqu'il est trop tard...
Les œuvres d'Ophüls sont un ravissement. Je n'en perds pas une bouchée, de l'image comme de ce qui s'y trame, le moindre figurant, les astuces sonores, les cadres de Douarinou, les costumes d'Annenkov, l'époustouflante Danielle Darrieux dans un de ses meilleurs rôles... Ophüls, comme Mizoguchi, fait partie des rares cinéastes mâles à avoir su filmer les femmes en remettant pitoyablement les hommes à leur place, ici Charles Boyer et Vittorio de Sica. Madame de... fut tourné en 1953, entre Le plaisir et Lola Montès, d'après un roman de Louise de Vilmorin qu'adaptèrent Marcel Achard, Annette Wademant et le metteur en scène. L'œuvre est à réévaluer. Max Ophüls figure parmi les plus grands cinéastes français de l'histoire aux côtés de Jean Epstein, Jacques Becker, Jean Grémillon, trop souvent oubliés au profit d'Abel Gance, Jean Renoir ou Marcel Carné. Je ne vais pas citer tout le monde...


Le dvd anglais (zone 2, donc lisible sur un lecteur français) a un bande-son très moyenne (alors que le film lui fait la part belle) et les sous-titres sont insubtilisables, mais l'excellence du film mérite que l'on s'en fiche. Un dvd du Plaisir est également disponible en copie anglaise (Universal), tout aussi épatant et entraînant que Madame de... Ne boudons pas le nôtre, d'autant que l'on devra encore attendre que soit restauré Lola Montès, car voilà plus de quarante ans que l'on ne l'a pas vu avec ses couleurs d'origine.

P.S. de 2021 : depuis, Carlotta a publié de magnifiques Blu-Ray de Lola Montès (enfin restauré comme par magie !), La ronde et Lettre d'une inconnue, 20€ chacun. Je n'ai pas vu celui de Madame de, ni celui du Plaisir, tous deux chez Gaumont...

vendredi 8 janvier 2021

Chris Ware, toujours


À l'occasion de la parution de Rusty Brown, nouvelle œuvre géniale de Chris Ware dont le format rappelle Jimmy Corrigan en plus épais, récit choral à lire à la loupe ou avec un microscope, je republie mes articles de 2007 à 2018 sur ce maître de la bande dessinée... Les quatre "ouvrages" parus en français aux Éditions Delcourt sont indispensables, si ce n'est pour vous, au moins offrez-les ! Delcourt offre aussi un coup d'œil aux premières pages de Rusty Brown...

LES ÉLUCUBRATIONS
Article du 20 décembre 2007



Magnifique bande dessinée de Chris Ware, l'auteur de Jimmy Corrigan. Pour 20 euros, avec ACME au moins il y a de quoi lire. Parfois certes avec une loupe ! Lucie dit que la version originale en américain est plus juste, même si l'adaptation française est très réussie. Ware s'inspire des vieux comics que je lisais dans le métro en allant chez le dentiste faire régler mon appareil une fois par semaine. Il y avait des pubs pour les lunettes infra-rouges et des feuilletons bizarres qui faisaient carburer mon imagination.


Mes étudiants des Arts Décos m'avaient recommandé Jimmy Corrigan lorsque j'étais allé enseigner à Strasbourg. Je préfère le verbe "transmettre" à "enseigner" parce que je ne suis pas professeur. Les artistes qui gardent jalousement leur savoir l'emporteront probablement avec eux dans la tombe, c'est leur choix. La thésaurisation des connaissances est aussi mesquine que celle de l'argent. Il faut que cela circule.


Les livres publiés par Chris Ware sont des compilations de planches publiées séparément, par exemple dans le Chicago Reader (où officie l'ami Jonathan Rosenbaum !). Ils rappellent les œuvres de Windsor McKay, l'auteur de Little Nemo par la taille et la forme, mais son style géométrique est plus moderne, varié et inventif. S'il se réclame aussi des boîtes de Joseph Cornell, humour noir, nostalgie, tristesse, absurde, on retrouve tous les éléments des magazines de notre enfance, avec leurs pages à découper, les petits formats, les pubs, etc. Sauf que Ware assume seul le rôle de tous les dessinateurs d'un journal. L'aspect autobiographique de ce quatrième livre me renvoie à une précédente lecture, Mes problèmes avec les femmes, dernière livraison de Robert Crumb, dont l'authenticité renversante est transcendée par un sens critique exceptionnel. Depuis Maus d'Art Spiegelman, aucune bande dessinée ne m'avait autant intrigué et remué. En plus, c'est beau.

BUILDING STORIES
Article du 21 novembre 2014


À l'approche de Noël les beaux livres s'affichent dans les vitrines. Après La nouvelle encyclopédie de Masse et Outside, quand la photographie s'empare du cinéma, le coffret Building Stories de Chris Ware traduit en français et publié par Delcourt séduira les amateurs de bande dessinée et de livres-objets les plus exigeants. Je me le suis offert pour mon anniversaire et suis loin d'en avoir fait le tour ! Chris Ware a marqué tous les étudiants en art avec le multiprimé Jimmy Corrigan (1995-2000), un petit livre très épais nécessitant de bonnes lunettes pour en apprécier tout le suc. Le grand format ACME (2007, toujours chez Delcourt) m'avait tout autant enthousiasmé par la précision du dessin et l'enchevêtrement des narrations.
Building Stories enfonce le clou en laissant le lecteur tracer son chemin parmi les 14 fascicules de tailles différentes contenus dans le grand coffret cartonné. Libre à chacun de construire le récit de la vie de cet immeuble où les questions familiales peuvent sembler étouffantes. Chris Ware raconte ses histoires de manière morcelée, souvent énigmatiques, comme des séances de psychanalyse. Au troisième étage la locataire est une femme qui a perdu une jambe dans son enfance lors d'une promenade en bateau. Au second un couple passe son temps à se chamailler et au premier réside la propriétaire âgée. La femme du troisième revoit sa vie, se considérant comme une artiste ratée, devient mère, desperate housewife regrettant son premier amour qui l'a quittée après un avortement. L'histoire est évidemment beaucoup plus complexe et abracadabrante, marquée par l'influence de Marcel Duchamp et de sa Boîte-en-valise, construction savante de pertes qui me rappelle la sublime introduction de l'opéra Lost Objects de Bang on a Can. Perte de foi, perte d'amour, perte d'argent, perte de poids, perte d'un membre, perte de mémoire, perte de sens...
Chris Ware rejette les tendances actuelles de la bande dessinée trop influencée à son goût par le cinéma et le roman-photo. Ses cadres sont dictés par la typographie. Ses narrations sont circonlocutoires, souvenirs reconstruits d'une époque à moitié oubliée. Le rêve y est aussi réel que les faits. Seul vaut leur interprétation. Chris Ware préfère se référer à Windsor McKay, Joseph Cornell et aux comics des années 50 pour avancer dans son œuvre si méticuleuse qu'elle peut paraître froide avant que l'on y pénètre sérieusement. Comme Crumb avec sa collection de 78 tours de vieux blues il vit dans le monde musical des ragtimes qui marquent la structure angulaire de son jeu de cubes. Cette nostalgie du temps passé résonne avec sa quête généalogique qu'il recompose dans une forme résolument contemporaine. Pathétique, son humour est forcément pince-sans-rire.
Building Stories est à double sens. Ce sont les histoires d'un petit immeuble livrées au lecteur pour qu'il se les construise à sa guise. C'est au nombre de ses interprétations que se révèle un chef d'œuvre.

→ Chris Ware, Building Stories, Delcourt, 69,50€

LE PAVÉ
Article du 7 février 2018


Moi qui crains que la lecture d'une bande dessinée ne me dure qu'un quart d'heure une fois pour toutes, je ne risque rien avec Chris Ware ! C'est une telle somme d'informations tant typo que graphiques que j'ai chaque fois l'impression de ne jamais en venir à bout, mais là c'est le pompon, 280 pages format 33,5 x 3 x 46,5 cm bourrées à craquer, d'une beauté architecturale à couper le souffle. Le seul problème est sa prise en mains. Pas question de lire ce pavé de 4 kilos, allongé sur le divan : il m'écraserait. Que peut-on attendre d'autre de la monographie d'un des plus grands dessinateurs actuels ? Une version française ? Oui, ce serait chouette, parce qu'en plus des reproductions incroyables il y a beaucoup à lire. Chris Ware avait d'abord été pour moi une énigme. Il livre ici les clefs, après les préfaces d'Ira Glass, Françoise Mouly et Art Spiegelman. Rappelant le sublimissime coffret Building Stories (chaudement recommandé dans son édition française chez Delcourt avant qu'il ne soit épuisé), l'ouvrage recèle des petits formats collés sur certaines pages.
Que dire de cette monographie que je n'ai déjà révélé dans mon article sur Les élucubrations de Chris Ware ? Qu'il y a à boire et à manger, mais l'entendre comme une mine insatiable de mets et breuvages plus surprenants les uns que les autres ! Qu'il faut de bonnes lunettes pour en apprécier tous les détails... Que chaque double page mérite l'achat. Que 50 euros pour cette montagne c'est donné. Que l'on y apprend que l'homme n'est pas à l'image des ses héros. Que le quotidien recèle les plus belles surprises de la vie. Que Ware sait le traduire mieux que quiconque en un rêve halluciné. Que sa critique du monde est évidemment toute en nuances. Que c'est un portrait forcément terrible de l'Amérique. Qu'il n'y a rien de surprenant d'y trouver un zootrope. Que tout cela ressemble à une énorme encyclopédie que l'on peut lire en l'ouvrant à n'importe quelle page. Émerveillement garanti.

→ Chris Ware, Monograph, relié, couverture cartonnée, version anglophone, ed. Rizzoli New York, à partir de 50€

jeudi 17 décembre 2020

Caroline Cellier est morte 55 ans après...


Si j'avais toujours eu un faible pour Lauren Bacall, je me souviens parfaitement que mes premiers émois sexuels se révélèrent le 29 novembre 1965, lors de la première, au Théâtre Gramont, de la pièce de René de Obaldia, Du vent dans les branches de sassafras, mise en scène par René Dupuy. Mon père m'y avait emmené, probablement invités par son ami Francis Lemaire qui jouait le double rôle d'Œil-de-Perdrix, chef des Apaches, et Œil-de-Lynx, chef des Comanches. La pièce ne pouvait que m'emballer alors que je dévorais les romans de Johnny Sopper dans la collection Western du Fleuve Noir. Et puis voir Michel Simon jouer John-Emery Rockefeller est un souvenir inoubliable, son dernier rôle au théâtre. Si la distribution offrait Françoise Seigner, Bernard Murat, Jacques Hilling, Michel Roux et Rita Renoir, c'est Caroline Cellier, débutante de 20 ans, qui me renversa sur mon siège. Elle suggérait le coït en l'appelant quelque chose comme "xitelt xitelt". C'est gravé quelque part dans la mémoire approximative d'un enfant de 12 ans, mais chaque fois que j'ai vu la comédienne au cinéma, j'ai eu un pincement au cœur. Allez savoir ce que j'y décelai ! Nous étions allés rencontrer les comédiens dans les loges, mon cœur battant. J'éprouvais une petite déception de la savoir mariée à Jean Poiret, et cela me rassurait aussi autrement ! De temps en temps je cherchais ce qu'elle devenait, et l'annonce de sa mort, survenue il y a deux jours à l'âge de 75 ans, tourne une page décisive de ma propre vie.
De même, imaginer que la femme de 30 ans, que j'ai éperdument aimée lorsque j'en avais dix de moins qu'elle, aurait aujourd'hui 78 ans, me trouble terriblement. J'ai tout de même cherché sa trace sur la Toile, mais elle s'est perdue, soit disparue, soit pour avoir changé de nom une fois encore...
Caroline Cellier jouera ensuite pour Lelouch, Chabrol, Molinaro, Sagan, Verneuil, Vadim, Frank, Lauzier, Corsini, Marbœuf, Stora, Girod, Chabat, Boukhrief, et bien sûr dans Le zèbre, seul film réalisé par Poiret.
Ma journée commence tristement, mais je dois heureusement enregistrer ma fille pour sa participation vocale à une chanson de Tony Hymas, ce qui me fera probablement accepter ce rêve qui s'éteint. Nous devons tous et toutes nous habituer à perdre des objets, des amis, et puis la vie.

Photo de Nicolas Treatt

mercredi 14 octobre 2020

Pique-nique au labo, la fête !


Élise Dabrowski, Amandine Casadamont, Elsa Birgé, Linda Edsjö, Eve Risser, Marie-Christine Gayffier, Vincent Segal, Karsten Hochapfel, Mathias Lévy, Jean-François Vrod, Antonin-Tri Hoang, Nicolas Chedmail, Hasse Poulsen, Jean-Brice Godet, Ravi Shardja, Médéric Collignon, Jonathan Pontier... C'était vraiment génial de vous avoir tous ensemble ! Nous avons mis les coudes pour ce cluster du diable. J'ai pensé aux absents, Alexandra Grimal, Birgitte Lyregaard, Sophie Bernado, Fanny Lasfargues, Christelle Séry, Samuel Ber, Nicholas Christenson, Pascal Contet, Julien Desprez, Wassim Halal, Edward Perraud, Sylvain Lemêtre, Sylvain Rifflet, Joce Mienniel... Et à toutes celles et tous ceux qui nous rejoindront lors de ces rencontres conviviales. Ce que nous avons enregistré ensemble montre simplement que l'improvisation n'est pas un style, mais une manière de vivre, soit réduire le temps entre composition et interprétation, penser longtemps pour agir vite. Il faut qu'il y ait d'autres dimanches où nous puissions discuter à bâtons rompus, confronter nos expériences, partager cette tendresse qui fait tant défaut aux professionnels que l'on veut faire de nous, il faut sans cesse retrouver la passion des amateurs, étymologiquement celles et ceux qui aiment. Pique-nique au labo ne se voulait pas un manifeste, mais la musique qui s'en dégage m'y fait penser !
En 2013 j'avais d'ailleurs rédigé un texte sur celles et ceux que j'appelais Les Affranchis. Vous en reconnaîtrez quelques un/e/s parmi mes invités. Leur rassemblement sur ces deux disques fait sens, musicalement, mais aussi politiquement. Parce que l'une ne va pas sans l'autre. Comme disait Jean Cocteau, une œuvre est une morale, même s'il déplorait que certains s'amusent sans arrière-pensée. J'avais développé mon point de vue dans un long article intitulé Cent soleils, commandé par la revue en ligne Citizen Jazz. J'y reviendrai, mais je suis aujourd'hui extrêmement heureux et fier que le travail de tous mes camarades de jeu dresse une sorte de portrait chinois de nos aspirations communes. Les plus jeunes avaient 20 ans lors des enregistrements, le plus âgé en a 60. Je ne parle pas du mien, je suis simplement jeune depuis plus longtemps que tous les autres, comme disait Françoise. Selon les générations et les différents secteurs où ils évoluent, leurs méthodes varient, mais ils cherchent tous et toutes la même chose, la liberté de créer comme ça leur chante, quand l'art et la vie se fondent dans le même mouvement.


La "release party", ce pique-nique festif qui m'avait cantonné deux jours en cuisine pour le préparer, m'a remonté le moral après (et avant) les incohérences à répétition du presseur Optimal Media qui traita notre commande par dessous la jambe, malgré l'insistance de Squeezer, notre intermédiaire parisien. Ces derniers jours tournèrent plutôt en "Panique au labo" ! C'est la seconde fois que le presseur allemand patauge dans la livraison. Pour le précédent album fabriqué chez eux pour le label GRRR ils avaient perdu le camion, avaient failli tout represser pour finalement retrouver le chargement au nord de la Suède. Ce n'est pas une blague ! Cela eut des conséquences dramatiques sur ma vie privée. Cette fois, alors qu'ils avaient tous les documents depuis trois semaines, ils se sont aperçus le jour prévu du départ du camion qu'il manquait de la matière graphique pour la coupe à un endroit non précisé dans le gabarit qu'ils nous avaient envoyé. Ce qui signifie évidemment qu'ils avaient pris du retard sans nous prévenir et qu'ils n'avaient pas ouvert les documents auparavant. Comme si cela ne suffisait pas, deux jours plus tard, ils ont découvert un nouvel endroit où il manquait de la matière, toujours pas précisé dans leur gabarit. Ils étaient pourtant prévenus qu'un retard de leur part impliquerait des frais supplémentaires en cascade. En me battant, j'ai fini par recevoir 100 exemplaires pour la fête de sortie, que j'avais dû décaler au dernier moment et où étaient conviés tous les musiciens. J'avais stipulé qu'ils m'en fallait 200 minimum ce jour-là. Allez m'expliquer pourquoi le deuxième carton de 72 disques n'en contenait que 28 ! Pour faire un compte rond ? Et pourquoi repousser la livraison de l'ensemble encore à la semaine suivante ? J'aimerais bien apprendre quelles sont les difficultés de conditionnement qui empêchent de livrer une commande complète lorsqu'on a accumulé les ratés sans jamais s'excuser. Et le jour absolument promis de la livraison, sans cesse repoussée, j'ai attendu en vain Dachser, leur maudit transporteur qui nous avait déjà plantés en 2018. Si c'était exceptionnel encore, mais non, la rigueur allemande en prend un coup. Heureusement l'objet est tel qu'attendu, magnifique (merci mcgayffier !), et les galettes sont nickel argentées (masterisées par bibi).

→ Jean-Jacques Birgé + 28 invités, Pique-nique au labo, double CD 3 volets avec livret 12 pages, GRRR 2031-2032, dist. Orkhêstra, 15€ (le prix d'un simple CD, mais celui-ci dure 120 minutes !), sortie officielle 21 Octobre 2020, ou déjà commander sur Bandcamp !

jeudi 17 septembre 2020

Newsletter de septembre 2020

Le déroulant qui défile ci-dessous est une capture-écran de ma copieuse newsletter envoyée hier soir. Pour bénéficier de tous les liens, voir les films, lire correctement les textes, etc., il faut cliquer ICI !!!












Et encore, on ne vous dit pas tout !
Par exemple, que je suis fier d'avoir composé la musique de 4 des 6 DVD (et pas mal de petits machins) de Françoise Romand qui reçoit le Prix de la SCAM pour l'ensemble de son œuvre pour laquelle je me suis battu pendant quinze ans.
Ou qu'il y a deux autres albums sur le feu et des projets incroyables de performances live ou d'ateliers hirsutes...

mardi 11 août 2020

Saga de Xam [archive]


Article du 8 mars 2007

C'est incroyable comme les nouveaux médias font remonter les souvenirs à la surface. On croirait être resté en apnée pendant des siècles, et puis une question suivie d'une évocation font boule de neige. Pan ! Dans le mille. On en reprend pour trente ans. Les événements s'enchaînent comme un fait exprès. Jean-Denis Bonan était mon professeur de montage en première année d'Idhec. Il avait beaucoup d'imagination ou bien des nuits très agitées. Chaque matin il nous racontait son rêve en arrivant à l'école. Je l'ai toujours connu souriant. Je l'avais revu il y a quinze ans alors qu'il exposait des bouteilles de sable peint chez Alberto Bali, un voisin de mon immeuble en face du Père Lachaise. J'ai eu le plaisir de le retrouver grâce à Françoise qui avait été son assistante.
Googlisant le dessinateur "Nicolas Devil", Jean-Denis tombe hier soir sur son nom dans un de mes premiers billets d'août 2005.


Jean-Denis m'écrit qu'ils étaient très proches dans les années 70, exposant ensemble à Zurich. Il possède même une des planches originales de Saga de Xam, le livre fondateur de la nouvelle bande dessinée française, où il figure au moins deux fois : "en chanteur (mais on ne voit pas que je chante) et une fois (cette fois-là sans ressemblance) en moine lubrique dont le cerveau est composée de femmes nues (c'est cette planche que Nicolas m'a offerte il y a longtemps)". Il lui en avait aussi donné un exemplaire "avec une splendide dédicace, mais on (lui) a volé." Comment Jean-Denis sait-il que je connais Saga de Xam et que j'ai récupéré l'exemplaire de mon père l'année dernière ? Sait-il que je fus l'assistant de Jean Rollin, l'auteur du scénario, et que j'ai raconté le tournage de son film Lèvres de sang [hier] ici-même ? Ou bien est-il tombé par hasard sur le commentaire que j'écrivis en marge d'un billet du blog d'Étienne Mineur le 9 mars dernier [2006], il y a presque un an jour pour jour, ce qui expliquerait tout, enfin, pas tout, mais le début du tout :

Réalisé par Nicolas Devil d'après un scénario de Jean Rollin, épais cadavrexquis de Barabara Girard, Merri, Nicolas Kapnist, Philippe Druillet, Devil, photos de Tony Frank, couleurs de J-P Gressin, Annie Merlin, Jacqueline Sieger...On y croise des dizaines de personnages : Gingsberg, Artaud, Barbarella, Dylan, les Stones, Étienne Roblot, Zappa, J-J Schul, Kalfon, Julian Beck, Lovecraft, Valérie Lagrange, Patryck Bauchau, Edouard Niermans, Lennon, Cassius Clay, les Hell's Angels, les provos, dans une explosion graphique digne d'une bible psychédélique. Livré avec une loupe ! (éd. Éric Losfeld, 1967)

Mon père avait été contrebandier avec Losfeld, passant des livres érotiques à la frontière belge ! Tout s'enchaîne. C'est toi qui emploie le mot Incroyable ! dans ton mail, mon cher Jean-Denis, mais tu ne savais pas à quel point. Xam, Rollin, Losfeld, mon père, l'Idhec, Françoise... Le livre est devant moi. C'est cet épais volume aux pages cartonnées qui m'initia à la bande dessinée adulte. C'était aussi la seule trace de culture psychédélique à la maison avant mon voyage aux États Unis en 68. Glissées entre les pages de Saga de Xam, je découvre les fiches où j'avais recopié les phrases déchiffrées en m'aidant du code pour lire les dialogues cachés du livre. J'avais 15 ans, mais déjà plus toutes mes dents, conséquence d'un accident en cour de récréation. Si je reproduis quelques pages du livre, c'est l'ensemble que j'aurais aimé feuilleter avec vous...

Et avec toi, mon cher Jean-Denis, qui me donna le goût du montage cinématographique lorsque j'avais 18 ans. Cette fois encore, de l'autre côté du pont, les fantômes vinrent à (notre) rencontre !

P.S: Nicolas Deville, titulaire d'un doctorat de sociologie, est devenu professeur de philosophie au CEGEP de Matane, une petite ville du Bas Saint-Laurent au Québec, aujourd'hui à la retraite, et écologiste. Il n'aurait plus touché un crayon depuis des années.

samedi 27 juin 2020

Théâtre [archives]


Articles du 14 janvier 2007 et 22 février 2013

UN COMMENCEMENT À TOUT

Il y avait eu Du vent dans les branches de sassafras au Théâtre Gramont avec Michel Simon et Caroline Cellier, Le cimetière de voitures d'Arrabal avec Jean-Claude Drouot, le Living Theater de Julian Beck, mais j'ai découvert l'univers théâtral avec Michel Vinaver en 1980 au Théâtre de Chaillot grâce à Jean-André. Jacques Lassalle montait À la renverse avec, pour peu que je m'en souvienne, Françoise Lebrun et Jean-François Stévenin. Le passe-montagne tourné par le motard qui était accroupi là dans la loge m'avait beaucoup impressionné. Je crois me souvenir qu'il y avait aussi Maurice Garrel qui fit plus tard une petite apparition dans notre opéra-bouffe, L'hallali. Vinaver menait une double vie en tant qu'auteur et PDG des sociétés Gillette et Dupont sous le nom de Grinberg, m'avait confié Jean-André Fieschi, qui plus tard épousera sa fille Barbara, la sœur d'Anouk. Leur fils avait baptisé sa poupée Elsa du nom de ma fille... Vingt quatre ans plus tard, j'ai revu Vinaver en haut des marches d'une remise de prix. Il m'avait rassuré en racontant que c'était la deuxième fois qu'il était primé par la Sacd. Je recevais moi-même ce soir-là le Prix de la création interactive après en avoir déjà été gratifié quatre ans auparavant. J'avais redouté une erreur, du moins que l'on s'aperçoive du doublon, probablement à cause du complexe d'usurpation que ressentent tant d'autodidactes. Somnambules succédait ainsi à Alphabet.
Raymond Sarti a dessiné le décor blanc de la reprise de L'émission de télévision mise en scène par Thierry Roisin à Montreuil. Je suis chaque fois épaté par le travail de mon ami. La scénographie éclaire le texte. Tous les lieux cohabitent sur le plateau. Les comédiens ne le quittent jamais, ils restent en bordure, devenant les musiciens de la partition sonore qui souligne avec simplicité et brio certains gestes importants. Les bruitages font surtout exister le hors-champ alors que leurs interprètes sont à vue, raclant une sonnette, jouant de fourchettes, transvidant une bonbonne d'eau pour faire discrètement couler un bain... L'idée est formidable, sa réalisation parfaite. J'ai d'ailleurs préféré le décor et le son de François Marillier au jeu dramatique dont la direction m'a échappé. Vinaver connaît évidemment si bien le monde de l'entreprise, ici une émission de télé-réalité et une grande surface de bricolage, que les échanges sont aussi jubilatoires qu'effroyables.


J'ai rencontré Raymond Sarti en 1989 aux milieux des tours de Mantes-la-Jolie. Le metteur en scène Ahmed Madani et lui nous avaient été "imposés" par la DRAC, mais nous n'eûmes pas à le regretter ! De notre côté, nous apportions J'accuse, avec Richard Bohringer dans le rôle d'Émile Zola. Un drame musical instantané était secondé par une harmonie de 70 musiciens dirigée par Jean-Luc Fillon et par la chanteuse de Pied de Poule, Dominique Fonfrède. Raymond avait collé un chapiteau gonflable de cinq étages de haut le long de l'une des tours destinée à être détruite. La façade de l'immeuble comme l'ancien parking ainsi recouverts étaient entièrement bleus avec de grosses croix blanches ici et là. Il avait fait creuser une tranchée pour notre trio, monter une colline pour l'orchestre et empiler des sacs de jute au milieu de la scène. Des croisillons plantés dans la terre donnaient au décor des allures de Verdun. Tout avait été repeint, un étrange mélange de Klein, Christo et Kubrick ! Richard arpentait les étages jusqu'aux balcons. Son rôle lui permettait les envolées lyriques qu'il affectionnait. Filmée à plusieurs caméras sans intelligence musicale, la "captation" n'a jamais été diffusée par la télévision. La même année, nous avons repris la partie de l'orchestre sous le titre de Contrefaçons à la Maison de la Radio. Après "J'accuse", nous avons monté Le K toujours avec Bohringer et Sarti. Raymond et moi avons continué à travailler ensemble, pour des expositions comme Il était une fois la fête foraine, pour des affiches, des disques, des théâtres de marionnettes... et nous sommes restés amis tout ce temps-là. En admirant son travail, je saisis chaque fois l'importance d'un décor laissé à la libre imagination d'un véritable scénographe.

J'ACCUSE...


Les archives se suivent, mais ne se ressemblent pas. 1989, c'était le Bicentenaire de la Révolution française. Trois ans avant de monter Le K avec Richard Bohringer qui nous valut une nomination aux Victoires de la Musique, nous avions choisi l'acteur pour incarner Émile Zola dans son célèbre pamphlet J'accuse, modèle du genre et article historique de 1898 sur le racisme et l'antisémitisme publié à l'occasion de l'affaire Dreyfus. L'article était paru sous la forme d'une lettre ouverte au président de la République française, Félix Faure, dans le journal L'Aurore. Un film de notre spectacle avait été tourné, mais personne ne le vit jamais, du moins à ma connaissance.
Ce 18 novembre 1989, Christian Gomila tourna le spectacle à cinq caméras, mais la coupure des instrumentaux au montage me contraria tant que j'oubliai le film dans sa boîte jusqu'à aujourd'hui. Dommage, car la captation donne une bonne image du genre de spectacle que nous montions à cette époque, même si l'orchestre frigorifié jouait complètement faux !
Avec Bernard Vitet et Francis Gorgé nous avions choisi d'accompagner un texte pour changer de nos ciné-concerts qui commençaient à devenir à la mode. Notre trio d'Un Drame Musical Instantané en composa donc la musique. Arnaud de Laubier nous présenta le metteur en scène Ahmed Madani qui apportait dans sa musette le scénographe Raymond Sarti, le créateur lumière Thierry Cabrera et la costumière Malikha Aït Gherbi. De notre côté nous amenions Bohringer alors au plus haut de sa cotte de popularité, la chanteuse Dominique Fonfrède et les 70 musiciens de l'Orchestre Départemental d'Harmonie des Yvelines dirigé par Jean-Luc Fillon !


(...) De même que nous avions choisi une image du Ku Klux Klan pour annoncer le spectacle, nous avions demandé à Dominique de reprendre Der Hass ist der Armen Lohn que je chantais dans l'album Kind Lieder, histoire d'universaliser notre propos. Comme nous jouions au milieu des tours de Mantes, Ahmed Madani avait engagé comme service d'ordre les gars plus méchants de la cité, ce qui n'empêcha pas la femme du vice-président de Louis Vuitton, dont la Fondation pour l'Opéra et la Musique nous aidait, de recevoir un caillou sur la tête ! Cela marqua la fin de notre collaboration ! Trois ans plus tard, Dominique Cabrera tourna Chronique d'une banlieue ordinaire sur les anciens habitants de la tour qui allait être détruite et j'en composai la musique...

vendredi 19 juin 2020

Le bonus absolu [archive]


Article du 28 novembre 2006

J'aurais préféré rédiger ce billet après avoir tout regardé, mais 18 films d'à peu près une heure, et de cette qualité, ne peuvent pas s'avaler comme une saison de 24 heures chrono. Chaque film de la série Cinéma, de notre temps a pour sujet un réalisateur et pour auteur un autre réalisateur. Pour vous mettre en haleine, une liste, simple, efficace, dans l'ordre d'apparition :
- Chantal Akerman de Chantal Akerman
- John Cassavetes de André S.Labarthe et Hubert Knapp
- Alain Cavalier, 7 chapitres, 5 jours, 2 pièces-cuisine de Jean-Pierre Limosin
- Oliveira l'architecte de Paulo Rocha
- Abel Ferrara : Not Guilty de Rafi Pitts
- Philippe Garrel, portrait d'un artiste de Françoise Etchegaray
- HHH, Portrait de Hou Hsiao-Hsien de Olivier Assayas
- Shohei Imamura, le libre penseur de Paulo Rocha
- Aki Kaurismäki de Guy Girard
- Abbas Kiarostami, vérités et songes de Jean-Pierre Limosin
- Takeshi Kitano, l'imprévisible de Jean-Pierre Limosin
- Citizen Ken Loach de Karim Dridi
- Norman McLaren de André S.Labarthe
- Eric Rohmer, preuves à l'appui de André S.Labarthe
- Mosso Mosso (Jean Rouch comme si...) de Jean-André Fieschi
- Danièle Huillet, Jean-Marie Straub, cinéastes de Pedro Costa
- Andrei Tarkovski, une journée d'Andreï Arsenevitch de Chris Marker









Après le jeu du qui est qui ?, rappel des faits. En 1964, Janine Bazin, petit brin de femme montée sur ressorts, et André S. Labarthe, feutre et clope pendante, produisent la meilleure émission sur le cinéma qu'a jamais connue la télévision, Cinéastes de notre temps. Dans les années 70 je découvre ainsi la Première Vague (Delluc, Dulac, L’Herbier, Gance et mon préféré, Jean Epstein, par Noel Burch et Jean-André Fieschi), je vois le Cassavetes en même temps que Shadows, ce qui me donnera des clefs pour improviser. Je me souviens du Fuller monté comme un de ses films chocs (jamais pu voir Verboten depuis), Josef von Sternberg, d'un silence l'autre d'André Labarthe avec la participation de Claude Ollier (Sternberg avait refait la lumière pour s'éclairer lui-même), John Ford, entre chien et loup, l'amiral sourd comme un pot face à Labarthe hurlant et à Hubert Knapp, ou Pasolini l'enragé de Fieschi, fabuleux entretien en français. Je comprends la dimension du poète. Ces "making of" sont des leçons de cinéma incomparables. Pour une fois, on pourrait écrire sans se tromper "making off". "Faire, hors champ". Ils transmettent le savoir et la passion. Après une interruption de 17 ans, la série repart en 1989 sous le nom actuel de Cinéma, de notre temps. Plus de 80 films en tout ; la liste du livret est étonnamment incomplète. Seulement cinq femmes, Akerman, Huillet qui partage l'affiche avec Straub, Shirley Clarke, Agnès Varda et un petit bout de Germaine Dulac. Certains de ces joyaux sont déjà parus en bonus sur divers DVD : Jean Vigo de Jacques Rozier dans l'intégrale Vigo, Jean Renoir le patron : la règle et l'exception de Jacques Rivette en trois morceaux chez Criterion (ce morcellement avait mis Labarthe hors de lui), Le dinosaure et le bébé, dialogue de Fritz Lang et Jean-Luc Godard accompagnant Le secret derrière la porte, le Pasolini...
C'est vrai, cette série représente le bonus idéal, son absolu, parce qu'elle donne d'abord la parole aux auteurs. Remonter à la source est toujours le meilleur et le plus court chemin vers l'énigme ; libre à soi de se faire ensuite sa propre opinion. Documents inestimables. Second intérêt, la réalisation d'un "jeune" auteur, confronté à d'autres magiciens, produit des étincelles. Chaque film devient une œuvre à part entière dans la filmographie de celui qui la tourne. Oh, et puis je ne sais pas quoi ajouter pour inciter tous les cinéphiles à se ruer sur ce coffret de 6 DVD (mk2, 55€). Quel que soit le réalisateur, l'exercice est exemplaire. On aimerait donner mille exemples extraordinaires qui nous ont marqués à jamais. C'est trop long, mieux vaut voir les films. C'est ce que je retourne faire. Si vous êtes capables d'attendre jusqu'à Noël, c'est un cadeau de rêve !

vendredi 5 juin 2020

Le Corbusier [archives]


Articles des 25, 26 août et 11 septembre 2006

INVITATION AU SUICIDE

Le Corbusier rêvait d’un autre monde. En visitant la cité radieuse à Marseille, je suis sidéré par sa rigueur et son imagination. Tout est si cartésien qu’en regardant le plongeoir construit sur le toit, au neuvième étage, on a du mal à imaginer autre chose qu’une invitation au suicide. On dit qu’il rêva la cité radieuse si emblématique que l’on aurait envie de choisir son immeuble pour en finir avec la vie. Et Le Corbusier de construire ce promontoire au-dessus du vide, à côté du gymnase, de la pataugeoire pour les enfants, de la salle de spectacles et de l’écran en plein air. Tous les deux ans, un désespéré ne manque d’ailleurs pas de sauter. Depuis deux ans, la fréquence s'est accrue, deux par trimestre.
Le suicide est une affaire intime, comme la morale ou la psychanalyse. Drôle de comparaison, m’objecterez-vous. La folie, la rébellion, la délinquance, l’expression artistique sont des réponses si peu satisfaisantes face aux difficultés de vivre là. Il y est question de son rapport au social, et l’on peut respecter le choix de chacun, même si ce n’est pas une partie de rigolade pour celles et ceux qui lui survivent. Parfois un peu de patience aurait peut-être eu raison des idées noires. L’humour tout aussi noir du génial « fada » serait-il une leçon de savoir vivre ?
Charles-Édouard Jeanneret-Gris, dit Le Corbusier voire Corbu, s’est mystérieusement noyé le 27 août 1965 à Cap Martin. Il est enterré à côté de sa femme, dans la tombe qu'il avait dessinée, au cimetière de Roquebrune.

LE MODULOR


Autour de la cité radieuse, commencée en 1945 et livrée en 1952, s’étalent un jardin, un tennis, des jeux pour les enfants, un parking. À l'entrée de ce monument historique de 337 appartements tous habités par une clientèle de plus en plus bobo (il n'existe même plus d'appartement témoin), et abritant hôtel, restaurant, bibliothèque, école maternelle, supérette, boulangerie, boutiques, cabinets d’architectes, piste de jogging, sauna, ciné-club, etc., les gardiens sont obligés d’être présents 24 heures sur 24.


Les couloirs, qu’on appelle la rue, me font penser à ceux des hôtels de Las Vegas. Les portes dessinent des tâches de couleurs dans l’obscurité. Le Corbusier imaginait que les habitants pourraient les laisser ouvertes, et qu’en bon voisinage, les passants auraient envie d’entrer, attirés par la lumière.


Sauf quelques rares doubles, tous les appartements font 3,66 mètres de large, c’est le module. Conçus tout en longueur, sans aucune place perdue, la plupart bénéficient de la double exposition. Il y a des studios, des apparts avec trois chambres, et quelques plus grands. Séparés les uns des autres par de l’air et reposant sur des plots de plomb, ils sont insonorisés.


Adelaide est fascinée par la place prévue pour accrocher les casseroles. Rosette adore le passe-plat et les boîtes sur le palier qui servaient à la livraison des plats ou de la glace (Corbu n'avait pas imaginé la place qu'allait prendre le réfrigérateur !). Françoise rappelle le travail de Charlotte Perriand qui a conçu le mobilier.


Tous les éléments architecturaux et le mobilier sont calculés sur une sorte de nombre d’or à partir de la taille des Français des années 50, le modulor. Les plafonds peuvent sembler un peu bas, maintenant que les jeunes ont grandi.


Après nous avoir fait visiter son duplex, Emmanuel a la gentillesse de nous guider jusqu’au toit. Vue à 360° sur Marseille. Le Corbusier a pensé au moindre détail pour que la vie communautaire soit favorisée.

DÉCOUPE


L'escalier attire d'abord mon regard. Quatre à quatre. Toujours. Jusqu'au tournis. Escher. On pose sur les marches ce que l'on a besoin d'emporter avec ses jambes pour ne pas grimper les mains vides. La finesse de la rambarde est inattendue. Métal contre ciment. Donc certainement pas un bateau. Du solide. Je recule pour voir la fenêtre. Regarder au travers. Traverser. Le voyeur. Poli. Dépoli au niveau du bas ventre. Zoom sur le paysage. Déjà un souvenir. La côte. Horizontale vue d'une verticale. Le soir ?

samedi 30 mai 2020

Si j'ai bon dos ? [archives]


Articles des 9 juillet 2006, 11 novembre 2007, 20 mars 2010, 11 décembre 2012, 5 avril 2013, 13 et 24 mai 2013, 10 février 2014, 2 mai 2016, 21 février 2017, 21 avril 2020
Quitte à publier d'anciens articles, j'ai choisi de les regrouper par thèmes. Aujourd'hui c'est copieux !

APPUYEZ LÀ OÙ ÇA FAIT MAL (2006)

Passé le massage de confort, je n'ai jamais compris comment ça fonctionnait. L'ostéopathie reste assez mystérieuse, en particulier l'ostéopathie crânienne. Les praticiens ont du mal à l'expliquer lorsqu'on leur pose des questions. Bien sûr que c'est efficace, mais pourquoi ? Au pire, on vous sert un discours baba de comptoir où se croisent méridiens et énergie. Pour les patients, il y a les kinés, jugés souvent basiques, et les ostéos qui font craquer ou pas, mais craquer quoi ? Les termes sont souvent impropres, on ne se déplace pas une vertèbre sans se retrouver en chaise roulante. On peut se coincer un nerf, mais la plupart du temps ce sont des micro-entorses, des tensions musculaires qui vous font prendre des positions antalgiques, de quoi ressembler à un bonzaï. Le bruit serait simplement du gaz accumulé entre les articulations. Que les spécialistes m'écrivent, ils ont gagné. Comprendre, nous ne demandons que cela.
Lorsque j'avais 18 ans, je portais ma sono qui pesait 60 kilos par élément de 1,80m. Il m'arrivait de me faire mal en chargeant la voiture en porte-à-faux et ça passait en deux ou trois jours. À 31, à la fin d'une répétition vers 4 heures du matin, je me suis coincé le dos pour la première fois. Les ennuis avaient commencé. J'ai d'abord accumulé les séances de kiné, puis chaque mois je voyais un ostéo crânien, mais ça ne m'empêchait pas de me retrouver par terre, à genoux, avec un grand cri japonais. Mes amis me disaient que j'en avais plein le dos, qu'il fallait que je change de vie. On me traitait d'hypocondriaque, on sous-entendait que c'était psychologique jusqu'à ce que je passe radios et scanner. Bilan des courses : une hernie discale et trois disques écrasés. Il y a dix ans, mon lumbago a fini par me ficher la paix, lorsqu'un médecin-kiné m'indiqua quelques mouvements simples à effectuer au coucher et au réveil. Il m'est encore arrivé de me faire très mal, mais de plus en plus rarement, et je ne manque plus jamais de faire mes exercices sans me mettre en danger. Je vois de temps en temps un ostéo ou un kiné (variation géographique) pour la révision des 10 000, mais j'ai surtout fait l'expérience du massage chinois. Voilà, on y vient.

Le massage chinois n'a rien à voir avec les pratiques occidentales. Madame J., qui opère à domicile, appuie là où ça fait mal. La douleur est insupportable, il arrive que l'on crie, il paraît même que les chinois hurlent tandis que les occidentaux se retiennent en soufflant comme des phoques. Madame J. attendrie la bidoche comme le boucher avec le bifteck. Elle s'y prend à deux mains en glissant sur la peau, enfonçant ses doigts aux nœuds de tension et malaxant jusqu'à ce que ça lâche. Difficile de résister, Madame J. rit tout le temps, d'un rire bienveillant qui rassure. On en ressort complètement lessivé, et le lendemain courbaturé comme si on avait pratiqué le triathlon pour la première fois. Certains camarades, car Madame J. est un secret que l'on se repasse entre musiciens comme si c'était un trésor vivant, se sont retrouvés avec d'énormes bleus. N'y voyez aucun masochisme refoulé, car trois jours après vous gambadez sans plus aucun souvenir de la douleur, ni celle de la séance de torture, ni surtout celle qui vous a fait crier au secours. Et Madame J. de sourire en vous expliquant les "kolok kolok" par un "quand bruit, mal". J'ai essayé de pratiquer cette technique sur moi-même et ma compagne, ça fonctionne plutôt bien : chercher les tensions avec le maximum d'écoute et masser longtemps jusqu'à ce que le muscle lâche. C'est tout simple, rien de mystique, pas besoin d'y croire : la gym pour l'entretien, l'attendrissement pour les coups durs ! Bon, d'accord, n'excluez pas la visite à un spécialiste lorsque votre cas semble sans espoir... C'est un peu comme l'homéopathie qui est une médecine formidable, mais en cas de crise aigue mieux vaut, par exemple, avoir recours tout de même aux antibiotiques. Chacun doit trouver ce qui lui convient. Un de ces jours, je ferai un article sur l'homéopathie, ça nous changera ! Et puis, j'en ferai un autre sur la douleur, comment la maîtriser en l'apprivoisant...

La photo représente différents objets du culte (physique) permettant de détendre le corps : trois différents tapis à picots (réflexothérapie, absolument géniale, au fonctionnement plus proche de l'acuponcture, tous les méridiens passant par la voûte plantaire, et par les oreilles, mais là, c'est raté, vous aurez beau écouter le train arriver en vous penchant sur les rails, ce n'est pas très pratique pour le massage des oreilles), cylindres pour les pieds toujours (très utile en avion), matchi-pouli (là j'ai des doutes, trop d'efforts des bras pour masser le dos), petits ustensiles pour frapper les endroits douloureux (font partie du quotidien asiatique, mais moi, je ne m'y fais pas), araignée pour la tête (un cadeau exquis trouvé chez Nature & Découverte), moquette (pour la gym), Syntol, Huile de massage et Baume du Tigre (ça soigne tout, des courbatures au mal de tête ou de ventre, c'est l'aspirine de l'Asie), etc. Une véritable panoplie SM (euh, Soins Massage) !

MAL AU DOS (2007)


Y a pas photo, je suis encore de traviole ce matin. S'il est une chose qu'il faut éviter, c'est un effort en sortant d'une séance d'ostéopathie. Rien de mieux pour se coincer le dos, de la façon la plus spectaculaire qui soit. Lorsque je me fais mal, ma colonne vertébrale dessine une forme en baïonnette, position antalgique mémorisée par le corps pour éviter de souffrir. C'est à ne pas croire, le tronc ne semble plus en face des jambes ! Si je m'y prends à temps, je peux l'éviter en prenant rapidement deux Di-Antalvic. La crainte d'avoir mal et le rééquilibrage de la pyramide de cubes en os produisent de multiples déplacements depuis le sacrum jusqu'à l'occiput. Si les analgésiques ne suffisent pas, je passe au Bi-Profenid, anti-inflammatoire puissant qu'il faut ingurgiter durant cinq jours. Mais le mieux est de faire ce qu'il faut pour ne pas en arriver là !
Depuis une dizaine d'années, chaque matin en me levant et chaque soir avant d'aller me coucher, quel que soit mon état de fatigue, je fais trois exercices salvateurs qui m'ont été astucieusement soufflés par le bon Docteur Mussy. Depuis, je ne m'écroule plus jamais à quatre pattes avec un grand cri japonais. Lorsque je dois voyager longtemps assis, rester debout pendant des heures ou porter quoi que ce soit de lourd, j'entoure mon ventre d'une gaine élastique qui le soutient. Les chaussures qui épousent la voûte plantaire sont également d'une aide certaine, sehr gut ! Plier les jambes quand on se baisse fait partie des conseils de base. Mon état n'a hélas rien de psychologique (du style "j'en ai plein le dos"), la radio et le scanner ayant montré une jolie hernie discale et trois vertèbres écrasées.
(...) J'ai vu des kinés, puis des ostéos les plus zélés, mais rien n'a valu de me prendre en charge moi-même. Depuis dix ans, je souffre beaucoup moins qu'avant. J'ai appris à gérer mes faiblesses. C'est une consolation. Le corps se déglingue petit à petit, mais plus on vieillit, mieux on apprend à vivre avec, et la vie est plus douce.

SCOTCH 1 - JJB 0 (2010)


Mes lecteurs connaissent mes points faibles. À part le dos, mon petit orteil gauche est mon talon d'Achille. Un coup de vent rasant, et paf, cela suffirait à le froisser. Je lisais tranquillement dans mon lit allongé sur le dos lorsque le chat a sauté comme une puce mais de ton son poids sur mes pieds tournés vers le plafond. Huit kilos et demi se sont abattus sur mes arpions fragiles. J'ai senti le craquement. Arrêt de jeu. Massage à l'arnica, granules et Di-Antalvic tant qu'il en reste. J'ai aussitôt pensé à l'EMDR, technique intéressante de désensibilisation et retraitement de l'information par mouvement des yeux ! Comme je suis embarrassé de demander à Françoise de jouer les hypnotiseuses en faisant osciller un stylo devant mes yeux, je me suis fait offrir un métronome. Pour un musicien, quoi de plus naturel ? Sauf que celui-ci est mécanique, on n'en fait plus beaucoup, et que je ne m'en sers que pour m'autohypnotiser. Ainsi personne n'attrape de crampe. Et mes yeux de suivre l'oscillation du balancier en me concentrant sur la douleur et le choc initial. Auto-suggestion ? Effet placebo ? Technique de libération émotionnelle (EFT) ? La douleur s'estompe miraculeusement et je peux m'endormir. Le lendemain matin, je réitère l'opération métronome, et mes yeux d'aller de droite à gauche et de gauche à droite. J'arrive à poser le pied par terre ! J'ai cru comprendre qu'il s'agit de reprogrammer des réflexes anciens générés par la douleur. Ainsi lorsque je me coince le dos, il se met en position de baïonnette à tel point que les jambes ne sont plus en face du tronc. Impressionnant ! Or il s'agit d'une position antalgique, mon corps se souvenant qu'ainsi je compense la coincette. Hélas cette position génère toute une suite de rééquilibrages catastrophiques, comme une colonne de cubes empilés sur une base tordue. La reprogrammation est censée effacer cette mémoire du corps, me permettant de réagir plus efficacement sur le traumatisme. Vous me suivez ? Après des années de pratique (le choc, suivi de sa prise en main !) j'ai réduit la convalescence de trois semaines à quelques jours, essentiellement en me relaxant au lieu de m'énerver contre la douleur. L'expérimentation de l'EMDR est donc une nouvelle plongée passionnante dans les possibilités du cerveau à la contrôler, qu'elle soit physique ou psychique. Miracle ! Je réussis à enfiler chaussette et chaussure, à pédaler, et en fin de journée je gambade comme si de rien n'était. Cela ne m'est jamais arrivé en 37 ans de casse-pied. Je n'ai même plus d'inquiétude pour le concert de demain où je dois jouer debout et déambulant. Je n'aurai pas vécu de bouts et d'ambulances.

ESCALADE DES DROGUES LÉGALES (2012)


Il arrive parfois que les transitions arrivent à propos. Au moment où le Di-Antalvic, analgésique miracle, est retiré du marché, ce qui représente une catastrophe pour quantité de personnes souffrant du dos ou de diverses douleurs, le massage chinois que je suis héroïquement depuis quelques années prend le relais, et ce sans les effets secondaires redoutés. Si la séance est souvent douloureuse cette pratique a l'immense mérite d'avoir supprimé totalement les lumbagos que je traînais depuis plus de 25 ans. Qui ne m'a jamais vu en baïonnette avec les jambes décalées du tronc ne peut imaginer la souffrance à l'origine de cette position antalgique. Or je n'ai vécu aucune crise depuis trois ans alors qu'elles étaient quasi mensuelles et particulièrement redoutables. Pendant des années j'ai évité de prendre le moindre médicament allopathique, m'en remettant d'abord aux bons soins de kinésithérapeutes, puis de zélés ostéopathes, sans parler de la magie exercée par le magnétiseur ou un rebouteux au fin fond de campagnes quasi médiévales. Leurs pratiques m'ont souvent tiré d'affaire, mais je replongeais irrémédiablement, accompagnant ma chute d'un grand cri japonais. J'avais donc trouvé deux méthodes pour m'éviter de devenir nonagénaire en l'espace de quelques secondes. Au moindre soupçon, heureusement devenu rare, je prenais deux gélules de Di-Antalvic pour ne pas envenimer la situation. Je tuais ainsi dans l'œuf torticolis, sciatalgies et lombalgies. Le massage chinois, supplice inadapté pour certains, était l'autre botte secrète. Il tira d'affaire nombre de mes camarades musiciens, médecins, dentistes, etc.

Mais voilà que le Di-Antalvic et autres Propofan, mélanges d'antalgique et d'opiacé qui avaient su séduire 8 millions de Français, sont interdits depuis octobre 2011, le surdosage pouvant entraîner la mort. C'est le propre de quantité de médicaments entreposés dans votre pharmacie, sauf que le Di-Antalvic coûtait très cher à la Sécurité Sociale, car il était délivré sur ordonnance et remboursé. À moins que le brevet de la petite molécule DXP, arrivé à expiration depuis déjà pas mal de temps, n'était plus aussi rentable avec l'apparition des médicaments génériques ! Chaque nouvelle molécule mise sur le marché assure minimum 20 ans d'exclusivité à son laboratoire. Dis Tonton, pourquoi tu tousses ? La dextropropoxyphène est donc remplacée par le bon vieux paracétamol prescrit seul (c'est l'aspirine qui fait des trous dans l'estomac et ne soulage pas du tout certaines douleurs), par la codéine (inefficace pour 13% des gens qui ne le métabolisent pas) ou par le tramadol (la voilà, la petite dernière). Depuis que les analgésiques existent, ils ont toujours été dangereux en cas de surdose, accidentelle ou suicidaire. L'industrie pharmaceutique se targue chaque fois de retirer tel ou tel du marché à cause des risques prétendument découverts récemment. Les migraineux se souviennent du magique Optalidon ! Les nouveaux seront incriminés dans quelques années, comme les précédents. C'est avant tout une histoire de gros sous contée par de cyniques profiteurs.

Alors qu'en est-il des médicaments de remplacement ? C'est là qu'on se marre. Ils sont plus puissants que le Di-Antalvic qui occasionnait très peu d'effets secondaires. D'après ma pharmacienne l'Ixprim, composé de tramadol et de paracétamol et ne réclamant aucune ordonnance, produit des vertiges et des nausées, tandis que le paracétamol codéine donne des nausées et constipe ! Comme elle me dit que je peux combiner les deux, j'en déduis que je pourrais profiter à la fois de vertiges, nausées et constipations pour désirer être soulagé des conséquences de ma hernie discale et de mes deux disques écrasés... Sympa ! Pas d'autre solution que de tester.

Si le paracétamol codéine n'a servi à rien, j'ai par contre réussi à être complètement défoncé avec l'Ixprim. Deux gélules ont suffi à me rendre ivre, hilare et béat. Le genre de truc totalement déconseillé si l'on doit sortir de chez soi, qui plus est, conduire. Je n'y pense même pas. Mais si un jour j'ai vraiment mal et que j'ai envie de m'envoyer en l'air j'ai une boîte pleine de cette drogue légale qui ne réclame aucun surdosage pour voir des éléphants roses. Quand je pense que la loi interdit le cannabis et laisse en liberté les dealers patentés je me pose des questions sur les lobbys qui les y autorisent.

Toutes ces considérations doivent être prises avec des pincettes, car je ne suis pas médecin, mais un simple usager. Cette phrase me rappelle une des Claudettes revenue d'une nuit avec Jimi Hendrix avec un T-shirt où était écrit "I've been experienced !". J'ai parfois de drôles d'idées, mais cet article a été écrit sans l'aide d'aucun expédient.

ÇA Y EST, JE SUIS PASSÉ À LA PLANCHE À CLOUS (2013)


Comme si ma collection de tapis de réflexologie pour les pieds ou le massage chinois Tuina Anmo de Madame Ji ne suffisaient pas, je suis passé à la planche à clous, ou plus exactement à sa forme moderne et occidentale, le tapis Shakti dont il existe de nombreuses imitations que je n'ai hélas pas testées. Première impression, ce n'est pas pour les douillets. Le moment où l'on s'allonge dessus ou, pire, celui où l'on se relève n'est pas piqué des vers. On me les tirera donc facilement du nez, j'avoue, j'avoue tout. Après quelques minutes une sensation de chaleur vous envahit et on pourrait même s'endormir dessus, nulle contre-indication. La séance fut redoutablement efficace. Impression de détente et soulagement immédiat des douleurs dorsales. Il me semble plus approprié en fin de journée qu'en matinée. Livré dans un sac en coton, le petit tapis peut s'emporter partout avec soi en voyage. Le site de Shakti est plein d'informations en anglais, mais le mode d'emploi basique est en français. La technique est vieille de 7000 ans et l'exercice ravira les adeptes du yoga de plus en plus nombreux. Lancé en 2007, il a obtenu un succès phénoménal en Suède il y a quelques années tel que plus de 10% de ses habitants en possèdent. Il se pourrait bien que la France en plein stress et déconfiture s'y mette bientôt.

LUMBAGO BLUES
(2013)

(...) N'ayant pas eu de lumbago depuis plus de trois ans grâce au massage tuin anmo de Madame Ji je me croyais à l'abri. C'était sans compter de coquins mouvements du bassin, les quatre kilos de l'hiver et le jardinage de printemps. Assis sur le divan, j'ai plongé stupidement vers mes lacets sans plier les genoux, et clac, merci Kodak ! L'impressionnante photo montre mon dos en baïonnette : le tronc n'est plus en face des jambes. Si je marche mon corps me semble suspendu en l'air avec mes guiboles comme des rubans de papier flottant au-dessus du sol. J'ai arrêté les anti-inflammatoires qui cette fois ne m'ont fait aucun effet, j'ai vu les praticiens les plus zélés, j'ai tenté l'EMDR en m'auto-hynotisant, je suis resté allongé des jours entiers à regarder des films dans le noir, mais après dix jours tourdepisiens je ne sens aucune amélioration et cela commence à bien faire. Je n'ai pas encore épuisé toutes les ressources des magiciens du corps et je ne m'avoue pas vaincu quant au travail intérieur que je continue à produire sereinement. Si pour l'avoir déjà vécu je ne savais pas qu'un jour je gambaderai comme un chevreuil je serais drôlement inquiet...

L'ORIGINE DU MAL (2013)


Me lisant handicapé par un lumbago persistant, de bonnes âmes m'ont écrit pour me conseiller diverses pratiques de guérison. Soulagé momentanément par les bons soins de la masseuse chinoise, de l'ostéopathe, du réflexologue et de la nouvelle pharmacopée, en l'occurrence de l'Ixprim, savant cocktail de tramadol et de paracétamol, mais néanmoins bloqué en position allongée depuis trois semaines, j'ai eu tout le loisir de lire Healing Back Pain en anglais dans le texte, le best-seller du Docteur John E. Sarno. Le médecin américain y livre son intuition sur l'origine du mal au dos et comment s'en débarrasser définitivement, même affecté comme je le suis par une hernie discale et trois disques écrasés !
L'hypothèse formulée par le médecin américain tient du bon sens, mais son style est celui d'un auteur à succès s'adressant à une large population plutôt inculte en matière psychanalytique. Dès lors que l'on considère que la majorité de nos afflictions proviennent de la somatisation, ou du moins que notre mental a une influence indéniable sur les maladies que nous attrapons, pourquoi ne pourrait-on guérir par ce qui provoqua le mal ? D'où sa suggestion de soigner les TMS (Tension Myositis Syndrome, en français Troubles musculosquelettiques) sans médicaments, ni chirurgie, ni exercice physique, mais par le seul pouvoir du cerveau... Si l'I.R.M. montre une lésion vertébrale, Sarno prétend que ce n'est pas elle qui provoque la douleur. Il est question de manque d'oxygénation des tissus, mais je ne vais pas réécrire ici son bouquin. Le stress et la colère rentrée seraient à l'origine du mal, comme on peut se fabriquer un cancer, un ulcère à l'estomac, de l'asthme, quelque maladie dermatologique, etc., la liste est longue. Pour avoir envisagé moi-même depuis fort longtemps cette théorie et l'avoir testée avec succès, la lecture confirme mon hypothèse. On peut évidemment atténuer la douleur et la faire disparaître en l'apprivoisant, de même on peut très bien guérir de moult maladies par un travail psychologique ou psychanalytique, tout dépend de l'ampleur des dégâts. L'inconscient est hélas plus puissant que la concentration volontariste et la relaxation philosophique, aussi n'est-ce pas toujours facile, particulièrement en période de crise aiguë. Sur tous les terrains il est fondamental de juguler la peur.
Là où Sarno est léger, c'est évidemment dans la guérison miraculeuse qui tient, malgré ses dires, plus d'une sorte de conviction à laquelle je ne peux adhérer, n'ayant pas en son temps acquis la petite croix Vitafor qui guérit tout, peines du corps et peines du cœur, il suffit d'envoyer le bon de commande, ici un petit livre de poche à quelques euros, je ne me suis pas ruiné. Le pouvoir de suggestion des praticiens ayant recours à la méthode du médecin américain est certainement la clef de leurs succès, mais j'ai beau avoir suivi, ou plus justement précédé à la lettre, les conseils avisés prescrits, soit traiter l'affaire par le mépris, je me suis tout de même coincé le dos après trois ans et demi de rémission alors que je pensais être sorti de là ! Cela fait trente ans que ma cinquième lombaire joue le rôle de mon talon d'Achille. Si le ciboulot est souvent à l'origine du mal, s'il est possible de s'en débarrasser par un travail psychique, il n'en reste pas moins que le best-seller qui aurait soigné des milliers de personnes de par le monde tient par son style d'une entreprise commerciale juteuse qui laisse planer le doute sur les intentions philanthropiques de son auteur. Ouvrage de vulgarisation sur le pouvoir de l'inconscient, il n'empêchera pas chacun de morfler et de trouver également l'issue qui lui convient...

LUMBAGO (2014)


Faut-il être idiot pour me coincer le dos une fois de plus ! Rien de nouveau sous le soleil, je me suis abîmé à 18 ans, la hernie discale et les trois disques écrabouillés j'en avais 31, voilà donc trente ans que je suis (ir)régulièrement handicapé. J'en prends chaque fois pour trente ans, mais quelques jours plus tard j'obtiens une remise de peine. Les ostéos ont remplacé les kinés, et depuis quelques années je ne pousse plus jamais de grand cri japonais en m'écroulant par terre, en particulier grâce au vigoureux massage chinois. La gymnastique matin et soir devrait m'empêcher de me mettre en baïonnette, avec les jambes décalées du tronc, position antalgique qui n'amuse que les camarades devant qui je me désape. Mais voilà, il arrive que j'exagère en faisant des folies de mon corps. Si certaines sont trop agréables pour les éviter, d'autres relèvent de la plus grande stupidité. Il faut pour cela un concours de circonstances, fatal, comme de porter un arbre en torsion après avoir scanné trois cents photographies du Drame toute la journée. C'était à prévoir, surtout après une légère prise de poids. Donc voilà, il ne suffit plus que d'enfiler ses chaussettes pour se retrouver avec un lumbago pas piqué des hannetons. Je l'écris comme un pense-bête, mais tout effort prévisible devrait automatiquement m'inciter à me gainer. Dans le cas contraire je n'arrive pas à penser à grand chose d'autre, d'autant que j'ai avalé analgésique et anti-inflammatoire, aussi ressasse-je dans cette colonne le spleen du bonzaï humain qui prend son mal à patience.

LES SOUFFRANCES DES JEUNES VERTÈBRES (2016)



Les copains me disaient que j'en avais plein le dos et me conseillaient de changer de vie. J'avais tout de même fait des radios en 1983 et quelques années plus tard je suis entré dans un tube qui ressemblait à un cercueil relooké 2001, l'odyssée de l'espace. Les machines ont beaucoup changé depuis, et l'aspect claustrophobe de l'IRM a presque disparu. On est allongé sur une table de kiné qui glisse sous un court tunnel ouvert aux deux extrémités. Un casque diffusant une musique sans style protège du bruit des bobines qui vibrent et produisent un rythme binaire de techno lourdingue. Une poire glissée dans la main vous permet d'éventuellement avertir le préposé du moindre désagrément. La séquence m'a semblé durer une dizaine de minutes.
Lorsque j'avais 20 ans je transportais seul mes enceintes amplifiées Yamaha de 1,80m de haut pesant 60 kg chaque lorsque je partais en concert. L'épreuve résidait à les enfiler dans la voiture par le haillon. À cet âge les tours de rein passent en deux ou trois jours. Lorsque j'eus 31 ans , terminant une séance d'enregistrement dans mon sous-sol avec Un Drame Musical Instantané vers 3 heures du matin et désirant débrancher mon synthétiseur PPG j'attrapai les câbles en torsion et me retrouvai à genoux avec un grand cri japonais. À cette époque on allait se faire décoincer chez un kinésithérapeute. Le bon Docteur Thébaut Place de la Concorde expérimentait toutes sortes de techniques comme la magnétothérapie. Plus tard je passai à l'ostéopathie crânienne, puis au massage chinois Tui Na An Mo, voire l'EMDR, et aujourd'hui lorsque je me coince j'oscille entre crac et la rééducation par la méthode Mézières. Récemment j'enchaînai un lumbago suivi de cruralgies dansant d'une jambe sur l'autre. Cette bascule instantanée des douleurs de l'aine droite et gauche justifia que je repasse une IRM, histoire de numéroter mes abattis.
Alors que les images d'il y a 25 ans montraient une hernie discale L5-S1 et trois disques écrabouillés, celle de la semaine dernière révèle que la hernie est rentrée (merci au Docteur Mussi qui me fit faire des exercices autodisciplinés pendant toutes ces années), mais que l'ensemble des disques lombaires sont pincés et en hyposignal sur la séquence sagittale T2 témoin d'une discopathie dégénérative étagée, signifiant que toute ma production discographique lombaire est raplapla. Mon kiné actuel m'annonce que lumbago, sciatiques et cruralgies sont des problèmes de jeunes et que cela passe en vieillissant, la bonne nouvelle ! Quant aux séances Mézières elles m'apprennent à respirer et à retrouver une posture qui devrait m'éviter tous les déboires dont je suis victime depuis 32 ans. J'aurais bien cité le nom de tous les praticiens qui m'ont aidé à vivre pendant tout ce temps-là, sans compter les prescriptions d'analgésiques et d'anti-inflammatoires, mais cela fait beaucoup de monde et je ne suis pas certain qu'ils aient l'envie ou les moyens de récupérer plus de patients qu'ils n'en ont déjà !
Si vous avez réussi à lire ce billet médical et paramédical jusqu'ici, je conseillerai simplement aux plus jeunes, qui se croient donc invincibles, de ne pas soulever de poids en torsion, de plier les genoux, de porter une gaine comme font les motards, d'éviter le métier de contorsionniste, de faire du sport mais sans jamais forcer et de vivre vieux pour apprécier le bien fondé de ces avertissements.

PSOAS, LE MUSCLE DIABOLIQUE
(2017)


33. Dites 33. 33 ans depuis le premier grand cri japonais ! 33 ans de lumbago. J'ai vu des médecins, des kinés, des ostéos, des réflexologues, des masseuses, des rebouteux, des sorcières, des acuponcteurs, des ophtalmos, des magnétiseurs, j'ai fait des radios, des IRM, de la gymnastique, du taï-chi, j'ai avalé des antalgiques, des anti-inflammatoires, des relaxants, lu des livres, fumé des pétards, changé de matelas, pris des vacances, tenté l'EMDR, je me suis allongé sur le dos... Avec le temps et mes exercices matin et soir j'ai résorbé la hernie discale, mais tous mes disques lombaires sont écrasés. On me dit pourtant que je ne fais pas le poids. J'ai maigri, me suis recoincé, regrossi, j'ai fait du yoyo, du vélo, de la marche à pied, mangé moins, mais rien n'y fait, devant la peur de la douleur je me mets en baïonnette, les jambes ne sont plus en face du tronc, rien de grave, juste impressionnant... On m'a parlé du "muscle poubelle", le psoas sur lequel viendraient se fixer les toxines à cause de la proximité des reins, mais il paraîtrait que c'est du flan. Ce serait simplement la proximité du colon. Si l'un ou l'autre s'enflamme, il y aurait contagion. Est-ce plus juste ? Je l'ignore. Le psoas part de la hanche, traverse l’abdomen et s’attache profondément sur les cinq vertèbres lombaires. Aïe ! Certains prétendent que le psoas réagit au stress émotionnel et aux peurs. Aux dernières informations, une position assise trop longue le raccourcirait et produirait cambrure et lumbago. Même origine pour le point de côté. Il faut donc l'étirer. Allongé, je laisse tomber ma jambe gauche en attrapant mon genou droit. Jusqu'ici j'avais évité les génuflexions. Je ne suis pas croyant. Peut-être que quelques prières à Cinq-lombaires auraient eu raison de ma récurrence ? Je respire, me redresse doucement, le soleil revient, maudit psoas !

JE NE SUIS PLUS MALADE (2020)


Il n'y a pas que le Covid-19. On meurt aussi d'autres causes, mais faute de tests on impute au virus maints départs précipités. Il y a plein d'autres petits bobos, mais les patients évitent les visites chez le médecin par crainte d'une éventuelle contagion dans la salle d'attente. Les hypocondriaques guérissent étonnamment vite ces temps-ci...
Mes amis le savent. Ma principale faiblesse est mon dos qui me rappelle à lui de temps en temps, au point que je suis obligé de le cajoler sans attendre les crises. Lorsque j'avais 18 ans, portant régulièrement les enceintes de 60 kg de ma sono pour jouer en concert, je me collais un tour de rein qui passait en trois jours. À 31 ans, dans ma cave, à la fin d'une séance d'enregistrement d'Un Drame Musical Instantané, j'ai voulu débrancher un câble en torsion et je me suis retrouvé à genoux avec un grand cri japonais dont je ne me suis jamais relevé complètement ! Depuis, j'ai vu trente-six praticiens (kinés, magnétiseurs, rebouteux, masseurs, ostéopathes, etc.) qui m'ont chaque fois sorti de là, mais je reste fragile. Ces derniers quinze ans je me reposais sur une masseuse chinoise pratiquant le tuin anmo, un ostéopathe virtuose et des gélules d'X-Prim. Bonne nouvelle pour les jeunes qui souffrent de ce genre de mal, je vais beaucoup mieux qu'il y a 36 ans ! Grâce aux exercices quotidiens suggérés par un étonnant médecin il y a belles lurettes, j'ai résorbé mon hernie discale, et grâce à la Sainte Trinité évoquée plus haut les lumbagos sont devenus très rares. Or, en cas de blocage pouvant arriver n'importe quand et n'importe comment, le confinement m'empêche de rencontrer mes deux sauveurs ou de prendre le médicament déconseillé dans l'éventualité où le virus frapperait à ma porte. Et bien voilà plus d'un mois que je me porte comme un charme. Évidemment je continue à pratiquer le sauna chaque matin, infrarouges qui chauffent mon corps à 67° ; je ne me suis jamais coincé après cette séance, toujours avant, ou parce que j'avais été extrêmement imprudent, c'est-à-dire totalement imbécile. Il n'empêche que depuis que je n'ai aucun moyen d'être soulagé en cas de coincette, je n'ai pas eu l'ombre d'une alerte. Bon d'accord, mon asthme s'est réveillé avec le printemps, mais je n'ai (hélas) besoin de personne pour le soigner !
Cela me rappelle une autre histoire. Je vivais dans le même immeuble qu'un ami docteur, qui est toujours mon ami et mon médecin traitant, mais j'ai déménagé. Du jour ou lendemain je n'étais plus malade. Cela m'aurait probablement trop ennuyé de traverser Paris pour le consulter alors que jusque là je n'avais qu'à grimper deux étages, et même en ascenseur, que mon inconscient hypocondriaque préférait m'épargner la moindre contrariété physique. À l'époque je n'étais hélas pas à l'abri de celles de l'âme, mais pour guérir je n'aurai à compter que sur moi, ce à quoi je m'emploierai ardemment.
Comme je partageais cette histoire avec d'autres proches, loin de leurs praticiens chéris, l'une me raconte qu'elle n'a plus mal au ventre, l'autre que sa poitrine ne l'oppresse plus depuis le début du confinement, etc. Ces améliorations considérables ne concernent hélas que notre condition physique, entretenue par la gymnastique et la marche à pied, mais n'empêchent pas les inquiétudes légitimes qui assaillent les uns et les autres sur l'avenir social et politique...

Illustration : ophtalmotrope de Ruette photographié lors de la création de La chambre de Swedenborg au MAMC de Strasbourg pendant l'exposition L'Europe des esprits avec Birgitte Lyregaard et Linda Edsjö

mardi 26 mai 2020

Lysistrata [archives]


Articles des 1er juillet 2006 et 1er janvier 2016

En commentaire du billet d'hier 30 juin, la lectrice "Alibi à la une" écrivait :
"Alors ils s'y sont tous et toutes mis..."
toutes ??? je voudrais bien LES y voir !
Allez sans rancune (?) c'est partout les grandes absentes même si c'est la moitié de l'humanité. Je sais elles ressassent et ne prennent pas le pouvoir.
À qui la faute ?

Je commençai par répondre :
"Toutes" pas plus que "tous", mais c'est vrai, beaucoup moins. Toutes celles qui ont répondu "présente !", celles qui sont là, celles qu'on est allés chercher pour ne pas rester qu'entre hommes : quel ennui une fratrie de mecs, quelle obscénité ! Le jazz est un monde masculin où les femmes sont des emblèmes de publicité ou, au mieux, des égéries alcoolisées.
Heureusement celui de l'improvisation libre, des musiques barjos, est un peu plus ouvert, les filles y font leur place, pas facile. Les plus militantes ont d'abord revendiqué leur homosexualité, les plus ambitieuses rejetaient le féminisme pour être considérées à l'égal des hommes, les plus laborieuses se contentaient d'un strapontin...
Y a-t-il une expression féminine ? Je le crois. Leur sensibilité d'artiste ne s'exprime pas de la même manière. C'est moins tranché, arrondi aux entournures, c'est plus fin, parfois, comme chez les mecs pas trop machos, leur part de féminité s'exprimant plus ou moins librement...
C'est à ce moment-là que je choisis d'en faire le billet de ce matin, sachant bien que ce ne sera qu'une parole d'homme de plus, pas le choix cette fois !
Pour compléter le petit panorama rapide et réducteur, j'ajoute aux lignes précédentes que le monde de la musique classique, et, par extension, contemporaine, est tristement potache et réactionnaire, l'esprit de compétition qui y règne en fait une foire d'empoigne où les femmes n'ont à y gagner qu'une forme de contamination. La question des variétés se pose un peu moins, parce qu'on est en milieu populaire, l'enjeu n'est pas le même dans la chanson, l'arrogance porte un bémol à la boutonnière. On préfère y faire pousser des étoiles, quitte à mépriser là aussi le petit peuple des musiciens qui les accompagne, encore des mecs. Les musiques savantes, élitaires, sont chasse gardée, chasse à cour(re) ! On se plaît à croire qu'il y est question de pouvoir. Mais le pouvoir, c'est "pouvoir" faire, c'est le potentiel à créer, à diriger, à diriger sa vie, et malheureusement trop souvent celle des autres, et celle des femmes certainement.
Vaste sujet, "la moitié de l'humanité" ! Cela méritera qu'on y revienne, souvent ?! Alors autant commencer dès aujourd'hui. La parité me semble une mystification de plus, un truc en plumes inventé par les hommes pour que les femmes qui la ramènent leur ressemblent. Regardez Ségolène Royal sur les pas de Margaret Thatcher et Condolezza Rice, quelle horreur ! Il en est d'autres qui se battent avec plus de jugeotte, mais n'y a-t-il pas d'alternative à prendre le pouvoir en package avec la stupidité des mâles ? Faut-il qu'à leur tour les femmes nous gouvernent avec la même brutalité, carnage destructeur et suicidaire ? Au secours, Lysistrata (texte de la pièce d'Aristophane) ! Adolescent féministe et non-violent, j'avais trouvé géniale cette grève du sexe pour arrêter la guerre. Pourquoi les femmes qui y perdent leurs enfants, leurs frères, leur père et leur époux, ont-elles toujours été solidaires de ces bouchers sanguinaires ? Faut-il aller chercher quelque explication dans la biologie comme le fait le documentaire 1+1, une histoire naturelle du sexe (et dont j'eus la joie de composer la musique) ? Doit-on en passer par la barbarie ? Ou bien est-ce l'absurde qui nous gouverne ?
Ayant grandi dans les années 70 au milieu de femmes revendiquant l'émancipation féminine, la question n'a eu de cesse de me poursuivre. Sur les murs de la cuisine étaient épinglés des petits papiers découpés portant tous les slogans de l'époque, certains même ambigus : "Une femme sans homme, c'est comme un poisson sans bicyclette". J'aimais l'impossible. J'en rêve toujours. Attention à moi si, en discutant, j'accordais mal un adjectif, j'étais immédiatement repris et le e final était accentué avec sa liaison phonétique, appendice qui pour une fois dépassait du mot féminin. J'ai pris ainsi l'habitude d'accorder les fonctions, surtout en haut de l'échelle sociale, Madame la présidente, Madame la directrice, une écrivaine, etc.
Dans le Drame, nous n'avions qu'un tiers de musiciennes, cinq sur quinze, l'atmosphère y était tout de même plus digne, ça changeait des chambrées des autres orchestres. Dans le Journal des Allumés, chaque fois que nous le pouvons nous invitons ces dames au parloir, cette fois la harpiste Hélène Breschand, la compositrice et chef d'orchestre Sylvia Versini, les dessinatrices Chantal Montellier et Laurel (son blog). Nous le savons, c'est peu et ce n'est pas le reflet du monde réel, nous forçons les portes. Un seul des Cours du Temps fut consacré à une femme, la contrebassiste Joëlle Léandre, sa parole y est emblématique. Même si Valérie Crinière réalise le Journal (et pas seulement techniquement !), il n'y a que des hommes au comité de rédaction, et peu de femmes dirigent parmi les 42 labels de l'association. Notre trésorière, Françoise Bastianelli, en charge du label Émouvance, a redressé les comptes de l'assoc lorsque nous étions au plus mal. J'aurais pu écrire "au plus mâle" tant l'unisexicité peut être nauséabonde. Les femmes entre elles ne valent guère mieux, c'est pour cela que Lysistrata n'eut jamais gain de cause. Il faut la mixité, le partage des tâches, oui si c'est ensemble, pas de prérogatives ni de territoires réservés, l'échange est plus juste que le partage.
Je repense toujours aux derniers mots de L'innocente de Lucchino Visconti, son dernier film, quelque chose du genre : ''Pourquoi faut-il que, vous les hommes, vous nous portiez aux nues ou nous traitiez comme moins que rien ? "

AVEC "CHI-RAQ" SPIKE LEE RETROUVE LE TON DE SES DÉBUTS


Depuis que je connais Lysistrata je me suis toujours demandé pourquoi les femmes acceptaient la mort de leurs maris, fils, pères ou frères. Comment peuvent-elles être complices de la violence des hommes ? Quel pouvoir ont-elles oublié qui ne leur permettent pas d'enrayer la folie des brutes machistes qui ne trouvent jamais que la guerre pour (ne pas) régler leurs conflits ou asseoir leur emprise ? Est-ce que la mort est intrinsèquement liée au sexe ? Les explications psychanalytiques ne sont pas de mon ressort, mais Aristophane a su proposer une solution pacifique qui ne semble pas avoir convaincu puisque cela continue de plus belle !
Spike Lee s'empare donc de cette comédie pour dénoncer la violence qui s'exerce entre Afro-Américains. Il y a plus de morts à Chicago liés aux bagarres entre gangs qu'il n'y en eut en Iraq, d'où le surnom du quartier sud, contraction de Chicago et Irak. Comme dans la comédie grecque le réalisateur de Do The Right Thing, Mo Better Blues et Malcolm X emploie un langage direct qui sied à l'argot des rues, les acteurs s'exprimant en vers, rap nerveux de cette comédie musicale où l'on retrouve le ton de ses premiers films. Spike Lee n'évite pas quelques longueurs, mais le sujet est formidable et son adaptation parfaitement à propos.


Chi-Raq est un film militant à la portée populaire. Il devrait être projeté dans les quartiers, là où l'esprit de clan a remplacé la solidarité de classe. Le prêche du pasteur Michael Pfleger interprété par John Cusack est explicite, la misère entretenue par le capitalisme et le chômage poussent ces jeunes à s'entretuer, ce dont profitent les marchands d'armes soutenus par la NRA, la criminelle National Rifle Association. Samuel L. Jackson joue le rôle du chœur commentant les péripéties de cette bande de filles qui décident de faire la grève du sexe tant que leurs mecs utiliseront leurs armes. Elles s'opposent aux gangsters et à la police, à l'armée et à la résistance de leurs sœurs. Dans cette South Side Story Wesley Snipes et le rappeur Nick Cannon sont les chefs des Spartans et des Trojans, Teyonah Parris est Lysistrata, Angela Bassett est Helen et Dave Chapelle fait partie de la bande. La musique nerveuse porte le film, les couleurs éclatent sur l'écran, orange et violet représentant celles des deux gangs. Des vers scandés s'affichent parfois en infographie, plus agit-prop que clip-vidéo. Chi-Raq est à la fois drôle et sérieux, swing et sexy.
Mais est-ce que cela changera grand chose à la violence absurde, criminelle et suicidaire des hommes ? Cette brutalité mortifère reste pour moi un mystère. À moins qu'elle ne s'explique par l'intérêt des pouvoirs en place, et ce depuis des millénaires (Aristophane a écrit sa pièce cinq siècles avant J-C), à exciter les pauvres les uns contre les autres pour mieux les contrôler et les opprimer ? Cette culture de la guerre est-elle inhérente à l'espèce, le fruit d'un calcul cynique ou de l'inconséquence des chefs ? Peace and Love revendique Lysistrata et à sa suite le réalisateur Spike Lee, fatigué de voir sa communauté s'entretuer. C'est ce que je vous souhaite pour cette nouvelle année en cette période qui pue le sang et les larmes, l'exploitation et le profit, la manipulation et l'aveuglement.

jeudi 5 mars 2020

Roda-Gil rime avec utile, c'est si facile


Si j'aime la musique, une chanson c'est d'abord un texte. J'ai besoin de comprendre les paroles et que la musique l'exprime comme dans un film muet sans pour autant qu'elle soit illustrative. J'ai commencé par écrire des mots avant de jouer des notes. Je parlais anglais, je suis devenu le chanteur du groupe. Et puis très vite j'ai eu besoin de les envelopper avec des bruits bizarres. Mes premières chansons ont été enregistrées avec Un Drame Musical Instantané, mais mes préférées sont celles que j'ai écrites pour ma fille Elsa et qui n'ont jamais été publiées. Je suis égelement très heureux de notre adaptation de Crasse-Tignasse et surtout Carton réalisé avec Bernard Vitet qui avait un don fantastique pour les mettre en musique. Il avait un sens de l'harmonie exceptionnel alors que je m'occupais de l'orchestration. À la trompette et au bugle, Bernard avait enregistré pour Gainsbourg, Barbara, Montand, Bardot, tourné quatre ans avec Claude François et tant d'autres. Il prétendait avoir écrit le pont de My Way (Comme d'habitude) et se fichait totalement de ne pas l'avoir signée. Il disait de toute façon ne pas aimer cette chanson, même s'il aurait pu être châtelain. Jouer avec Colette Magny ou Brigitte Fontaine dressait un autre pont avec son côté free jazz, avec Parmegiani rappelait son passage au GRM. Je pense à lui chaque fois que je me remets à la chanson, un genre difficile parce qu'il est censé s'adresser à un plus large public. Les compositeurs contemporains ont rarement des textes aussi forts que ceux des paroliers de la chanson française. J'achète encore les disques de Camille, Brigitte Fontaine, Claire Diterzi, comme avant Noir Désir ou Bashung.
On l'appelait Roda, le film de Charlotte Silvera m'a donné envie de rendre hommage à cette chanson française qui nous lègue tant de standards. Les jazzmen ont fini par s'en apercevoir au lieu d'aller puiser exclusivement dans le répertoire américain. Pour convaincre, leurs instrumentaux doivent être dictés par les paroles, pensées sans être dites.


Étienne Roda-Gil, dont les 747 chansons ont toutes été interprétées, incarne l'ambiguïté de l'engagement politique et du désir de reconnaissance. Il se disait poète industriel, rêvait de détruire cette industrie qui le nourrissait. S'il a su séduire Julien Clerc, Claude François, Johnny Hallyday, Juliette Gréco, Vanessa Paradis, Barbara, Mort Schuman, France Gall, Angelo Branduardi, Alain Chamfort, Françoise Hardy, Christophe, Pascal Obispo, Sophie Marceau, Catherine Lara, Louis Bertignac, Astor Piazzola, Marianne Faithfull, Roger Waters, etc. Roda-Gil avait aussi écrit La Makhnovstchina dans le formidable disque situationniste Pour en finir avec le travail. Pas seulement Utile pour Julien Clerc, Alexandrie Alexandra pour Claude François, Le Lac Majeur pour Mort Shuman, Joe le taxi pour Vanessa Paradis...
Il était anarchiste, fidèle à ses parents qui avaient fui l'Espagne franquiste, à son père qui avait été militant libertaire de la CNT, commissaire général, membre de la colonne Durruti, puis maquisard français. Les Bérurier noir, Barikad, Serge Utgé-Royo ont aussi repris certaines de ses chansons. Marqué par mai 1968 alors qu'il avait 26 ans, il n'a jamais renié ses idées, les insinuant parfois dans un inconscient subversif, une abstraction suggestive... À condition de bien écouter ce que son romantisme d'écorché vif suggère... Roda-Gil disparut en 2004 à l'âge de 62 ans. Je l'ai toujours considéré avec une attention particulière, sachant que ses sous-entendus étaient à tiroirs. Le film de Charlotte Silvera, constitué d'un long entretien, de nombreux témoignages et d'extraits, lui rend un bel hommage, rappelant ce que notre culture lui doit, comme à Brel, Ferré, Brassens, Barbara...

→ Charlotte Silvera, On l'appelait Roda, DVD Doriane Films, 1h37 + bonus de 26 minutes, 15€, sortie le 4 mars

lundi 11 novembre 2019

Dans la terrible jungle


Dans la terrible jungle, le film d'Ombline Ley et Caroline Capelle est enfin sorti en DVD, de quoi vous réconcilier avec ce que l'on appelle documentaire, mais qui trop souvent ressemble à un reportage ou à de la radio filmée. Associant leurs talents réciproques, les deux jeunes réalisatrices nous offrent un film positif et foncièrement humain sur un sujet que d'autres auraient rendu larmoyant, explicatif ou condescendant. En cela elles me rappellent les fictions d'Aki Kaurismaki qui lui aussi porte ce rare regard poétique et bienveillant sur ses personnages en soignant ses décors, et puis Jacques Tati pour leur sens de l'observation. Ombline Ley et Caroline Capelle ont passé une semaine par mois pendant un an et demi à l'I.M.E. (Institut Médico-Éducatif) La Pépinière, centre fermé mais qui accueille des résidences d'artistes, où une dizaine d'adolescents handicapés, atteints entre autres de mal-voyance, sont devenus les héros d'un film réalisé "avec" eux et non "sur" eux. Si vous ne l'avez pas vu en salles, courez acheter ce DVD, comédie musicale pleine d'humour et de tendresse ! Il avait été soutenu par l'ACID (Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion) dont le site propose extraits, teasers, dépliant et qui l'avaient porté au Festival de Cannes l'an passé. C'est d'ailleurs à l'ACID que je dois la "promotion" de mon film Le sniper, tourné à Sarajevo pendant le siège, il y a 25 ans ! Les deux réalisatrices font donc le tour de France avec leur film, tout en préparant la suite qui pourrait bien être une fiction documentaire d'anticipation sur des principes identiques, soit savoir capturer la fantaisie du réel...


Le DVD a l'avantage de présenter une collection de bonus à la hauteur du film. Leur entretien avec leur monteuse Céline Perreard est un petit bijou d'impertinence drôlatique et les teasers vont piocher dans des rushes que j'imagine imposantes. Les 5 épisodes de Duo Kor, avec ses percussions corporelles, révèlent l'humour pince-sans-rire d'Ombline Ley et son sens du rythme tandis que le précédent court métrage de Caroline Capelle, Et puis tout passe, possédait déjà la justesse de ses cadres et un humour délicat où le comique de répétition n'a rien de statique. On peut aussi télécharger un dossier pédagogique que je n'ai pas encore regardé. Je connaissais Caroline lorsqu'elle avait été l'assistante de Françoise Romand, cinéaste que j'admire au plus haut point pour sa manière d'assumer la mise en scène de ses documentaires. Toutes se moquent du cinéma-vérité, sachant que, dès que l'on pose une caméra ou que l'on effectue le moindre montage, la prétendue objectivité s'évanouit aussitôt. Autant assumer ses choix, en choisissant des cadres qui font sens, en travaillant le son avec le même soin que les images, et surtout en cherchant la complicité de celles et ceux qui sont filmés.
Montrer les paysages juste avant que les personnages entrent dans le champ valorise la nature qui entoure ces jeunes expérimentateurs qui semblent bénéficier d'un encadrement totalement à l'écoute de leurs angoisses. La musique constitue un exutoire exceptionnel, que ce soit en montant un groupe de rock épatant ou dans une danse époustouflante. Le texte au dos du boîtier résume parfaitement cette petite merveille aussi belle à regarder qu'à écouter, n'imposant aucune lecture par son absence de commentaire, fut-il même suggéré : "Dans la terrible jungle réunit tous les ingrédients d’un bon blockbuster d’auteur : un super héros, des cascades, un peu de sensualité mais pas trop, un jeune en fauteuil roulant turbo speed, des adolescents en ébullition, une fille populaire, un groupe de rock et quelques lapins pour les amateurs de nature... Normalement tout y est."

→ Ombline Ley et Caroline Capelle, Dans la terrible jungle, DVD ESC, 16,99€

jeudi 3 octobre 2019

Les clefs du coffre


Voilà cinq ans que je cherche les clefs du coffre-fort de l'ancien propriétaire. Comme je ne possède rien de précieux j'y avais entreposé ma collection numismatique, histoire de rêver à ce trésor amassé lorsque j'étais enfant ! Un jour que nous partions en vacances, Françoise, qui y avait momentanément déposé 2000 dollars, m'a demandé de cacher la clef dans un endroit moins évident. Rentrés, nous n'avons jamais retrouvé l'endroit astucieux où nous l'avions déplacée. J'ai cherché, cherché, repellé toute la maison... En vain.
L'été dernier, comme Françoise n'habitait plus là, j'ai fait découper la porte du coffre à la disqueuse par un serrurier pour lui rendre sa petite liasse de billets américains. Il y a quelques jours, comme je cherchais comment me vêtir pour ma performance de remix des vidéos de John Sanborn, j'enfilai la veste Roma peinte par Raymond Sarti que je n'avais pas mise depuis des années. Arrivé au Blackstar, qui depuis a hélas fermé ses portes, je range les clefs de la Kangoo dans une de ses poches et qu'est-ce que je trouve ? Deux exemplaires de la clef du coffre évidemment ! J'avais cherché dans tous mes vêtements, dans les placards, mais cette veste était accrochée bien visible dans le studio d'enregistrement avec d'autres tenues de scène historiques. Maintenant c'est trop tard. Le coffre-fort est défoncé. Les clefs ne servent plus à rien. La mise en scène a changé. Je laisse mes vieilles pièces de monnaie à l'intérieur. Le scénario s'est étoffé. Long John Silver n'a rien perdu au change.

mardi 18 juin 2019

Quel temps fera-t-il demain...


Lundi dernier l'empereur, sa femme et les petits princes sont venus chez moi pour me serrer la pince... Sauf qu'aucun d'eux ne se prend réellement au sérieux, ou plus exactement qu'Ella & Pitr forment un duo égalitaire qui ont fondu le style de chacun/e dans une signature commune à laquelle participent de temps en temps leurs deux jeunes enfants. Des affiches détourées et découpées comme jadis Ernest Pignon Ernest ils sont passés aux anamorphoses à la Georges Rousse avant de réaliser les plus grandes œuvres de la planète, peintures éphémères que l'on ne voit totalement que depuis l'espace ! Eux-mêmes utilisent un drone pour voir comment étaler les 1500 litres de peinture acrylique qu'ils pulvérisent en même temps que leur propre record, peignant la dernière en date sur le toit du Parc des Expositions à la Porte de Versailles, soit 25 000 mètres carrés. Elle représente une nouvelle géante, vieille dame pensive devant la futilité orgueilleuse des petites voitures roulant sure le Boulevard Périphérique parisien, un sac en plastique s'envolant polluer notre univers absurde... L'ont-ils appelé Quel temps fera-t-il demain... en référence au seul lien qui relie l'ensemble de ces automobilistes tournant en rond, les infos diffusées par FIP ?


J'étais donc tout heureux de leur montrer le bleu ciel sur lequel se détache maintenant Bientôt, le personnage qu'ils avaient peint tout en haut de ma façade. Leur empire n'est que celui de l'imagination et les deux petits princes facétieux étaient restés à Saint-Étienne où la famille Trapp des arts plastiques a élu domicile. Pour fêter leur venue à Bagnolet j'avais préparé un poulet à la grecque consistant à cuire au four cuisses et ailes immergées dans l'origan et le citron, recette familiale que je tiens de ma maman. Le dessert dont ils raffolent ne pouvait provenir que du plus célèbre glacier parisien auquel je suis maladivement abonné. Ils n'ont pourtant jamais encore travaillé sur ce support alors qu'ils préparent un nouvel emballage pour le chocolat stéphanois Weiss après le succulent blanc aux fruits rouges qu'ils ont orné d'un cœur qui s'envole !


Je ne pouvais partager les images d'Ella & Pitr avant la diffusion du reportage de TF1. Aussitôt l'embargo levé et lu le superbe article d'Emmanuelle Jardonnet dans le Monde dressant le portrait de ce couple d'artistes qu'on affuble "de rue", mais qui se moquent du street art comme jadis, disent-ils, le trio des Inconnus épinglaient le rap ! Cela n'empêche pas Loïc dit Pitr de m'indiquer le sulfureux Booba tandis que nous regardons les épatants clips d'OrelSan. Ella & Pitr critiquent essentiellement les fresques murales qui ne tiennent pas compte du contexte urbain... Leurs interventions tiennent toujours compte de l'espace social et géographique dans lequel se lovent leurs géants, souvent des laissés pour compte de notre société malade. Leurs personnages "énormissimes" n'étant pas visibles à l'œil nu le couple d'artistes prend de la hauteur sans en rajouter à la pollution visuelle qu'engendre entre autres la publicité. Entre ces encombrements et ceux des automobiles, véritable cancer de la ville, ils nous renvoient à notre condition humaine de fourmis dans l'immensité du cosmos, éphémérité n'empêchant pourtant pas le gâchis dont nous sommes les auteurs.


Comme on peut le voir dans le long métrage Baiser d'encre que leur avait consacré Françoise Romand et dont j'avais composé la partition sonore, l'univers pictural d'Ella & Pitr alimente leur quotidien autant que celui-ci les inspire. Leurs fantaisies narratives sont composées d'une vision critique du réel et d'une poésie de l'enfance qui s'interpénètrent au point de créer un réalisme poétique laissant deviner un imaginaire plus vrai que nature...

lundi 13 mai 2019

France Musique, un autodafé


Chaque fois que j'ai travaillé à France Musique ou France Culture comme producteur, j'ai repensé aux Propositions au directeur de la radio que Bertoldt Brecht rédigea le 25 décembre 1927. Il commence par "Vous devriez à mon avis essayer de faire de la radio quelque chose de vraiment démocratique" et termine par "il est absolument nécessaire que vous rendiez compte publiquement des sommes fantastiques qui sont absorbées par la radio, ainsi que de l'utilisation, jusqu'au dernier pfennig, de ces deniers publics." On se rendrait compte aujourd'hui que les coûts administratifs sont colossaux en regard du budget alloué à la création. D'ailleurs Brecht souligne les "honoraires minables et ridicules que l'on paie pour l'heure d'antenne à fins culturelles."
Près d'un siècle plus tard, rien n'a changé, la situation s'est même tragiquement aggravée. La direction de Radio France, pour faire des économies de bouts de chandelle, vient de supprimer les rares émissions de création de France Musique qui n'avaient pas encore été sabordées. Disparaissent ainsi Tapage Nocturne de Bruno Letort, À l'improviste d'Anne Montaron, Le Cri du Patchwork de Clément Lebrun, Ocora Couleurs du Monde de Françoise Degeorges, Le portrait contemporain d'Arnaud Merlin et l'on ne donne pas cher de la peau de L'expérimentale du GRM... Ce pourrait être une refonte des programmes, mais la chaîne s'orienterait vers la diffusion d'un flux de musique classique à partir de 23 heures, ne proposant aux amateurs de musiques contemporaines, musiques improvisées, musiques électroacoustiques, musiques du monde, etc. qu'un créneau de deux heures maximum le week-end, soit une sorte de cabine des Marx Brothers à la mode de chez nous qui ne savons même plus planter les choux. La place du direct ou des concerts, n'en parlons même pas ! Le fleuron de France Musique disparaîtrait d'un coup, si les auditeurs de ce service public ne se révoltent pas contre cette décision arbitraire totalement absurde et mortifère. Ce n'est même pas criminel, c'est suicidaire. Mon syntoniseur de modulation de fréquences évitait déjà les stations où la publicité pollue les émissions, il va se retrouver au grenier. J'imagine que les gestionnaires de Radio France bavent d'impatience pour franchir ce nouveau pas, afin de s'aligner derrière le formatage commercial de la FM passée aux mains des marchands. La logique voudrait même que, faute d'un Audimat catastrophique suite à toutes ces décisions aussi stupides que morbides, la radio de service public suive celle qui a valu aux aéroports, par exemple, d'être vendus au privé ! Si vous pensez que je fais de la parano ou que je nage en pleine science-fiction, regardez autour de vous la casse sociale et la désertification culturelle qui ne cesse de s'accroître.
Il est loin le temps où France Musique nous commandait des émissions de création de près de trois heures comme USA le complot ou La peur du vide ! J'ai même produit un direct quotidien de 20h à 20h30 sur France Culture intitulé Improvisation Mode d'emploi avec un musicien ou une musicienne différent/e chaque soir. Malgré cette peau de chagrin arrivée aujourd'hui à son ultime extrémité, les émissions À l'improviste, Ocora Couleurs du monde, Tapage nocturne, Le cri du patchwork, Le portrait contemporain ou L'expérimentale sont ce qui se fait de mieux sur la chaîne que l'on rebaptisera désormais France Mutique. Déjà Radio France ne voulait plus payer les musiciens qui venaient jouer en direct sous prétexte que cela leur faisait de la pub. Anne Montaron résistait, sinon je n'aurais jamais joué avec Birgitte Lyregaard et Linda Edsjö à l'improviste...


J'imagine qu'une pétition va voir le jour pour tenter de sauver le service public au travers de ces émissions passionnantes, dernier maillon qui nous reliait à une chaîne dont les journées me semblent remplies par de la diffusion de disques de musique strictement classique avec des commentateurs lisant le dos des pochettes ou leurs petits livrets. Les émissions d'Anne Montaron, Françoise Degeorges, Bruno Letort, Clément Lebrun, Arnaud Merlin, etc. ouvraient des fenêtres sur le monde, un monde vivant. Je parle au passé, mais il ne tient qu'à vous qu'elles ne soient pas murées et qu'elles continuent à exister. J'irai même plus loin, faisons en sorte par notre engagement total que l'intelligence refasse surface et se répande comme une traînée de poudre... Radio France suivra ! La radio fait partie des médias extraordinaires qui donnent à rêver, vecteurs d'une reconstruction qu'il faut heureusement envisager après le massacre à l'œuvre aujourd'hui.
Ce ne sont pas simplement des émissions qui disparaissent, c'est un maillon d'une chaîne indissociable qui est brisé. Tout un secteur artistique est mis en danger par cet autodafé, depuis les auteurs, compositeurs, éditeurs, représentés par la SACEM jusqu'au public en passant par les interprètes, techniciens du son, journalistes, organisateurs de concerts, labels discographiques, disquaires, etc. Le compositeur Edgard Varèse écrivait : "le compositeur d'aujourd'hui refuse de mourir". C'est la musique vivante qui est attaquée par des irresponsables au salaire confortable. Il ne faut pas seulement réclamer le maintien de ces émissions, mais leur expansion, et, plus encore, la démission de ceux qui ont commis cet acte d'inculture d'une arrogance inimaginable.

N.B.: le concert "à l'improviste" de ce soir 19h30 se tient hors-les-murs au Théâtre de l'Alliance Française avec la performeuse Violaine Lochu (voix, accordéon) suivie du trio SatureDay avec Michael Nick (violon, composition), Yaping Wang (yangqin) et Diemo Schwarz (électronique)...

P.S.: Signez la pétition !

mercredi 1 mai 2019

Combat de fleurs un 1er mai


Voilà bien deux mois que j'ai planté le muguet de Maman dans un pot du jardin. Depuis, mes visiteurs sont chaque fois surpris qu'il ait déjà fleuri. Comme j'esquisse le sourire d'un garnement content de sa farce, ils comprennent la supercherie. Si j'avais trouvé un nain sur la terrasse de son appartement avant de le vendre, je l'aurais planté de l'autre côté, là où se reposent les faux canards de Jean-Claude, mais il n'y avait pas plus de nain que de beurre en branches. Les sampuru sont pour moi comme la nourriture des pensionnaires du Musée Grévin. Ils font partie d'un monde d'illusions aussi réelles que ce qu'il est entendu de considérer comme tel...


Regardez les grappes de fleurs du palmier que Lara m'avait offert il y a dix-huit ans. Elles ressemblent à des branchies d'aliens. Sont-elles plus réelles que la proliférante glycine que Françoise avait plantée il y a une dizaine d'années ou bien le tamaris qui date d'avant mon emménagement et qu'on avait cru mort ? La pousse des arbres relativise notre temps. Le gingko biloba offert par Sonia pour mes soixante ans prend tout le sien, il sera peut-être encore là quand il n'y aura plus personne. Celui d'Olivier a disparu avec les travaux des nouveaux propriétaires de sa maison. On voit de plus en plus de gingkos, alors que pendant longtemps je ne connaissais que ceux du Père Lachaise, près de Gambetta, sous les fenêtres de Marianne...


Je repense toujours au titre du roman de Christiane Rochefort, Encore heureux qu'on va vers l'été, parce que l'ambiance est plutôt morose, pour ne pas dire saumâtre. Je pourrais incriminer Macron et la bande de bandits qu'il entretient et qui le remercieront plus tard pour services rendus, mais cela ne va guère mieux de l'autre côté de la frontière, quel que soit l'horizon vers lequel on se tourne. Ils ont les mêmes maîtres. J'achèterai bien quelques brins aux gilets jaunes si j'en croise aujourd'hui, mais de savoir que cette crapule de Pétain a lancé cette mode en 1941 pour remplacer l'églantine rouge qui s'offrait jusque là pour la Fête Internationale des Travailleurs me gâche un peu le plaisir. Alors je combats la glycine qui a décidé d'étouffer mon églantier. Le complot prend racine ! Dix ans en arrière, il y avait encore du vrai muguet dans le jardin. Il n'a pas tenu. J'imagine que c'est ce qui finira par arriver, du moins quand reviendra le temps des cerises. Mais d'ici là ce sera Struggle for Life. Qui s'y frotte s'y pique, suggère le yucca. Les plantes ne sont pas plus gentilles entre elles que les humains. Elles font seulement moins de ravage parmi les autres espèces...

mercredi 17 avril 2019

Pianissimal


Bon je rabâche, mais je me sens toujours aussi incompétent pour évoquer les disques de pianistes. Déjà en solo c'est difficile, mais le trio piano-basse-batterie m'échappe le plus clair du temps. Peut-être est-ce le croisement du meuble bourgeois avec le swing du jazz que je n'assimile pas vraiment ? Pour les solos est-ce simplement parce que je conçois la musique d'abord comme un art d'équipe, le summum de la conversation où tout le monde parle en même temps tout en s'écoutant les uns les autres ? Il m'aura fallu aujourd'hui celui de Françoise Toullec pour que je me lance. Un hibou sur la corde rassemble des pièces conçues pour l'opus 102, un piano exceptionnel construit par Stephen Paulello, quatorze notes supplémentaires, une sixte dans le grave et une quarte dans l’aigu, encore plus surprenant que le Bösendorfer Impérial que nous avions l'habitude de réclamer à Radio France quand nous y faisions nos interventions hirsutes avec le Drame. Je triche aussi parce qu'il s'agit d'un piano préparé ou, plus exactement, d'un piano étendu. Le piano préparé est une perversion haute en couleurs me laissant souvent croire qu'il s'agit d'un ensemble de cordes et de percussions, un gamelan occidental entre les mains de quelque marionnettiste. Elliptique, Françoise Toullec tourne les pages d'une fiction abstraite. Pour honorer cet instrument grandiose elle a préféré ne pas lui greffer de vis, chevilles et d'autres petits objets iconoclastes ; si elle a surtout plongé dans son espace intérieur, elle l'a tout de même caressé, gratouillé, frappé avec des baguettes, et effleuré d'un archet électronique, l'e-Bow qui donne son titre à l'album. Au lieu des rythmes auxquels le piano préparé est habitué, elle a laissé résonner les cordes parallèles de l'opus 102 dans la lenteur, savourant chaque vibration en gourmette. J'ai enfilé mon maillot et j'ai plongé dans le son pour un bain de minuit à quatorze heure. Les autres n'y étaient pas.
Réveillé, j'ai remis les autres disques sur la platine. Guillaume de Chassy joue avec délicatesse les chansons de Barbara. Assumant son héritage hexagonal, lui aussi a pris là ses distances avec le jazz, n'en conservant que la souplesse de l'improvisation. Les compositeurs classiques ont d'ailleurs toujours usé de cette liberté. N'avez-vous jamais entendu les improvisations de Camille Saint-Saëns au Pianola sur Samson et Dalila ? Ou Granados ? Ou Mahler réduisant ses symphonies sur un Welte-Mignon ! Comme pour les standards de jazz qui sont en fait les chansons que chantaient leurs mamans aux futurs jazzmen virtuoses, de Chassy s'approprie celles de Barbara en les impressionnant début du XXe, pour un résultat sans âge, on dit "millésimé".
Le pianiste bulgare Mario Stantchev, dont j'avais apprécié son Jazz Before Jazz avec les œuvres Louis Moreau Gottschalk, conjugue le swing à tous les temps, échappant ainsi aux poncifs nord-américains. Les cinq autres pianistes qui s'empilent devant ma platine ont préféré s'adjoindre un bassiste et un batteur, c'est leur droit, mais franchement j'aurais préféré qu'ils composent des associations aux timbres moins convenus. Yaron Herman sautille avec grâce, accompagné par Sam Minae et Ziz Ravitz. Plus moderne, Stephan Oliva s'inspire toujours de son goût pour le cinématographe, mariant le jazz aux émotions qu'il procure. Peut-être de jouer avec les Américains Or Bareket et Leon Parker, Fred Nardin est plus classique et attendu. Même question avec Vincent Bourgeyx qui a passé trop de temps à New York et ne coïncide pas du tout avec mon "rêve cosmique", même à y rajouter un sax. Il y a des amateurs pour ce genre, heureusement pour eux, mais dès que cela ressemble à ce qu'on est susceptible d'entendre dans une boîte de jazz, ma tasse de thé déborde... Je préfère le Coréen Heo avec Alexis Coutureau et Kevin Lucchetti, c'est un peu plus bizarre, probablement dû aux éléments asiatiques qui fusionnent avec le jazz. La chanteuse Youn Sun Nah est venue soutenir son compatriote sur un titre. Il n'empêche que chaque fois je me souviens que Saint-Saëns avait ajouté les pianistes à son Carnaval des Animaux ! Il y en a que j'adore évidemment, on m'aura lu ailleurs, car ce n'est pas le piano qui m'ennuie, mais l'attribut pianistique. Je pense que cela me fait le même effet avec tous les instruments. Il n'y a qu'en art que j'apprécie les pervers.

→ Françoise Toullec, Un hibou sur la corde, cd Gazul Records, dist. Musea
→ Guillaume de Chassy, Pour Barbara, cd NoMadMusic, dist. Pias
→ Mario Stantchev, Musica Sin Fin, cd Cristal, dist. Believe Digital
→ Yaron Herman Trio, Songs of The Degrees, cd Blue Note, dist. Universal
→ Stephan Oliva / Sébastien Boisseau / Tom Rainey, Orbit, cd Yolk, dist. L'autre distribution
→ Fred Nardin Trio, Look Ahead, cd Naïve, dist. Believe
→ Vincent Bourgeyx, Cosmic Dream, cd Paris Jazz Underground, dist. L'autre distribution
→ Heo Trio, Sherpa, cd Cristal, dist. Sony Music

lundi 1 avril 2019

Le nouveau Blog d'Étienne Mineur


Le 4 août 2005 je mettais en ligne mon premier article de blog. Comme j'avais l'intention d'imaginer une œuvre artistique en m'appuyant sur ce nouveau mode d'expression, j'étais allé voir le graphiste Étienne Mineur qui publiait quotidiennement des choses passionnantes depuis le début de l'année. Mon ami m'aida à installer l'application DotClear que j'utilise toujours. Je fus instantanément happé par cette nouvelle addiction, le blog lui-même devenant au fil des années une de mes œuvres les plus importantes, totalisant plus de 4000 articles aujourd'hui !


De son côté, jusqu'en août 2012 Étienne Mineur s'appuya sur DotClear qu'il quitta après 1670 articles pour construire un nouveau blog d'Archives qu'il abandonna au bout d'un an. C'est donc avec surprise et ravissement que j'apprends qu'il remet le couvert avec une troisième mouture ! Cette fois le site d'Étienne rassemble son nouveau blog, un safari typographique à travers le monde où il photographie la signalétique urbaine sauvage (enseignes, graffitis, peinture murale, affiches, stickers…), un portfolio, des croquis et bientôt ses enthousiasmantes conférences filmées.


Lorsqu'on connaît l'entrain et la passion partagée généreusement de mon camarade on ne peut que se réjouir d'avoir à découvrir des merveilles dégottées par ce chercheur de trésors. Que ce soit pour sa fougue communicative et son insatiable appétit d'étonnements je me reconnais évidemment dans ce zébulon avec qui je commençai à travailler en 1995 sur le CD-Rom Au cirque avec Seurat chez Hyptique dont il était directeur artistique. Nous avons ensuite collaboré sur mon CD-Rom Carton, l'habillage télévisuel d'EuroPrix 98 à Vienne en Autriche, pour Gallimard avec Moebius le site Magado qui ne verra jamais le jour, La Maison Fantôme avec Sacha Gattino, la série Zéphyr des 5 Balloons et l'incroyable jeu World of Yo-Ho chez Volumique, les emballages des DVD de Françoise Romand, les pochettes et livrets de mes derniers disques (El Strøm et mon Centenaire), et pas mal d'autres projets...


Internet est devenue une encyclopédie vivante, une médiathèque tentaculaire, qu'il serait plus que regrettable, voire dangereux, de voir muselée, censurée, marchandisée par les gouvernements et leurs commanditaires sous les prétextes les plus fallacieux. Si les informations sont toujours à prendre avec des pincettes, cette règle vaut d'abord pour les organismes contrôlés par l'État et la presse traditionnelle qui ne s'est jamais privée de fake news et autres manipulations à des fins mercantiles ou politiques. Les blogueurs n'étant pour la plupart pas rémunérés pour leurs partages restent libres d'écrire ce qui leur chante...

vendredi 1 mars 2019

Chasseurs


Je me souviens de mon embarras il y a 16 ans lorsque Françoise m'avait raconté que son père était chasseur. En 1983, sur le disque Les bons contes font les bons amis d'Un Drame Musical Instantané, nous avions enregistré Ne pas être admiré, être cru qui était une pièce contre la chasse et Bernard Vitet en avait remis une couche avec Bonne Nouvelle en 1987. J'avais accompagné des chasseurs en Sologne pour en capter l'ambiance dans la forêt. Après avoir longtemps discuté avec mon ex-beau-père, qui est aussi pêcheur et cueilleur, ainsi que lu son livre Passion Chasse, ma critique était plus nuancée, même si la fréquentation des chasseurs ne m'est pas particulièrement agréable. Jean-Claude cachait d'ailleurs à ses camarades du Parti Communiste qu'il était chasseur et il évitait de parler du PCF à ses amis de la Fédération de Chasse. Je n'avais jamais rencontré personne qui connaissait aussi bien la nature. Comme j'apprécie toujours le gibier, la viande et le foie gras, il m'est difficile de rejeter les chasseurs, les éleveurs et les bouchers dont je paie les basses œuvres ! Contrairement aux végétariens et végans je n'ignore pas le cri de la carotte. Je pense sérieusement que les plantes communiquent entre elles et que nous ne connaissons rien de leur vie et de leur mort. J'avoue avoir même des doutes sur le fauteuil sur lequel je suis assis en train de taper ces lignes. Aucun mysticisme là-dedans, mais une interrogation fondamentale sur les atomes et leurs combinaisons, puisque rien ne se perd ni ne se crée.


En écoutant Chasseurs, l'œuvre radiophonique qu'Amandine Casadamont présentait mercredi soir au Musée de la Chasse et de la Nature en son spatialisé pour 20 haut-parleurs, j'étais rassuré d'entendre un autre son de cloche à la fin de la pièce après avoir été immergé pendant une heure dans une battue magnifiquement rendue. J'ai fondamentalement besoin de dialectique pour comprendre la moindre chose. Dans le cadre de la Saison France-Roumanie 2019 avec l'Institut français et l'Institut culturel roumain, elle a réalisé ce documentaire pour l’Atelier de Création Radiophonique et la nouvelle émission de France Culture, L’Expérience, enregistrant avec deux systèmes de prise de son, le premier, immersif, tenu par Bruno Mourlan, et un couple stéréo ou deux micros mono dont un canon qu'elle tenait au bout d'une perche pour avoir des sons de proximité. Elle a ensuite monté trois battues pour rendre cette impression étonnante d'y participer, du moins en auditeur libre ! Comme l'a souligné la sociologue Dana Diminescu à l'issue de l'avant première au Musée de la Chasse, Amandine a relevé les traces des chasseurs comme eux-mêmes le font avec les sangliers, les lynx ou les chacals. On suit ainsi les "respirations, marches à travers la neige et les feuilles, cris lancés dans l’écho des montagnes, coups de feu et feux de joie" dans cette Transylvanie, restée pays fantasmé dans l'obscurité de l'auditorium. En choisissant la voix enfantine d'India Hair pour traduire et accompagner les voix roumaines, Amandine indique le jeu puéril de cette ambiance virile. Parallèlement à ce que nous improvisons ensemble avec Harpon, les évocations radiophoniques d'Amandine Casadamont, que ce soit au Costa Rica avec les courriers de la drogue, à Fukushima en zone interdite, au Mexique sur le silence ou en Birmanie, abordent toujours des zones d'inconfort qui l'interrogent en nous entraînant avec elle.

Photos : Mirela Popa - Amandine Casadamont

Chasseurs, diffusion stéréophonique sur France Culture dimanche 3 mars 2019 à 23h
Le site de l'émission avec le podcast et plein de photos !

jeudi 28 février 2019

L’antisionisme est une opinion, pas un crime

Lettre ouverte - Tribune parue dans Libération le 28 février 2019 à 18:06
Pour les 400 signataires de ce texte, l’antisionisme est une pensée légitime contre la logique colonisatrice pratiquée par Israël. Le fait qu’il serve d’alibi aux antisémites ne justifie pas son interdiction.

L’antisionisme est une opinion, pas un crime

Monsieur le Président, vous avez récemment déclaré votre intention de criminaliser l’antisionisme. Vous avez fait cette déclaration après en avoir discuté au téléphone avec Benyamin Nétanyahou, juste avant de vous rendre au dîner du Crif.

Monsieur le Président, vous n’êtes pas sans savoir que la Constitution de la République énonce en son article 4 que «la loi garantit les expressions pluralistes des opinions.» Or, l’antisionisme est une opinion, un courant de pensée né parmi les juifs européens au moment où le nationalisme juif prenait son essor. Il s’oppose à l’idéologie sioniste qui préconisait (et préconise toujours) l’installation des juifs du monde en Palestine, aujourd’hui Israël.

L’argument essentiel de l’antisionisme était (et est toujours) que la Palestine n’a jamais été une terre vide d’habitants qu’un «peuple sans terre» serait libre de coloniser du fait de la promesse divine qui lui en aurait été donnée, mais un pays peuplé par des habitants bien réels pour lesquels le sionisme allait bientôt être synonyme d’exode, de spoliation et de négation de tous leurs droits. Les antisionistes étaient, et sont toujours, des anticolonialistes. Leur interdire de s’exprimer en prenant prétexte du fait que des racistes se servent de cette appellation pour camoufler leur antisémitisme, est absurde.

Monsieur le Président, nous tenons à ce que les Français juifs puissent rester en France, qu’ils s’y sentent en sécurité, et que leur liberté d’expression et de pensée y soit respectée dans sa pluralité. L’ignominie des actes antisémites qui se multiplient ravive le traumatisme et l’effroi de la violence inouïe dont leurs parents ont eu à souffrir de la part d’un Etat français et d’une société française qui ont largement collaboré avec leurs bourreaux. Nous attendons donc de vous que vous déployiez d’importants moyens d’éducation, et que les auteurs de ces actes soient sévèrement punis. Mais nous ne voulons certainement pas que vous livriez les juifs de France et leur mémoire à l’extrême droite israélienne, comme vous le faites en affichant ostensiblement votre proximité avec le sinistre «Bibi» et ses amis français.

C’est pourquoi nous tenons à vous faire savoir que nous sommes antisionistes, ou que certains de nos meilleurs amis se déclarent comme tels. Nous éprouvons du respect et de l’admiration pour ces militants des droits humains et du droit international qui, en France, en Israël et partout dans le monde, luttent courageusement et dénoncent les exactions intolérables que les sionistes les plus acharnés font subir aux Palestiniens. Beaucoup de ces militants se disent antisionistes car le sionisme a prouvé que lorsque sa logique colonisatrice est poussée à l’extrême, comme c’est le cas aujourd’hui, il n’est bon ni pour les juifs du monde, ni pour les Israéliens, ni pour les Palestiniens.

Monsieur le Président, nous sommes des citoyens français respectueux des lois de la République, mais si vous faites adopter une loi contre l’antisionisme, ou si vous adoptez officiellement une définition erronée de l’antisionisme qui permettrait de légiférer contre lui, sachez que nous enfreindrons cette loi inique par nos propos, par nos écrits, par nos œuvres artistiques et par nos actes de solidarité. Et si vous tenez à nous poursuivre, à nous faire taire, ou même à nous embastiller pour cela, eh bien, vous pourrez venir nous chercher.

Premiers signataires :
Gilbert Achcar universitaire
Gil Anidjar professeur
Ariella Azoulay universitaire
Taysir Batniji artiste plasticien
Sophie Bessis historienne
Jean-Jacques Birgé compositeur
Simone Bitton cinéaste
Laurent Bloch informaticien
Rony Brauman médecin
François Burgat politologue
Jean-Louis Comolli cinéaste
Sonia Dayan-Herzbrun sociologue
Ivar Ekeland universitaire
Mireille Fanon-Mendès France ex-experte ONU
Naomi Fink professeure agrégée d’hébreu
Jean-Michel Frodon critique et enseignant
Jean-Luc Godard cinéaste
Alain Gresh journaliste
Eric Hazan éditeur
Christiane Hessel militante et veuve de Stéphane Hessel
Nancy Huston écrivaine
Abdellatif Laâbi écrivain
Farouk Mardam-Bey éditeur
Gustave Massiah économiste
Anne-Marie Miéville cinéaste
Marie-José Mondzain philosophe
Ernest Pignon-Ernest artiste plasticien
Elias Sanbar écrivain, diplomate
Michèle Sibony enseignante retraitée
Eyal Sivan cinéaste
Elia Suleiman cinéaste
Françoise Vergès politologue.

Liste complète des signataires disponible sur : https://bit.ly/2BTE43k

vendredi 15 février 2019

Le son sur l'image (27) - Rien que du cinéma ! 3.6.2


Rien que du cinéma - 2

Depuis mes balbutiements à l’époque du light-show, j’ai toujours été inspiré par les montages photographiques. Je réalisai les partitions sonores de nombreux audiovisuels didactiques de Michel Séméniako et Marie-Jésus Diaz. C’est un plaisir de devoir produire du sens, de faire passer des intentions claires par la musique et les articulations qu’elle compose avec les images. Récemment, responsable des Soirées des Rencontres Internationales de la Photographie en Arles, grâce à Olivier Koechlin j’ai eu la joie de me confronter à nouveau au montage d’images fixes. En plein air, dans le Théâtre Antique ou devant les anciens entrepôts de la SNCF, Olivier projette des images de douze mètres sur douze montées sur ordinateur avec un logiciel de son invention, iSlide, qui permet de caler très facilement les photos sur la musique et réciproquement. Il s’agit alors de donner une unité à l’ensemble des images fixes que l’auteur a conçues individuellement et qu’il n’a jamais imaginées autrement que muettes. Le récit qui n’a jamais existé que dans l’intention ou l’inconscient de l’artiste doit être structuré, ce hors champ psychique doit apparaître comme un nouveau discours critique, le seul but étant de réussir à produire un spectacle qui fascine ou provoque les spectateurs réunis sous les étoiles. En général, j’essaye de ne pas zapper les séquences musicales pour éviter de souligner encore un peu plus le morcellement de ces montages photographiques souvent découpés en courts chapitres. Musiques préexistantes ou originales, je recherche ou compose des pièces qui se transforment et s’articulent sans coupure. Si je peux tout sonoriser avec une seule pièce, je suis aux anges. Parfois, un silence me permet d’en changer. Je recherche toujours l’unité, l’élément commun à toutes les images. Le reste est affaire de rythme. Si je ne réalise pas moi-même certains des montages, je cherche des illustrateurs sonores ou des compositeurs en adéquation avec les photographes, soit dans leur sensibilité partagée, soit dans la critique qu’ils suggèrent. Il m’arrive de construire un dispositif comme ce quiz où les musiques suggéraient le pays d’origine des estivants en maillots de bain de Paolo Verzone et Allessandro Albert. Parfois, je théâtralise, au sens dramatique du terme mes références restant toujours cinématographiques, tel reportage sur Tchernobyl, une assistante sociale chinoise, les inondations d’Arles ou un abri anti-atomique en Suisse… Parfois, je recherche des effets comiques comme pour les autoportraits de Martin Parr, ou un rythme comme pour la mode en Chine. Je me débrouille pour que puisse toujours s’exercer l’alternance tension-détente, pour surprendre quand cela est possible.


Pour la remise des prix, je suggère toujours un orchestre sur scène pour contrecarrer l’aspect guindé de ces festivités autoglorifiantes. J’arrive à l’imposer deux fois. En 2003, la soirée est chamboulée par le mouvement des intermittents auquel nous participons. Bernard est juste devant moi à la trompette et au piano, Didier Petit singe les simagrées du jury avec humour et violoncelle, Éric Échampard me fait oublier qu’il est batteur mais musicien. Nous improvisons sans aucune conduite pendant plus de trois heures. Après chaque intervention musicale, je n’ai que quelques secondes pour aller m’informer de la suite des événements et transmettre le message à mes trois camarades. Un orchestre d’improvisateurs est l’ensemble rêvé pour ponctuer et accompagner ce genre de festivité, capable de réagir au moindre accident ou changement de programme, redonnant vie à ce qui est compassé… Nous recommençons en juillet 2005, cette fois en trio, avec le clarinettiste basse Denis Colin et le guitariste Philippe Deschepper. Accompagnant la comédienne et chanteuse Élise Caron qui fait office de maîtresse de cérémonie, nous improvisons, même si j’ai préparé le déroulant de la soirée, attribuant une ambiance à chaque présentation des photographies des nominés selon leur caractère, affublé d’un thème la montée des marches et organisé des petits ensembles instrumentaux divers et variés.

Il y a peu, j’adorai imaginer la musique du film 1+1, une histoire naturelle du sexe de Pierre Morize . Comme c’est urgent, comme d’habitude, je choisis de travailler en improvisation, en me concentrant sur le sens du film, sur ce qui doit être compris ou suggéré. Je réunis un quatuor d’improvisateurs chevronnés et nous travaillons à l’écran pendant trois jours. Je regrette de n’avoir pu me mêler de la bande-son elle-même, tant le film est sensible et intelligent. Je livre néanmoins suffisamment de sons isolés pour sonoriser la partie dvd-rom de cette édition. C’est étonnant à quel point il est possible de changer le sens d’un film en y adjoignant telle ou telle musique. Pour Profession, femme de… de Françoise Romand, je considère son personnage, une agricultrice volontaire, secrétaire générale de la Confédération Paysanne, comme le héros positif d’un film soviétique des années 30 et compose une musique symphonique à la Prokofiev, dynamique et colorée. Pour son précédent film, sur l’adoption internationale, Si toi aussi tu m’abandonnes, j’improvise de grandes parties sur l’orgue de Sainte Elizabeth pour montrer la puissance de l’église, imite une vallenato colombienne pour rappeler les origines du personnage principal, détourne un module de notre site somnambules.net avec le violoncelle lyrique de Didier Petit ou retravaille les voix synchrones prises en reportage en les mélangeant à des cris d’hyènes pour la scène du cauchemar. Le moment où l’on trouve le traitement exact qui convient à chaque projet est des plus excitants.


En 1993, je suis retourné à la réalisation avec un épisode de la série Vis à Vis produite par Point du Jour. Il s’agit de faire dialoguer, pendant trois jours et en vidéo compressée, deux artistes à deux bouts de la planète (le premier est kabyle dans une Algérie où monte la tension, le second est un anglais, juif de surcroît, adopté par les zoulous dans une Afrique du Sud dont Mandela n’est pas encore président !), deux artistes qui résistent au pouvoir dominant par la culture et par leur art. Au bout de trois quarts d’heure, Idir et Johnny Clegg a capella glisse vers une sorte de film psychanalytique, où les deux chanteurs parlent de leurs mamans, et tandis que Idir joue de la guitare Clegg se met à danser zoulou au milieu de son salon. Surréaliste ! Je n’ai pas osé demander à Clegg de me fabriquer un arc vocal tel celui qu’il confectionna devant la caméra, après être allé cueillir un bambou au fond de son jardin. Je me serais bien vu jouer de son archet en transformant le son avec ma cavité buccale comme je le fais avec ma collection de guimbardes.

Quelques mois plus tard, je me retrouve à diriger une douzaine de courts-métrages de la série Sarajevo, a street under siege, toujours produits par Point du Jour, cette fois en coproduction avec la BBC et Saga. Mille obus par vingt-quatre heures, le plus grand dénuement, une expérience humaine hors du commun où règne une solidarité totale et absolue. Je me lave en crachant dans mes mains, m’endors en comptant les obus comme si c’était des moutons, une partition sublime qui me fait penser à Ionisation de Varèse, je n’ai jamais aussi bien dormi de ma vie. Le réveil est plus brutal, chaque matin vers cinq heures, je suis soulevé de mon lit par une énorme explosion. Revenu transformé, je n’ai plus peur de la mort, mais je mets un an à m’en remettre. Je filme en langue bosniaque sans comprendre immédiatement les réponses à mes questions. Nous sommes neuf réalisateurs à nous relayer toutes les trois semaines et à filmer la vie d’une rue au quotidien. Tournage le matin, montage l’après-midi dans les locaux de Saga, diffusion le soir par satellite après avoir emprunté Sniper Allée tous feux éteints, le pied au plancher, avec des malades qui nous canardent de chaque côté. Vingt millions de téléspectateurs chaque soir. Je filme un chirurgien à l’œuvre, un accordéoniste qui interprète Grana od bora, une famille qui se préoccupe de leurs animaux de compagnie mieux que d’elle-même, un sketch sur la cuisine de la pénurie, un herboriste au marché de Markala, une séance de cinéma où nous montrons nos films aux gens du quartier… Un de mes films est censuré, interdit d’antenne par la production, parce que j’y parle à la première personne : on voit de belles images esthétisantes des bâtiments grêlés par les éclats d’obus sur fond de ciel bleu tandis qu’on entend ma voix lisant une carte postale à ma compagne et à ma fille. J’y emploie des mots qui ne seront acceptables que deux semaines plus tard au Parlement Européen. Le dernier film que je tourne va faire le tour du monde, il s’agit du Sniper, deux minutes comme les cent vingt autres épisodes de la série. On y entend la voix de celui qui est visé et qui pense à voix haute tandis que l’on voit la cible dans la lunette du fusil du tchetnik. C’est un champ-contrechamp audio-visuel. Imaginez le geste de celui qui hésite entre tirer sur un enfant, sur un chien, une vieille femme, un bidon, pour montrer sa puissance, son pouvoir de vie et de mort, tandis que Feodor Atkine dit le texte que j’ai demandé d’écrire à Ademir Kenović, celui qu’il me racontait chaque soir dans la voiture sur Sniper Allée et que je n’ai jamais écouté. Car pour ma part, je rentrais le ventre en essayant de me prendre pour une feuille de papier à cigarette, imaginant donner moins de prises aux balles qui risquaient d’arriver de chaque côté.


« Je décide toujours avec soin comment, quand et où passer : près des bâtiments ou au milieu de la rue ? Je zigzague ? Je traverse vite ou lentement ? Je fais en sorte qu'on me voit le moins possible des collines qui sont beaucoup trop proches de nous et que personne n'aime plus regarder... Parfois en marchant j'essaie d'imaginer ce que c'est que d'être touché par un sniper... Est-ce qu'on peut sentir la balle vous transpercer le corps ? Est-ce que ça fait mal ou chaud ? Je me demande si je tomberai, si j'entendrai le sifflement de la balle avant qu'elle me touche... Ou après...? Quel bruit font les os en craquant ? Le cycliste qui s'est fait décapité par une mitrailleuse antiaérienne, a-t-il été conscient de quoi que ce soit ? Je continue de croire que je serai "juste" blessé, je ne pense jamais que je serai tué. Je me demande si j'aurai le temps de voir voler une partie de mon corps devant moi après avoir été touché ? Est-ce que ça produit une odeur, un goût ? À quoi pense l'homme qui se cache la tête derrière son journal en traversant là où tirent les snipers ? Je pense : ai-je peur ou suis-je seulement curieux parce que je déteste ignorer les choses qui me concernent ? Et puis je me demande pourquoi certains marchent sans rien comprendre, l'air hagard, pourquoi certains en protègent d'autres et pourquoi d'autres encore courent machinalement ? D'autres enfin essaient de vaincre leur peur en marmonnant des explications stupides... Parfois je pense à ceux qui tirent : comment choisissent-ils leurs victimes, homme ou chien, femme ou enfant, quelqu'un de jeune ou de célèbre, ou peut-être que c'est par la couleur de leurs vêtements ? Est-ce que le tireur est heureux quand il fait mouche ? Je pense souvent au mépris profond des habitants de Sarajevo pour ceux qui disent qu'ils ne savent pas qui et d'où l’on tire et pour tous ceux qui font semblant de les croire. Ils regardent simplement les futurs fascistes, autour d'eux, qui tirent sur leurs enfants...»

Après Alger, Johannesburg et Sarajevo, je refuse de m’envoler pour Belfast, et j’écris le scénario d’un long-métrage inspiré par un roman de Ramuz dont le sujet n’enchante personne, la fin du monde ! Je compose même la musique de L’astre avec Bernard Vitet, comme une préparation au tournage. Hanna Schygulla accepte de jouer le rôle de la récitante, je suis fasciné par certaines voix, Delphine Seyrig, Marlene Dietrich, Lauren Bacall, mais aussi Cocteau, Guitry, Godard, Lacan… Celle d’Hanna Schygulla me fait fondre. Phénomène historique, l’avance sur recettes ne m’est ni accordée ni refusée, deux fois de suite. Je perds courage et retourne à mes moutons, naturel pour un birgé !

Précédents chapitres :
Fruits de saison : La liberté de l’autodidacte / Déjà un siècle / Transmettre
I. Une histoire de l’audiovisuel : Hémiplégie / Avant le cinématographe / Invention du muet / Régression du parlant / La partition sonore
II. Design sonore : La technique pour pouvoir l’oublier / Discours de la méthode / La charte sonore / Expositions-spectacles / Au cirque avec Seurat / Casting / Musique originale ou préexistante / Bruitages et un peu de technique 1 / 2 / Le synchronisme accidentel / La musique interactive
III. Un drame musical instantané : Un drame musical instantané / Un collectif / Des films pour les aveugles 1 / 2 / L'image du son / La nouvelle musique du muet / Rien que du cinéma ! 1 / 2
IV. L'auteur multimédia (à suivre)

vendredi 4 janvier 2019

Nu Creative Methods au Souffle Continu


Durant plusieurs semaines j'ai cherché comment aborder la réédition en vinyle de l'album Nu Jungle Dances du duo Nu Creative Methods composé de Pierre Bastien et Bernard Pruvost. Je me souviens qu'en 1978 dans son grand studio de la rue Charles Weiss Bernard Vitet en avait un exemplaire avec un petit poisson au feutre noir naïvement ajouté au dos de la pochette déjà dessinée à la main. Il y avait probablement une connexion entre Bernard et Pierre, parce que l'ancien contrebassiste a toujours été un grand admirateur de mon ami trompettiste, évidemment, mais aussi parce que le disque La Guêpe de Bernard Vitet s'appuyait sur un texte de Francis Ponge qui était également l'auteur de My creative method. Si on ajoute qu'il avait fini par vendre sa trompette de poche sertie de fausses pierres précieuses à Don Cherry qui le tannait, celle qui avait appartenu à Joséphine Baker, et que Don avait signé un morceau intitulé Nu Creative Love, il y a des points de convergence certains, d'autant que de son côté Bernard aimait beaucoup Pierre. J'avais rencontré l'un et l'autre en 1976 à la clinique anti-psychiatrique de La Borde au sein du big band déjanté Opération Rhino plus ou moins dirigé par Jac Berrocal. J'écris "plus ou moins dirigé", car y régnait une douce folie libertaire en vogue à l'époque.


Cette gentille inclinaison pour les univers imaginaires brindezingues se retrouve dans la plongée ornithologique en jungle artificielle de Nu Creative Methods, enregistrée par Daniel Deshays, "chevalier des Palmes Académiques", et parue alors sur Davantage, label de Berrocal. Les deux compères, Bastien et Pruvost, s'y transforment en hommes-orchestres ou plutôt en animaux-forêt. Le capharnaüm instrumental listé au dos de la pochette n'est pas un inventaire à la Prévert car aucun raton-laveur n'y est soufflé ni joué, mais une panoplie de zoologues partis se tailler un chemin buissonnier dans la serre du jardin des Plantes. Leurs Nu Jungle Dances sont celles de deux gamins qui avancent méthodiquement à pas "contés" dans une bande dessinée comme ils avaient dû en dévorer dans les journaux à feuilletons hebdomadaires Tintin ou Spirou. En grandissant, Pierre Bastien passera à des jeux plus constructifs, délaissant les déguisements d'explorateur pour fabriquer des machines célibataires à base de Meccano et adopter la trompinette de Cherry et Vitet. Mais ça c'est une autre histoire !

→ Nu Creative Methods, Nu Jungle Dances, LP Le Souffle Continu, 20€
Jeudi 10 janvier à 18h30 Pierre Bastien retrouvera Dominique Grimaud, Françoise Crublé, Jacky Dupéty et Gilbert Artman pour fêter la réédition récente de leurs trois disques respectifs sur le label du Souffle Continu, à savoir Nu Creative Methods, Camizole et Lard Free... Dédicaces et concert improvisé !

jeudi 6 décembre 2018

On voudrait revivre ranime Manset


En 1980 avec le spectacle Rideau ! Un Drame Musical Instantané mettait en scène le discours de la méthode. Nous commencions par improviser derrière le rideau. Lorsqu'il s'ouvrait enfin, nous discutions entre nous comme si nous étions à la maison et décidions de réécouter ce que nous avions joué, cette fois à vue ! Le spectacle continuait sur le mode de l'analyse à bâtons rompus, nous faisant mutuellement écouter des œuvres que nous aimions, etc. Le public nous alpaguait de temps en temps. Samedi dernier j'ai eu l'immense plaisir d'assister au Théâtre d'Ivry au concert-spectacle de Léopoldine Hummel et Maxime Kerzanet construit sur des principes cousins, faisant exploser le cadre du concert et, par extension, du théâtre. Si j'avais adoré Blumen im Topf, le disque de Léopoldine H H, je ne m'attendais pas du tout à une mise en scène des chansons de Gérard Manset.


Léopoldine et Maxime y expriment leur admiration pour l'auteur de Animal on est mal, Il voyage en solitaire, Rouge-gorge, On ne tue pas son prochain, Y'a une route, sans céder au mythe un peu ridicule de l'artiste un poil paranoïaque. Leurs arrangements minimalistes mettent en valeur les mélodies et les passages théâtralisés lui taillent un costume à sa mesure. Il y a énormément d'humour dans leur manière conviviale de s'adresser au public, improvisant en fonction des réactions des spectateurs. Cette simplicité cache un vrai travail de réappropriation tant des chansons de Manset que de l'espace théâtral. Ils ont choisi à raison les tubes les plus connus et les plus réussis, car l'œuvre de l'auteur-compositeur-interprète recèle tout de même un paquet de textes ringards et de musiques basiques. Surtout ils savent en faire ressortir la magie, à la fois fragile et tendre, tragique et poétique, tout en restant eux-mêmes. En donnant le titre On voudrait revivre à leur spectacle de tréteaux ils redonnent une nouvelle jeunesse à ces chansons sans aucune nostalgie. Quelques notes de guitare, une basse, un clavier suffisent. Lorsqu'ils griffent le sol de charbon, des écorchures d'or fin brillent dans les ténèbres. Dans la mise en scène de Chloé Brugnon il y a même un rideau qui s'ouvre, se déplie comme un escargot, se replie, permettant apparitions et disparitions ! Avec l'album d'hommages Route Manset paru en 1996 (interprété par Murat, Bashung, Cabrel, Françoise Hardy, Cheb Mami, Brigitte Fontaine, Annegarn, Salif Keita...) c'est certainement ce que j'ai préféré de Manset, peut-être parce qu'il a besoin de se dévêtir des oripeaux du mythe pour que l'on profite de son art. Léopoldine et Maxime exposent une tendresse d'une rare sincérité, sans ne jamais en rajouter. Au contraire ils dépouillent, mettent à nu leurs émotions, bégaient et se reprennent, sachant que comme au cirque se planter et reprendre avec succès crée une complicité que le public recherche, loin des shows médiatiques désincarnés avec écrans géants. Musiciens et comédiens, ils jouent, comme des enfants, des enfants de Manset aussi, qui règlent leur conte avec les anciens...

Photos © Félix Taulelle

vendredi 30 novembre 2018

De l'improvisation libre des années 70...


Nous ne savions pas toujours jouer des instruments que l'on utilisait, mais le désir et la fougue suppléaient à nos incompétences. Je ressens cette excitante perversion productive à l'écoute du double vinyle du groupe Camizole publiée par Le Souffle Continu. En général les musiciens maîtrisent leur instrument, mais devant un autre, étranger à leur pratique, ils retrouvent l'innocence créative de l'enfance. Ainsi dans les années 70 Michel Portal qui aimait alors prendre tous les risques s'adjoignait des Jac Berrocal qui le mettaient en danger ou adorait que le trompettiste Bernard Vitet passe au violon que celui-ci jouait coincé entre les genoux comme un violoncelle. Dans ces cas-là, même si l'on fait ce qu'on peut, il en sort souvent des choses qu'aucun virtuose n'aurait osé produire, ce qui à mes oreilles est bien dommage. Les acquis finissent par formater les usages. Ainsi j'ai toujours aimé m'attaquer à des instruments dont j'ignore tout, oubliant leur histoire ou leur géographie, pour ne considérer que leur état, analysant leur constitution et les systèmes d'émission qui les caractérisent. Cette candeur rafraîchissante n'empêche pas de maîtriser ses principaux outils si on le souhaite. Je crois sincèrement être resté un virtuose des sons de synthèse, des ambiances narratives ou de la guimbarde, mais par exemple personne ne me propose jamais de tenir un pupitre de ce petit objet que trop de mes collègues pensent désuet !
L'absence de maîtrise ne génère pas que de l'inouï. Les fantasmes accompagnant certains instruments créent aussi des pastiches "corny" des plus amusants ou des plus instructifs, les acrobates en herbe révélant parfois l'essence-même d'une fanfare ou de quelque maniérisme pompier. Ces déviances délicieuses constituent les fondements d'un groupe comme Camizole. Le batteur Jean-Luc Dupéty souffle tuba et trompette. Le saxophoniste Jack Dupéty hautboïse et frappe. Le saxophoniste Françoise Crublé gratte. Peut-être que je me trompe et que c'est tout le contraire, ou que personne ne contrôle rien véritablement. Allez savoir ! Dominique Grimaud, que l'on retrouvera dans Vidéo-Aventures, joue du synthé, souffle et gratte comme tout le monde, et comme les autres il est autodidacte. Ces nouvelles musiques offrent à des néophytes la possibilité de créer qui leur était jusqu'ici interdite. L'improvisation totale permet de s'éclater ensemble, de vivre la musique sans contrainte, sans entrave, sans temps mort. Chacune des quatre faces enregistrées en 1977 se rapporte à un concert précis : au Théâtre municipal de Chartres dont ils sont originaires, au Festival de Canteloup, au Festival Dupon et ses Fantômes à Grenoble, à Romainville... Sur la dernière, à la Maison de la Radio, ils sont rejoints par la violoniste Catherine Lienhardt qui souffle tout autant, puis à Saint-Cloud par Christian Chanet éructant. Leurs improvisations ressemblent à de petites madeleines, souvenirs d'enfance qu'ils recrachent avec l'énergie d'une jeunesse toujours présente.
Sans remettre en cause leurs maladresses passionnément créatrices, nombreux des musiciens spontanéistes des années 70 auront du mal à évoluer avec le temps et disparaîtront de la scène musicale. C'est le cas de pas mal des artistes publiés par Le Souffle Continu, marqués par le sceau du free jazz, une appellation plus fantasmatique que réelle. Ils auront marqué une époque, mais les suivantes leur échapperont, faute de savoir s'adapter musicalement ou financièrement. Certains de leurs cadets reprendront brillamment le flambeau comme le duo Fabien Robbe et Jérôme Gloaguen, secondés par Julien Palomo, dont le CD Anima Animus vient de paraître. Le style d'improvisation s'est transformé en une sorte de répertoire, datant le travail à défaut de le millésimer. Je reconnais forcément ici et là les débuts d'Un Drame Musical Instantané. La trompette, l'ARP 2600, le foisonnement d'idées ne sont que quelques marqueurs. Mais quarante ans nous séparent. Heureusement les revivals permettent aux vieux nostalgiques et aux jeunes curieux de découvrir les années d'or de la seconde moitié du XXe siècle.
L'autre récent vinyle qui réunit Camizole et Lard Free est plus caricatural d'un free jazz à la française, héritier de mai 68 plus que de la révolte des Black Panthers. Aux quatre piliers de Camizole se sont joints le batteur Gilbert Artman, également au vibraphone et à l'orgue, et le sax baryton Philippe Rolliet qui joue aussi de la basse. Je fis moi-même quelques concerts au sein de Lard Free en 1974, en trio avec Gilbert et Richard Pinhas.
Quoi qu'il en soit le chat adore, il ronronne en écoutant ces disques libertaires, son choix allant clairement au récent Anima Animus sur lequel il a jeté son dévolu. Comme pour l'eau du robinet il préfère ce qui est frais du jour aux plats réchauffés. Alors Django, et la mémoire, tu t'en bats les oreilles ? Peut-être es-tu comme ces artistes qui vivent leur musique au jour le jour, lorsque leurs sons se substituent au dialogue ? Pourquoi me regardes-tu ainsi en miaulant avec cet air de connivence ? Ignores-tu que nous ne sommes tous que des agrégateurs de contenu et que nos échanges réfléchissent le monde bien au delà de la sphère musicale ? Pour une fois que c'est moi qui t'apprends quelque chose, ne me regarde pas avec ces yeux comme deux ronds de flan !

Camizole, 2 LP Le Souffle Continu, 24€
Camizole + Lard Free, LP Le Souffle Continu, 18€ (38€ avec le précédent)
Robbe Gloaguen, Anima Animus, CD MazetoSquare, 15€

mardi 27 novembre 2018

Souvenir de La Maison Rouge


En feuilletant l'ouvrage rétrospectif 2004-2018 de La Maison Rouge, j'ai la surprise de trouver notre photo en double page lorsqu'avec Vincent Segal nous avions imaginé une visite commentée en musique de l'exposition Vinyl, disques et pochettes d'artistes, de la collection Guy Schraenen. Il faut dire que la petite bible bleue fait tout de même 880 pages dont 736 illustrées ! Notre intervention du 21 mars 2010 est immortalisée ici devant le disque souple de Salvador Dali dont j'avais moi-même copie et que je fais tourner sur l'électrophone pendant que Vincent l'accompagne au violoncelle.


J'avais raconté ici notre petite aventure et Françoise Romand l'avait filmée de station en station.
La première partie (8'37) tourne autour de Christian Marclay, Helio Oiticica, Philip Glass, Laurie Anderson et je suis au Tenori-on...


Dans la seconde (5'46) je suis au Kaossilator et Martin Fournier nous prête sa voix pour Allen Ginsberg, mais nous continuons également avec Laurie Anderson, William Burroughs, John Giorno, Salvador Dali, Iannis Xenakis, Pierre Boulez...
Pour la troisième (9'00) Vincent joue aussi du tourne-disques et de ses keuss keuss en plus du violoncelle tandis que je passe à la flûte, au tourne-disques, au susu et à la varinette ! Comme le 33 tours d'Hélène Sage et Bernard Vitet, Supposons le problème résolu paru chez GRRR figurait dans le catalogue de l'exposition aux côtés de Rideau ! et À travail égal salaire égal nous nous arrêtons devant ceux d'Un Drame Musical Instantané ainsi que Michael Snow et Maurice Lemaître...


Filmé avec une HandyCam, le court-métrage rend bien l'ambiance de la performance qui dura près de deux heures. Nous avions exclu l'interprétation mémorable de 4'33 de John Cage qui se prêtait mal à une diffusion cinématographique et avions écourté nombre de stations. De même, nous ne nous sommes pas attardés sur les dizaines de pochettes que nous avons commentées en direct, préférant privilégier les séquences musicales. Pour rendre digeste la diffusion sur Internet, nous avions découpé le film de 23'23 en trois parties.

Sur la photo de Pauline Seckel parue sur l'ouvrage rétrospectif 2004-2018, on reconnaît Gary May venu nous écouter...

lundi 22 octobre 2018

À la découverte des Yatzkan


L'histoire est totalement différente, mais la démarche est la même. Parvenus à un âge où nos anciens nous quittent, il nous faut fouiller, remontant le temps comme s’il y avait dans les archives une clef d’accès à notre identité. J'ignorais les ascendances juives d'Anna-Celia, je la croyais anglaise, mais Kendall n'était que le nom de guerre de son père. En 1978 je faisais partie du jury qui l'a reçue à l'Idhec (l'ancêtre de La Femis) et je fus le responsable de la pédagogie de sa Promotion lors de l'année qui suivit. Le concours d'entrée exigeait de déceler les aptitudes créatrices des candidats. Nous ne nous sommes pas trompés.
Cette année j'ai découvert les archives familiales en haut de l'armoire dans la chambre de ma mère, j'ai constitué mon arbre généalogique et même séquencé mon génome. Je savais d'où je venais, mais j'ignorais maints détails. Les dossiers concernant la déportation de mon grand-père, l'évasion de mon père après les sévices subis par la Gestapo, les documents historiques concernant mes deux parents issus de la communauté juive d'Alsace m'ont poussé à creuser cette piste digne des meilleurs feuilletons.
De son côté, avec des outils similaires, Anna fit ce travail de deuil et de renaissance après la mort de sa mère. Il fallait trier, choisir quoi conserver, jeter, vendre, donner. Mais il était aussi nécessaire de lever certains dénis, contrebalancer le refus de se souvenir des aînés par l'étonnant champ de recherche que constitue Internet, avoir le courage de retourner là où les crimes avaient été commis. La caméra suit la réalisatrice dans son enquête jusqu'en Pologne où l'antisémitisme est toujours présent. Découvrant des Yatzkan survivants des massacres de 1941 perpétrés en Lituanie, et d’autres issus d’une autre branche ayant fui les pogromes de la fin du XIXe siècle et réfugiés aux États-Unis, Anna renoue avec eux et devient elle-même une Yatzkan, ajoutant le patronyme de sa mère au sien et devenant ainsi Anna-Célia Kendall-Yatzkan. À la suite, entre autres, de cinéastes d'origine juive, elle a recours à l’autodérision, une manière d'assumer la souffrance pour continuer d'avancer. Si Les Yatzkan est un film fondamentalement tendre, il peut être aussi drôle que passionnant. Je n'ai pu retenir mes larmes lorsque les cousins venus d'Europe, d'Amérique ou d'Afrique du Sud débarquent à l'aéroport, mais j'ai ri des petits poings rageurs d'Anna face à l'agressivité d'un rougeaud ou devant cette fille qui tente en vain de se débarrasser des affaires de sa mère lors d'un vide-grenier.


Adepte de l'auto-fiction comme Françoise Romand, Agnès Varda, Dominique Cabrera, Sophie Calle, Maïwenn, beaucoup de femmes, mais aussi Alain Cavalier, Nanni Moretti, Alejandro Jodorowsky et quelques autres, la cinéaste se met en scène et façonne le réel avec les ressources d'une fantaisie lui offrant de faire éclater la vérité de l'imaginaire. Elle plie et déplie les papiers qui se transforment en origamis ou en affiches géantes, photographies collées sur les lieux-mêmes où elles furent prises le siècle précédent. La langue yiddish devient le vecteur d'une histoire lituanienne qui a traversé les siècles et l'Europe. Lorsqu'elle n'arpente pas les rues ou les bois à la recherche des traces du drame, notre Kendall-Yatzkan est rivée à son ordinateur. Elle fait l'acquisition de documents rares sur eBay, retrouve les lieux sur Googgle, contacte les membres de sa famille perdue et retrouvée et se fait traduire mot à mot ce qu'elle ne comprend pas. Et l'inconscient fait son travail, car le non-dit est souvent explicite sous l'évocation poétique. Les artistes ont cette chance terrible de transposer et sublimer leurs émotions. La performance de sa cousine Doris avec le sang et le lait est d'autant plus poignante. Anna est une petite souris comme celles que dessine Art Spiegelman dans Maus. Elle est tenace, impertinente, amusée, rêveuse, et elle se sait maintenant faire partie de sa famille souris, les Yatzkan.

→ Anna-Célia Kendall-Yatzkan, Les Yatzkan, à 13h du 7 au 20 novembre (sauf le 13) et le 27 au cinéma Le Saint-André-des-Arts,
avec, à l'issue de chaque projection, la présence d'une personnalité (Doris Bloom ou d'autres Yatzkan telles que Diana Huidobro et Nathalie Weksler accompagnée de Jean-Gabriel Davis, l'historienne et chanteuse Éléonore Biezunski, les historiens Annette Wieviorka et Philippe Boukara, le psychanalyste Daniel Sibony, les sociologues Nathalie Heinich et Claudine Dardy, la psychologue clinicienne Yaelle Sibony-Malpertu, le professeur de yiddish Arnaud Bikard, les cinéastes Jérôme Prieur, Yves Jeuland, Dominique Cabrera, Amalia Escriva, Pauline Horowitz, Jacques Royer).

mercredi 17 octobre 2018

Bruno Billaudeau, électroacousticien en temps réel


Ce week-end j'ai arpenté les ateliers d'artistes de Montreuil qui avaient ouvert leurs portes. J'étais surtout intrigué d'aller écouter les instruments construits par Bruno Billaudeau qui les exposait au Théâtre Berthelot. J'ai d'abord imaginé la musique en regardant ses sculptures sonores, mais c'est seulement lors du concert que j'ai découvert ses improvisations électro-acoustiques. Les micros contact captent le son de la matière qu'il excite de différentes manières, avec archet, mailloches, pincements, etc., mais il utilise également des micros magnétiques et des capteurs piézzo comme sur une guitare électrique. Les noms de ses instruments fabriqués avec des matériaux recyclés suggèrent leur sonorité : totem de scies, celloharpa, guitaressort, harpependulair, sciegong... Ne pas croire que c'est un Indien qui joue roots sous prétexte que le bois et le métal rappellent leur passé d'objets d'usage. Billaudeau traite ses sons avec l'informatique de Live Ableton et Max MSP. Ce jour-là il avait également apporté ses Boîtes bleues, petites valises de circuits électroniques éclairés par des diodes : la Spring Suitcase, la Clock Writer Box, l’Electro Box, la BipBip Box ! Je ne pouvais pas rester pour les concerts suivants, mais j'aurais été intéressé de l'écouter jouer avec d'autres improvisateurs, car les sons de sa démonstration en forme de show-case étaient vraiment très intéressants, envahissant l'espace en privilégiant la profondeur... Or souvent les nouveaux luthiers ont du mal à prendre du recul et à pervertir leurs instruments comme savent le faire les compositeurs. Il existe des exemples fameux comme celui de Harry Partch qui inventa des instruments aptes à jouer ce dont il rêvait. Il me semble ainsi nécessaire que l'idée précède le style...
J'ai la chance d'avoir conservé quelques uns des instruments inventés par mon camarade Bernard Vitet : frein (contrebasse à tension variable) et alto à frets en laiton et plexiglas, flûtes en PVC et plexi, trompes, trompettes à anche, cloches tubulaires, pots de fleurs accordés, etc. Si Françoise Achard a pu sauver le célèbre Dragon (balafon géant), les autres ont probablement disparu de son ancien domicile avec le reste de ses souvenirs... Je regrette en particulier l'incroyable pyrophone (orgue à feu) et les instruments qu'il avait fabriqués pour Georges Aperghis comme la vielle à roue qu'on actionnait en poussant le caddy qui l'abritait ! Je possède également des flûtes construites par Nicolas Bras, une crakle box d'Éric Vernhes. Éric m'a également programmé un synthétiseur perso, le JJB64, et Antoine Schmitt la Mascarade Machine. La Pâte à Son et Fluxtune conçus avec Frédéric Durieu ne fonctionnent hélas plus que sur de très vieilles machines. Alors je dévie de leur fonction originelle quelques applications que les Inéditeurs ont conçues pour iPad comme la Machine à rêves de Leonardo da Vinci et DigDeep...
Mais les pièces de Billaudeau sont vraiment très belles. Il est seulement dommage que toute cette lutherie originale reste toujours à l'état de prototype et que seuls soient reproduits des instruments dont le marché pense pouvoir tirer un substantiel profit, ce qui n'est pas toujours le cas, les plus délirants disparaissant évidemment très vite...

mardi 9 octobre 2018

Quand c’est cassé c’est cassé


Il ne reste plus qu'à recevoir la confirmation du notaire pour valider notre divorce. C'est mon deuxième. Je me suis chaque fois marié pour des raisons techniques et qui ne m'incombaient pas directement. L'amour n'a rien à y faire, même si j'étais follement amoureux des deux femmes en question. Le mariage n'est que l'assentiment de la société, administratif et dans le regard des autres, la famille, les amis, les collègues, cela dépend des milieux. Plus le mariage est simple, plus le divorce le sera. S'il a lieu, ce n'est heureusement pas obligatoire, qu'on me comprenne. J'envisage pourtant toujours la rupture au début de chaque association, qu'elle soit amoureuse ou professionnelle. Si cela craque, tout est réglé sans trop de chamailleries. Je crains que les jeunes gens qui dépensent des fortunes pour leur mariage n'aient pas fini de payer leur emprunt avant de se séparer ! Mes deux divorces se sont donc passés à l'amiable, formule simplifiée comme on l'appelle aujourd'hui, 960 euros le menu pour deux personnes, service compris. Ce n'est pas donné, mais ce n'est pas une catastrophe. Si c'en est une, ce n'est pas là qu'elle se situe. J'ai vécu treize ans avec la mère de ma fille, plus de quinze avec Françoise, longtemps parfois avec d'autres, avant et entre temps.
Après quelques semaines plutôt déstabilisantes, j'ai tranquillement accepté mon sort et envisagé une vie nouvelle. Pour me consoler, ma fille m'a dit que j'allais rajeunir et perdre quelques mauvaises habitudes. J'ai en effet changé de régime, perdu les six kilos qui me transformaient en homme enceint, marché tous les matins à jeun, je suis sorti autant que possible. J'ai d'abord regardé les filles comme un ivrogne qui suit des yeux la bouteille qui passe dans un restaurant. J'ai testé sans succès les sites de rencontres pendant un mois avant de m'en désinscrire, mais je pourrais écrire une thèse sur le sujet. J'y reviendrai ici certainement, cela en dit long sur l'évolution de la société.
Il vaut mieux retrouver son calme. Django et Oulala n'ont jamais été aussi câlins. Les amis sont adorables. C'est une question de rythme. Au jeu des chaises musicales chaque chose retrouve sa place. Le romantisme fleur bleue oblige à ne pas s'installer dans un confort célibataire que le conflit bienveillant du couple bouscule heureusement. Celles et ceux qui tiennent à nous émettent des critiques fondamentalement positives. Le collectif est tellement plus marrant que le solo, exercice bien pâlichon en regard des modes associatifs. On privilégiera la dialectique. Le fatalisme, n'empêchant nullement mes facultés de résistance et de révolte permanentes (qui n'ont rien à voir avec ma situation sentimentale à laquelle je ne fais aucune allusion pour une fois dans ce billet), m'a dicté une petite samba le jour où j'ai cassé un objet auquel je tenais. Il n'y a que dans les films de Cocteau que l'on peut remonter le temps...

Quand c’est cassé c’est cassé
Quand c’est cassé c’est cassé
Quand c’est cassé c’est cassé
Quand c’est cassé c’est cassé…

Y a pas moyen
D’rembobiner
Pour recoller
Les sentiments

Quand c’est cassé c’est cassé
Quand c’est cassé c’est cassé
Quand c’est cassé c’est cassé
Quand c’est cassé c’est cassé…

Y a plus qu'à vivre
Au jour le jour
Car c'est l’amour
Qui nous rend ivre

Quand c’est cassé c’est cassé
Quand c’est cassé c’est cassé
Quand c’est cassé c’est cassé
Quand c’est cassé c’est cassé…

Vous entendez les maracas ?

mercredi 5 septembre 2018

La flamme retrouvée


En vérité j'avais froid. La mise en ligne d'albums inédits sur Bandcamp m'avait vissé sur mon fauteuil face au jardin tout l'après-midi. Le matin j'avais fait des courses chez les Coréens de l'Opéra, moins chers que leurs collègues japonais. Calamars et poulpe crus marinés dans une sauce pimentée à se damner, kimbap, ozousai, ail noir, papatto furi furi, champignons nametake, salades d'algues, moutarde extra-forte à réveiller un mort, sauce de soja au kombu, crème de sésame, etc. Je commence par K-Mart pour les produits frais du traiteur et je termine chez ACE qui ne propose pas le même assortiment de sauces et d'assaisonnement pour le riz.
Après avoir donc mis en ligne les chefs d'œuvre classiques inédits interprétés au piano par la jeune Brigitte Vée, les Chansons imprévisbles en duo avec Birgitte Lyregaard et le trio avec l'accordéoniste Pascal Contet et le saxophoniste-clarinettiste Antonin-Tri Hoang, j'ai commencé à frissonner (de l'anglicisme free sons). Ce week-end j'avais fait de même pour le premier volume d'Un coup de dés jamais n'abolira le hasard avec le chanteur-cornettiste Médéric Collignon et le guitariste Julien Desprez, le trio original d'Un Drame Musical Instantané de 1984 avec le trompettiste Bernard Vitet et le guitariste Francis Gorgé, ainsi que la pièce de théâtre musical Un théâtre de dernier ordre en quartet avec la chanteuse Françoise Achard sur un texte du cinéaste Josef von Sternberg. C'est du boulot, mais cela me change de la promo de mon Centenaire !
J'avais préparé le feu début juin lorsqu'il faisait froid et la canicule l'avait laissé en plan. Le ramoneur était même passé entre temps. Brûler des cageots en guise de petit bois entartre considérablement les parois de la cheminée d'un résidus gras dangereusement inflammable. C'est un peu comme avec les éclairages du jardin, j'ai tendance à l'allumer surtout lorsque je reçois des visiteurs. J'appelle cela "mettre le jet d'eau" en référence au film Mon oncle de Jacques Tati. C'est idiot si je dois attraper froid, d'autant que je n'ai pas encore repris ma cure quotidienne de CitroPlus, quinze gouttes d'extrait de pépins de pamplemousse qui évitent en amont rhumes et angines. Deux bûches ainsi suffisent pour me réchauffer plusieurs heures jusqu'à mon départ pour le concert solo de Roberto Negro à l'Ermitage.


Alors que l'enregistrement de l'album est très délicat, la scène renvoie une prestation musclée, deux faces d'un même projet qui se complètent admirablement. De plus, la création visuelle d'Alessandro Vuillermin souligne la forme spectaculaire par des projections et une scénographie lumineuse. C'est toujours agréable lorsque des musiciens s'en préoccupent ! Le piano préparé et les effets électroniques y trouvent un écho évident.

vendredi 22 juin 2018

CINÉ-ROMAND, happening cinématographique ce soir à Bagnolet


Dix ans après l'évènement qui avait donné lieu à un DVD, Françoise Romand reprend son happening cinématographique, CINÉ-ROMAND, cette fois autour du Cin'Hoche à Bagnolet et dans une dizaine d'appartements où les films de la cinéaste s'enchaînent. Les spectateurs accompagnés d'anges déambulent dans le centre de Bagnolet pour assister subrepticement aux projections des films en situation chez les voisins qui jouent là du théâtre documentaire… C'est un évènement rare, c'est gratuit et c'est plein de fantaisie.

La bande-annonce du DVD :


Jeu de piste avec la complicité des voisins, chez eux, entre fiction et réalité. Le spectateur se perd dans un labyrinthe de ruelles en passant par des appartements aux portes entrouvertes où il surprend des scènes de la vie quotidienne avec la télé diffusant en boucle les films de Françoise Romand. À partir de son travail de réalisatrice, l'artiste génère une création à la croisée du théâtre documentaire et du cinéma. L'ensemble réfléchit la fantaisie et la profondeur de son œuvre avec humour et générosité. Un long métrage de fiction est projeté au Cin'Hoche, un autre dans une maison en face de la médiathèque, des films documentaires, des petits sujets impertinents un peu partout...

La bande-annonce d'un précédent Ciné-Romand :



L'entretien de lundi dernier sur Radio Aligre avec Géraldine Cance

→ Dernières inscriptions sur alibifilms@gmail.com
→ Rendez-vous au Cin'Hoche de Bagnolet ce vendredi 22 juin 2018 à partir de 18h30
Site de Françoise Romand
→ Articles sur les précédents Ciné-Romand :
en 2007 : Façon Gala 1 /Façon Gala 2 (qui reconnaîtrez-vous sur mes photos riquiqui ?)
en 2008 : à la Bellevilloise / Une traversée du miroir / Le film (illustrés des magnifiques photos d'Aldo Sperber comme celle d'en haut)
en 2009 : Le DVD (design graphique de Claire et Étienne Mineur) / Le site (design graphique de Caroline Capelle) / Sur Univers-Ciné

jeudi 3 mai 2018

Police, zone de non-droit


J'ai croisé hier soir un jeune musicien qui n'avait pu honorer son concert et pour cause. Il était juste allé avec sa mère et une copine participer au défilé du 1er mai. Les Robocops et autres tortues Ninja avaient encerclé un groupe de 200 manifestants qui n'avaient rien à voir avec les black blocs. Ceux qui en faisaient réellement partie avaient été arrêtés bien plus tôt. De cette nasse les nervis ont sélectionné au hasard la moitié d'entre eux, pratiquement autant de filles que de garçons. La plupart sont mineurs. S'en sont suivies 24 heures de garde à vue pour ces jeunes dont le seul crime était d'avoir manifesté dans le calme le jour de la fête du travail. Délit de manifestation, cousin du délit d'opinion dont avait été victime Françoise il y a quelque temps, forcée d'arracher ses auto-collants de la France Insoumise par les uniformes.
Au commissariat on leur raconte qu'ils ont l'obligation de donner le code-pin de leur portable. C'est pourtant contraire à la loi. Les portables sont la principale source des inculpations. On leur explique que la CNIL c'est pour l'extérieur, à l'intérieur du commissariat cela n'existe pas ! On prélève leurs empreintes et leur ADN. À une fille qui résiste un gentil policier lui dit que c'est comme une sucette. Celui qui joue le rôle du "good cop" offre des cigarettes, histoire de récupérer l'ADN des récalcitrants. Parfois ce serait avec les couverts ou le verre de l'unique repas qui leur est servi. Cela semble étrange techniquement, mais toutes les suspicions sont imaginables vu ce qui se pratique là hors la loi.
Dans le premier commissariat ils sont une vingtaine de jeunes dans la cage. Ensuite dispersés, dans le second ils ont droit à une cellule seul. Un banc et un wc impraticable. Cinq fouilles dont une totalement nu. À la cinquième les pandores sont tout contents de trouver une allumette au fond d'une poche. Lorsque l'unique coup de téléphone auquel les boucs émissaires ont droit tombe sur un répondeur, le message expéditif que laisse le flic a tout pour inquiéter les parents qui n'ont aucun moyen de savoir où sont leurs enfants. Les questions portent sur les black blocs, mais aussi sur leurs raisons de manifester. On leur raconte n'importe quoi. Comme les gosses n'y connaissent rien, on leur fournit un avocat commis d'office. A. me confie que l'impression la plus traumatisante est de pouvoir être privé de liberté et de se voir disparaître de la circulation en un claquement de doigt. Heureusement nous ne sommes ni à Santiago ni au Brésil, mais les références sont sues. Si aujourd'hui on ne dénonce pas les pratiques hors-la-loi de la police et les pantalonnades humiliantes, on peut imaginer les magouilles, mensonges, bidonnages et abus tragiques que l'avenir réserve. Nous glissons doucement vers une dictature où la démocratie autoritaire n'aura même plus besoin de faire semblant.
Mais tout va bien, bonnes gens, dormez tranquilles !

Photo de Michel Polizzi, ancien camarade du Lycée Claude Bernard à Paris

lundi 9 avril 2018

Les mystères d'Agatha Christie au cinéma


Il est tard. Si je regarde encore un film, je me coucherai vers une heure du matin. Cela fera quatre ou cinq heures de sommeil, ce n'est pas si mal pour un petit dormeur. Alors je choisis quelque chose de facile. Carlotta m'a envoyé quatre films réalisés d'après Agatha Christie qui sortent en salles dans des versions restaurées inédites. J'ai sauté Le crime de l'Orient Express de Sidney Lumet (1974) parce que j'avais regardé le remake de Kenneth Branagh il y a peu de temps et que je pense bien me souvenir de l'original avec Albert Finney dans le rôle d'Hercule Poirot.
Dans Mort sur le Nil de John Guillermin (1978) et Meurtre au soleil de Guy Hamilton (1981) Peter Ustinov avait repris le rôle du détective belge. Je suis sidéré par les décors naturels de l'Égypte ancienne, vierges de toute trace touristique, superbement photographiées par Jack Cardiff. Lors de ma propre croisière sur le Nil il y a une vingtaine d'années une enseigne MacDo défigurait déjà Louxor. Mais c'était vingt-cinq ans plus tard. On a tout fichu en l'air en si peu de temps ! Je m'étais servi des pistes audio du film que j'y avais tourné pour la bande-son du CD-Rom Sethi et la couronne d'Égypte. À la même époque, Françoise avait réalisé un feuilleton documentaire de huit fois 26 minutes pour France 3 intitulé Croisière sur le Nil dans son style habituel, plein de fantaisie.


Dans les quatre longs métrages, la première heure de chaque film est consacré à la présentation des personnages, sachant que le meurtrier est toujours le plus improbable. La règle des "dix petits nègres" se retrouve presque toujours. Les ressorts de l'intrigue sont le point faible de tous les auteurs de romans policiers dont on finit par comprendre la démarche systématique, si l'on en lit suffisamment. Les mobiles du crime sont ici la vengeance ou l'appât du gain, mais chaque protagoniste est successivement suspecté jusqu'au coup de théâtre final.
Le quatrième film, Le miroir se brisa de Guy Hamilton (1980), met en scène la détective amateur Miss Marple jouée par Angela Lansbury, future héroïne d'Arabesque, entourée d'Elizabeth Taylor, Geraldine Chaplin, Tony Curtis, Rock Hudson et Kim Novak. La distribution est toujours étoilée, Lauren Bacall, Ingrid Bergman, Jacqueline Bisset, Jean-Pierre Cassel, Sean Connery, Anthony Perkins, Vanessa Redgrave, Richard Widmark, Michael York dans l'Orient Express, Jane Birkin, Bette Davis, Mia Farrow, David Niven, Maggie Smith sur le Nil, James Mason, Diana Rigg, encore Birkin et Smith au soleil, etc. L'intrigue se déroule cette fois dans un cottage anglais parmi des gens du cinéma, tandis que Meurtre au soleil a pour cadre une île au large de la Yougoslavie. Dans tous les cas j'ai passé une très agréable fin de soirée.

jeudi 22 mars 2018

José Maria Berzosa, cinéaste insolent et baroque


Il y a des aberrations flagrantes dans la production DVD, mais avant tout dans le travail que devrait réaliser l'INA pour diffuser son immense patrimoine vidéographique. Que dis-je en employant le singulier possessif, car, service public, c'est de "notre" patrimoine dont il est question ! Ainsi les films de José Maria Berzosa sont presque invisibles alors qu'ils sont d'une profonde originalité. La seule filmographie accessible, à moitié complète puisqu'on n'y trouve répertoriées qu'une cinquantaine d'œuvres, vient du Festival Punto da Vista qui s'est tenue récemment en Navarre. Je le salue une fois de plus au lendemain de sa mort en me rendant compte de l'influence majeure qu'il exerça sur les œuvres de Françoise qui fut pendant dix ans sa première assistante !
Il y a quelques jours les Ateliers Varan organisaient deux projections, la première constituée d'extraits à commencer par son premier film en 1967, visite du Musée de la Police dont le responsable est incapable de retirer les menottes qu'il a enfilées à Michel Simon. Suivait un interview hilarant où Berzosa répond courtoisement malgré l'inanité des questions, en nous offrant une remarquable leçon de cinéma. L'humour sophistiqué et glacé, comme disait Gotlib, est particulièrement corrosif, mais la tendresse se révèle face aux personnages qui la suscitent. Il filme souvent ceux-ci en gros plan tandis qu'il prend ses distances avec ceux qu'il fustige. Le programme comportait également un extrait d'un film sur la Bretagne titré Des choses vues et entendues ou rêvées en Bretagne à partir desquelles Dieu nous garde de généraliser, deux extraits de La sainteté et le chapitre Les pompiers de Santiago tiré de Chili Impressions.
La salle était comble le second soir pour Pinochet et ses trois généraux (en prime time en 1977, remonté dans une version courte en 2004), Berzosa ayant réussi à déjouer la méfiance de la junte en pénétrant leur vie familiale. Le pot aux roses fut dévoilé seulement lorsque la presse évoqua le pamphlet terrible, camouflet à la figure de la dictature chilienne. Épousant les théories de Hannah Arendt sur la banalité du mal, le réalisateur dévoile la médiocrité de ces monstres, par ses questions a priori innocentes, mais en réalité retorses. Malgré la gravité des conséquences meurtrières, on est plié de rire devant l'inculture et les mensonges odieux des quatre généraux. Ce procédé sera largement utilisé plus tard par des humoristes comme Pierre Desproges ou Raphaël Mizrahi. La sombre et grandiloquente musique symphonique accompagnant chaque apparition des quatre Dark Vador en Antarctique, les marches militaires, les charmants petits oiseaux, les aboiements du berger allemand participent au recul brechtien dont use Berzosa avec la délectation enfantine d'un Buñuel.
Dans un CV à l'image de son auteur, Berzosa raconte sa formation d'avocat et son entrée à l'Idhec sur la recommandation de Juan Antonio Bardem qui le présente à Georges Sadoul (13e promotion avec Bernard Gesbert, Roman Polanski, James Blue, Annie Tresgot, Christian de Chalonge, Costa-Gavras...). Il fut l'assistant de Jean Renoir sur Le testament du Docteur Cordelier, puis de Robert Valey, Jean-Marie Drot, Michel Mitrani, Michel Drach, André S. Labarthe, Stellio Lorenzi, Marcel Bluwal, soit la crème des beaux jours de la télévision française. Il réalise quantité de films exceptionnels sur des peintres (Dubuffet, Picasso, Zurbarán, Matisse, Greco, Daumier, Bacon, Giacometti, Antonio Saura, Magritte, Fernand Léger...) et sur des écrivains (Asturias, Borges, Rafael Alberti, Montaigne, Colette/Sido, Juan Carlos Onetti, Charles Fourier...) cosignant parfois avec d'autres. Ses films les plus connus sont Chili Impressions (l'original de 1977 dure 5 heures), De la sainteté (sous-titré Quatre épîtres perplexes autour de la foi, de la crédulité et de la croyance, 4 heures, 1985-86), L'élection d'une miss, Iconoclasme (avec Henri Cueco)...
S'il mélange fiction et documentaire dont les limites lui échappent, ses quatre longs métrages de fiction sont Entre-temps ("Deux récits parallèles. Un employé de bureau de trente cinq ans voit un matin sa vie future compressée en 24 heures, une journée qui correspond à 40 ans de la perception "la plus fréquente" du temps. Simultanément un nain, ancien artiste de cirque, se voit catapulté à l'époque de Napoléon III où il devient l'ami d'une petite fille violoniste qui vieillira d'un siècle en 24 heures..."), Passe-temps (écrit avec Julio Cortázar et Danielle Obadia ; "une femme quitte son domicile et fuit un danger que nous ne connaîtrons jamais. Après un long chemin émaillé d'aventures initiatiques, elle s'installe dans la salle vide d'un musée et attend la solution à des problèmes qui nous échapperont toujours"), Joseph et Marie ("La vie quotidienne d'un couple de retraités, très très vieux, généreux, lucides et extraordinairement doués pour le bonheur"), Mourir sage et vivre fou ("Une femme noire dans une Rolls Royce conduite par un chauffeur aveugle et sourd-muet se promène sur la route de Don Quichotte. Un troisième voyageur, un enfant de 10 ans habillé en blanc leur permet de communiquer").
L'Espagne est un sujet d'inspiration permanent. Ainsi il tourne ¡Arriba España! avec Tierno Galván, Ramon Chaó et André Camp, Cinquante ans depuis la guerre civile et Le diable en Galicie avec Ramón Chao, Trois mythes espagnols avec André Camp (Comment se débarrasser des restes du Cid, Don Quichotte Mourir sage et vivre fou, Dom Juan l'amour et la charité), Franco un fiancé de la mort...


Partout José Maria Berzosa affirme sa subjectivité pour dénoncer quelque prétendue objectivité de la télévision. Il le fait avec un humour cruel qui rappelle celui de Luis Buñuel et sa fantaisie s'exerce parmi les sujets les plus graves, "au risque de faire réfléchir les spectateurs" !
L'excellent article d'Antoine Perraud paru sur Mediapart renvoie à d'autres extraits...

mardi 20 février 2018

Mes 24 documentaires résonnants


Il y a peu j'avais listé les "24 films que j'ai encore envie de projeter à des amis qui ne les connaissent pas ou qui auraient comme moi envie de les revoir." J'avais volontairement omis les documentaires, citant néanmoins Ceux de chez nous de Sacha Guitry, A Movie de Bruce Conner et Histoire(s) du cinéma de Jean-Luc Godard qui sont essentiellement des montages d'archives, ainsi que l'autofiction Thème Je de Françoise Romand et le court métrage L'île aux fleurs de Jorge Furtado. C'est bien la frontière ténue entre fiction et documentaire qui m'intéresse, que l'on en apprenne autant dans les fictions et que les documentaires soient mis en scène avec les ressources qu'offre le cinématographe. J'ai donc cette fois sélectionné 24 nouveaux films qui me touchent particulièrement. Il ne s'agit pas de pointer les meilleurs, mais ceux qui subjectivement font vibrer quelque chose en moi comme une corde sympathique.

Chelovek s kino-apparatom (L'homme à la caméra), Dziga Vertov, 1929 - ce n'est pas un hasard si avec Un Drame Musical Instantané nous l'avons accompagné en grand orchestre, l'idée étant de reconstituer le Laboratoire de l'ouïe de Vertov, voir le lien !
Tabu (Tabou), F.W. Murnau, 1931 - malédiction !
Les maîtres fous, Jean Rouch, 1955 - après une scène de transe, les plus beaux sourires jamais filmés. Voir le film !
Lourdes et ses miracles, Georges Rouquier, 1955 - cette commande du Diocèse n'a pas effacé l'humour de Rouquier, un miracle !
Nuit et brouillard, Alain Resnais, 1956 - pour les derniers mots de Jean Cayrol...
Come Back, Africa, Lionel Rogosin, 1959 - docu-fiction tourné clandestinement pendant l'apartheid, avec la jeune et sublime Myriam Makeba, voir le lien !
The Savage Eye, Ben Maddow, Sidney Meyers et Joseph Strick, 1959 - d'une invention à couper le souffle, aussi pour la voix off et la musique, voir le lien !
Pasolini l'enragé, Jean-André Fieschi, 1966 - un témoignage inestimable de Jean-André qui fut mon maître et de P.P.P. en français à ses débuts, voir le film !
Tarva Yeghanaknere ou Vremena goda (Les saisons), Artavazd Pelechian, 1972 - voir l'article, poème symphonique en hommage à la nature, voir le film !
Fellini Roma, Frederico Fellini, 1972 - j'ai toujours préféré ses faux documentaires à ses vraies fictions, comme Les clowns et Prova d'orchestra...
Télévision ou Jacques Lacan : La psychanalyse, Benoit Jacquot, 1973 - fascinant, on a l'impression qu'on pourrait devenir intelligent, voir le film !
Genèse d'un repas, Luc Moullet, 1978 - j'aurais pu choisir Anatomie d'un rapport ou Essai d'ouverture, mais celui-ci est une critique fantastique et si drôle de notre civilisation marchande.
Filming Othello, Orson Welles, 1978 - un making of passionnant avant la lettre, voir le film ! J'aurais pu choisir tout aussi bien F For Fake (Vérités et mensonges) dont le titre justifie le tour de passe-passe sur l'illustration de cet article. Il me manque d'ailleurs pas mal de boîtiers à prendre en photo...
Mix-Up ou Méli-Mélo, Françoise Romand, 1985 - j'ai choisi son premier plutôt que Appelez-moi Madame parce que sa complicité avec ses acteurs est encore plus évidente dans sa mise en scène du réel. Voir le lien !
L'abécédaire de Gilles Deleuze, Pierre-André Boutang, 1988 - un souvenir d'Arte des débuts...
Step Across The Border, Nicolas Humbert & Werner Penzel, 1990 - un des plus beaux films sur la musique, il faudra d'ailleurs que je fasse une liste de ce genre qui n'existe pas vraiment, voir le lien !
La Commune, Peter Watkins, 2000 - six heures de reportage sur le vif dans une Commune reconstituée, déjà avec The War Game (La bombe) Watkins avait inventé un modèle infalsifiable, voir le lien !
Eux et moi, Stéphane Breton, 2001 - la caméra devient l'enjeu de cette excursion burlesque chez les Papous...
Decasia, Bill Morrison, 2002 - j'aurais pu choisir n'importe quel autre film de Morrison, celui-ci est un des plus évidents, avec la musique Michael Gordon, voir le lien !
Capturing The Friedmans, Anrdew Jarecki, 2004 - la sérenpidité est un des meilleurs atouts du documentaire ; il est absurde de réclamer un synopsis aux réalisateurs...
La mécanique de l'orange, Eyal Sivan, 2009 - le film le plus explicite sur le story-telling qui sévit en Israël à propos de la Palestine; le tout en chansons.
It Felt Like a Kiss, Adam Curtis, 2009 - Les nombreux films radicalement politiques de ce réalisateur britannique de la BBC multiprimé, mais inconnu du public français, sont à découvrir séance tenante. Contrairement aux autres comme The Century of the Self, The Power of Nightmares, Biitter Lake ou HyperNormalisation, celui-ci ne possède aucun commentaire off, mais si je vous dis qu'à la distribution participent Eldridge Cleaver, Doris Day, Philip K Dick, Rock Hudson, Saddam Hussein, Richard Nixon, Lee Harvey Oswald, Lou Reed, Mobutu Sese Seko, Phil Spector, Tina Turner et le chimpanzé Enos, peut-être aurez-vous envie de voir le film ! J'ai découvert ce documentariste grâce à une erreur. Je cherchais des films de Bill Morrison et je suis tombé sur celui-ci par hasard. Heureux hasard !
The Queen of Versailles, Lauren Greenfield, 2012 - délirant, j'adore, voir le lien !
Le temps de quelques jours, Nicolas Gayraud, 2014 - inattendu, beaucoup de tendresse, voir le lien !

J'en oublie probablement certains qui furent pour moi déterminants. Un autre jour la liste aurait été probablement différente, mais je n'ai pas su quel film choisir de José Berzosa (sa disparition récente poussera peut-être l'INA à exhumer ses films), William Klein (pour le cinéma et la télévision), Chris Marker ( je ne suis pas certain de préférer La jetée), Jean Painlevé (pas seulement pour ses choix musicaux, mais pour ses univers où l'humain n'a de place qu'en observateur), Roberto Rossellini (je me souviens bien de La Prise de pouvoir par Louis XIV, mais il y a toutes ses fictions presque documentaires et ses reconstitutions historiques), Barbet Schroeder (par exemple, comment choisir entre Général Idi Amin Dada : Autoportrait et L'avocat de la terreur ?), Agnès Varda (il y en a tant ; j'aime évidemment bien le plan de fin des Plages d'Agnès où je figure), et puis toute la série des Cinéastes de notre temps initiée par Janine Bazin et André S. Labarthe. J'aurais pu choisir Nanook de Flaherty ou Le sang des bêtes de Franju, Le tempestaire d'Epstein ou un film plus récent comme l'amusant Meet The Patels de Geeta V. Patel & Ravi V. Patel, mais non, c'est une liste qui s'est imposée d'elle-même ce soir-là... Ou bien je triche à rallonger la liste en faisant semblant de n'en livrer que 24 ?

lundi 19 février 2018

Dans vos œuvres, vous êtes-vous dicté des règles incontournables, voire intransgressibles ?


Toujours La Question, celle-ci publiée à l'origine dans le n°8 (janvier 2003) du Journal des Allumés du Jazz. Merci à Serge Adam, José Maria Berzosa, Denis Colin, Luc Courchesne, Jean-François Pauvros, Françoise Romand d'avoir répondu à la question "Dans vos œuvres, vous êtes-vous dicté des règles incontournables, voire intransgressibles ?"

Depuis le n°1 du Journal, jamais question ne rencontra autant de difficulté à provoquer des réponses. Nombreux artistes ou penseurs sollicités invoquèrent leur incompétence plus souvent qu'un refus. J'eus beau accumuler coups de téléphone, courriels, cartes postales, évoquer la liberté de ton et du nombre de signes, rien n'y fit. Ce travail devint si pénible et laborieux que j'en viens à croire que l'heure est venue d'abandonner la rubrique, et d'imaginer d'autres formes (P.S.: ce que je fis, mais j'y revins plus tard comme on pourra le constater bientôt). Pourtant, la question des limites, du cadre, du "jusqu'où peut-on aller trop loin ?" chère à Cocteau (encore lui, n'en déplaise aux coupeurs de têtes) suggère l'existence d'un ailleurs, d'un hors d'œuvre comme on dit d'un hors-champ. Définir son champ d'action n'est-ce pas concevoir généreusement, lucidement ou exclusivement, qu'il existe d'autres formes de pensée que la sienne, des territoires étrangers, pour certains hostiles ou inhospitaliers, des gestes qu'on ne voudrait reproduire sous aucun prétexte ? Qu'on la conçoive techniquement ou moralement, la question souligne l'existence ou l'absence du choix. N'existe-t-il, en amont, aucun principe répulsif, aucune révolte qui poussent le créateur dans telle ou telle direction, voire tout simplement à se définir comme tel ? A une époque où les lois sont plus iniques que jamais, où seule règne celle du profit et du crime organisé, avec le mensonge et la manipulation d'opinion comme principaux corps d'armée, n'est-ce pas de son devoir que d'affirmer son indépendance de pensée en refusant la complicité du flou, qui ici, soulignons-le, n'a plus rien d'artistique. S'interroger soi-même sur ce qui est acceptable ou pas, et par conséquent, "que faire ?", n'est-ce pas ce qui dessine les œuvres, et, au-delà, la dignité de vivre, ensemble et seul ?

Serge Adam, musicien
Lorsqu’on est étudiant en composition, en orchestration, en arrangement, on apprend un certain nombre de règles " intransgressibles " (succession et structures d’intervalles, formes, fugues, séries). Ensuite, l’analyse des œuvres nous montre que le non-respect de certaines règles projette la musique ailleurs. La plupart du temps, les règles incontournables sont dictées par des contraintes extérieures : nomenclature et niveau de l’orchestre, temps de répétition, publics visés, technologies mises en place.
Ces paramètres intégrés, il est nécessaire d’établir un cadre de travail : plus il sera rigoureux, plus le travail d’écriture sera précis. Cela peut paraître banal, mais on ne peut se poser la question de la transgression des règles que si elles ont été posées. C’est la première étape du travail : développer les idiomes que l’on s’est fixés (une série, un module rythmique, une enveloppe de timbre par exemple).
Dans cette première étape, il s’agit de constituer " une base de données " des déclinaisons du cadre fixé, comme on le ferait pour un sujet de dissertation, en rassemblant les idées.
Ensuite, vient la deuxième étape : organiser la pensée pour dégager l’essentiel (sélectionner les meilleurs éléments et structurer). L’idée d’une transgression ne serait alors vécue que comme une trahison du cadre que l’on s’est fixé - librement. Mais la vie est ainsi faite : pleine de petites trahisons et d’heureuses transgressions…
Une œuvre musicale, si elle veut rester "juste et honnête", tentera d’échapper à ces petites transgressions mais ira-t-elle jusqu’au bout, au risque de ne pas séduire ?

José Maria Berzosa, cinéaste
Non.
Il y en a assez de ces règles qui nous sont dictées par les autres. Les contourner ou les transgresser presque tout le temps est l'occupation la plus épuisante, la plus "incontournable" et la plus salutaire de mon activité.
Si les règles deviennent incontournables, si l'on sent que l'obstination dans le refus va vous empêcher de commencer votre projet, vous les acceptez. Soyez patient. Le travail démarre et les rapports de force vous seront de plus en plus favorables. Et alors que la rétractation est très improbable, vous entrez dans la phase du DÉTOURNEMENT, longue et compliquée ; très souvent couronnée de succès. Ces manœuvres, qui n'ont rien de cynique, ne sont que de la légitime défense et on devrait les enseigner dans les écoles de cinématographe aux futurs cinéastes angéliques. Le détournement a été pratiqué par les plus grands : Stroheim, Eisenstein, Welles, Fellini, Godard... Nous aussi, malgré la modestie de nos talents, pouvons suivre cette méthode, à condition bien sûr, de procéder pour chaque travail comme s'il était le dernier de notre vie - selon le conseil de Maurice Pialat et de Guy Olivier - évitant ainsi les sirènes de l'avilissant "plan de carrière". Je ne voudrais quand même pas inciter au suicide : il est souhaitable de respecter la logistique contractuelle (rémunérations, moyens techniques, durée des étapes de production...) quitte à jongler avec les dépenses sans sortir du devis.
La transgression est un choc de plein fouet entre l'auteur insoumis et les valeurs établies protégées par les censures. Le front s'élargit, mais parfois, heureusement, industriels et financiers viennent à votre aide : la bataille a presque toujours lieu une fois que le film est fini ; le mal (les investissements) étant irréversible, on trouvera donc alliés les défenseurs de la liberté d'expression avec les responsables économiques qui veulent, au moins, récupérer leur mise. Je ne vois pas quel commandement pourrait m'empêcher de traiter un tabou, un mythe diabolique, un récit de mœurs insupportable afin de conforter une morale soi-disant universelle et permanente. Je ne peux pas accepter des règles générales. Une œuvre, personnelle par définition, est toujours une exception. Devant chaque problème moral, je réfléchis. Pour la forme, je me laisse aller à mes intuitions sans chercher à comprendre et encore moins à faire comprendre. Lorsque je me sens menacé par l'explication, je change de route... L'interprétation est ouverte. À chacun sa lecture. La merveilleuse ambiguïté s'installe. Le canular triomphe. Le rêve.

Denis Colin, musicien
Je me suis dicté des tas de règles. On m'en a dictées aussi, depuis si longtemps que je ne m'en souviens plus. Elles ne m'apparaissent probablement plus commes des règles, mais comme des choses naturelles, allant de soi. Je fouille avec nonchalance pour les détecter, les observer et les archiver. J'ai une étagère pour ça. Un vrai bordel. Je m'en dicte encore et "on" m'en dicte encore.
De toutes ces règles à œuvre dans mon travail, aucune n'est à l'abri d'un contournement voire d'une transgression. Parfois par décision, dans un mouvement libératoire abouti - une règle reconnue périmée ! - parfois à mon corps défendant, par une sorte de nécessité - une digue cède. L'œuvre parle d'elle- même, c'est sa fonction. Je ne suis pas tout-à-fait maître à bord.

Luc Courchesne, artiste, designer et professeur
Autant que possible, j'essaie d'éviter la décoration, les effets, l'artifice... Je cherche la plus simple expression d'une idée, au risque qu'elle disparaisse d'ellemême ou qu'il devienne inutile d'en faire un plat. Pour moi, le miracle se produit lorsque je me dis en voyant l'ouvrage : "Évidemment ! Comment n'y ai-je pas pensé avant ". La règle serait alors de se donner le temps d'y arriver, un luxe souvent inabordable.

Jean-François Pauvros, musicien
Je ne peux répondre qu'un mot à cette question : NON et je ne peux faire ni commentaire ni expliquer pourquoi. C'est viscéral : c'est vraiment non.

Françoise Romand, cinéaste
À chaque film documentaire une position déontologique.
Je filme mes personnages en me posant toujours la question des limites que je n'aimerais pas enfreindre. En m'imaginant à leur place, je sais ce que je n'aimerais pas que l’on m'impose. Paradoxalement j'ai douloureusement expérimenté mon dernier film comme un carnet intime et je suis allée beaucoup plus loin que ce que je ne m'autoriserais avec d'autres. J'ai été beaucoup plus dure avec moi-même que ce que je n'oserais jamais imposer à autrui. Une règle est quasiment récurrente dans tous mes films, pas de commentaire, pas de voix objective qui dicte ce qu'il faut penser.
Chaque spectateur est confronté à sa propre interprétation. À chacun de recréer le réel pour se l'approprier parce que sa vision orientera son comportement, il faut qu'il la forge lui-même. J'aime faire des films dérangeants où le spectateur est perdu et obligé de réagir. Remettre en question ses certitudes pour ne pas rester dans une position confortable avec des réponses dictées. Un film m'intéresse s'il sème le doute en moi, m'oblige à penser différemment, interroge ma propre morale, ma propre motivation. Une autre règle dans mes films, ne pas faire semblant de capter un évènement sur le vif parce qu’à partir du moment où une caméra intervient dans un milieu, elle le corrompt. Les gens ne se comportent plus de la même façon et ce qui est intéressant, c'est justement d'affirmer que la caméra a changé quelque chose de fondamental. Le rapport à la caméra - on l'affronte, on l'interroge, on l'apprivoise - implique la conscience des personnages face à la caméra, en fiction comme en documentaire, ils jouent avec elle, lui adressent des signes de reconnaissance qui placent le spectateur en position d'alter ego.

mardi 13 février 2018

Mes 24 films résonnants


Pourquoi d'abord se limiter à 10 ? Ensuite sur quels critères se baser ? Comment se fier à sa mémoire ? J'ai donc sélectionné 24 films que j'ai encore envie de projeter à des amis qui ne les connaissent pas ou qui auraient comme moi envie de les revoir. 24 comme 24 images par seconde d'un ruban de celluloïd. Je ne prétends pas que ce sont les meilleurs, mais ceux qui me font vibrer par un système d'identification qui parfois m'échappe... J'ai ajouté chaque fois un petit commentaire résonnant qui n'a rien à voir avec une critique raisonnée !

Ceux de chez nous, Sacha Guitry, 1915-1952 - quelle idée géniale que d'avoir immortalisé ces grands artistes qui allaient disparaître, avec cette nouvelle invention qu'est le cinématographe !
Faust - Eine deutsche Volkssage (Faust, une légende allemande), F.W. Murnau, 1926 - signerais-je ?
Das Testament des Dr. Mabuse (Le testament du docteur Mabuse), Fritz Lang, 1933 - la partition sonore y est plus remarquable que tant de films actuels !
La règle du jeu, Jean Renoir, 1939 - Roland Toutain était un ami de mes parents, et puis j'aime me rappeler des dialogues avec Jonathan Buchsbaum en imitant les voix...
Hellzapoppin, H.C. Potter, 1941 - pour des dizaines de fois depuis que mon père me l'a montré quand j'avais 8 ans, voir le lien !
I Know Where I'm Going (Je sais où je vais), Michael Powell, 1945 - bouleversant, un grand film féministe comme L'amour d'une femme de Jean Grémillon ; Powell est l'équivalent de Renoir en Grande-Bretagne.
Anatahan, Josef von Sternberg, 1953 - Sternberg commente le film parlé en japonais, voir le lien !
The 5000 Fingers of Dr T (Les 5000 doigts du Dr T), Roy Rowland, 1953 - comédie musicale freudienne pour les petits et grands...
Johnny Guitar, Nicholas Ray, 1954 - le pianiste de l'Holiday Inn jouait la chanson de Victor Young quand je suis arrivé à Sarajevo sous les bombes... Freudien aussi !
The Night of The Hunter (La nuit du chasseur), Charles Laughton, 1955 - Le making of de 2h40 publié en 2010 est passionnant, on entend Laughton diriger...
A Movie, Bruce Conner, 1958 - j'ai longtemps dit que s'il n'en restait qu'un ce serait celui-là, voir le lien !
Adieu Philippine, Jacques Rozier, 1962 - je connais le moindre dialogue de cette comédie par cœur ! Un des rares films de l'époque avec Les parapluies de Cherbourg et Muriel où la guerre d'Algérie est le moteur du drame
Die Parallelstraße (La route parallèle), Ferdinand Khittl, 1962 - le moins connu de la liste, et pourtant ! Un OVNI total qui nous avait tant impressionné lorsque j'étais étudiant à l'Idhec. Voir le lien !
Muriel ou le temps d'un retour, Alain Resnais, 1963 - le chef d'œuvre de Resnais, il a donné son second prénom à ma fille.
Sedmikrásky (Les petites marguerites), Věra Chytilová, 1966 - il n'y a que Françoise qui ait cette fantaisie dans la vie ;-)
Uccellacci e uccellini (Des oiseaux, petits et grands), Pier Paolo Pasolini, 1966 - avec les courts métrages La Terre vue de la Lune et Che cosa sono le nuvole? mes favoris de PPP...
La voie lactée, Luis Buñuel, 1969 - l'absurdité de la foi, je suis écroulé de rire pendant tout le film !
Une chambre en ville, Jacques Demy, 1982 - j'ai mis du temps à apprécier le récitatif de Michel Colombier tant j'aimais les chansons des Parapluies, des Demoiselles et de Peau d'Âne ; c'est un film bouleversant qui comme Adieu Philippine fait un flop à chaque sortie et personne ne comprend jamais pourquoi ! Rien que le début est à tomber...
Welcome in Vienna, Axel Corti, 1982-1986 - le meilleur film (en fait c'est un tryptique) sur l'époque 1940-45, on a l'impression de voir un documentaire ou d'en être tant on plonge dans le réel...
Beetlejuice, Tim Burton, 1988 - là c'est régressif, on le regardait en boucle quand ma fille était enfant... De toute manière les premiers Burton sont les seuls qui valent la peine.
Ilha das Flores (L'île aux fleurs), Jorge Furtado, 1989 - qu'est-ce que ce court métrage fait là ? Ce n'est même pas une fiction, mais si vous avez "le téléencéphale hautement développé et le pouce préhenseur" comme tous les êtres humains, ne le manquez pas !
Histoire(s) du cinéma, Jean-Luc Godard, 1988-1998 - aujourd'hui s'il n'en restait qu'un c'est celui que j'emporterais sur l'île déserte, mais il y a une manière de le regarder sans attraper la migraine : diffusez-le en continu en vaquant à vos occupations et de temps en temps il vous prendra par la main pendant dix minutes, en vous laissant croire que vous deviendrez plus intelligent, un peu comme écouter Radiophonie de Lacan ou Télévision... Cocteau, Godard et Lacan sont parmi les voix que j'aime le plus. C'est un travail qui fonctionne à la reconnaissance, le propre des émotions cinématographiques...
La face cachée de la lune, Robert Lepage, 2003 - alliage de la poésie et de la science que Lepage semble avoir dillué ces dernières années, dommage !
Thème Je, Françoise Romand, 2011 - impudique et provoquant, Françoise a retourné la caméra sur elle sans la compassion qu'elle a d'habitude pour ses personnages ni celle dont font preuve les réalisateurs qui se prêtent à l'autofiction, probablement aussi son film le plus inventif !

Un autre jour la liste aurait été probablement différente, mais je n'ai pas su quel film choisir de Jacques Becker (que je préfère à Renoir), Robert Bresson (d'une modernité inégalée), John Cassavetes (mais Shadows tout de même...), Jean Cocteau (mon auteur de prédilection), David Cronenberg (qui caresse à rebrousse-poil), Carl T. Dreyer (mais Gertrud tout de même...), Jean Epstein (dont j'ai accompagné vingt fois La glace à trois faces et La chute de la Maison Usher et dont les écrits sont pour moi des modèles), John Ford (jusqu'à 7 Women !), Samuel Fuller (direct et uppercut), Jean Grémillon (comme Becker), Alfred Hitchcock (jusqu'à Family Plot !), Aki Kaurismaki (pour une fois qu'il y a un cinéaste positif et foncièrement humain), Neil La Bute (lui ce serait plutôt le contraire qui me plaît, sa brutale amertume), Ernst Lubitsch (du Luft, comme une pâtisserie de chez Demmel à Vienne !), David Lynch (actuellement le plus gonflé, en plus c'est un des rares à soigner le son sans redondance avec l'image), Mizoguchi Kenji (jusqu'à La rue de la honte), Luc Moullet (surtout Genèse d'un repas et Anatomie d'un rapport), Max Ophuls (quelle élégance !), Paolo Sorrentino (des films comme on n'en fait plus), Jacques Tati (une tarte à la crème, d'accord, mais je n'ai cité aucun burlesque, et pourtant !), Paul Verhoeven (j'adore le commentaire audio de Starship Troopers), Jean Vigo (absolument tout), Lucchino Visconti (jusqu'à L'innocente !), Orson Welles (presque tout) et bien d'autres dont vous saurez me rafraîchir la mémoire, même si mes choix sont explicitement subjectifs ! Pas question de refaire ici l'Histoire du Cinéma. J'ai également laissé de côté les plus récents qui passeront au crible de l'oubli avant de rejoindre cette concession à perpétuité.
Il y a de grands réalisateurs que je n'ai pas cités tout simplement parce que l'estime que je leur porte ne peut se substituer à la subjectivité des émotions que leurs films provoquent en moi. Il n'y a pas non plus ici de films d'animation ni de documentaires proprement dits. Ils feront plus tard l'objet d'une liste particulière, justement parce qu'ils produisent des effets différents des fictions ou des films non narratifs (dits expérimentaux) sur mon ciboulot. Le système d'identification n'y fonctionne pas de la même manière. J'en ai pourtant listé trois ou quatre qui pourraient être aussi considérés comme des documentaires. La frontière est parfois floue. Pour ceux que j'ai choisis, je ne fais pas de différence avec les fictions, parce qu'ils font vibrer en moi des cordes sympathiques. Il n'est question que de ça dans cette liste.

mercredi 7 février 2018

Le pavé de Chris Ware


Moi qui crains que la lecture d'une bande dessinée ne me dure qu'un quart d'heure une fois pour toutes, je ne risque rien avec Chris Ware ! C'est une telle somme d'informations tant typo que graphiques que j'ai chaque fois l'impression de ne jamais en venir à bout, mais là c'est le pompon, 280 pages format 33,5 x 3 x 46,5 cm bourrées à craquer, d'une beauté architecturale à couper le souffle. Le seul problème est sa prise en mains. Pas question de lire ce pavé de 4 kilos, allongé sur le divan : il m'écraserait. Que peut-on attendre d'autre de la monographie d'un des plus grands dessinateurs actuels ? Une version française ? Oui, ce serait chouette, parce qu'en plus des reproductions incroyables il y a beaucoup à lire. Chris Ware avait d'abord été pour moi une énigme. Il livre ici les clefs, après les préfaces d'Ira Glass, Françoise Mouly et Art Spiegelman. Rappelant le sublimissime coffret Building Stories (chaudement recommandé dans son édition française chez Delcourt avant qu'il ne soit épuisé), l'ouvrage recèle des petits formats collés sur certaines pages.
Que dire de cette monographie que je n'ai déjà révélé dans mon article sur Les élucubrations de Chris Ware ? Qu'il y a à boire et à manger, mais l'entendre comme une mine insatiable de mets et breuvages plus surprenants les uns que les autres ! Qu'il faut de bonnes lunettes pour en apprécier tous les détails... Que chaque double page mérite l'achat. Que 50 euros pour cette montagne c'est donné. Que l'on y apprend que l'homme n'est pas à l'image des ses héros. Que le quotidien recèle les plus belles surprises de la vie. Que Ware sait le traduire mieux que quiconque en un rêve halluciné. Que sa critique du monde est évidemment toute en nuances. Que c'est un portrait forcément terrible de l'Amérique. Qu'il n'y a rien de surprenant d'y trouver un zootrope. Que tout cela ressemble à une énorme encyclopédie que l'on peut lire en l'ouvrant à n'importe quelle page. Émerveillement garanti.

→ Chris Ware, Monograph, relié, couverture cartonnée, version anglophone, ed. Rizzoli New York, à partir de 50€

mercredi 31 janvier 2018

Des légumes, des légumes !


Depuis que nous avons adhéré à l'AMAP de notre quartier nous mangeons de fait beaucoup plus de légumes. Le petit panier à 12€ que nous allons chercher chaque lundi soir nous suffit pour la semaine. À soixante kilomètres de Paris le maraîcher cultive juste un hectare et demi, ce qui limite ses possibilités actuelles d'approvisionnement à trente parts de récolte (avec les demi-parts cela correspond à quarante inscrits), mais il se débrouille pour varier les livraisons même pendant les mois d'hiver. Lors de petites réunions j'ai appris quantité de choses sur son métier, l'organisation de sa vie quotidienne, les espèces anciennes qu'il privilégie aux légumes hybrides F1. C'est la même chose avec l'éleveur vosgien qui nous livre le bœuf et le veau, pratiquant la biodynamie. Tout d'un coup le rapport à la nourriture devient concret. Jusqu'ici cela se cantonnait à du commerce, sauf lorsque nous allions à la campagne. Les familles sensibilisées à ces circuits courts où sont privilégiées les fermes de proximité dans une logique d'agriculture durable sont hélas essentiellement issues de milieux plus ou moins aisés, comme les clients du marché. La plupart des habitants continuent de faire leurs courses dans les hypermarchés qui sont souvent plus chers avec des produits de moins bonne qualité.
Nous avons également adhéré à la distribution des œufs, du pain (La Conquête du Pain de Montreuil, mais je vais aussi à La Gambette à Pain dans le XXe), de l'huile d'olive (qui vient de Grèce), d'un peu de laiterie et nous prenons une volaille par mois. En dehors des magasins bio qui se multiplient aux alentours, nous n'achetons plus que des produits ménagers en moyenne surface, et régulièrement je vais à Belleville pour tous les produits asiatiques dont je ne pourrais me passer, car ma cuisine est fondamentalement transcontinentale ! Nous allons aussi chez Ismaël, l'adorable épicier kabyle, centre névralgique du quartier. Le dernier "petit" panier contenait 800g de pommes de terre, 600g de carottes, 400g d'oignons, 200g d'échalote, 2 poireaux, 300g de mesclun (chou chinois, pourpier, mâche), 400g de radis vert, 500g de blettes, du persil, un peu de fenouil et de radis rouges. Le maraîcher ne pouvant produire plus que ce que son terrain lui permet, les nouveaux adhérents doivent attendre des désistements ou de nouvelles AMAP doivent se créer. Ce soir-là Françoise participait à la distribution !

lundi 22 janvier 2018

Ella & Pitr persistent et signent


Samedi à la Galerie Le Feuvre qui avait organisé un nouvel accrochage (jusqu'au 17 février), Ella & Pitr signaient les derniers exemplaires de leur monographie Comme des fourmis parue chez Alternatives, en soignant chaque dessin en fonction de l'acquéreur. La patience des amateurs qui font la queue est largement récompensée.


Si on connaît leurs Hamlet, de celles qu'on "ne peut faire sans casser des œufs", dans le couloir on peut admirer leurs personnages épinglés "comme des papillons".


Au sous-sol sont exposées de très grandes affiches de cinéma X détournées...


Il ne manque que le DVD Baiser d'encre que Françoise Romand leur a consacré, un conte moral de long métrage réalisé sur plusieurs années à suivre cette famille Fenouillard avec leurs deux enfants qui sillonnent la planète en peignant d'immenses fresques sur des toits d'immeubles ou de hangars, sur des barrages hydrauliques ou des pistes d'aéroport.


On peut encore commander le magnifique DVD sur Alibi Prod ou Big Cartel...

mardi 2 janvier 2018

José-Maria Berzosa s'est éteint ce matin


Certains 2 janvier nous rendent bien tristes.
Le réalisateur José-Maria Berzosa est décédé ce matin. Ses documentaires et ses fictions, caustiques et souvent poétiques, distillaient un humour buñuélien et une érudition borghésienne. Il faut avoir vu Pinochet et ses trois généraux, Joseph et Marie : Les mots et les gestes, Arriba España ou sa visite du Musée de la Police avec Michel Simon... La première fois que je l'ai remarqué, c'était en 1969, il jouait en latin le premier diacre de Priscillien dans La voie lactée ! Françoise avait été son assistante pendant dix ans.
Le 2 janvier, c'est aussi l'anniversaire de la mort de mon père, il y a juste trente ans.
Est-ce la raison pour laquelle je me retrouve ce soir dans le noir au fond de mon lit avec une gastro et un rhume carabiné ? Les virus attendent les moments propices pour s'inviter...

mardi 19 décembre 2017

L’art de désynchroniser


Pour le n°11 du Journal des Allumés du Jazz paru à l'automne 2004, je prenais la casquette de designer sonore et de compositeur pour effleurer les relations qu’entretiennent images et sons au cinéma et dans le multimédia. J'y expose certains aspects de ma démarche, en particulier celui de l’asynchronisme.

L’audiovisuel hémiplégique

Dans audiovisuel, le premier terme est audio. Or le son est paradoxalement ignoré par la majorité des acteurs de ce secteur, ou du moins sous-estimé et mal employé. Il est le plus souvent considéré comme de la post-production, là où il devrait intervenir dès les premiers stades de l’écriture. Son budget est d’ailleurs à l’image de cette conception bancale et inadaptée.
Ce qui est vrai pour le cinéma l’est également pour le multimédia, car tous deux appartiennent à la même histoire, celle de l’audiovisuel, qui commença à la fin du XIXe siècle avec Émile Reynaud, Thomas Edison et les frères Lumière. Ainsi devrions-nous tirer profit des découvertes réalisées tout au long du siècle dernier pour écrire et produire les œuvres audiovisuelles d’aujourd’hui et de demain, quels que soient les supports et les ressources qu’engendrent les nouveaux médias.

Pas illustratif mais complémentaire

Au commencement de l’histoire du cinématographe, les films étaient muets. En fait, ils étaient toujours projetés avec du son. Même dans les plus petites salles, il y avait toujours un orchestre, un pianiste ou un autre soliste, voire des bruitistes, un bonimenteur ou un simple Gramophone (c’est ce qui me donna l’idée d’accompagner des films muets avec Un Drame Musical Instantané, dès 1976 et pour plus d’une vingtaine de créations). Pendant toute la période du muet, pour raconter des histoires sans paroles, le cinématographe n’eut d’autre choix que de développer un langage très inventif. Les intertitres pouvaient éventuellement aider à la compréhension de l’histoire. Au début des années 30, les films devinrent parlants, plutôt que sonores. Une catastrophe ! Pendant les décennies qui suivirent peu de metteurs en scène comprirent l’importance du son, oubliant même l’extraordinaire potentiel des images, au profit d’un bavardage explicatif devant une caméra filmant au mieux de beaux plans soulignés par des musiques convenues.
Heureusement, de Fritz Lang à Jean-Luc Godard, de Jacques Tourneur à Luis Buñuel, de Jacques Tati à David Lynch, ils furent quelques uns à chercher à utiliser le son de manière complémentaire aux images, et non comme une redondance illustrative de ce qui se passe sur l’écran. Au début du Testament du Dr Mabuse, la musique du générique se fond dans le vacarme assourdissant de la presse à billets qui envahit tout l’espace sonore pour créer l’angoisse. Le spectateur ne peut deviner ce que disent les acteurs de Fritz Lang qu’en regardant l’action, suspense lent et étouffant, soutenu par l’impressionnant rythme répétitif de la machine. Dans M le Maudit, le thème de Grieg, issu de Peer Gynt, sifflé par l’assassin, est le moteur de l’intrigue. Dans La femme mariée, Jean-Luc Godard montre Macha Méril lisant un magazine de la presse féminine au café tandis que deux jeunes filles ont une conversation sur le sexe à une autre table. Godard pose la question du mixage censé privilégier le dialogue. Dans Lola Montes, Max Ophüls signale un flash-back par une phrase répétée en écho qui s’évanouit dans le lointain : « La Comtesse se souvient-elle du passé, s’en souvient-elle ? S’en souvient-elle ?… ». Jacques Audiard, dans Sur mes lèvres, nous fait entendre un autre monde, celui de celle qui n’entend pas, et exploite ce handicap pour écrire son scénario… Le son peut aussi élargir le cadre en faisant entendre ce qui n’est pas montré. Par exemple, à faire écouter le paysage pendant un gros plan, on peut suggérer un autre espace, un autre temps, que celui de l’écran. Les bords du cadre deviennent la frontière qui sépare l’image du son. L’acteur en gros plan, s’il est placé dans un espace qu’on ne voit pas, pourrait aussi bien imaginer qu’il est ailleurs, ou dans une autre situation. Au début de Psychose, Alfred Hitchcock montre Janet Leigh imaginant ce qui est supposé se passer à l’endroit qu’elle vient de quitter après y avoir commis un vol. Raoul Sangla me faisait récemment remarquer pourquoi, à la télévision, montrer celui qui parle plutôt que celui qui écoute ? Histoire de langage cinématographique. Le son suggère plus qu’il ne montre.
Pour un designer sonore, l’important n’est pas ce qui est montré mais ce qui est suggéré. Je me souviendrai toujours de ce que Jean-Luc Godard disait du montage : «l’important n’est pas ce qui est conservé, mais ce qui est supprimé». Comme les bords du cadre pour le son, il pointe ici la collure, l’ellipse, no man’s land qui n’appartient ni à un plan ni à l’autre. L’intérêt découle de ce que l’on devine. Nous sommes loin de la télévision actuelle, ou du cinéma le plus courant, qui mâche tout de façon à être certain que le spectateur a bien compris. Quelle place reste-t-il à l’imagination ? Quelle liberté d’interprétation est laissée au spectateur ? La leçon prend le pas sur l’émotion.
Alors que l’illustrateur sonore appuie ce qui est montré à l’écran, le designer sonore travaille sur la couleur du son, de manière à le rendre triste ou drôle, inquiétant ou rassurant, il joue des consonances et dissonances pour créer des effets dramatiques. Il peut produire des émotions, du désir, de la colère, de la légèreté ou du drame, donner des clefs sur ce qui est en train de se passer ou sur ce qui pourrait arriver…
Dans Raging Bull, Martin Scorcese sonorise le match de boxe avec des cris d’animaux, renforçant l’aspect bestial de la scène. Dans ses derniers films, Jean Epstein invente le gros plan sonore en ralentissant certains sons. Dans Lancelot, Robert Bresson semble ne jouer qu’une seule piste à la fois, en mixant tous les sons au même niveau, effet saisissant des armures et des pas qui agissent comme les rimes d’un poème, et le sang qui s’échappe d’un corps décapité coule comme une rivière. Dans tous ses films, Mizoguchi mixe les effets sonores et la musique comme s’ils appartenaient à la même partition. Michel Fano avança ainsi, pour les films d’Alain Robbe-Grillet, le concept de partition sonore, qui englobe tous les sons, voix, bruits, ambiances, musique. Écoutez les films de David Lynch ou même la bande-son d’Amélie Poulain !

Partition sonore et charte sonore

Il pourrait y avoir une charte sonore comme il existe une charte graphique. Tout projet audiovisuel devrait faire appel à un designer sonore comme l’image d’un film est travaillée par un créateur lumière ou que le projet multimédia est supervisé par un directeur graphique. Cela produirait une homogénéité sonore, une identité, exactement comme le chef opérateur façonne lumières et couleurs. Cela participerait à la forme et au style de l’ensemble. Si c’est de plus en plus courant aux États-Unis, il est encore extrêmement rare de voir au générique d’un film français le poste de designer sonore. Ainsi les voix, les bruits, la musique, composent tous la partition, et leur choix, la manière de les enregistrer, de les filtrer, de les traiter, de les monter, de les mixer, sont parties fondamentales de cet art audiovisuel.
S’il est rare que le designer sonore puisse avoir son mot à dire sur le casting, le timbre d’une voix peut pourtant être déterminant dans le mixage final. J’ai pris l’habitude de classer les bruits en deux catégories, les courts (effets) et les longs (ambiances). C’est techniquement plus simple, mais cela réfléchit également la différence entre action et situation. En ce qui concerne la musique, j’ai découvert très tôt que n’importe quel morceau pouvait fonctionner avec n’importe quelle scène de film. C’est fondamentalement le sens qui change ! Le rôle du designer sonore est de contrôler ce sens en fonction des besoins du scénario. Il y a aussi l’éternelle question de l’utilisation de musique originale ou préexistante. L’intérêt et le défaut de cette dernière est qu’elle apporte son lot de références. Cela peut être utile lorsqu’on recherche quelque référence culturelle : la cinquième symphonie de Beethoven dans Verboten de Samuel Fuller, la valse de Strauss dans 2001, l’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick, ou encore, je ne sais où, la Marche Nuptiale de Mendelssohn ! Méfions-nous par contre des références individuelles : un souvenir agréable pour les uns peut être un cauchemar pour d’autres (par exemple une chanson entendue lors d’une rencontre pourrait rappeler à quelqu’un d’autre une rupture). Sans parler du coût des droits qui peut carrément ruiner la production…
N’oublions pas qu’une musique, même du domaine public, appartient à son éditeur, celui qui a financé son enregistrement. Prudence donc, d’autant que tant de compositeurs ne demanderaient pas mieux que de composer des musiques totalement adaptées au propos du réalisateur, avec la durée nécessaire, la couleur exacte recherchée, la cohésion de l’ensemble, etc. Dans certains cas, la musique, préalablement composée ou enregistrée, peut même aider au tournage, comme le firent D.W. Griffith, Michael Powell, Jacques Rivette et bien d’autres. Synchronisme accidentel. N’y a-t-il rien de pire que les vidéo-clips où images et sons sont parfaitement synchrones ? Quel est l’intérêt de cette hypnose quasi militaire ? Redondance courante dans les films de long-métrage qui ressassent des musiques convenues en fonction des climax. Il est difficile d’échapper aux cordes sirupeuses dans les passages sentimentaux, et aux rythmes trépidants des scènes d’action.
De mon côté, j’ai souvent préféré suivre le synchronisme accidentel inventé par Jean Cocteau dans La belle et la bête. Cocteau avait commandé à Georges Auric de la musique pour les différentes scènes. Au montage, il permuta les morceaux, couchant la musique d’une scène le long d’une autre et réciproquement. La magie se fit, la musique correspondant à la pensée du film, et Cocteau joua ainsi d’effets d’annonce, de retard, d’écho, plus sophistiqués que toute redondance illustrative. Il n’y a en général aucune nécessité de synchronisme, sauf si l’on désire tel effet de suspense, coup de théâtre, ou une ponctuation particulière… De la même manière, lorsque je compose pour des médias audiovisuels, je m’intéresse d’abord aux idées générales, aux raisons des choix du réalisateur, puis, ayant mémorisé les images, j’écris ou je joue en me calant dans les temps chronométrés. La musique obéit à des lois temporelles, mesurées, telles que toute tentative de la soumettre à celles du montage image risque de saccager. Je ne regarde donc que très rarement l’écran au moment où j’enregistre, et cela colle toujours bien mieux que si j’avais suivi chaque mouvement, chaque respiration. Si le propos est juste, de nouveaux effets de synchronisme apparaissent comme par enchantement. Il est toujours possible, ensuite, de décaler la musique ; il est étonnant de constater comment un décalage d’une image ou deux peut changer le sens d’une scène. Le synchronisme est un leurre. Le design sonore n’a rien à voir avec. Si j’osais, je me résumerais en avançant qu’une plastique appropriée donne sa forme à une œuvre, mais que son fond vient de l’art de désynchroniser !

Medias interactifs

Le son dans les medias interactifs suit les mêmes règles que dans les médias linéaires comme la télévision ou le cinéma, même si certains aspects sont spécifiques, dus aux impératifs techniques. Mais les possibilités offertes par l’interactivité sont réellement déterminantes.
Les objets off-line comme les CD-Roms ou on-line comme sur Internet, sont soumis à des exigences de taille de fichiers, au nombre de pistes utilisables, à la vitesse des processeurs, des connexions ou du temps de chargement. Cela nous oblige à livrer chaque son séparément, en le fabriquant le plus petit possible, à faire des boucles plutôt que de longues ambiances, et ainsi, à composer spécialement pour le support. Mais ces contraintes nous poussent aussi à de nouvelles façons de penser et de composer.
Les questions techniques ne sont pas les plus passionnantes, et j’aime citer Jean Renoir lorsqu’il affirme que la technique n’a d’intérêt que pour pouvoir l’oublier. Selon les projets, j’utilise des instruments acoustiques et électroniques, des sons naturels et ma propre voix, des traitements informatiques et l’enregistrement en temps réel, des séquenceurs et des logiciels de son, etc. À chaque projet correspond une manière originale de procéder. Lorsque je commence un nouveau projet, je recherche d’abord l’orchestration appropriée (la charte sonore, la voici !) et cela ne peut jamais être arbitraire. J’ai différentes petites manies, l’une d’elles consiste, à un certain stade avancé du projet, de ne plus fabriquer de nouveaux éléments, mais de partir de ceux qui existent déjà, pour ne pas risquer d’altérer l’unité de l’ensemble. En dehors de cela, je crois en la rigueur, rigueur du sujet et de ses motivations, rigueur des méthodes de travail, etc.

Humaniser les machines

La question primordiale concernant les médias interactifs est de donner vie aux machines. Rien de plus stupide, de plus servile, qu’un logiciel informatique ! Un ordinateur ne se révolte jamais (en dehors des bugs qui sont, reconnaissons-le, une forme de révolte peu créative), un logiciel est toujours académique… Seul l’homme peut faire de ses erreurs un art. Errare humanum est ! Si un artiste suit parfaitement les lois qui lui ont été enseignées, il ne produira que des œuvres académiques. Ses erreurs forgent son style. Le guitariste autodidacte Hector Berlioz ne savait pas orchestrer, et ainsi inventa-t-il une nouvelle façon de le faire. Les symphonies de Mahler sont trop longues, c’est ce qui fait leur charme. Apollinaire imite Anatole France avec maladresse et invente les poèmes d’Alcools, etc. Comparez une œuvre interprétée par des musiciens vivants et la même programmée mécaniquement sur un séquenceur ! C’est ainsi que j’eus l’idée d’intégrer les erreurs dans le système, pour l’humaniser. Je décidai donc de placer trois sons plutôt qu’un seul pour la même action et de les jouer alternativement en aléatoire. Je choisis de faire de légères variations, et parfois certaines radicales, lorsqu’on revient dans une scène déjà visitée, car le temps a passé. Je trouvai des façons de construire mes boucles pour éviter toute lassitude, en les rendant banales mais en y ajoutant quelques événements sonores isolés, joués aléatoirement à des intervalles irréguliers. Chaque fichier sonore peut être considéré comme un début et une fin, ou appartenir au corpus, pour ne pas briser la continuité de la partition… J’ai ainsi fixé de nouvelles lois que je devrai plus tard à leur tour transgresser…



Musique interactive

Considérant tous ces sons (il y a par exemple 1500 fichiers sonores dans le CD-Rom Alphabet) comme une entité unique, travaillant sur l’interactivité pour éviter toute rupture de rythme, continuant à en découvrir toutes les possibilités au fur et à mesure des avancées technologiques, je fus amené à concevoir, composer et enregistrer de la musique interactive. De mon point de vue, très personnel, design sonore et musique sont très proches l’un de l’autre. Il est vrai que j’ai adopté dès mes débuts une conception varésienne qui consiste à penser que la musique est l’organisation des sons.
Pour produire de la musique interactive, je livre donc au programmeur (appelé aussi développeur) des fichiers sonores séparés et des principes compositionnels. Cette collaboration est une nécessité. Tous les grands programmeurs avec qui je travaille sont des ingénieurs de haut niveau et des mathématiciens totalement allumés : sans Antoine Schmitt, Frédéric Durieu, Xavier Boissarie, je n’aurais pu réaliser ce dont j’avais rêvé, car chaque fois j’ai dû traduire en mots ce qui était intuitif, pour qu’à leur tour, ils traduisent mes idées, concepts, mélodies, harmonies, en algorithmes. En bout de course, et après maints ajustements, c’est censé sonner comme je l’avais imaginé à l’origine ! Cela a réellement commencé ave la lettre L du CD-Rom Alphabet, un trio à cordes que chacun, chacune, peut interpréter à son goût. Cela s’est poursuivi sur le site Internet LeCielEstBleu.org avec les animaux virtuels du Zoo et les trois modules musicaux de Time, enfin avec notre dernière machine infernale, une étonnante boîte à musique programmable intitulée La Pâte à Son (commande de la Cité de la Musique). Je souhaite enfin citer le travail réalisé en collaboration avec le peintre Nicolas Clauss (entretien dans le précédent numéro du Journal et modules sur le site des Allumés) sur les sites flyingpuppet.com et somnambules.net, et avec qui je prépare un spectacle et des installations d’art contemporain.

N.B. : La Pâte à Son était alors exposée au Centre Pompidou (Atelier des enfants) ainsi qu’à Ars Electronica (Musée du Futur). Somnambules était également à Ars Electronica.
P.S. : l'accès à ces œuvres en ligne est devenu difficile aux nouvelles machines et surtout aux nouveaux systèmes. Comme les CD-Rom dont le patrimoine culturel a dramatiquement disparu à vitesse V, le format QuickTime, les plug-ins Flash et Director utilisés pour ces modules interactifs ont été abandonnés. Dans tout ce gâchis il reste des failles qui vous permettront peut-être de vous réenchanter. Cela dépend du système de votre ordinateur et des plug-ins que vous y avez installés...
Aujourd'hui on appréciera des œuvres sur tablette comme La machine à rêves de Leonardo da Vinci (téléchargement gratuit !) ou Boum ! réalisés avec l'équipe des Inéditeurs, ou encore mon travail pour les éditions Volumiques (World of Yo-Ho, La maison fantôme, la collection Zéphyr). Côté cinéma je recommande les DVD Thème Je ou, plus récemment, Baiser d'encre de Françoise Romand dont j'ai composé la partition sonore et la musique...

lundi 27 novembre 2017

Bernard Vitet, mémoire(s) d’un dilettante


Entretien que j'ai réalisé début 2001 pour le Cours du Temps du n°5 du Journal des Allumés du Jazz, retranscrit avec l’aide de Nicolas Jorio. Le Blog des Allumés ayant disparu de la Toile, j'ai décidé de republier ce témoignage exceptionnel de mon camarade Bernard Vitet disparu le 3 juillet 2013, tant pour son parcours extraordinaire que pour son témoignage sur les musiciens et musiciennes qu'il a côtoyés. C'est l'histoire d'un trompettiste à la sonorité inoubliable qui influença quantité de souffleurs, fabuleux mélodiste féru d'harmonie et de contrepoint, luthier inventeur d'instruments incroyables, compositeur expérimental. "Philosophe de bistro" encyclopédiste à la pensée paradoxale, il se moquait de la notoriété et militait contre ce qu'il appelait la mégalanthropie... Peu de gens le savent, mais il est à l'origine du pont de My Way (Comme d'habitude), chanson la plus rémunératrice du répertoire de la Sacem et pour laquelle il ne toucha jamais un sou et s'en fichait ! L'entretien s'arrête au début de notre collaboration qui allait durer 32 ans, c'est donc un Bernard Vitet que je n'ai pas connu qui se raconte ici...

Bernard, voilà vingt-cinq ans que nous avons fondé ensemble Un Drame Musical Instantané (1). Vingt-cinq ans que tu arrives en retard à presque tous nos rendez-vous, vingt-cinq ans que tu brûles la moquette, vingt-cinq ans que tu profères des idées pinchecornées (2), vingt-cinq ans et tu n’as trouvé qu’une seule affaire pour le groupe, vingt-cinq ans... et pourtant tu es toujours mon meilleur ami. Car de toi je continue à (en) apprendre tous les jours. Voilà pourquoi, dans le cadre de ce Cours du Temps, j’ai eu envie de faire partager à nos lecteurs quelques histoires de l’oncle Bernard... Ainsi lorsque j’improvise et que je ne sais plus quoi jouer, je me tais. Lorsque je parle j’évite les insultes animalières. Lorsque je rencontre un mur je le contourne. Lorsqu’une chose me paraît évidente je la reconsidère. Pourtant, aujourd’hui, nous parlerons peu de notre collaboration, mais nous aborderons plutôt ce qui l’a précédée...

(1) Le troisième cofondateur, Francis Gorgé, est parti en 1992 pour se consacrer à la programmation informatique.
(2) "pinchecorné" (page cornée ?) est la traduction du néologisme "pixilated" dans le film "Arsenic et vieilles dentelles".

Ta pratique musicale a-t-elle toujours réfléchi les grands mouvements historiques que tu as traversés : la Libération, la Guerre d'Algérie, Mai 68, et cette chose un peu molle qu'on appelle l'actualité ?

Ma pratique musicale a d’abord été celle d'un auditeur. En fait, si tu inclus dans l'idée de pratique celle de culture, alors on peut dire que mon histoire se déroule en trois temps : avant la guerre, pendant la guerre, et après la guerre. Ceci a beaucoup conditionné ma culture musicale.
Avant la guerre, bien que mes souvenirs soient un peu confus, je distingue deux sources principales. Côté maternel, une culture très populaire, Mistinguett, Maurice Chevalier, Reda Caire, Edith Piaf ; et du côté de mon père, il y avait plutôt une aspiration à la bourgeoisie, de l'opérette, un peu d'opéra mais pas trop pointu. Gounod ou ce genre de choses.
Au moment de la guerre, la musique qu'il était donné d'entendre, surtout par la radio, est devenue très différente. J'ai découvert Wagner, Peter Kreuder, un pianiste de variétés allemand, et puis Rina Ketti, André Claveau, Irène de Trébert, Raymond Legrand… On prenait ce qu’on trouvait. Il y avait un peu de jazz aussi, mais on ne l'appelait pas « jazz », parce que c’était censuré puisque américain. D'ailleurs, quand on voulait en passer, on dissimulait les vrais titres en les francisant. Par exemple, Saint Louis Blues devenait La mélancolie de Saint-Louis (quinze ans après, on faisait des vannes sur le même principe : I cover the water front devenait J’ai un haricot vert sur le front, ou Deep Purple devenait Dis, Popaul, et Pennies from Heaven, Les veines de mon pénis, sans parler de It had to be you, Y tâte du biniou, voire encore I remember April, Le camembert d’avril). Il y avait une série d'émissions à la radio qui s'appelait L’épingle d'ivoire, avec Jean Servais dont j'adorais la voix. C'était une très longue série qui a couru sur plusieurs années, une sorte d'aventure africaine. L'indicatif me fascinait, plus tard je me suis aperçu que c'était un riff de Benny Goodman. Je ne savais pas que c'était du jazz. A l'époque je ne jouais même pas de musique, mais j'étais très influencé par mon frère qui était un zazou. Je l'admirais beaucoup, d’abord pour ses activités dans les FTP (Francs Tireurs et Partisans), ce qui le conduisit à mourir en 42 au camp de Dora. Il était très cool, toujours bien sapé, avec le pantalon juste un peu trop court, semelles compensées, lunettes noires. Il aimait Trenet, et du coup moi aussi. Le « fou chantant » m'a énormément marqué. C'était des programmes vraiment très différents de ce qu'il sont devenus après la Libération. Par exemple, il était exclu d'entendre du Schoenberg à la radio. Au même moment j’écoutais quotidiennement Pierre Dac sur Radio Londres, il chantait : « Radio Paris ment, Radio Paris est allemand... ».

JE NE SAVAIS PAS QUE C’ÉTAIT DU JAZZ

Après la guerre commence ma troisième période musicale, lorsque j'ai finalement découvert Benny Goodman et que j'ai entendu en 1948 le concert de Dizzy qui m'a littéralement abasourdi. C'est là que j'ai commencé à vouloir jouer. A l'âge de quinze ou seize ans, je ne sais plus très bien comment j'ai eu une trompette entre les mains, je m'y suis mis sans ne plus jamais m'arrêter. J’écoutais du jazz Nouvelle-Orléans. J'allais au Lorientais avec les copains. J'aimais beaucoup Claude Luter. J'y allais parce que c'était la mode, mais cette ambiance potache me déplaisait. J'avais des copains qui me faisaient écouter Duke Ellington, que j'appréciais bien. Je me souviens en particulier d'un soir où j'avais fait une fanfaronnade dans la queue d'un cinéma : j'étais allé draguer une fille pour faire le malin, et contre toute attente ça avait marché. Je m'étais donc retrouvé au cinéma avec elle, et après le film, elle m'avait emmené au Tabou. Il s’y passait déjà quelque chose de plus. C’était Jean-Claude Fohrenbach qui jouait. J'y suis retourné souvent, j'y entendais Jimmy Gourley, Henri Renaud et beaucoup d'autres musiciens avec qui j'ai joué par la suite. Très vite, j’ai joué au Tabou dans l’orchestre de Jean-Claude, trois ans, et ce fut mon premier papa musical. En plus j’y ai fréquenté Pierre Dac, comme dans un conte de fées ! J'ai un peu laissé tomber le reste pour me consacrer à ce style-là, du jazz blanc, souvent juif américain, Woody Herman avec les Four Brothers : Stan Getz, Al Cohn, Zoot Sims, Herbie Stewart, les petits enfants de Lester Young. Le jazz noir était un peu violent pour moi. C'était aussi un effet de mode. Et puis il y a eu ce jour où j'ai entendu Miles Davis pour la première fois. J'ai eu l'impression que j'avais trouvé quelque chose d'intéressant à faire dans la vie, et j'ai commencé à essayer de jouer sérieusement de la trompette.

À tes débuts tu fais des baloches...

Oui, assez tôt. Je me suis marié, il fallait que je gagne ma vie. Dans un bal, il y avait une série tango, une série qu'on appelait typique, c'est-à-dire de la musique cubaine, une série jazz, et une série valse-pasodoble. On faisait des petites formations pour reposer un peu l'orchestre, j'aimais bien jouer de la basse pendant les tangos. J'avais appris quelques positions.

Qui étaient les musiciens avec qui tu jouais ?

Il y avait une sorte d'institution à Paris, le marché aux musiciens, Place Pigalle, le mardi après-midi, devant le bistrot Les Omnibus. Quand j'ai commencé dans le métier, j’allais y chercher mes cachetons. Généralement, les galas avaient lieu le samedi et le dimanche. On était pratiquement sûr de trouver. J’ai donc joué avec quantité d'orchestres différents. C'est ainsi que j'ai eu l'immense gloire de tourner avec Alix Combelle ainsi que de jouer avec Gus Viseur. Il revenait du Canada, il était vieux et en mauvaise santé. Je ne sais pas s'il avait besoin d'argent ou s'il s'emmerdait, mais il avait repris les galas.

Est-ce que la guerre d'Algérie a eu une implication sur la musique que tu jouais ?

La guerre d'Algérie était partout. Dans la musique qu'on jouait, aussi. Je me souviens avoir fait une manif contre la guerre à l'occasion du monôme du bac. Mais c'était quand même de grosses farces estudiantines. Il y avait des gens, comme Georges Arvanitas, qui avaient eu moins de chance que moi. Il avait passé trois ans en Algérie et avait dû se battre, tirer, il avait été gravement traumatisé. On en parlait entre nous, mais c’était moins fort que la guerre du Viêt-Nam. Ce sont deux guerres d’indépendance, mais la seconde a eu un plus grand retentissement international. Celle-ci nous a déterminés musicalement. A cette période je jouais avec des musiciens américains qui revendiquaient contre elle, notamment les musiciens du Black Panther Party. Mais le premier avec qui j'ai eu des échanges politiques, c'est François Tusques. Lui aussi avait fait la guerre d'Algérie, alors que moi j'étais déjà dans le métier. J’avais réussi laborieusement à me faire réformer. J'avais beaucoup joué au Tabou, au Caméléon, au Riverside, aux Trois Mailletz, puis au Club Saint-Germain. C'était l'époque du be-bop, et on ne jouait pratiquement que des standards. Rares étaient ceux qui jouaient des compositions originales, comme par exemple Martial Solal. Puis, autour de 1965/66, il y a eu pas mal d'initiatives collectives, voire collectivistes, qui se sont créées. Il y avait des bandes de musiciens qui essayaient des choses, qui faisaient des concerts, des performances. C'était une période d'intense activité souterraine. J'ai le souvenir d'assez nombreuses séances d'enregistrement, qui n'ont pas donné lieu à des disques mais auxquelles participaient Beb Guérin, J-F Jenny-Clark, Aldo Romano, Jean Vern, Mimi Lorenzini, Jeanneau, Thollot, Portal, Barre Phillips… C'était une petite société. Tusques a été un peu notre fédérateur. Lui et moi avions déjà joué ensemble en trio ou en quintet. Il habitait la région de Nantes, et il était assez entreprenant. Il se débrouillait pour organiser ou vendre des concerts. Donc on venait de Paris, avec Luis Fuentes, Michel Babault, Luigi Trussardi… Nous étions habitués à jouer du Miles, du Sonny Rollins ou du Monk, et François, lui, composait des morceaux originaux qui nous ont immédiatement intéressés. Il faut dire qu'à l'époque, c'était plutôt mal vu. Au Club Saint-Germain, par exemple, nous interprétions plutôt des tubes parce que c'est ce qu'attendait le public. Des succès des Jazz Messengers, Horace Silver, Miles Davis... Pendant la guerre du Viêt-Nam, beaucoup de musiciens américains sont venus s'installer en France. C'était pour eux une manière de déserter et de revendiquer leur opposition.

Avais-tu déjà joué avec des américains avant ça ?

Oui. J'avais joué avec Lucky Thompson, Kansas Fields... Avec Chet Baker, surtout. Pendant assez longtemps. Pour quelques concerts j'ai monté des groupes avec Alan Silva, Sunny Murray, Ronnie Beer et Ken Terroade...

Chet Baker ? Un orchestre avec deux trompettes ?

Oui. D'ailleurs quand il m'a demandé d'intégrer son quintet, je lui ai posé la question. J'avais eu une idée malsaine : je me demandais si je n'allais pas jouer un rôle de faire-valoir. Il s'en était indigné et m'avait simplement répondu qu'il s'agissait d'enrichir l'orchestre et qu'il aimait jouer avec moi. Par ailleurs nous avions en commun d'être joueurs d'échecs. Alors pendant les sets au Chat-qui-pèche, on plaçait entre nous un tabouret sur lequel on posait l'échiquier et, tout en écoutant chacun l’autre jouer, on préparait le coup suivant. Une partie durait un set. La tôlière lui louait généreusement une chambre au-dessus de la boîte. Je venais souvent le voir dans l’après-midi pour jouer avec lui quelques inventions à deux voix de Bach.

GRILLÉ A VIE

Mai 68 a-t-il changé ta pratique musicale ?

Ça m'a déterminé à changer de vie, ou plutôt de mode de fonctionnement. Avant ça, je jouais pas mal dans les boîtes de jazz, je faisais beaucoup de baloches, et beaucoup d'enregistrements avec des chanteurs ou des orchestres de variétés. En 68, je jouais avec Claude François. Je lui ai présenté ma démission. Il a d'abord cru que je plaisantais. Après, pendant quinze jours, j'ai reçu des coups de téléphone me disant : « Alors ? Qu'est-ce que tu fais ? Il faut être sérieux. Il y a du boulot. » Je leur ai fait comprendre que pour moi, c'était fini. Mais je ne prenais pas de grands risques puisque j'étais déjà engagé avec Tusques, avec des musiciens américains, avec Sunny Murray, etc. Et puis il faut dire que dès lors qu'on manifestait un intérêt pour l'action politique, on était en quelque sorte mis en marge du monde des studios et des variétés. Par la suite on s’aperçoit même qu’on s’est grillé à vie.

Y avait-il une coupure entre tes séances avec des chanteurs de variétés et tes activités nocturnes ?

Je ne savais pas lire la musique. Roger Guérin a réussi à me mettre le pied à l'étrier. Il m'envoyait faire des remplacements. Il m'a pris aussi dans l'orchestre de Jacques Hélian, sous la direction de Sadi. On est descendu à Madrid où on a joué pendant deux mois. Là j'ai commencé à apprendre à lire, empiriquement. Comme il était à côté de moi, Roger m'avertissait à l'avance des mesures à compter et des dessins rythmiques ! Je n'ai jamais été capable de jouer de deux manières différentes, et lire la musique n'y a rien changé. A ce titre, je ne peux pas dire qu'il y ait eu de coupure à l'intérieur de cette double activité.

Dans le monde de la chanson tu as été amené à travailler avec des célébrités. Gainsbourg ?

J'ai enregistré avec lui, mais comme il était aussi directeur artistique, il m'a plus souvent trouvé des séances. Vian était aussi directeur artistique chez Philips, mais c'est surtout Gainsbourg qui m'a aidé. Il avait de bons arrangeurs, Jean-Claude Vannier, Alain Goraguer...

Montand ?

C'est Hubert Rostaing qui m'avait mis sur le coup. J'avais pas mal joué avec lui. C’était un des trois chefs d’orchestre de variétés de la radio. Les deux autres étaient Jack Diéval et Léo Chauliac. Tous les trois m'avaient entendu jouer sur Soul Jazz de Georges Arvanitas, et m'avaient proposé de rejoindre leurs orchestres respectifs avec mes « copains ». J'ai dit oui aux trois, et du coup les trois orchestres étaient presque identiques : Jeanneau, Babault, Luigi, parfois Fuentes, et moi, certains nous appelaient « l’eau-l’gaz-et-l’électricté ». On avait monopolisé la RTF. J'ai beaucoup voyagé avec Diéval, qui produisait une émission quotidienne qui s'appelait Jazz aux Champs-Elysées, et qui l’a exportée dans toute l’Europe. J'ai eu à cette occasion le plaisir de tourner avec Art Taylor. J’ai aussi participé à la première jam-session en multiplex, avec un pianiste à Londres, le bassiste à Berlin, etc. Chauliac était un excellent arrangeur, il m’a permis d’enregistrer avec Jacqueline Danno, Jean-Claude Pascal et d’autres artistes Pathé Marconi. J’avais beau trouver que Montand avait beaucoup de feeling et de finesse, il m’énervait avec son américanisme de bazar. Il me parlait toujours de mon « beugueull ». Je ne jouais pas du clairon mais du bugle, en anglais flugel horn, il ne voulait pas le savoir.

68 est donc une date charnière pour toi, puisque tu arrêtes la variété. Mais très vite tu arrêtes aussi le jazz…

C'est un peu vrai. Mais en même temps je n’ai jamais cessé de jouer du be-bop et du free. C'est plutôt le contexte qui changeait, mais pas tellement mon jeu. D'ailleurs je ne crois pas que mon jeu soit tellement évolutif. J'ai toujours joué de la même manière, quel que soit le contexte ou les circonstances. Rétrospectivement, de toute façon, je crois que je n'ai jamais vraiment joué du jazz. Bien sûr je jouais des morceaux de jazz, dans des contextes jazz, mais je ne m’y suis jamais senti à l'aise. J’ai toujours eu l'impression d'y être un usurpateur.

Tu as très souvent eu un statut de sideman. Tu as très peu dirigé d'orchestres. Les gens qui t'ont engagé l'ont souvent fait pour tes qualités de provocateur.

Je ne me trouve pas si provocateur. Mais Portal, par exemple, aimait bien me faire faire des bêtises. S’il lit ces lignes, qu’il se souvienne du cri du hérisson !

Quelles sont les musiques fondatrices de ton jeu et de tes compositions ?

Varèse. Bartók. Webern. Monk. Gus Viseur. Miles Davis...

Effectivement, on entend Miles Davis dans ton jeu, par le son, et probablement parce que tu joues comme tu parles.

Si je ne me suis jamais senti dans le jazz c’est peut-être faute d’en avoir adopter certaines disciplines. Je n’ai pas systématiquement étudié et assimilé un style avant de trouver le mien. La pratique de la trompette incite à écouter, à répondre, à construire des phrases comme des bouts de dialogue. Mon jeu prend modèle sur ma rhétorique verbale.

On peut être étonné de t'entendre citer Varèse ou Webern. Comment cela influe-t-il sur ton écriture ?

J'ai une idée universelle de la musique. Je pense que toutes les musiques sont faites de la même façon, sur les mêmes principes. Il n'y a pas, pour moi, de différences fondamentales entre Bartók et le jazz. L'harmonie, le contrepoint, etc., ces choses sont toujours là.

LA RIXE DE MUSICIENS

La création du Unit a été un jalon dans l'histoire de l'improvisation en France et en Europe. Or, Portal a toujours déclaré qu'il regrettait la fin de ce groupe. Peux-tu m'expliquer comment ça a commencé, et comment ça s'est terminé ?

Ah ! Nous jouions souvent ensemble dans ces réunions de nouvelles musiques dont je parlais toute à l'heure. Nous faisions aussi tous les deux beaucoup de séances de studio, pour des chanteurs ou des groupes de variétés. Une amitié est donc née entre nous. Un jour, il m'a dit qu'il cherchait à monter un groupe, avec des musiciens que je ne connaissais pas, à part lui et Beb Guérin. Il a donc pris la responsabilité de ce groupe, bien qu'il parlât de « collectif ». C'est une question qu'on n’a jamais vraiment élucidée. C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles ce projet a pris fin. Michel signait tous les thèmes alors qu’il ne les écrivait pas tous, ça commençait à bien faire. Un jour nous étions passés dans une émission de télé à Hambourg (Karlheinz Stockhausen y dirigeait à l'époque un groupe de recherche, et la scène allemande en général était plutôt ouverte et prospective). Après notre prestation, il y avait une interview télévisée du groupe. Beb et moi avions à cette occasion posé la question, à l’antenne, de savoir qui allait signer quoi. Ce n'était d'ailleurs pas très sympa de notre part de choisir ce moment-là pour mettre ça sur le tapis. Mais nous étions allés très loin, jusqu'au sordide même, puisque nous avions carrément sorti les feuilles de droits d'auteur sur le plateau pour les remplir. On a fini par signer la feuille de SACEM sous l'oeil des caméras, en répartissant les droits après de laborieux calculs d’apothicaire. Je ne sais pas si ça a été le dernier concert, mais en tous cas, il y a eu dès lors quelque chose de brisé. J’avais d’ailleurs proposé La rixe de musiciens de Georges de la Tour comme pochette au disque de Chateauvallon, mais ça ne s’est pas fait. C’est devenu plus tard celle de l’album d’Un Drame Musical Instantané À travail égal salaire égal !

Dans ton disque La Guêpe, auquel participaient Jean-Paul Rondepierre, Jouk Minor, Beb Guérin, Jean Guérin, Françoise Achard, François Tusques, il y a la volonté de faire une musique savante. À l'époque, tu as aussi travaillé pour le GRM.

A ce moment-là, la musique savante m'intéressait beaucoup. A vrai dire, je me fichais de savoir si c'était ou non une musique vivante. La Guêpe m’est venue de l’envie de mettre le texte de Ponge, La rage de l’expression, en musique. Dans mon disque solo, Mehr Licht !, les environnements ambiants passent à l’avant-scène.
Au GRM, je faisais ce qu'on appelait de la musique « mécanique », je coupais et montais de la bande magnétique. Il y avait bien des tas d'appareils géniaux, mais pour profiter des avantages que pouvaient offrir les équipements du GRM, il aurait fallu que j'aille au charbon, que je fasse des petites conférences par-ci par-là, ce qui n'est pas vraiment mon fort. Par contre, on m'a donné à traiter des objets sonores de Pierre Schaeffer. Ça a été pour moi très formateur. Il y avait son livre, pour ainsi dire imposé, le Traité des objets musicaux, une méthode de classement des sons par leurs timbres et leurs traitements respectifs. On y apprenait aussi des notions d'acousmatique, il y avait même une dimension philosophique.

Tu a également créé le collectif de production Musique 1...

Je l’ai fondé entre autres avec Jac Berrocal. Ça nous servait à monter des petits festivals qui se déroulaient sur plusieurs jours, au Théâtre Mouffetard par exemple.

Ici tu fais l’effort de te souvenir, alors qu’habituellement tu parles rarement du passé. Quelles relations entretiens-tu avec le temps ?

Je pense que la musique, c'est l'art du temps. Et le temps, c'est la mort...

Tu es connu comme trompettiste mais tu as souvent joué d'autres instruments. Quel est ton propos quand tu joues du piano ou du cor ?

Malgré ma paresse, j'ai quand même travaillé la trompette. C'est donc un instrument avec lequel j'ai des contraintes. Lorsque je joue du violon, par exemple, je ne connais ni les techniques ni les positions. Cela me permet d'exploiter l'instrument sans vergogne. J'arrive à le faire sonner d'une façon qui me convient sans en connaître la moindre gamme. C'est dans le même esprit que j'ai inventé des instruments, dont certains dérivaient d’ailleurs directement du violon : le frein qui est une contrebasse à tension variable, ou l’arbalète, finalisée par Raoul de Pesters... J’ai agi dans l'idée d'un pur traitement du son. Je pense que même lorsqu'on improvise, s’il s'agit de notes, on ne peut que penser à de la musique écrite. C'est de la musique écrite du moment qu'on peut l'écrire. Avec ces instruments et la méconnaissance qu'ils induisent, c'est tout à fait différent. C'est beaucoup sous l'influence d'Alan Silva que je l'ai fait. Quand je lui ai dit que j'avais un violon chez moi, il m'a immédiatement proposer de faire une section de cordes. C'est comme ça que je me suis habitué à toucher le violon. J'ai aussi fabriqué des instruments parce qu'on m'en a commandés, pour Aperghis, ou Tamia et Françoise Achard : une vielle à roue dans un caddy qui joue quand on le pousse, des claviers de limes, de poêles, de pots de fleur, des flûtes, le cor multiphonique, l’orgue à feu... A l'époque, le théâtre musical était très à la mode. Un concert, même le plus banal, est un spectacle. Je trouvais navrant celui qu'offraient alors les musiciens. Je pensais qu'il fallait « spectaculariser » les prestations musicales, et donc avoir ses idées de mise en scène à chaque concert. Je continue à le prétendre.

La trompette plongée dans l’eau, avec un timbre en aluminium, avec un bec de saxophone, ça procède de la même intention ?

Pour la trompette à anche, le spectaculaire ne réside que dans la contradiction entre l’image et le son : on entend du baryton alors qu’on voit une trompette piccolo. La trompette dans l’eau, c’est une sourdine. Mais le son est matérialisé, on voit les turbulences de l’eau, surtout si les on éclaire astucieusement.

UN COLLECTIF A TROIS

Nous nous rencontrons, Francis, toi et moi, en 76, et nous décidons de monter Un Drame Musical Instantané. C'est un changement radical dans ta vie musicale.

Je n'avais plus besoin d'aller à droite, à gauche, pour suivre mon chemin. C'était l'opportunité de me poser un peu. Monter un groupe, ce n'est pas mon truc. C'était pour moi une occasion inespérée puisque ça ne se présentait pas comme le groupe d'untel, mais comme un collectif à trois. J'ai été tenté de tout y investir.

Comment expliques-tu que notre collaboration tienne toujours après 25 ans ?

D'abord, la formule, à l'origine, était très solide parce que c'était un trio, et qu'un trio, c'est vraiment démocratique, dans le sens où il y a toujours une minorité et une majorité. Ça a beaucoup marché sur cette dynamique de groupe. Après le départ de Francis (Gorgé), on avait un passé sur lequel on a pu continuer à construire. Mais il faut dire qu'au départ, ce n'était pas n'importe quelle association : il y avait un protestant, un juif, et un catholique. Euh... Je parle de culture. Je ne parle pas de confession. Il y avait donc au sein de notre collaboration une diversité occidentale intéressante.

La première fois que je t'ai vu, c'était pour un concert de soutien à la clinique anti-psychiatrique de Laborde. Nous étions une quinzaine de musiciens sur scène dans le cadre d’Opération Rhino. J'étais à côté de Daunik Lazro, qui m’a gentiment prodigué quelques conseils car je jouais du saxophone comme un pied, j’avais aussi mon synthé mais à l’époque cet instrument angoissait les musiciens de jazz, sauf toi qui les provoquais beaucoup plus que moi : tu étais à l'autre bout de la scène et tu entrechoquais des bouteilles de bière vides jusqu'à ce qu'elles explosent. Il y avait des éclats de verre tout autour de toi. À la fin du concert, après quelques hésitations, je suis venu te voir. Pendant deux jours, nous avons discuté de Varèse et Webern. Pour Francis et moi, qui venions du rock, tu étais à la fois un musicien de jazz, un précurseur et un initiateur. De ton côté, comment nous percevais-tu ?

J'éprouvais un soulagement. Parce qu'il restait quand même, à l'intérieur de notre projet, cette pratique du jazz qui impose de jouer en place, de bien jouer les grilles, etc. Mais vous n'aviez même pas l'idée, qui pour moi est rédhibitoire, d'interpréter des grilles en prétendant qu'on improvise. Vous faisiez de la musique avec toute la naïveté souhaitable. Tout ça correspondait très bien à mon malaise vis-à-vis du milieu du jazz. J'étais paresseux, je n'avais pas envie d'être le meilleur. Si j'étais en compétition avec un autre musicien, j'avais envie de me sauver en courant. Bref, je me sentais horriblement mal avec ce qui constitue les fondements du jazz, la compétition, la lutte pour la vie, etc. Et puis vos instruments me fascinaient. Un type qui jouait du synthétiseur sans clavier, juste en tournant des boutons, je trouvais ça génial. Quant à Francis, je n'avais pas remarqué au départ qu'il était handicapé, et je trouvais qu'il jouait très étrangement. Un jour il m'a expliqué qu'il s'était mis à la guitare précisément pour rééduquer son bras. Tout ça conjugué assouvissait bien mon goût du nouveau.

L’essentiel c’était que, comme nous, tu t’intéressais à tout, la politique, la science, les autres arts, la vie en général. La musique coulait de source...

Dans le Drame, elle est la traduction d’une réflexion commune et non une illustration. Nous avons inventé à cette occasion le concept de musique à propos.

Si un jeune musicien sollicitait tes conseils, que pourrais-tu lui dire ?

Je valorise beaucoup la constance, la fidélité et l'acharnement. J'aime citer cette phrase de Guillaume d'Orange : « Il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer ».

Peux-tu me parler de la trompette et des différentes manières d'en jouer ?

La trompette est issue de la culture militaire. En France, dans le temps du moins, la plupart des premiers prix de conservatoire étaient tous des gens du Nord qui avaient joué dans des fanfares, et qui avaient réussi à sortir de la mine grâce à ça. C'étaient des gens qui avaient beaucoup travaillé leur instrument, mais un peu à coups de pied dans le cul. Au conservatoire on n'expliquait pas vraiment le comment. Si on n'y arrivait pas, c'est qu'on était nul. Quand j'ai donné des cours, j'ai essayé de me démarquer de cette méthode. J'arrive facilement à expliquer ce qui se passe dans le corps quand on joue. Je n'ai eu de cesse de faire comprendre que ce n'est pas un instrument qui requiert plus de tonus physique ou d'agressivité militaire que d'autres. Bien sûr, on parle d' « attaque ». Mais si l'on joue en ayant à l'esprit quoi que ce soit de vindicatif, ça ne marche pas. Quant à la manière de respirer, je me suis confectionné une technique, que j'ai un peu enseignée, et qui marche très bien. Il y a l'idée, par exemple, qu'on ne projette pas le son, que l'on n'a rien à projeter. On provoque un choc qui est situé à un endroit très précis du corps, entre la langue et le palais, et tout le reste n'est que l'organisation d'une pompe, assez complexe, de façon à distribuer l'air avec la tension, la compression et la quantité nécessaire et suffisante pour produire l'effet voulu. Évidemment ce discours est, d'une certaine manière, une démystification de l'idée militaire de l'instrument. Finalement, ce que j'ai cru comprendre d'un secret supposé, c'est qu'il doit y avoir une furieuse concentration vers l'infiniment central qui est nécessairement en opposition avec une détente de ce qui est infiniment périphérique. Peut-il y avoir là une explication du monde physique ?... Si tant est qu’il y en ait un autre !

Tu as un sens aigu du paradoxe.

Chaque fois qu’on rajoute une ligne on tend vers l’exhaustivité. L’important n’est pas d’avoir tout dit mais que tout ce qu’on a dit contribue à donner un sens global.



PORTRAITS-SOUVENIRS

Eric Dolphy
Il m'avait appris un bon truc. Je m’étais blessé le bras droit, et je m’étais en quelque sorte échappé de l'hôpital avant la fin de ma convalescence pour aller voir du monde dans les boîtes. J'étais tombé sur Eric Dolphy à qui j'avais raconté que ma main droite ne fonctionnait plus très bien et que je n'étais pas certain de pouvoir rejouer de la trompette. Il m'avait répondu : « tu n'as qu'à jouer avec ta main gauche ! Le corps est symétrique. Il n'y a pas de raison que tu n'y arrives pas ». J'étais rentré chez moi, et je m'étais aperçu qu'effectivement la main gauche faisait exactement les mêmes gestes que la droite. Ce soir-là, il m'avait aussi dit : « La seule chose qui soit grave dans la vie, c'est de mourir ». Le destin a voulu qu’il meurt le lendemain, à Berlin.

Lester Young
Un soir de 1956 au Tabou. C'est LA boîte de Saint-Germain-des-Prés que fréquentaient quotidiennement Boris Vian, Juliette Gréco, Gainsbourg et tous les jazzmen américains de passage. A la suite d'une jam avec le Président, Lester Young, celui-ci me complimente sur mon jeu. Je trouvais ça super mais j'attendais le mais...
L.Y. : - Tu connais les paroles ?
B.V. : - Pourquoi, y a des paroles ?
L.Y. : - Ah bon, tout s’explique...
L'explication est venue quelques années plus tard avec Chet Baker. Chet me dit que nous, en Europe, nous appelons ça des standards mais que pour des américains ce sont des poèmes qui racontent chacun une histoire ou un certain état d'âme. Ce sont des chansons populaires, des souvenirs d'enfance, des airs qui ont été à la mode et que tout le monde connaît aux Etats Unis. Chet trouvait que nous jouions ces morceaux d'une façon abstraite, comme de la musique classique mais pas comme des airs populaires. On jouait la grille, les 32 mesures, le thème pas toujours, ou plutôt jamais puisqu'on ne connaissait pas les paroles. Moi, et les pianistes aussi, je pouvais jouer imperturbablement le pont d'un morceau à la place de celui d'un autre, sans même m'en apercevoir. C'est comme les valses de Strauss, on peut mélanger les parties des morceaux, c'est toujours aussi bien. Sauf pour les Autrichiens ! C'est toute la différence entre un jazzman français et un américain. Il y a un sens à ces notes de musique, la mélodie que Lester joue, sur laquelle il improvise, il en connaît le texte, la partition complète.

Archie Shepp
Archie Shepp, c'est un sampler. Il n'a créé aucun style. Il a utilisé des éléments de l'histoire du jazz en les samplant, en quelque sorte. Il ne fabrique pas de mélodie géniale. Il prend des éléments stylistiques classiques qu'il réutilise plutôt à la manière d'un sampler.

Anthony Braxton
C'est vraiment un universitaire. Il m'avait proposé de monter un quintet. Et il est arrivé chez moi avec une partition en accordéon, au moins quinze pages noires de notes, en me disant : « Je voudrais qu'on joue ça, mais très précisément », alors que moi, j'avais dans l'idée de faire un concert de musique improvisée. De toute façon, vu la partition, je ne pouvais pas faire autrement. C'est ce qu'on a fini par faire.

Sunny Murray
Il m'avait conseillé d'aller à New York. Il trouvait qu'ici nous avions la vie douce. Il m'avait proposé de m'héberger là-bas. Il pensait qu'il serait bon pour moi de me frotter un peu à la compétition. Or, c'est vraiment tout ce que je déteste. J’ai dit : « Oui, peut-être »...

Alan Silva
Après un concert du Celestrial à la Maison de la Radio, en dînant, Alan m'avait dit : « On va faire un maximum de blé ! » Il m'avait fait part d'un projet de faire construire un building sur deux étages où loger tous les musiciens ensemble, avec des studios, et au dernier étage, une banque ! Il pensait vraiment faire de l'argent avec ça. Mais quelque temps plus tard, il s'est fait spolier, via l'IACP. C'est donc resté à l'état de rêve.

Don Cherry
Il avait une encyclopédie de la musique d'où il tirait tout son savoir et toutes ses idées. Il s'intéressait surtout à Chopin. Sa manière de coller de petites formes les unes contre les autres vient peut-être de là. C'était une méthodologie assez répandue à l'époque. On la retrouve aujourd'hui dans la technique du sample. Mais plus tellement dans la pratique de la composition.
Je lui ai vendu ma pocket trompette. C'était un petit bijou incrusté d'émaux qui avait été fabriqué pour Joséphine Baker au Casino de Paris où elle faisait semblant de jouer. C'est avec cette trompette que j'ai enregistré pas mal de disques, notamment Free Jazz. Don louchait dessus depuis longtemps. Je lui ai vendu pour 200 dollars un jour où j'avais besoin d'argent. Il en a joué jusqu'à sa mort. J'étais très fier.

Gato Barbieri
Je me suis fait avoir par Don Cherry. Avec Gato, je voulais monter un orchestre un peu dans la veine de ce que cherchait à faire Don, à savoir une sorte de cocktail fait de souvenirs, une manière de couper des choses pour les remonter différemment. Puis Don est arrivé, a engagé Gato, et mon projet a avorté.

Jean-Louis Chautemps
La première fois que j'ai joué avec lui, je n'étais même pas marié, je devais avoir 19 ans. Je me souviens d'un bistrot qui n'existe plus, le Dupont Latin, boulevard Saint-Michel, où on allait en sortant du lycée. Lacan y faisait ses séminaires au sous-sol. Quand je pense que j'ai passé un bon bout de mon temps là, sans savoir que Lacan enseignait dans la pièce du dessous... La salle du dessus servait l’après-midi à des jam-sessions. J'ai énormément joué avec Jean-Louis, notamment sur Jazzex, une pièce de Parmegiani. Ce fut la première œuvre mixte, jazz et musique électroacoustique. Jean-Louis était un bosseur, il s’étonnait de ma façon instinctive de jouer et me décrivait comme un musicien « hallucinatoire visionnaire ».

Jacques Thollot
Je l'ai rencontré pour la première fois au Club Saint-Germain. Il était habillé en costume de collégien d'autrefois. Son père, un grand gaillard très extraverti qui jouait très bien du sax, était là aussi, pour le vendre. À côté de lui, Jacques avait l'air d'être un peu à côté de ses pompes, tout timide, tout pâle. Il avait alors 12 ou 13 ans. Evidemment, à cet âge-là, il n'était pas capable de conduire un orchestre. Il jouait tout comme Max Roach. Il avait visiblement beaucoup travaillé, il faisait de beaux solos mais ralentissait tous les tempos, c'était infernal. Il était très gêné par la présence de son père. Il nous regardait avec l'air de dire : « Ne faites pas attention ». Je me disais que ça allait être dur pour lui, et effectivement ça a été dur.

Peter Brötzmann
Nous étions en train d'enregistrer avec le Global Unity d’Alex von Shlippenbach, il était juste à côté de moi. Il s'est mis à jouer avec un son titanesque (il était aussi sculpteur et peintre). Il sortait des sons énormes, des harmoniques dans les aigus, avec une puissance vraiment impressionnante. A un moment deux jets de sang ont jailli de ses narines. Il a simplement sorti un mouchoir de sa poche, s'est tamponné le nez, et il s'est remis à jouer en repartant dans un continuum ! A l'époque, on jouait comme ça, dans un continuum collectif, mais organisé. Chacun y allait à fond la caisse.

Steve Lacy
Un jour, en descendant au Festival d'Avignon, pendant lequel j'habitais chez Gelas, le metteur en scène, je me promenais dans les vignes autour de sa ferme, et j'écoutais la nature, le vent, etc. J'étais pris par le plein soleil. J'entendais se mélanger au chant des cigales des sonorités extraordinaires que je n'arrivais pas à identifier. Je croyais même rêver. Plus tard, j'ai appris que c'était Steve qui était sur une colline en train de travailler son soprano. C'était une impression très zen.

Barney Wilen
Barney était un ami très proche. Je l'ai rencontré quand il avait 13 ans. Il jouait d'un vieux saxo baryton qui était aussi grand que lui. Un jour, il est venu faire le bœuf au Tabou, et il est revenu plusieurs jours de suite. La première fois que je lui ai parlé, je lui ai demandé : « C'est vrai que tu as 13 ans ? » Ça me semblait ahurissant qu'un type de cet âge joue comme ça. Il m'a regardé et il m'a dit : « Qu'est-ce que ça peut te foutre ? ». On est devenu très copains à partir de ce jour-là.

Albert Ayler
Je n’avais jamais entendu parler de lui, ni écouté une telle musique. C’était au Caméléon, il avait l’air de quelqu’un de spécial, vêtu de cuir rouge, les musiciens qui jouaient là, Aldo et J–F, l’ont pris pour un débile et ont atrocifié. J’ai longtemps regretté de n’avoir pas pu rejouer avec lui ni continuer la discussion passionnante que nous avons eue après, très poétique.

L’Art Ensemble
Ornette Coleman avait organisé un concert à la Mutualité. Il y avait son orchestre, celui de François Tusques, l’Art Ensemble, Barney, Roger Guérin... A l’issue du concert qui s’était très bien passé, l’organisateur est parti avec la caisse. On a provoqué une réunion avec l’Art Ensemble. Il nous ont répondu : « non, mais attention les mecs, vous savez de qui vous parlez, c’est Ornette, total respect ! », et c’en est resté là. Dans l’Art Ensemble, à part l’extraordinaire diversité de leurs compositions, j’étais très intéressé par la théâtralisation de leur musique.

Claude François
Jeanneau et Mimi Lorenzini connaissaient bien la pop. Ils ont montré Triangle peu après. C’est Claude qui m’a initié au rhythm’n blues en m’emmenant écouter James Brown, Otis Redding, Aretha Franklin... Il aurait voulu qu’on sonne comme ça. On a même accompagné les Supremes pour une télé.
Nous étions payés en liquide, pas déclarés, sauf les télés. Il fallait, en plus, réclamer son pognon vite fait. Le premier soir, Lederman m’a repris ma paye au poker.

Brigitte Bardot
J’ai fait un disque avec elle, très sympa, très tendre. Par la suite je me suis trouvé parfaitement solidaire de ses positions passionnées sur la condition animale. J’ai même adhéré. En manifestant j’ai constaté que la majorité des militants, surtout leurs représentants, étaient d’extrême-droite. J’en avais parlé avec Cavanna, lui-même interloqué.

Beb Guérin
Il était comme un frère. Nous faisions des concerts en trio avec Tusques dans sa région de La Rochelle. Au matin, en me faisant visiter son plat pays, il me disait : « Tu vois, ici il n’y a que l’horizon et des bourines à un étage. Voilà deux siècles que ça se dépeuple. Rien de plus déprimant. Dans ma famille un oncle et d’autres se sont pendus pour rajouter quelques verticales. Moi aussi je me pendrai ». Beb s’est pendu en 1980.

Jouk Minor
Il est très gestuel. Il avait joué de la guitare flamenco avant de se mettre au baryton. Il a trouvé le lien physique entre les deux. C’est aussi un acousticien. Il poursuit sa recherche avec des instruments d’exception comme le sarrussophone contrebasse. Il est revenu à la guitare en se fabriquant empiriquement la sienne.

Hubert Fol
C’était un mythe. Il était ouf. On a été engagés ensemble, avec son frère Raymond, dans le quintet de Guy Lafitte. Ça me navre de m’apercevoir que je n’ai pas grand chose à dire de lui, si ce n’est qu’il était super cool et qu’il jouait génialement de l’alto.

Babar
J’étais un peu enrobé. En vacances un connard m’avait affublé de ce sobriquet qui en valait un autre. Au retour, quand je suis entré dans le monde des musiciens, ils me nommaient ainsi. Je n’ai jamais compris par quelle mystérieuse dénonciation ! Les vieux m’appellent encore comme ça.

Discographie (partielle) de/et/ou/avec Vitet

Dans l’ordre d’apparition au cours de l’entretien :
LP Georges Arvanitas, Soul Jazz, Columbia FPX 193, 1960
CD 1965, François Tusques, Free Jazz, Mouloudji, réédition In situ 139 - catalogue ADJ
LP Michel Portal Unit, No, no but it may be, Le Chant du Monde LDX 74526, 1972
LP Un Drame Musical Instantané, À travail égal salaire égal, GRRR 1005, 1981 - ADJ
CD Bernard Vitet, La guêpe, sur un texte de Francis Ponge, Futura Son 05, 1971
LP Bernard Vitet, Mehr Licht !, GRRR 1003, 1979
LP Jac Berrocal, Parallèles, Davantage 01, 1976
CD Bernard Parmegiani, Pop’eclectic incl. Jazzex (enr.1966), Plate Lunch PL08, 1998
LP Sunny Murray, Shandar 10.008, 1968
LP Sunny Murray, Big Chief, Pathé Marconi 1727561, 1969
LP Alan Silva, Luna Surface, Byg 529.312, 1969
LP Alan Silva, Seasons, Byg 529.342-43-44, 1970
CD Celestrial Communication Orchestra, My country (enr. 1971), Leo LR 302, 1989
LP Art Ensemble of Chicago, Go home, Galloway 600502, 1970

Autres enregistrements disponibles aux ADJ :
4 LP et 9 CD d’Un Drame Musical Instantané, chez GRRR et In Situ de 1977 à 2001
CD Hélène Sage, Comme une image, GRRR 2014, 1989
CD Hélène Sage, Les araignées, GRRR 2022, 1997
CD Gorgé Meens, Paysage départ, In Situ 121, 1992
CD François Tusques 1992, Le jardin des délices, In situ 165, 1993
CD François Tusques, Octaèdre, Axolotl AXO101, 1994
CD François Tusques Blue Phèdre, Axolotl AXO103, 1996
2CD Buenaventura Durruti, Un d.m.i., Nato 777 733, 1996
CD audio/rom Birgé Vitet, Carton, GRRR 2021, 1997
CD audio/rom Un Drame Musical Instantané, Machiavel, GRRR 2023, 1998

Recommandons aussi les titres :
Barbara (Ni belle ni bonne, Madame), Brigitte Bardot (Un jour comme un autre, À la fin de l’été), Yves Montand (Il n’y a plus d’après, Quand tu dors près de moi), Serge Gainsbourg (En relisant ta lettre), Jazz in Paris : Jazz et cinéma vol.2 La bride sur le cou (cd Universal 013044-2), Jean-Luc Ponty The beginning of... (lp Palm 19), Jef Gilson Enfin (cd FD 151922, 1962-63), Ivan Julien Paris année zéro (lp Barclay), Jean Guérin Tacet (lp Futura Son 14, 1971), Colette Magny Répression (cd Scalen’ CMPCD 03, 1972), Sylvain Kassap L’Arlésienne (lp Nato 109, 1983), Aki Onda Un petit tour (cd All Access 07, 1999), Michel Pascal Puzzle (cd Ina 275 742, 2000)...

Retrouvez aussi les musiciens cités, dans le catalogue des Allumés du Jazz
(attention, les disponibilités ont changé depuis la publication de cet entretien) :
Hubert Rostaing et Alix Combelle (RDC), Georges Arvanitas (Black & Blue, Label Bleu), Jac Berrocal (Bleu Regard, In Situ, Nato), Jean-Louis Chautemps (Evidence, GRRR), François Jeanneau (CC, In Situ, Label Bleu, Pee Wee), J-F Jenny-Clarke (Celp, Deux Z, Hopi, JMS, Label Bleu, Nato), Steve Lacy (Free Lance, In Situ, Label Bleu), Mimi Lorenzini (Axolotl, CC, Hopi), Sunny Murray (Bleu Regard), Barre Phillips (Bleu Regard, Celp, Emouvance), Michel Portal (Label Bleu), Aldo Romano (JMS, Label Bleu, Pee Wee, Pygmalion, RDC, Seventh), Alan Silva (In Situ), Martial Solal (Charlotte, Gorgone), Jacques Thollot (In Situ, Nato), Luigi Trussardi (RDC), Barney Wilen (Deux Z, Nato)...

Lectures conseillées par Bernard Vitet

Paul Hindemith, Pratique élémentaire de la musique, Ed. J-C Lattès
Pierre Schaeffer, Traité des objets musicaux, Ed. Seuil
E. Leipp, Acoustique et musique, Ed. Masson
L-F. Céline, Voyage au bout de la nuit, Ed. Gallimard
J-L. Borgès, Fictions, Ed. Folio

mardi 21 novembre 2017

Bifurcation

...
Tout avait bien commencé. Peut-être que Françoise avait trop mangé d'huîtres la veille et l'avant-veille, peut-être était-elle un peu fatiguée ou momentanément déshydratée, mais j'ai eu une sacrée frousse lorsqu'elle est tombée dans les pommes. Nous avions prévu de passer la journée sur l'île d'Oléron en commençant par un succulent déjeuner au restaurant De l'île aux papilles. Sauf qu'à peine avait-elle bu quelques gorgées de son thé rooibus et goûté l'amuse-gueule à la purée de potimarron et crème de châtaigne, sa tête partit en arrière à s'en briser le cou. Me levant précipitamment pour la redresser je vois ses yeux ouverts comme des soucoupes, fixes, aveugles à mes gestes et sa tête qui bascule à nouveau. Frayeur de ma vie, j'ai pensé un instant qu'elle était morte. Fulgurance du monde qui bascule. J'avais beau tapoter ses joues, l'appeler, ces quinze secondes de cauchemar me hanteront. Passé le sang froid dont j'ai toujours fait preuve dans pareille circonstance, l'émotion s'inscrit profondément et resurgit plus tard, intacte. Heureusement une infirmière qui déjeunait à la table à côté fait s'allonger Françoise les pieds en l'air dans un coin du restaurant pour qu'elle retrouve ses esprits, sa pâleur soudaine se dissipant. La gentille serveuse a déjà appelé les pompiers qui arrivent à trois, font les examens d'usage et téléphonent à leur tour au médecin qui, sans la voir et par mesure de précaution, décide d'envoyer ma chère et tendre au Centre Hospitalier de Rochefort. Les jeunes pompiers me suggèrent de prendre mon temps, de finir le déjeuner que je n'ai pas commencé, car il y a beaucoup d'attente aux urgences, en réalité tellement plus qu'ils ne le supposent. Pour tenter de me détendre je décide de me concentrer sur ma commande. Je m'enfile donc avec un brin de culpabilité et d'égoïsme des noix de Saint-Jacques, purée de panais, jus de viande, chips d’ail, suivies d'encornets, crème de chou-fleur, chou romanesco, chorizo, et je m'achève ou me reprends avec des pommes rôties, caramel gingembre, chantilly vanille, noix. C'est la phase la plus sympathique de l'aventure. De son côté, Françoise n'a vécu qu'une courte absence, une grande fatigue avant de se sentir mal puis de se réveiller étonnée. La suite est moins marrante, car elle révèle l'état désastreux dans lequel la course au profit a mis les hôpitaux...

...
À première vue il s'agit d'un malaise vagal qui n'est pas grave et pour lequel la médecine ne peut pas grand chose. Il y a foule ce dimanche en début d'après-midi aux urgences et les effectifs réduits obligent chacun à attendre des heures entre chaque opération. L'électrocardiogramme comme le reste des analyses ne révèle aucun dysfonctionnement. C'est probablement une déshydratation, mais on ne lui donne pas à boire et elle n'a rien mangé depuis la veille ! Je marche de long en large sur le parking plutôt que moisir à l'entrée à partager l'angoisse des familles dans l'expectative. Lorsque je convainc l'accueil de me laisser tenir compagnie à Françoise je reste debout dans le couloir ou une fesse sur son brancard. J'entends plâtre, suture, embolie, scanner... Trois heures plus tard, le médecin apparaît pour valider sa sortie, mais il décide qu'une prise de sang est plus prudente. Ajoutez deux heures avant qu'on lui fasse cette saignée qui l'affaiblit un peu plus alors qu'elle n'a rien mangé depuis la veille. On lui annonce que les résultats n'arriveront que dans deux nouvelles heures, sauf que le changement d'équipe de 19h remplace les préposés par d'autres qui ne sont pas encore au courant. Les informations suivent, mais selon de tels protocoles que le stress des patients n'est pas pris en compte, si ce n'est par les infirmières, épuisées par leurs conditions de travail. À 22h Françoise décide de s'en aller lorsqu'elle apprend que le nouveau médecin est parti en mission à l'extérieur sans avoir laissé de consignes. Une infirmière a la gentillesse de décrypter les résultats d'analyse tout à fait normaux et nous voilà enfin sur la route pour rejoindre Royan où nous arrivons avant minuit. Dans cette histoire le dévouement des infirmières, gentilles, drôles, prévenantes, fut exemplaire. Les médecins, probablement débordés, ne véhiculaient pas cette humanité. Lorsque nous interrogeons le personnel, elles nous expliquent qu'elles sont en sous-effectif, que leurs journées font douze heures, que les ressources d'accueil sont saturées, quantité de lits ayant été fermés, entendre qu'ils existent matériellement, mais qu'ils sont déclarés inexistants pour raison économique ! Dans les couloirs le brancardier slalome avec les lits à roulettes et les fauteuils roulants. On attend sans savoir ce qu'on attend. L'addition de la pénurie de personnel avec les lourdeurs administratives accouchent d'une situation surréaliste. Imaginez que les analyses sanguines sont envoyées par courrier au médecin traitant, la bureaucratie hospitalière ignorant Internet ! Huit heures aux urgences nous ont montré le délabrement du service public orchestré par le ministère de tutelle. Nous n'avions d'autre solution que d'en rire, les infirmières partageant avec humour et dévotion notre colère fondamentalement politique.

P.S.: un autre article paru en septembre 2013

lundi 20 novembre 2017

Je vais au zoo avec Zizi...


Chaque fois que je vais au zoo la chanson de Fernandel me trotte dans la tête. "Bien des tourtereaux, c'est l'usage, Quand ils veulent parler d'amour, S'en vont rêver sous les ombrages, Aux Tuileries, au Luxembourg, Moi je connais c'est véridique, Un endroit bien moins fréquenté, C'est le jardin zoologique, Aussi le dimanche pour flirter... Je vais au zoo avec Zizi, Et l'on se promène au ralenti, Devant la cage des kangourous, On s'dit des mots doux, Près de l'ours Martin, On s'prend la main, Près de l'otarie, On se sourit, Et près des phoques, Je m'sens loufoque, Mon cœur fait toc-toc..." Pour les amateurs les paroles complètes sont et la chanson izi. La chanson me plaît en particulier pour la liaison entre "je vais" et "au zoo", je vais zozo. Je pratique moi-même couramment ces liaisons qui amusent, autant que les allitérations...


À propos de liaisons j'ai choisi parmi mes photos celles qui avaient chaque fois un point commun avec la précédente, à la manière de Jean-Hubert Martin sélectionnant les œuvres de l'exposition Carambolages dont j'avais fait la musique pour le Grand Palais. Ici c'est souvent un détail graphique...


J'ai oublié de noter le nom des animaux du Zoo de La Palmyre près de Royan. Les deux premiers sont un Tamarin lion à tête dorée et un tamarin bicolore d'Amazonie. Pas moyen de me souvenir du nom de ce singe dont le masque a certainement inspiré maints sculpteurs. La nature a toujours été un modèle pour les humains, que ce soit les images ou les sons. Ainsi mes instruments vietnamiens reproduisent tous des cris d'animaux...


À cette époque de l'année le zoo est désert. Nous avons croisé seulement deux autres couples pendant les trois heures de balade. Les grands singes étaient d'ailleurs confinés à l'intérieur à cause de la température, contrairement aux petits lémuriens que nous avons eu la joie de voir courir dans les tunnels de grillage au-dessus de nos têtes. Ces makis catta ressemblent aux frères Rapetou créés par Carl Barks pour Disney. On lui doit aussi les personnages de Picsou, Gontran Bonheur, Géo Trouvetou, la sorcière Miss Tick et l'organisation des Castors Juniors, c’est dire son importance. Hélas aucun d’eux ne réside à La Palmyre !


Face au zèbre j'ai pensé au poème de Robert Desnos mis en musique par Michèle Buirette que chante Elsa. C'est ma chanson préférée du spectacle Comment ça va sur la Terre ? qu'elles ont monté avec Linda Edsjö. En passant devant le pélican c'est leur reggae qui m'est revenu !


Tandis que coulait le rimmel de la femelle rhinocéros, je me suis retrouvé projeté vingt ans en arrière dans le Terail au sud du Népal. Le rhino asiatique, caparaçonné comme un monstre préhistorique, est beaucoup plus impressionnant que l'africain. En avançant dans les hautes herbes de décembre nous avions été nez à corne avec l'un d'eux. Sans gestes brusques nous avions reculé tout doucement...


Quant à l'iguane que j'avais attrapé par la queue en Guadeloupe, il m'avait coûté des blessures profondes aux pieds lorsque je lui avais couru après sur des roches volcaniques coupantes comme des lames de rasoir. Certes l'iguane ne bougeait plus, paralysé par mon geste, mais, moi non plus, n'en faisais plus un, essoufflé, martyrisé. Pour nettoyer les plaies j'avais eu la stupidité d'aller les tremper dans l'eau de mer, ce qui les avait évidemment creusées très douloureusement...


Avec le temps chaque animal me rappelle une aventure. Les flamants roses sont évidemment ceux que Françoise a filmés au Chili dans le désert d'Atacama et que j'avais sonorisés par un duo réalisé dans le passé avec Hélène Sage... Les animaux que Françoise filme racontent toujours une histoire à la limite de l'anthropomorphisme. Comment s'empêcher de faire des rapprochements pour comprendre leurs actes ? Ce sont avec nos yeux et nos oreilles, avec notre imagination, lorsqu'elle va au-delà de la simple observation, que nous nous rapprochons d'eux en nous souvenant que, nous aussi, sommes des animaux. "Des animaux dénaturés" comme nous appelle Vercors.


L'ibis rouge, c'est évidemment Jean-Pierre Mocky, un film tourné en 1975 avec Michel Serrault, Michel Galabru et surtout Michel Simon, dont je garde le meilleur souvenir, et le film, et Michel Simon que j'avais vu en 1965 au Théâtre Gramont jouer Du vent dans les branches de sassafras. Il n’y en a pas ici. Les zoos sont des lieux paradoxaux. Les animaux en cage crèvent le cœur, mais ils ouvrent le champ des possibles à celles et ceux qui ne connaissent pas d'ailleurs. Et pour tous "l'autre" prend forme et interroge notre condition humaine. Ils permettent aussi parfois de sauver des espèces en voie de disparition qui pourront être réintégrés dans leur milieu naturel à condition que nous arrêtions de le coloniser et de le recouvrir de bitume...

vendredi 3 novembre 2017

L'isthme des ismes (Tapage Nocturne ce soir sur France Musique)


La précocité est une denrée périssable. J'aurai 65 ans dimanche. Antonin-Tri Hoang a déjà 27 ans. Samuel Ber est le benjamin de notre trio du haut de ses 22 ans. J'avais allumé les jeunes musiciens et musiciennes que je défends entre autres sur ce blog depuis une douzaine d'années parce que s'ils ignorent les anciens, ils connaissent encore moins bien ceux et celles qui les suivent. Antonin, piqué au vif, m'a donc présenté Samuel, percussionniste belge encore au C.N.S.M. Je privilégie ces rencontres intergénérationnelles, parce que si nous avons parfois les mêmes objectifs, les méthodes pour les atteindre diffèrent d'une époque à une autre. Aujourd'hui, que ce soit en les écoutant ou en jouant avec eux, j'apprends plus des jeunes que des vieux. D'autre part, je ressens une nécessité voire un devoir de transmettre ce qui me fut légué.
J'ai donc proposé à mes deux acolytes de participer au Tapage Nocturne produit par Bruno Letort sur France Musique et diffusé ce vendredi soir à 23h. Il y a six ans le précédent Tapage figurait mon duo avec le violoncelliste Vincent Segal. Comme nous improvisons le plus librement possible j'ai suggéré un cadre canalisant nos débordantes imaginations. J'ai donc proposé quatre pièces éminemment politiques regroupées sous le titre critique L'isthme des ismes :
1. Fascisme (Chaque fois que l’un de nous exprime sa singularité , il est réprimé jusqu’à l’annihilation totale de l’ensemble)
2. Communisme (Organisation de l’ensemble dans un esprit productiviste, ça roule!)
3. Anarchisme (Liberté de chacun dans le respect de l’autre, en toute complémentarité)
4. Capitalisme (Exploitation des ressources jusqu’à leur épuisement)
5. L'isthme des ismes (qui m'a causé bien du tracas, car mon disque dur se démontait et remontait sans cesse et sans que je comprenne pourquoi, peut-être pour me suggérer qu'aucun système ne fonctionne face à la multiplicité des interprétations ?). Car il ne s'agit pas de chaque fois composer une métaphore musicale du système énoncé, mais de générer les réflexions intimes qui nous échappent lorsque nous improvisons. C'est un des effets circonlocutoires que j'affecte particulièrement. Nous tournons autour du pot, troublés par les ambiguïtés que chaque "isme" produit sur les populations et sur soi-même en l'occurrence. Ces prétextes génèrent ainsi un échange de propos sonores que nous affinerons verbalement l'enregistrement terminé, sur le chemin du retour !


Antonin-Tri Hoang est au sax alto, à la clarinette basse et au piano. Samuel Ber joue de la batterie et d'un set de percussion incluant woodblocks, gongs chinois et thaïlandais, bol tibétain, tam-tam symphonique, bongos et djembé. J'ai été raisonnable en n'emportant qu'un clavier, plus un harmonica, une varinette, un appeau et une guimbarde ; par contre mon ordinateur est rempli d'échantillons, percussions à clavier, guitare électrique, aboiements de berger allemand, sons inouïs, et même un orchestre symphonique quasi varésien !
Pour une fois Françoise a pris la photo de nuit, logique pour un Tapage Nocturne ! On a l'impression d'être dans un hôtel à Hawaï. Soizic Noël a ensuite immortalisé notre trio au Studio 107 ! J'ai toujours imaginé la musique composée collectivement comme une conversation où chacun écoute les autres tout en s'exprimant, exercice complexe qui ne livre son suc plus ou moins objectif qu'à la réécoute. Je syntoniserai donc comme vous la modulation de fréquence de mon poste de radio ce soir en direct sur les ondes.

L'isthme des ismes, France Musique, Tapage Nocturne, vendredi 3 novembre à 23h

mercredi 25 octobre 2017

Le Code Hayes


Au début du mois, l'Université Populaire de Bagnolet organisait des conférences chez l'habitant dans le cadre du Festival [Dedans] - J'invite un[e] chercheur[e]. Ainsi chez les uns et les autres se succédèrent, entre autres, Emmanuelle Delanoë-Brun pour "Politique/fiction: penser la société dans les séries américaines contemporaines", Alejandra Sanchez pour "Prévenir les conflits par la communication non violente", Vanessa Codaccioni pour "État d'exception/État d'urgence", Levent Yilmaz pour "Comprendre la situation politique en Turquie", Jeanne Burgart pour "L'écoféminisme : écologie et féminisme, même combat ?"... En invitant Serge Chauvin, critique de cinéma, traducteur, professeur à Paris Ouest Nanterre, et sachant qu'il était spécialiste du cinéma américain, Françoise lui avait suggéré de parler du maccarthysme. Notre conférencier avait donc intitulé sa prestation "Le Hollywood classique face aux pressions politiques : du code d’autocensure à la chasse aux sorcières". Après quelques agapes gastronomiques concoctées par ma compagne, nous avons écouté Serge Chauvin, si intarissable et passionnant sur le Code Hays que la seconde moitié de son sujet passa à l'as. La crise économique avait valorisé le sexe et la violence pour les pauvres qui voulaient s'enrichir. En niant le statut artistique au cinéma, les films ne tombent pas sous le premier amendement de la Constitution et sont susceptibles d'être interdits. Hollywood préfère s'autocensurer. La période du Pré-Code fut incroyablement provocatrice, mais à partir de 1934 les scénaristes doivent jouer de métaphores truculentes pour déjouer les règles qu'impose le Code. Chauvin choisit de nous montrer une séquence de Baby Face (Liliane) telle qu'elle fut tournée en 1933 et sa version ultérieurement censurée. La provocante Barbara Stanwyck y incarne une fille prête à tout pour sortir de sa condition sociale. Face à un cahier des charges contraignant, le Code permit aussi à des cinéastes de contourner la censure en devenant typiquement inventifs...
Évoquer Barbara Stanwyck me donne envie de revoir plus de films avec elle, comme The Purchase Price de William A. Wellman, L'Homme de la rue (Meet John Doe) de Frank Capra, Le démon s'éveille la nuit (Clash by Night) de Fritz Lang, Quarante tueurs (Forty Guns) de Samuel Fuller, et l'explosif Boule de feu (Ball of Fire) de Howard Hawks. Mais il y en a des dizaines que j'ignore totalement...

vendredi 29 septembre 2017

Ella & Pitr, comme des fourmis


Les éditions Alternatives publient une superbe monographie du couple d'artistes Ella & Pitr. Les 248 pages ne suffisent pas à couvrir leurs dix ans d'activité depuis leur rencontre amoureuse tant leur production est prolifique. Tandis que le long métrage de Françoise Romand, Baiser d'encre, les suivait dans les rues en Papiers-Peintres, feuilletait leurs carnets intimes, chassait les cadres de tableaux à remplir soi-même ou les immortalisait sur scène avec leurs amis que l'on retrouvait souvent ensuite croqués avec humour, l'ouvrage Comme des fourmis insiste sur leurs anamorphoses, leurs œuvres monumentales peintes sur les sols et les toits, leurs détournements des panneaux d'affichage, leurs œuvres vendues en galerie ou leur petit vandalisme du dimanche.
Si le film est aussi un conte moral sur la manière dont les deux plasticiens pirates élèvent leurs enfants, le pavé de papier est un kaléidoscope de points de vue où une vingtaine d'amateurs choisissent les angles qui leur parlent. À la demande des artistes, je me suis d'ailleurs prêté au jeu comme Babouillec, Yoann Bourgeois, Alexandre Chemetoff, Gilles Hittinger-Roux, Denis Lavant, Franck Le Feuvre, Maguy Marin, Pierre Meunier, François Rancillac, Martyn Reed, Rufus, Thomas Schlesser, Jordan Seiler. Si chacune et chacun se projette dans leurs récits graphiques suggestifs avec beaucoup de tendresse et de poésie, j'ai un petit faible pour les témoignages de l'ostéopathe Pierre Guichard ou l'auteur de spectacle Joël Pommerat qui dessinent merveilleusement les lignes vectorielles qu'Ella & Pitr tracent à l'encre sympathique. Les images sont somptueuses et le reportage littéraire qu'en livrent en prologue Sabine Bledniak, Sophie Pujas et Claartje van Haaften éclairent la démarche originale d'Ella & Pitr.
On arpente ainsi d'un pas de somnambule les rues de la planète dont les habitants sont parfois emboîtés dans des carcans géants ou au contraire sortent des murs comme des passe-muraille. Les contributions hétéroclites évitent les ronds de jambes en participant à cet univers magique où l'amour des gens n'évite pas la critique aiguisée et humoristique de notre société.

→ Ella & Pitr, Comme des fourmis, broché et couverture cartonnée, 22,2x26 cm, Ed. Alternatives (Gallimard), 35€, à paraître le 12 octobre 2017

vendredi 22 septembre 2017

Quasi quasiment


En cuisine la sérenpidité naît souvent en accommodant les restes. C'est toujours lorsque nous sommes seuls que je fais mes expériences culinaires, alors que je propose plutôt des recettes éprouvées aux amis qui viennent dîner. Cette fois je cherchais une manière de cuire un quasi de veau, une viande sublime élevée dans les Vosges en biodynamie par Loïc Villemin. Après avoir fait dorer les tranches saupoudrées de cacao j'ai terminé la cuisson dans une cocotte avec un bouillon de soja au kombu, thym sauvage et piment Bhut Jolokia. Françoise retenue à l'INA par la nouvelle masterisation de Mix-Up n'a pu partager mon déjeuner que j'accompagnai de galettes de courgettes au curry. Elle insiste régulièrement pour que j'exécute ces improvisations pour nos convives, ce à quoi je me plie à l'imprévu, mais reste sage aux dates programmées. Cela explique pourquoi je préfère monter en scène sans partition, non sans préparation. L'improvisation me transforme en funambule, perdant et retrouvant sans cesse l'équilibre pour ne pas tomber du fil. Le terme somnambule aurait pu aussi bien convenir tant l'inspiration est d'ordre et désordre poétiques, les épices et les rimes procédant de la même énigme...

jeudi 21 septembre 2017

Bas les pattes !


Les amoureux des chats me comprendront. D'autres me trouvent excessivement inquiet lorsqu'une de nos petites bêtes ne rentre pas de la nuit, jusqu'à penser que nous sommes obnubilés comme de vieux gâteux. L'accident d'Ulysse nous a passablement traumatisés. Certains amis empêchent leur chat de sortir la nuit, mais qu'est-ce qu'une vie de chat sans balades nocturnes ? Même lorsqu'il était à la campagne, Bernard cloîtrait totalement les siens de peur qu'il leur arrive quoi que ce soit. Nous avons changé de vétérinaire parce que l'ancien nous taxait de laxisme inconscient alors que la nouvelle nous sourit en disant que c'est juste un vrai chat. C'est tout de même idiot d'entretenir une litière lorsqu'on a un jardin, et ceux des voisins !
À l'approche d'Oulala et de ses deux petits, Django gronda bizarrement le matin précédent. Il a filé par le toit du garage, et quand il est rentré le soir il boitait. J'ai bien vu qu'il tenait sa patte avant droite en l'air, mais il ne s'est pas laissé approcher, disparaissant pendant deux jours. Il a fini par revenir, mais le coude avait encore enflé. Coup de griffe ou morsure d'un loubard du quartier, Django était bon pour la piqûre et les antibios. Il a heureusement repris ses gros câlins. Dès que les médicaments ont commencé à résorber l'abcès, il a demandé à sortir. Nous avons résisté un temps, et puis nous lui avons ouvert pour qu'il aille faire ses besoins, et là Françoise s'est fait blouser. Elle surveillait qu'il ne grimpe pas aux arbustes, mais Django est passé derrière elle en sautant en amont, preuve qu'il ne va pas si mal. On peut voir cette crapule sur le toit du garage. Le tout est qu'il vienne matin et soir prendre ses médocs.
Coline puis Anne-Laure et Olivier sont venus voir les chatons qui les suivront d'ici six semaines dans leurs appartements avec terrasse. Les petits mangent de tout, sont propres et font valser la chatière pour aller gambader. Leur mère n'arrête pas de les gronder parce qu'ils n'obéissent pas à la patte et à l'œil. Elle joue avec eux, leur apprend à se battre, va les chercher lorsqu'ils se cachent dans le tas de bois. Django accepte cette promiscuité à l'heure des repas. Tête contre tête, les quatre bestioles dévorent croquettes, pâtées, poisson, etc.
Ils font tous leurs griffes sur le tronc en ficelle et s'amusent comme des fous avec le tunnel en lin, deux accessoires géniaux que j'ai commandés sur le site Internet qui nous livre les kilos de nourriture mensuelle. Quant à la litière, provisoire le temps que les chatons s'habituent au jardin, nous avons définitivement opté pour celle au silice, biodégradable et compostable, qui ne se change qu'une fois par mois, ne pue pas et ne colle pas aux pattes.

samedi 12 août 2017

Vers le sud


Nous avons commencé notre descente vers le sud en nous arrêtant à Royan où Maman est en maison de retraite, proche de ma sœur qui passe la voir quotidiennement. L’exode leur réussit plutôt bien. Maman s’inquiète moins depuis qu’elle est bien entourée. Avec Françoise j’ai pu admirer les maisons cossues le long de l’océan, mélange des vestiges de la fin du XIXème siècle et des reconstructions des années 50 après les bombardements alliés qui ont rasé une bonne partie de la ville. Sur la plage nous avons cherché « où est Charlie ? », et puis préférant l’intimité du sable fin nous nous sommes baignés sous la pluie pour un dernier bain dans l’Atlantique. Vers La Palmyre les files de voitures garées n’en finissaient pas. Jean-Michel Couturier est passé me prendre pour travailler sur deux des applications qui seront présentées à l’automne à la Cité des Sciences et de l’Industrie lors de l’exposition sur les effets spéciaux au cinéma dont je compose la partition sonore avec Sacha Gattino


Nous avons continué notre périple vers Bazas au sud de Bordeaux où Sylvie et Serge nous attendaient pour nous montrer Saint-Macaire et les environs. Notre ami charpentier est un fin cuisinier et ses vins sont sa gloire, en dehors des maisons qu’il a bâties à commencer par la sienne où le bois revendique sa noblesse ancestrale et pérenne. Après une escale à Uzeste, nous avons continué ensemble jusqu’à la frontière espagnole où nos Pyrénées étaient dans la purée de pois.


Ma principale préoccupation avait jusqu’ici été de récupérer Oulala et Django avant chaque départ ! Nos deux chats sont très sages en voiture, mais les aléas du voyage réservent parfois des surprises. La plus étonnante est la naissance de deux chatons d’Oulala le lendemain matin de notre arrivée à Luchon ! Pendant ce temps Django aligne son tableau de chasse, mulots et campagnols ayant envahi les granges de L'espone. Il a la bonne idée de nous les ramener dans la chambre pendant la nuit, ce qui nous réveille chaque fois. Comme si l’orage ne suffisait pas ! La foudre éclairait le ciel toutes les secondes, le sol tremblait, c’était le bouquet… Mais nous sommes surtout inquiets des aller et venues de Django qui ne rentre pas toujours de ses pérégrinations nocturnes. Je le siffle, je crie son nom, sans succès. Nous espérons qu'il va retomber sur ses pattes, on raconte que c'est une qualité des chats.


J’ai photographié les chatons quelques heures à leur naissance. Ils se tiennent mutuellement chaud. Leur mère est beaucoup moins stressée que la première fois. Elle les laisse seuls tandis qu’elle court après les sauterelles et les lézards. Les deux petits, un mâle et une femelle, sont gris, un peu moins rayés que ceux de la portée précédente. Nous aurions bien aimé qu’elle en fasse un blanc, mais non, pas moyen ! C’est probablement encore Raymond le père, squatteur chez nous à ses heures, qui a depuis été castré. Nous ne savons pas encore si nous continuons l’élevage ou si nous ferons opérer Oulala à la rentrée.


Après deux jours de brouillard intense, le rideau s’est levé sur les sommets dont six font plus de 3000 mètres. S’alignent le Pic de Port-Vieux, la Mail Planet, le Pic de Boum, le Maupas, le Cabrioules, le Lezat, le Quayrat, le Petit Quirinal, la Coume de Bourg… Fiona et Jean nous ont rejoints, mais tout le monde est reparti. Nous attendons Karine, Sacha et Jasmin qui passent en coup de vent.


Lorsqu'il y a trop de brouillard nous franchissons le col du Portillon, faisons un gueuleton chez Er Occitan, les courses à Bossòst pour rapporter des charcuteries, des olives, du touron et du vin. Cette fois nous sommes montés admirer le village de Bausen. Les Espagnols savent préserver leur patrimoine, semble-t-il mieux que de ce côté-ci de la frontière (je suis repassé à l'Office du Tourisme de Luchon pour mettre en ligne mon article, le ciel est bleu ce matin sans le moindre nuage, si ce n'est l'absence de Django...).

mercredi 9 août 2017

Un avant-goût du festival d’Uzeste


Je n’avais pas revu Bernard Lubat depuis son retour à Uzeste il y a 40 ans. Avec Francis Gorgé et Bernard Vitet nous étions souvent invités dans la Compagnie qui portait son nom le temps qu’elle résida au Théâtre Mouffetard avant qu’elle s’enrichisse du suffixe de Jazzcogne. Même s’il a pris du poids il est plus facilement reconnaissable que moi qui portais alors la barbe et les cheveux longs. Le festival d’Uzeste dont le quarantième anniversaire s’y fête du 11 au 19 août prochains est devenu une institution pour les amateurs de jazz tous azimuts et de débats philosophiques hirsutes puisqu’y participent par exemple cette année Georges Didi-Huberman et Roland Gori.


Le soir où Serge Goacolou nous avait invités à dîner chez Stella & Bernard (encore un autre Bernard), Lubat avait rassemblé un orchestre de très jeunes musiciens pour jouer des standards d’hier et demain, Monk, Ellington, Miles, Mingus… et Lubat puisque la soirée s’est terminée par un bal improvisé, les convives ayant repoussé tables et chaises du jardin pour digérer l’exquis repas champêtre composé d’une soupe au pistou, de saltimboccas aux aubergines alla parmegiana et d’un nougat glacé, arrosé d’un Château Noguès 2009 de Dominique Bertram. Les tubes du maître sont parfaitement adaptés à la danse, et Antoine Chao retrouvé là et Françoise que l’on aperçoit au fond s’y sont déchaînés parmi les générations entremêlées.


Transmettre ce que ses aînés lui ont légué a toujours été une priorité pour ce musicien exceptionnel. Bernard Lubat a formé quantité de jazzmen et non des moindres depuis la création du festival dans la ville où ses parents tenaient L’Estaminet. Le père jouait de la batterie et de l’accordéon et le môme de suivre dès ses quatre ans. Je l’avais connu percussionniste et arrangeur, il tenait ce soir-là le clavier avec une virtuosité transparente que j’avais salué dans cette colonne lors de la parution de ses Improvisions au piano en CD.


Le timbre de l’instrument est aigre comme un orgue claveciné, et il y a samplé sa voix onomatopique dont il joue sur les touches noires et blanches tandis que le guitariste Fabrice Viera, qui codirige le festival, chante et produit toutes sortes de bruits vocaux très à propos pendant les improvisations du trompettiste Paolo Chatet, du saxophoniste Mathis Polack, du bassiste Jules Rousseau, de Thomas Boudé également à la guitare et du fiston Louis Lubat à la batterie.


Dans le jardin où nous avons dîné seront exposées les sculptures en bronze de Serge pendant le festival. On pourra aussi entendre Michel Portal, Louis Sclavis, Laure Duthilleul, Vanina Michel, Vincent Courtois, Dominique Pifarély, Jacques Di Donato, François Corneloup, Simon Goubert, Sylvain Darrifourcq, Valentin Ceccaldi, Joëlle Léandre, Yves Chaudouët, Juliette Kapla, Rita Macedo, Papanosh, André Minvielle, Jacques Bonnafé et tant d’autres figurant dans le programme de 48 pages… Comme partout Françoise fit remarquer à Lubat que son orchestre manquait de filles, ce à quoi il répondit que pour faire danser il fallait que ça envoie. Oublie-t-il les qualités multiples de Sophie Bernado, Yuko Oshima, Ève Risser, Fanny Lasfargues, Anne Pacéo, Linda Edsjö, Hélène Labarrière et bien d’autres ?

mercredi 12 juillet 2017

Le monde à l'envers


Dans l'ordre de la nature, dans la nature des choses, dans les choses de la maison, les chats vous débarrassent des souris d'une manière ou d'une autre. La présence féline les fait choisir des havres moins dangereux. Django a pris l'habitude de rapporter ses proies glanées dans le quartier et les occire sur la moquette blanc crème du premier étage. Le rituel ne varie pas. Il les planque derrière les enceintes du home cinéma et chaque matin de cinq à six il jongle jusqu'à ce que le pauvre petite bête ne bouge plus. Hier après-midi j'ai senti une présence dans notre chambre à coucher en retirant de l'armoire une de mes nouvelles chemises hawaïennes, comme une queue qui se faufilait à mes pieds. C'était certainement une souris que le matou avait rapportée et qui lui avait échappé. Françoise est allée le chercher et il n'en fit ni une ni deux. Le soir c'était au tour de Oulala de passer la chatière sa proie entre les dents. Elle entendait probablement donner une leçon de chasse à sa fille (photo avec leurre !) qui malencontreusement laissa s'enfuir la bestiole sous les plans de travail de la cuisine. Nous avons donc des chats qui au lieu de nous éviter d'avoir des souris à la maison, contrairement aux voisins, nous en rapportent quotidiennement. Or nous n'avons nullement l'intention d'en faire l'élevage, même pour amuser nos chatons qui sont déjà gâtés en jouets de toutes sortes. J'avoue ne plus savoir quoi faire devant ce dysfonctionnement de l'écosystème.

mardi 11 juillet 2017

Tentative d'expulsion des Baras à Gallieni


Alors que Libération (qui l'a finalement publiée une heure après ce blog) et Le Monde tergiversaient depuis cinq jours en exigeant l'un et l'autre l'exclusivité de cette tribune à contenu humanitaire, les Baras repoussaient une nouvelle expulsion à Gallieni. Les soutiens appelèrent un maximum de monde à s'y rendre, mais tout est craindre dans les heures qui viennent...

Redonnons sens à notre tradition d’asile, Monsieur le Premier ministre !
… à commencer par les deux cents Baras, Africains sans papiers, expulsés et à la rue dans le 93

Elle n’était pas jolie la tradition d’asile de la France, jeudi 29 juin, lors de l’expulsion par les CRS de deux cents Africains sans papiers, installés depuis plus de trois ans à Bagnolet (93) dans un bâtiment inoccupé. Pourtant, Monsieur le Premier ministre, n’est-ce pas à cette tradition que vous voulez redonner sens, ces prochains jours, par un ambitieux plan d’action ?
Ces Baras (travailleurs en bambara) vivaient et travaillaient en Libye, jusqu’à ce que la guerre les contraigne, en 2011, à fuir et à se réfugier en France. Depuis, ils n'ont connu pour toit que la rue, ou au mieux des bâtiments inoccupés, comme celui de la rue René Alazard à Bagnolet. Chaque fois, ils en ont été expulsés. Comme jeudi dernier !
Alors où est-elle, Monsieur le Premier ministre, cette tradition française d’asile que vous invoquez ? Certainement pas à Bagnolet, où ces hommes contribuaient au vivre ensemble du quartier de la Dhuys : ils surprenaient par leur dignité les riverains. Chaque matin, les Baras quittaient Bagnolet pour aller travailler « au noir », qui dans le nettoyage, qui dans le bâtiment, le gardiennage ou la restauration. Exploités, comme tant d'autres sans-papiers. Aujourd'hui expulsés, ces hommes se retrouvent sur le trottoir, à la sortie du métro Gallieni sous le pont de l'échangeur. Bénéficiant de la solidarité de leurs anciens voisins et soutiens qui leur apportent nourriture et équipements, ils dorment à même le sol, le préfet leur interdisant matelas et tentes.
Monsieur le Premier ministre, puisque vous semblez attaché à redorer cette tradition d’asile à laquelle vous vous référez, commencez donc par ces hommes, qui vivent et travaillent en France depuis des années, s’organisent comme ils peuvent avec leur collectif dans une remarquable dignité. Écoutez-les, écoutez leurs voisins, répondez enfin à leurs demandes, démarches entreprises depuis des années auprès des pouvoirs publics et qui, toutes, ont été rejetées. Donnez des instructions pour étudier leur dossier de régularisation, pour leur trouver des hébergements pérennes qu’ils sont prêts à louer.
Monsieur le Premier ministre, refusez avec nous, signataires de cet appel, cette logique répressive et haineuse à l'égard des Baras de Bagnolet, comme des migrants en général, qui salit l’image de notre pays. Faites cesser les traitements humiliants et dégradants dont tous sont victimes !

Christophe Abric, producteur La Blogothèque / Aline Archimbaud, sénatrice / Blick Bassy, musicien / Elsa Birgé, chanteuse / Jean-Jacques Birgé, compositeur de musique / Laurent Bizot, producteur de disques / Geneviève Brisac, écrivaine / Étienne Brunet, musicien / Marie-Laure Buisson-Yip, professeur d’arts plastiques / Dominique Cabrera, cinéaste / Robin Campillo, cinéaste / Laurent Cantet, cinéaste / Denis Charolles, musicien / Nicolas Chedmail, musicien / Catherine Corsini, cinéaste / Didier Daeninckx, écrivain / Corinne Dardé, vidéaste / Benoit Delbecq, musicien / Pascal Delmont, directeur d'entreprise / Alice Diop, cinéaste / Ella & Pitr, peintres / Éric Fassin, sociologue / Léa Fehner, cinéaste / Pascale Ferran, cinéaste / Emmanuel Finkiel, cinéaste / Marie-Christine Gayffier, peintre / Thomas Gilou, cinéaste / Speedy Graphito, peintre / Antonin-Tri Hoang, musicien / Nicolas Klotz, cinéaste / Rémi Lainé, cinéaste / Olivier Marboeuf, directeur de Khiasma / Yolande Moreau, comédienne et réalisatrice / Elisabeth Perceval, cinéaste / Laurence Petit-Jouvet, cinéaste / Fiona Reverdy, peintre / Jean Reverdy, peintre / Colas et Mathias Rifkiss, cinéastes / Denis Robert, journaliste et écrivain / Françoise Romand, cinéaste / Christophe Ruggia, cinéaste / Raymond Sarti, scénographe / Céline Sciamma, cinéaste / Vincent Segal, musicien / Pierre Serne, conseiller régional / Claire Simon, cinéaste / Bernard Stiegler / philosophe, Henri Texier, musicen / Élise Thiébaut, écrivaine / Sun Sun Yip, plasticien / LDH Les Lilas/Bagnolet / RESF Les Lilas / Bagnolet

(pour information, le communiqué de la LDH sur la déclaration du premier ministre)

page Facebook des Baras et de certains soutiens

Do Mi Si La Do Ré


Depuis que nous habitons un pavillon de banlieue en lisière de Paris, c'est la fête des voisins tous les jours. Toute mon enfance j'avais vécu en appartement et je ne connaissais aucun des habitants de l'immeuble, sauf pour se plaindre de la musique que je faisais hurler dans ma chambre d'adolescent. Au mieux nous nous saluions dans l'ascenseur sans vraiment nous regarder.
À 24 ans je louai un bout de maison sur la Place de la Butte aux Cailles, au 7 rue de l'Espérance, qui était en surface corrigée et que Charlotte Latigrat et Martin Even quittaient. La loi de 1948 obligeait les propriétaires à baisser considérablement les loyers de logements non conformes aux exigences de confort d'alors. La salle de bain et les toilettes donnaient directement sur la cuisine et la chambre du premier étage n'était accessible que par une échelle de meunier. Je payai ainsi une bouchée de pain pour un duplex avec deux chambres et même un garage. Une trappe s'ouvrait sur une grande cave transformée en salon qui me servit de studio d'enregistrement pendant huit ans. Angèle et Maurice, mes voisins octogénaires eurent la gentillesse de se séparer de leur coucou suisse accroché sur le mur mitoyen de l'endroit où je dormais. Ces titis parisiens, vieux communistes vivant avec une retraite misérable, avaient le cœur sur la main et je pense chaque fois à eux lorsque je passe devant le cimetière de Gentilly. Je me souviens d'une engueulade avec notre propriétaire commune où Angèle lui lâcha "Vous en avez plus à chier que moi à manger !".
Lorsque je rencontrai la future mère de ma fille je déménageai boulevard de Ménilmontant dans un loft immense qui faisait figure pour moi de palais des mille et une nuits. Les premières années de cohabitation avec les autres habitants de l'immeuble furent idylliques. La nuit nous n'avions personne au-dessus ni en dessous de nous. Nous avions tous des enfants à peu près du même âge et nous n'avons jamais eu besoin de baby-sitter. Nous rendant des services mutuels, soit nous n'avions pas d'enfant, soit nous en avions trois ou quatre. Au départ il y avait une dizaine de petites filles et un seul garçon ! Nous avons fait des fêtes d'immeuble extraordinaires dans la cour jusqu'à ce qu'une agence de photos travaillant pour la pub s'installe là et casse l'ambiance. Tous les vendredis deux cents convives dansaient au dessus de nos têtes dans un rituel répétitif insupportable. La baignoire débordait de bouteilles de Champagne et jamais la gauche caviar ne porta jamais si bien son nom. Ces quadras mal élevés ne nettoyaient jamais l'escalier après avoir vomi leurs excès alcooliques et leurs retrouvailles hebdomadaires puaient le machisme des copains de régiment. J'étais heureux de quitter ce lieu qui perdit progressivement son âme.
Je vécus en sursis deux ans dans un pavillon de Clamart qui représentent pour moi la seule erreur fondamentale de ma vie, l'éloignement de tout transport en commun n'étant pas la raison de cette faille, mais une erreur de casting dont je me remis heureusement en acquérant ma maison de Bagnolet. Après quelques tâtonnements je retrouvai mon équilibre grâce à ma rencontre avec Françoise et la proximité retrouvée avec ma fille alors encore adolescente. Aussitôt arrivé ici, je me fis quantité d'amis dans le voisinage.
Je me demande si tout le monde partage la même expérience, mais il me semble que vivre dans la promiscuité d'un immeuble pousse ses habitants à garder leurs distances alors que l'isolement relatif des pavillons crée des liens de solidarité avec les autres riverains. Notre quartier est particulièrement agréable, car il reste irrigué de commerces et il existe un tissu mélangé où les entreprises sont encore présentes. La proximité de Paris, accessible à pied et sans que le Périphérique soit perceptible, donne l'impression d'un vingt-et-unième arrondissement où de nombreuses familles se sont installées récemment, préférant une grande surface, voire un jardin, à l'immersion concentrationnaire parisienne. Nous avons ainsi quantité de nouveaux amis depuis notre emménagement ici il y a une quinzaine d'années, sans compter les rapports indispensables de bon voisinage. Rien qu'en face, par exemple, cinq des huit lofts sont occupés par des personnes qui sont devenus des proches, et dans le quartier le nombre des connaissances est incalculable. La Dhuys est une sorte de village où la solidarité est quotidienne. On l'a vue lors de l'expulsion des Baras par les CRS la semaine dernière. C'est probablement lié à nos activités locales, politiques, citoyennes ou simplement riveraines.
Dimanche soir, Juliette Dupuy nous a envoyé cette superbe photographie de notre maison depuis ses fenêtres sur lesquelles une gouttière tordue déversait des trombes d'eau. Le lendemain matin je suis d'ailleurs allé déboucher l'évacuation du jardin pour éviter l'inondation du garage et j'ai vérifié que les surélévements de la cave faisaient leur office. J'en ai aussi profité pour enregistrer les coups de tonnerre dont les premières déflagrations nous avaient réveillés. Les chats étaient déjà rentrés se blottir au sec, non sans avoir laissé traîner une souris assassinée devant la porte de notre chambre. Vider le quartier de ces petits rongeurs est leur contribution à la solidarité évoquée plus haut.

jeudi 1 juin 2017

Le technicien prend la main


Il y a des jours où l'on devrait être occupé à autre chose. Mais voilà, ce matin-là j'avais du temps à perdre. C'était censé m'en faire gagner à l'avenir. J'ai donc tenté de résoudre un des 1001 problèmes domestiques laissés de côté et pour lequel il faut parfois attendre dix ans avant de s'y pencher. Ou bien jamais. Peu adepte de la procrastination, j'aurais plutôt tendance à laisser tomber instantanément l'affaire en cours pour répondre à un appel à l'aide. Je ne suis pas non plus du genre à m'avouer vaincu, comme cette fichue clef du coffre-fort si bien cachée que nous sommes toujours à sa recherche trois ans plus tard. Ce n'est pas qu'il abrite nos économies, il y a juste ma modeste collection numismatique d'enfant, mais c'est rageant.
Alors voilà, contrarié de ne pas réussir à synchroniser le Calendrier sur mes MacBook Pro, iPad Pro et iPhone 6S, j'ai tenté de les synchroniser via iTunes plutôt que iCloud qui résistait à mes injonctions. Ayant fait chou blanc et revenu à iCloud, j'ai simplement bloqué mon Calendrier dont une fenêtre était ouverte avec le panneau "Déplacement des calendriers vers le serveur". J'eus beau forcer à quitter, redémarrer, après avoir décocher, recocher, les flèches n'atteignaient jamais leur cible.
J'ai donc composé le 0 805 54 00 03, numéro d'Apple Assistance qui m'a répondu aussitôt. Après m'avoir fait jeter quelques 100 000 fichiers (je n'exagère pas, mais les manipulations furent heureusement beaucoup moins nombreuses), mon ordinateur est redevenu tout neuf ou plutôt frais comme un gardon. Le service est gratuit (pas le coût de téléphone, mais ce n'est pas grand chose, vous pouvez aussi vous faire rappeler et là c'est vraiment gratuit), même à y passer des heures comme avec Françoise dont les problèmes semblent plus complexes que les miens. Le technicien a donc pris la main sur mon ordinateur, ou plus exactement, avec sa flèche rouge à lui, il m'indiquait les manipulations que je devais exécuter, condamnant à mort des fichiers devenus inutiles avec le temps. Après avoir brillamment résolu mon problème, il me conseilla de me connecter désormais à iCloud en cas de pépin similaire. Pour compléter ma formation, il me suggère de régulièrement réinitialiser le contrôleur de gestion du système (SMC) de mon Mac et réinitialiser sa mémoire NVRAM. Je ne résume rien, le plus sûr est que vous cliquiez sur ces deux liens. Il ajouta que pour mon tour Mac Pro il était par contre nécessaire de débrancher tous les câbles, pas seulement l'électricité, et ensuite d'appuyer 15 secondes sur le bouton d'allumage... J'allais oublier de souligner qu'il ne faut jamais jeter à la poubelle ou transformer de quelque manière que ce soit des sauvegardes de Time Machine sans provoquer une catastrophe menant au formatage de l'ordinateur, rien que ça !
En tout état de cause je n'ai pas perdu ma matinée, et pour fêter cela je suis parti avec Armagan faire des emplettes gastronomiques à l'Istambul Market de Noisy-le-Sec. Le petit bistro d'à côté y fait de délicieuses lahmajouns qui ne coûtent que 2,50€. Sur la route la file de voitures faisant la queue aux pompes à essence encore pourvues s'allongeait à vitesse V. Nous sommes rentrés tranquillement par Romainville et Les Lilas où les petits pavillons fleuris respiraient un air de vacances. Ayant presque tout dévoré avant de penser à illustrer mon article, il ne me restait que les çig kofte moulées à la main (on reconnaît la trace des phalanges sur la photo), où la viande crue est remplacée par de la semoule comme on le pratique à Istambul...

mardi 23 mai 2017

Dramaticules de Dominique Fonfrède et Françoise Toullec


Des borborygmes ? De la Ursonate de Kurt Schwitters au monologue surréaliste de Salvador Dali en passant par les poètes lettristes et le yaourt des rockers français, les langages inventés en réfléchissent l'essence au delà du sens. Pourtant, le passé de comédienne et le talent d'auteur de la chanteuse Dominique Fonfrède confèrent à ses élucubrations vocales une dramaturgie qui les transforme en saynètes tragicomiques proches de Tex Avery ou Samuel Beckett dont elle revendique ses "dramaticules". Les seize pièces du CD, improvisées et hautement préparées avec la pianiste Françoise Toullec, laissent à l'auditeur sa part d'interprétation, autant d'évocations d'une mécanique déréglée qui différencierait l'homme des autres espèces animales. Préparé, le piano l'est aussi, des gommes de Robbe-Grillet à un mikado fragment d'une chronologie du hasard, d'un balai d'apprenti-sorcier aux ficelles du métier qui sont évidemment dans ses cordes. La rencontre est virtuose. Le concert l'avait déjà prouvé. On se laisse prendre par le vertige quand Fonfrède déballe un extrait de l'Épopée de Grabinoulor du pré-surréaliste Pierre Albert-Birot. Pour faire passer leur originalité fondamentale, exercice acrobatique où l'humour permet de prendre ses distances avec le drame de l'existence, les deux musiciennes convoquent Jacques Tati, Francis Ponge, Bobby Lapointe, György Kurtag, Alain Louvier, Georges Simenon et le petit chaperon rouge. Mais ont-elles vraiment besoin d'aucun prétexte pour leur douce folie qui n'est autre que la lucidité des poètes ?

Dominique Fonfrède et Françoise Toullec, Dramaticules, CD Gazul Records, dist. Musea, 14,99€

mercredi 17 mai 2017

Cinq allitérations musicales par Bernado-Birgé-Edsjö (vidéos)


Mon incisive manquante m'avait donné l'idée du thème du concert de la semaine dernière au Triton, Défauts de prononciation. J'ai photographié mon plus beau sourire avec le vide intersidéral plongeant, mais c'était vraiment trop gore pour illustrer ce billet, déjà que je ferme les yeux à chaque opération de la série The Knick que je regarde ces soirs-ci. Clive Owen y est très bien dans le rôle du chirurgien junkie, et Steven Soderbergh a réalisé tous les épisodes, fait la lumière sous le pseudonyme de Peter Andrews et le montage sous celui de Mary Ann Bernard, encore un Shivaïste ! Le trou dentaire ne collait pas avec la délicatesse du concert de vendredi dernier. Nous avons donc virtuellement renfilé les doudounes de l'hiver 2015 et clic clac c'était déjà dans la boîte. Je passe récupérer le multipistes ce matin aux Lilas, mais en attendant j'ai monté les rushes que Françoise a tournés depuis le balcon...


La première allitération en ligne est Flyg fula fluga och den fula flugan flög (Envole-toi, mouche moche, et la mouche moche s'est envolée, 2'51). Le basson de Sophie Bernado répond à la voix de Linda Edsjö tandis que je joue du cristal au clavier. Le fait que la phrase soit suédoise convient évidemment parfaitement à Linda, native de Stockholm.


L'accent nordique de Linda et celui du sud de Sophie ont validé mon idée de prendre pour titres et thèmatiques des allitérations. La seconde ici est danoise. Oh miracle, Linda s'y entend aussi dans cette langue, d'autant qu'elle est diplômée de l'Académie Royale de Copenhague ! Sur Ringeren i Ringe ringer ringere end ringeren ringer i Ringsted (Le clocher de Ringe sonne moins bien que celui de Ringsted, 6'30) elle joue aussi du vibraphone et de la batterie. Sophie se contente de sa voix, elle qui est du Gers, le CNSM ne l'ayant pas formatée à l'accent pointu. Enfin, seul autodidacte de la bande, il est rare que je n'entende qu'un son, puisque je joue de plusieurs cloches au clavier, plus une touche de zoziaux printaniers.


Sju sjösjuka sjöman sköttes av sju sköna sköterskor på skeppet Shanghai (7 jolies infirmières se chargent de 7 marins qui ont le mal de mer sur le navire Shangaï, 6'36) ne se prononce pas du tout comme on pourrait le croire. Linda est encore à l'honneur pour essuyer les plâtres. Remarquez que j'ai réussi à taper le å avec son petit rond sur la tête, on dit "a rond en chef", en tenant alt-majuscule-§ sur mon Mac ! J'enchaîne le navire dans la tempête, le koto, le rythme des machines, une flûte tandis que Linda vocalise, vibraphonise et percute, Sophie se cramponnant à son grave instrument à anche double.


Nous avons aussi dialogué sur Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur nos têtes / Peter Piper picked a peck of pickled peppers. If Peter Piper picked a peck of pickled peppers, where's the peck of pickled peppers Peter Piper picked? / Tas de riz, tas de rats, tas de riz tentant, tas de rats tentés, tas de riz tentant tenta tas de rats tentés, tas de rats tentés tâta tas de riz tentant / She sells seashells by the seashore. The shells she sells are surely seashells. So if she sells shells on the seashore, I'm sure she sells seashore shells, mais je n'avais pas matière cinématographique pour en réaliser un petit montage. Contentons-nous de Y a pas d'hélice hélas, c'est là qu'est l'os (6'06) issu du dialogue du film La grande vadrouille. Je joue de la trompette à anche et du clavier, Linda de la batterie et Sophie chante et passe au basson.


Comme nous avions épuisé notre répertoire au demeurant totalement improvisé, j'ai demandé si quelqu'un dans la salle pouvait nous proposer une de ces phrases vachardes que nous serions heureux d'exécuter aussitôt comme un dit d'un condamné. Avant que Jean Bonnefoy nous suggère Si six scies scient six cyprès, combien scient six cent six scies ? Si six scies scient six cyprès, six cent six scies scieront six cent six cyprès (7'05), Pépito Matéo, qui était probablement entré là parce qu'il avait vu de la lumière, nous propose Six chats chauves assis sous six souches de sauge sèche. Nous en fûmes très inspirés, même si à la maison nous n'en avons actuellement que cinq en comptant les trois chatons d'un mois qui seront appelés à voler de leurs propres ailes dès juillet prochain... Mes deux camarades miaulent ainsi un duo adéquat que j'accompagne au Tenori-on, avant que Linda ne passe au vibra et que je dégonfle ma baudruche... Pour terminer, l'ordinateur a travaillé toute la nuit pour que ces instantanés voient le jour.

mardi 16 mai 2017

Le voile de glace


Deuxième étape après la greffe osseuse il y a six mois jour pour jour, la pose du pivot de l'implant. À part les deux premières piqûres un peu désagréables dans la lèvre supérieure, l'opération est tranquille. Le réveil est sensible, mais rien de terrible. La glace calme la douleur. Je mange froid et liquide. Je ne mets mon appareil que pour sourire, un palais rose avec une fausse dent tenu par deux crochets. Parler sans est très fatigant. La fuite d'air large comme une incisive épuise rapidement. Mais j'arrive à jouer de tous mes instruments, même mes guimbardes. Pourtant au dernier concert avec Sophie Bernado et Linda Edsjö je suis resté essentiellement au clavier. Ce n'est pas très spectaculaire, mais l'image doit-elle primer sur la musique ? Paradoxalement elle aide souvent à comprendre ce qui se passe, tant dans la tête des interprètes que pour les structures de l'œuvre. Je recopie les rushes que Françoise a tournés au Triton vendredi soir et le multipistes audio qu'il me faudra mixer pour retrouver l'équilibre exact avec les voix, le basson et la percussion. C'est seulement alors que je pourrai évaluer ce que nous avons produit. En attendant ce ne sont que spéculations, même si le public semble avoir beaucoup apprécié nos Défauts de pronciation, sujet induit directement par mes aventures chirurgicales chez le dentiste et extrapolées aux accents du nord et du sud de mes deux comparses, Linda étant suédoise et Sophie gersoise... Lorsque je n'arrive pas à penser à autre chose, je fais fondre Berthillon sur ma gencive, puisque la glace est recommandée !

lundi 15 mai 2017

Au jour le jour pour toujours


Lors du vernissage de l'exposition Au jour le jour pour toujours à la Galerie Lefeuvre (jusqu'au 10 juin 2017), Ella & Pitr dédicacent leur très beau catalogue dont je reproduis ici le texte de présentation qu'ils m'ont commandé et qui se retrouvera également dans la monographie que publieront en septembre prochain les Éditions Gallimard dans la collection Alternatives...

La mélodie du bonheur

Les images d’Ella & Pitr ont quelque chose de cinématographique, saynètes muettes dont la partition sonore se déroule hors-champ, mixée avec les bruits de la rue ou les murmures d’une galerie d’art dont les commentaires sont souvent décalés. Insérés dans des décors qu’ils choisissent avec soin, leurs contrepoints figuratifs invitent à des interprétations variées que les amateurs de tableaux et de bandes dessinées peuvent retrouver dans l’Histoire de la peinture, depuis les Carpaccio de la Scuola di San Giorgio degli Schiavoni à Venise jusqu’aux monochromes de Jacques Monory. Ces instants saisis dans le feu de l’action ouvrent souvent vers un ailleurs simplement suggéré. La part du rêve est encore plus évidente chez leurs géants endormis, la ville entière glissant alors dans le monde des songes, encadrée par un immense phylactère virtuel tendant vers l’infini, car c’est bien de la Lune que l’effet est le plus réussi.

En voyant arriver le couple accompagné de leurs deux fils, Piel et Äki, je pense chaque fois à la famille Trapp dans le film de Robert Wise, The Sound of Music (La mélodie du bonheur). Si la chanson My Favorite Things, tirée de la comédie musicale originale sur Broadway, est devenue un des plus fameux standards du jazz grâce à John Coltrane, elle évoque les souvenirs délicieux que chacun collectionne comme autant de petites madeleines qui forgent le caractère et dessinent son autoportrait. Pourtant, dès que l’un des membres du quartet familial déploie l’humour incisif qui les caractérise, je devrais plutôt me référer à celui du japonais Takashi Miike, Katakuri-ke no kōfuku (The Happiness of the Katakuris ou La mélodie du malheur), pastiche d’épouvante hilarant, lui-même remake du film coréen Choyonghan kajok (The Quiet Family) ! Les associations d’idées et les jeux de mots font aussi partie de la panoplie du couple.

Raconte-moi une histoire !

Ella & Pitr sont des conteurs. Comme les caricaturistes de presse, ils croquent leurs personnages, ou plus exactement des situations. Elles nous interrogent, parce qu’il suffit d’un léger décalage par rapport au réel pour que nous soyons à même de nous faire notre propre cinéma. Orson Welles suggérait d’enlever ne serait-ce qu’un seul paramètre à la réalité, comme par exemple la couleur, pour qu’aussitôt naisse la poésie. Sans paroles, les œuvres d’Ella & Pitr laissent libre champ à l’interprétation de chacun. Or, dans notre monde saturé d’informations audiovisuelles, le son s’insinue partout sans que nous y prenions garde. De cet aller et retour entre leurs images et les sons involontaires qui les accompagnent, naissent de nouvelles histoires qui se renouvellent selon l’heure, le lieu et les spectateurs. Chez nombreux artistes, certains tableaux laissent songeurs les visiteurs, les laissant imaginer des scénarios inattendus que leurs auteurs n’auraient jamais supposés.

Or le son a toujours possédé un pouvoir évocateur bien supérieur à l’image, bénéficiant justement d’un hors-champ poussant les limites du cadre jusqu’à perte de vue. Découpant certaines de leurs affiches aux ciseaux et au cutter, détourant leurs personnages, Ella & Pitr suppriment le cadre en les insérant dans le décor. Ici et là ils suggèrent un élément sonore, dans le feu d’un mouvement ou l’immobilité d’un sommeil inéluctablement fragile. Mais leur meilleur allié est l’inconnu, l’impondérable, l’accident, l’éphémère, produisant chaque fois une nouvelle interprétation, autant d’histoires qui commencent par « Il était une fois… »

Ami, qu’entends-tu ?


J’ignore pourquoi j’entends, si ce n’est par (dé)formation professionnelle. Mon rôle de compositeur m’est dicté par ma sensibilité au contrechamp face à l’accumulation d’images que notre société empile jusqu’à l’étouffement. La simplicité de celles d’Ella & Pitr, version contemporaine d’une ligne claire réactualisée, ou leur taille démesurée sur le toit des immeubles, les extraient du brouhaha de la ville. Ainsi me font-elles tendre l’oreille ! Quel bruit fait l’affiche que l’on arrache du mur ? Que vous évoque le son de la brosse s’enfonçant dans la colle ? Ella & Pitr murmurent-ils lorsqu’ils arpentent la nuit pour placarder leurs histoires sans paroles ? Quelle fascination les images produisent-elles chez les musiciens ?

Je n’ai pas besoin d’imaginer ce que tout cela m’évoque puisque je me suis déjà plusieurs fois plié à l’exercice, en particulier pour Baiser d’encre, long métrage réalisé par Françoise Romand dont les héros sont Ella & Pitr ! Sa partition sonore que j’ai composée mélange des sons d’animaux, des ambiances urbaines ou météorologiques, des bruitages fantaisistes, des instrumentaux choisis pour leurs matières et des chansons dont les paroles révèlent les coulisses de l’exploit. Leurs animaux font carnaval comme celui de Camille Saint-Saëns qui y avait sarcastiquement inclus les pianistes ! Le cheval hennit, l’éléphant barrit, le corbeau croasse, les grenouilles coassent, les flamants roses cancanent, la pieuvre s’étale, le chien aboie, la caravane passe… L’usage des instruments, marimba, lithophone, harmonica, guimbarde et sons électroniques, est probablement hérité des facéties de Sergueï Prokofiev dans Pierre et le loup, écouté lorsque j’étais enfant. Quant à la chanson Mécaniques Cantiques, elle s’inspire de Jean Cocteau qui suggère qu’il n’existe rien de petit ni grand, mais seulement de loin ou de proche. S’y ajoute une métaphore polissonne incitant à la reproduction dont le drame surréaliste d’Apollinaire, Les mamelles de Tirésias, est probablement à l’origine, cousin de L’homme-tétons d’Ella & Pitr.

L’ensemble doit créer un univers à part, comme leurs créations, qu’elles soient miniatures ou démesurées. Elles empruntent au quotidien leur inspiration, fictions qui à leur tour s’immiscent dans leurs échanges familiaux pour vivre comme dans un rêve avec les contingences que la société impose. Françoise Romand a su capter cet aller et retour où les contradictions et les interrogations deviennent le moteur d’un conte moral. La mélodie du bonheur, vous disais-je !

Revenons à nos boutons…


Les machines d’Ella & Pitr ne sont nullement célibataires, mais conjugales, voire familiales. Ils ont commencé par mêler leurs pinceaux en un ballet érotique où chacun ne reconnaît plus ses membres. Devenus rapidement parents, ils exploitent parfois les dessins de leurs jeunes enfants en les mêlant aux leurs, avec une honnêteté dont il faut proscrire toute naïveté. Nous savons bien que les enfants développent une créativité incroyable jusqu’à l’entrée à l’école primaire. On leur impose alors hélas les réponses avant qu’ils n’aient le temps de formuler les questions. Piel et Äki ont des chances de plus tard conserver leur âme d’enfant comme leurs parents artistes. On le leur souhaite, passé les révoltes indispensables de l’adolescence ! C’est bien dans le refus de la norme que réside la créativité. Ne pouvant accepter le monde tel qu’il est, les artistes s’en inventent de nouveaux. Ceux d’Ella & Pitr peuvent être critiques, ils sont toujours joyeux, pleins d’un bonheur de vivre communicatif.

Pour se faire, tous les moyens sont bons. Entendre qu’ils utilisent tous les outils de leur temps, à commencer par les bombes de peinture qui valurent à Pitr quelques mésaventures avec la loi. Ils utilisent aussi bien le dessin dans leurs carnets de croquis que la peinture à l’huile sur les toiles vendues rue du Faubourg Saint-Honoré. Mais la photographie, la vidéo, l’ordinateur sont requis tout autant. Pour leurs hyper grands formats ils utilisent un drone qu’ils téléguident. Dans la rue ils ne peuvent faire un pas sans coller des stickers ici et là. Certains jours ils construisent le Cacatelec, un étron en résine téléguidé, ou décorent une plaquette de chocolat. Ils montent des spectacles incroyables avec leurs amis et construisent d’immenses anamorphoses… Leur fantaisie n’étant pas guidée par l’appât du gain, ils ont la liberté d’inventer sans penser au rendement. Ils collent généreusement dans l’espace public, sachant qu’aujourd’hui leurs œuvres se vendront ailleurs, dans des espaces réservés aux collectionneurs, effet mérité de l’éphémère initial.

La route à quatre voix

Depuis qu’Ella & Pitr se sont rencontrés il y a une dizaine d’années, ils n’ont pas cessé de bouger. Il est impossible de deviner ou leur imagination les mènera. Sur la Lune s’ils continuent à grandir ou gravant des grains de riz si l’envie les en prend ? S’ils passaient au cinéma, serait-il d’animation ou choisiraient-ils des acteurs ressemblant à leurs anges et autres clochards célestes ? Si c’était en musique Pitr s’affranchirait-il du rap ou inventeraient-ils le son de ce dont sont faits les rêves ? Il est possible qu’à trimbaler Piel et Äki sur tous les chemins de la planète, les deux mômes finiront par prendre le dessus et faire virer les vieux de bord. Chez eux la jeunesse semble pourtant éternelle, or le temps n’est qu’un mille-feuilles quantique auquel nous participons pour si peu. En attendant, Ella & Pitr nous font sourire en interrogeant l’univers dans lequel nous gravitons et en instillant un peu de poésie dans notre quotidien qui a bien besoin d’une révolution.

Tableaux : Ella & Pitr, Carnaval dans le miroir, L'effrontée et deux Fonds de tiroir

vendredi 14 avril 2017

Paul Verhoeven à l'œil nu


C'est en écoutant il y a 15 ans le commentaire de Paul Verhoeven sur le DVD de Starship Troopers que je me suis penché sur le travail du cinéaste hollandais. Le film était compris de travers par une partie des spectateurs qui le prenaient pour un film fachiste et Verhoeven se marrait en le regardant, avec une franchise que l'on retrouve tout au long de l'entretien livré à Emmanuel Burdeau sur l'intégralité de sa carrière. Le journaliste est allé l'interviewer chez lui à La Haye pour une conversation à bâtons rompus où le jeune réalisateur de 78 ans évoque ses films depuis ses premiers en Hollande jusqu'à Elle qui a fait récemment parler de lui, en particulier pour la prestation d'Isabelle Huppert. J'avoue avoir dévoré le petit bouquin qui m'a donné envie de découvrir les films de ses débuts (de 1971 à 1985 : Turkish Délices, Katie Tippel, Soldier of Orange, Spetters, Le qautrième homme, La chair et le sang). Robocop m'avait déjà intrigué, j'avais adoré Total Recall d'après Philip K. Dick, trouvé Basic Instinct un peu superficiel (Françoise possède un exemplaire tapuscrit du scénario !), Showgirls sous-évalué, Starship Troopers génial, Hollow Man banal, Black Book formidable, Tricked intéressant, et Elle ne méritait pas ni ses critiques ni ses louanges.
Appréciations expéditives, mais Paul Verhoeven figure pour moi un de ces auteurs avec un regard très personnel, un peu sous-estimé, comme Richard Fleisher ou William Friedkin. Son regard sur Hollywood est particulièrement juste, son rapport aux hommes et aux femmes encore plus acéré, sa lucidité sur son œuvre la mettant en lumière. Ses commentaires sur Schwarzenegger ou Michael Douglas, Sharon Stone ou Huppert, mettent en scène le professionnalisme des acteurs et leur implication au delà du tournage. Comme chez trop de cinéastes, les projets inaboutis dessinent un portrait en creux de son œuvre. Sa passion mécréante de Jésus ou le Jean Moulin qu'il espère tourner bientôt lui offrent de développer son humanisme critique. Verhoeven n'est jamais manichéen, il aime prendre les évidences à contrepied, jouer d'une dialectique entre les apparences et les coulisses de l'âme. Ses inserts publicitaires dans Robocop et Starship Troopers sont des modèles du genre. La franchise de ses réponses à Burdeau montre un homme qui cherche toujours à déceler la vérité du mensonge, la complexité des rapports humains comme leur brutale simplicité.

→ Paul Verhoeven, À l'œil nu, entretien avec Emmanuel Burdeau, 176 pages, Ed. Capricci, 16€

mardi 28 mars 2017

Prévert éclair et piano forain sans la mer


Quelle idée de me plonger dans des méandres informatiques au lieu d'aller me promener sur la plage dimanche après-midi avant de prendre le train ! J'ai à peine profité du jardin de La Ciotat dont les cerisiers sont en fleurs et n'ai rien vu de la foule du bord de mer. La file des automobilistes s'allongeait vers Marseille. Françoise m'a raconté que personne ne se baignait, mais il y avait un monde fou pour cette première journée de vrai printemps après les hallebardes des jours précédents. Quelques heures de TGV plus tard, je retrouvais mes pénates et les deux garnements félins...
Hélas ou tant mieux, le boulot aussi m'attendait. C'est toujours la même chose. Voilà des semaines que je tourne en rond et tout arrive en même temps. J'ai donc composé et enregistré le générique de notre websérie sur Jacques Prévert après quelques approximations angoissantes. C'est toujours ainsi. Tant que je ne tiens pas le bon bout je m'inquiète de mes capacités. J'ai trouvé en programmant le Tenori-on avec des sons de flûte, violon et métallophone, resynchronisant les pistes l'une après l'autre, calant des sons de guitare préparée avec du riz. Sonia trouvait que le résultat correspondait trop au côté gentil du poète et qu'il fallait que je le rende plus actuel. J'ai donc ajouté un rythme inspiré du rap et tout cela tricote, laissant chacun/e se faire son cinéma. Mika avait concocté une animation inspirée par les collages de Prévert, avec l'oiseau certes, mais aussi avec le cœur, l'église, l'usine, le poing levé et la clope au bec ! Jamais facile de faire passer plein d'idées en douze secondes sans charger... Avec le handicap d'avoir à caler la musique sur les images et non le contraire ! Parfois les conditions de production ne nous donnent pas le choix. Il faut alors transformer les contraintes en appui-tête. Je dois imaginer comment cette musique annoncera chaque épisode sans que la répétition lasse... Demain, c'est-à-dire aujourd'hui quand vous me lirez, nous devons dresser un décor sonore pour chacune des interventions d'Eugénie Bachelot-Prévert qui nous livre des anecdotes passionnantes sur son grand-père.
Dans le même temps Sacha me presse de lui envoyer des sons pour une prochaine exposition à la Cité des Sciences et de l'industrie. Je lui wetransfère trois pièces foraines pour piano et quelques effets à la Méliès ! J'ai encore du mal à comprendre comment tout cela va s'agencer, mais ce sera amusant à faire, comme toujours avec mes camarades de jeu... D'ailleurs on nous livre enfin le CD d'El Strøm dans la matinée ! On en reparle très vite. En attendant je dois me faire à manger en puisant dans les réserves, n'ayant eu le temps de faire aucune course depuis mon retour d'Aubagne.

vendredi 3 mars 2017

Agitation frite, témoignages de l'underground français


Le recueil de Philippe Robert, Agitation frite, témoignages de l'underground français, paraît au moment où La Maison Rouge expose Contre-cultures 1969-1989, l'esprit français. Ce n'est pas un hasard si ce sous-terrain musical est totalement absent de la galerie parisienne. D'un côté nous sommes en face d'un mouvement toujours vivace qui crée sans se préoccuper de la mode, de l'autre on continue à entretenir le mythe de modes passagères qui marquèrent leur temps. Les deux se complètent, l'art des uns répondant à la culture des autres. L'exposition embrassant son époque recèle évidemment quelques magnifiques pièces et le livre de Philippe Robert recense les engagements d'opposition rétifs à tout ce qui pourrait être récupérable.
Pourquoi le public a-t-il toujours trois métros de retard sur la musique par rapport aux arts plastiques ? Cette question a probablement trait à la difficulté des analystes de cerner le hors-champ. Circulez, y a rien à voir ! La société du spectacle adore encenser les rebelles des beaux quartiers, tandis que les musiques de traverses échappent à toute classification bien ordonnée. L'inclassable est la règle, contraire à la loi du marché. La spéculation ne pouvant donc s'exercer que sur du long terme, elle n'intéresse pas les modernes. Entendre étymologiquement ceux qui créent la mode, un système de l'éphémère dont les collectionneurs font leurs choux gras. Conclusion de ce prologue, pour avoir participé activement à la plupart des aventures évoquées par l'exposition et dans le bouquin, je vois essentiellement de la nostalgie dans la première qui a tourné la page alors que le second m'en apprend énormément sur ce qui m'est pourtant le plus proche et qui reste d'actualité !
Pour ce premier volume d'entretiens, car on imagine mal qu'il en reste là, Philippe Robert a choisi d'interroger chacun sur l'origine de son art. Quelle étincelle mit le feu aux poudres ? En suivant le cordon Bickford jusqu'au Minotaure, l'histoire de chacun se déroule à grand renfort d'anecdotes dessinant des parcours atypiques qui ne se croisent que par la nature même de la musique, son partage. À la reprise d'articles précédemment publiés dans Revue & Corrigée, Vibrations, Octopus, Supersonic Jazz ou le blog Merzbo-Derek, il ajoute des entretiens inédits qui lui ont semblé indispensables à ce portrait prismatique de l'underground musical le plus inventif de la scène française. Ainsi Gérard Terronès, Dominique Grimaud, Gilbert Artman, Pierre Bastien, Dominique Répécaud, Jérôme Noetinger, Jacques Oger, Sylvain Guérineau, Yann Gourdon et moi-même complétons les témoignages de François Billard, Pierre Barouh, Michel Bulteau, Jac Berrocal, Jacques Debout, Albert Marcoeur, Christian Vander, Richard Pinhas, Pascal Comelade, Christian Rollet, Guigou Chenevier, Bruno Meillier, Daunik Lazro, Dominique Lentin, Jean-Marc Montera, Didier Petit, Yves Botz, Camel Zekri, Noël Akchoté, Christophe & Françoise Petchanatz, Lê Quan Ninh, Jean-Marc Foussat, Jean-Louis Costes, Jean-Noël Cognard, Julien Palomo, Romain Perrot délivrés à la charnière de notre siècle et du précédent.
Si le recueil est plus passionnant que tous les autres panoramas publiés récemment, il le doit à l'opportunité des questions de Philippe Robert qui, connaissant son sujet, pose celles qui le titillent. Sa curiosité est communicative. Les musiciens des groupes Magma, Urban Sax, Catalogue, Mahogany Brain, Soixante Étages, Etron Fou Leloublan, Camizole, Vidéo-Aventures, Heldon, Lard Free, Workshop de Lyon, Un drame musical instantané, Les I, Dust Breeders, Vomir, comme les producteurs des labels Saravah, Futura ou Potlatch savent que leurs rencontres sont aussi déterminantes que les mondes qui les habitent. Si la première partie de l'ouvrage est un kaléidoscope d'inventions sans étiquettes, la seconde partie glisse vers une forme, plus conventionnelle à mes yeux et mes oreilles, de l'improvisation issue du jazz et sa déclinaison prévisible, la noise. Il n'empêche que je me suis laissé emporter par la lecture, passant une nuit blanche à le dévorer sans en perdre une miette. L'underground est tout sauf raisonnable.

→ Philippe Robert, Agitation frite, témoignages de l'underground français, 366 Pages, 15 X 19,5 cm, Ed. Lenka Lente, 25€

mardi 28 février 2017

La grande échelle pour Oulala


Ulysse avait disparu un samedi soir et nous l'avions retrouvé mort le lendemain matin. Aussi lorsque Oulala n'est pas rentrée dimanche, nous nous sommes forcément inquiétés, un peu traumatisés par la fin de son frère, de la portée précédente. Les chats sortent la nuit, mais que le matin soit venu, les voilà réclamer leur pitance. Or Oulala disparut samedi soir sans laisser d'adresse. Le petit Django la cherchait en vain. Je faisais le tour du quartier, mais le chantier labyrinthique un peu plus bas, fermé le dimanche, recèle quantité de fosses dont un matou ne pourrait ressortir s'il s'y aventurait. Avouons que Françoise et moi avons mal dormi et qu'il faisait encore nuit quand nous nous sommes levés pour aller voir les ouvriers dès potron-minet. J'ai sifflé dans le jardin comme j'en ai l'habitude pour rappeler les chatons au bercail. J'entends bien miauler, mais où ? Le son vient d'en haut ! Levant la tête je découvre la chatte au bord du toit des voisins, à plus de dix mètres du sol. La seule manière d'y accéder pour elle fut de grimper le long du lierre sur toute la hauteur du bâtiment depuis le chantier mitoyen. On ne dira pas un exploit surhumain, mais surfélin ! J'attends que l'heure soit plus décente pour sonner chez nos voisins, qui, manque de chance, sont exceptionnellement absents ce lundi. Il ne reste qu'une solution, aller la chercher nous-mêmes. Le grand escabeau nous permet d'accéder au toit incurvé du garage en métal, puis je pose notre plus grande échelle dessus le long du mur, mais il est impossible de la stabiliser à cause de la courbe. Je coince un pied de chaque côté d'un des renforts, l'épaule tenant en force l'échelle qui repose que sur un point pendant que Françoise joue les acrobates car elle est nettement plus légère que moi. Oulala râle lorsqu'elle l'attrape par le cou, pendant que Django galope dans tous les sens sur le garage. Il eusse fallu un troisième larron pour photographier ce numéro d'équilibristes improbable. En croisant Raymond, l'amant le plus assidu d'Oulala, qui ressemble comme deux gouttes d'eau à Django sauf qu'il a les yeux verts au lieu de jaunes et qu'il est entier, je comprends que le soupirant entrevu hier au travers des grilles du chantier a entraîné sa copine qui s'est laissée prendre.


J'arrache les trois affichettes que j'avais collées devant chez nous et sur la palissade des travaux. La journée s'annonce plus sereine que la veille. Je profite insidieusement du succès des billets félins pour vous suggérer de regarder le discours sur l'écologie de Jean-Luc Mélenchon, une remarquable leçon de choses comme on appelait cela au cours d'histoire naturelle. Ceux qui refusent le cynisme ambiant sont déjà convaincus, les autres pourraient changer d'avis sur celui auquel les médias dressent un costard injuste qui ne lui sied pas du tout. Si vous préférez la bande dessinée, le programme est décliné avec humour par Melaka, Reno Pixellu et Olivier Tonneau.

jeudi 2 février 2017

Dehors, dedans


Le soleil se lève. Illusion des reflets. La porte fenêtre est plus loin de l'objectif que la fenêtre à laquelle Françoise tourne le dos. À bien y regarder on pourrait n'y voir que du feu. Juste à côté d'elle, je suis déjà au travail, vêtu de mon peignoir de bain. De toute manière à cette saison il faut plus de trente minutes pour que le sauna monte à la bonne température. Dehors, dedans, les chats font les fous, alignant les aller et retours en traversant le mur du jardin comme des passe-muraille. L'antilope porte un crocodile sur son dos. Le Tanzanien Hashim Mruta Bushier (1942-1998), membre fondateur de l'école Tingatinga devenue en 1990 la Tingatinga Arts Co-operative (TACS), l'a peinte au début des années 70. Anny, qui a offert le tableau à sa sœur, en avait acheté plusieurs dans une brocante qui a brûlé le lendemain. Ils auraient fini dans les flammes. Dans la pénombre tout est un peu flou. Le fond est du même orange que les fauteuils autour de la table en verre, du même orange que la cuisine, du même orange que le mur d'enceinte, du même orange que les flammes. La couleur se déplace, dehors, dedans.

mercredi 1 février 2017

Pas ma tasse de thé, et pourtant...


Comment évoquer des disques qui m'ont fait passer un bon moment, mais sur lesquels je suis incapable d'écrire ? Mon incompétence me retient d'allonger des superlatifs ou de résumer ma sensibilité sans argumenter. Ce sont souvent des musiques plus classiques que les inventions que je traque inlassablement. Mes goûts me feraient passer à côté d'eux si le postier ne les glissait dans ma boîte aux lettres. Je les appelle les disques de l'après-midi, pas assez bizarres pour l'aube, pas assez intrigants pour que je m'y plonge pendant mon passage au sauna, pas assez dingues pour m'électriser toute la matinée, trop jazz pour les partager avec Françoise pendant la préparation du dîner, mais ils m'accompagnent très agréablement tandis que je regarde mésanges, rouge-gorge, geais, merles s'ébattre dans le jardin lorsque je lève le nez de mon clavier où je tape ces lignes.
Ainsi j'ai savouré Laniakea du pianiste Pierre Bœspflug et du trompettiste René Dagognet, Fines lames du vibraphoniste Renaud Détruit et de l'accordéoniste Florent Sepchat, Be Jazz For Jazz des Madness Tenors qui réunit Lionel Martin, George Garzone avec le pianiste Mario Stantchev, le bassiste Benoit Keller et le batteur Ramón López, et même What if ? du ténor Hugues Mayot avec Jozef Dumoulin aux claviers, Joachim Florent à la basse et Franck Vaillant à la batterie. Les jazz de Bœspflug sautent d'une décennie à une autre sans a priori de style et le son du bugle de Dagognet m'enchante. Mon petit faible pour l'accordéon et le marimba rejoint celui pour les Mikrokosmos de Bartók. C'est la même chose avec les ténors, même si j'apprécie les grands altistes j'ai toujours préféré les instruments en si bémol, du soprano au basse, alors lorsque les ténors se mettent à danser (le nom des Madness Tenors se réfère à un album de Sonny Rollins avec John Coltrane !) je remue seul sur ma chaise, surtout si les envolées lyriques tirent sur le free. L'album de Mayot se rapproche de mes préoccupations familiales, mais il tire trop souvent vers le jazz rock pour me convaincre. Dans les disques que j'écoute je cherche des timbres inédits et des constructions qui m'épatent plutôt que de belles mélodies ou des variations acrobatiques. Il n'empêche que tous ces albums sont d'excellente qualité et raviront les amateurs.
Je suis plus attiré par les ensembles orchestraux que vers les solos, duos ou trios. Sachant que les "critiques" parlent d'eux-mêmes plus que des sujets qu'ils traitent, je reconnais ma sympathie pour la symphonie, les bruits bizarres et les récits évocateurs. Dès que la musique s'échappe d'un genre identifiable elle me harponne, et je m'intéresse à tous, de la chanson française aux variétés internationales, des plus classiques aux plus contemporains, du rock aux musiques du monde, et le jazz en fait partie comme le tango, le blues ou le flamenco. Je n'ai jamais compris pourquoi Cab Calloway me donnait irrésistiblement envie de danser alors que j'aurais plutôt tendance à me cacher quand les autres s'y mettent. Quant à la musique de chambre, il est plus rare que j'y cède. Mes diverses enceintes ne connaissent pourtant pas la taille des salles qu'elles reproduisent...

→ Madness Tenors, Be Jazz For Jazz, CD Cristal Records (en vinyle chez Ouch! Records), sortie le 27 janvier 2017
→ Hugues Mayot, What if ?, CD ONJ Records, dist. L'autre distribution, sortie le 3 février 2017
→ Pierre Bœspflug & René Dagognet, Laniakea, CD Cristal Records, sortie le 3 mars 2017
→ Renaud Détruit & Florent Sepchat, Fines lames, CD Cristal Records, sortie le 10 mars 2017

mercredi 18 janvier 2017

Tout pour la gueule !


Parmi les merveilles potagères remontées du Gers par Valérie et Christophe lors de leur visite à Paris avec leurs enfants, ils avaient choisi la plus petite de leurs citrouilles. Elle pèse tout de même 8,4kg. Françoise en fait une soupe délicieuse, comme avec leurs butternuts qu'en France on appelle doubeurres, potimarrons et patates. Nos amis nous ont tant gâtés qu'ils ont dû monter en voiture plutôt que prendre l'avion ! Leur coffre au trésor recélait d'innombrables foies gras, pâtés, boudins, confits, palombes, une caisse de vin, de l'ail... Quelles ripailles ! Après leur départ nous continuons à nous régaler de ce que Christophe a mis lui-même en conserves ou bouteilles.
Les amis que nous hébergeons régulièrement nous gâtent chaque fois. La semaine dernière nous avons dévoré les palets beurrés à la cardamome et aux amandes cuits par Sacha, la confiture de poires d'été du Jardin de Coralie, des yuzus confits en attendant d'ouvrir le café Malabar Moussoné. Olivia, qui fait souvent ses propres confitures, comme celle de prunelles, avait apporté du thé Ballade en Flandres, du chocolat et des petites meringues molles aux parfums variés. Anna rapporte du pain noir de Cologne, des thés marrants et des friandises pour les chats. Armagan vient toujours avec d'étonnantes spécialités turques qu'elle a concoctées. Ella et Loïc savent que j'adore le piment et les trucs bizarres qu'ils envoient ou rapportent de tous les coins du monde. Raymond annonce les huîtres et encore du pinard tandis que Marine avait trouvé des ténébrions au curry du Sud-Ouest. Antoine fait sauter des châtaignes. D'autres apportent un bouquet de fleurs, même si celles-ci ne se mangent pas ! Quant à Sun Sun, nous traversons la rue pour nous goinfrer de la farandole de plats chinois qu'ils cuisine pendant des heures. Le vendredi matin nous allons souvent ensemble à Belleville faire nos courses, en commençant par le magasin des Quatre saisons. Pendant qu'il termine chez Paris Store, je file à Super Tofu où les soupes, petits pâtés farcis et crêpes aux légumes salés sont délicieusement authentiques. J'alterne avec les magasins bios à Montreuil et aux Lilas, Istambul Market à Noisy-le-Sec et le portugais Primland à Romainville. Juste en face il y a un boulanger qui mérite le déplacement, sinon je m'arrête à la Gambette dans le 20e. Françoise s'occupe le plus souvent du marché des Lilas le dimanche et des rendez-vous avec l'AMAP de Bagnolet...

lundi 9 janvier 2017

Vers la chaleur ?


Françoise a choisi de partir faire du ski pendant la seconde quinzaine de février. N'ayant aucune aptitude ni attirance pour ce sport, ni pour la neige et encore moins pour le froid, je préférerais aller voir dans un pays chaud si j'y suis. J'ai probablement été dégoûté par les sports d'hiver lorsque j'étais enfant, envoyé par mes parents en colonie de vacances. Je ne me souviens que des vingt minutes quotidiennes à défaire les lacets gelés de mes lourdes chaussures. Je sais que la technique a considérablement évolué, mais le seul attrait pour moi serait d'y observer les animaux sauvages. J'avais bien essayé le ski de fond, mais c'était encore pire. Glisser sur des rails sans pouvoir s'échapper sur les côtés m'avait procuré une sensation quasi claustrophobe. Comme la vitesse à fendre l'air n'a jamais généré chez moi de sensation de liberté je ne souhaite pas attendre toute la journée à la maison les skieurs partis s'éclater sur les pentes pyrénéennes. Évidemment le paysage de Lespone est magnifique enneigé, mais je crains de passer tout le séjour le nez dans ma liseuse ou sur un écran, sport que je pratique déjà toute l'année à taper ces lignes.
Le problème est que je n'ai aucune envie de partir seul découvrir le monde. Si je ne trouve pas de compagnon de voyage ou que je ne reçois pas d'invitation locale, je risque fort de rester à Bagnolet avec Django et Oulala, qui actuellement passent leur temps à copuler comme des bêtes, même si l'entreprise me semble un peu prématuré pour le petit. D'ici là les chaleurs de la chatte seront de l'histoire ancienne. Mon besoin de soleil sera par contre encore plus exacerbé dans un mois et mes vingt minutes de sauna chaque matin ne seront pas suffisants à apaiser ma soif de voyage. L'Asie a toujours été l'une de mes destinations favorites, pour des raisons à la fois paysagères, humaines et gastronomiques, mais je me vois bien m'envoler pour un autre continent. J'ai toujours senti la nécessité de visiter des pays où l'on ne parle pas ma langue. Le dépaysement me permet de regarder le monde sous un angle différent, que ce soit en vivant comme les autochtones ou en reconsidérant mon quotidien parisien banalisé par les habitudes. A part cela j'aime l'eau chaude et m'y baigner, les paysages sauvages qui rappellent mon humanité à son espèce de mammifère, et les couleurs éclatantes des populations qui ont d'autre préoccupation que de se plaindre !

mardi 3 janvier 2017

Les Sans Radio de l'Est parisien retrouvent les ondes, en numérique !


Après que Françoise m'ait offert un poste de radio numérique, j'ai remisé mon tuner FM et je profite du son limpide de mon nouveau joujou. Jusqu'à très récemment 200 000 habitants de Bagnolet, Montreuil, Paris 20e, Les Lilas, Romainville ne recevaient pas les stations diffusées par Radio France. Les émetteurs des chaînes privées situées sur le toit des Mercuriales les étouffaient, transformant les environs de la Porte de Bagnolet en Triangle des Bermudes. Après quatorze ans, la lutte des Sans Radio de l’Est parisien a porté ses fruits. Grâce à une autorisation du CSA, depuis juillet et à titre expérimental, il y a désormais moyen de (ré)écouter France Musique, France Culture, France Inter, France Infos, FIP, Radio Bleue et Le Mouv grâce à un émetteur en Radio Numérique Terrestre (DAB+), ainsi qu'une trentaine d'autres stations accessibles en RNT sur Paris. En installant son émetteur numérique en haut des tours, l’opérateur TowerCast réalise une première nationale, car nulle part ailleurs on ne peut écouter FIP ou France musique en DAB+, et cela se passe dans l'Est parisien !

Sur le Blog des Sans Radio Michel Léon explique :
La Radio numérique terrestre (RNT) est une nouvelle technologie de diffusion d’un signal audio par voie hertzienne sous forme digitalisée. Au niveau européen, la RNT se généralise : la Norvège vient d'abandonner la FM à son profit ! En France, après plusieurs expérimentations, elle est apparue à Paris, Lyon et Marseille en juin 2014, sans la plupart des grandes radios, en particulier sans celles du groupe Radio France. Mais, tout récemment, le CSA a accordé une autorisation expérimentale pour le groupe Radio France et exclusivement dans l’Est parisien. (...)
Contrairement à la radio analogique hertzienne (AM ou FM), où le son sous forme de signal électrique est transporté tel quel dans l'onde porteuse, la radio numérique envoie un son qui est d'abord numérisé, puis compressé, afin d'être transmis en optimisant la bande passante. La radio numérique terrestre (RNT), petite sœur de la télévision TNT, fonctionne sur le principe d'une fréquence allouée à la chaîne de radio (en fait à un « bloc » constitué d’une poignée de stations partageant la même fréquence au sein d’un « multiplex »), mais celle-ci est unique à l'échelle nationale. Contrainte de cette technologie, la Radio numérique terrestre nécessite, pour être réceptionnée, un équipement spécifique : un poste de radio adapté à la technologie numérique.
Le principal avantage pour l’auditeur réside dans une qualité du son améliorée par rapport à la radiodiffusion analogique (rapport signal/bruit, bande passante, et diaphonie bien meilleures, absence d'interférences entre stations par rapport à l’AM ou la FM). Le principal inconvénient (toujours pour l’auditeur) est un risque d'absence de signal (décrochage) dans les zones à réception difficile. Avec le numérique, soit le signal passe, soit il ne passe pas. En analogique, on pouvait écouter un signal dégradé. Pas en numérique. Toutefois, il est à noter qu'un signal numérique est bien moins sensible aux interférences du fait de la correction d'erreurs. À l’échelle réduite de nos quartiers, le signal est suffisamment puissant pour que le problème ne se pose pas.
L'association des Sans Radio a négocié avec la marque britannique Pure et propose plusieurs modèles de postes de radio RNT (tous captent aussi la FM). Si vous passez par l’association, vous bénéficiez d’un tarif «professionnel» (vous pouvez commander plusieurs postes).

Mon Evoke F3 est Bluetooth, contrôlable à distance avec la télécommande, mais aussi avec mes iPhone et iPad. Il permet d'écouter aussi leur contenu, à côté du numérique et de la FM, ainsi que Spotify pour ses abonnés. Il existe des modèles sur piles, et tous possèdent un haut-parleur monophonique, ou stéréophonique en plus de la sortie stéréo.

mardi 8 novembre 2016

Retour de Rome


Pourquoi cette rue me rappelle-t-elle Bucarest tandis que Françoise pense à Prague ? Les capitales abattent leurs cartes. Je me suis si longtemps entraîné devant la glace à faire de faux-mélanges que je n'aimais plus jouer à force de tricher. J'avais quinze ou seize ans lorsque j'ai arrêté les tours de magie proprement dits pour ne plus jouer que de la musique, éventail d'illusions tellement plus riches et inventives. Les cloches auraient pu m'inspirer, mais de Rome je n'ai enregistré aucune ambiance. Comme les magasins qui vendent presque tous la même chose sur la planète, le son des villes se banalise.


Au fur et à mesure du voyage à Rome nous nous éloignons du centre. Nous avons traversé plusieurs fois le Tibre via Trastervere. Les rues sont plus calmes, sans presque aucun touriste. Je me souviens de l'école populaire de musique où Giovanna Marini enseignait dans le quartier du Testaccio et des histoires que Jean-André me racontait de Pasolini et Ninetto...


Comme il pleut nous nous réfugions dans les catacombes de Domitilla. J'espérais un peu pouvoir marcher le long des 17 kilomètres de galeries, mais nous n'arpentons qu'un tout petit segment de ces longs couloirs étroits où étaient enterrés les morts sur cinq niveaux. Nous n'avons hélas rien vu de ce que montre Wikipédia. Cela sent un peu l'arnaque. On les avait presque toutes évitées jusqu'ici ! En rentrant en bus, nous avons un aperçu de Rome by night... Mais comme, dans toutes les villes du monde, nous aurons accumulé des kilomètres de marche à pied... C'est agréable de s'envoler !

vendredi 4 novembre 2016

Villa Borghese


Pascal nous avait astucieusement conseillés de réserver très tôt à l'avance pour la Galerie Borghese, le musée ne recevant qu'un nombre limité de visiteurs. Même si le style du XVIIe siècle n'est pas notre capuccino, le spectacle est extraordinaire. Fresques, sculptures, peintures se bousculent dans des salles immenses aux plafonds remplis de trompe-l'œil qui obligent Françoise à s'allonger pour les admirer...


Il n'y a pas que les trompe-œil, il y en a aussi de faux. Des sculptures et des bas-reliefs se mêlent aux peintures pour créer de fantastiques illusions d'optique. Nous foulons des marbres polychromes. Les mosaïques sont étonnantes, les tableaux magnifiques, en particulier ceux du Caravage. Sous ses pinceaux comme sous les burins de ses collègues, les garçons sont étonnamment féminins. Lors de mes voyages je prends systématiquement des photographies des musiciens représentés en pensant qu'elles pourraient un jour illustrer certains de mes articles, mais j'oublie ces clichés la plupart du temps. Tant de nus exposés laissent penser que certaines époques furent tellement moins prudes que la nôtre. La moindre image de chair est, par exemple, immédiatement censurée par FaceBook. Il est certain que les protestants sont toujours boutonnés jusqu'au cou, mais l'Italie d'aujourd'hui est encore très coincée, avec son catholicisme et l'incroyable puissance du Vatican. Les femmes appartiennent à un monde dont les hommes sont exclus, conséquence logique du machisme méditerranéen. Françoise est épatée par la chair de Perséphone qui s'enfonce sous les doigts du dieu Hadès, sculptée par Le Bernin.


La volière est hélas privée de ses oiseaux, mais cela ne les empêche pas de zébrer le ciel en poussant des cris que je suis dans l'incapacité d'identifier. En traversant les jardins de la Villa Borghese, gigantesque parc municipal de 80 hectares en plein centre de Rome où s'élève, entre autres, la Villa Médicis, nous regardons en l'air pour admirer les hautes frondaisons des pins. J'entends ceux de Respighi qui accompagnent A Movie de Bruce Conner, et ses Fontaines. Nous n'attrapons pas de torticolis, mais ces contorsions finissent par être fatigantes !


Ces jardins sont dessinés sur le mode anglais, plus vivant que la raideur à la française. Ce sont deux façons de concevoir la nature et de la domestiquer. C'est la même histoire avec la ville. Les Italiens savent merveilleusement marier le passé et le présent. Chaque coin de rue, et j'entends coin par détail et non par intersection, réserve des surprises, vestiges des temps anciens préservés malgré les besoins du futur. Au jeu des revivals, l'Antiquité et les siècles qui l'ont suivie y figurent des strates de modernité. L'étymologie veut que les modes passent et repassent.


Après être descendus jusqu'au Panthéon et la fontaine de Trevi, sous prétexte d'un sublime espresso au Caffè Sant'Eustachio sur les conseils de Laure, nous regagnons notre appartement situé exactement en face de l'École des Beaux-Arts. Une petite pause ne fait pas de mal avant de nous rendre au Teatro Olimpico pour la première de Carmen par l'Orchestra di Piazza Vittorio où Elsa incarne "la pure, amoureuse, courageuse, déterminée Micaëla"...

jeudi 3 novembre 2016

Vol pour Rome


Vision inattendue après avoir décollé de Charles De Gaulle... J'ai d'abord photographié la Place de l'Étoile avant de survoler la rive gauche... Je pense chaque fois aux quatre cuvettes dans laquelle la Tour trempe ses pieds...


Un petit nuage coiffait le Mont Blanc. En voyant les montagnes qui se succèdent, arides et saillantes, j'imagine Hannibal franchissant les Alpes, sauf que cette fois nous sommes sur le dos de l'éléphant, avec Sun Ra et son Arkhestra jouant la Parade synchronisée avec la séquence rêvée par Salvador Dali... Délire d'altitude ?


Alors Rome dans tout cela ? La nuit est tombée. L'embouteillage de l'autoroute filmé par Fellini s'est résorbé depuis longtemps. Ni l'un ni l'autre n'étions retournés dans cette ville merveilleuse depuis plus de trente ans. Nous marchons jusqu'à un restaurant familial comme nous en avons souvent cherchés lors de notre voyage dans le sud en juin dernier. Pâtes al dente, accueil charmant... Le Tibre est à deux pas. Tout est d'ailleurs à deux pas de l'appartement que nous avons loué via Ripetta, près de la Piazza del Popolo...


La Tour Eiffel, le Mont Blanc, Walt Disney !... Afin d'être crédible je photographie Françoise Piazza di Spagna. Peu de touristes. Douceur de l'automne. Les automobiles sont interdites dans le centre. Les seules que nous croisons sont celles des carabiniers. En remontant le Corso nous remarquons le design inventif de certains magasins, mais les vêtements exposés sont d'une triste banalité. Des glaciers me font de l'œil à tous les coins de rue. Je craque.

mardi 25 octobre 2016

Suivez le guide


Avant de nous envoler pour Rome je cherche évidemment des billets d'avion pas chers et un logement abordable, en fonction des dates d'Elsa qui y reprend la nouvelle version de Carmen au Teatro Olimpico avec l'Orchestra di Piazza Vittorio. Créé au Festival Les Nuits de Fourvière en 2013 avec les chœurs et cordes de l'Opéra de St Étienne, cette interprétation cosmopolite du chef-d'œuvre de Bizet avait ouvert la saison de l'Opéra de Rome dans les Thermes de Caracalla l'année suivante, pour être remanié dans une version encore plus pop l'an passé. Dans cette adaptation mariant la salsa au flamenco, la techno au chant lyrique, le blues au tango, le reggae aux sonorités arabes, indiennes et africaines, Elsa, qui tient le rôle de Micaëla, est la seule Française de cette compagnie où chaque personnage chante dans la langue de son pays. Mama Marjas qui tient le rôle titre est à l'origine une chanteuse italienne de raggamuffin, le Brésilien Evandro Dos Reis est Don José, le Tunisien Houcine Ataa est Escamillo, etc. D'autres dates sont annoncées ailleurs, mais nous profitons de cette opportunité pour retourner à Rome où ni Françoise ni moi sommes allés depuis une trentaine d'années.
Nous trouvons donc un vol Air France très bon marché grâce au site Opodo et un appartement spacieux au centre de Rome sur Airbnb pour un prix nettement inférieur à la moindre chambre d'hôtel. Certains parlent d'ubérisation, ce qui a le don de m'énerver, car le système D et les parades aux abus des grands monopoles ne sont pas pires que l'ultralibéralisme ambiant auquel ils participent à moindre niveau. Nombreuses multinationales échappent certes aux impôts locaux, mais les profits de la plupart d'entre elles s'évadent dans des paradis fiscaux avec l'appui des banques. La protection sociale des travailleurs se réduit chaque année à la peau de chagrin sans que l'on ait besoin de chercher un bouc émissaire chez Uber, analyse simpliste évitant d'évoquer le service déplorable des taxis dont 80% de la flotte parisienne appartient à G7 (le concurrent Taxis Bleus fait partie du même conglomérat !) et les conditions de travail des chauffeurs, bien pires que celles imposées par Uber. Pour aller à l'aéroport, nous emprunterons donc le système de cette compagnie dont l'application sur smartphone est remarquable, fiable et astucieuse, pour un prix défiant toute concurrence.
Il suffira ensuite de chercher les meilleurs restaurants romains sur TripAdvisor en fonction des quartiers que nous arpenterons et conformément à notre budget ! Il y a peu j'ai eu la surprise de constater des réductions de 20 à 50% lorsque l'on réserve à Paris avec l'application Lafourchette. Internet permet aux commerçants de remplir leurs hôtels et restaurants en bradant les prix au dernier moment, comme nous le pratiquions en Asie avec Agoda...

Illustration : ravioles de navet cru farcies de caille, émulsion d'escabèche et légumes au restaurant Er Occitan, Bossost, Espagne, découvert grâce à TripAdvisor.

mercredi 5 octobre 2016

Cultiver son jardin


Lundi et mardi, après un puis deux articles sur des disques qui viennent de sortir, je n'avais pas envie que l'on me prenne par erreur pour un journaliste. D'autant que les semaines passées j'avais chroniqué ceux d'André Minvielle, Michèle Buirette, Daniel Erdmann, Ursus Minor, l'ONJ, plus l'exposition Hergé au Grand Palais et celle sur le rêve à Marseille, sans compter les DVD, etc. Mon actualité de compositeur étant plus calme depuis la rentrée de septembre, je ne m'activais pas moins en studio où je prépare plusieurs albums...
C'est donc au jardin que je me retrouvai face à moi-même, moment de détente que j'alterne avec la position allongée sur le dos, comme me le conseille mon kiné Mézières. Le matin et/ou le soir je profite du sauna que nous venons d'y installer et qui m'oblige à rester tranquille pendant une bonne vingtaine de minutes !


Car je ne tiens pas en place. Hyperactif, incapable de procrastination, je fais ce qui est à faire à l'instant où j'y pense ou si l'on me sollicite. Cela commence très tôt le matin alors que j'éteins bien tard le soir. L'automne m'occupe aussi à balayer les feuilles qui se ramassent à la pelle. Le charme perd ses fleurs, et persifleur, je dirais que le vent est tel qu'il en tombe autant derrière moi que j'en balaie devant. Elles ressemblent à de minuscules feuilles d'érable à trois folioles. Je lis que ce sont en réalité des fruits, akènes ligneux de 3 à 6 mm de long, attachés à une bractée en forme de feuille trilobée qui forme une aile favorisant leur dispersion... Je déverse tout cela dans le compost que Françoise a installé intelligemment et qu'alimentent gentiment deux ou trois voisins.


Je fuyais le journalisme et me voici botaniste (ou composteur de musique, comme le suggère ma cousine Susy), m'éreintant stupidement alors que Fiona m'a délivré une séance géniale de shiatsu le matin-même. En ce qui concerne mes articles, je tiens à préciser encore une fois qu'il s'agit pour moi d'un acte militant face à la faillite de la profession. J'adore découvrir de nouveaux talents, défendre des artistes méconnus victimes de l'injustice du système, donner un coup de pouce aux plus jeunes, en résumé transmettre avec la même énergie et la même foi ce que les aînés qui ne sont plus là ont eu la générosité de me léguer. Pensée récurrente à mon papa qui vit au dessus de mon épaule comme un Jiminy le criquet, à Frank Zappa qui m'a mis le pied à l'étrier, à Jean-André Fieschi qui m'a tant appris et donné le moyen de continuer à apprendre, à Bernard Vitet qui fut mon camarade et mon complice pendant plus de trente ans... Les autres se reconnaîtront dans la longue liste cachée sous les crédits de drame.org !


Je me réfugie donc dans la petite baraque au fond du jardin pour suer un bon coup avant douche glacée. La pseudo chromothérapie me suggère de choisir le rouge lorsque je souhaite doper mon métabolisme et le bleu pour me reposer. Voilà ainsi plusieurs nuits où je dors d'une traite pour avoir branché les infrarouges après le film, un peu avant d'aller me coucher... J'ignore si le sauna me fatigue ou me dynamise, ou peut-être les deux, mais je me sens incroyablement mieux depuis quelque temps, malgré les mauvaises nouvelles que l'actualité ne cesse d'apporter et qu'il est indispensable de combattre, même en pure perte.

vendredi 30 septembre 2016

Fait suer !


Voilà, c'est fait ! Enfin, presque... J'avais dans l'idée d'installer un jacuzzi dans le fond du jardin, mais Elsa m'en a dissuadé, arguant que cela ramollissait la peau, que c'était un nid bactérien et que les produits pour l'éviter étaient toxiques. Elle vantait par contre les qualités du sauna infrarouge. Les saunas traditionnels montent à 80-100°C et chauffent l'air tandis que les infrarouges montent maximum à 65°C pour un résultat identique car ils chauffent le corps uniquement. De plus, ils ne présentent aucun inconvénient médical (cardiaque, circulation sanguine, etc.) et surtout ils ne diffusent aucune humidité, néfaste à mes histoires lombaires. Je me suis laissé convaincre, optant pour un grand sauna extérieur en promo chez Atrium-Concept. La responsable commerciale m'avait assuré que j'y tiendrai allongé, mais c'est en biais, compressé, avec les bras croisés sur la poitrine, façon Houdini ! Mes cent soixante dix centimètres ne s'y étireront confortablement qu'à condition que je fabrique une rallonge triangulaire...


Le sauna étant livré en kit, six cartons d'un total de 500 kg, je me suis évidemment fait aider. Il a d'abord fallu le descendre du camion et nous n'étions pas trop de cinq ce matin-là. Pascal a failli mourir étouffé, Sun Sun s'est coincé les cervicales, Youenn a tenu contre vents et marées ! Ruslan et moi avons ensuite suivi les différents modes d'emploi, puzzle d'informations qui mériteraient une bonne actualisation. Nicolas et Elsa sont heureusement arrivés à la rescousse pour placer le plafond qui pèse un âne mort. Mais nous n'étions pas au bout de nos peines. Nicolas avait beau avoir coupé une des ramures du laurier, il a fallu en scier deux autres hautes de dix mètres qui mettait en danger la bicoque. J'ai donc acheté une tronçonneuse dont le prix de location à la journée était pratiquement le même. On voit le ciel.


Tout semblait aller comme sur des roulettes, mais le disjoncteur sautait. Nous avons donc remplacé le fil d'une section de 2,5mm² qui s'échauffait probablement par un de 6mm². Le transfo de 40A semble supporter la puissance de 3225W des 11 convecteurs. En l'essayant le soir-même avec Françoise nous nous sommes aperçus qu'un des convecteurs restait éteint. Le lendemain je redémontais les banquettes pour comprendre que c'était le jus qui ne l'alimentait pas, puis une partie du toit pour vérifier que tout était correct là-haut également. Avant que j'acquiers l'objet j'avais des gens chaleureux, pleins de bons conseils, au téléphone, mais depuis l'achat le SAV ne répond plus que par mail... Comme je dois trouver où est le fil débranché dans la paroi du fond, un des commerciaux a fini par me rappeler. On va y arriver...


La bonne nouvelle, car il y en a une et de taille, c'est que c'est génial ! Nous en profitons 20 minutes chaque matin et chaque soir. D'ici peu j'espère avoir réglé tous les problèmes électriques. Y sont même installés d'origine un système de chromothérapie et un auto-radio ! Nous avons sué avec le Scar Joe Henry, les Variations Goldberg par Glenn Gould, Daniel Erdmann's Velvet Revolution et le coffret des Grandes Heures de la Radio commentées par Pierre Schaeffer, ceci sous ambiance monochrome rouge. J'ai ajouté une petite table ronde et un banc-coffre, une douche de jardin branchée sur le tuyau d'arrosage et remplacé les cailloux de l'allée par un caillebotis de bois. Nous n'utilisions plus le fond du jardin, depuis plus de dix ans que les feuillages avaient transformé le jardin zen en jungle impraticable. Plus rien ne poussait dans le sous-bois derrière les bambous, à l'ombre du charme et du laurier. Construire la cabane et son environnement boisé a utilement et psychologiquement doublé la surface du jardin. Nous voilà fin prêts pour affronter l'hiver.

mardi 20 septembre 2016

Touriste dans sa ville

...
Lorsque l'on se promène à pied dans sa propre ville plutôt qu'en voiture, en transports en commun et même à vélo on découvre ses ressources comme n'importe quel touriste. Il suffit de lever la tête pour admirer des cariatides, de la baisser pour ne pas marcher dans une crotte de chien, bon d'accord, nous sommes en France ! À Paris traverser la Seine sur l'un de ses ponts produit un dépaysement instantané. Ainsi je suis allé au bout du Vieux Port avec ma Marseillaise de cœur pour découvrir le Mucem dessiné par l'architecte Rudy Ricciotti.
Je n'ai pas revu Zeev Gourarier, directeur scientifique des collections du Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée, depuis Jours de Cirque en 2002 au Grimaldi Forum de Monaco, dont j'avais composé la musique et le partition sonore. L'autre grande exposition à laquelle j'avais participé et dont Zeev fut le commissaire était Il était une fois la fête foraine à la Grande Halle de La Villette en 1995, suivie de ses versions japonaises à Omuta et Osaka. Chaque fois le scénographe Raymond Sarti m'avait offert la liberté extraordinaire d'imaginer l'intégralité sonore de ces immenses espaces pour recréer l'illusion et immerger les visiteurs dans un autre monde. Il m'aura fallu attendre cette année pour ressentir le même plaisir en inventant le parcours musical de Carambolages au Grand Palais grâce à Jean-Hubert Martin. J'aimais beaucoup la fantaisie de Zeev Gourarier, son enthousiasme à dénicher des objets incroyables. Peut-être qu'une occasion se représentera-t-elle un jour ? Je continue heureusement à collaborer avec Raymond Sarti qui a reçu hier soir le Prix Paris Shop & Design dans la catégorie "Culture et loisirs" pour la Maison de l'île de la Réunion dont j'ai composé la musique diffusée dans la rue.


Mais revenons à nos sardines. Françoise n'avait jamais visité le Fort St-Jean, probablement fermé au public pendant de très nombreuses années. Une passerelle de 130 m de long le relie au Mucem. Sur la première image on aperçoit au loin la néo-byzantine Cathédrale Sainte-Marie-Majeure et sur l'autre la seconde passerelle entre le fort et l'esplanade de la Tourette. Des enfants plongent dans l'eau entre les édifices pour rejoindre l'autre bord. Les jardins poussent à la flânerie. L'ensemble architectural mariant l'ancien et le nouveau est particulièrement réussi, plus astucieux que l'intérieur du musée trop en prise avec la lumière qui ne facilite pas les expositions. Les scénographes qui passent derrière les architectes doivent souvent ruser après s'être arraché les cheveux ! En revenant sur le Vieux Port nous en avons plein les jambes et je propose à ma compagne un tour de grande roue, mais les préposés sont penchés sur un problème technique et nous ne pourrons pas admirer Marseille de tout en haut cette fois-ci... Nous nous rabattons sur une bonne table, méthode de rattrapage qui a toujours fait ses preuves !

mercredi 14 septembre 2016

Panoramique


Il y a deux ans j'avais acheté un des premiers masques de snorkeling Easybreath permettant de respirer sous l'eau comme sur terre, par le nez et la bouche. Le double flux d'air évite la buée, sur le principe d'une VMC domestique. La vision panoramique et la visibilité de l'embout orange complètent les avantages de l'Easybreath, innovation développée à Hendaye par Tribord, une marque distribuée par Decathlon. C'est peut-être aussi une solution pour les porteurs de lunettes...
La première plongée avait été terrifiante, car je m'étais retrouvé entouré de milliers de méduses ! Je n'avais pas non plus compris le principe du mécanisme obstruant le haut du tuba lors d'une plongée plus profonde. Inutile de souffler l'eau comme dans un masque traditionnel, il suffit de ne pas respirer avant d'être remonté à la surface. Comme je pratique la brasse, l'Easybreath, tels tous les autres masques, me permet de ne pas creuser les reins et de m'allonger sur l'eau. Je me suis d'autre part aperçu que je nageais beaucoup plus loin et sans effort lorsque je me transformais en scaphandrier ! Ainsi j'admire les bancs de poissons qui s'écartent devant moi, ceux qui jouent à cache-cache ou à chat, les plantes marines, les oursins... Et je pourrai prévenir Françoise qui n'y voit goutte si les vilaines méduses urticantes étaient de retour !

jeudi 1 septembre 2016

Retour sur le plancher des vaches


Façon de parler, parce que les vaches ont déserté les estives du versant sud pour rejoindre le flanc nord de la montagne et parce que nous en redescendons pour rejoindre la civilisation !
Je suis un animal social. J’ai beau avoir emporté de quoi lire, écrire, composer, écouter, regarder, manger et boire, il me manque quantité d’outils et d’ingrédients pour développer et mettre en forme les idées que j’ai élaborées pendant un mois loin d’Internet et du téléphone. Au bout d’un moment je commence à tourner en rond, reproduisant les mêmes gestes, les mêmes recettes d’une semaine sur l’autre. J’ai tout ce qu’il me faut, mais version de campagne. L’impression inconfortable de faire du camping. Mes amis me manquent aussi. J’ai besoin de confronter mes divagations aux leurs. De construire ensemble, même si la compagnie de Françoise est idyllique.
En rentrant à Paris je perds néanmoins la vue. Le panorama sur les cimes, et, plus que tout, les étoiles. Nous nous allongeons la nuit sur des chaises longues pour admirer le ciel, attendant qu’une filante vienne lacérer le drap noir en se faufilant parmi les milliards d’astres flambant vieilles. Si les montagnes me renvoient parfois des millénaires en arrière, le cosmos m’entraîne tellement plus loin, dans des abîmes de réflexions métaphysiques.
Par contre je retrouve l’odorat. Je m’étais habitué au parfum des fleurs et des herbes, je redécouvre la pollution asphyxiante de la capitale.
Nous avons ainsi choisi de partir juste avant que la brume vienne recouvrir la vallée. J’étouffe au milieu du coton opaque du nuage, préférant les ciels bleus immaculés lorsque le soleil tape si fort que je dois me réfugier à l’intérieur ! Cette année, les jours gris ont été rares, mais la bruine ou la pluie m’empêcheraient de descendre la voiture jusqu’à la grange pour charger notre barda. Nous voilà donc revenus, après un petit saut en Espagne, histoire de faire des provisions de bouche, puisque nous rapportons quelques souvenirs gourmands…

samedi 6 août 2016

Retour du soleil


Après la purée de pois et la pluie d'hier qui nous ont fait fuir et traverser les montagnes jusqu'au Val d'Aran en Espagne, nous profitons du retour du soleil. Pendant que Françoise termine les courses à Luchon, je relève les mails et vide les boîtes à spams à l'Office du Tourisme. Là-haut seuls passent, difficilement, les SMS et Messenger...

mercredi 27 juillet 2016

D'une histoire féline


Descente vers le sud avec étape délicieuse chez Flo à Lyon. Le long de la Saône Françoise fait la zouave sur la rive opposée au nouvel appartement de notre amie. Le charme de ces vieilles bâtisses a déjà un goût de vacances qui nous donne un coup de jeunesse. Mais pas autant qu'à Oulala dont c'est le premier long voyage en automobile. Le départ de Paris fut plutôt angoissant lorsque la petite chatte ne trouva rien de mieux que de filer entre mes jambes pour aller se cacher dans le circuit d'aération de la Kangoo. Nous ignorions totalement qu'un passage fut possible à cet endroit ! Les peurs les plus absurdes nous assaillirent. Pouvait-elle passer dans le moteur et risquer quelque accident ? Après des exercices difficiles de contorsionniste je réussis à attraper une patte, puis l'autre, extirpant le fauve qui s'était planqué dans un coin près de la roue avant droite. Nous n'en étions pas au bout de nos surprises, car Ouh la la la petite chatte porte bien son nom !


Tôt le matin Oulala miaula sans arrêt pendant une heure sans que nous puissions en identifier la cause. Elle est tout de même un peu jeune pour avoir ses premières chaleurs, d'autant que certains signes manquent pour s'en assurer. C'est alors que nous reçûmes un mail de Jonathan nous annonçant que Pipo venait d'apparaître dans le jardin de derrière avant de filer dans la chambre bleue au second étage. Or nous avions confié Pipo, que nous avions gardé en l'absence de ses maîtres, pardon, de ses domestiques, à Armagan et Christophe qui habitent à environ cinq cent mètres dans une autre rue. Eux-mêmes sont aux ordres de Guézi, maman de Pipo. Vous me suivez ? Pipo a donc réussi à regagner le domicile de Oulala sans n'avoir jamais fait le chemin à pattes. Il s'est tant entiché de sa copine pendant les trois semaines précédentes que la séparation lui a probablement paru trop cruelle. Il faut dire qu'il se comporte comme un grand frère, la protégeant et acceptant toutes ses facéties. Une chance que j'ai oublié de fermer la chatière du jardin ! J'ignore ce que les amis restés à Paris décideront. Laisser Pipo à Jonathan qui est à la maison ou le ramener chez sa mère ? Dans trois jours il regagnera ses pénates de toute manière et ne retrouvera Oulala qu'en septembre. De son côté elle n'en fait qu'à sa tête depuis que nous sommes arrivés à La Ciotat. Elle arpente le terrain de long en large sans qu'on puisse l'attraper et elle ne rapplique pas lorsque je l'appelle comme le faisaient tous les matous qui l'ont précédée. Ouh la la !

Changement de ton. Sur FaceBook, je publiai hier :
Ne tombons pas dans le panneau !
Daesh est une construction occidentale, nous l'avons subventionnée, armée, et comme cela ne suffisait pas pour détourner les citoyens des véritables problèmes sociaux nous l'avons promue. Nous en faisons la publicité partout, et de jeunes déséquilibrés qui n'ont plus aucun espoir s'emparent du phénomène et servent les intérêts des nantis sans s'en rendre compte.
La population est tendue, se montant les uns contre les autres. L'ambiance pue. Des cambrioleurs agissent, on précise qu'ils ne sont pas arabes, comme s'il n'y avait de voleurs qu'avec le teint basané...
Daesh, comme jadis Alqaeda ou Ben Laden, n'existe et ne subsiste que grâce à nos médias. Il n'y a aucune centralisation de la terreur, sauf celle du Capital et il est prêt à tout pour conserver son pouvoir.

On peut être grave et léger, cartésien et énigmatique, se préoccuper de l'état de la planète et s'interroger sur les autres espèces qui la peuplent, on peut partager de louables intentions, se battre pour changer le monde et avoir furieusement envie de vivre, tant qu'il en est encore temps...

lundi 25 juillet 2016

Un dernier ? Pour la route !


Nous prenons nos quartiers d'été, halte à Lyon avant La Ciotat, concert le 1er août à Arles avec Amandine Casadamont pour REWIND, le 30e anniversaire de Phonurgia Nova, halte à Montpellier avant de grimper dans les hauteurs pyrénéennes où ne passent ni téléphone ni Internet, écarts gastronomiques de l'autre côté de la frontière, le reste on ne sait pas... Cela va dépendre du climat là-haut et du travail qui se précipitera ou pas à la rentrée. Oulala a bu un dernier coup avec son copain Pipo puisqu'elle est du voyage. C'est son premier tour de France ! Les quelques fois où elle est montée en voiture la petite chatte était très calme, ce qui est tout à fait dans son caractère. J'imagine qu'elle fera comme jadis Scotch et Ulysse, elle ira se caler dans un coin et se réveillera à l'arrivée. C'est un peu ce que nous faisons puisqu'avec Françoise nous nous relayons au volant. Jonathan, bon pied bon œil, garde la maison ! Pour l'instant je continue à bloguer, mais la pause estivale se rapproche. Aucune publication, ou vraiment très rare, pendant tout le mois d'août.

mardi 12 juillet 2016

Ça déménage


Mise à jour du carnet d'adresses. Incroyable épidémie de déménagements chez les amis. Accession à la propriété pour ceux qui embarquent sur une péniche magnifique au bord de la Marne ou qui cassent les murs d'un pavillon spacieux à Noisy-le-Sec, travaux héroïques pour ceux qui s'agrandissent, migration économique dans une lointaine province verdoyante ou expansion vers la riche banlieue ouest, vente du pied à terre parisien pour se concentrer au Cap-Ferret, studio de transition faute d'avoir trouvé l'appartement de leurs rêves... Les plus pauvres sont condamnés à payer un loyer en montant des dossiers de délire prouvant leur solvabilité. D'autres acceptent un boulot au Kurdistan irakien ou espèrent en trouver à New York ! Dans l'ensemble le mouvement est de prendre la tangente par rapport à la capitale, devenue trop chère, trop bruyante, trop polluée. Nous visitons les uns les autres au gré de nos libertés estivales. Françoise en profite pour fouiner dans les Emmaüs à proximité. Une constante, nos potes ont du goût. C'est beau, c'est mieux, mais c'est souvent plus loin. Lorsque je retourne à Paris intra-muros j'ai l'agréable sensation d'être un touriste. Traverser la Seine me procure chaque fois une émotion radieuse. Les ponts symbolisent le passage d'un état à un autre. De chaque côté du parapet les constructions s'effacent devant le fleuve qui fonce vers la mer.

lundi 20 juin 2016

Journal napolitain : 10/Les bonnes adresses de notre escapade


Je récapitule enfin les bonnes adresses de notre escapade napolitaine, amalfitaine et éolienne, en soulignant autant que possible les liens Internet de ces officines.


À Naples la meilleure surprise culinaire vient de la pizza frite de La Masardona où les amateurs font la queue après avoir donné leur nom, mais ce n'est hélas ouvert que le midi à part le samedi soir. Sinon dans le quartier antique A' Lucianella est une cuisine familiale sincère. Dans le quartier de la gare, les sfogliatelle chaudes de L'Antico Forno delle Sfogliatelle Calde de Fratelli Attanasio sont parfaites. J'ai trouvé des chemises à fleurs formidables à 25€ chez un vrai chemisier, Prestieri, via Toledo, et un costume bleu roi (pas d'affolement j'ai également pris un pantalon rouge révolution) avec une coupe italienne d'une rare élégance chez Emporio Uomo, via Casanova.


À Vico Equense l'Université de la Pizza, connue sous le nom de Gigino, la sert au mètre. C'est bon et un peu bizarre, car la salle ressemble à un immense réfectoire. Aussi avons-nous préféré le Terra Mia situé à côté de notre hôtel, l'Aequa. Ses risottos à l'encre de seiche ou aux agrumes et crevettes resteront inoubliables. Quant au glacier, la Cremeria Gabriele, il est absolument incontournable, un des meilleurs d'Italie et nous en avons testé quelques uns !


À Sorrento ne ratez pas le Musée de la Marqueterie, le lieu est aussi intéressant que ce qui y est présenté. Côté gastronomie, oubliez cette ville sinistrée par le tourisme.


À Ischia le seul restaurant qui nous a vraiment emballés est Un Attimo di Vino dont le patron sicilien, ancien chef étoilé qui a préféré la vie douce des îles, propose un menu à sa fantaisie, concocté avec amour. Sinon Françoise s'est fait faire de magnifiques sandales sur mesures par la cordonnière Mariarosaria Ferrara...


À Lipari nous nous sommes carrément abonnés au restaurant Kasbah Restaurant & Pizza à la cuisine inventive et succulente, voire moins cher que toutes les trattorias arnaque-touristes. Nous y sommes allés soir après soir. Quantité d'échoppes vendent des câpres (capressi e cucunci, selon la taille), trois pâtisseries proposent d'excellents canolis, des nacatulis aux amandes et des bouchées aux pistaches (les pistaches viennent toutes de Bronte en Sicile). Quant à notre excursion à Acquacalda, la trattoria Aurora ne sert que de la cuisine familiale et cela fait un bien fou. On leur a même acheté des petits gâteaux qui sont partis comme des petits pains à la première visite parisienne de nos amis.


À Vulcano ne vous contentez pas de grimper en haut du volcan, faites-en aussi le tour. Sinon les bains de boue sont une expérience intéressante. Pas forcément besoin de douche, si vous préférez vous rincer dans la mer.


À Stromboli le Villagio Stromboli possède une charmante plage sous ses fenêtres et nous nous endormons au son du flux et du reflux avant de gravir de nuit le volcan avec un des guides de Magmatrek.
N'ayant pu faire aucune comparaison je ne livre pas d'autre adresse d'hôtels, même si les nôtres étaient souvent très bien.


Pour la traversée en paquebot nous avions une cabine de 1ère classe avec douche, wc et hublot. Si vous avez les moyens ce n'est pas très cher et c'est tout de même plus confortable qu'autre chose. Et pour l'avion nous avons trouvé des billets très bon marché sur Air France sans les restrictions des low costs qui finissent par coûter cher en suppléments !

mercredi 15 juin 2016

Journal éolien : 9/Stromboli


Après une dernière journée à arpenter l'île de Lipari, particulièrement belle sur son flanc occidental, nous réembarquons pour une dernière escale avant le retour à Napoli, Stromboli dont le volcan occupe la quasi totalité de l'île, jusqu'à son sous-sol puisqu'il s'enfonce à 2000 mètres sous la surface.


Les rues de Stromboli sont si étroites que seules de minuscules voitures électriques ou des triporteurs peuvent les emprunter en rasant les murs de chaque côté. Pas question de laisser traîner une phalange à l'extérieur du véhicule ! De toute manière nous marchons, car l'île est toute petite, du moins en surface. Si les maisons de Lipari étaient de toutes les couleurs, un peu comme à Burrano près de Venise, celles d'ici sont toutes blanches. Partout les arrondis et arabesques rappellent l'influence maure.
Nous avons rendez-vous à 16h30 pour gravir le volcan et assister au spectacle nocturne de la lave en fusion. De temps en temps un toupet d'épaisse fumée noire semble s'échapper du sommet qui nous attend. Façon de parler car la bouche d'enfer crache son sang depuis des millénaires sans que les hommes n'y puissent rien.


Depuis la nuit du 31 décembre 2002 au 1er janvier 2003 où une éruption déclencha l'évacuation de l'île, la présence d'un guide est obligatoire. Avant, l'on pouvait monter comme on voulait, et même dormir là-haut. Des imprudents y laissèrent parfois la vie. J'ai vécu cette approche du danger sur l'Etna dans les années 60 et il faudrait que je retrouve les photos où nous sommes au bord du cratère tandis que des bombes incandescentes jaillissent derrière nous. Coïncidence troublante, la date de cette explosion correspond à la nuit électrique où Françoise et moi nous sommes mis ensemble, rencontre fabuleuse que j'ai plusieurs fois racontée, en particulier dans l'émission de France Culture, Sur les docks, consacrée à ma compagne cinéaste.


Notre équipement comprend des chaussures de marche, un T-shirt de rechange quand on sera arrivés en haut, un pull et un coupe-vent car il y fait frais, un foulard pour affronter la poussière, une lampe frontale pour redescendre, de quoi boire et manger. Magmatrek fournit casque et masque, et nous avons loué deux paires de bâtons qui soulagent les cuisses en montée et les genoux en descente. Nous voilà partis !


L'escalade se révèle ardue comme nous nous y attendions. La pente est très raide et le guide a de longues jambes. Je suis les pas de celle ou celui qui me précède sans beaucoup lever le nez ou regarder les maisons qui rapetissent à vue d'œil au bord de l'eau. Passé les hautes herbes que nous traversons comme une jungle, le paysage devient lunaire. Toutes les trente minutes les pauses en durent à peine cinq. Il faut éviter de faire glisser des pierres qui pourraient blesser d'autres grimpeurs en aval. Nous sommes une vingtaine à souffler à la queue-leu-leu.


918 mètres plus haut nous nous posons devant le soleil qui se couche tandis que nous tournons le dos à la pleine lune devenue rouge orangé. En dessous de nous, trois cratères crachent le feu. Spectacle époustouflant que je ne suis pas certain d'apprécier pleinement tant nous sommes à la fois crevés et émus. La fumée noire obscurcit le ciel étoilé tandis que des bombes rouge sang jaillissent des gigantesques bouches incendiaires. Mon sandwich prosciutto-mozzarella a du mal à passer tandis que je filme et photographie sans vraiment faire attention. Tous les randonneurs sont alignés sur l'arête du sommet l'œil rivé à l'objectif. Le trouble est évident. L'histoire et la géographie puisent leur source dans ce phénomène, mais la poésie et la métaphysique s'en mêlent.


Dans la nuit devenue noire nos lampes frontales éclairent nos chaussures s'enfonçant dans la cendre jusqu'aux chevilles comme si nous descendions debout un toboggan. Les trois quarts d'heure de cette dégringolade de poudreuse gris foncé sont hallucinants. Puis nous enfilons un masque pour nous protéger de la poussière que nous soulevons. Les randonneurs aguerris ne subissent évidemment pas notre douleur. Éreintés, nous regagnons l'hôtel où la douche est une bénédiction après le baptème du feu. Je fais mes exercices pour remettre mon dos d'aplomb, mais mon genou gauche exigera une petite remise en forme.


La renommée de l'île doit beaucoup au film de Roberto Rossellini, Stromboli terra di Dio, avec Ingrid Bergman. Nous nous embrassons devant la maison qui abrita leurs amours. Les pêcheurs ne massacrent plus les thons comme alors, d'autant qu'il n'y a plus de gros poissons. Thons et espadons ont beau être des spécialités du pays, il n'y a plus que des importations surgelées. Un grand bateau vient deux fois par semaine de Naples livrer l'eau inexistante sur l'île. Les épiciers en profitent pour tripler les prix par rapport à n'importe où ailleurs.


Rentrés à Paris, nous nous rendons compte que Vulcano, le film de Dieterle avec Anna Magnani réalisé en même temps que celui de Rosselini, est beaucoup plus intéressant. Rivalité des deux femmes, la délaissée qui avait apporté le scénario et remporté avec elle, la nouvelle délaissant Hollywood pour l'admiration puis l'amour pour le réalisateur italien, même scénario donc, même scènes, l'histoire des deux films est étonnante... Celui de Dieterle est moins mystique et plus proche des habitants de l'île...


Comme en Bretagne le temps change très vite. Pour notre escalade nous avons eu la chance de bénéficier d'un ciel d'azur avec peu de vent. La veille là-haut il faisait un froid de canard et le vent aurait décorné les bœufs si ces espèces étaient présentes sur l'île, mais nous n'avons vu que des oiseaux, des lézards, une couleuvre et quantité de chats et chiens alanguis. Les félins ont souvent une robe en écaille de tortue. Le lendemain matin nous nous baignons sur la petite plage de sable fin et noir qui brille au soleil, entourée de blocs de lave. J'ignore si ce sont des pierres ponces et de l'obsidienne, mais je ramasse trois petits cailloux qui y ressemblent. Le soir le ciel est devenu gris, il fait frais, nous faisons nos valises pour une dernière traversée jusqu'à Naples au bord de la Laurana.

mardi 14 juin 2016

Journal éolien : 8/Vulcano


La traversée de Lipari à Vulcano ne dure pas dix minutes. Il en faut beaucoup plus pour gravir la pente qui mène au grand cratère. Si nous savions ce que nous aurons à endurer au Stromboli, nous trouverions cette promenade a piece of cake. Mais le panorama vaut le jus qui s'est immiscé entre ma chemise et mon sac à dos.


La cime rafraîchit rapidement ma colonne vertébrale en séchant. De là-haut nous pouvons admirer les sept îles éoliennes, Lipari d'où nous sommes partis tôt ce matin et Salinas, Stromboli tout au fond à droite et Panarea, Filicudi et Alicudi, et même les côtes siciliennes qui se découpent en ombres chinoises dans le brouillard.


Continuant sur l'arête surplombant les pentes interne et externe du Vulcano nous en faisons le tour en grimpant toujours plus haut.


La redescente au milieu des fumeroles de soufre est impressionnante et fort odorante.


Françoise se brûle un orteil qui dépasse de sa sandale en courant sur la terre jaune citron. Petit a-parte, les citrons sont énormes, sans atteindre la taille des cédrats...


Paradoxalement il est recommandé de ne pas respirer les émanations gazeuses alors qu'en bas les bains de boue sont hautement conseillés si l'on souffre de problèmes respiratoires ! C'est aussi bon pour la peau, le dos, etc., pratiquement bon pour tout, sauf pour les yeux qu'il est absolument nécessaire de ne pas irriter en nous plongeant dans l'acquacalda, fangothérapie naturelle où les bulles éclatent à la surface du liquide beigeâtre dans lequel nous marinons avant d'aller nous rincer dans la mer. Je me brûle à mon tour la plante des pieds, car l'eau sort de certains trous immergés à 100°.


Entre la grimpette où les genêts embaument et la baignade aux odeurs d'œuf pourri nous passons une journée inoubliable que nous "immortalisons" en prenant quantité de photos tant le paysage est à couper le souffle. Il nous en reste heureusement, soit parce que nous avons appris à repirer avec notre kiné Mézières parisien, soit grâce aux bienfaits de la nature, qu'elle soit végétale ou minérale.

mercredi 8 juin 2016

Journal éolien : 6/La Laurana


Nous filons sur l'eau jusqu'à Naples pour embarquer pour les îles éoliennes. Dans le port immense, sur indications totalement erronées, nous errons à la recherche de l'agence où échanger notre voucher contre les billets. Heureusement le chauffeur du shuttle bus nous guide et une heure plus tard nous montons à bord de la Laurana. Notre cabine a un hublot, deux lits superposés et un cabinet de toilette avec douche. Cela me change des voyages en paquebot où je dormais sur le pont. Le départ est émouvant, voire étrange au milieu des gigantesques immeubles de croisière qui nous entourent. Des mouettes s'amusent le long des flancs du navire, luttant alternativement contre le vent et repartant à fendre l'air comme des flèches, dans un ballet aérien. Après avoir dépassé Capri nous nous enfonçons dans la nuit.


Françoise s'est entichée du mobilier et de la décoration du paquebot, très 60 malgré sa construction en 1992.


À l'aube le Stromboli a poussé comme un champignon sur l'horizon, mais son cratère est dans le brouillard. Nous l'ignorons encore, mais c'est la fumée qui émane du volcan. Des dauphins sautent comme des petits fous devant la proue. À Panarea, l'île des snobs où l'on ne va que pour se montrer, un énorme camion décharge une vingtaine de palettes de pelouse ! N'est-ce pas le comble de l'absurde pour ce village de cailloux ?

mardi 7 juin 2016

Journal napolitain : 5/Ischia


Une heure après avoir quitté le quai Beverello nous dévorons un plat de pâtes al dente sur le port d'Ischia. Nouvelle arnaque taxi pour rejoindre l'hôtel où nous héritons d'une chambre splendide, la large baie vitrée et l'immense terrasse offrant une vue imprenable, sauf en panoramique, sur le Golfe de Naples, le Vésuve, l'île de Procida, le Castello Aragonese et notre île verdoyante. Deux piscines thermales et un hammam finissent par nous achever, d'autant que nous sommes devenus accros à l'hydromassage !


A contrario l'éternel menu se répétant de restaurant en trattoria attrape-touristes commence à me sortir par les trous de nez. J'aime pourtant bien les pâtes, les fruits de mer et leurs fritures, le risotto, les salades fraîches et les pizzas, on en sort difficilement. J'espérais plus de fantaisie de la cuisine italienne, du moins ce que j'en connaissais des régions du nord. J'ai même levé le pied sur les gelati qui pour l'instant n'arrivent pas à la cheville de Berthillon. Cocorico ! Le restaurant sur pilotis Alberto au bout de la plage avait un peu relevé le niveau, mais L'Un Attimo di Vino tout au bout du quai marquera l'une des meilleures séquences gastronomiques de notre voyage. Son chef sicilien nous concocte un menu sublime, carpaccio de thon et de crevettes, pâtes au poisson et daurade royale en fine croûte de patate ! Nous décidons néanmoins de ne plus faire qu'un repas sur deux au restaurant, mais nous serons incapables de nous y tenir.


Sur l'île on n'entend parler qu'italien et... allemand. Presqu'aucun Français, encore moins d'autres nationalités. Tant et si bien que l'allemand est devenue la seconde langue des commerçants. Est-ce la raison pour laquelle il est impossible de se fier aux commentaires de TripAdvisor qui concernent la vue, mais tombent à côté de la cuisine ? Les conseils du Petit Futé que j'ai téléchargé avant le départ sont plus avisés, mais il vaut souvent mieux demander conseil aux autochtones comme à Mariarosaria Ferrara, la cordonnière chez qui Françoise s'est fait faire deux paires de sandales sur mesures. Sinon j'utilise l'application UdonPro qui me permet de regarder les cartes hors ligne en ayant même mémorisé les endroits qui m'intéressent.

jeudi 2 juin 2016

Journal napolitain : 3/Vico Equense


Vestige du passé, comme dans de nombreux pays les magasins qui vendent la même chose se retrouvent presque tous dans la même rue, les instruments de musique près du Conservatoire, les chapeaux près de la gare, les souvenirs via dei Tribunali, etc. Les quartiers sont pareillement tranchés, mais cette fois par classe sociale. L'opulence de Chiaia contraste avec la misère du Mercato, et que dire alors de la banlieue ? Peu de touristes dans le quartier espagnol, mais beaucoup se promènent le long de la via Partenope. Les Africains, probablement réfugiés en Italie depuis relativement récemment sont concentrés près de la gare, qu'ils aient pignon sur rue, montent et démontent leurs parasols, ou déplient leurs baluchons en surveillant les descentes de police, ils occupent les trottoirs qu'emprunte l'homo touristicus.


L'air du large nous fait du bien après avoir arpenté tant de parallèles et de perpendiculaires. Nous déjeunons en terrasse sur le Borgo Marinari, face au Castel dell'Ovo, avant d'aller déguster un énième café (ristretto), 90 centimes au comptoir, serré, fort et onctueux comme on n'en trouve jamais en France. Françoise rachète deux nouvelles cafetières chez un droguiste qui lui donne toutes les explications pour réussir un véritable café napolitain où le peu d'eau utilisée tombe goutte à goutte. Le soir je découvre les pâtes à la farine de flageolets A' Lucinella dont les moules à l'huile pimentée dites zuppe di cozze sont un régal. Nous n'avons encore visité aucun musée, préférant nous imprégner de la vie des rues, bousculés par les scooters et autres bolides, arrosés par les voix cassées des femmes qui hurlent pour se faire entendre, charmés par le mélange astucieux des genres et des époques.


Le lendemain nous reprenons le Circumvisiana pour Vico Equense où les vacances commencent vraiment, bain dans la grande piscine déserte de l'Aequa et une promenade en contrebas jusqu'au bord de la Méditerranée. La vue de la terrasse de notre chambre est incroyable, le Vésuve en face surplombant le Golfe, la montagne verte faisant dossier et les maisons rose orangé contrastant avec le bleu du ciel et la végétation. Il nous manque juste une heure ou deux entre chaque repas pour digérer les pizzas au mètre de Gigino et les fritures de mozarella ! Nous nous abonnons néanmoins au Terra Mia à l'exquis risotto, qu'il soit aux agrumes et crevettes ou à l'encre de seiche, aussi noir que l'ultra-noir honteusement breveté par Anish Kapoor.


Mais le pompon se décroche à la Cremeria Gabriele où les petits babas au rhum sont servis avec glace noisette et Chantilly, et où le Tartuffo est une variation où le chocolat noir et croquant enveloppe la crème glacée.

mardi 31 mai 2016

Journal napolitain : 2/Herculanum


Le Circumvesuviana est une sorte de RER qui s'arrête toutes les deux minutes jusqu'à Sorrento le long de la côte amalfitaine, mais nous faisons halte à Ercolano Scavi pour visiter les ruines d'Herculanum. Françoise et moi ne connaissons que Pompéi, mais Yann-Yvon avait raison de nous indiquer cette petite cité ensevelie sous quinze mètres de lave et dégagée au fur et à mesure depuis le XVIIe siècle. Les fouilles n'ont permis de n'en dégager qu'un quart, car le reste est enfoui sous les immeubles modernes.


Le mot "moderne" sonne bizarrement à la vue des cages à poules où vit une population très pauvre. La pauvreté de la région contraste avec les villas excentrées des riches. Je connais mal les implications de la comorra dans la société napolitaine, sa présence restant discrète pour un touriste. Dans une rue qui longe les fouilles, une plaque rappelle "la mort accidentelle d'un jeune innocent victime du crime organisé".


Bien que nous n'ayons souscrit aucun abonnement local le plan de mon iPhone affiche notre position, ce qui est bien pratique dans le dédale napolitain. Vous connaissez la chanson, le linge sèche aux fenêtres, de petits kakous qui n'ont pas quatorze ans font des courses de scooters dans les rues étroites... Le concert de klaxons est définitivement moins touffu et moins musical qu'au siècle dernier ! Le Vésuve semble assagi. Nous nous régalons de sfogliatelle qui sortent du four, spécialité de la Campanie composée de ricotta parfumée à la vanille ou à la canelle avec des petites morceaux de fruits confits, le tout enveloppé dans une pâte feuilletée. Comme un fait exprès l'Antico Forno delle Sflogliatelle Calde Fratelli Attanasio est à deux pas de notre hôtel !


Chaque fois que je pense à la ricotta je pense au sketch sublime de Pier Paolo Pasolini dans le film collectif Ro.Go.Pa.G. où Orson Welles tient le rôle du réalisateur. Cette dénonciation de la pauvreté face à l'opulence de l'Église valut à Pasolini une condamnation à quatre mois de prison qu'il évita en payant une amende. C'est avec Uccellacci e uccelini et Che cose sono le nuvole ? mon préféré de ses films.


En marchant via dei Tribunali je trouve un amusant sistre articulé où sont cloués de petits crotales. Mais c'est au magnétophone que j'attrape la véritable musique de Napoli, incessant brouhaha, les cris des fêtards succédant au vacarme de la circulation, le montage du marché s'effaçant derrière la harangue des camelots.

lundi 30 mai 2016

Journal napolitain : 1/Napoli


Exténués par des heures de marche à pied jusqu'au quartier Chiaia en passant par les hauteurs, nous faisons une petite sieste, écourtée par l'excitant vacarme napolitain. Les cris des marchands à la sauvette africains se mêlent aux klaxons et aux ghetto-blasters. Les réacteurs d'un avion de ligne décollant de l'aéroport de Capodichino font passer la circulation au second plan, plus rassurante que la centaine de "pétards" enregistrée hier soir vers minuit. Pourtant la folie de la ville n'a plus rien à voir avec le chaos traversé lors de mes précédents voyages dans les années 60 et 70. Quant à Françoise, elle retrouve l'ambiance du Marseille de son enfance. La fantaisie se serait-elle affadie sous les coups de butoir de politiques plus catastrophiques les unes que les autres, de la démocratie chrétienne à Berlusconi, en passant par un compromis historique dont nous subissons à notre tour les ravages ?


Le voyage avait commencé à Charles de Gaulle où des robots sont chargés de délivrer cartes d'embarquement et étiquettes bagages. Évidemment ça marche comme ça peut, et les bugs justifient qu'Air France n'ait pas licencié tout son personnel au sol. La détérioration du service s'est amplifiée petit à petit depuis la mise en Bourse de la compagnie. Les usagers et les salariés passent après l'appétit des actionnaires. Trop de chemises blanches ont encore leurs boutons !
À l'arrivée à Naples le chauffeur du taxi nous met illico dans l'ambiance à grand renfort de rengaines locales, d'un compte-rendu de la misère et d'une jovialité propre au sud de l'Italie.


Nous avons arpenté le centre antique jusqu'à la Galerie Umberto 1er, haute et magnifique verrière surplombant des immeubles qui partagent leur crème avec le Grand Café Gambrinus. Sur le chemin j'ai trouvé de toutes petites guimbardes, impossible de me souvenir de leur nom italien scacciapensieri, que j'avais cherchées sans succès à Pigalle. Ce ne sont pourtant pas des siciliennes, mais des autrichiennes, comme les strudels évoqués plus haut. Chez Pestieri, via Toledo, j'ai dégotté des chemises à fleurs pétant de couleurs pour une bouchée de spaghetti con vongole. Si les restaurants sont chers, les vêtements sont extrêmement bon marché. Le soir nous allons dîner à La Masardona réputée pour servir la meilleure pizza frite de Naples, ce qui ne semble pas usurpé ! La farce est cuite entre deux très fins disques de pâte frite que l'on accompagne avec une bière artisanale locale.
Nous nous endormons repus dans une chambre plus agréable que le trou à rats de la première nuit, infestée de moustiques, peut-être due à la proximité des machines à air conditionné.

jeudi 5 mai 2016

In vino veritas


La cave est si sombre que j'ai du mal à lire les étiquettes. Avec une lampe frontale et mon iPhone qui supporte mieux l'absence de lumière que le Lumix je suis descendu faire mon Arman sans la casse. Deux fois par an je remplis les places vides avec du rouge et du blanc. En vieillissant le vin se bonifie, mais je le supporte de moins en moins bien. Après deux ou trois verres j'ai un point là, à droite sous le sternum. Nous n'achetons pourtant plus que des vins bio ou naturels. Petits buveurs, nous n'en consommons qu'avec les amis, ici ou ailleurs. C'est bon pour le cœur. C'est doux au palais. Comme je garde les meilleures pour de grandes occasions il arrive que ce soit trop tard et Françoise qui a un nez d'enfer renvoie les bouteilles en prétextant qu'elles sont bouchonnées ou madérisées. Cela me fend le cœur. J'aime bien le vin à table, mais je crois que j'ai toujours préféré les alcools forts. C'est comme le piment, un truc de défoncé. La cave est au sous-sol, le bar est en haut. Mon père qui avait été barman au Ritz, un de ses cent métiers, m'avait appris à composer des cocktails américains, mais plus personne n'y semble attaché. Les traditions se perdent. J'ai pourtant la panoplie complète. Je secoue le shaker pas plus de deux fois par an. La vodka et l'aquavit sont au congélo, mais ce sont les rhums qui descendent le plus vite. Sans compter le vin d'orange et la gentiane de Jean-Claude. Ma préférée, c'est sa liqueur de nèfles. 40 noyaux, 40 sucres, 40 jours à macérer dans un litre à 40°. La poussière recouvre la plupart des flacons. Le vin s'envole chaque fois que l'on va dîner chez des amis. Depuis des années je fais aveuglément confiance à Pierre pour choisir les vignobles. Je n'ai plus qu'à jouer des poids et des haltères pour regarnir les places vides et étancher ma soif... Et puis j'aime l'eau, l'eau fraîche, glacée. En vérité j'aime tout. Tout ce qui se boit, tout ce qui se mange, tout ce qui sent bon, qui sonne bien, tout ce qui est joli à voir et à toucher. Aimer. C'est bon.

mercredi 4 mai 2016

Un carton ?


Jeudi dernier je publiai la chanson Toï et Moï qui me valut tant de retours que je succombe aujourd'hui à la tentation de livrer un autre extrait de l'album Carton réalisé avec Bernard Vitet. Nous avions eu la prétention ou la naïveté de renouveler la chanson française, mais malgré les excellentes critiques qui accompagnèrent sa sortie en 1997 il n'y eut pas même de tempête dans mon verre d'eau, Bernard préférant de son côté un breuvage plus alcoolisé. De plus, les compliments s'adressaient essentiellement à la partie interactive de l'album, puisque c'était un des tous premiers CD-Rom d'artiste. Conçu à partir des étonnantes photographies de Michel Séméniako, je l'avais réalisé avec le graphiste Étienne Mineur et Antoine Schmitt à la direction technique.
J'avais écrit la chanson éponyme en utilisant des titres de films que j'aimais particulièrement. Les paroles se réfèrent entre autres à des œuvres d'Alfred Hitchcock, Elia Kazan, F.W. Murnau, Karl-Heinz Martin, Ferdinand Khittl, Luchino Visconti, Michael Snow, Ingmar Bergman, Jean Epstein, Pier Paolo Pasolini. Quant aux extraits sonores ils viennent de Max Ophüls, Jean Cocteau, John Huston, Fritz Lang, Alain Resnais... Je vous laisse deviner de quels films il s'agit, que ce soit les mots chantés par Bernard ou les bandes-sons originales. Avant la vidéo et les VHS, lorsque je voulais conserver la trace d'un film autrement que dans mon souvenir ou ma bibliothèque, je ne pouvais en enregistrer que le son. J'ai donc écrit une chanson d'amour, j'imagine mal de vivre avec quelqu'un qui ne partage pas ma passion, et aussi pour le cinématographe, en particulier pour la période muette qui paradoxalement m'apparaît comme la plus sonore. Car au début des années 30 le cinéma est surtout devenu parlant. C'est peut-être cette démarche réductrice, du moins d'un point de vue poétique, qui me fit initier le retour au ciné-concert avec Un Drame Musical Instantané dès 1976. Nous avons ainsi accompagné 26 films muets, fait le tour du monde grâce à ces spectacles, et lancé une mode qui fleurit depuis lors. Notre sens de la contradiction, notre peu d'appétence pour les affaires et notre soif d'invention nous firent abandonner le genre justement lorsque c'est devenu une mode, en 1985 après le Festival d'Avignon. Carton se réfère aux textes apparaissant sur l'écran, souvent intercalés entre les images.
La voix de Bernard me manque, comme son merveilleux sens mélodique, et lui-même plus que quiconque. Pour les refrains j'ai pitché la voix de ma fille Elsa lorsqu'elle avait 8 ans. En 2011 Françoise Romand a utilisé les chansons de l'album Carton, et celle-ci en particulier, dans son film Thème Je qui est aussi une histoire du cinéma, à sa manière, une histoire d'amour qui, pour une fois, finit bien, soit par où l'on a commencé.



CARTON

Elle habitait La Muette
Elle avait peur des mouettes
Il adorait le muet
Et rêvait d'un tramway,
A la Cinémathèque
Ils se sont rencontrés
Pour un film d'Hitchcock
Ils se sont rapprochés.

De l'autre côté du pont
Les fantômes vinrent à leur rencontre...

Il lui demanda son nom
Elle répondit Désir
Il en coupa le son
Ça s'appelait L'aurore,
Et de l'aube à minuit
Sur la route parallèle
Ils oubliaient le bruit
De leurs propres paroles.

De l'autre côté du pont
Les fantômes vinrent à leur rencontre...

Admirant les étoiles
Sans drap vague ma Grande Ourse
C'est la région centrale
Qui devenait leur source,
Dans la glace à trois faces
De ces deux cinéphages
Voyez-vous, s'ils s'embrassent,
Ce que sont les nuages.

dimanche 1 mai 2016

Le délit d'opinion est rétabli en France


INCROYABLE : Les flics avaient coupé la manif en deux par pure provocation. Au lieu de se disperser les manifestants ont occupé le boulevard Didierot une heure et demie jusqu'à ce que les négociations avec la Préfecture aboutissent. Ils ont réussi à rejoindre Nation, mais en la quittant par le faubourg Saint-Antoine Françoise s'est fait bloquer par un cordon de CRS qui ont refusé de la laisser passer si elle n'arrachait pas les deux autocollants sur sa poitrine pour aller les jeter dans la poubelle. Elle est repartie par Diderot plutôt qu'obéir à cet ordre inadmissible. Quand je pense qu'on trouvait que j'exagérais lorsque je disais que Valls avait tout d'un petit dictateur...
L'avenir est entre vos mains !

P.S. : le délit d'opinion ne peut pas exister dans le droit positif des pays comme la France où la Constitution garantit la liberté d'expression et d'opinion. Ainsi, en France, l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 pose que « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi. » En la matière, Françoise souhaitait juste rentrer à la maison !

mardi 26 avril 2016

Comment taire ?


Ma dernière réponse à Raymond Macherel, chargé de communication du film Comme des lions de Françoise Davisse, précise quelques faits et réflexions qui, même sortis du contexte, évoquent quelques remarques et sentiments que je ressasse depuis trop longtemps. Commencé sur FaceBook, continué sur Mediapart, cet "échange" voit probablement ici son terme, car il ne sert à rien d'insister lorsque c'est peine perdue. Par contre, à la relecture j'y décèle en filigranes quelques éléments de morale qui me sont chers. Les points abordés sont donc des réponses du tac au tac aux propos de mon interlocuteur.
1. La gauche n'est ni au pouvoir, ni au gouvernement. Je ne l'ai jamais cru, au grand jamais. Je ne suis pas non plus dupe des votes auxquels j'ai participé depuis que je suis en âge. Cinq minutes dans l'isoloir pour un résultat nul à chaque tirage de cette loterie pipée que l'on a encore le toupet d'appeler "démocratie". La bonne blague !
2. Mélenchon ne m'a jamais tiré de larmes. Il ne faut tout de même pas exagérer. J'ai apprécié son discours devant les associations LGBT et celui de Marseille où je n'étais pas, pas plus qu'à la Bastille.
3. Je ne comprends pas ton anti-mélenchonisme, après l'avoir adulé avec les mêmes excès romantiques de langage et les trémolos dans la voix que tu emploies aujourd'hui pour en encenser d'autres. De mon côté je n'ai jamais appartenu au PCF, ni au PG, ni d'ailleurs à aucun parti, mon engagement étant plus philosophique que politique, me retrouvant parfois sur le terrain dans des moments et des lieux en situation cruciale. Je fus compagnon de route des uns et des autres. J'ai ainsi soutenu (artistiquement) une campagne présidentielle par solidarité contre la droite officielle et celle prétendument socialiste. Je n'ai jamais été dupe de ce qui nous attendait. Donc aucune déception (ni en 1981 où je n'ai pas fait la fête, ni en votant contre Maastricht, ni aux dernières élections où j'ai fini par voter blanc parce que le noir, disait Monet, n'est pas une couleur, alors que le blanc est la somme de toutes, du moins quand on court vite). Déception tout de même de constater que lorsqu'il s'agit de culture, les "politiques" rejouent toujours le populaire contre l'imagination. Le style manque cruellement à l'idée, ici comme ailleurs. Et cela me rend triste quand Mediapart invite Zebda ou Les Yeux Dla Tête pour animer leur fête annuelle. C'est du même niveau que les manifs qui ressemblent à une promenade dominicale en famille.
Nuit Debout a au moins le mérite d'inventer autre chose... On évite ainsi le "tous pourris" et le "c'est trop compliqué", et l'on s'interroge sérieusement sur l'avenir, sans pour autant avoir la moindre idée de comment rassembler toutes ces fantastiques initiatives et énergies positives...
4. N'étant ni rentier, ni journaliste salarié, je ne vois pas comment je descendrai dans le Gard pour aller au cinéma, qu'elle qu'en soit la programmation, mais je m'en réjouis pour les habitants de là-bas. En dehors de cela je sors peu, car mes activités m'accaparent et mes loisirs s'épanouissent à des heures où tout est fermé!
5. Je n'ai jamais rencontré Ruffin, alors je vois mal comment il serait "mon ami", à moins que tu adoptes la terminologie de Zuckerman.
6. Tu continues à jouer l'opposition Ruffin/Davisse du plus mauvais goût. Cela transpire la jalousie et ne fera pas monter le nombre d'entrées d'un film pour lequel tu es payé pour le promouvoir.
7. Je continue à ne pas comprendre tes références aux films d'Orson Welles quant au monde qu'il aurait imaginé et que tu fustiges. De plus, les deux films militants dont tu parles et ceux dont tu t'es occupé précédemment n'ont hélas rien à gagner à être comparés avec ceux de Welles ou de cinéastes qui ont cherché la forme appropriée à ce qu'ils rêvaient d'exprimer. C'est bien ce qui m'ennuie dans la plupart des films politiques, qu'ils soient fiction ou documentaire. En général ils ne convainquent que celles et ceux qui sont déjà convaincus, et leur style est tout sauf inventif. Les vrais films politiques empruntent des chemins de traverse et nous poussent à la réflexion longtemps même après avoir été réalisés.
8. Quant on voit pour qui tu as travaillé et comment tu leur tailles en costard je ne sais pas comment le prennent ceux pour qui tu roules aujourd'hui lorsqu'ils te confient le soin de t'occuper d'eux ! Ton emballement d'hier et ta charge contre eux aujourd'hui frisent l'hystérie.
9. Je t'ai répondu du tac au tac, mais je me vois mal continuer à polémiquer en ce qui te concerne. Je le fais ici comme sur FB, pas forcément pour celles et ceux à qui je semble m'adresser, mais parce que j'imagine que nous sommes lus par d'autres qui préfèrent ne pas prendre part au débat, mais s'en imprègnent forcément.
Bien à toi,
jjb

mardi 12 avril 2016

Énigme ornithologique


Samedi soir en sortant de chez moi je trouve un pigeon perché au-dessus de la porte d'entrée sur une branche minuscule de l'églantier. J'essaie de l'effrayer pour qu'il s'envole, mais il ne bronche pas. Françoise n'aime pas cette espèce d'oiseaux, mais j'ai autre chose à faire à cette heure-ci. C'est probablement un animal malade, attiré par les bouts de pain trempé que le voisin s'évertue à semer malgré l'interdiction de les nourrir. Dans la soirée des amis vont et viennent sous lui sans que j'y repense, mais plus tard lorsque je ferme mes volets pour regarder un film je vois le loustic toujours sur sa branche. J'y retourne, frappe des mains, secoue l'arbre, mais il a les yeux fermés, la tête pendante et j'en conclus qu'il est venu mourir là, bien accroché. Le lendemain matin lorsque j'ouvre la fenêtre il tourne la tête vers moi ! Il n'a toujours pas bougé d'un millimètre depuis la veille. Un de ses copains vient lui tenir compagnie. Il fait des sortes de génuflexions, se tassant, se relevant. Je prends la photo avant que celui-ci, à droite sur le cliché, s'envole sur une cheminée d'en face. Une minute plus tard ma palombe quitte son perchoir à son tour comme si de rien n'était. Morale de l'histoire : il n'y en a pas, mais j'aimerais bien qu'on m'explique.

dimanche 3 avril 2016

Jonathan Rosenbaum sur "Baiser d'encre"


Le plus exquis de "Baiser d'encre", le nouveau film de Françoise Romand (DVD multizone disponible sur romand.org avec bonus et sous-titres anglais, français et espagnols), est comment le travail et la vie d’Ella et Pitr, un couple d’artistes hippie très inspiré qui «peint leur amour et leurs fantasmes sur les murs du monde" (leur propre site web ellapitr.com est là pour le prouver, vous pouvez en apprécier les effets), ont poussé un autre couple - Romand elle-même à l’image et Jean-Jacques Birgé au son - à développer une quantité égale de fantaisie critique pour nous les faire connaître. Le site web de Romand présente la bande-annonce ainsi qu'un lien vers un livre éponyme du couple filmé que je n'ai pas encore vu.
Jonathan Rosenbaum, Cinema Scope #66, Mars 2016
Global Discoveries on DVD: Niche Market Refugees

Depuis six ans je n'écris en général plus le week-end, mais si c'est pour laisser la parole à Jonathan Rosenbaum dont le blog est le seul consacré au cinéma que je suis régulièrement, alors... D'autant qu'il a l'oreille de me citer pour la partition sonore aux petits oignons que j'ai composée pour Françoise avec le soutien de la chanteuse danoise Birgitte Lyregaard, du multi-instrumentiste Sacha Gattino, du saxophoniste Antonin-Tri Hoang, du violoncelliste Vincent Segal, de l'ici-contrebassiste Hélène Sage et du batteur Edward Perraud ! Je n'aurais jamais assumé ce rôle où les bruits, la musique et les voix participent d'un même ensemble sans Aimé Agnel et Michel Fano qui m'apprirent à écouter lors de mes études à l'Idhec au début des années 70. Pendant que j'y suis je salue la mémoire de Frank Zappa qui déclencha ma passion pour la musique, Jean-André Fieschi qui me donna les moyens de continuer à apprendre jusqu'à aujourd'hui et Bernard Vitet qui, entre autres, m'enseigna le silence... On dirait que je répète un discours à une remise de prix, mais si cela se produisait encore, je crois que mon intervention serait autrement plus politique, en particulier pour affirmer que sans le statut d'intermittent je n'aurais jamais eu la liberté de faire ce qui me chante en toute indépendance.

mercredi 30 mars 2016

La mémoire en rappel


La mémoire est fragile, constamment reconstruite au fur et à mesure que les informations s'accumulent dans notre ciboulot, figée à force de se polariser sur un détail ou volatile jusqu'à l'oubli total. Produit du présent, elle forge l'avenir sans aucune certitude du passé. Demandez à plusieurs témoins de reconstituer le moindre évènement après quelques années et il perdra toute véracité au profit d'un puzzle complémentaire ou sujet à d'inexplicables contradictions.
Hier j'écrivais ne pas me souvenir quand et comment j'avais rencontré la créatrice sonore Amandine Casadamont avec qui je viens d'enregistrer un album inaugurant une collaboration des plus excitantes. Or Amandine m'avait rappelé le jour-même en quelle occasion nous nous étions croisés, mais je n'y avais pas fait attention. Hier Laure Milena, dont je me souvenais pourtant qu'elle en était l'initiatrice, me raconte qu'elle avait invité Amandine, avec qui elle travaillait à l'époque, à venir me voir jouer avec Antoine Schmitt, un projet de flux radio et image d'ordi en devenir, qui leur avait beaucoup plu à toutes les deux. Elle nous avait présentés après le spectacle, mais comme souvent en sortant de scène je n'en garde aucun souvenir. Je raconte cette petite histoire parce que Laure ne fut pas la seule à relever ma perte de mémoire... Le 17 avril 2010 Antoine et moi présentions en effet Mascarade à l'Espace Mercoeur à l'invitation des soirées IRL (In Real Life) en avant-première de la création qui ferait l'ouverture du FIMAV (Victoriaville, Québec) en première partie de notre opéra pour 100 lapins connectés, Nabaz'mob.


Les 3336 articles de mon blog, en marge de leur fonction quasi encyclopédique, représentent d'ailleurs un fantastique pense-bête que je consulte régulièrement puisqu'ils me tiennent lieu de journal quotidien depuis bientôt douze ans. De même les images qui les accompagnent dessinent une chronologie que le temps a tendance à dissiper dans sa subjective élasticité. Lundi Françoise, attirée par la musique qui se construisait dans le studio, fit quelques clichés de notre duo après avoir filmé l'enregistrement de deux de nos improvisations. Et chacun, chacune de sortir son appareil pour immortaliser la scène ! Amandine poste une photo sur FaceBook tandis que je cherche à capturer l'envers du décor où l'aiguille brille. Plus tard nous réaliserons ensemble la pochette de Harpon en étalant par terre les vinyles utilisés pendant la séance.
Dans le cas d'improvisations totales ce n'est que le lendemain que je découvre réellement ce que nous avons joué et mixé. J'aime ce faux magma rigoureusement agencé dans un état semi-comateux où nous contrôlons pourtant le moindre de nos gestes. Les scories y sont les garantes du vivant, complicité de l'imprévisible. Nous reconnaissons l'une et l'autre notre goût pour l'écriture cinématographique, dialectique des plans prenant tout leur sens au montage en direct, perspectives sonores jouant de la profondeur de champ, mais aussi profusion des détails offrant quantité d'interprétations selon les auditeurs, énigmes produites par les ellipses, abstractions que seule la musique suscite...

mardi 22 mars 2016

Iconoclash, toujours !


Il est intéressant de revoir treize ans plus tard le petit film que Françoise Romand avait réalisé sur l'exposition Iconoclash organisée au ZKM en 2002 par Bruno Latour et Peter Weibel. Les interrogations sur l'importance des images au travers des siècles n'ont pas changé. La réalité est d'autant plus difficile à cerner que les nouvelles technologies rendent les manipulations de plus en plus invisibles. La critique des images s'exerce au milieu d'un capharnaüm qui brouille les cartes en s'accompagnant d'un storytelling toujours aussi persistant. La simplification tend à faire croire à une complexité camouflant la simplicité des intérêts du pouvoir sur la crédulité des masses. La spirale où nous entraîne notre désir d'apprendre trouve dans l'art une résolution certes plus satisfaisante qu'en politique, mais aussi troublante que dans les sciences. Le point de vue passionnant de Latour se réfère à des siècles de christianisme où les hommes se sont entredéchirés sur ces questions d'images et sur leur destruction. L'effacement est intimement lié au dessin comme la déchirure au dessein.


Iconoclash renvoyait dos à dos les iconophiles et les iconoclastes, sans que les uns se distinguent radicalement des autres, les deux mouvements procédant généralement de la même intention. Si l'inconscient ignore les contraires, la question de l'image ou pas renvoie non à son affirmation ou à sa négation, mais à son sujet, l'image, toujours aussi puissante depuis que les êtres humains s'en sont emparés. La religion, la politique, l'art et les sciences exploitent la crise de la représentation pour fédérer les communautés dans le progrès et la régression. Les artistes exposés, de Rembrandt à Boltanski, sont forcément dans le blasphème ; c'est le rôle de l'art de bousculer les idoles, quitte à les remplacer périodiquement. Les meneurs d'opinion cherchent au contraire à entériner des concepts, à installer des certitudes. Si la fonction des uns est d'interroger ce que l'on voit, celle des autres est d'apporter les réponses avant que l'on ait le temps d'y réfléchir. L'art est bien le dernier rempart contre la barbarie.

mercredi 16 mars 2016

Quand je ne fais rien...



Avant de s'envoler pour Bahreïn où elle reprend l'opéra Carmen avec l'Orchestra di Piazza Vittorio, Elsa m'a aidé à mettre en forme ma newsletter. Cette actualité est longue comme le bras. Envoyée par mail, je l'ai reproduite ici parce qu'elle résume bien ma non-activité. Tout ce qui y est annoncé est terminé à mon niveau. Les expositions suivent leur cours, les disques à paraître sont entre les mains des producteurs, les applications pour tablettes bénéficieront de mises à jour... Il n'y a que le blog qui s'écrive au jour le jour, avec une pause vacances prévue au mois de mai où, Françoise et moi, nous nous envolerons pour Naples, Ischia et les îles éoliennes. Repos bien mérité.
Néanmoins, en attendant l'hypothétique coup de fil de Monsieur De Mesmaeker, je classe les archives et prépare l'album du trio El Strøm que nous avons décidé de publier chez GRRR avec Sacha Gattino et Birgitte Lyregaard. Un autre projet personnel me tient à cœur, mais j'ai du mal à m'y remettre sans perspective de débouchés sérieux. On verra cela au retour.
Vendredi prochain à 19h je fais aussi un petit set avec Antonin-Tri Hoang pour soutenir le collectif des Baras qui squattent le 72 rue René Alazard à Bagnolet. Venez ! Il y aura aussi Blick Bassy, Étienne et Léo Brunet, Jah Nool Farafina, Dié... Et les Baras, Africains chassés de Libye par notre guerre, auront préparé le mafé et le tiep !

N.B.: si vous souhaitez recevoir la newsletter (avec liens opérationnels !), écrivez à info(at)drame.org

mardi 8 mars 2016

Apéro Boulot Château


Pour cette Journée Internationale des Femmes, aussi condescendante et machiste que la galanterie, j'ai eu envie de ressortir de ses cartons un court métrage apéritif tourné dans les années 80 par Françoise Romand. Portrait d'une entreprise paternaliste de 1800 salariés, il pointe le rôle des femmes dans la société française comme dans celle fondée par Paul Ricard. Les chaînes dansent autour de la bouteille, réunion de "famille" élargie où le syndicat est maison et où les ouvrières sont estampillées Ricard. Il y est question d'héritage et de classes sociales, des perspectives d'emploi des enfants des uns et des autres, et d'une philosophie de l'entreprise où les salariés parlent à la première personne du pluriel pour évoquer leur employeur. Quel pastis !


Le titre de ce petit film livre évidemment une piste sur l'angle choisi par la réalisatrice pour suggérer la manière dont le patronat tient son personnel. Il est facile d'imaginer ensuite comment les élites gouvernent un pays à grand renfort de communication et de bourrage de crânes. Dans Apéro Boulot Château on retrouve le style de Françoise Romand, mise en scène explicite du documentaire, entretiens face caméra, effets de montage où le décor fait partie des protagonistes... Le thème de l'identité y est aussi présent que dans ses longs métrages Mix-Up, Appelez-moi Madame, Vice Vertu et Vice Versa, Passé Composé, Thème Je ou Baiser d'encre. Quel que soit son sujet Françoise Romand n'abandonne jamais la fantaisie, façon habile de prendre du recul avec des évidences présupposées. Ces petits décalages replacent le réel dans la mise en scène sociale qui exploite quotidiennement la naïveté de ses acteurs transformés en spectateurs de leur propre aliénation. La réalisatrice, ici comme dans ses films plus "sérieux", se sert des codes pour les transgresser avec humour, en jouant de sa complicité avec celles et ceux qu'elle filme. Santé !

→ Six films de Françoise Romand sont déjà sortis en DVD, commandables sur son site.

mercredi 24 février 2016

Une équation qui ne passe pas


Dix jours après l'accident qui a emporté Ulysse, je n'arrive pas à me débarrasser d'une image qui me poursuit. Lorsque je l'ai découvert gisant dans la rue, là où quelqu'un l'avait déposé devant notre porte sans oser sonner, j'ai agi comme je l'ai toujours fait confronté à une catastrophe, d'un sang-froid exemplaire. Cela m'aide certainement à surmonter l'épreuve sur le moment, mais les conséquences sont dévastatrices. J'ai cherché à protéger Françoise, l'empêchant d'approcher de trop près. Elle est venue tout de même. En réalité, dans ces moments, je me défends comme un diable contre mes propres sentiments, refoulant l'émotion qui m'assaille. Les sanglots éclatent plus tard dans le calme de la solitude quand il est impossible de cantonner la tristesse au reniflement. Ce dimanche les fontaines du Trocadéro inondèrent Bagnolet. La semaine s'écoulant, les larmes se raréfièrent peu à peu. Nous avons enterré le petit chat chez une tendre amie sous un cerisier. Mais je ne dors pas. Une équation ne passe pas : l'image d'Ulysse, raide comme une planche, trop présente face au souvenir impossible de sa vitalité d'acrobate. J'ai simplement crié "Oh non !" et les dominos se sont écroulés les uns sur les autres. On pleure souvent beaucoup plus un animal qu'une personne. C'est étonnant. Est-ce disproportionné ? Qu'est-ce que cette mort vient titiller en nous ? Ulysse n'avait pas un an. Il avait toutes les qualités rêvées chez un vrai chat, il ne griffait pas, ne mordait pas, ne volait pas, se laissait soigner, d'autant que c'était un casse-cou, il ronronnait, nous câlinait, obéissait, jouait comme un fou, il rapportait tous les matins une souris qu'il dévorait sur la moquette blanche sans laisser une seule trace, les voisins infestés lui en savent gré, il n'avait peur de rien. C'est probablement ce qui l'a tué, une confiance absolue dans l'autre. Il ne craignait pas plus les automobiles que les passants, se laissant prendre dans les bras par des inconnus. Lorsqu'il voulait attraper la queue des chevaux en montagne, nous avions peur d'un coup de sabot. Nous ne sommes jamais allés aussi souvent chez le vétérinaire pour un chat. Une morsure d'un gros matou, un coup de griffe sur l'œil, un truc à la bouche. Et puis le dernier choc, fatal. Aucune blessure. Sa fourrure aussi douce, mais son corps raidi par la mort. C'est probablement cette équation insupportable qui m'obsède. Il ne marchera plus debout sur ses pattes arrière. Il ne fera plus des bonds incroyables dans les airs. Il ne grimpera plus à la cime des arbres, sur les branches les plus fines. Ulysse nous laisse orphelins, mais comme dit Françoise il a eu une vie fulgurante.

mardi 2 février 2016

Compost 93


Le journal de la communauté d'agglomération Est Ensemble proposait de donner le matériel de compostage contre une participation de 10 euros à condition de suivre un petit stage pour apprendre à se servir d'un compost si l'on possède un jardin. Françoise est donc allée passer deux heures au terme desquelles lui fut remis un polycopié, charge à elle d'aller récupérer à Bobigny la caisse en bois ou en plastique à monter soi-même. Elle a donc choisi le bois de la taille intermédiaire, soit 74x83cm équivalent à 400 litres. Les participants à l'opération étaient très majoritairement des femmes.
Jusqu'ici nous allions porter nos épluchures au jardin Guinguette à Bagnolet ou à celui du Pinacle géré par l'association Bagnolet Ville Fleurie où elle partage 40 m2 avec Alex. Le premier est un jardin écologique de permaculture convivial où les adhérents aiment se retrouver, par exemple le samedi midi pour déjeuner. Le second offre des surfaces permettant réellement de cultiver un petit lopin de terre, et des ruches occupent le bas du terrain.
L'utilisation de composts permet de limiter considérablement les ordures ménagères en recyclant productivement la sorte de terreau qui s'y développe, riche en humus et minéraux. Il faut alterner les couches de matières brunes (feuilles, papier journal...) et vertes (épluchures, marc de café, sachets de thé, restes alimentaires, coquilles d'œufs broyées...) et éviter poisson, viande, os et fromage pour ne pas attirer les rats ! On a gratouillé la terre avant de poser la caisse. Ensuite on retournera, aérera sans tasser les déchets, en surveillant l'humidité et la température qui peut atteindre 70°. Nous avons convié nos voisins à alimenter le nouveau compost. Rendez-vous dans quelques mois pour en apprécier le résultat !

lundi 1 février 2016

La boule à zéro


À la veille de mon concert avec Bumcello, Françoise m'a proposé de me couper les cheveux. Idée aussi sotte que grenue, car je me suis retrouvé avec la tête pleine de trous, certes amoureux, mais d'une esthétique qui frisait la maladie ou la collaboration à la Libération ! Je suis donc allé demander du secours à mon ami Sun Sun qui possède une tondeuse. Le sculpteur n'eut d'autre choix que de se baser sur les plus petits brins pour égaliser ma coiffure grisonnante. Sous cette météo froide et humide je n'ai d'autre solution qu'enfiler un galure. Heureusement j'en ai quelques uns très fantaisie, comme celui avec de longues oreilles d'âne ou de zèbre que je coiffai pour le concert de la semaine dernière...

Photo © Gérard Touren

vendredi 22 janvier 2016

Soupe cosmique contre méchant virus


Françoise, Anna et moi sortons lentement du trou noir dans lequel nous avait précipités la vilaine grippe. Notre amie allemande avait eu l'heureuse idée de concocter un congee, bouillie de riz recommandée aux malades en Asie. Facile à digérer la soupe cosmique nous a redonné l'appétit et nous a permis d'apercevoir la lumière au bout du tunnel. Nous avons fait bouillir du riz à feu doux pendant une dizaine d'heures à raison de douze mesures d'eau pour une de riz. Anna, qui fut la dernière touchée, eut le temps d'y ajouter poireaux, carottes, panais et ail coupés en petits morceaux. Elle aurait souhaité y faire cuire un peu de poulet bio, mais le magasin des Lilas ne proposait que des volailles entières. Comme j'immergeai le premier, j'assaisonnai le tout de vinaigre de riz et d'une sauce de soja aux algues kombu. Un délice ! Et en plus le congee nous redonne des forces. Comme on en a fait pour un régiment, nous en mangeons à tous les repas, remontant doucement à la surface, tandis que les brouillards de fièvre se dissipent et que les quintes de toux gutturales se raréfient au profit d'une tendre torpeur qui laisse à distance le givre qui a recouvert le paysage.

jeudi 14 janvier 2016

Cacatelec, la crotte téléguidée


Certaines mamans disent que leur bébé leur a laissé un petit cadeau lorsque leur progéniture a fait caca dans ses couches. Loin de moi l'idée d'analyser les tenants et aboutissants freudiens de cette remarque charmante, mais je me demande tout de même à quoi pensent les artistes Ella & Pitr lorsqu'ils nous envoient pour les fêtes une superbe crotte téléguidée ? Est-ce une critique ou un hommage à l'art conceptuel de Piero Manzoni avec ses 90 boîtes de conserve, à l'étron gonflable de Paul McCarthy, à la machine à caca de Wim Delvoye, à l'auto-portrait de merde du photographe Andres Serrano, aux peintures de Jacques Liziène, à la Shit Fountain de Jerzy S. Kenar, à la Vénus de Milo en caca de panda de Zhu Cheng, aux toiles de Christopher Ofili en caca d'éléphant, à celles en béton de Kamiel Verschuren, à The Home-Coming of Navel Strings de Noritoshi Hirakawa, au collectif Sprinkle Brigade, au street artist Gold Poo et tous les anomymes à avoir recouvert l'étron de peinture dorée ? L'idée était tentante, il est vrai.
Comme je fais avancer, reculer, tourner Cacatelec pour le plus grand bonheur des scatologistes de mes amis je repense au gag du porte-feuilles attaché à un fil invisible que l'on tire lorsqu'un passant essaie de le ramasser. Mais qui irait ramasser une crotte qui ne lui appartient pas ? Déjà que la plupart des propriétaires de chiens de mon quartier laissent leurs bêtes chier sur le trottoir avant de filer à l'anglaise... Ella et Pitr ont l'habitude de fabriquer toutes sortes d'objets dérivés à partir de leurs affiches, et c'est probablement dans leurs carnets intimes où ils croquent leur vie quotidienne avec leurs deux enfants qu'il faut chercher la référence à leur amusante provocation. J'ai entendu dire qu'ils pourraient produire bientôt quelques unes de ces drôles de machines qui interrogent néanmoins fondamentalement nos objets de consommation, et notre consommation tout court. Pas question pour autant de marcher dessus du pied gauche sans la casser ! Mon père écrivait W6496 qu'il retournait dans le miroir, on jurait en commençant par M... que l'on terminait par "... ercredi prochain !", ma grand-mère avait coutume de me dire "merde !" avant chaque composition, mais il ne fallait surtout pas répondre "merci" pour que cela porte bonheur... Cette histoire me laisse perplexe, car je n'ai ni roulettes pour filer, ni télécommande qui oriente ma réflexion, ni rien, mais rien du tout, c'est juste la merde à l'image de l'année qui vient de se terminer !

N.B.: dans un tout autre esprit que Cacatelec (rue du faubourg Saint-Honoré oblige !), ce soir jeudi à la Galerie Lefeuvre a lieu le vernissage de l'exposition collective Paper ℗arty 3 avec Paul Insect, Mist, Pixel Pancho, Daniel Muñoz 'San') où Ella et Pitr signeront leur nouveau livre Baiser d'encre, recueil de dessins de leurs carnets intimes (attention, même titre que le film que Françoise Romand leur a consacré, DVD également disponible sur Superbalais).

P.S.: puisqu'on en est là je recommande très sérieusement la lecture passionnante du livre Le charme discret de l'intestin de Giulia Enders chez Actes Sud, somme fabuleuse d'informations sur notre second cerveau racontée avec humour et perspicacité !

lundi 11 janvier 2016

La langouste sauve la mise


Ayant déjà évoqué Carol, The Diary of a Teenage Girl, Chi-raq, Youth, Love & Mercy dans cette colonne, je fais un rapide petit tour d'horizon de films récents projetés en grand sur mon mur blanc.
Les blockbusters sentent le rance. Le western Les huit salopards, dont le titre anglais The Hateful Eight insinue que le huitième film de Quentin Tarantino est plein de haine, est un interminable huis clos machiste rappelant Reservoir Dogs. Seul sur Mars de Ridley Scott, variation cosmique moins ennuyeuse qu'Interstellar ou Gravity, comme Spectre, énième James Bond signé Sam Mendes, se regardent sans arrière-pensée, grave défaut du cinéma de masse américain. Dans le genre cinéma forain, les films de poursuite Mad Max: Fury Road de George Miller ou Fast & Furious 7 de James Wan sont totalement ridicules, mais leurs attractions de montagnes russes vous en mettent plein la vue. Je me demande si je n'ai pas préféré les effets spéciaux du super-héros Ant Man de Peyton Reed ? Idem avec Mission: Impossible - Rogue Nation de Christopher McQuarrie que j'ai déjà oublié ou Le pont des espions de Steven Spielberg dont l'exposition des faits ne laisse aucune place à la moindre réflexion sur la guerre froide.


L'homme irrationnel de Woody Allen est une nouvelle version tourmentée des amours entre un vieux et une jeune, pitoyable. Mistress America est une nouvelle variation insipide de Noah Baumbach autour de sa compagne Greta Gerwig, minauderie boboïsante new-yorkaise aux prétentions arty. Préférer la nouvelle comédie dramatique de Neil LaBute, Dirty Weekend avec Matthew Broderick et Alice Eve, autopsie des rapports homme-femme toujours aussi cruelle et méticuleuse. Côté porno arty on évitera soigneusement Love de Gaspar Noé dont le scénario indigent n'est que prétexte à des scènes de cul sans intérêt.


Les occasions de se marrer ne sont pas courantes, aussi Les Minions de Kyle Balda et Pierre Coffin remporte la palme cette année, et au moins celui-là on peut le voir en famille puisque c'est un film d'animation pour les enfants. À noter qu'il a été réalisé essentiellement par une équipe technique française et que l'absurde de la langue cosmopolite des gélules jaunes sur pattes est à l'image du comique du film (ci-dessus quelques clips inédits, les Minions ont généré plus de variations marketing que le film lui-même). Dans la catégorie thriller on pourra voir Sicario du canadien Denis Villeneuve, mais dans le genre, franchement, le grand film de 2015 est la saison 2 de la série télévisée Fargo produite par les frères Coen. Scénario rebondissant et inattendu, acteurs fantastiques dont l'épatante Kirsten Dunst, musique d'accompagnement fabuleusement choisie, l'histoire est indépendante du film et de la saison 1 déjà formidable. Des personnages banals y sont confrontés accidentellement à une situation exceptionnelle qui les fait déjanter. Oubliez vos a priori sur la télé, c'est le cinéma adulte américain, le reste est conçu pour des adolescents de 15 ans.


Heureusement il y a The Lobster de Yórgos Lánthimos avec Colin Farrell, Rachel Weisz, Léa Seydoux, seule œuvre radicalement différente parmi tous les films récents que j'ai pu voir ces derniers temps. On lui devait déjà Canine et Alps qui sortaient résolument de l'ordinaire. Le changement de repères sociaux qu'affectionne le cinéaste grec est cette fois encore plus explicite. À travers une histoire à dormir debout il interroge la cellule du couple et de la famille, la sexualité et ses tabous, le pouvoir et ses déviances abusives, l'organisation et l'anarchie, le sacrifice et la désobéissance, la vie et la mort. Ce n'est certainement pas un hasard si c'est en Grèce que l'impossible est mis à l'épreuve de la réalité. Lánthimos pulvérise le réel en lui conférant le statut d'un scénario parmi tant d'autres.


Le documentaire The Wolfpack de la jeune Crystal Moselle rappelle diablement la fiction Canine de Lánthimos, puisqu'il s'agit d'une fratrie de six garçons et une fille enfermés pendant quinze ans au seizième étage d'un immeuble du Lower East Side de New York par un père pensant épargner à sa progéniture les mauvaises influences de notre société. Les gamins rejouent intégralement les blockbusters de Tarantino en se confectionnant costumes et accessoires, et lorsqu'ils s'échappent enfin dans la rue ils portent l'uniforme des acteurs de Pulp Fiction ! Le glissement de repères est évidemment passionnant et l'interprétation psychanalytique terriblement concluante. Les documentaires étant presque exclusivement phagocytés par les drames, Amy de Asif Kapadia sur la chanteuse Amy Winehouse est une réussite, bouleversant et terriblement triste. J'en profite donc pour signaler la comédie documentaire de Françoise Romand, Baiser d'encre, dont j'ai composé la musique et qui cache un stimulant conte moral sur la famille autour des artistes Ella & Pitr.

jeudi 31 décembre 2015

Birgé Contet Hoang - dernière livraison vidéo


Dernière livraison vidéo du concert du 12 novembre dernier au Triton, Les Lilas, du spectacle Un coup de dés jamais n'abolira le hasard avec l'accordéoniste Pascal Contet et le clarinettiste-saxophoniste Antonin-Tri Hoang, dont on retrouvera la version audio quasi intégrale sur drame.org en écoute et téléchargement gratuits. J'avais déjà proposé cet exercice de voltige, soit improviser le thème tiré au hasard par les spectateurs parmi le jeu de cartes imaginé par Brian Eno et Peter Schmidt, à d'autres musiciens et musiciennes avec qui nous nous étions déjà bien amusés. Ainsi se succédèrent Ève Risser et Joce Mienniel (album Game Bling), Birgitte Lyregaard et Linda Edsjö (Radio France et Atelier du Plateau), Médéric Collignon et Julien Desprez (Le Triton)...


Il n'est pas certain que nous ayons vraiment évité de briser le silence, mais nous l'avons cajolé. 5'02 dont le ton est donné par la trompette à anche, repris par la clarinette et l'accordéon avant que le H3000 enveloppe l'ensemble de ses nappes faussement électroniques. Elles ne sont en réalité que le prolongement de mon souffle...


Pas de doute ici, nous avons obéi scrupuleusement à la carte Be Dirty ! Jouer salement, c'est y mettre tous les doigts et la langue, lécher son assiette, envoyer la purée pour commencer en se disant que les deux autres devront bien s'en accommoder, c'est péter, roter, éructer, alors franchement en 5'17 nous aurions pu être plus crades...


Si certains jours les cartes sont avec nous, d'autres fois elles nous jouent des tours. Ainsi elles ne nous ont jamais posé autant de chausse-trappes que ce jeudi-là. "Utilisez des personnes non qualifiées !" annonce le dernier tirage, et nous voilà essayant de convaincre des spectateurs de se joindre à nous... Xavier Ehretsmann n'est pas musicien, il n'a jamais soufflé dans un saxophone, mais il connaît la musique pour être le producteur des Disques DDD et le disquaire du magasin La Source. Courageux, il grimpe sur scène et Antonin lui prête son alto tandis qu'il conserve sa clarinette. J'amorce au hou-kin, un violon vietnamien, avant de convoquer tout l'orchestre auquel se joint Pascal Contet. Dans ces occasions soit tu joues free, soit tu joues tzigane ; Xavier n'a pas vraiment le choix, et grâce lui soit rendue car il nous permet de terminer le concert en soulignant la participation formidable du public à ce projet acrobatique qui me fit grimper et dévaler l'escalier du balcon à toute vitesse entre chaque pièce.

Dernière livraison vidéo de notre trio improvisé, dernière livraison du blog avant la fin de l'année, je vous souhaite un bon réveillon, mais ne mettez pas de musique pendant le repas, cela gâche la nourriture, si elle est trop faible elle ne fait que brouiller les échanges, si elle est trop forte elle empêche les convives qui ne se connaissent pas de s'immiscer dans les conversations, si elle est créative elle doit s'écouter pour elle-même comme on lit un roman, comme on regarde un film... Plus tard, si vous aimez danser, alors ce sera le moment de choisir la musique qui convient, mais ce ne sera pas la mienne, à moins que vous attendiez le 29 janvier lorsque j'inviterai Bumcello à me rejoindre au Triton !

Photo © Gérard Touren
Vidéo : Françoise Romand et Armagan Uslu (caméras), JJB (montage)

jeudi 24 décembre 2015

Birgé Contet Hoang - 2ème livraison vidéo


Jouer avec Pascal Contet et Antonin-Tri Hoang c'est s'attendre à l'imprévisible. Dit autrement, et c'est visible dans les vidéos du concert du 12 novembre dernier au Triton, Les Lilas, improviser avec ces deux musiciens incroyables c'est ne s'attendre à rien. Être surpris, découvrir, répondre, proposer, échanger, partager... J'aime rappeler que l'improvisation n'est rien d'autre que raccourcir le temps au minimum entre composition et interprétation.


Regardez Pascal jouer de son accordéon en intégrant tout ce qui le constitue tandis qu'Antonin outrepasse la consigne "Face à un choix jouer les deux" en alternant sans cesse ses trois instruments, clarinette, sax alto et clarinette basse. De mon côté j'associe des ambiances humaines et naturelles à un triple piano programmé en quarts et demis tons...


Après 7'30 de Faced With a Choice Do Both, je vous propose 1'49 de Destroy: Nothing... The Most Important Thing où je passe la voix de ma fille à la moulinette du Tenori-on pendant que Pascal Contet massacre quelques pièces du répertoire accordéonistique et qu'Antonin-Tri Hoang brise en petits morceaux une de ses anches préférées. Je ne suis pas sûr de n'avoir rien détruit, mais nous avons certainement attaqué ce à quoi nous tenons le plus !


J'illustre le blog d'aujourd'hui avec trois pièces d'un coup pour ne pas abuser du feuilleton musical, même si cela peut paraître un peu copieux aux oreilles non averties ;-) Ainsi Don't Be Afraid of Things Because They're Easy To Do, 3'30 où nous ne craignons pas de faire des choses faciles, clôt cette seconde mise en ligne de cette énième version originale du spectacle Un coup de dés jamais n'abolira le hasard dont on peut écouter et télécharger l'album complet sur drame.org. Face à mes rythmes électroniques attaqués au clavier, Antonin décide de ne jouer qu'une seule note et Pascal répète inlassablement ses gammes. La suite au prochain numéro...

Photo © Gérard Touren
Vidéo : Françoise Romand et Armagan Uslu (caméras), JJB (montage)

mardi 22 décembre 2015

Birgé Contet Hoang "Accumulation"


Jean Renoir racontait qu'il ne filmait pas des tranches de vie, mais des tranches de gâteau. J'ignore quel est le nom de la pâtisserie que nous confectionnons à l'énoncé du thème tiré au hasard par un spectateur le 12 novembre dernier au Triton, mais Accretion signifiant Accumulation, nous cuisinons illico un soufflet qui nous met en appétit.


En effet Pascal Contet attaquant à l'accordéon me souffle qu'il aimerait que je transforme le son de son instrument avec mon Eventide H3000. C'est un processeur d'effets extrêmement puissant dont j'ai préparé les programmes il y a près de trente ans et que j'utilise lors de presque tous mes concerts. Antonin-Tri Hoang bat aussitôt les œufs en neige avec sa clarinette basse qu'il délaissera pour la clarinette après que j'ai ajouté une radiophonie à l'édifice. Ce sont des extraits radiophoniques très courts datant d'il y a encore plus longtemps que l'Eventide. En musique le recyclage prenant des formes insoupçonnées, la cuisine nous offre des timbres inédits qui se superposent dans le temps, terminant cette pièce montée qui se déguste aussi vite qu'on l'a élaborée. Le tourbillon ne laisse ainsi rien voir qu'un envol de notes sucrées.

Photo © Gérard Touren
Vidéo : Françoise Romand et Armagan Uslu (caméras), JJB (montage)
Album Un coup de dés jamais n'abolira le hasard 2 en écoute et téléchargement gratuit sur drame.org

jeudi 10 décembre 2015

Survol pour ne pas y passer la nuit


Très vite parce que je ne voudrais pas y passer la nuit, ni manquer un seul jour (ça fait onze ans que je blogue quotidiennement sans faille, contre vents et marées...) !
Excellent concert de Das Kapital à l'Ermitage pour le lancement de leur nouvel album, Kind of Red, qui s'étoffe avec la scène ; son chaud et mat des saxophones de l'Allemand Daniel Erdmann, précision de jongleur du batteur tourangeau Edward Perraud, jeu incisif du guitariste danois Hasse Poulsen ; ils interprètent pour la première fois leurs propres compositions en s'inspirant du jazz, du rock, du blues, du folk, etc., tout en livrant une musique très personnelle, à la fois riche et épurée ; ils terminent en rappel avec une sensationnelle version ivesienne (néologisme relatif au compositeur américain visionnaire Charles Ives) de l'Internationale qui aurait dû être de saison, mais comme on marche sur la tête cela sonne comme du siècle dernier...
Passionnante rencontre avec la créatrice radiophonique Amandine Casadamont dont nous avons admiré la prestation live aux platines la semaine dernière au Silencio et qui devrait aboutir à une collaboration en 2016, excellente nouvelle... À cette occasion j'ai ressorti FluxTune, La pâte à son, Alphabet, Somnambules et surtout la Mascarade Machine !
Presque terminé le n°34 du Journal des Allumés du Jazz, excellente cuvée dans laquelle je me suis fendu de deux pages sur l'histoire du son d'Edison à Internet. Pas encore commencé le n°9 de la Revue du Cube sur le thème de la refondation qui devrait paraître aujourd'hui et pour lequel j'aborde La question sans réponse (nouveau clin d'œil ivesien). Dévoré une flopée de polars dont tous les Bernard Minier et Ian Manook, parfaitement adaptés aux transports en commun. À peine entamé le nouveau Schnock autour de Choron et Cavanna, mais il doit être aussi chouettement schnock que les précédents. Lu chaque lundi la newsletter du spirituel Philippe Dumez. Toujours en plein Crépuscule de l'Histoire de Shlomo Sand, forcément indispensable. Passé trop de temps à lire les commentaires des FaceBookiens. Désespéré devant le manque de perspectives politiques de trop de camarades qui n'ont plus que des visions à court terme...
Quitte à ne pas dire grand chose aujourd'hui, autant m'arrêter là, je développerai plus tard, la suite au prochain numéro...

Rappel : si vous désirez m'attraper au vol je serai ce soir à 20h30 au Cin'Hoche à Bagnolet pour la projection de Baiser d'encre, le film de Françoise Romand avec Ella et Pitr

mercredi 9 décembre 2015

Baiser d'encre en projection et DVD


D'abord l'affiche !
Celle de l'homme-tétons (84x60cm) est offerte avec l'achat du nouveau DVD de Françoise Romand, Baiser d'encre, une fantaisie documentaire sur les artistes Ella & Pitr. C'est un vrai film, un film de cinéma qui met du baume au cœur en cette période bien noire. Ici seule l'encre a cette couleur. Elle coule à flots sur le couple qui affiche leur amour et leurs histoires à dormir debout sur les murs du monde. Génération Y, la vie et l'œuvre intrinsèquement liées, ils puisent leur inspiration dans leur vie quotidienne dont les rêves composent une nouvelle réalité pleine d'humour et de tendresse. Ils sillonnent la planète avec leurs deux jeunes enfants, exposant leurs affiches dans les rues ou en galeries, manière généreuse de coller à tous leurs publics.
Ensuite la musique !
J'ai composé la partition sonore en m'inspirant des images, mais en évitant soigneusement l'illustration. Je préfère la complémentarité, base de la dialectique audiovisuelle. La musique étant plus drôle à jouer à plusieurs, la chanteuse Birgitte Lyregaard, le multi-instrumentiste Sacha Gattino, le saxophoniste Antonin-Tri Hoang, le violoncelliste Vincent Segal, l'ici-contrebassiste Hélène Sage et le batteur Edward Perraud m'ont prêté main forte. J'ai puisé parmi les pièces que nous avions enregistrées ensemble et ajouté des parties au clavier plus quantité de clins d'œil, ambiances immersives et un bestiaire imaginaire inspiré par Ella & Pitr aussi bien que par les bestioles saisies par Françoise. Le son jouant du hors-champ donne à voir des éléments invisibles qui participent à cette poésie du quotidien.
Le film enfin !
Baiser d'encre, projeté demain jeudi au Cin'Hoche à Bagnolet et mardi prochain au Triton aux Lilas en présence de la réalisatrice, sort en DVD avec en bonus Ta mère le loup, court métrage d'animation d'Ella & Pitr que j'accompagne par de sombres accords et une fantômatique mélodie au Novachord !

→ Jeudi 10 décembre 20h30 au Cin'Hoche (grande salle), 6 rue Hoche 93170 Bagnolet, M° Galieni (à côté de la mairie de Bagnolet) - Tarif unique 3€50
→ Mardi 15 décembre 19h30 au Triton (petite salle avec balcon), 11 bis rue du Coq français 93260 Les Lilas, M° Mairie des Lilas (en face de la maternité) - Entrée libre sous réserve des places disponibles
→ Prix de lancement : Baiser d'encre, DVD+affiche+port=18€ (16€ sur place) à commander par mail
→ Les DVD de Mix-Up, Appelez-moi Madame, Ciné-Romand, Gais Gay Games et Thème Je sont également disponibles sur romand.org

jeudi 3 décembre 2015

Nouvel album en ligne : Birgé Contet Hoang


Toujours gratuit en écoute et téléchargement, Un coup de dés jamais n'abolira le hasard 2 est le sixième album virtuel de 2015 à paraître chez GRRR. Il vient grossir une base de données de plus de 130 heures, soit près de 900 morceaux rassemblés en 65 albums qui peuvent s'écouter indépendamment ou sur la radio aléatoire. Pour celles et ceux qui préfèrent acquérir vinyles ou CD, le label n'est pas en reste !
Ni Antonin-Tri Hoang ni moi n'avions rencontré Pascal Contet avant de nous retrouver sur scène au Triton le 12 novembre dernier pour une nouvelle version de ce spectacle d'équilibristes. Les spectateurs sont invités à tirer le thème de nos improvisations à partir du jeu de cartes Oblique Strategies conçu par Brian Eno et Peter Schmidt.
J'avoue que ce fut le plus difficile à exécuter de tous les tirages. Les cartes étaient vachardes, nous suggérant des consignes les moins praticables ! Imaginez que nous eûmes à jouer : Demande à ton corps, Abandonne les instruments normaux, Court-circuit, Accumulation, N'ayez pas peur des choses, Détruisez rien du tout / la chose la plus importante, Qui en voudrait ?, En face d'un choix faites les deux, Préparation lente exécution rapide, Ne cassez pas le silence, Soyez crades, Utilisez du personnel non qualifié, etc. Mais mes camarades de jeu s'en sortirent à merveille, leur virtuosité élégamment camouflée derrière leur imagination. Antonin-Tri Hoang passait de la clarinette au sax alto avec la même aisance, Pascal Contet appuyant sur les boutons magiques de son accordéon en réponse à mes machines diaboliques. J'avais apporter mon clavier lourd qui pèse une tonne de timbres riches et variés, le Tenori-on avec lequel je détruisis la voix de ma propre fille, l'H3000 qui agrandit encore le soufflet de l'accordéon, la trompette à anche dont le son se rapproche de celui de la clarinette basse d'Antonin, et quelques autres trucs inattendus, sauf pour les habitués de mes facéties concertantes...
Comme après chaque concert où la musique n'est pas fixée à l'avance je ne découvre ce que nous avons joué qu'à la réécoute. Il me reste encore à monter le film que Françoise et Armagan ont tourné ce soir-là...

mardi 27 octobre 2015

Résurrection de la femme-bourreau


Mais qui est Jean-Denis Bonan ? Un provocateur ? Un humoriste ? Un héraut de son temps (y aurait-il aussi un os dans l'air ?) ? Certainement tout cela et bien d'autres, mais d'abord cinéaste et plasticien dont les points d'interrogation trouvent leurs réponses dans le bonus En marge, entretien palpitant avec le réalisateur de La femme-bourreau figurant sur le DVD que publie enfin Luna Park Films accompagné de trois courts métrages aussi sulfureux que ce film mythique tourné au printemps 1968 et pendant les événements de mai. Là encore les questions se bousculent, les qualificatifs allant de thriller à surréaliste en passant par expressionniste et nouvelle vague. Ajoutons que sa réputation de film maudit précède cette sortie qui aura attendu 45 ans dans le noir.
Pourtant Jean-Denis Bonan est l'opposé d'un triste sire. Lutin facétieux, il tourna ces films un peu potaches de 1966 à 1968 avant de fonder le collectif Cinélutte en 1973, de créer Métropolis avec Pierre-André Boutang sur Arte, également en charge de divers magazines sur France 2 et France 3 dont Aléas, ainsi que Histoires d’Amour, Les Moments de la Folie et Traces qu'il initie.
Ma compagne, Françoise Romand, fut son assistante, et il fut mon professeur de montage et le responsable des études pour la première année lorsque je suis entré à l'Idhec en 1971 (il formait un triumvirat avec Richard Copans et Jean-André Fieschi à l'appel de Louis Daquin). Chaque matin, le sourire aux lèvres, il nous racontait le rêve incroyable qui avait meublé sa nuit, courts métrages imaginaires qui l'inspiraient probablement ensuite. Avec quelques années de décalage les coïncidences s'accumulent. Mon camarade Bernard Vitet compose la musique de La femme-bourreau et Daniel Laloux (qui sera le narrateur de notre K et de Jeune fille qui tombe... tombe pour Un drame musical instantané) les chansons ; il est l'ami de Jean Rollin, le pape du porno-vampire que j'assistai sur Lèvres de sang (vous n'êtes pas au bout de vos surprises !) et Nicolas Devil, l'illustrateur de Saga de Xam, bande dessinée culte et fondatrice qu'ils réalisèrent ensemble et dans laquelle figure Bonan, éclairant mon adolescence et m'initiant au genre, dessine l'affiche et le générique de son court métrage Tristesse des anthropophages.
C'est avec ce court métrage que les ennuis ont commencé ! Cette farce politique et sociale, plus scatologique qu'anthropophage, est interdite en 1966 par la censure gaulliste. Le film sera projeté au cinéma Les 3 Luxembourg occupé par les étudiants contestataires de mai 68. Le fast-food où l'on sert de la merde est tout à fait prémonitoire, "dans un monde où tout est interdit sauf ce qui est obligatoire". Dès La vie brève de Monsieur Meucieu en 1962, on reconnaît la fantaisie débridée de Bonan et Une saison chez les hommes, détournement d'images des Actualités cinématographiques, enfoncera le clou en 1967.


Dans La femme-bourreau les travellings en caméra portée profitent à l'enquête policière de cette histoire de tueur en série et au sentiment de poursuite hantant tous les films de Bonan qui a fui enfant la Tunisie. Les décalages entre le commentaire froidement informatif et les images souvent sensuelles renforcent la distance critique. Le montage explosé déglingue la continuité. L'invention musicale de Vitet, grinçante et tendue, répond aux chansons ironiques de Laloux et aux bruitages ostensiblement décalés. Claude Merlin (père de Blaise !) tient le rôle principal aux côtés de Solange Pradel, Myriam Mézières, Jackie Raynal, Jean Rollin... La variété de tons, policier, poétique, absurde, érotique, pamphlétaire, comique, genre, reportage, citations, empêche le film d'être catalogué dans aucun genre si ce n'est celui de l'hétéroclicité, caractéristique fondamentale de son époque où l'imagination prenait le pouvoir, mais que la réaction n'eut de cesse de brider ensuite.

La femme-boureau, Jean-Denis Bonan, avec en bonus En marge, Tristesse des anthropophages, Une saison chez les hommes, La vie brève de Monsieur Meucieu, Un crime d'amour..., tous remarquablement restaurés, DVD Luna Park Films (à paraître le 18 novembre)

vendredi 23 octobre 2015

Arlequin est en ligne !


L'excitation est à son comble. Enregistré lundi, livré vendredi, l'album Arlequin est en écoute et téléchargement gratuits sur drame.org. J'ai passé trois jours à améliorer le mixage des dix pièces que nous avons conservées avec la bassoniste-chanteuse Sophie Bernado et la vibraphoniste-percussionniste Linda Edsjö. La Suédoise m'envoyait ses suggestions depuis Copenhague et la Gersoise lorsqu'elle réapparaissait à Montreuil. L'annonce de la nouvelle sur FaceBook avait déjà fait son petit effet, probablement grâce à ma garde-robes prêtée à mes deux comparses. Le quart d'heure chiffons est aussi indispensable que le menu de midi et que la photo prise par Françoise pour détendre l'atmosphère. L'ambiance était ludique et enjouée, mais enchaîner autant d'improvisations entre l'installation et le rangement du matériel demande une concentration épuisante. Ce fut donc soupe de cresson, saumon bio accompagné de trois sortes de navets et sorbets. Quant aux vestes, j'ai acheté 20 euros le bibendum rouge à une vente jeunes créateurs, trouvé la disco à New York dans une friperie et acquis ma première doudoune deux jours plus tôt en connaissance du thème de nos improvisations.
Arlequin vient d'un jeu de mots de Sophie à propos d'Arles où j'avais engagé Linda pour accompagner le photographe Elliott Erwitt. J'ai saisi la balle au bond et proposé que nous improvisions d'après des couleurs. Dans le feu de l'action nos arlequinades ont souvent mélangé les tons sur la palette, mais l'ensemble montre une incroyable unité alors que ni Linda ni moi-même n'avions jamais joué avec Sophie que nous ne connaissions que par son travail avec Art Sonic, mais dont j'avais regardé maintes vidéos sur le Net. La complicité tient essentiellement aux échanges informels que nous avions eus en amont. Linda et moi avons déjà réalisé plusieurs performances en trio avec la chanteuse Birgitte Lyregaard que l'on peut retrouver sur l'album La chambre de Swedenborg (également en vidéo) et sur le site vidéo de France Musique. La séance de Paris a donc entériné nos accords nord-sud, quitte à en voir de toutes couleurs.
Si je connaissais les talents de chanteuse de Linda, j'ignorais ceux de Sophie. Elle passe sans temps mort de la voix au basson tandis que Linda avait apporté quelques percussions en plus de son vibraphone. De mon côté je me concentrai sur le clavier, ajoutant ça et là une contrebasse à tension variable et une trompette à anche plongée dans une cuvette remplie d'eau (lutherie Vitet), hou-kin (c'est un violon vietnamien), harmonica et flûte. Comme d'habitude je n'ai pas la moindre idée de la manière dont cette musique sera entendue, mais nous nous sommes bien amusés. Que rêver de mieux ?

lundi 5 octobre 2015

Objets inanimés, avez-vous donc une âme ?


Lorsque nous avons refait la cuisine ma fille l'a trouvée très belle, mais un peu trop moderne. Lorsqu'elle a besoin de quelque chose elle préfère fouiner chez Emmaüs ou Neptune à Montreuil. Ce n'est pas seulement une question d'argent, mais les objets formatés n'ont pas d'âme, il leur manque une histoire. Et cette histoire peut continuer pour peu que l'on y soit sensible ! Françoise pense la même chose, aussi adore-t-elle chiner de temps en temps, à Troc de l'île, dans un vide-grenier ou à Emmaüs comme la semaine dernière à Marseille. Sur la photo on la voit mettre la main sur des chaises modernes à huit euros les trois. Elle craque pour les années 60 qui me rappellent trop l'appartement de mon enfance. Une fois par mois, le samedi matin, ils mettent en vente les objets précieux et l'on trouve des bijoux incroyables pour une bouchée de pain. Parfois nous allons chez Bravo, un brocanteur spécialisé en mobilier de café indiqué par Raymond ou bien sur LeBonCoin.


Françoise est ravie d'avoir dégoté ce superbe plat à poisson de soixante centimètres de long en porcelaine de Limoges pour sept euros. Il ne me reste plus qu'à aller au marché et inviter des copains pour l'étrenner ! Ulysse s'est porté volontaire pour la vaisselle... "Objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s'attache à notre âme et la force d'aimer ?"

vendredi 2 octobre 2015

Histoires du temps qui passe


Nous sortons de l'eau qui semble plus chaude qu'en plein été. Françoise me dit que c'est la douceur de septembre sans se rendre compte que nous sommes déjà en octobre. Dans nos métiers il n'y a ni samedis ni dimanches, alors pourquoi connaitrions-nous le mois dans lequel nous sommes ? L'année est juste bonne à savoir pour les quelques chèques que nous signons. La plupart des gens de notre génération sont-ils seulement conscients que nous sommes depuis quinze ans au XXIe siècle ?
C'est la première fois que je prends une photo depuis l'autre côté de la villa des tours. Le matin les surfers s'en donnent à cœur joie tandis qu'au bord les vagues nous massent. Plus loin j'ai le choix entre les crever ou me laisser porter. Tout dépend de la phase où je les aborde. Le vent est tombé. Je remonte en maillot à bicyclette.
Ulysse se cache dans les broussailles pour dormir. Voilà donc ce qu'il fabrique à Paris lorsqu'il disparaît pendant des heures.


Le soir nous sommes allés au Lumière voir le dernier film de Paolo Sorrentino. J'ai du mal à comprendre l'agressivité de la critique branchée, que ce soit Libé ou Les Cahiers du Cinéma, contre ce cinéaste. Peut-être est-il à la fois trop moderne et baroque à la fois ? Youth est une réflexion philosophique sur la vie, l'âge, l'art, le cinéma, filmée avec beaucoup d'invention et de rigueur. Michael Caine, Harvey Keitel, Paul Dano, Jane Fonda, Rachel Weisz y sont formidables. L'univers concentrationnaire du somptueux hôtel pour riches suggère plus qu'il ne montre, alors qu'il expose quantité de sentiments, d'ambiguïtés et une dialectique qui souligne la poésie de la création. La musique de David Lang (co-fondateur de Bang On A Can) nous accompagne jusqu'à la fin du générique avec un Just qui rappelle le merveilleux Lost Objects tandis que la partition sonore recèle quelques passages mémorables dont un sublime concert champêtre. Youth ne dépare pas de la filmographie de Sorrentino. Si vous avez une bonne raison d'avoir détesté les précédents, n'y allez pas. Sinon, c'est du cinéma comme on ne sait plus beaucoup en faire !

vendredi 18 septembre 2015

La guêpe et Tacet réédités en vinyle


Le Souffle Continu réédite en vinyle deux disques majeurs de 1971 à l'origine sur le label Futura. La vitesse de 45 tours par minute de ces deux 30 centimètres reproduit merveilleusement l'énergie de cette époque magique où l'imagination avait pris le pouvoir.

Bernard Vitet avait été le trompettiste soliste de tous les grands de la chanson française, de Montand à Gainsbourg, Barbara à Bardot, Henri Salvador à Christophe, Colette Magny à Brigitte Fontaine, mais il avait démissionné en 1968 de l'orchestre de Claude François avec lequel il tournait depuis plusieurs années pour se consacrer à la révolution musicale qui accompagnait le dépavage du quartier latin. Il avait été considéré comme le meilleur trompettiste de jazz européen, depuis ses premières armes avec Django Reinhardt ou Gus Viseur, son timbre rappelant celui de Miles Davis et ses collaborations avec les plus grands lui ayant fourni la distance aristocratique de son intérêt pour toutes les musiques et tous les autres arts. Il avait cofondé le premier groupe de free jazz en France en 1964 avec François Tusques et participé en 1966 à la première rencontre jazz et électroacoustique pour Jazzex de Bernard Parmegiani. Il avait côtoyé Lester Young, Eric Dolphy, Albert Ayler, Chet Baker, Archie Shepp, Anthony Braxton, Don Cherry, l'Art Ensemble of Chicago, Steve Lacy, Gato Barbieri, Jean-Luc Ponty, Martial Solal, Georges Arvanitas, Sunny Murray, Alan Silva, Alexander von Schlippenbach et tant d'autres avec lesquels il enregistra près de 200 disques. Le label Futura de Gérard Terronès sortit donc La guêpe en 1971 et Vitet formera l'année suivante le célèbre Unit avec Michel Portal qu'il abandonnera finalement pour se consacrer exclusivement à Un Drame Musical Instantané jusqu'à ce que son souffle s'éteigne. Il était mon meilleur ami. De 1976 à 2008 nous avons composé ensemble un millier de pièces, nous voyant ou nous parlant tous les jours pendant ces trente deux ans. J'ai déjà évoqué son intelligence prodigieuse et sa culture polymorphe, ses talents de mélodiste et son goût pour l'harmonie, son sens de la contradiction et ses inconséquences qui nous font rire après coup.

La guêpe qui ressort aujourd'hui en vinyle, dont une superbe édition de luxe sur plastique blanc opaque, est un des rares témoignages sous son seul nom. Bernard se comportait plus souvent en sideman qu'en leader, préférant la composition collective, même lorsqu'il écrivait des chansons puisqu'il m'en confiait le soin d'inventer les paroles et l'orchestration. J'enregistrais et produisais également nos albums, gérant nos affaires communes et entrant les notes sur l'ordinateur sous sa dictée après qu'il ait esquissé ses compositions avec gomme et taille-crayon. En 1976 il enregistra un second disque sous son nom, Mehr Licht !, hélas épuisé et jeté aux oubliettes pour d'imbéciles questions de droits et de fantasmes mercantiles, album solo dont nous avions préparé ensemble la réédition augmentée, mais qui ne verra probablement jamais le jour, mon camarade ayant disparu en 2013 à l'âge de 79 ans.

La guêpe est une œuvre exemplaire, réfléchissant extraordinairement son époque, à cheval entre la musique contemporaine et le free jazz, la composition et l'improvisation, l'instant et sa manipulation post-opératoire. S'appuyant sur un texte déterminant de Francis Ponge chanté par Françoise Achard, il fut enregistré par Dominique Dalmasso dans l'atelier de Bernard, 8 rue Charles Weiss à Paris avec des musiciens qui figuraient tous parmi ses amis. Jean-Paul Rondepierre était le second trompettiste et jouait du marimba, le saxophoniste Jouk Minor s'empara aussi d'un violon et d'une flûte, le pianiste François Tusques dirigea les parties écrites, le contrebassiste Beb Guérin y jouait du piano, Jean Guérin était aux percussions, vibraphone et marimba tandis que Bernard jouait de la trompette, du violon, du cor, du piano et du vibra ! Le dos de la pochette reproduit sa belle écriture manuscrite sur Et Cetera, Balle de fusil et Hyménoptère tandis que Véronique, la fille de Françoise Achard, a dessiné la guêpe du recto, minuscule dessin d'enfant que Bernard a considérablement agrandi comme il aimait le faire en magicien de la photocopieuse. Il avait écrit une partition opératoire pour les premiers morceaux pour les recombiner ensuite dans des organisations diverses, canon asynchronique, quatuor à cordes où les notes étaient progressivement remplacées par des signes graphiques, musique sérielle pour deux trompettes, etc.

On retrouve Bernard, Françoise Achard et Jean-Paul Rondepierre dans Tacet, le disque de Jean Guérin réalisé la même année à partir de la musique que celui-ci avait composée pour Bof, le film de Claude Faraldo. Philippe Maté intervient au ténor sur un morceau, Dieter Gewissler joue du violon et de la contrebasse sur deux autres, mais c'est la même bande de copains que sur La guêpe. Il n'y a pas de secret, cette camaraderie participe beaucoup à la réussite de ces deux albums. L'utilisation de rythmes à la darbouka et au synthétiseur VCS3, très en avance pour l'époque, rend Tacet plus pop que La guêpe. Les manipulations électroacoustiques sont également plus repérables d'autant que Jean Guérin a travaillé sur le concept de gouttes en référence au travail du livreur de vin du film. On reconnaît la célèbre trompette à eau de Bernard qui immergeait son instrument dans une cuvette, sorte de sourdine flasque. Les boucles rappellent aussi la musique répétitive qui n'en était alors qu'à ses débuts. Tacet, depuis très longtemps épuisé, est un autre jalon incontournable de la création en France, prémisse annonçant la liberté dont les Européens s'emparèrent pour s'affranchir de la musique américaine. Ces deux disques sont indispensables à qui veut connaître les racines de ce qui se fait aujourd'hui, tant dans le mariage de la voix et des instruments pour La guêpe que dans celui de l'électronique et de la musique vivante pour les deux. De plus, ils conservent chacun une originalité exposant deux personnalités en marge de tous les courants existant alors, phares de leurs descendances, conscientes ou inconscientes.

→ Bernard Vitet, La guêpe, LP 45 tours 30 cm, Le Souffle Continu, 16,50€ et 18€ avec le disque blanc mat
→ Jean Guérin, Tacet, LP 45 tours 30 cm, Le Souffle Continu, 16,50€ et 18€ avec le disque gris mat
Attention, tirages limités déjà en voie d'épuisement comme presque tous les vinyles du label Le souffle continu...

mardi 8 septembre 2015

Carnet d'Arménie, 1915-1918


À force de remettre au lendemain les tâches les plus enquiquinantes on laisse s'accumuler quantité de papiers que l'on oublie jusqu'à ce que quelqu'un un jour les découvre ou les fiche à la poubelle. Lors de l'un de ces ménages salutaires où l'on finit par trier les affaires de celles et ceux qui nous ont quittés, Anny Romand, la sœur aînée de Françoise, a trouvé un vieux carnet écrit d'une belle écriture calligraphiée. Témoignage formidable d'une époque douloureuse, il avait appartenu à leur grand-mère arménienne qui avait fui et survécu au génocide de 1915. Il y avait aussi des pages rédigées en français et d'autres en grec ! Cent ans plus tard, le déchiffrage permet de comprendre qu'il accompagna la jeune femme lors de sa marche forcée de 1915 à 1918. Ainsi Serpouhi Kapamadjian née Hovaghian décrit la barbarie dont elle est témoin et victime sur les routes d'Anatolie, comment sa famille disparaît et grâce à quelles péripéties elle échappe au massacre. Trois ans après avoir confié à des paysans turcs son fils de quatre ans, seul rescapé avec elle, elle le retrouvera par miracle grâce à l'armée russe. Réfugiée en France, elle accouchera mystérieusement d'une nouvelle fille, Rosette, qui donnera naissance à son tour à Anny et Françoise. Anny alterne les pages du carnet et ses propres souvenirs sous sa plume de petite fille de huit ans pour reconstituer le portrait étonnant de sa grand-mère, s'enfonçant dans l'Histoire au point d'investir ce passé qu'elle n'a pas vécu, mais qui hante tous les descendants des martyrs. La littérature permettant tous les sauts temporels, nous sommes à notre tour transportés par ce témoignage exemplaire, 120 pages illustrées de petites photos que j'ai dévorées d'une traite, évocation plus réussie que tant de cinéastes s'étant essayés récemment à évoquer le sujet (Henri Verneuil, Atom Egoyan, Robert Guédiguian, les frères Taviani, Fatih Akin), alourdis par un pathos que l'auteure évite pour se concentrer sur l'amour qu'elle portait à sa grand'mère d'Arménie et leur complicité.

→ Anny Romand, Ma grand'mère d'Arménie, Ed. Michel de Maule, coll. Je me souviens..., 9 €

vendredi 4 septembre 2015

Show Me A Hero, mini-série du créateur de The Wire


Bien qu'elle relate un événement historique Show Me A Hero, la nouvelle mini-série de David Simon, est d'une actualité brûlante, tant aux États-Unis qu'en Europe, puisqu'elle met en scène le racisme ordinaire. Dans un quartier nord de New York un jeune maire doit appliquer la loi en faisant construire 200 logements HLM répartis dans une communauté blanche de classe très moyenne. La levée de boucliers débouchera sur une situation absurde : la municipalité, étranglée par des amendes énormes pour ne pas suivre les arrêtés de la Justice, est menacée de banqueroute. Les tractations et les coups bas rappellent furieusement ce dont j'ai été témoin pendant les dernières élections municipales où nous nous étions investis Françoise et moi ! Si les plus honnêtes y laissent des plumes, les egos dirigent le jeu. La vie des habitants de la cité en est considérablement affectée. Comme précédemment pour The Wire (Sur écoute), Generation Kill et Treme, l'étude de caractères vériste, le respect des accents, le moindre détail sont si bien analysés que les différences de classe éclatent sur l'écran en une leçon politique, suffisamment fine pour échapper aux balourdises explicatives du cinéma où seuls adhèrent ceux et celles qui sont déjà convaincus.


Le rôle principal est tenu par Oscar Isaac déjà apprécié dans le formidable polar The Most Violent Year et la distribution comprend aussi Bob Balaban (en outre réalisateur de l'excellent et méconnu Parents), Jim Belushi, Catherine Keener, Wynona Ryder, etc. Les chansons de Bruce Springsteen et le rap qui accompagnent la mini-série sont la plupart du temps diffusées in situ, elles ne viennent pas des cintres ! Au moment où l'État français bloque les réfugiés qu'il appelle sans papiers pour ne pas accepter de leur en délivrer, les empêchant ainsi de vivre dans des endroits décents (sans papiers, pas de feuilles de salaire - sans feuilles de salaire, pas de logement), la projection de ces six épisodes est salutaire.

jeudi 3 septembre 2015

Transparent


Le préfixe trans permet quantité de jeux de mots depuis que le mouvement LGBT a fait son coming out. Les titres pulluleront probablement à l'instar de l'excellent film Transamerica réalisé il y a déjà dix ans par Duncan Tucker avec Felicity Huffman. Cette fois la nouvelle série télévisée, fine et caustique, se nomme Transparent en référence à la saga familiale dont le patriarche change de sexe dès le premier épisode. Ses trois enfants ont des vies bien barrées, mais en y réfléchissant sérieusement ne sommes-nous pas tous et toutes dans ce cas ? La famille (et j'm la faille) est une source intarissable de névroses que l'on réussit plus ou moins bien à gérer.


La première saison de 10 épisodes de 26 minutes est drôle, provocante et donne vraiment envie de voir la prochaine. Jill Soloway, sa scénariste et réalisatrice féministe qui a fait ses armes entre autres avec Six Feet Under, s'est inspirée de la vie de son propre père, mais je ne peux m'empêcher de comparer le pitch avec Appelez-moi Madame, le savoureux documentaire réalisé par Françoise Romand en 1986 et qui connut un succès considérable aux États-Unis. Au thème du genre particulièrement en vogue, l'humour juif rajoute une couche de comédie qui ravira les amateurs.

Diffusion en France sur OCS City.

mardi 1 septembre 2015

Quel clafoutis !


J'avais prévu de commencer en douceur la reprise du blog après un mois de vacance ! C'était sans compter l'activité de notre quartier où hier matin la police a évacué de force et illégalement un squat occupé par des travailleurs africains chassés de Libye suite à la guerre entreprise par la France. Je reviens aujourd'hui avec un article plus gentil, puisque mon blog reste généraliste, malgré certaines tendances appuyées. Après l'action, un petit réconfort culinaire est donc le bienvenu !
Françoise a adapté la recette de clafoutis d'Olivia à tous les fruits de saison sous toutes les latitudes. Prunes, mirabelles, poires, pêches, abricots, framboises, cerises, myrtilles, ananas ont été noyés à tour de rôle sous la pâte légère. J'ignore pourquoi les clafoutis ressemblent souvent à des étouffe-chrétiens alors qu'ils peuvent enchanter nos papilles sans être le moins du monde bourratifs.
Beurrez un plat, saupoudrez un voile de sucre sur le beurre et placez les fruits. Mélangez au fouet manuel 3 cuillères à soupe de farine, 3 cuillères à soupe de sucre, 3 œufs, une pincée de sel, un demi-sachet de levure et un berlingot de crème fleurette. Recouvrez les fruits. Enfournez au four 50 minutes à 165-170°C. C'est tout. Vous m'en direz des nouvelles !

mercredi 29 juillet 2015

Angoisse de la répétition


J'ai toujours regretté les cas où je n'ai pas suivi mon instinct, mais il en est où je peste de ne pas trouver de solution satisfaisante à la question. Est-ce une appréhension, un pressentiment ou une angoisse ? J'ai essayé d'en parler à Françoise, mais je ne suis pas certain qu'elle ait compris le malaise qui me saisit lorsque je pense à ces vacances. Entre son opération à l'œil, qui nous empêchait jusqu'ici d'imaginer prendre l'avion ou aller à la montagne, et le travail qui devait m'occuper en juillet, et de toute évidence reporté à septembre, nous n'avions rien prévu. Voyager à l'étranger avec le chaton est une galère, et le laisser si jeune ne nous enchante guère. De toute manière nous évitons les destinations touristiques en période de vacances scolaires, de mousson et de moustiques. Ceux-ci m'adorent et ils ont infesté le sud. Retourner à Luchon semblait donc la solution la plus raisonnable, histoire de prendre l'air.
Or j'angoisse de reproduire une fois de plus les gestes des années passées. Nous embarquions le vieux Scotch dans la Kangoo pour un tour de France de deux mois passant par Saint-Étienne, La Ciotat, Marseille, Montpellier, Luchon, voire le Limousin. Cette fois nous descendrions directement dans les Pyrénées en nous arrêtant en chemin chez des copains, mais la perspective de revivre un tant soit peu l'an passé, au demeurant parfaitement agréable, m'étouffe. Savoir que nous mangerons de la truite mercredi et samedi midi en revenant du marché du fond de la vallée, de relever les mails depuis la Maison du Tourisme ces jours-là, de connaître mon emploi du temps là-haut quasiment heure après heure, dictées par le soleil, partagé entre la lecture, la contemplation, la projection de films et de rares randonnées, que mon entorse à peine remise n'encourage pas, me crispe les boyaux. J'ai fondamentalement besoin d'imaginer l'impensable. Je connais déjà le contenu des échanges avec le voisinage, les menus, les coups de froid dus à l'altitude, les flambées pour se réchauffer, et tutti quanti. De plus, j'ai un étrange pressentiment en ce qui concerne la route, et descendre en train est devenu une corvée depuis que la SNCF a scandaleusement supprimé la gare.
Françoise avait suggéré que nous restions à la maison pour profiter du jardin qui chaque été accueille les amis à qui nous la prêtons, mais l'air de la montagne n'est pas exportable. Devrais-je me forcer contre le pressentiment qui m'étreint ou remettre à l'automne quelque escapade dans des îles lointaines ? La répétition est un sentiment que je déteste, dans mon travail comme lors de mes loisirs. La diversité de mes œuvres et mon goût immodéré pour l'improvisation en atteste. Mais cet enjeu sportif n'est réussi qu'au prix d'une sévère organisation. N'échappant donc pas plus aux habitudes que quiconque, je les multiplie pour constituer une palette la plus variée possible, espérant toujours qu'une proposition alléchante vienne chambouler mon bel équilibre. Il ne nous reste plus que quelques jours pour décider du mois d'août, sachant que quelle que soit la décision je marquerai une pause salutaire en ce qui concerne ce blog. Car si j'ai tant de difficultés à trouver la solution à mes interrogations, elles découlent obligatoirement du manque de recul qu'une année sans vacances me laisse incapable de maîtriser.

jeudi 23 juillet 2015

Mémoire et aide-mémoire de Philippe Dumez


Il est surprenant et encourageant de rencontrer une personne dont les goûts, si ce n'est les couleurs, se rapprochent des vôtres. Entendre que ses références sont aussi particulières que les miennes, du moins dans certains domaines. Ainsi Philippe Dumez, attiré par les disques d'Un Drame Musical Instantané et ayant acheté un DVD de Françoise au vide-grenier d'où la pluie nous avait chassés dès midi, avait eu l'astuce de prendre nos coordonnées tandis que nous sauvions les meubles. Happé par Mix-Up, il était repassé à la maison chercher Appelez-moi Madame et Thème Je. À cette occasion nous avions échangé quelques pistes tant dans le domaine de la musique (grand consommateur de concerts de rock, Philippe Dumez place de la musique sur des films pour une major) que du cinéma (cinéphile curieux d'objets sortant de l'ordinaire). En regardant le blog qu'il a tenu quotidiennement jusqu'à la fin de l'année dernière, je comprends mieux son enthousiasme pour le documentaire Vinyl du Canadien Alan Zweig, cousin du High Fidelity de Nick Hornsby, où des collectionneurs racontent leur addiction.
L'organisation poétique qui guide son travail se retrouve dans l'aspect obsessionnel de ses écrits, petits fascicules, tirés chaque fois à une centaine, qu'il illustre en général avec une photo trouvée aux Puces, évidemment différente pour chaque exemplaire. Le vernaculaire y croise le système des listes où l'ordre n'est qu'un cadre à l'imagination. Je reconnais cette méthode de création qui pallie mon amnésie ! Ainsi son Trombinoscope, sur le modèle du Je me souviens de Perec, évoque le souvenir déterminant relié à chaque personne qu'il a croisée. La saveur de ces réminiscences, sortes d'aide-mémoire ciblés, tient dans la variété de l'accumulation et dans l'humour que génère sa franchise. Un second petit livre, 42+1, égrène chacune des années de sa vie, autres éléments déterminants depuis la plus tendre enfance jusqu'à son dernier anniversaire. Là aussi, la drôlerie des situations rivalise avec la réussite des évocations en quelques mots. J'ignore si ces ouvrages sont trouvables autrement qu'en rencontrant leur auteur, mais ils mériteraient une publication beaucoup plus large. Philippe Dumez tient un journal intime par mailing-list, récit de sa semaine passée, qu'il envoie tous les lundis à une petite centaine de destinataires dont je ne fais hélas pas partie !

mardi 21 juillet 2015

L'autre temps de Céleste Boursier-Mougenot


Pendant l'été il est agréable de se promener au bord de la mer, le long des rivières ou des canaux. On peut y aller par toutes sortes de moyens de locomotion, mais le bateau est certainement le plus paisible. Les Parisiens ou les touristes qui ont choisi la capitale pour leurs vacances peuvent remonter le Canal Saint-Martin ou faire une croisière sur la Seine, la solution la moins chère étant le Batobus (7 à 16 euros le pass à la journée pour 9 stations entre la Tour Eiffel et le Jardin des Plantes). On peut aussi faire des tours en barque au Bois de Boulogne ou de Vincennes !


Hier nous avons choisi le trajet le plus plus court, quelques mètres à l'intérieur-même du Palais de Tokyo. Dans l'obscurité je pousse sur ma perche pour regagner l'autre rive tandis que Françoise est assise à l'arrière. L'artiste Céleste Boursier-Mougenot a fait construire un bassin où nous dérivons tandis que sur les murs noirs sont projetés des ectoplasmes générés par nos propres mouvements. À leur tour ces silhouettes sont transposées en ondes sonores, par un processus certes plus arbitraire, mais dont la sérénité du drone, une basse continue ressemblant à un gros point d'orgue, participe à l'expérience sensorielle. La dernière partie de l'œuvre, intitulée Acquaalta en référence à l'inondation de la lagune vénitienne en période de pluie, offre de se vautrer sur des marches de mousse empilées, entourés des projections qui forment un récit en agençant aléatoirement les mouvements enregistrés des visiteurs.


Le son de l'œuvre présentée au Palais de Tokyo à Paris rappelle celui de l'univers que Céleste Boursier-Mougenot capte et diffuse cet été dans l'église Saint-Honorat des Alyscamps, à Arles. La mise en musique des pulsations et sursauts cosmiques de Jupiter et de sa magnétosphère est évidemment de l'ordre de la spéculation poétique, mais il est intéressant de mettre toutes les œuvres de l'artiste en relation les unes avec les autres. Il livre des espaces-temps que le visiteur peut habiter à sa guise, voire s'y reposer de son réel trépidant en effectuant un changement de repères qui interroge ses habitudes. Son œuvre la plus célèbre est from here to ear où des oiseaux mandarins viennent se poser sur les cordes de guitares électriques à plat sur des pieds. persistances, exposé également à Arles cet été, est un euphonium qui sécrète une mousse blanche qui se gonfle et se répand quand se construit le silence. Dans tous les cas le visiteur est incité à prendre son temps, un autre temps.

vendredi 10 juillet 2015

La musique s'expose aux Rencontres d'Arles


La mode est aux disques vinyles même si cela reste un marché de niches. Les collectionneurs d'albums 30 cm peuvent sortir leurs trésors comme le fit Guy Schraenen il y a cinq ans à La Maison Rouge. J'eus la joie et le privilège d'y jouer avec le violoncelliste Vincent Segal, visite guidée filmée par Françoise Romand. Un magasin de disques comme Le Souffle Continu à Paris fait 80% de son chiffre d'affaires avec les vinyles et celui de La Source ne vend que cela. Pour ma part j'ai conservé tous mes disques noirs, même si j'achète des CD depuis déjà 30 ans ! Passé la polémique sur les qualités de tel ou tel support ou sur la perte encyclopédique des jeunes adeptes du flux mp3, la surface de 30 centimètres sur 30 fut un lieu expérimental et hautement créatif pour quantité de graphistes.


Aux Rencontres d'Arles deux expositions sont consacrées aux pochettes de disques ornées de photographies. La première et la plus importante, Total Records, est proposée par Antoine de Beaupré, Serge Vincendet et Sam Stourdzé avec la complicité de Jacques Denis. J'ignore si leur pari de représenter l'histoire de la photographie au travers du parcours qui s'étale sur deux niveaux est totalement gagné, mais le choix distille un plaisir sans mélange aux amateurs en tous genres grâce à la variété des styles et des techniques dont se sont emparés les photographes. Le magnifique catalogue de 450 pages rend également merveilleusement l'histoire et la géographie de nos amours musicaux. Voir les agrandissements des couvertures Blue Note par Francis Wolff, découvrir des pochettes signées Michael Snow, Jean-Paul Goude, Jean-Baptiste Mondino, Andy Warhol, David Bailey, Lucien Clergue, Lee Friedlander, retrouver les partis-pris de certains labels, exhume quantité de madeleines encore chaudes. L'accrochage fourmille de clins d'œil vus au travers de l'objectif. (N.B. : la vidéo projetée dans l'expo et reproduite ci-dessus est Mayokero de Roy Kafri, clip réalisé par Vania Heymann)
The LP Company, les trésors cachés de la musique underground est une exposition plus conceptuelle de Laurent Schlittler et Patrick Claudel. Si j'ai bien compris, Laurent et Patrick, leurs initiales formant LP comme Long Play (terme anglais désignant les 33 tours 30 cm), s'appuient sur leur collection de disques méconnus pour composer textes, disques et performances, en une sorte de discographie imaginaire.


MMM est la troisième exposition "musicale", coup médiatique conçu par le chanteur Matthieu Chedid et Martin Parr. Telle série de photos de l'un inspire un instrument à l'autre. À l'Église des Frères-Prêcheurs, chaque évocation est circonscrite à une alcôve et l'ensemble constitue un seul morceau grâce aux ressources du multipistes et de la diffusion spatialisée. Si l'enjeu de l'orchestre est l'unité, les collections de Parr sont évidemment disparates. L'instrumental de Chedid sonnant très new age, il est difficile d'en comprendre le lien avec les thèmes photographiques. La signalétique dessinée à la main avec le nom des instruments ne permet pas plus d'en saisir la finalité autrement qu'un habillage agréable, comme le jeu de mots/initiales du titre.
Mardi soir, lors de la soirée consacrée au duo dans un Théâtre Antique bondé, la première partie commentée par Martin Parr présentait son parcours de photographe avec un humour anglais manquant à la seconde lorsque Matthieu Chedid improvisa un rock musclé sur les photos projetées sur écran géant. Là encore, si n'importe quelle musique fonctionne avec toutes les images, le sens diffère selon les choix et son absence la relègue au papier peint. Le public était néanmoins ravi, le chanteur terminant en récital, invitant ses fans à monter sur scène...

Total Records, catalogue, Ed. 2-13, 45 €

mardi 23 juin 2015

Trop loin, trop proche


Pas la moindre idée de vacances. Cela me semble très loin. Changer d'air est pourtant nécessaire à la réinitialisation de mon système interne. De son côté, Françoise part quelques jours à La Ciotat où seront projetés jeudi et samedi ses deux longs métrages de fiction, la comédie Vice Vertu et Vice Versa et le polar Passé Composé, première partie de sa rétrospective qui se tiendra dans le plus vieux cinéma du monde, le mythique Eden des Frères Lumière. Son opération à l'œil gauche lui interdit de prendre l'avion ou d'aller à la montagne pour l'instant. Nous déciderons donc plus tard si et où nous bougeons pendant l'été...
Je travaille d'arrache-pied sur plusieurs projets dont certains doivent être bouclés avant mon départ pour Arles où j'accompagne le Prix Découverte le 8 juillet. Sous le grand écran du Théâtre Antique je jonglerai avec les sons sur mon clavier, ajoutant la trompette à anche, l'harmonica et un peu de percussion à mon incroyable panoplie.
Entre temps je sonorise un jeu de donjons et dragons avec des pions sur iPad selon le modèle de Spellshot et je termine le design sonore du Monde de Yo-Ho des Éditions Volumiques. La même fine équipe est également susceptible de terminer le jeu de la Famille Fantôme pour lequel Sacha Gattino et moi avons livré la musique il y a trois ans ! Tous les deux ayant récemment gagné l'appel d'offre de l'exposition Darwin qui se tiendra à l'automne à la Cité des Sciences et de l'Industrie, nous démarrons la production de la dizaine d'attractions que nous devons sonorisées. Au jour le jour je choisis aussi des musiques pour certaines projections des Rencontres d'Arles, et cet été l'étude du métro du Grand Paris sera enfin bouclée.
Beaucoup de travail, et pourtant j'ignore totalement quoi fabriquer à la rentrée. Aucun projet personnel d'envergure n'est encore défini. C'est à cela que servent les vacances. Prendre le recul nécessaire pour sortir des habitudes qui vous plaquent le nez contre la vitre.

lundi 22 juin 2015

Lettre ouverte au Maire de Bagnolet au sujet des Baras


Il est important d'agir avant l'été, période propice aux expulsions quand nombreux riverains solidaires sont en vacances ! L'année dernière c'est justement début août que les Baras avaient été chassés. Ils avaient trouvé refuge in extremis dans l'ancien local vide de Pôle-Emploi à Bagnolet...

Monsieur le Maire de Bagnolet,
Madame, Monsieur la Président(e) de groupe…
Comme vous le savez, un groupe de 160 personnes originaires d’Afrique occupent les anciens locaux de Pôle-Emploi. Tous doivent leur vie à leur départ précipité de Lybie où ils travaillaient et où la France avait engagé des hostilités pour lesquelles ils ne portaient aucune responsabilité. Les membres de ce collectif connu sous le nom des Baras ne sont pas des sans-papiers comme on a coutume de les qualifier. Ils ont des papiers de leurs pays respectifs ainsi que des papiers européens homologués en Italie qui ne sont hélas pas reconnus par notre pays, patrie des Droits de l’Homme !
L’an passé, ils ont été chassés de leur local précédent à la suite d’un incendie. Après une errance difficile ils ont abouti au 72 rue René Alazard à Bagnolet, propriété de Natixis, banque de financement, de gestion et de services financiers du groupe BPCE. La majorité municipale à la suite de cet événement avait pris des engagements. Depuis, ils ne cessent de venir au Conseil interpeller les élus de la majorité.
Il n’y a malheureusement rien de concret. Pire, la Mairie a signé un arrêt permettant à Véolia de leur couper l’eau, faisant peser un risque sanitaire grave aux occupants. Depuis peu, ce genre de manœuvre honteuse est heureusement devenue hors-la-loi.
La décision d’évacuation est aujourd’hui suspendue au dessus des têtes des 160 personnes résidant dans ces locaux.
Il est clair qu’une collectivité à elle seule ne peut résoudre toute les situations dramatiques. Mais elle se doit de montrer l’exemple et l’on voit dans plusieurs collectivités des initiatives positives permettant de régler ce genre de situations et démontrant qu’il est possible d’avoir d’autres choix que la répression et l’errance.
Il est indispensable que les membres du collectif des Baras obtiennent une domiciliation pour faire valoir leurs droits et permettre à terme le règlement de leurs situations administratives. Réaction totalement absurde de la part de la municipalité, cette domiciliation leur a été refusée encore récemment par le CCAS de notre ville. Sans cette domiciliation ils ne peuvent par exemple pas avoir de compte bancaire. Ce serait un pas vers une régularisation de leur statut. Sans, ils sont une main d’œuvre corvéable et exploitable à merci, favorisant le travail au noir qui profite essentiellement à des employeurs sans scrupules qui les rétribuent en dessous du SMIC et sans payer les charges sociales. Les Baras, terme qui signifie travailleur en langue bambara, sont avant tout des travailleurs.
Nous demandons donc aujourd’hui que tous ces travailleurs, dont le comportement civil est exemplaire dans le quartier, soient régularisés par la Préfecture et que la municipalité intervienne en ce sens par tous les moyens possibles. En attendant, et ce serait le début d’une solution nécessaire, nous demandons que la municipalité leur accorde la domiciliation dont ils ont besoin, décision qui incombe exclusivement à la municipalité.
Après un an d’engagements non tenus et de refus incompréhensibles, nous demandons à la municipalité des actes et que ceux-ci aillent dans le sens d’une reconnaissance indispensable qui mettent fin à une situation qui déshonore la République.

Les représentants du Collectif Citoyen de Bagnolet
Christophe Biet, Jean-Jacques Birgé, Pascal Delmont, Céline Gayon, André Maudet, Youenn Plouhinec, Françoise Romand…

P.S. : Réponse du Maire le 17 juin - "Cher Monsieur, Je prends connaissance de votre courrier auquel je vais répondre de manière précise et circonstanciée. Celui-ci contient en effet un certain nombre d'erreurs voire des passages totalement mensongers. Recevez mes salutations les meilleures. Tony Di Martino, Maire de Bagnolet."

vendredi 12 juin 2015

Décollement de la rétine


Commençons par les bonnes nouvelles ! Françoise se remet doucement, mais sûrement, de l'opération après son décollement de la rétine. C'est arrivé après des années d'embêtements suite à des négligences avec ses lentilles de contact, quantité de cicatrisations au laser et deux implants pour ses cataractes. Les céphalées auraient dû la pousser à aller plus tôt consulter, mais elle a attendu de ne plus voir que la moitié de l'image de l'œil gauche pour foncer aux urgences de la Fondation Rothschild, service public impeccable, équipe chirurgicale irréprochable du Dr Le Mer. Il avait même eu la curiosité d'aller voir son site romand.org. C'est au réveil que les choses se sont corsées...
Contrairement au reste de l'équipe, une caricature d'infirmière désagréable vire Françoise de son lit dès son réveil de l'anesthésie locale. Mais une douleur pharamineuse la pousse à nouveau vers les urgences deux jours plus tard, cette fois ambulance et brancard. Heureusement la dernière visite est rassurante, l'œil est stabilisé, même si une bulle de gaz a glissé sur la rétine. Interdiction de prendre l'avion ou d'aller en montagne. Sur son bracelet est écrit : "Risque de cécité, patient porteur de gaz ophtalmique, etc." Mais ce n'est pas tout...
Revenons en arrière. Au moment de se faire opérer, la carte vitale semble périmée et l'administration annonce qu'elle doit donc surseoir à l'opération. Françoise n'a jamais reçu d'avis de fin de prise en charge de la Sécurité Sociale. Une solution est trouvée avec un chèque de caution de 888,44 € que j'apporte à sa sortie. J'appelle la Sécu qui me confirme la non couverture depuis le 31 décembre dernier. J'inscris donc ma compagne sur ma carte illico, la prise en charge devant être rétroactive. Quelle angoisse pour les personnes qui ne sont plus prises en charge ! En gros, elles peuvent crever, même s'il existe la CMU, cela ne règle pas les questions d'urgence !


Avec tout cela Françoise rate le festival des Bobines Rebelles, en Limousin, dont son film Appelez-moi Madame a fait l'ouverture ce soir sous l'égide de Federico Rossin au Magasin Général de Tarnac !

mercredi 3 juin 2015

Suspension


Les séjours tunisien et breton ont parfaitement joué leur rôle de trait d'union. Le jour j'enregistrais d'autres manières de vivre. La nuit je me gavais de musique. Pendant quinze jours les projets en rade se sont fait oublier, le temps que toutes les équipes rattrapent mon avance. Le mois de juin est encore flou. Où en sont les bateaux pirates, le futur métro ou la célèbre Arlésienne ? J'ignore tout de l'été. Les grands projets sont repoussés à la rentrée. L'opération de Françoise interdit l'avion et la montagne. Elle porte au poignet un bracelet vert indiquant la présence de gaz ophtalmique.
Nous passons un temps fou à jouer avec Ulysse, très dégourdi pour son âge. Il n'a pas trois mois et grimpe déjà à la cime des arbres, obéit lorsqu'on lui dit non, fait ses besoins dans le jardin... Oups, accident sur couette ce matin. Tous ceux qui l'ont précédé sont passés par là ! Rapide comme l'éclair, il est curieux de tout et disparaît dans des cachettes introuvables. Je lui ai téléchargé plusieurs applications sur iPad, mais il ne comprend pas où passent les bestioles qui sortent du champ. Quant à la souris en tissu qui pousse des cris quand on la touche, je pense que l'on s'en lassera avant lui !

mardi 2 juin 2015

L'éloge de l'infini, rien qu'un soir


"L'éloge de l'infini" qui clôturait le Festival La voix est libre est-il compatible avec la peau de chagrin sur laquelle s'inscrit la baisse de subventions de l'État, véritable trou noir où se perd une gauche qui n'en a plus que le nom ? Face à l'assassinat programmé de la culture dans notre pays un appel à contribution est donc lancé sous la forme d'un crowdfunding pour qu'une treizième édition du festival existe l'an prochain.
Faisant fi de ces considérations terre à terre l'astrophysicien Aurélien Barrau ouvre la soirée dans une des plus belles salles de la capitale, le Théâtre des Bouffes du Nord, sas entre le monde ancien rappelé par l'usure des murs et le monde nouveau que rêvent tous les artistes qui en foulent les planches. Le public suspendu aux lèvres du jeune scientifique, qui arpente la scène comme un lion en cage, oscille de la 9ème dimension à la théorie des cordes, comprenant probablement qu'entre la science et la poésie l'espace est étroit.
Le pas de deux de Josef Nadj et Ivan Fatjo renvoie à la systématique et pitoyable destruction de toute chose, marque propre à l'humanité. Derrière leurs masques impassibles, les deux danseurs brisent leurs instruments de musique dans un ballet de fossoyeurs où le son bouge encore malgré l'entropie qui se profile.


Livrée à elle-même, la chanteuse Violaine Lochu, très présente dans cette édition tant à Paris qu'à Tunis, est au meilleur de sa forme, jouant du soufflet de ses accordéons comme d'un comparse qu'elle porte sur le ventre ou sur le dos, respiration explicite partagée par tous les protagonistes de la soirée, qu'ils l'évitent ou s'y baignent. Faisant fi du chaos de l'infini, les musiciens comme les scientifiques nient le silence du cosmos, question sans réponse aussi bruyante que recueillie. Dans cet univers qui ne sera probablement jamais pour nous que légendaire, Violaine Lochu convoque les sirènes auxquelles peu de marins savent résister.


La première partie s'achève avec la colère du Congolais Dieudonné Niangouna, habilement soutenu par la guitare électrique de Julien Desprez et la trompette d'Aymeric Avice. Le comédien décortique notre monde dans une langue si effilée que ses mots dessinent des guillotines qui coupent sérieusement. Je ne peux hélas assister à la seconde partie, concert de Mounir Troudi, Wassim Halal, Erwan Keravec et Manu Théron, que j'attendais avec impatience, Françoise étant partie aux urgences de la Fondation Rotschild pour un décollement de la rétine. Pas d'affolement, l'opération par le Docteur Le Mer s'est bien passée et, à l'heure qu'il est, elle se repose sagement... Vive le service public !

lundi 25 mai 2015

Si la mer monte... (1)


Le voyage était prévu de longue date pour assister au Festival. Pas de raz-de-marée cette année, ni de tsunami. La centaine de maisons récemment construites sur la dune en dessous du niveau de la mer n'ont pas été englouties par les vagues, mais leurs jours sont comptés. Depuis la tempête Xynthia les nouvelles constructions sont obligatoirement sur pilotis. La commune où 29 personnes ont péri en 2010 porte le nom de La-Faute-sur-Mer, cela ne s'invente pas. Comme l'Île Tudy redeviendra une île. Malgré la vanité des hommes, partout la nature peut reprendre ses droits.
La campagne est superbe, mais le sable glisse vers le large. Nous avons marché sur la grève jusqu'à Sainte-Marine, crêpe sur le port, retour en stop. Le barnum dressé sur le port de L'Île accueillait la première soirée du Festival Si la mer monte... Le cabaret est animé par l'humoriste Claudius Benaize (Anthony Sérazin) et le clown Agathe (Loïc Toularastel) dont les pitreries réussies abusent la salle qui parfois ne sait plus si c'est de l'andouille ou du cochon. Michèle Buirette a détourné quelques tubes à la manière des chansonniers. Pour l'anecdote, en cas de pastiche et sans accord particulier, les droits d'auteur reviennent intégralement aux auteurs originaux. Coquillages et crustacés. Comme le thème de cette septième édition du Festival est l'Arctique, Les ours sont entrés dans L'Île Tudy. Et la salle de reprendre en chœur l'hymne Si la mer monte... Linda Edsjö et Elsa Birgé chantent des airs danois, suédois et breton. Sur la cale 300 photographies de la banquise sont accrochées à la corde à linge.


La surprise vient de la fanfare de poche Tout Ut qui salue Elsa et François Corneloup (dont le quintet de bal Le Peuple Étincelle joue le lendemain) en adaptant ¡Vivan Las Utopias! pour leurs trois instruments en ut. Je n'en crois pas mes yeux (dont le droit rivé à la caméra de Françoise) ni mes oreilles. Les deux saxophonistes, Jean Aussanaire et Camille Sécheppet, et le tubiste Daniel Malavergne ignorent que j'ai écrit cette chanson avec Bernard Vitet pour Elsa lorsqu'elle avait onze ans. Je suis retourné. Je pense aussi à Bernard disparu il y a bientôt deux ans. Avec le temps, va, tout s'en va...

mercredi 1 avril 2015

Changement de régime


Non, ce n'est pas un poisson d'avril, mais aujourd'hui je change de régime. Ce n'est pas un régime politique, mais social. Oui, aujourd'hui je passe du régime des intermittents du spectacle, jamais quitté depuis 42 ans, pour celui de la retraite, qui ne durera très probablement pas aussi longtemps ! Je n'ai pas écrit que j'étais à la retraite, car je vais devoir continuer à travailler quoi qu'il en soit. J'ignore encore dans quelles mesures, car la CNAV ne m'a pas envoyé son évaluation ni la "notification de pension vieillesse du régime de base", bloquant ainsi ma "demande de retraite complémentaire et Agirc" auprès d'Audiens. S'il est conseillé d'envoyer sa demande quatre mois avant, je comprends maintenant pourquoi : la CNAV n'étudie votre dossier que quatre mois plus tard. Ah, les rouages administratifs français, quel poème ! On m'a trimbalé de fausses adresses en faux horaires, mais, comme tout le monde, j'ai fini par y arriver, en perdant du temps et en en faisant perdre à tous les préposés aux fausses pistes.
Quel gâchis économique et humain que ces courses d'obstacles auxquelles se livrent les intéressés, traiteurs incompétents et traités circulant d'impasse en impasse. Notre système est entièrement à revoir. C'est sans compter l'absurdité kafkaïenne des habitudes. C'est sans compter les lobbys industriels qui en croquent. Je passe du coq à l'âne. Changement de régime. Dans tous les secteurs. Simplifier les démarches ferait-il perdre tant d'argent à l'État ? C'est probablement le contraire. Tant d'énergie dépensée de chaque côté du guichet pour rien. Ailleurs et dans le désordre, développer les transports en commun pour limiter les véhicules individuels, les rendre gratuits pour économiser les portillons automatiques et leur entretien, les contrôles et les sanctions. Faire pousser des légumes en créant des espaces verts au lieu des terrains vagues en bas des immeubles. Dépénaliser les drogues pour détruire le marché parallèle dont le banditisme et les banques font leurs choux gras. Arrêter la fabrication et la vente d'armes. Transformer les médias pour qu'ils deviennent formateurs au sens de formation plutôt que de formatage. Etc.
La société est malade. Nous sommes en présence d'un malaise social beaucoup plus profond que la crise politique. J'évite ici d'évoquer les grands profiteurs dont il faudra bien couper les têtes. Le cynisme des dirigeants de la planète, ivres de profit indu, se répercute sur toutes les couches de la société, si bien que le manque de conscience professionnelle, de passion au travail, et par conséquent de compétence, touche tous les secteurs. Françoise a raison : le revenu de base pourrait résoudre bien des problèmes. L'argent ne serait plus lié au travail, mais à la personne. Mon métier m'y a évidemment habitué : mes revenus n'ont jamais été cohérents avec la quantité et la qualité de mon travail. Quelques jours peuvent générer un fric considérable tandis qu'un an de boulot peut accoucher d'une souris. Seul l'amour de mon métier m'a permis de tenir. Mais est-ce un métier ? Lorsqu'on lui demanda sa profession, Cocteau écrivit : "sans (toutes)". Je l'ai depuis longtemps adopté. Mon père m'avait expliqué que même si je devais balayer la rue, le faire bien est moins ennuyeux que de le bâcler. Les machines sont stériles et polluantes. À qui rapportent-elles ? Bien entendu, je n'ai jamais balayé que devant chez moi, mais je partage régulièrement le fruit de mes réflexions et toutes les informations dont j'ai pu hériter grâce à la générosité des anciens ou de mes camarades.
Le régime de la retraite va me permettre de sortir de l'humiliation que Pôle-Emploi distille à ses bénéficiaires. Je saurai où je vais. I know where I'm going est un film sublime de Michael Powell. À 60 ans et 9 mois, sans devoir justifier des 43 cachets j'ai touché mes indemnités de chômage d'intermittent, une sorte de pré-retraite ? Puis ayant atteint le total de trimestres travaillés requis je prends ma retraite à taux plein. Déjà la Sacem me gratifiait d'une somme trimestrielle, mes points comptant pour de vrai parce que j'y étais monté en grade. Pour les petits ils sont simplement perdus. Pourquoi notre société aide-t-elle toujours ceux qui ont le moins besoin d'être secourus ? Les autres ont le droit à une misère programmée.
En France, la gauche a failli. Je ne parle pas de la droite bien pensante du PS, mais du PCF par exemple. En 1972 le Parti Communiste a abandonné l'idéologie au profit de la stratégie. Cela aurait pu éventuellement se comprendre si cela avait marché, mais ce fut une catastrophe et le Parti a persisté à s'associer aux sociaux-démocrates jusqu'à pratiquement disparaître. L'extrême-gauche semble incapable d'incarner le vote contestataire que l'extrême-droite récupère chez les déshérités. Dans notre ville c'est un noir et une arabe qui représentaient le FN aux élections ! Il y aura des lendemains qui déchantent. Créer de nouvelles utopies est absolument indispensable, et, pour ce, il faut revoir tout le système, bouleverser nos manières de penser, réapprendre à respirer, savoir pour quoi nous combattons. On n'a qu'une vie.

mardi 10 mars 2015

Françoise


Voilà plus de treize ans que nous vivons ensemble pour mon plus grand bonheur. Notre rencontre représente ma quatrième naissance après ma venue au monde, mai 68 et le siège de Sarajevo. Je n'avais jamais vécu telle complicité, confiance réciproque qui nous fait grandir à en toucher le plafond. Nos araignées qui y ont pris leurs quartiers chantent et dansent jour et nuit. Nous avons appris à trier nos petits grains de l'ivraie, et cela ne se fait jamais sans mal. Tu es à l'image de tes films, pleine de fantaisie et d'invention. Tu es aussi à l'image du travail qu'ils te donnent pour correspondre à tes désirs, remettant sans cesse l'ouvrage sur le métier, repoussant l'échéance tant que tu n'es pas satisfaite. J'admire ton infatigable engagement politique qui se manifeste au quotidien, compassion pour les personnages de tes documentaires et de tes fictions, soutien des plus fragiles et utopies insatiables pour lesquelles tu te bats comme une diablesse. J'adore ton petit minois rieur et la douceur de ta peau. Joyeux anniversaire, mon amour !

Photo de Françoise Romand par Steve Ujlaki, Los Angeles, 2014

vendredi 6 mars 2015

Carnage, Un d.m.i. 2014


Après Trop d'adrénaline nuit, Rideau !, À travail égal salaire égal, nous avons improvisé des évocations d'autres albums d'Un Drame Musical Instantané. Hélène Sage a chanté L'invitation au voyage (Baudelaire-Duparc, 1857) que Bernard interprétait sur Les bons contes font les bons amis, Le roi de Thulé (Barbier-Gounod, 1859) et Carton (Birgé-Vitet, 1997). La violoncelliste Hélène Bass a ouvert L'homme à la caméra et avec Francis Gorgé et Hélène Sage aux freins (contrebasses à tension variable) ils ont formé un trio à cordes en référence à l'album Qui vive ? dont je diffusai une radiophonie. Au tour du percussionniste Francisco Cossavella d'attaquer Urgent Meeting. Sans oublier Carnage où l'on retrouve le saxophoniste Antonin-Tri Hoang, toujours à propos, qu'il mélodise, rythme ou sorte des sons inouïs de ses instruments :


Nous avons terminé par Opération Blow Up en rappel, onzième vidéo de ce concert unique au Théâtre Berthelot à Montreuil le 12 décembre 2014. Les liens dirigent vers chacune des captations vidéo dont les caméras étaient tenues par Alain Longuet, Françoise Romand et Armagan Uslu.

Photo N&B : Christian Taillemite (Citizen Jazz)

mercredi 4 mars 2015

"C'est Beyrouth !?"


Les analogies fleurissent sur les gravats de la cuisine. La comparer à Beyrouth est exagéré, d'abord parce que c'est censé durer seulement quelques jours, ensuite c'est ignorer les éclats d'obus qui vérolaient les façades comme un gruyère rassis. De plus, il pleuvait lorsque je suis arrivé dans la capitale libanaise et la boue qui colle aux semelles est très différente de la poussière sèche du ponçage. Depuis quinze ans j'avais réussi à repousser les tranchées et les coups de masse. C'était sans compter l'opiniâtreté de Françoise qui me travaille au corps depuis une décennie pour que nous aménagions différemment la cuisine. Tout a commencé par un passage au blanc du premier étage. J'espérais que ce traitement appliqué au rez-de-chaussée suffirait à calmer ma compagne. Que nenni ! Les toilettes martiennes où vivaient des Lilliputiens vert pomme sont transférées dans les archives pour bénéficier d'une fenêtre donnant sur l'allée des sorcières et le bar a sauté, agrandissant considérablement le séjour. Notre espace de création culinaire prend ses aises tout en accrochant la lumière. Nous ne sommes pas au bout de nos peines. Le plan de bataille du mobilier cuisine reste à établir. En attendant, nous nous sommes repliés vers les étages et le garage où nous avons installé un four micro-ondes. J'envoie ces notes depuis le camp retranché du studio de musique où Scotch a pris ses quartiers.

mercredi 25 février 2015

La peur du vide


La peur du vide est la seconde création radiophonique commandée à Un Drame Musical Instantané par Didier Alluard et Monique Veaute pour France Musique. Didier Alluard avait d'abord remplacé Alain Durel à la direction de la création pour la musique au Ministère de la Culture où les choses se gâtèrent après son départ. Avec Françoise Degeorges, Monique Veaute était l'une des têtes chercheuses de l'antenne. Si USA le complot était illustré musicalement par essentiellement des musiques existantes, enregistrements de films et témoignages tout aussi rares, cette seconde émission diffusée le 1er juillet 1983 était clairement une création du Drame. Alain Nedelec avait soigné le son des deux émissions et Bernard Treton, qui nous assistait, nous regardait avec ses petits yeux plissés et amusés chaque fois que nous avions une idée saugrenue.
Pour cette Fréquence de nuit "Nuit noire" nous avions entre autres demandé le Bösendorfer Imperial, un tam tam et une grosse caisse symphoniques, des timbales, des cloches plaques et une flopée d'instruments percussifs ou bruitistes stockés au sous-sol de la Maison de Radio France, car à l'époque le Pool de Percussion était intelligemment dans les murs de la Maison de la Radio. Bernard Vitet avait choisi trompette, violon, percussion, piano, trompette à anche et double bombarde. Francis Gorgé oscillait entre guitare électrique, guitare basse, synthétiseur analogique, flûte, percussion et piano. Quant à moi, je m'éclatais aux synthétiseur PPG Wave 2.2, piano, trombone, trompette, trompette à anche, flûte, guimbarde et percussion.
Mais ce n'est pas tout, car nous avions profité de notre présence à la radio pour insérer Die eiserne Brigade d'Arnold Schönberg, Ionisation d'Edgar Varèse, Camille Saint-Saëns improvisant au piano Samson et Dalila, La damnation de Faust, Pandemonium et la Sérénade de Hector Berlioz, Joue-moi de l'électrophone de Charles Trenet, Monsieur William par les Frères Jacques, À bout de souffle de Claude Nougaro, Monsieur Bebert de Georgius, Anna la bonne de Cocteau par Marianne Oswald, La guêpe de Bernard Vitet, le rêve de Robert Desnos mis en ondes par lui-même, Légitime Défense, Guillaume Appolinaire, Michel Poniatowski, Jean-Paul Sartre. Une femme est une femme, Masculin Féminin, Tristana, Le testament du Dr Mabuse, Dial M for Murder, L'éclipse, Le parfum de la dame en noir, Underworld USA, Pick Up on South Street, Shock Corridor, Naked Kiss, Le trou, Le testament d'Oprhée. Et Un drame musical instantané avec M'enfin, plus Le malheur avec tout l'orchestre !


L'intégralité de La peur du vide est en écoute et téléchargement gratuits sur drame.org ! En fin d'émission nous avions cette fois choisi la version de Django Reinhardt et Stéphane Grapelli de La Marseillaise qui terminait les émissions la nuit à 1 heure du matin, laissant un vide qui aujourd'hui ferait peur à n'importe quel responsable.

lundi 16 février 2015

Trop d'adrénaline nuit


Résurrection inattendue d'Un drame musical instantané. Après 32 ans j'avais dissous le groupe faute de combattants. Francis Gorgé l'avait quitté en 1992, Bernard Vitet avait cessé de souffler en 2004, ses dernières compositions datant de 2007. Seul rescapé de notre collectif, j'avais finalement décidé de me produire sous mon nom en 2008. À la mort de Bernard en 2013, chacun avait joué avec son groupe tandis que Hélène Sage était bloquée à Toulouse, aussi avions-nous décidé de remonter le Drame pour un soir lorsque l'occasion se présenterait. L'invitation de Patrice Caillet à la Semaine du Bizarre tomba à propos. Pour ce concert exceptionnel nous étions accompagnés du saxophoniste-clarinettiste Antonin-Tri Hoang, du percussionniste Francisco Cossavella et de la violoncelliste Hélène Bass. Je n'avais pas joué avec Francis depuis son départ, avec la grande Hélène depuis 1997, avec la petite Hélène depuis 1983 et le jeune argentin remplaçant au pied levé Edward Perraud, souffrant, n'a même pas eu le temps de faire une balance ! Le seul avec qui je joue régulièrement est Antonin. L'aventure était risquée, car si le spectacle suivait la chronologie discographique du groupe tous les morceaux, hormis les chansons préparées par Hélène Sage et Francis, étaient improvisés. Entre chacun j'illustrai notre histoire de petites anecdotes amusantes. Avec le recul même les drames nous font rire.


C'est dans ce même Théâtre Berthelot à Montreuil que nous avons joué maints ciné-concerts dans les années 70 et créé le grand orchestre du Drame en 1981. Alain Longuet, Françoise Romand, Armagan Uslu ont filmé depuis la salle avec leurs petites caméras, me permettant de monter des séquences pour une fois dans leur intégralité. Mieux que l'audio seule, la vidéo aide à percevoir les mouvements musicaux. Il est néanmoins préférable de brancher le son sur des enceintes plutôt que de se contenter des enceintes criardes de l'ordinateur.

mardi 3 février 2015

Musique et design sonore pour le futur Centre des Congrès de Rennes


Avec Sacha Gattino nous formons de temps en temps un amusant numéro de duettistes lorsqu'il s'agit d'honorer des commandes. Après des concerts en trio avec le plasticien Nicolas Clauss et la formation du groupe El Strøm avec la chanteuse Birgitte Lyregaard, nous avons en effet cosigné la musique d'un clip pour une montre Chanel, le design sonore de l'exposition Jeu Vidéo à La Cité des Sciences et de l'Industrie et celui de l'application iPad Balloon des Éditions Volumiques pour lesquelles je viens de terminer le son des trois nouvelles applications de la collection Zéphyr avant de m'atteler au Monde de Yo-Ho, jeu de plateau avec pirates et iPhones...
Entre temps nous avons composé une musique entraînante illustrant la construction du futur Palais des Congrès de Rennes Métropole par Jean Guervilly, Françoise Mauffret, David Cras, Alain Charles Perrot & Florent Richard. Si les morceaux "à la manière de" sont toujours intéressants à réaliser, ils nous permettent de penser différemment. L'exercice de style portait cette fois sur Game of Thrones, demande explicite de notre client. Le travail 3D de Platform Motion (pour qui j'ai réalisé, entre autres, les bandes-sons de la DRPJ Paris Batignolles par Wilmotte & Associés SA et du Pavillon France de l'Exposition Universelle Milan 2015 par X-TU/ALN/Studio Adeline Rispal) montrant les différentes étapes de construction pour présenter le couvent des Jacobins est excitant. À nous de rendre actuelle l'anticipation ! Nous dansons d'un pied sur l'autre entre un passé héroïque et une prouesse technique de notre temps.


Le second film réalisé cette fois par Artefacto consiste en une visite des espaces intérieurs du futur Palais des Congrès. La musique est répétitive et cristalline. Le fil conducteur léger et contemporain déroule son fil d'Ariane de salle en salle. Des évènements sonores et musicaux viennent s'y poser comme les petits oiseaux sur les fils télégraphiques ou le linge propre qui sèche sous le vent.


Sacha vivant actuellement à Rennes, nous travaillons le plus souvent à distance. Le téléphone et Internet font partie de notre panoplie instrumentale. Nous nous envoyons les pièces du puzzle au fur et à mesure, les redessinant chacun son tour, intégrant les jongleries l'un de l'autre et réciproquement !

mercredi 28 janvier 2015

Birgé Hoang Fantazio filmés à La Java


Comme je cherchais une idée appropriée à l'hommage que nous désirions rendre à Jacques Thollot, Jean Rochard me rappelle que Jacques adorait Henri Michaux. Il en avait même tiré le titre de son fabuleux disque Quand le son devient aigu, jeter la girafe à la mer ! Me voilà aussitôt en quête d'un comédien capable de dire ses poèmes accompagné par des musiciens, et que l'ensemble fasse corps. Qui de plus fou et de plus sensé que Fantazio pour relever le défi ? J'en parle à Antonin-Tri Hoang qui arrive à la maison avec une dizaine d'ouvrages de l'écrivain. Ailleurs, Face aux verrous, La vie dans les plis me sourient. Les textes courts se prêtant mieux à l'exercice, nous choisissons ce dernier recueil avec Fantazio qui rapplique aussitôt comme il habite deux rues plus haut. Pas le temps de fixer les choses, les uns et les autres sommes accaparés par les fêtes de fin d'année et les obligations familiales. Nous nous retrouvons donc le 4 janvier 2015 à La Java pour participer à une magnifique soirée au cours de laquelle une trentaine de musiciens dédieront leur prestation à l'extraordinaire batteur-compositeur disparu récemment.
Fantazio ouvre le bal en égrainant un B.O.N.S.O.I.R. de circonstance, enchaîne rapidement avec la mitrailleuse à gifles et nous voilà partis, sans n'avoir rien préparé qu'une lecture assidue du génial poète. J'attaque au piano préparé, Antonin à l'alto, Fantazio passant des alexandrins dont il a le secret au texte de La vie dans les plis. Pour les instrumentaux il fait subir à sa contrebasse les outrages dont elle a l'habitude. Une chose est certaine : nous nous amusons comme des petits fous.


Grenouilles, piano-jouet, percussions électros dessinent ma palette. Les Meidosems donnent à Fantazio le terreau dont il a besoin. Je dois moi-même à Henri Michaux mon apprentissage de la douleur, ou plutôt son apprivoisement, grâce au Bras cassé que Jean-André Fieschi me donna à lire lorsque j'avais vingt ans et un panaris ! L'exergue que je rabâche depuis en est issu : "Nous ne sommes pas un siècle à paradis, mais un siècle à savoir". Cette phrase m'a probablement sauvé la vie plus d'une fois. Il ne me restait plus qu'à monter la scène filmée par Françoise Romand depuis jardin... Et le tour est joué.

mardi 27 janvier 2015

Lire, c'est dans la poche


Françoise m'a offert une liseuse en espérant probablement me pousser à me reposer. Je ne lis de romans qu'en vacances. Le reste de l'année je suis devant les écrans de mes ordinateurs et je ne m'allonge qu'avec des journaux, des revues ou des modes d'emploi. Le soir j'ai besoin de focaliser loin devant moi, ce à quoi la projection sur le mur répond parfaitement, mon goût pour le cinématographe s'en trouvant conforté. L'objet qui ne pèse que 170 grammes peut contenir plus de livres que je n'en lirai peut-être encore dans ma vie, ce qui va soulager considérablement les bagages des futures vacances. Un léger éclairage arrière augmente le contraste, permettant de lire de jour comme de nuit. En plus on peut choisir sa police de caractères et sa taille. Aux incrédules je dirai que c'est comme lire un livre de poche hyper léger. Une simple pression sur les boutons cachés sous les doigts tourne les pages dans un sens ou l'autre. J'ai demandé conseil à mon ami Jean-Pierre Mabille qui a validé mes observations. D'abord le choix du PocketBook Sense, parfait j'en conviens. Ensuite ne pas coller la couverture, accessoirement signée Kenzo, pour ne protéger l'objet que lorsqu'il risque des rayures ou des coups. On tient mieux la liseuse libérée de son enveloppe. Pas nécessaire non plus de gaver la bibliothèque de littérature, à moins de partir pour un voyage autour du monde. Jean-Pierre me suggère de télécharger le widget gratuit Hiddenfiles pour faire apparaître les fichiers cachés et ajouter la police gratuite GillSans sans empattements dans les préférences de la liseuse. Je ne me sers pas du wi-fi, préférant gérer ma bibliothèque sur le Mac, relié en USB avec un cordon. Les autres applications fournies avec l'appareil me semblent également inutiles, d'autant que j'ai souvent avec moi un iPad ou à défaut un iPhone... Et puis j'ai lu. Le PocketBook est si petit qu'il tient dans une poche révolver, déconseillée si vous comptez vous asseoir, ou à la place d'un porte-feuilles. Comme les appareils que l'on n'hésite plus à emporter avec soi, pourquoi se priver du recueillement de la lecture dans les transports en commun ou je ne sais où. Elle est moins encombrante que le moindre journal et mieux nourrie, sans aucun doute...

J'ai essuyé les plâtres avec Maupassant et suis passé à Houellebecq, me méfiant de tout ce que l'on raconte sur l'écrivain provocateur. J'avais envie de savoir, surtout en cette période où la plupart des médias étouffent la réflexion sous un afflux émotionnel. Je ne peux pas m'empêcher de penser que la surenchère sensationnelle est essentiellement destinée à enterrer autant que possible la lutte des classes. Monter les communautés les unes contre les autres ou faire la guerre sert en général les intérêts économiques des puissants. On s'est par exemple débarrassé de notre paysannerie avec la première guerre mondiale comme on pousse aujourd'hui les inexploitables à s'entretuer en Afrique. C'est rentable pour les marchands de canons qui ont tous par ailleurs investi dans la presse et pour les dictateurs en herbe qui se font les dents avec des lois sécuritaires. Les autres profiteurs se contentent des rentes du pétrole ou des minerais précieux, du cacao ou des céréales, et surtout de la spéculation. On y reviendra, car je m'égare. Soumission n'est pas le roman le mieux écrit de son auteur, mais il conserve l'humour grinçant qui a fait son succès. J'ai été surpris de ne pas trouver d'islamophobie dans ce récit de politique-fiction. L'idée du bouquin est même plutôt marrante si nous ne vivions dans un climat rance où les musulmans sont désignés comme des envahisseurs sanguinaires par les mabouls et les vicieux. Le roman de Michel Houellebecq, avec qui j'ai enregistré deux CD en 1996, est pourtant insupportable, mais sous l'angle d'une misogynie insistante, montrant à quel point le narrateur n'a pas réglé les problèmes avec sa môman. Maintenant cela se lit facilement dans le métro, surtout si on a la chance de posséder une liseuse comme la mienne, dont le prix équivaut à sept romans en édition bourgeoise ou a une quinzaine en poche. Il existe ensuite quantité de livres gratuits passés dans le domaine public, ce qui explique l'actuel regain d'intérêt pour de très grands écrivains comme Zola, Maupassant, Flaubert, Balzac et d'autres.

lundi 26 janvier 2015

Birgé Collignon Desprez (10/10) - À fond !


Pour le rappel notre dernière carte nous suggérait de demander un conseil. Dans le public le réalisateur Jean-Denis Bonan hurla "Allez-y à fond !" Nous ne nous sommes pas faits prier. J'envoyai l'artillerie lourde. Médéric Collignon attrapa son cornet. Julien Desprez fit un dernier baroud d'honneur.


Médéric fit un dernier solo vocal d'une étonnante virtuosité comme je battais les cartes de mon synthétiseur et que Julien grattait, pincait, frappait pour un ultime solo soutenu par le tambourin de Médéric.


Il ne nous restait plus qu'à saluer, remercier l'équipe du Triton pour le son et lumière, Françoise Romand pour sa captation vidéo, et d'espérer recommencer l'expérience un de ces jours ailleurs. Nous sautions de joie comme des garnements qui s'étaient bien amusés, car rien de tout cela n'avait été prévu, répété ou structuré. Seules les cartes du jeu nous guidaient, tirées au hasard par le public. Nous n'avions jamais joué ensemble. La prochaine fois il nous faudra donc inventer des situations nouvelles pour nous surprendre les uns les autres, et étonner le public qui participe chaque fois à cette drôle d'aventure.

P.S. : SPÉCIALE DÉDICACE À SYRIZA

mardi 20 janvier 2015

Ella & Pitr à Paris jusqu'au 14 février


Les Papiers Peintres Ella & Pitr réussissent leur nouveau passage en galerie en se jouant des contraintes de la rue du Faubourg Saint-Honoré comme ils ont su le faire en épousant les anfractuosités des murs de la ville lorsqu'ils collent leurs affiches tendres, drôles ou impertinentes. La toile vendue à un collectionneur est un support anecdotiquement plus pérenne que le papier livré aux intempéries de la météo. Ils ont cette fois choisi la feuille d'or pour rehausser leurs fantaisies graphiques, luxe qu'ils ne peuvent se permettre en ville, mais aussi clin d'œil critique envers leur clientèle huppée. Ils ont choisi de tasser leurs portraits animaliers ou enfantins dans les rectangles que les cadres leur imposent. Leurs sujets émettent des sons que l'on ne peut que rêver.


La Galerie Le Feuvre expose donc See You Soon Like The Moon jusqu'au 15 février, 164 rue du Faubourg Saint-Honoré. De l'autre côté de la vitrine des policiers gardent je ne sais quel bâtiment (c'est à deux pas du Palais de l'Élysée !) tandis qu'à l'intérieur, Ella & Pitr ont peint un monstre qui saisit les pandores pour les dévorer. Au sous-sol on marche sur des pierres de lune. Partout les rêves d'enfants envahissent le monde des adultes.


On s'impatiente de la sortie du film Baiser d'encre, une fantaisie documentaire réalisée par Françoise Romand, pour découvrir l'envers du décor. Or ce conte moral révèle le va-et-vient entre le quotidien familial de ces jeunes artistes et leurs élucubrations tantôt projetées gracieusement sur les murs des villes du monde, tantôt s'adaptant aux lois du marché de l'art avec autant de facétie. Plus tard, pour sa publication en DVD, le film sera jumelé au carnet de croquis qui accompagne partout Ella & Pitr lors de leurs voyages interplanétaires. En attendant, la Galerie Le Feuvre a édité un nouveau catalogue, des centaines de photos sont accessibles sur Flickr, et si vous prenez de la hauteur peut-être découvrirez-vous les fresques monumentales qu'ils peignent sur les toits et qui sont visibles de la Lune !

jeudi 15 janvier 2015

Birgé Collignon Desprez (6/10) - Renversez


Médéric Collignon et moi avons la même idée. Elle nous est suggérée par notre instrumentation. La sixième carte tirée par le public indiquant Renversez, nous pensons illico à utiliser un effet qui diffuse notre voix à l'envers lorsque nous parlons en direct. Mais très vite Médéric et Julien Desprez rythment notre improvisation, l'un devenu Human Beat Box, l'autre frappant les cordes de la guitare avec un archet. L'énumération des chiffres dont l'ordre restera mystérieux nous fait glisser dans le cosmos. Je joue d'abord d'échantillons de cloches de verre excitées par un archet, puis d'un chaos que les pédales de mon synthétiseur me permettent de zapper allègrement.
Cette version du spectacle Un coup de dés jamais n'abolira le hasard a été enregistrée live au Triton, Les Lilas, le 28 novembre 2014, filmée par Françoise Romand, montée et mixée par mes soins. Le public tirait le thème de chaque pièce dans le jeu de cartes Oblique Strategies conçu par Brian Eno et Peter Schmidt.

mercredi 7 janvier 2015

Birgé Collignon Desprez (1/10) - Accrochez-vous à un espace sécurisant


Premier épisode d'un feuilleton musical basé sur le jeu imaginé par Brian Eno et Peter Schmidt, Accrochez-vous à un espace sécurisant (Define an area as 'safe' and use it as an anchor)) est la première carte tirée par une spectatrice. Julien Desprez commence par chatouiller sa guitare, j'enchaîne avec un programme de piano préparé et Médéric Collignon pose son cornet à dés sur la corde à linge tendue entre cour et jardin.
L'album complet de Un coup de dés jamais n'abolira le hasard est en écoute et téléchargement gratuits sur le site drame.org comme les 117 autres heures qui y sont diffusées par sa radio aléatoire, également accessibles album par album sous l'onglet mp3 gratuits. La vidéo se prête particulièrement bien à ce spectacle enregistré en public au Triton le 28 novembre 2014, filmé par Françoise Romand, monté et mixé par mes soins.

mardi 6 janvier 2015

Le sybaritisme de l'ascète


Même si le titre est juste il n'incite pas à regarder le documentaire de Nicolas Gayraud, trop flou si l'on ne sait rien. Et si l'on sait, le sujet me ferait plutôt fuir, surtout à comparer Le temps de quelques jours aux films de Cavalier et Depardon. Fausse route, ce n'est pas Thérèse et le filmage s'attache à des personnes qui se marrent tout le temps. D'autant que la religion et moi, ça fait deux, ce qui ne m'empêche pas d'adorer les films de Buñuel ! Le réalisateur a passé quelques jours avec les bonnes sœurs de l'Ordre cistercien de la Stricte Observance à Bonneval. Contrairement à ce que Françoise, qui connaît mes goûts, prédisait, nous accrochons dès la première image et nous restons fascinés pendant les 77 minutes passées avec ces femmes drôles, intelligentes et sensées qui ont choisi de vivre recluses dans la contemplation. La légèreté de ton sur un sujet aussi grave que le temps de vivre n'a rien à voir avec les modèles dont on le rapproche.


Et puis ces moniales fabriquent des chocolats dans les ateliers de leur abbaye, tradition depuis 1878, sans autre graisse végétale que le pur beurre de cacao ! Cela dit tout, même si leur vie est essentiellement consacrée à la prière. Gayraud ne reste que quelques jours, mais il prend son temps. Le temps de vivre, oui, c'est ce que ces femmes indépendantes, dégagées des contingences quotidiennes et de la mode, nous transmettent. Le réalisateur n'insistant pas particulièrement sur la foi chrétienne, leur philosophie ressemble un peu au bouddhisme. Les questions absentes sur leur économie ou la sexualité m'intriguent parce qu'elles semblent si libres que l'on a l'impression qu'elles peuvent parler de tout. Elles le font certainement en notre absence. Gayraud nous épargne aussi les bondieuseries, parce qu'il ne viole jamais leur intimité. Leur retraite ressemble à une communauté de féministes plongées dans la réflexion et le décalage. Il fait bon et frais sur les contreforts du plateau de l'Aubrac. La nature sauvage qui entoure l'abbaye est attirante. On ressort de la projection comme en élévation. Si vous aimez les projets positifs, la joie de ces vingt-six femmes qui ont aujourd'hui entre 35 et 94 ans est franchement communicative. Il n'y a pas que dans leurs propos qu'elles sont incroyablement modernes. Elles ont un site web et maintenant un film formidable est consacré à ce qu'elles représentent, du moins sous l'angle ouvert d'une écologie réelle. La caméra en propose une image personnelle sous la forme paradoxale d'un sybaritisme de l'ascète.

Le temps de quelques jours de Nicolas Gayraud, DVD Éditions Montparnasse sortie le 3 février, 15 euros

mercredi 31 décembre 2014

Scotch comme une image


Je ne peux pas faire abstraction du quotidien et refaire le monde chaque matin comme si je regardais la Terre vue de la Lune.
Le vétérinaire a rarement vu un chat aussi sage. Scotch lui rendait visite pour une inquiétante protubérance de la truffe déjà dépigmentée depuis quelques mois. Il l'a mis au régime, lui a prescrit des antibios et une pommade en espérant que son nez dégonfle. Si cela ne marche pas, c'est beaucoup plus ennuyeux. On verra bien. Rien ne sert de s'alarmer trop tôt. Après non plus. Que peut-on faire ? Scotch ne bouge pas pendant la piqûre. Il a attendu tranquillement le résultat de l'analyse, debout sur la table bleue. Elle n'est hélas pas concluante. En attendant il faut tout de même lui faire avaler chaque jour un épais comprimé gros comme une pièce de cinq centimes et lui frotter le museau avec la pommade. L'été prochain il faudra le protéger avec de la crème solaire. Ce n'est pas une blague.
Le froid est tombé. Le prix du fuel aussi. Moins 35 pour cent. L'État en a profité aussitôt pour augmenter les taxes sur le pétrole. En réalité le prix du baril est descendu au delà de la moitié, mais les requins ont préféré accroître leurs profits. Nous avons rempli la cuve, acheté du gros sel en prévision du gel, sorti les couvre-oreilles. Il paraît que c'est la concurrence du gaz de schiste qui est à l'origine de la baisse. Les Américains bousillent leur sol et pour une fois nous profitons de leur connerie.
Pas de trêve de Noël. J'enregistre les sons et la musique des dernières applications pour iPad des Éditions Volumiques. Ambiance de steppe et musique interplanétaire. J'attaque bientôt Le Monde de Yoho, une aventure de pirates qui me pousse à regarder successivement Cutthroat Island de Renny Harlin, Anne of the Indies de Jacques Tourneur, Blackbeard the Pirate de Raoul Walsh. Wikipédia en relate quantité d'autres.
Entre temps je mixe le concert du Triton avec Médéric Collignon et Julien Desprez, poursuis mon enquête sur le quotidien des jeunes musiciens pour un grand mensuel, approfondis l'étude sur le design sonore du métro du Grand Paris, assiste Françoise pour le montage de son dernier petit film sur une musique enregistrée avec Alexandra Grimal, etc. Le quotidien habituel. Le soir on fait de gros câlins à Scotch pour le remettre de ses émotions...
Bonne fin d'année !

mercredi 17 décembre 2014

Erreur de distribution dans la spatialisation sonore


Nous avions rendez-vous au Palais de Tokyo pour fêter la sortie des GRM Tools Spaces, déclinaison de la célèbre application, cette fois dédiée à la spatialisation sonore, mais Françoise se trompant d'entrée s'est retrouvée à la soirée du Crédit Agricole. Elle dégustait des huîtres, du foie gras avec de la gelée de coing, un œuf aux truffes, un feuilleté d'escargot, cocktail des plus raffinés, tandis qu'en dessous, à la cave du Yoyo, nous attendaient des sandwichs bourratifs. Là-haut, un des dirigeants de la banque félicitait ses troupes en se gargarisant du succès de l'année 2014, prévoyant une année 2015 aussi radieuse. La crise est parfaitement ciblée !
En bas, organisée par l'INA en partenariat avec le magazine Trax, la présentation des GRM Tools par l'ingénieur Emmanuel Favreau, responsable des développements au GRM et plus particulièrement de cette application, fut à la hauteur de leur extraordinaire potentiel, malgré une sonorisation épouvantable. Comme souvent le niveau sonore dépassa les limites de l'entendement, habitude absurde qui rendrait aphone quiconque aurait envie d'échanger le moindre propos avec son voisin ou sa voisine. Ainsi le brouhaha du public essayant de parler avant le concert sur la musique enregistrée ne faiblit pas lorsque c'est le tour des musiciens. Quatre petits sets se succédèrent malgré tout, alternant le meilleur et le pire. Edward Perraud ritualisa sa prestation solo à la batterie (photo). Mimetic me laissa de glace. eRikm scratcha en virtuose quantité de matériaux. Arnaud Rebotini écrabouilla au marteau pilon militaire le jeu électroacoustique de Christain Zanési.
Je désertai la fête après que Jean-Michel Jarre, dont la carrière peut se résumer à 80 millions d'albums vendus, eut reçu un prix offert par l'INA dont l'humour est à souligner puisqu'il s'agit d'un iPad avec dessus enregistrées 30 heures de documents télévisés sur le grand homme dont nombreuses remises de prix à l'intéressé. La séquence où l'usurpateur se vante d'être le premier compositeur à pouvoir sculpter le son n'est pas piquée des vers. Il encensa néanmoins son prétendu maître Pierre Schaeffer qui se retournerait dans sa tombe à l'écoute de tant de louanges, incompatibles avec la réalité musicale des uns et des autres. La suite de la soirée se continua sans nous avec deux DJ, probablement plus technos que concrets. Il y a un écueil infranchissable entre les discours et les déclarations d'intention, et de l'autre côté les démonstrations binaires sur le mode "enfoncez-vous bien ça dans la tête". Dommage que l'INA-GRM ne s'adresse pas à des créateurs électros ou autres, dont l'invention est l'égale des générations de chercheurs qui les ont précédés ! Mais peut-être est-ce l'incompétence des techniciens sonores malgré la qualité du système Nexo qui est la principale responsable de la bouillie avec sub-basses incorporées dont le public est victime dans son apathie léthargique ?
Vraiment dommage, parce que les GRM Tools Spaces méritaient franchement mieux, prêts à fragmenter et disperser les sons, les filtrer et les retarder dans l'espace multicanal, sans compter ses déclinaisons antérieures permettant le morphing, le vocodeur évolutif, les décalages de filtres, les glissandi de timbre, le noising, le tout en temps réel...
Dehors les fumeurs de la banque digéraient leurs boni de fin d'année. Lorsque nous sommes arrivés à la maison Bruno Letort diffusait en différé sur France Musique des extraits de la soirée au Yoyo, sans les décibels ni le tonneau de basses...

mercredi 19 novembre 2014

Cutie and The Boxer


Après une projection devant les étudiants de Harvard de Baiser d'encre, le nouveau film de Françoise Romand, le festival Tribeca évoque un cousinage avec celui de Zachary Heinzerling consacré aux peintres Ushio Shinohara et sa femme Noriko Shinohara qui vivent à Brooklyn. La caméra suit trop près les deux protagonistes sans laisser d'air, mais Cutie and the Boxer sont aussi attachants que la famille d'Ella et Pitr. Au jeune couple d'artistes et leurs deux enfants répond celui âgé des deux Japonais (coïncidence des origines nippones de Loïc dans le film de Romand). Laissons de côté la fantaisie partagée de ces vies d'artistes et apprécions l'insatiable espièglerie de Cutie (Noriko) et Bullie (Ushio) qui continuent à tirer le diable par la queue.


Ushio, 82 ans, a beau être reconnu, il ne vend pas assez. Considéré comme un néo-dadaïste, influencé par le photographe Shōmei Tōmatsu, par les comics et le jazz, il réalise de grandes toiles en dansant avec des gants de boxe enduits de peinture. Noriko, son épouse, 61 ans, dessine leur quotidien new-yorkais avec beaucoup d'auto-dérision. Animés, ses croquis donnent au film son côté arty. Critique, elle se moque de son mari, alcoolique macho qui la considère trop souvent comme son assistante. Leur grand fils qui vit toujours avec eux peint également, mais l'univers familial semble avoir pesé lourdement sur lui. Face à leurs difficultés financières et à leur indéniable authenticité se révèlent le monde de la peinture, sa hiérarchie sexiste, sa superficialité mondaine, sa brutalité sociale. Qu'importe ! Passé les dures contraintes du quotidien dans leur maison louée qui prend l'eau, Cutie et The Boxer continuent de s'amuser comme des enfants, lui sculptant ses motos de rêve en carton, elle croquant sans pudeur leur intimité... Les images d'archives contribuent à plonger leur travail dans une perspective qui interroge la persévérance et la solidarité, qualités indispensables à la vie d'artiste.

mardi 16 septembre 2014

Chaises à vendre


Après le vol de nos chaises de jardin cet été il fallait en retrouver qui nous plaisent à tous les deux. Pas question d'aller dans une grande surface nous acheter des trucs neufs, moches ou chers. Françoise voulait de l'antique, des fauteuils avec une âme, de ceux qui ont connu du monde, histoire de fesses, de jupes et de pantalons, du confortable à qui offrir une nouvelle vie. Nous trouvâmes notre bonheur chez un brocanteur spécialisé en mobilier de café sur le conseil de Raymond Sarti qui s'y fournit pour certains décors de théâtre. Du solide osier tressé de chez Drucker pour une bouchée de pain, les antiquités n'étant heureusement pas au prix du neuf ! Étroits, ils tiennent merveilleusement le dos avec des accoudoirs discrets pour reposer les bras. Comme on ne peut pas tout garder nous mettons nos autres chaises sur LeBonCoin.


Les six chaises pliantes en fer forgé n'ont pas toutes la même forme. Nous mettons en ligne trois photos comme il est stipulé sur le site.


Mais ce n'est pas tout, ce n'est pas tout. Nous en profitons pour exhumer du garage cinq fauteuils empilables. Encore du métal, mais or et argent, inox et je ne sais quoi, alors que les chaises avaient été peintes en noir.


LeBonCoin n'est pas seulement une manière de faire des affaires en achetant ou vendant du matériel d'occasion. Plutôt que jeter on recycle. Plutôt que dépenser des fortunes pour des objets éphémères on fait circuler des histoires. Sur une plage des messages s'échouent. Savons-nous ce que les souvenirs vont devenir ? Ces rencontres marchandes sont souvent charmantes. Toutes les parties sont contentes. On ne saura pourtant jamais ce que seront devenus ceux que l'on a aimés.

vendredi 29 août 2014

Anima de Wajdi Mouawad


Parmi mes lectures de l'été il est bon d'être subjugué par une écriture aussi originale que le scénario développé au fil de courts chapitres. Pour son deuxième roman Wajdi Mouawad replonge l'homme dans l'universel, là où sa solitude peut se fondre à la nature sans oublier la civilisation qui l'a construit, une histoire politique de l'humanité qui s'est de tous temps appuyée sur le crime. Brutalité que l'on dit bestiale alors que l'auteur donne la parole aux animaux, avec chacun sa manière de penser. Le thriller se déroulant entre le Canada et les États Unis, les Indiens ont toujours su jouer de ce miroir anthropomorphe. Les chapitres des deux premières parties portent les noms latins des espèces témoins subjectifs de la saga de l'homme blessé : oiseaux, insectes, reptiles, mammifères dont le héros est un intéressant spécimen. Dans la troisième partie les lieux traversés remplacent les titres de cette histoire naturelle pour n'être plus contée que par un canis lupus lupus, monstrueux chien loup. La brutalité de l'action retiendra les plus émotifs, car la sauvagerie des humains reste inégalée. Et l'homo sapiens sapiens de se souvenir que le massacre des Indiens, leur déplacement et leur parcage ressemblent fort au sort réservé aux Palestiniens, la scène clef du roman renvoyant à Sabra et Chatila. Comme j'avais passé Anima à Françoise, aussi emballée que moi, elle se demanda quel livre on pouvait lire après celui-ci… (Leméac/Actes Sud)

jeudi 24 juillet 2014

Démoustiqueurs contre apiculteurs


La présence du moustique tigre (aedes albopictus), porteur éventuel du redoutable chikungunya et de la dengue, justifierait la campagne de démoustication dans le sud de la France. Selon le principe de précaution qui a envahi tout l'espace citoyen une équipe de l'EID Méditerranée pulvérise un insecticide puissant "à titre préventif et exceptionnel", à base de pyréthrinoïde ou de pyrèthre. Efficaces pour les insectes (et les poissons !), ils sont nocifs pour les chats et les chiens. Comprendre que s'ils tuent les moustiques ils entraînent avec eux les abeilles et tous les insectes pollénisateurs. Et tous les mammifères en prennent forcément pour leur grade, mammifères dont nous faisons accessoirement partie. Jean-Claude a donc confectionné des pancartes avertissant de la proximité de ses ruches, espérant que les ouvriers qui interviendront entre 4h et 7h du matin iront mollo. Nous n'apprécierons leur zèle que plus tard si les abeilles meurent encore plus vite que d'habitude, en but à toutes les saloperies déversées sur les cultures. Françoise a donc enfilé le costume d'apicultrice pour boucher l'entrée des ruches avec un linge humide après que nous ayons vidé les bassins des canards, car l'eau sera automatiquement empoisonnée, vouant à une mort certaine tous les insectes qui viendront s'y désaltérer. Nous ne pourrons pas non plus consommer avant trois jours les fruits et légumes du jardin cultivées pourtant sans pesticides et devrons évidemment les laver abondamment. Et quelle récolte pourrons-nous espérer l'an prochain en l'absence d'insectes pollénisateurs ?


Nous avons également vidé les soucoupes où vont boire tous les animaux, domestiques ou sauvages. Chaque soir Anne répand sur sa terrasse des croquettes pour chats afin d'attirer les hérissons qui ont pris l'habitude de lui courir entre les pattes. Il est surprenant de voir galoper ces bestioles dont certaines sont énormes, les nouveaux nés étant évidemment les moins farouches. Bilan des courses : la nuit suivante je me suis fait piquer à la cheville et au poignet !

jeudi 17 juillet 2014

Un rideau de méduses


Je n'en croyais pas mes yeux. Mardi soir se dressait devant moi un rideau de méduses. Depuis le bateau le banc urticant s'étalait sur la mer, mais sous l'eau il m'entourait de toutes parts. Nous étions partis pêcher à bord du pointu de Jean-Claude. La température de l'eau était remontée après la chute du mistral. Au large je saute à l'eau sans maillot et Françoise me tend le nouveau masque que je souhaite tester pour l'occasion.


L'impressionnant masque facial snorkeling Easybreath permet de respirer par la bouche et le nez, et il offre une vision panoramique exceptionnelle. Hélas je n'ai pas eu beaucoup le temps d'en profiter. Aussitôt enfilé, il me livre la vision impressionnante de milliers de méduses qui m'encerclent telle la projection 3D d'un film d'horreur ! Je panique un peu, me demandant comment me faire un chemin jusqu'à l'arbre de l'hélice sur lequel grimper pour remonter sur le bateau. Coup de chance incroyable, parce que j'y nage paniqué à l'aveuglette, mais aucune méduse, probablement des aurélies, ne me touche.


J'étais si excité de prendre mon premier bain méditerranéen de l'été, le soleil dans les yeux, je n'ai pas eu l'idée de regarder avant de sauter. De mémoire de Ciotaden, personne n'en a jamais vu autant. Je prends quantité de photos (voir reportage France 3) et Maurice nous montre comment les attraper à la main sans se piquer. Il les tient par l'ombrelle et explique qu'elles ne produisent aucun effet sur le dessus de la main. En rentrant je cherche comment cuisiner celles que Françoise a pêchées, en plus des oblades, des bogues et du bia qui feront notre dîner et le déjeuner de demain. Il est écrit qu'il faut les faire bouillir et les enfleurer avec de l'huile de sésame ! Peu sûr de mes capacités culinaires en matière de cnidaires je préfère me rabattre sur le sachet tout près acheté à Belleville.

vendredi 11 juillet 2014

Willocq, Lacroix, Rouvre et l'appareil-photo


À Arles tout le monde semble porter un appareil-photo autour du cou. En leur absence un smartphone fait l'affaire. Je n'échappe pas à la règle pour illustrer mes articles et j'épingle Françoise devant un grand tirage de Patrick Willocq.
Au début des années 70, comme Captain Beefheart et son Magic Band arrivent à Orly sans passeports les douaniers les interrogent. "Nous sommes des pèlerins arrivés du XXIe siècle", répond Don Van Vliet. Le pandore pointe l'appareil-photo que porte autour du cou l'un des musiciens : "Ah oui ! Et ça, qu'est-ce que c'est ?". Et l'Américain de répondre que "ça, c'est un membre du groupe". Ils seront refoulés vers Londres d'où ils arrivent.
Retour à d'autres histoires, d'autres aventures. Dans les anciens ateliers de la SNCF, qui abritent entre autres les lauréats du Prix Découverte, Willocq revient au Congo où il a passé son enfance pour mettre en scène des tableaux vivants inspirés des rites pygmées Ekonda. L'intimité des femmes Walé lors de la naissance de leur premier enfant se retrouve transposer en images de bande dessinée, délicieusement impertinentes...


Pendant que nous visitons l'exposition Christian Lacroix sur l'Arlésienne une équipe de télévision s'apprête à interviewer le couturier. À peine une minute après le début de l'entretien, Lacroix, énervé, quitte le tournage. Le réalisateur ébahi nous explique qu'il a pourtant posé une question simple. Comme je lui demande laquelle, il m'explique qu'il lui a seulement demandé de parler de son exposition, sans se rendre compte de l'insulte que représente son ignorance. Les fantômes qui hantent la chapelle de la Charité devaient être outrés de tant d'insouciance et les Arlésiennes de disparaître plus vite que la légende. Dans ces cas-là Orson Welles avait coutume de partir d'un féroce éclat de rire : "Vous n'avez pas une plus petite question ?"


Juste au-dessus, dans l'église Saint-Blaise, Denis Rouvre interroge des Français et des Françaises d'origines extrêmement différentes sur leur identité nationale. Aucun d'entre nous n'échappe à cette perspective. "Qu'est-ce qu'être Français ?" La galerie de portraits éclairés qui se succèdent dans le noir dresse un plan philosophique de notre pays cosmopolite. Chaque réponse fait sens, transformant la brutalité de l'histoire en magnifique carte du tendre. Les voix font vivre les corps au delà de l'écran dont les bords se fondent avec l'obscurité. Lumineux.

mercredi 2 juillet 2014

Cap vers le sud


Jonathan Buchsbaum ayant terminé son livre sur l'exception culturelle française après douze ans de labeur et autant de visites aux archives du CNC, le voilà à Paris les mains dans les poches. Ou presque. Difficile de s'arrêter quand le monde est en marche. Il souhaite prouver aux Américains qu'un autre système que le "leurre" est possible ! Nous lui laissons les clefs et filons vers le sud avec armes et bagages.
Première étape Saint-Étienne avant de rejoindre Arles où je dois installer 15 haut-parleurs pour ma création sonore à l'Église des Frères Prêcheurs où se tiendra l'exposition sur les monuments aux morts sous le parrainage de Raymond Depardon. Je m'attèlerai ensuite à la direction artistique des Soirées au Théâtre Antique où Michèle Buirette et Edward Perraud joueront live le mercredi 9...
Françoise redevenue momentanément ciotadène me rejoindra pour l'inauguration si les intermittents ne la mangent pas. Ils auraient pourtant d'excellentes raisons d'agir d'une façon ou d'une autre !

lundi 9 juin 2014

Réveillé par la grêle


J'avais fini par m'endormir quand un peu après une heure du matin j'ai été réveillé par un coup de tonnerre aussitôt suivi par une avalanche de grêlons gros comme des mandarines. De l'autre côté de la rue s'affichaient les figures ahuries de tous les voisins derrière leurs fenêtres. Le son plus impressionnant venait du velux sur lesquels la percussion était ininterrompue. Je cours chercher mon magnétophone pour enregistrer tandis qu'Olivia prend des photos et que Françoise filme. Les gouttières débordent de tous les côtés. Les feuilles charriées par l'averse de grêle fondant sous la chaleur ayant bouché les évacuations du jardin l'eau a débordé dans le garage. Les pieds nus dans l'eau glacée je dois retirer les amas de feuilles de bambou qui obstruent les grilles. Pour une fois je sors le flash. Les boules de glace agglomérée ressemblent à des spoutniks avec leurs picots grumeleux. Le jardin est dévasté, les plants de tomates cassés, les fleurs ratatinées. La marquise de l'entrée en verre armé est étoilée en trois impacts.


Demain les carrosseries de certaines voitures auront les séquelles de cette petite vérole. Sous les courants ascendants les cumulonimbus ont vomi leurs cailloux dans l'air humide de juin pendant une quinzaine de minutes. Si je ne pensais aux agriculteurs je trouverais le spectacle merveilleux. Je retourne me coucher en espérant que l'excitation ne m'empêchera pas de reprendre le film de mes rêves à l'endroit où je l'avais laissé.

mercredi 28 mai 2014

Hommage-surprise à Olivier Bernard


Dans la vie d'un artiste rares sont les rencontres intelligentes et sensibles avec les institutions ou les programmateurs. Elles se bornent le plus souvent à un système d'évaluation basé sur l'exercice du formulaire ou à des relations sociales hypocrites qui mènent au cynisme. Il arrive pourtant de croiser un interlocuteur attentif et bien intentionné qui ne se retranche pas derrière son pouvoir, mais facilite le rapport douloureux que l'artiste entretient avec le réel.
Le 30 novembre dernier, Olivier Bernard a quitté son poste de responsable de l'action culturelle de la Sacem. Or depuis une quarantaine d'années il incarnait pour moi le rééquilibrage des injustices dont cette société est le fait. Il défendait tous les créateurs sans souci de ce qu'ils rapportent de droits d'auteur. C'est dire ce que lui doivent les compositeurs contemporains, les jazzmen, les improvisateurs et tant d'autres ainsi que les festivals qui les programment ou les centres pédagogiques.
J'ai l'habitude de défendre la Sacem à l'extérieur (j'ai acheté ma maison grâce à mes droits d'auteur), mais de l'attaquer de l'intérieur (car ce fut toujours un combat pour les toucher). Je me souviens d'Alain Izard m'expliquant qu'une des directives de la maison est de ne pas dépenser des francs pour percevoir des sous. Les petits y sont négligés et les gros, comme ailleurs, y sont largement favorisés. Je pense, entre autres, aux irrépartissables distribués au pro-rata de ce que touchent les auteurs. L'action culturelle rééquilibrait ces absurdités immorales en soutenant les projets créatifs, ce qui nous rappelait que cette société privée monopoliste à qui nous avions cédé la gestion de nos droits nous appartient aussi. Avec le départ d'Olivier Bernard de la Sacem il semblerait que le remarquable travail qu'il a développé sans relâche soit saccagé, la sinistre logique du profit l'emportant ici aussi sur l'intelligence et la défense indispensable de la culture, dernier rempart contre la barbarie.
Pour accompagner son départ "en retraite" et saluer celui qui était pour tous devenu un ami, nombreux musiciens ont participé hier soir à une merveilleuse soirée à la Dynamo de Pantin, organisée par sa compagne Marie-Anne Bernard-Roudeix et Henry Fourès à l'insu de l'intéressé ! Malgré l'ampleur de l'entreprise Olivier ne se doutait pas que la convocation qui lui avait été faite n'était qu'un traquenard pour fêter son courage, son intégrité et sa finesse. L'éclectisme sied à ce curieux de toutes les musiques et chacun intervint quelques minutes pour lui rendre hommage.
Se succédèrent ainsi Omar Yagoubi au piano, Claude Samuel commentant en images le Centre Acanthes, François Bayle diffusant un "tango" électro, le contrebassiste Patrice Caratini accompagné de la chanteuse Hildegarde Wanzlawe et du clarinettiste Clément Caratini, ma pomme au Tenori-on, Yanael Quenel interprétant au piano une pièce de Reinhard Flender, rejoint par Françoise Kübler pour une chanson grivoise d'Henry Fourès, Julien Desprez à la fougueuse guitare électrique, David Jisse pour deux tendres chansons, L'Accroche-note en trio avec Kübler et les clarinettistes Armand Angster et Sylvain Kassap, un traditionnel arménien par le violoncelliste Félix Simonian accompagné au piano par sa fille Luciné Simonian, un solo de batterie de Jean-Louis Méchali qui diffusa une vidéo d'un spectacle sud-africain, la flûtiste Keiko Murakami pour une pièce très zen de Joji Yuasa, un petit film sur une pièce pour douze saxophones de Denis Levaillant qui clôturera plus tard la soirée au piano, Krystof Maratka à la flûte harmonique, Alain Louvier au piano avec sa musclée Étude n°7 (pour 6 agresseurs), le tout entrecoupé de quantité de messages enregistrés par les amis absents.
Dans la salle étaient réunis une foule d'amis, compositeurs, musiciens, directeurs de festival, anciens collaborateurs, qui fleurirent cette soirée en un somptueux bouquet à l'image de celui qui continuera de garder une écoute bienveillante dans ses nouvelles activités. Juste avant le concert, Keiko Murakami m'expliqua le sens du nom de mon instrument, le Tenori-on. On signifie le son, mais Tenori est le nom d'un petit oiseau qui vient se poser sur la main. J'invitai donc tous les présents à continuer de tendre la main aux jeunes créateurs qui devront se battre plus que jamais contre la normalisation et le formatage en développant des mondes dont le caractère imaginaire incarne l'espoir d'un réel plus juste, où la beauté dépasse les critères esthétiques pour redonner du sens à nos vies.

mercredi 21 mai 2014

Trois petits chats, chats, chats...


Il y a des jours où l'on ne peut rien raconter parce que l'on ne peut rien dire. Projets en cours dont l'annonce est prématurée, la confiance interdit la confidence, la pluie donne envie de se lover sous la couette, la chaleur rejette le drap, l'impatience rompt le silence, et puis rien, un rien envahissant vous empêche d'écrire.
Il aura suffi d'un petit prout pour que la vie s'éveille. C'est ainsi que le travail a commencé. Soixante-dix jours après sa fugue, Gezi a accouché de trois jolis chatons. Le premier ressemble à Prince, un Félix réglisse menthe qui trônait sur le mur du jardin. Les deux autres seront tigrés comme le loubard insistant qui poussait de toutes ses forces sur la porte pour entrer chez la belle. L'accouchement réveille les questions de l'instinct. La poche que la mère ingère, le cordon coupé et les petits aussitôt en quête des tétons gorgés de colostrum. Gezi est incroyablement calme. Elle exige pourtant la présence d'Armagan qui joue les sage-femmes et Françoise filme aussi. Elle s'enquit de qui arrive et repart nourrir sa progéniture qui alterne manger et dormir. Tout comme nos vieux chats flemmards. On dirait trois petites souris, mais ce sont trois p'tits chats, trois p'tits chats, trois p'tits chats, chats, chats... Qui s'en iront déjà dans deux ou trois mois quand ils auront trouvé leurs nouveaux foyers d'accueil. Sur la photo ils n'ont que vingt-quatre heures. À raison de quinze grammes par jour ils vont se transformer à vue d'œil. Ils auront certainement la grâce et la finesse de leur maman, espiègles bestioles qui sauront rapidement apprivoiser leurs nouveaux serviteurs...

lundi 19 mai 2014

Réunion de famille


Maman a 85 ans aujourd'hui, cela ne me rajeunit pas. À part Philippe qui a épousé ma sœur il n'y a que des filles sur la photo. Toute sa vie ma mère s'est plainte de n'avoir que trente cousines et pas de garçon dans la famille. Elle nous enquiquine régulièrement avec ce sujet. Ma petite sœur a fait deux filles et moi une. Aucune n'a encore d'enfant. Ils étaient tellement certains que je serais une fille que mes parents n'avaient pas prévu de prénom de garçon. C'est ainsi que je me suis trouvé affublé d'un prénom composé, préfixe de mon père, suffixe d'un vague cousin qui m'avait devancé. Heureusement il y eut des pièces rapportées, mais j'ai pris l'habitude de vivre au milieu de gynécées. La compagnie des hommes ne m'a jamais autant plu que celle des femmes. Question de dignité. D'époque aussi. Le féminisme avait un parfum révolutionnaire, un attrait pour la nouveauté, une justice attendue. À partir de la génération précédente les femmes de la famille furent actives. J'aime voir Estelle, Chloé et Elsa réunies, fous rires des cousines face à l'étrangeté des anciennes. Mes deux tantes dînent une fois par semaine chez ma mère qui a beaucoup de mal à tenir sur ses jambes. L'aînée, Arlette, artiste plasticienne toujours en activité, marche avec une canne. La cadette, Catherine, est la seule à conduire. Avec Maman on évite les sujets qui fâchent ; elle est restée coincée sur une idée du socialisme qui tient plus des prérogatives de la bourgeoisie que de la tolérance qu'elle nous a enseignée.


Ma sœur Agnès fuit toute discussion profonde en ne racontant que des anecdotes sans aucune conséquence. Ma tante Catherine ne tient pas en place et oublie aussitôt les réponses à ses questions. Arlette ne dit pas un mot, mais elle s'amuse de l'absurdité des situations, me suggérant avec humour de prendre ma mère en photo, cigare au bec, avec Scotch qui s'est glissé derrière elle sur le canapé. Geneviève, c'est ma maman, déteste les animaux, en particulier l'espèce à laquelle elle appartient. Sa misanthropie est pesante, mais chacun, chacune compose avec. Françoise adore les vieilles dames, peut-être parce que leur histoire est une énigme de l'ordre de celles qui alimentent ses films. Les réunions de famille sont des creusets psychanalytiques qui en disent long sur les névroses de chacun/e.

vendredi 2 mai 2014

Le rêve d'Armagan


Après le cauchemar d'Edward Perraud intitulé L'Afrique fantôme, voici le rêve d'une spectatrice, Armagan Uslu est une vidéaste turque vivant à Paris, qui a accepté l'invitation lancée au public de venir raconter le sien sur la scène de La Java avant que nous l'interprétions tous ensemble (5'47). Quelle ne fut pas notre surprise lorsque Alexandra Grimal s'en inspira pour improviser une petite histoire avant de reprendre son saxophone ! Comme tous les rêves et cauchemars filmés ce 14 avril par Françoise Romand les séquences vidéographiques que j'ai montées ne représentent pas l'intégralité des rêves tels que nous les avons joués en direct, mais sont de simples témoignages de la naissance d'un nouveau groupe !


Jean-Jacques BIRGÉ - clavier, Tenori-on
Alexandra GRIMAL - voix, sax ténor
Antonin-Tri HOANG - sax alto
Fanny LASFARGUES - basse électro-acoustique
Edward PERRAUD - batterie

mardi 29 avril 2014

Tel père, tel fils ?


Depuis le succès de Mix-Up ou Méli-Mélo (1985) de Françoise Romand qui précéda La vie est un long fleuve tranquille d'Étienne Chatilliez de trois ans j'exerce une attention particulière pour les films traitant d'un échange de bébés à la naissance. Ici aussi les deux familles mises en scène par Hirokazu Kore-eda dans Tel père, tel fils sont de milieux sociaux radicalement différents, fondement essentiel de chaque scénario. La terrible réalité de ce qui paraissait impensable nous oblige d'une part à imaginer nos propres réactions face à l'annonce de l'échange, d'autre part à exciter notre curiosité envers celles des protagonistes, qu'ils soient réels ou fictionnels.
Nous nous serions bien passé du piano lénifiant, catastrophique leitmotiv, scorie discréditant tant de films contemporains, mais heureusement ailleurs l'absence d'ambiance parasite qui accompagne de nombreuses scènes renvoie à la solitude du père interprété par le chanteur populaire Masaharu Fukuyama, sorte de monstre égoïste représentatif de la société machiste japonaise. Même si les mères finissent par s'exprimer il s'agit avant tout d'un film d'hommes, contrairement à Mix-Up où s'élabore le point de vue des femmes. La question de la reconnaissance nous est toujours moins évidente que pour celles qui ont porté l'enfant dans leur ventre. Le jeu des comédiens tout en retenue nous permet de participer intellectuellement et émotionnellement à l'action. Le réalisateur décrit une filiation qui va évidemment chercher son origine dans le passé : tel père, tel fils ! Être parent exacerbe les contradictions en faisant remonter ce que nous avons subi dans notre enfance. La loi du sang s'oppose à l'éducation et à la culture, et l'identification fait s'entrechoquer le désir des parents, origine de toutes les névroses, et la révolte indispensable des enfants. Dans le film, s'ils n'ont que six ans, les deux petits garçons, plus réservés que ceux qu'avait dirigé Hirokazu Kore-eda dans Nobody Knows, n'en sont pas moins conscients de ce qui se trame en secret. Comme dans Mix-Up la brutalité de la révélation et de ce qu'elle génère chez les parents met en évidence la manière dont chaque classe sociale considère sa progéniture. En interrogeant les motivations fondamentales qui nous poussent à vivre ou à le croire, Tel père, tel fils démasque l'absurdité du pouvoir et nous renvoie une image tendre et optimiste de la famille. (DVD Wild Side)

lundi 28 avril 2014

L'Afrique fantôme


Pour celles et ceux pour qui les mots ne suffisent pas, voici une petite séquence vidéographique de notre concert dans le cadre de Jazz à La Java le 14 avril dernier, filmée par Françoise Romand et montée par mes soins. En introduction Edward raconte son cauchemar (6'56)...


Jean-Jacques BIRGÉ - clavier, voix, Tenori-on, trompette
Alexandra GRIMAL - sax ténor et soprano
Antonin-Tri HOANG - clarinette, sax alto, clarinette basse
Fanny LASFARGUES - basse électro-acoustique
Edward PERRAUD - batterie, électronique

jeudi 24 avril 2014

Nous faisions tous le même rêve


Deux constantes en sortant de scène : le concept de jouer les rêves des musiciens ou des spectateurs plaît énormément au public et nombreux me harponnent pour me dire que nous avons un nouvel orchestre. Edward Perraud le premier, qui joue de la batterie dans ce nouveau quintet, me confie sa surprise face à notre synchronicité. Tous les cinq sommes sur la même longueur d'ondes. Ce genre de sensation est flagrant au moment des codas lorsque nous terminons tous ensemble, sans hésiter, à la fin de chaque improvisation. Ensuite il y a l'écoute, travail du timbre, articulations, qui donnent à l'orchestre sa cohésion.
Depuis mes débuts j'ai toujours tendu à ce que nos instantanés sonnent comme des compositions préalables. Les egos s'effacent devant le propos. Suivre un programme, un thème dramatique structurant chaque pièce, canalise les énergies. J'ai l'habitude de revendiquer l'objet au détriment des sujets, l'entendre dans le cadre de la syntaxe d'une phrase indépendante où les musiciens (sujet) interprètent (verbe) une histoire (objet), qu'elle soit narrative, philosophique, abstraite ou purement sensible. Les digressions sont des subordonnées, mais toutes convergent vers la principale. Nous sommes dans la tradition du poème symphonique, genre qui a souvent déplu aux puristes, alors que l'opéra ou la musique de ballet ne les gènent pas. Berlioz, Richard Strauss, Charles Ives en sont de brillants exemples. Un drame musical instantané revendiquait la musique à programme, voire la musique à propos lorsque nous devenions plus conceptuels que narratifs.


Dans un premier temps les musiciens donnent l'exemple. Chacun/e raconte un rêve ou un cauchemar que l'orchestre joue ensuite, s'octroyant une liberté d'interprétation que le rêve suscite. Nous invitons les spectateurs à monter sur scène pour nous conter leurs propres expériences. Nous n'avons que quelques secondes avant de passer à l'action. Les auditeurs ont le loisir de chercher la concordance ou de se laisser bercer par ce que les rêves nous évoquent. La saxophoniste Alexandra Grimal s'est mise à chanter, jouant la comédie en brodant autour du cauchemar d'une spectatrice. Le rêve de la bassiste Fanny Lasfargues dévoile son intimité à la salle où siègent des proches, son réveil confirmant sa victoire dans la vraie vie. Dans la loge le saxophoniste Antonin-Tri Hoang interroge le sommeil profond où naissent les rêves et le moment de s'endormir. Ainsi je comptais les obus dans Sarajevo comme d'autres les moutons, guidant le troupeau dans la ville assiégée.
En nous éloignant de La Java nous faisions tous le même rêve : nous retrouver bientôt...

Photos © Françoise Dupas

mercredi 23 avril 2014

Les bestioles d'Atacama


Françoise m'a demandé de sonoriser trois petites séquences animalières qu'elle a tournées au début du mois à San Pedro dans le désert d'Atacama au Chili. Pas question d'illustrer platement les flamants roses. Quitte à rajouter une musique, autant qu'elle apporte du sens ! Toute référence à l'éléphant de Slon Tango était vouée à l'échec, le fabuleux court métrage de Chris Marker reposant sur le long plan séquence d'un animal dressé dont la mémoire chorégraphique exprime probablement le stress. J'ai bien essayé. Aucune danse ne collait au jeu de jambes des échassiers. Les illusionnistes savent que l'on ne recommence jamais deux fois le même tour. Il fallait mieux chercher quelque chose d'exogène, rencontre du troisième type, comme si les animaux venaient de la planète Mars. C'est d'ailleurs ici que la NASA teste ses véhicules extraterrestres.


Gloria des Them tournait sur la platine à l'étage du dessous. Nous aurions pu être tentés par du rock, mais j'ai collé un duo improvisé avec Hélène Sage en 1981. L'archet de sa contrebasse se fond à mon dispositif électro-acoustique comme une partie de ping-pong. Les évènements disparates participent au synchronisme accidentel en faisant ressortir quantité de détails discrets comme ces étranges petits reptiles qui se faufilent sur le salar, l'un des plus grands gisements de lithium du monde. La bluette des flamants devient une scène inquiétante où le danger est suggéré par le traitement dramatique de la partition sonore. Sur la fin, en observant la courte phrase mélodique d'un grand ensemble j'ai pensé au projet inabouti de Buñuel de placer un orchestre symphonique aux fenêtres d'un immeuble en construction dans Los Olvidados.


La séquence des becs, est plus mignonne. Je me suis contenté de traiter le son synchrone avec le H3000. Les percussions, étirées, deviennent une sorte de chœur à la seconde entrée de champ des moineaux, mais surtout, à la fin, les piaillements et les coups de becs des pique-assiettes de plus en plus synthétiques rappellent avec humour un caquetage humain. Picos et Atacama font écho à Portée, un autre film de Françoise avec des petits oiseaux sur des fils téléphoniques. Pour la troisième séquence intitulée Salar, qui tient plus des souvenirs de vacances, j'ai ajouté au son direct une version instrumentale de la chanson La peste et le choléra écrite avec Bernard Vitet en 1992 pour l'album Carton, rien de très original, juste une couleur sud-américaine... Trois manières de traiter le réel pour se rapprocher de la fiction : en prenant un contrepied radical, en soulignant une allusion, en collant du papier peint...

mardi 22 avril 2014

Musique(s), la revue de toutes les autres


Pour photographier le premier numéro j'ai retourné la nappe, une idée d'Olivia rapportée du Marché Saint-Pierre. D'un épais tissu d'ameublement elle balaie d'un revers la fadeur du quotidien en rehaussant la cuisine des couleurs du monde entier, de toutes les époques. Le choix de Jeff Mills en couverture n'est pas innocent, son Time Tunnel est emblématique de la démarche des rédacteurs en chef Jérémie Szpirglas et Raphaëlle Tchamitchian soutenus par Jean-Marc Adolphe, l'homme de Mouvement. Là où le bookzine Muziq revendique d'aimer les mêmes musiques que vous la revue Musique(s) explore celles dont on ne parle pas assez. Si la première est nostalgique la seconde s'inscrit dans une perspective de recherche visant l'espace de liberté qui amplifiera la vie sensible. Grand format, beau papier, mise en page soignée, on sait d'emblée avoir à faire à des esthètes. Christophe Hamery en assume la création graphique. C'est léché, parfois trop léché, les plumes trempées dans une encre de qualité semblent souvent sorties de la même veine. Comme une réaction érudite au vite torché de tant de torchons dont la critique culinaire escamote les saveurs. Si les sujets sont proprement abordés on peut imaginer que la passion de l'inédit ou l'indignation du méconnu motivent les écrits. Comme si les rédacteurs y allaient mollo pour ne froisser personne alors que leurs revendications sont légitimes et salutaires !

Car tout y est, et ce qui n'y est pas y sera probablement dans les prochains numéros, quatre pour 25 euros, l'offre de lancement vaut le réveil. Il ne manque que la musique tant l'on aimerait accompagner sa lecture des écoutes suscitées. L'équipe imagine probablement que les curieux qui la lisent sont des malins capables de continuer leur enquête sur le Net, les magasins de disques, les programmes de concerts (les dernières pages abritent un agenda) ou les médiathèques. Le tout est de donner le goût. Guillaume de Machaut (épeler) aime assez à chahuter. Le violoniste du Quatuor Béla déchiffre la partition de Black Angels de George Crumb. Le compositeur Philippe Hurel et l'écrivain Tanguy Viel font glisser l'opéra vers le polar. La comédienne Françoise Lebrun offre le monologue de La maman et la putain à Michel Cloup (Diabologum). La Nouvelle-Orléans groove des années 20 de Cocteau ou Jeanson à la série Tremé. Les crayonnages de Morton Feldman rivalise avec ceux de Cabu. Au détour d'un paragraphe on croise le cinéma de Norman McLaren ou Tango de Zbigniew Rybczyński. Gainsbourg pille Dvořák. On voit toutes sortes d'accents dans cette publication en couleurs. La Sahrawi Aziza Brahim et les Touaregs Tinariwen, les rappeurs Invincible et Waajeed, Roms et Inuits, des mécènes, Claudio Abbado et Chakaraka sont abordés par la vingtaine de têtes chercheuses qui se lancent au gré des 144 pages... Can rue dans les brancards. Rameau et Poulenc sont rappelés de justesse. Yusef Lateef renvoie la balle à Roland Kirk. Mais c'est souvent entre les lignes que l'avenir se dessine. Au détour d'une phrase. Par le biais d'une citation. Si cela part dans tous les sens, c'est tant mieux, les petits ruisseaux font les grandes rivières et tous les océans communiquent. Privilège de la musique, au singulier comme au pluriel.

jeudi 3 avril 2014

Magnitude 7.4


Depuis Santiago du Chili Françoise m'envoie quelques notes sur les films qu'elle a vus au festival auquel participait Baiser d'encre, son dernier long métrage (gros succès, mais ça c'est une autre histoire). Je me mets aussitôt en quête et projette Gabrielle, le nouveau film de Louise Archambault. C'est en effet un beau film. Une chorale constituée de handicapés mentaux répète en vue d'un concert où elle doit accompagner Robert Charlebois. La différence ou son absence est le sujet de ce tendre film québequois qui met en scène les émois de l'adolescence. La magie cinématographique doit beaucoup aux acteurs dont on ne sait s'ils sont sortis d'un documentaire ou entrés dans la fiction. Ce genre de film passe souvent inaperçu lors de l'exploitation en salles. Dommage ! La critique préfère nous bourrer le mou avec les attractions foraines et des histoires sordides. Heureusement des comédies comme Les Garçons et Guillaume, à table ! ou 9 mois ferme trouvent grâce aux yeux du public et de la profession. Succès mérité. Mais combien de petites merveilles passent à l'as faute d'un budget promo conséquent !?
Le festival est terminé. Sur la Cordillère des Andes les volcans crachent leur fumée noire. Françoise s'est envolée pour le désert d'Atacama où la nuit est si sombre que les astronomes y ont trouvé l'endroit idéal pour regarder les étoiles. Et puis mardi soir, pouf ! Tremblement de terre magnitude 7.4, épicentre à quatre heures de route de San Pedro. Il ne faudrait pas que ce soit plus fort. Pendant quelques minutes c'était très impressionnant. L'électricité est coupée. Dîner aux chandelles. Sans télé, sans musique. Enfin le silence !

vendredi 21 mars 2014

Remarques faites (ou subies) la tête en bas


Si le Festival Sidération organisé par le Centre National d'Études Spatiales commence aujourd'hui, dimanche sera pour moi une longue et passionnante journée. J'irai voter avant de rejoindre l'écrivain Pierre Senges qui racontera son vol parabolique à bord de l'Airbus Zéro-G lors de la troisième et dernière journée du festival. Nous y interpréterons ensemble Remarques faites (ou subies) la tête en bas. Clavier, Tenori-on, trompette à anche, flûte basse, bendir à billes seront mes instruments. En avant-goût voici quelques notes que l'écrivain rédigea après sa résidence en impesanteur :

« 1. L'impesanteur s'exerce de partout à la fois (pas seulement verticalement des pieds à la tête).
2. Le primo volant se concentre au moment de sa première fois au risque d'échapper à ses propres sensations.

3. En vol, il se demande s'il vaut mieux accorder la préséance aux sensations ou à la réflexion – cette question fait partie de la deuxième catégorie.
4. L'impesanteur ne ressemble pas à ce que l'on peut en dire : ça n'empêche personne de vouloir témoigner après coup de son expérience à ceux qui sont restés à terre.
5. L'impesanteur est une anomalie, mais comme elle advient, elle est envisageable, donc plausible : à l'émerveillement s'ajoute un étrange sentiment de normalité.
6. Il est surprenant de flotter – plus surprenant encore, trois secondes avant l'injection, de se savoir sur le point de flotter.
7. Devient-on dépendant à l'impesanteur ? Oui si on en juge par les débutants, non si on en juge par les vétérans.
8. Le livre intitulé Essais fragiles d'aplomb, qui a subi lui aussi la mise en scène de l'impesanteur au cours des trente et une paraboles, est un éloge de la chute des corps : à ce titre, il accueille avec enthousiasme la définition donnée au cours d'une conférence préparatoire : être en apesanteur = être en chute libre.
9. Si être en apesanteur c'est être en chute libre, est-ce que se mouvoir c'est être immobile ?
10. Il ne restait plus qu'une combinaison xl, trop grande pour moi : l'avantage est d'avoir déjà le sentiment de flotter dans mes vêtements. »

J'espère que Pierre Senges de retour de Montréal atterrira à l'heure, car nous jouons à 16h30, juste après Grand magasin, le Festival (CNES, 2 place Saint-Quentin 75001 Paris / Métro-RER : Châtelet-Les Halles, sortie Place Carrée - Porte Pont Neuf) se terminant à 18h. J'aurai juste le temps de rentrer pour savoir si la liste de Bagnolet Avenir 2014 a bien remporté le premier tour. Nous avons œuvré pour nous débarrasser du maire actuel qui est une catastrophe pour notre ville et nous souhaitons empêcher le Parti Socialiste de mettre la main sur une des dernières villes communistes de l'ancienne banlieue rouge ! Le soir-même Françoise s'envole pour le Chili où elle présentera son dernier film, Baiser d'encre, au Festival de Santiago avec ses deux héros, Ella et Pitr, miraculeusement en résidence là-bas pour trois mois.

mercredi 19 mars 2014

Porte à porte


La campagne du premier tour des élections municipales s'achève pleine d'espoir pour le candidat que nous avons choisi de soutenir. Jamais encarté, inorganisé pour ne pas dire indiscipliné, je n'avais jamais milité dans un cadre aussi républicain. Devant les déviances de la gauche et de ce qui s'en réclame j'aurais même eu plutôt tendance à glisser dans l'urne un bulletin blanc tant je suis écœuré d'avoir toujours dû voter "contre". L'alternance est une chimère qui laisse aux prétendus socialistes le soin de faire avaler à la population ce que la droite n'a pas su imposer. Même si j'ai participé à quantité de manifestations populaires ou élitaires, mes activités politiques ont toujours été plus intellectuelles que pratiques. Mon travail artistique et ses conséquences actives ont par contre milité sans faille pour les idées généreuses développées au cours de mon enfance et mon adolescence. Libre-penseur je n'ai jamais dû renier la base de mon inspiration, mélange de révolte contre les injustices sociales et la brutalité humaine et de rêves utopiques auxquels on m'opposait une imbécile incrédulité. Fondamentalement expérimental, je suis persuadé qu'en tout domaine rien n'est impossible, le pire comme le meilleur. Il suffit de s'y coller sans relâche pour éviter l'un et partager l'autre. Mais rien ne se fait seul. Les associations sont indispensables.


Prenant la parole au cours de meetings organisés par la liste Bagnolet Avenir 2014 qui regroupe le PCF, le Parti de Gauche, la Gauche Unitaire et un Collectif de Citoyens non encartés mais résolus à chasser le maire actuel pour redonner un visage humain à notre ville, j'expliquai que ma participation à toutes les dernières élections se cantonnaient à glisser un bulletin dans l'urne. Quelques minutes à lire les papiers officiels, quelques secondes dans l'isoloir. Voter était synonyme de démission si j'en restais là. Le pouvoir de la population étant de plus en plus limité à l'image de celui de nos gouvernants, muselés par des lois contre lesquelles nous avons voté massivement et qui ont été promulguées malgré cela (la Constitution Européenne est une honte absolue), les présidentielles et les législatives sont une mascarade que seul un travail de proximité peut espérer renverser. Les municipales sont un excellent exemple de ce travail de proximité. C'est en changeant les rapports à nos voisins, en exprimant notre solidarité avec tous et toutes, que nous pourrons inverser le cours des choses. Dans cette perspective j'ai suggéré à Laurent Jamet, tête de notre liste, une coopérative de compétences. Que jeunes et anciens échangent leurs connaissances, que les communautés se rencontrent et œuvrent ensemble, etc. En tractant, collant, faisant du porte à porte, rencontrant des dizaines d'habitants de mon quartier et d'autres plus éloignés, j'ai fait la connaissance d'un nombre étonnant de gens charmants (pas que !), je me suis fait de nouveaux amis, j'ai appris un nombre de choses époustouflantes sur la vie d'une municipalité, sur la pratique de la politique en général, sur la corruption et le clientélisme, sur les actions primordiales, sur le gâchis, sur l'absurdité de l'administration française, sur la générosité de certains militants aussi.
Je reviendrai probablement sur tout cela après le 30 mars, préférant ne pas divulguer mon journal de campagne au jour le jour pour profiter du recul critique. Mon engagement citoyen est motivé par une vigilance nécessaire avant, pendant, mais surtout après les élections ! Pour autant, pendant ces nombreuses semaines, figurant moi-même avec Françoise sur la liste, je suis heureux d'avoir soutenu Laurent Jamet, candidat sincère dont le programme m'a semblé le plus juste et le plus ouvert.

mercredi 12 mars 2014

Birgé-Risser-Mienniel tirent les cartes


La presse spécialisée n'en parlera pas, car les journalistes des magazines papier de jazz et assimilés boycottent les albums qui sortent seulement sur Internet. À la traîne, ils y viendront pourtant forcément (s'ils ne disparaissent pas avant, faute de lecteurs plus au top de ce qui se fait aujourd'hui) alors qu'ils devraient être à l'affût du moindre mouvement de ce qui se trame artistiquement, économiquement, politiquement.
L'an passé GRRR avait produit 11 albums, tous gratuits en écoute et téléchargement sur le site drame.org. Game Bling est le premier à être mis en ligne en 2014 et le 77ème du label GRRR depuis 1975, en comptant vinyles et CD.
Pour fêter le printemps qui s'annonce, la pianiste Ève Risser et le flûtiste Joce Mienniel me rejoignent dans le studio où nous enregistrons 15 improvisations dans la plus grande liberté. La seule contrainte nous est offerte par le jeu de cartes Oblique Strategies conçu par Brian Eno et Peter Schmidt. À tour de rôle nous tirons une carte. L'énoncé de cette partition conceptuelle fournit les titres, excepté le rappel tendancieux marqué par les paroles d'Ève !
Comme je ne possède qu'un piano droit elle doit préparer mon grand U3 d'une manière forcément différente de ceux à queue. Elle en profite pour m'emprunter un petit Casio vintage, un piano-jouet et un mélodica. De son côté Joce a apporté, en plus de sa flûte et de sa flûte basse, un synthétiseur Korg MS-20 tout aussi vintage. Quant à moi, je joue essentiellement de mes trois claviers avec apparitions de la trompette à anche et du Tenori-on. J'interprète la pièce Courage! en me servant pour la première fois d'une flûte basse construite par Nicolas Bras, sorte de nœud spectaculaire en PVC.
Lorsqu'on travaille ainsi on sait si l'on a passé une bonne journée, mais l'on ignore la qualité de la musique. Évoquer la qualité ne consiste pas en une évaluation, mais nous ignorons précisément à quoi l'ensemble des pièces ressemblera. Seule l'écoute critique a posteriori livre ses secrets. Ma première surprise est le son homogène du trio, en particulier le U3 capté avec un couple de Neumann. C'est encore une première, car j'enregistre rarement avec des pianistes. Joce utilise deux micros, un en direct, l'autre transformé par une série de pédales d'effets. Son MS-20 délivre enfin un signal mono tandis que j'envahis comme d'habitude tout l'espace stéréophonique. Les deux jours qui suivent la séance je mixe le tout avec très peu de corrections. Tout ce qu'on peut dire, c'est que nous nous entendons comme larrons en foire, même si nous sommes sérieux comme des papes sur la photo prise par Françoise. Tiens, on aurait pu appeler ce nouvel album Larrons en foire ou Sérieux comme des papes plutôt que Game Bling, mais c'est trop tard, les dés sont jetés ! Comme je ne sais pas comment conclure, je tire une dernière carte. Il y est imprimé "Do the words need changing? (Doit-on changer les mots ?)". La surprise de la découverte m'empêche là de trouver les mots pour évoquer la musique...

lundi 3 mars 2014

Chacun cherche son chat


Joli début de semaine à fêter le retour de Gezi disparue pendant six jours et six nuits ! J'avais la garde d'une jeune chatte de six mois pendant la semaine où ses maîtres (ou ses domestiques, selon la conscience que l'on a des félins qui vivent avec nous) étaient en vacances en Turquie. Armagan et Christophe étaient souvent venus à la maison avec Gezi, du nom du parc où se réunissait la résistance stambouliote, histoire qu'elle fasse connaissance avec le vieux Scotch. Une amitié était née entre les deux bestioles. Scotch plaquait de temps en temps au sol l'excitée lorsqu'il en avait marre de jouer au judo, prise facile avec son poids huit fois celui de la demoiselle. Et la câline de ronronner dans mes bras jusqu'à ce qu'un matin, ayant découvert deux jours plus tôt le passage secret qui mène à la rue, elle disparut. Panique à bord ! Je cherchai dans tout le quartier, appelai la vétérinaire, la Maison du Chat, sonnai chez les voisins, arpentai les rues... Sans succès. Ma première nuit fut blanche comme je sursautais au moindre bruit. J'étais malade d'annoncer à mes amis la nouvelle. Ils la prirent plutôt bien, connaissant mon tendre dévouement et comprenant que, vu l'époque de l'année, la jeune chatte avait probablement eu ses premières chaleurs et était partie courir le guilledou. On avait beau nous raconter que tel chat était revenu au bout de dix jours, un mois, trois mois, six mois (sic), nous cherchions Gezi partout comme des fous. Armagan et Christophe collaient des dizaines d'affiches, Françoise rentrée de La Ciotat appelait partout elle aussi l'animal, les voisins s'y mettaient, mais nous faisions chou blanc. Momo trouva même un gros lapin bélier sur le chemin ! Il faut tout de même préciser que Gezi est particulièrement tendre et jolie, et surtout très jeune. J'aurais fermé le soupirail si Armagan m'avait appelé d'Istanbul après qu'on lui ait lu dans le marc de café un problème avec son chat. Heureusement la sixième nuit des petits miaulements aigus me réveillèrent. Gezi, excitée comme une puce, se frottait le long du lit. Scotch lui renifla le derrière pendant que nous réveillions nos amis qui malgré l'heure tardive (ou très matinale) rappliquèrent dare-dare en pyjamas. Tout est bien qui commence bien, mais ces six jours n'avaient pas été des plus joyeux. Comme pour Scat qui disparaissait tous les week-ends on ne saura jamais où Gezi est passée pendant sa fugue. Seul peut-être Scotch en a les clefs, mais il ne cafte pas. Ce qu'on peut être bête parfois !

mercredi 5 février 2014

Bagnolet en plongée


Prenant le thé chez Caroline et Stan j'en ai profité pour photographier la vue de leur seizième étage. Voilà 15 ans que j'habite Bagnolet et que je rêve de dominer Paris depuis les barres devant chez nous. Entre elles et nous, les lofts qui sont montés de trois mètres sur le trottoir d'en face ont caché ceux du bout de la rue Diderot. J'avais répondu à Françoise que la perte de la découverte qui s'ouvrait à nous serait peut-être compensée par l'arrivée de voisins sympas. On ne saurait dire mieux. C'est incroyable comme de vivre dans un pavillon crée des liens rares lorsque nous sommes en immeuble. La promiscuité éloigne les gens les uns des autres. On protège son intimité là où l'indépendance réclame du lien social. Il y a évidemment quelques brebis galeuses comme les célèbres sorcières du fond de l'impasse, mais notre quartier est un village où nous nous rendons régulièrement visite les uns les autres et partageons de très fortes amitiés. La campagne pour les élections municipales a multiplié les connexions et nous avons fait récemment connaissance avec des riverains qui deviendront probablement des amis, même si tous ne soutiennent pas (encore) comme nous le candidat du Front de Gauche, Laurent Jamet !


Si le plateau où nous habitons est situé à cent mètres de haut par rapport à la Seine le seizième étage rajoute cinquante mètres, ce qui le place à la hauteur du second étage de la Tour Eiffel, minuscule comme la Tour Montparnasse, le Panthéon, le Sacré Cœur dans le panorama incroyable qui s'offre à nous. Seules les Twin Towers des Mercuriales nous regardent avec prétention et me suggèrent d'aller un de ces jours y faire un tour...

vendredi 17 janvier 2014

USA 1968 deux enfants


Mon second roman USA 1968 deux enfants paraît enfin après trois ans de travail ! L'objet est un roman augmenté conçu pour iPad, avec une couverture interactive, 12 courts métrages, 75 minutes de musique et de son, quantité de photographies, la carte interactive du périple, etc. Cette aventure éditoriale n'aurait pas été possible sans la collaboration extraordinaire des Inéditeurs, société d'éditions interactives que nous avons constituée avec Sonia Cruchon, Mikaël Cixous et Mathias Franck.


À l'été 1968, deux enfants de treize et quinze ans parcourent seuls les États-Unis. Lorsqu'ils ne trouvent personne pour les loger, ils voyagent de nuit grâce à un abonnement aux bus Greyhound. Des chutes du Niagara à la frontière mexicaine, de l'Océan Pacifique à la Nouvelle Orléans ils font d'incroyables rencontres. Hébergés par un pathologiste à El Paso, un couple d'architectes à Beverly Hills, des hippies et le médecin des Black Panthers à San Francisco, des fascistes dans le Connecticut ou le patron de la Bourse de New York, des familles les accueillent lors d'un voyage initiatique où l'auteur découvrira sa passion pour la musique après avoir participé aux évènements de mai à Paris deux mois plus tôt. Le journal de ce périple renvoie au passé qui a permis cette incroyable aventure comme à l'avenir qu'il suscitera. Une époque pleine de promesses se dessine avant que la réaction n’enterre les rêves de cette jeunesse qui pensait pouvoir réinventer le monde.


Sous l'onglet du générique j'espère n'avoir oublié personne tant ils et elles sont nombreux à y avoir participé ou m'y avoir encouragé. Une dédicace spéciale à ma petite sœur qui a partagé ce voyage initiatique extraordinaire, à ma fille qui m'a accompagné sur cette même route trente-deux ans plus tard, à mes parents qui ont eu la folie de nous laisser partir seuls et si loin, à François Bon qui m'a mis le pied à l'étrier avec mon premier roman augmenté, La corde à linge, aux musiciens qui sont présents sur la partition sonore, à Françoise qui a monté les films, à Sonia qui a réalisé avec moi le light-show interactif et qui a soutenu ce projet depuis le début, à Mikaël qui s'est chargé du graphisme et des illustrations et à Mathias qui a réussi à ce que l'application tienne debout !

lundi 6 janvier 2014

Scotch prend des cours de cuisine

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Françoise critiquant mes achats en ligne de croquettes bio et s'entêtant à rapporter du poisson frais à Scotch chaque dimanche au retour du marché des Lilas je lui ai offert Je cuisine pour mon chat à l'occasion du réveillon de Noël. Scotch s'en est aussitôt emparé, sautant les chapitres sur ses besoins alimentaires, son régime de sénior, les maladies causées par une mauvaise hygiène alimentaire, les substances dangereuses et filant directement à la page 84 où sont détaillés les makis verts, les sardines croustillantes, le mini-soufflé de la mer, la soupe chinoise de nouilles au canard, le parmentier de foie de morue à la purée de patates douces, la tarte à la banane, la poêlée de Saint-Jacques à la crème de courgettes et le tartare d'huître, crabe et pommes ! Scotch a beau être en pleine forme il a tout de même 11 ans et demi et je doute que cette gastronomie tardive refasse grimper aux arbres ce gros matou de 9 kilos. C'est vrai qu'il a toujours été grand pour son âge, mais il passe le plus clair de son temps à roupiller, préférant qu'on lui ouvre la porte plutôt que devoir escalader le soupirail pour sortir dans le jardin. Les recettes semblent plutôt avoir été conçues par un trio de fines gastronomes souhaitant partager leur pitance avec leurs animaux de compagnie. En tout cas, elles mettent l'eau à la bouche. Justement laissez toujours de l'eau fraîche à votre chat, car l'alcool est proscrit, comme d'ailleurs le chocolat (poison accumulatif), le café, l'oignon cru, les raisins, l'avocat, l'éthylène glycol... Le livre paru chez Anagramme est illustré de jolies frimousses et évidemment des plats que vous aurez eu la patience de préparer et de ne pas dévorer entièrement avant que le maître des lieux n'ait eu le temps de dire ouf ou miaou !

vendredi 20 décembre 2013

Mairie de Bagnolet


La Mairie de Bagnolet est sujet à polémique. Son architecture intérieure brave déjà l'horizontalité photographique que j'ai adoptée pour illustrer mes articles. Lorqu'on lève la tête un spectacle de courbes ou d'arêtes anguleuses forcent l'admiration, à moins d'être amateur rigide de la symétrie au carré. La toile d'araignée extérieure est moins convaincante et, si on l'ouvrait comme prévu, la passerelle qui relie le nouvel Hôtel de ville conçu par l'architecte Jean-Pierre Lott à l'ancienne mairie déboucherait dans le tournant du vieil escalier, sans compter que le lieu ne permet pas d'abriter tous les services (comme celui de la culture) ! Je me demande souvent à quoi pensent les spécialistes. Ces incongruités seraient le fruit des dépassements budgétaires. L'entreprise a le mérite de l'innovation, mais nombreux Bagnoletais ont la bouche amère devant la facture : 40 millions d'euros au lieu des 22,5 prévus. Or la ville est l'une des plus endettées de France. Je ne vous raconte pas le coût des taxes foncières et d'habitation. Nous y vivons pourtant agréablement, avec sa somptueuse médiathèque, les deux salles du cinéma municipal Le Cin'Hoche dont la programmation est éclectique, les théâtres de L'échangeur et du Samovar, son parc et ses jardins partagés, etc. La proximité de Montreuil et des Lilas est un autre atout.
Hélas l'ambiance s'est lourdement dégradée depuis que le maire actuel a décidé de n'en faire qu'à sa tête, faisant fi des avis de son conseil municipal. À tel point que le Front de Gauche lui a retiré sa confiance et soutient la candidature de Laurent Jamet qui s'est engagé à écouter sérieusement la population, entre autres en réactivant les maisons de quartier. Un collectif de citoyens partageant ses valeurs et n'appartenant ni au PCF ni au PG s'est constitué pour exercer un contrôle sur le fonctionnement démocratique des institutions municipales. Le système est en cause. Une fois élu pour six ans, un maire peut ne rendre de comptes à personne. C'est donner libre champ au moindre schizophrène, surtout lorsque l'on sait à quel point le pouvoir rend fou. Je me suis donc investi dans la liste Bagnolet Avenir ! À la réunion de samedi dernier j'ai proposé de constituer une coopérative de compétences pour redonner du sens au lien entre les Bagnoletais. Sur le modèle des SEL (Systèmes d'Échanges Locaux), l'idée est que, jeune ou ancien, chacun et chacune possédant des compétences ou étant animé(e) de passions pourrait les partager et avoir recours à celles des autres. Et Françoise de suggérer de semer des graines partout où la terre le permet. Nous pouvons encore changer le monde par des actions de proximité, moyen efficace de résister au formatage des cerveaux et des usages.

jeudi 12 décembre 2013

Baiser d'encre, ça se fête


Succès unanime du nouveau film de Françoise Romand. C'est évidemment sans compter les spectateurs partis sans rien dire. Les deux séances successives au Triton mardi soir ont grandement rassuré la réalisatrice et ses deux acteurs, Ella & Pitr. Les nombreux compliments sur la musique m'ont évidemment beaucoup touché. Il est toujours plus facile de partager ses sentiments lorsque l'on est emballé que si l'on s'est ennuyé ! Les critiques circonstanciées laissaient supposer une sincérité partageuse. Lorsqu'il ne savait pas comment s'en sortir Coppola disait "You did it again!", traduisons "C'est bien toi !". Ève Risser m'envoie une photo de nous quatre sur la scène. Ella & Pitr se sont envolés cette nuit pour Hong Kong. Françoise dort. Ma grippe a repris de plus belle...


Baiser d'encre est certainement le plus joyeux de toute la filmographie de Françoise. Tendresse et fraîcheur suintent de tous ses pixels. J'ai parlé de conte moral. En le voyant on aurait envie de faire des enfants si ce n'était déjà fait ! Les impertinences y sont livrées pleines de nuances. Je savais tout cela, mais la projection HD dans la nouvelle salle du Triton a fait exploser les couleurs et souligner le mixage. Il aura fallu à Françoise trois ans de travail pour en arriver là. Ce n'est plus qu'une question d'export pour obtenir une copie 0 conforme. Cela ne semble pas évident avec FinalCut.


Les prochaines séances auront lieu le mardi 17 décembre à 20h au cinéma Le Méliès de Saint-Étienne (également jeudi 19 décembre à sa Cinémathèque, Mix-Up ou Méli-Mélo à 18h dans une superbe copie remasterisée, rencontre avec la réalisatrice à 19h, Appelez-moi Madame à 20h) et le 22 janvier à 20h30 au cinéma Le Cin'Hoche à Bagnolet, en attendant la sortie officielle. C'est l'occasion pour vous de vérifier que je n'écris jamais de billet de complaisance !

mercredi 11 décembre 2013

Chasse au trésor VHS


J'ai jeté un pont vers l'île aux trésors avant qu'elle ne soit engloutie par un tsunami magnétique. Tous mes magnétophones à bande étant en réparation je continue à numériser, mais cette fois mes VHS. Comme il y en a des centaines je choisis les petits sujets qu'en bon obsessionnel j'enregistrais à la fin des bandes de quatre heures. Il restait toujours un peu de place après les deux longs métrages. Si ceux-ci ont pour la plupart été réédités en DVD il n'en sera probablement jamais de même avec les clips musicaux, les publicités des années 80, les concerts inédits, les magazines, les extraits de journaux télévisés, les opéras, etc. Cette boulimie télévisuelle remonte à la naissance de ma fille. Nous sortions moins et il fallait qu'Elsa soit impérativement couchée à 21h avant que le film ne commence ! Après le 11 septembre 2001 j'ai totalement arrêté de regarder la télé sauf pour les films, et depuis le DVD et Internet j'ai rendu mon décodeur pour ne plus jamais me brancher sur une chaîne.
En fait j'ai sorti le lecteur VHS pour numériser une douzaine de courts et moyens métrages de Françoise que je n'ai jamais vus et surtout son feuilleton-documentaire en huit épisodes, Croisière sur le Nil, qui était passé sur France 3 à 20h.


Comme j'avais terminé de sauver ses précieuses archives je me suis plongé dans les miennes, ou plus exactement l'incroyable téléthèque où chaque cassette est répertoriée dans six classeurs numérotés où je collais les articles de Télérama. J'ai ainsi retrouvé la Nuit du film d'art sur Canal Plus, celle intitulée Doc Doc Doc, des centaines de documentaires, de films d'animation, un condensé de la série Movie Mahal produite par Channel Four qui me permet de retrouver les films complets d'où sont extraits les numéros chantés et dansés, une soirée sur la voix, des documents historiques inestimables... La mémoire meurtrie, le terrible film de Sidney Bernstein sur les camps de concentration pour lequel Alfred Hitchcock supervisa le montage, fait passer Nuit et Brouillard pour une bluette. J'exagère à peine. Les Anglais ont interdit le film jusqu'en 1985 de peur que l'Allemagne ne s'en remette jamais. J'en profite aussi pour copier mes passages à la télé, comme après mon retour du siège de Sarajevo, des plans de manif au Journal de 20 heures, des interviews sur la musique... Il y a heureusement beaucoup de petits sujets amusants, des sketches comme ceux de Pierre Dac, Jacques Dufilho, Jean Yanne... Je sélectionne seulement ceux que j'ai envie de revoir, sacrifiant probablement la majorité de ce fonds. Je n'ai pas que cela à faire, mais je me rends compte de la boulimie incroyable qui m'a toujours animé, un encyclopédisme qui m'alimente autant qu'une soif inextinguible de créer sans cesse.

mardi 10 décembre 2013

Enclume et Baiser d'encre


Remake d'Ouvrard. Depuis dimanche soir j'ai la tête comme une enclume, le ventre en papillote, je tousse à m'en ouvrir le thorax, des courbatures des orteils à la pointe des cheveux, je ne regrette qu'une chose, ne pas savoir dessiner pour croquer ma carcasse en deux coups de crayon. Je me la joue très pro, au moment où le travail se calme et où j'ai le temps de me transformer en zombie. J'espère que ce sera passé d'ici ce soir, car Françoise projette Baiser d'encre, son nouveau film, en avant-première au Triton à 19h30 (complet au point de rajouter une séance à 21h30, déjà presque complet). J'en ai composé la musique avec Birgitte Lyregaard, Sacha Gattino, Antonin-Tri Hoang, Vincent Segal et Edward Perraud... Et puis les acteurs seront présents dans la nouvelle salle du Triton !
Les Papiers Peintres Ella & Pitr puisent leur inspiration dans leur vie quotidienne dont les rêves composent une nouvelle réalité pleine d'humour et de tendresse. Ils sillonnent la planète avec leurs deux jeunes enfants, exposant leurs affiches dans les rues ou en galeries, manière généreuse de coller à tous leurs publics. Françoise Romand, inspirée par cette étonnante saga familiale, propose une délicieuse fantaisie montrant qu'il existe mille manières de rendre le monde plus beau à condition de s'en emparer avec l'esprit critique qu'exige toute création.

mardi 29 octobre 2013

N'en jetez plus !


Mon dos se redresse doucement. Les yeux de Françoise retrouvent une nouvelle jeunesse. Scotch miaule sans que l'on sache pourquoi, mais tout va bien. Le temps me manque juste pour raconter tout ce qui se passe autour. USA 1968, mon second roman augmenté, est sur les rails : Mathias code, Mika dessine, Sonia vidéote et nous testons, testons, débuguons, corrigeons, retestons, etc. Idem avec Baiser d'encre, le nouveau long métrage de Françoise dont j'assure la production exécutive en plus de la partition sonore. Aujourd'hui Antoine et moi installons les lapins de Nabaz'mob à l'ENSAD pour les représentations de la soirée privée de demain où une centaine de philosophes réunis à l'ENS seront confrontés à notre clapier. Pendant ce temps, les films, les disques, les livres s'accumulent sur les étagères et j'oscille entre remplir et vider le frigidaire. Oui je sais, on dit réfrigérateur, mais ça rime moins bien et plus personne ne possède cette marque. À la Cité des Sciences l'exposition sur le jeu vidéo dont Sacha et moi avons signé le design sonore est commencée, alors je travaille sur un projet de programmation de spectacles avec des plasticiens interactifs et de jeunes affranchis pour l'année qui s'annonce. C'est sans compter les concerts, enregistrements, publications qui se bousculent... Quand je pense que je me plaignais de ne pas savoir où j'allais... Mais, comme dit Pierre Oscar, je n'ai rien vu à Fukushima...

vendredi 25 octobre 2013

La Source


Énorme succès à La Java mercredi soir pour mes premiers pas sous appellation techno. Plutôt que de répondre à chaque camarade qui m'interroge sur la soirée, écrire peut m'éviter de rabâcher la même histoire à l'infini. C'est que des copains j'en ai pas mal, même si aucun ne s'est déplacé pour assister à cette incroyable soirée ! Manque de curiosité, a priori sur le genre musical, coïncidences, planning chargé, oubli, enfants en bas âge, mieux à faire, information reçue trop tard ? Dommage pour eux, car nous nous sommes bien amusés devant le public enthousiaste. Le set expérimental de DJ Ron Morelli acheva de me décomplexer de ne pas savoir faire danser. Jorge Velez enchaîna avec un solo live plus rythmique auquel j'emboîtai le pas également en solo sans temps mort. J'ai l'impression d'avoir réalisé une sorte de plunderphonics live, techno maximaliste à base de sons électroniques et de rythmiques diaboliques, de voix, radiophonies et trompettes à anche. Le duo avec Velez (© Photo 1 Françoise Romand) était plus magmatique, pâte sonore d'une rare intensité où l'improvisation prolongea nos conversations à bâtons-rompus. Plus classique, Tuff Sherm aka Dro Carey eut le mérite de swinguer avec une efficacité redoutable. Nous en sommes tous sortis tardivement avec une pêche d'enfer, remerciant Xavier Ehretsmann pour son excellente et stimulante initiative de nous avoir réunis. Marier le beat électronique avec un jeu live sur des instruments éventuellement acoustiques était inéluctable. La techno et la musique électroacoustique retrouvent leurs intentions originelles qu'une actualisation nécessaire régénère pour contrer le formatage et le peu d'ambition des majors en matière artistique. Comme dans les milieux jazz et musiques improvisées les jeunes retrouvent leur désir d'étonnement et de découverte, recherchant dans le passé les épisodes qu'ils ont ratés. C'est tout bon pour les dinosaures de mon espèce !


La surprise vient évidemment du public club, la plupart jeunes trentenaires à la recherche de nouveauté. Filles et garçons me demandent depuis combien de temps je joue cette musique ? Force est de constater que voilà plus de quarante ans que je joue ainsi et que j'en vis, infiltrant le rock, le jazz ou la musique contemporaine, sans ne rien changer à ma manière de voir et de rêver. Une fille s'étonne que je n'ai d'autre travail que celui de compositeur, comme si l'underground rimait obligatoirement avec galère et pauvreté. Je m'éclate en improvisant en direct des rythmes tranchants au Tenori-on. Les leds s'éclairent sous les notes, devant des bouches ouvertes à s'en décrocher la mâchoire. Mes pieds dansent sur les pédales des claviers. Pendant mon solo aucun répit n'est possible, je jongle avec les potentiomètres, je fonds, je brise, j'accumule, je réduis. Le duo permet plus facilement de respirer.
Après le dernier set je suis étonné de partager les mêmes idéaux avec Morelli, Svengalisghost Lives et Velez (© Photo 2). Nous avons des méthodes différentes pour arriver à nos fins, mais nos démarches se ressemblent. À jouer d'instruments bizarres ou simplement électroniques je ne ressens ni l'incompréhension ni la ségrégation qu'ont perpétuées jusque récemment la plupart des jazzmen et libres-improvisateurs. Je rêve d'une mixité qui rassemble toutes ces énergies inventives sans préjugé ni pré carré. Tous les signes le montrent : c'est pour bientôt !

mercredi 18 septembre 2013

Messages échoués sur une plage


Hier soir j'ai ramassé sur FaceBook d'anciens messages qui ne m'étaient jamais parvenus. Elsa m'a suggéré de cliquer sur Autre sous l'icône de l'onglet Messages et des dizaines sont apparus, simplement cachés parce qu'émanant d'utilisateurs non répertoriés comme Amis. Pour revenir à la liste habituelle j'ai cliqué à nouveau sur Boîte...


Le premier provenait d'une amie de Bernard Vitet qui avait appris sa mort et me demandait une adresse, le second de la jeune femme qui avait ramassé mon porte-feuilles dans l'escalier du métro et l'avait remis au guichetier. Je m'étais aperçu de ma maladresse dans le wagon, avais galopé jusqu'à l'entrée, cassé mes lunettes dans la précipitation, convaincu le guichetier de me rendre l'objet perdu, redescendu quatre à quatre l'escalier et rejoint Françoise qui m'attendait dans le train encore à quai. Quelle suée, et quelle joie ! Étonnante impression d'avoir découvert des bouteilles rejetées par la marée après des semaines à flotter sur la Toile. Elsa me raconte que je ne suis pas le seul à ignorer cette ressource. Peut-être devrais-je explorer les bords du cadre avant que le train ne soit déjà parti ou la mer retirée ?

dimanche 15 septembre 2013

Bernard Vitet, un drame musical instantané


Lors de l'hommage à Bernard Vitet qui aura lieu demain lundi à La Java, Francis Gorgé jouera avec son propre orchestre et moi avec les camarades avec lesquels je joue le plus souvent aujourd'hui. Tous les trois sommes restés proches jusqu'au bout, mais nous n'avons bêtement pas prévu de commémorer ensemble celui qui fut si longtemps notre meilleur ami, avec qui nous avons enregistré plus d'une quinzaine d'albums en trio ou grand orchestre, et des dizaines d'heures d'inédits que l'on peut trouver sur le site drame.org en écoute et téléchargement gratuits. Un Drame Musical Instantané avait l'habitude de réaliser un disque par an, pas plus, car nous le peaufinions amoureusement jusqu'à sa présentation graphique et les moyens de communiquer sur sa sortie. Le Drame était un collectif où nous partagions tout, les idées, les œuvres, les instruments, les salaires, les droits, l'amitié, etc. C'est probablement la raison pour laquelle la collaboration a duré si longtemps. Francis a quitté le groupe en 1992 pour se consacrer à d'autres activités, mais nous sommes restés en contact. Bernard et moi avons continué jusqu'en 2008 où, après 32 ans, j'ai fini par me résigner à dissoudre le Drame. Cela ne signifiait plus rien si je restais le seul actif du trio original. Selon les époques, certains, comme Tamia ou Françoise Achard, Hélène Sage ou Gérard Siracusa, Frank Royon Le Mée ou Philippe Descepper, et quelques deux cents autres musiciennes et musiciens, en particulier pour le grand orchestre ou les enregistrements d'Urgent Meeting, se sont joints à nous pour partager nos aventures pendant quelques mois, mais le Drame c'était d'abord nous trois. Les plus beaux souvenirs datent évidemment de nos débuts, nous étions jeunes, ambitieux, insatiables... Nous nous sommes vus pratiquement cinq jours sur sept pendant de nombreuses années et les coups de téléphone avec Bernard pouvaient durer plus de trois heures jusque tard dans la nuit. Nous avons sillonné la planète, beaucoup grâce aux ciné-concerts, élaboré des spectacles démesurés, rêvé de nouveaux mondes puisque nous refaisions régulièrement l'actuel dans la fumée de leurs cigarettes, brunes pour Bernard, blondes pour Francis, je ne tirais que sur les joints. Je les roulais avec une machine tandis que Bernard avait une technique unique bien à lui qui lui permettait d'en faire même en marchant en plein vent. Au lieu de souffler dans sa trompette, il vidait le contenu d'une de ses Bastos et aspirait le mélange dans le creux de sa main. J'interdisais la fumette avant les concerts, mais combien de fois ai-je retrouvé mes camarades dans les toilettes se cachant comme des collégiens ! Pour un petit film réalisé en 1987 par Didier Ranz pour l'AFAA nous avions écrit un petit scénario où chacun s'était mis en scène. Bernard avait choisi le toit de la rue Charles Weiss où il nourrissait des centaines de pigeons, avec des graines anti-contraceptives certes. Nous étions les trois meilleurs amis.


Bernard Vitet avait un son de trompette exceptionnel, un velouté unique, encore plus suave lorsqu'il jouait du bugle. Je peux le reconnaître au bout de la deuxième note. C'est évidemment un timbre proche de Miles Davis que Bernard adorait, mais les inflexions sont aussi différentes que la musique. Tous deux jouent de leur instrument comme ils parlent, avec leur propre articulation et les respirations. Lorsque nous faisions plusieurs prises d'un même morceau, nous devions nous arrêter pour Bernard qui redoutait "le pâté de lèvres". Les pauses conviennent à la trompette, elles convenaient aussi à cet être réfléchi qui pesait ses mots, développant les théories les plus surprenantes et les idées les plus abracadabrantes. Il revendiquait de n'avoir qu'une chance sur deux de se tromper et il avait raison. Souvent raison, sauf quand il s'agissait d'organisation ! Il arrivait toujours en retard, perdait tout, oubliait ses partitions, laissait ses instruments dans le coffre d'une voiture pour devoir ensuite les faire rapatrier par avion in extremis pour le concert du soir, disparaissait de scène pour aller chercher une sourdine dans les loges ou parce que le feu d'artifices risquait d'effrayer des pigeons. Mais quand il s'agissait d'accrocher ses mélodies sur la corde à linge que nous avions tendue il n'avait pas son pareil. Un enchantement. Je pourrais parler des heures de nos aventures musicales, de nos conversations à n'en plus finir, de nos éclats de rire, réécouter sa voix, sa trompette, les œuvres enregistrées ensemble ou avant que nous nous rencontrions, j'achète tout ce que je trouve avec lui, mais je ne pourrai plus jamais rien partager avec mon camarade. Le concert-hommage à La Java rassemblera nombreux de ses amis musiciens et musiciennes. Je me fais une joie de partager avec eux ma tendresse ou mon admiration, parce que ma peine ne regardera jamais que moi, comme chacun et chacune d'entre nous. Nous serons plus de trente à jouer pour lui.

Photo d'Un Drame Musical Instantané prise au jardin du Luxembourg le 30 janvier 1981 par Brigitte Dornès, grande amie également disparue cet été.

samedi 14 septembre 2013

Entretien avec Bernard Vitet sur les années 60


À l'occasion de l'hommage à Bernard Vitet que ses amis musiciens et musiciennes lui rendront lundi à La Java, Pierre Prouvèze met en ligne les rushes d'un entretien inédit de 50 minutes qu'il a réalisé le 2 juillet 2006 autour du film sur Colette Magny qu'il prépare depuis plusieurs années. Manière à lui de participer à la soirée du 16 septembre depuis Marseille... Il interroge donc Bernard sur les années 60.


Dans le jardin près de Notre-Dame, sur les bords de la Seine, Bernard Vitet évoque Colette Magny, François Tusques, Alan Silva, le free jazz, Georges Arvanitas, les communistes, Mezz Mezzrow, Pierre Nicolas, Paul Mattei, Jean Greffin, Jean-Claude Fohrenbach, Pierre Dac et Léo Campion...


Mai 68, François Tusques, les conditions financières d'alors, la retraite, Don Byas, les musiciens bretons… Au restaurant où se passe la scène il faut le voir saler et resaler sa saucisse purée, un trait symptomatique de notre camarade. Comme il mettait autant de sucre dans son café il restait à peine la place pour le liquide...


La liberté, Charles Saudrais, les mathématiques, Colette Magny, Françoise Lo (Sophie Makhno)... Le générique se termine sur quelques mesures de Free Jazz de François Tusques tandis que Bernard enfourche, radieux, sa Harley !

Photo © JJB 1979 - Studio GRRR, rue de l'Espérance à Paris

vendredi 13 septembre 2013

Concert-hommage à Bernard Vitet lundi à La Java


La salle de La Java aurait plu à Bernard. La java ! On y va..., comme récitait Marianne Oswald dans la sublime chanson parlée écrite par Jean Cocteau. Elle devait partir sur son yacht pour Java ! C'est dans ce sous-sol colonné que débuta Édith Piaf, qu'y jouèrent Django Reinhardt et Fréhel. Comment trouver lieu plus adapté pour évoquer la disparition de notre camarade qui nous a quittés le 3 juillet dernier ? La cohorte des fantômes donne une âme bouleversante à cet ancien bal recyclé en salle de concert. Si son entrée est gratuite ce soir le bar calmera les assoiffés.

La trentaine de participants de ce concert hommage à Bernard Vitet comptaient vraiment pour lui à moins qu'il n'ait compté pour eux. Souvent les deux. De ses camarades des années be-bop et free jazz aux plus jeunes qu'il aura marqués sans parfois l'avoir jamais rencontré, tous et toutes joueront avec émotion en pensant au grand trompettiste et compositeur. Certains sont absents, n'ayant pu se libérer. Plus nombreux les disparus avant lui. Car Bernard joua avec Django et Gus Viseur, comme avec Gainsbourg, Barbara, Montand ou Claude François. Plus connu pour sa collaboration avec les jazzmen, nombreux les frères et sœurs qui se sont tus, Don Cherry, Chet Baker, Roger Guérin, Jean-Paul Rondepierre, Lester Young, Eric Dolphy, Albert Ayler, Steve Lacy, Beb Guérin, JF Jenny-Clarke, Mac Kak, Eddie Gaumont, l'Art Ensemble de Chicago, tant d'autres... Heureusement il y aura aussi beaucoup d'amis bien vivants dans la salle pour lui rendre hommage.

Le pianiste François Tusques, auquel Bernard fut fidèle, de Free Jazz au début des années 60 jusqu'à son ultime concert en duo, dialoguera avec le batteur Noel McGhie qui était aussi présent sur la suite des Black Panthers de la regrettée Colette Magny, plus tango avec la chanteuse Isabel Juanpera. Autre figure essentielle du parcours de Bernard, des années variétés à la création du Unit, Michel Portal jouera en duo avec le violoncelliste Vincent Segal, probablement un air d'Ayler que Bernard adorait. Jean-Louis Chautemps, doyen de la soirée, retrouvera un de ses anciens élèves et voisin de Bernard rue Pelleport, Christophe Salinier, pour un duo "vite et fort" de saxophones ténor et baryton. Jac Berrocal, dont l'Opération Rhino me permit de faire la connaissance de Bernard, trompettera sur les rythmes de Gilbert Artman. Françoise Achard, autre compagne du début des années 70, chantera vajra avec la violoncelliste Hélène Bass, rejointes par la chanteuse Dominique Fonfrède, le saxophoniste Jouk Minor et l'accordéoniste Claude Parle. Également à l'accordéon, Michèle Buirette accompagnera Elsa Birgé pour deux chansons que nous composâmes avec Bernard pour Elsa lorsqu'elle avait 6 ans ! Écris-moi une chanson, Cause I've got time only for love ; Hervé Legeay y était déjà à la guitare tandis qu'Antonin-Tri Hoang remplacera au sax alto le chorus que notre ami aurait improvisé à la trompette. L'influence de Bernard sur les jeunes générations ne fera que grandir. Max Robin accompagnera à la guitare Michèle Buirette pour une chanson qu'elle chantera elle-même. Le pianiste Benoît Delbecq m'a promis que je ne serai pas le seul à apporter une trompette de poche, il sera le quatrième de la partie de bridge que j'interpréterai au clavier avec Vincent Segal au violoncelle et Antonin-Tri à la clarinette basse. Vincent aura prêté main forte à Francis Gorgé, mon camarade de lycée avec qui nous avions fondé le groupe Un Drame Musical Instantané avec Bernard en 1976, qui a réuni ce soir l'écrivain Dominique Meens, Denis Colin à la clarinette basse et Geneviève Cabannes à la contrebasse pour accompagner à la guitare plusieurs chansons dont L'invitation au voyage de Baudelaire-Duparc, Hélène Sage étant retenue à Toulouse. Jean-Brice Godet et Étienne Brunet feront duo de clarinettes basses, mais allez savoir quelles surprises recèle la soirée ! Notre troisième pianiste, Luc Saint-James, accompagnera la courte apparition de notre troisième accordéoniste, Norbert Aboudarham... Un troisième violoncelliste, Didier Petit, mais cette fois en trio avec Sylvain Kassap, cinquième clarinette basse de la soirée, et le batteur Gérard Siracusa, tous trois ayant fait leurs débuts auprès du disparu... Remarquons qu'accordéon, clarinette basse et violoncelle appartiennent plus à la tradition européenne qu'au jazz américain. J'adore le passage vidéo de Carton quasi brechtien où mon camarade raconte qu'à la Libération il adopta étourdiment la culture de l'occupant !

Dans le cadre de la programmation mensuelle de Jazz à La Java la soirée (lundi 16 septembre à 20h) est organisée à l'initiative du label Futura qui publia La guêpe, d'abord en vinyle puis le réédita en CD. J'ai évidemment soutenu Gérard Terronès dans l'aventure de ce soir qui, loin de reléguer notre camarade aux oubliettes, le propulse dans l'avenir, lui qui n'aimait le passé qu'en architecture, mais lorsqu'il s'agissait de musique préférait inventer plutôt que ressasser. Chaque note de cette soirée lui est dédiée, avec les silences qui les entourent de la plus immense tendresse, sans ne jamais négliger le potentiel révolutionnaire de son art qui est aussi le nôtre pour que nous le partagions avec tous. À cet instant Bernard aurait levé le poing, évidemment ganté comme les athlètes noirs des Jeux Olympiques de Mexico en 1968. Vivan las utopias !

Photo © JJB 1992

mardi 20 août 2013

Cueillettes


Le plaisir de cueillir son dîner n'a d'égal que de se goinfrer de fruits sauvages sur le bord d'un chemin.
Christophe a rapporté dix kilos de cèpes du bois sous les granges. Il m'apprend à repérer les coins, ni trop secs ni trop humides, équilibre d'ombre et de soleil, sous les grands chênes par exemple. Après la pluie, le soleil me fait comprendre l'expression "pousser comme des champignons". On peut aussi marcher des heures sans en voir un, et puis se retrouver face à un carré où il y a à peine la place de poser le pied.
Lorsque nous restons bredouille nous nous rabattons sur les fraises des bois, même si Georges nous avertit des dangers de la douve du foie. Cela ne nous empêche pas de faire régulièrement des razzias de sarrousses, les épinards sauvages si délicieux que nous les accommodons à toutes les sauces. Françoise les lave avec de l'eau vinaigrée et les faire cuire à la poêle avec du beurre ou bouillir pour les manger tièdes en salade ou en gratin.


Il était encore tôt pour les myrtilles, mais j'apprends à reconnaître les petits buissons ras qui fourmillent autour et je goûte les premières. Trop tôt pour les framboises sauvages qui poussent autour de l'estive où Tommy garde un troupeau de 450 vaches. Si les gigantesques taureaux ressemblent à des aurochs, c'est des vaches qu'il faut nous méfier lorsqu'elles sont accompagnées d'un petit veau. 700 kilos à fond de train, imaginez le bolide, et leurs cornes pointues vous embrocheraient d'un coup de tête. Pas de quoi s'inquiéter si l'on fait attention en les croisant. La revanche est terrible puisqu'elles finiront toutes en steak dans nos assiettes… Monde cruel.

lundi 1 juillet 2013

Halte lumineuse chez les PapiersPeintres


Halte lumineuse chez les PapiersPeintres à Saint-Étienne. Françoise termine son film sur le couple d'affichistes Ella & Pitr dont la sortie du DVD est prévue le 17 décembre. L'éditeur Jarjille vient de publier un nouveau livre pour les enfants sages les invitant "à déborder un peu du cadre afin de ne pas rester là, plantés comme des images". Renverse ta soupe est décliné sous quatre couvertures sérigraphiées différentes.


Ils ont également réalisé les illustrations du programme du Centre dramatique national de Montluçon et de celui de la Comédie de Saint-Étienne. Pour Le Fracas l'an passé ils avaient collé de gigantesques affiches dans les rues de la ville qu'ils avaient ensuite prises en photo ; cette année ce sont de minuscules affiches qui illustreront le programme. Pour La Comédie ils se sont lancés dans des anamorphoses géantes à la manière de Georges Rousse.
Ils n'arrêtent pas. Leur appartement ressemble à une installation où le côté pratique rivalise avec la fantaisie graphique. Si leur quotidien familial avec leurs deux jeunes fils, Piel et Aki, alimente leurs créations, ils s'appuient sur la moindre faille des murs pour imaginer une œuvre appropriée, comme lorsqu'ils collent dans la rue.

vendredi 14 juin 2013

L'arbitraire en musique


Il existe des milliers de manières de composer la musique d'un film, mais aucune ne peut être arbitraire. En analysant le sujet, son contexte et les intentions du réalisateur, la réponse s'écrit d'elle-même. Entendre que la page blanche n'existe pas et que les solutions découlent de l'analyse attentive de ce qui est exprimé, suggéré ou refoulé... Trop nombreux cinéastes prennent hélas les spectateurs pour des demeurés en réclamant que l'on appuie les effets. Et le compositeur de surligner au marqueur fluo telle scène sentimentale ou la poursuite impitoyable ! Il m'a toujours semblé préférable de jouer la complémentarité plutôt que l'illustration mécaniste. Et déjà pointe la question préalable à savoir la nécessité ou pas de recourir à la musique dans un film ? S'interroger sur son propos c'est prendre l'affaire par le bon bout, renvoyant le conteur à zéro, d'autant qu'en la matière les habitudes ne peuvent être autrement que mauvaises. Déceler la spécificité de l'œuvre en cours exige d'abord que l'on pose pas mal de questions à son auteur. Aux substantifs, adjectifs et verbes révélés on opposera les siens pour composer une nouvelle syntaxe, propre à chaque aventure. Car l'intérêt de travailler sur des œuvres qui ne sont pas exclusivement les nôtres consiste à se surprendre en abordant des rivages insoupçonnés. Les querelles d'ego sont déplacées lorsqu'il s'agit de rendre l'objet rêvé le plus crédible possible. Et chacun d'y mettre du sien.

Combien de fois ai-je écrit que toute musique fonctionne avec n'importe quel film, mais le sens varie d'une association à une autre ! Jouant d'un médium sans paroles le musicien influe généralement sur les émotions, quitte à en rajouter une couche, mais sa responsabilité est justement la maîtrise du sens. Raison pour laquelle la place même de la musique, à savoir son apparition magique tombant de je ne sais quel ciel mystique, est primordiale. D'où mon attirance possible pour celle qui se présente in situ, jouée par des musiciens à l'image ou quelque machine reproductrice... Passé ce cas de figure qu'affectait par exemple Jean Renoir, il m'est très tôt apparu que la musique ne pouvait se concevoir coupée du reste de la bande-son. La partition sonore englobe les voix, les bruits, les ambiances et la musique s'il y a lieu d'être. Que l'on vive en ville ou à la campagne, nous sommes quasiment interdits de silence. On appellera donc nos moments de calme, pauses ou respirations...

Si j'évoque la musique de film, c'est que j'ai travaillé tous ces jours-ci à commenter des images dans des champs extrêmement variés, soit le film de Françoise Romand sur Ella & Pitr intitulé Le baiser d'encre, plusieurs montages photographiques pour les Rencontres d'Arles, un parcours en autocar à travers la Camargue, l'interface du Jeu de la vie et le design sonore de l'exposition Le gameplay s'exhibe avec cette fois Sacha Gattino pour la Cité des Sciences, le live avec Jacques Perconte, etc. Mais j'aurais pu tout aussi bien traiter de n'importe quel art appliqué avec la même approche. Que la musique participe à un autre projet que cinématographique, ou qu'un graphiste, un écrivain ou un scénographe collabore à une œuvre impliquant différents créateurs, les question sont identiques : comment puis-je être utile à l'entreprise collective et quelle méthode employer pour la servir au mieux ?

vendredi 31 mai 2013

Rebelote à Pôle-Emploi


Depuis la veille j'avais les boyaux façon scoubidou. L'idée d'aller faire la queue à huit heures du matin à Pôle-Emploi pour faire valoir mes droits m'était absolument insupportable. Devant le rideau de fer les chômeurs sont en colère contre l'inorganisation systématique de l'agence qui se livre à toutes sortes d'humiliations scandaleuses et totalement improductives. Si certains comprennent les enjeux financiers dont tous les citoyens sont victimes, la plupart s'insurge contre la publicité faite au mariage pour tous qu'ils jugent camoufler les véritables problèmes. Une jeune Polonaise regrette les promesses de Sarkozy sur la retraite. Un titi parisien se demande comment il va nourrir sa famille si ses indemnités sont encore retardées. Pendant ce temps-là l'argent travaille, il ne chôme pas, les termes sont impropres, il copule et fait des petits. Françoise me reprochera de ne pas avoir mis sur le tapis le revenu de base pour tous pour lequel les Suisses vont bientôt voter par référendum. Comme il n'y a pas de distributeur de numéros à l'entrée on est obligés de faire le pied de grue debout les uns derrière les autres. La grille s'ouvre. Une femme demande à aller aux toilettes. Un employé qui a déjà enfilé les sandales et T-shirt de ses vacances lui répond agressivement qu'il n'y en a pas alors que la pancarte est devant nous. Comme elle insiste, l'abruti lui répond que c'est fermé pour cause de plan Vigipirate et qu'il n'a pas le code ! Le ton monte. C'est pourtant un endroit public et certains attendront là plus de deux heures. On essaie de calmer le jeu en expliquant que si les préposés sont si odieux c'est que leur hiérarchie ne doit pas les ménager.
Cette fois j'ai affaire à un employé bienveillant. Aucun de mes courriers ne leur parvient depuis huit mois. Ses collègues toujours charmants qui répondent au 3949 n'ont aucun autre moyen de communication avec les agences locales que le mail. Leur seul latitude est la consultation de mon dossier et la constatation des faits : je n'aurais jamais répondu, etc. À tous les niveaux de cette chaîne brisée les interlocuteurs sont anonymes, ne permettant aucun suivi personnalisé. Il faut chaque fois tout reprendre au début. L'employé me raconte que leur logiciel a changé en 2009 et que seuls les anciens ont accès à ce qui est antérieur dans mon dossier ! Il m'explique aussi que le courrier posté à mon agence locale est détournée par le centre régional censé le redistribuer, mais ne le fait pas. Pourquoi ? Je vous laisse deviner. Plutôt que de faire perdre du temps à tout le monde en se fendant chaque fois d'une visite pour décoincer la situation, soit une croix à cocher pour valider l'indemnisation, il me susurre que la solution la plus simple consisterait à déposer simplement mes réponses dans la boîte aux lettres de l'agence locale pour éviter le filtrage absurde qui nous est à tous imposé. On marche sur la tête.

Photo prise à l'exposition Winshluss, un monde merveilleux au Musée des Arts Décoratifs jusqu'au 10 novembre.

lundi 29 avril 2013

Winshluss décape au Musée des Arts Décos


Donner le sous-titre d'Un monde merveilleux à l'exposition consacrée au dessinateur de bande dessinée Winshluss par le Musée des Arts Décoratifs à Paris est évidemment un euphémisme. En interprétant les contes pour enfants de la manière la plus critique l'artiste revisite ses classiques comme Spike Jones le faisait en musique. Rien de pervers dans cette cruauté sarcastique, car ces histoires terribles n'ont jamais eu d'autre objectif que de préparer les gosses au monde qui les attend, autrement plus violent que les élucubrations hilarantes de Winshluss. Celui-ci remet simplement les pendules à l'heure, déréglées par l'angélisme puritain américain dont Walt Disney est le dieu. Qu'il aime le monde dans lequel il a grandi ne l'empêche pas d'en souligner ses horreurs et son absurdité suicidaire. Winshluss le réalise avec un talent exceptionnel, variant ses interventions selon les projets, de la bédé Pinocchio (Fauve d'Or du meilleur album au Festival d'Angoulême 2008), déjà chroniqué dans cette colonne, à ses remarquables films d'animation, sculptures, installations, sans oublier les films Persepolis (Prix du Jury du Festival de Cannes, Césars du meilleur premier film et de la meilleure adaptation) et Poulet aux Prunes, tous deux réalisés avec Marjane Satrapi sous son véritable nom, Vincent Paronnaud !


Pour l'exposition Winshluss, un monde merveilleux, présentée dans la Galerie des Jouets du Musée des Arts Décoratifs jusqu'au 10 novembre 2013 par son audacieuse commissaire Dorothée Charles, l'artiste a imaginé quatre grandes vitrines dont les grands magasins feraient bien de s'inspirer pour le prochain Noël afin de rompre avec l'ennui qu'ils déversent désormais. Dans la première, Barbapatomique, une pieuvre rose proche de The Host s'attaque aux petits soldats de son enfance. Et de citer Umberto Eco : « Tu te libéreras de tes rages, de tout ce que tu réprimes en toi, et tu seras prêt à accueillir d’autres messages, qui n’ont pour objet ni mort, ni destruction. » Le jeu guerrier pourrait donc n’être que simulacre et exutoire nécessaires. La seconde passe à la moulinette sept contes de Perrault, Andersen et des frères Grimm, dioramas aux plans superposés et joliment éclairés révélant la cruauté à conjurer de ces histoires monstrueuses que l'on raconte aux enfants pour qu'ils s'endorment ! Après la salle des petits écrans où sont montrés de formidables films d'animation, Il y a 5000 ans disparaissaient les dinosaures est une allégorie amusante mettant en scène les exclus de toute société avec son Arche de Noé affichant complet. La dernière vitrine est la plus méchante avec ses poisons de consommation courante exposés en rayonnages, raviolis au cyanure (spécial crise), foie gras de chômeur (élevé en HLM, nourri à la bière et aux pâtes), Minou Minou (aliment pour chat difficile contenant une famille entière de souris), Subutex Mex, saucisse de hamster, etc.
Malgré cette vision éminemment corrosive et "politiquement incorrecte" le rêve ne perd pas une once de son pouvoir. Pour une fois, retomber en enfance ne trahit pas sa réalité complexe. Quiconque a joué un jour avec des allumettes reconnaîtra dans la propre effigie de Winshluss transpirant dans les flammes que jouer n'est pas souffler, mais brûler, brûler le carcan que la société impose pour être capable de grandir et penser par soi-même. Quel soulagement de découvrir une œuvre humoristique qui fait la part belle à l'intelligence et explose de couleurs et de formes. En sortant de l'expo, Françoise suggère que c'est à des gens comme Winshluss que le Front de Gauche devrait s'adresser pour renouveler les images de la résistance !

mardi 16 avril 2013

Scandales sur la santé et vérité sur les maladies émergentes


Certains praticiens se battent aujourd'hui en France contre l'aveuglement des politiques sur les causes des maladies émergentes au risque d'être radiés par l'Ordre des Médecins. Idem pour le scandale de l'industrie pharmaceutique qui n'a d'autre ambition que de traire les malades en mettant sur le marché des médicaments inutiles, dangereux, voire mortels. On l'a vu récemment avec le Mediator, mais il en existe bien d'autres. Et la Sécurité Sociale de rembourser cette cuisine chimique dont la notification des effets secondaires devrait pourtant mettre la puce à l'oreille des utilisateurs.
Le livre de Françoise Cambayrac, Vérités sur les maladies émergentes (Ed. Mosaïque-Santé), rassemble témoignages, études documentées et solutions possibles sur les catastrophes causées par le mercure, l'aluminium, le cadmium et autres métaux lourds à l'origine ou participant aux fatigues chroniques, allergies, maladies auto-immunes, spasmophilie, fibromyalgie, sclérose en plaques, Alzheimer, etc. On nous assène que l'on ne sait pas comment naissent ces maladies qui se propagent de plus en plus et sur des victimes de plus en plus jeunes. Nombreux pays sont plus en avance que nous quant aux ravages du plomb des amalgames dentaires qui diffuse du mercure à haute dose dans notre organisme. Les dentistes et leurs assistantes devraient absolument lire ce livre s'ils veulent rehausser leur espérance de vie ! Le pire, c'est qu'extraire nos plombages peut être plus dramatique que les conserver. Il existe pourtant des méthodes efficaces pour dépolluer l'organisme, mais elles sont souvent interdites dans notre pays. L'étude ne se limite hélas pas aux métaux, on se demande même ce qui nous reste comme latitude de consommation en refermant ce livre extraordinairement passionnant.
Menace sur nos neurones de Marie Grosman et Roger Lenglet (Actes Sud, Questions de société) aborde le même sujet, mais de manière plus politique que médical. Les causes de Alzheimer, Parkinson, de la sclérose en plaques ou de l'autisme y sont parfaitement identifiées et documentées par des scientifiques. Les auteurs révèlent pourquoi les autorités ne font rien. L'industrie se moque que l'on avale de l'aluminium dans l'eau, des pesticides ou du PCB, que le mercure qui a causé la catastrophe de Minamata explose dans notre bouche, que les solvants et les particules extrafines polluent l'air que nous respirons. Leur profit absurde est criminel et suicidaire.
Les médicamenteurs, film de Brigitte Rossigneux, Stéphane Horel et Annick Redolfi (Ed. Montparnasse), explore les coulisses des labos et des pouvoirs publics, révélant quelques autres secrets scandaleux. Le marketing et les parts de marché l'emportent sur la santé des patients. À l'heure où un ministre est sur la sellette pour conflit d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique, ce DVD tombe vraiment à pic.
Comme il est coutume de taxer d'adeptes du complot quiconque souligne quelque aberration du système rappelons que toutes les grandes découvertes ont vécu le même tollé général ou les railleries, avant d'être admises. Entre temps les ravages du tabac, du plomb, du sang contaminé, de l'amiante, etc. continuèrent alors que l'on aurait pu éviter tant de souffrances ou de morts inutiles.

vendredi 12 avril 2013

Anatomy avec Edward Perraud


Après notre concert au Triton avec Antonin-Tri Hoang, Edward Perraud m'avait proposé de nous voir en studio le mois suivant. Nos Rêves et cauchemars nous avaient donné furieusement envie d'enregistrer une séance laboratoire comme celles que je mène depuis deux ans avec de jeunes musiciens et musiciennes aussi divers que Alexandra Grimal, Antonin-Tri Hoang, Fanny Lasfargues, Birgitte Lyregaard, Sacha Gattino, Ravi Shardja, Vincent Segal... Chaque fois marquées par la publication d'un album en édition numérique, écoute et téléchargement gratuits sur le site drame.org.

D'une certaine manière ces sessions figurent la suite du projet Urgent Meeting mené par le Drame il y a vingt ans. Nous avions proposé à des musiciens d'horizons extrêmement divers de venir chez nous enregistrer une pièce sur un thème proposé au choix. D'habitude, on se rencontre pour jouer. Il s'agissait de jouer pour se rencontrer. On s'installait le matin, nous les invitions à déjeuner dans un bon restaurant et nous enregistrions ensemble l'après-midi. Trente-trois répondirent à notre invitation et non des moindres : Colette Magny, Raymond Boni, Geneviève Cabannes, Didier Malherbe, Michèle Buirette, Pablo Cueco, Youenn Le Berre, Michael Riessler, Laura Seaton, Mary Wooten, Jean Quarlier, François Tusques, Dominique Fonfrède, Michel Godard, Gérard Siracusa, Yves Robert, Denis Colin, Louis Sclavis, Vinko Globokar pour un premier CD, Brigitte Fontaine, Frank Royon Le Mée, Henri Texier, Valentin Clastrier, Joëlle Léandre, Michel Musseau, Stéphane Bonnet, Jean-Louis Chautemps, György Kurtag, Didier Petit, Luc Ferrari, Hélène Sage, Carlos Zingaro, René Lussier pour le second volume intitulé Opération Blow Up. La musique avait été un prétexte pour tenter de comprendre ce que signifie d'être musicien, de composer dans l'instant et d'appréhender sous des angles différents le monde où nous évoluons.


La journée et la soirée du 4 avril passées avec Edward Perraud furent une extraordinaire partie de plaisir. Seule notre autodiscipline nous permit de mettre dans la boîte 76 minutes d'un duo échevelé. Nous avions tant de choses à nous raconter ! Nous le fîmes donc en paroles pendant les pauses et en musique pour dix pièces portant chacune le titre d'une partie du corps, sujet convenu quelques minutes avant d'entamer notre marathon. Nous oubliâmes ainsi étonnamment les mains et les bras qui nous permettent pourtant ces surprenantes acrobaties ou les oreilles par quoi commence toute musique. Se succèdent Cou, Tête, Poitrine, Nombril, Poils, Sexe, Jambes, Chevilles, Nez Bouche et Cerveau. J'aurai déjà écrit ces lignes sans qu'il n'en sache rien lorsqu'Edward m'enverra la pochette de l'album qu'il viendra de réaliser. Bras et jambes réintègrent ainsi physiquement Anatomy. Pour les oreilles nous nous fions aux vôtres ! De son côté Françoise Romand nous tira le portrait. Il est maintenant évident que nous n'en resterons pas là !

Dernière chose : Anatomy est en écoute et téléchargement gratuits sur drame.org (utiliser Safari, Chrome ou Explorer plutôt que FireFox).

mercredi 10 avril 2013

Dynamo, un siècle de lumière et de mouvement au Grand Palais


Dès l'entrée de l'exposition Dynamo sous titrée Un siècle de lumière et de mouvement dans l’art, 1913-2013 nous sommes pris en charge par un cadre d'Orange qui nous explique comment utiliser l'application pour smartphone iOS et Androïd développée avec la Réunion des Musées Nationaux et le Grand Palais. Il suffit de se connecter au réseau wi-fi, de télécharger l'appli pour photographier ce qui nous fait envie ou laisser des commentaires par ci par là, remportant avec nous une trace de notre visite ou déposant nos impressions pour les partager. À la sortie je vois ainsi nos photos s'afficher sur le mur d'images que l'on pourra également retrouver sur le site grandpalais.fr. Un tag NFC ou un code chiffré à rentrer pendant la visite et le tour est joué ! L'initiative a déjà le mérite de laisser photographier les œuvres des 150 artistes exposés sans que les gardiens s'en mêlent. Françoise pousse la fantaisie jusqu'à enregistrer discrètement leurs commentaires tandis que nous admirons un James Turrell, même si c'est loin d'être l'un de mes préférés de son auteur !


Si le thème de Dynamo me fascine je suis un peu déçu par la partie cinétique style Vasarely un peu ringarde. Les pièces de Nicolas Schöffer, Carlos Cruz-Diez, Dan Flavin, Jesùs-Rafael Soto, Anish Kapoor correspondent mieux à mon attente. L'une des pièces maîtresses est la réplique du Labyrinthe du GRAV (groupe de recherche d’art visuel) créé en 1963 pour la Biennale de Paris, œuvre collective de Horacio Garcia Rossi, Julio Le Parc, François Morellet, Francisco Sobrino, Joël Stein, Jean-Pierre Yvaral. Y pénétrer fait partie du jeu, terme qui colle immanquablement au thème de l'exposition. Le ludisme est l'un des moteurs de l'art optique, manière facétieuse de marier la lumière et le mouvement. Terminer avec les pionniers Duchamp, Calder, Delaunay, Eggeling, Richter, Kupka, Ruttmann, Moholy-Nagy, etc. est une excellente idée. Il vaut souvent mieux jouer sur le plaisir de la découverte pour sortir plus tard la carte pédagogique !
Dehors la sculpture de brume de Fujiko Nakaya qui a envahi le bassin est bien dans le bain de cette exposition qui devrait ravir petits et grands (jusqu'au 22 juillet).

Ann Veronica Janssens Bluette, 2006 / Nicolas Schöffer Le Prisme, 1965
Photos JJB © Adagp, Paris 2013

mercredi 13 mars 2013

Tombe la neige


Jean-Pierre chante le vieux tube d'Adamo pour nous donner du courage. Il faut rejoindre la 4x4 en nous enfonçant dans la neige jusqu'au dessus du genou pour aller faire le marché en bas dans la vallée. Mais passerons-nous ?
Ces derniers jours Christian et Christophe avaient fait marcher la dameuse pour dégager le chemin, mais ça tombe dru depuis cette nuit. La chatte Poussière refuse de se mouiller les pattes et reste avec nous à la maison où il fait bon chaud. Les deux premiers jours Françoise et Jean-Pierre ont dévalé les pistes pendant que Michèle et moi bouquinions. Nous n'avons encore aucune idée de ce que les prochains jours nous réservent, d'où l'importance de faire des provisions !

vendredi 8 mars 2013

Déconnexion


Si l'on se fie à la photo envoyée par Adriana la grange est sous la neige. D'après d'autres témoignages il y aurait 1,50 m de poudreuse, bonne nouvelle pour les skieurs, mais légère angoisse à mon petit niveau. Je mesure à peine 20 cm de plus! Comment allons-nous atteindre la maison ? Les fenêtres sont enfouies et il va falloir pelleter pour dégager la porte dont les cadenas sont certainement gelés. Chargés de nos affaires personnelles et des provisions pour tenir une dizaine de jours nous risquons de nous enfoncer jusqu'au cou à notre arrivée. Comme tout le reste de l'équipement, les raquettes sont dans la grange ! Dès que nous aurons réussi à nous faire un chemin et à pénétrer à l'intérieur il faudra encore pomper l'eau depuis la source en espérant que le tuyau n'est pas gelé. Françoise me répète de ne pas m'en faire, que c'est comme au Canada, sauf qu'eux là-bas sont équipés et organisés pour ce genre d'expédition ! Je soufflerai quand nous aurons de l'eau au robinet et du feu dans l'âtre... Je pourrai alors jouir du paysage et de cette halte salutaire, loin d'Internet et du téléphone. Bien au chaud et au sec, la bande d'Odeia en profite pour enregistrer son album à la maison en notre absence. En regard de ce qui nous attend dans les Pyrénées toute inquiétude à ce sujet ne peut avoir de prise ! Retour à la civilisation le 18 mars.

P.S.: j'ai fermé les commentaires pour ne pas avoir à effacer un par un plus d'un millier de spams à mon retour. Je n'ai hélas trouvé aucune parade efficace sur DotClear 1.2.5. En cas d'irrésistible envie de m'écrire vous pouvez tenter jjbirge(at)gmail.com que je relèverai peut-être si nous descendons dans la vallée...

lundi 18 février 2013

Apprivoisé


Il faut parfois du temps pour se laisser apprivoiser par un chat. À la maison, Scotch m'enjambe tous les matins, sans aucune reconnaissance du ventre puisqu'il va s'allonger sur celui de Françoise après m'avoir marché dessus alors que c'est moi qui lui donne le plus souvent à manger. À Saint Clément de Rivière il nous aura fallu de nombreuses années avant que NaNob vienne me faire un gros câlin en ronronnant. Il est vrai qu'à remuer tout le temps je ne dois pas être très rassurant. Je me demande aussi si le fait que Scotch est un mâle et NaNob une femelle ne participe pas à ces jeux croisés. J'y mets pourtant du mien, persuadé de parler quelques rudiments de langage félin. Bernard m'avait appris à insulter dans leur langue et Lupin m'avait sauté ce jour-là à la figure, phénomène qui ne s'est jamais reproduit car j'évite désormais de regarder un chat dans les yeux en faisant mine de gratter le sol comme si j'enterrais mes crottes. Le reste est essentiellement question de ton, même si nos amis comprennent parfaitement certains phonèmes ou quelque enchaînement de syllabes, surtout s'il s'agit de leur nom. Sinon j'essaie de transposer comme je le fais lorsque je feins de parler une langue étrangère dont j'ignore presque tout. Mon intérêt pour les autres cultures que la mienne m'aident considérablement dans mes tentatives de dialogue. J'étais si content que NaNob vienne partager ma sieste que j'ai attrapé l'iPad et immortalisé ce délicieux moment. Le lendemain la chatte a passé sa journée sur Françoise, contrariant ma théorie.

mardi 25 décembre 2012

Le pâté magique (reprise)


En cette période de fêtes diminuée de ce que les nantis appellent la crise pour camoufler leur goinfrerie au détriment du plus grand nombre, le foie gras n'est pas à la portée de toutes les bourses. Aussi redonnerai-je la recette de mon célèbre pâté, recette que je tiens de ma camarade Brigitte Dornès, et qui me vaut chaque fois tant de félicitations, nombreux convives le comparant à la gâterie évoquée plus haut. Toute proportion gardée, voilà donc facile, bon marché et du plus bel effet gustatif :
1. Faire cuire 500g de foies de volaille dans du vin blanc (il m'est arrivé de les remplacer par du foie de lapin et c'était drôlement bon, j'avais ajouté aussi une cuillerée à soupe de miel, miel que j'avais moi-même mis en pot à La Ciotat où le papa de Françoise possède quelques ruches).
2. Dans un mixeur, broyer les foies égouttés avec 400g de beurre salé, un peu de poivre, un petit verre de cognac, et le tour est joué ! A partir de là, on peut imaginer toutes les variations, en remplaçant le cognac, en ajoutant des herbes, etc.
3. Mettre le résultat au frigidaire, attendre 24 heures, ce méli-mélo peut se conserver facilement une ou deux semaines, mais il est très rare qu'un de ces pâtés vive aussi longtemps... Attention, c'est riche ! Mais tellement bon, vous n'en reviendrez pas et perdrez votre appétit d'oiseau, ne pouvant faire autrement que d'y revenir. Succès assuré. Cela fait 30 ans que je récolte les compliments de mes invités et qu'on me demande la recette. C'est si facile que c'en n'est pas croyable.
Bon appétit et joyeuses fêtes !

mercredi 19 décembre 2012

Playing with the Dead de Pierre Bastien


À l'issue de chaque représentation de Pierre Bastien, les photographes amateurs envahissent la scène, le public se pressant autour du Mecanium pour admirer ou comprendre l'orchestre miniature que le musicien améliore ou transforme petit à petit depuis 1977.
Lors d'une historique nuit des solos au Théâtre Mouffetard, Pierre expérimenta sa première machine construite avec des éléments de Meccano tandis que le trio d'Un Drame Musical Instantané détournait le programme, Francis Gorgé cachant Bernard Vitet et moi-même d'un ample drapé sous lequel nous jouions à deux sur un saxophone rallongé, Bernard au bec, mes mains actionnant les clefs. L'année précédente, nous participions tous à Opération Rhino pour un concert de soutien à la clinique anti-psychiatrique de La Borde ; c'était la première fois que je rencontrais Pierre et Bernard, mais aussi Jac Berrocal et Daunik Lazro au milieu d'une dizaine d'autres allumés. Je retrouvai Pierre en 2009 au Musée des Arts Décoratifs pour Musique en Jouets, il présentait un petit ensemble de machines musicales tandis que dans l'autre salle s'ébrouaient les cent lapins de Nabaz'mob. Si nous nous vîmes à d'autres occasions, ces trois dates marquent des jalons notables de nos deux parcours parallèles. Aussi étais-je ravi d'aller assister hier soir au spectacle Playing with the Dead au Théâtre Berthelot à Montreuil, lieu qui vit la création du grand orchestre du Drame en 1981, notre premier grand succès, et plus récemment la création de Dépaysages avec Perconte, Segal et Hoang.

Pierre Bastien, accompagné du batteur Steve Arguëlles au phrasé toujours aussi élégant et du jeune bassiste néerlandais Bruno Xavier Ferro da Silva dont le swing rappelle la période électrique de Miles Davis, a enrichi son orchestre automatique miniature deux lecteurs DVD passant en boucle de courts extraits d'archives musicales. Les images de ces films se mêlent sur le grand écran aux captations en direct du Meccano tandis que leur bande son s'intègre au trio. Lors du rappel, l'incessante rythmique quasi technoïde devient lyrique sous les pistons de la trompinette de Pierre Bastien. Excellente soirée, d'autant que je n'avais pas revu Steve Arguëlles depuis belles lunettes, et que je garde un souvenir mémorable de sa prestation sur le CD Machiavel. Dans la salle, je ne fus pas surpris de croiser David Fenech, Vincent Epplay ou Ravi Shardja...

Alors qui rencontrerons-nous ce soir mercredi ? Car nous retournons au même endroit assister à la projection des premiers films de Jean-Denis Bonan dont Françoise fut l'assistante et dont je fus l'élève au montage lors de ma première année d'études à l'Idhec. Cerise sur le gâteau de cette semaine du bizarre à Berthelot, Bernard Vitet, qui ne pourra hélas pas être des nôtres pour raison de santé, composa en 1968 la musique de La femme-bourreau, l'un des deux films inédits de Jean-Denis proposés par Choses Vues à 21h. Comme hier soir l'entrée est gratuite, mais il est prudent de réserver.

jeudi 6 décembre 2012

L'organe vital


On parle parfois d'organe pour évoquer la voix sans que celui-ci soit scientifiquement répertorié. Comment alors évoquer le répertoire de la chanteuse Dominique Fonfrède sans aborder l'organe, étymologiquement, l'instrument, l'outil ? Le public plongeant les yeux fermés dans son gosier y vit sans aucun doute un remake de L'aventure fantastique de Richard Fleischer, voire, avec l'esprit caustique de la cantatrice, son double déjanté, Le voyage intérieur de Joe Dante. Dans ces deux films un être humain miniaturisé est injecté dans le corps d'un autre. C'est le sujet transposé psychologiquement de l'un des délires schizophréniques qu'elle interprète avec un humour dévastateur. Les spectateurs qui ne se tordent pas de rire en restent bouche bée. Le burlesque à la Jacques Tati alterne avec des logorrhées délirantes où les mots dégringolent comme des dominos jusqu'à la mort d'Irène. On frise l'absurde, mais la Fonfrède nous ferait avaler n'importe quoi, ou n'importe qui, la cannibale ! À tour de rôles, elle éructe, minaude, bégaie, transforme son personnage comme Alec Guiness dans Noblesse oblige. Yoyo, elle retombe en enfance ou s'enfonce du côté d'Alzheimer. Au carrefour européen des impossibles on n'a plus le choix, le tête nous tourne, dépoussiérée. Sa voix mise à nu par ses inspirateurs, même.
Françoise Toullec, femme-orchestre à la tête de son piano préparé, jouant sur les rythmes et les timbres, laisse Dominique Fonfrède libre comme l'air d'improviser mélodiquement car son fil est avant tout dramatique, comme toutes les grandes chanteuses. La pianiste appelle son art "brut" quand elle frappe les touches après avoir inséré dans les cordes gommes et baguettes qu'elle retire au fur et à mesure de Dramaticules, spectacle où la voix déborde la parole et le piano son meuble. Lorsque ça s'arrête il y en a partout. On part avec.

jeudi 29 novembre 2012

Oui


Le mariage m'est toujours apparu comme la caution sociale d'une union entre deux personnes, sans évoquer la pression perverse qui verrouille la rébellion. L'amour n'a pas grand chose à y gagner. La confusion est courante et produit quantité de quiproquos, comme celle entre le sexe et l'amour. Les liens existent, mais les us et coutumes nous emprisonnent dans un fatras facilement inextricable pouvant se transformer en chaos. Le bonheur, ou plus exactement la randonnée vectorielle qui le cible, est une affaire très personnelle, souvent éphémère si l'on n'y prend quotidiennement garde, un leurre pour celles et ceux qui ont confondu les termes, une chance pour celles et ceux qui ont adopté le partage comme base de toutes les relations humaines. Mes sous-entendus sont évidemment lourds de sens, mais je ne vais pas rédiger ici une thèse sur le sujet.
Elsa avait trois ans lorsque sa mère et moi nous sommes mariés. La loi était différente et je n'avais jusque là aucune autorité parentale en cas d'accident, de sa maman ou de notre fille. Il eût fallu passer devant un juge, alors autant prendre rendez-vous avec le maire ! Plus le mariage est simple, moins le divorce est pénible. Dix ans plus tard, Michèle et moi nous sommes séparés à l'amiable avec la même avocate, et nous sommes restés amis.
Après quelques années de purgatoire, d'erreurs de casting, d'amours contrariés, j'ai rencontré l'amour de ma vie, entendre celui de la maturité. Nous fêterons bientôt notre dixième anniversaire et mes sentiments n'ont fait que se fortifier avec le temps. Nous nous sommes donc mariés hier, sans cérémonie puisque nous préférerons fêter notre amour aux contrats et autres testaments certifiés. Ma démarche n'est pas inspirée par le présent, mais par ce que l'avenir nous réserve, la garantie d'éternité pour celle ou celui qui survivra. Elle est aussi éminemment symbolique pour d'autres raisons plus intimes où les sentiments font cocktail avec la psyché. Une chose est certaine je suis extrêmement heureux de vivre avec Françoise et j'espère que notre mariage n'y changera rien, puisque j'essaie déjà chaque jour de m'améliorer un peu. Youpi !

P.S.: coïncidence (du sujet !), le soir, au Théâtre du Vieux-Colombier, nous assistons à la comédie de Corneille La place royale avec les acteurs de La Comédie Française remarquablement mis en scène par Anne-Laure Liégeois. Denis Podalydès et Elsa Lepoivre font passer les alexandrins avec une maestria époustouflante comme toute la troupe participe à rendre claires la complexité des sentiments et la perversité des enjeux.

mardi 23 octobre 2012

Court-circuit, en duo avec Ravi Shardja


Une femme se plaint que l'électricité de l'appartement où elle vit est complètement à refaire. Son budget ampoules est colossal. Elle doit les changer tous les quinze jours. Comme nous pestons contre les ampoules soit-disant économiques dont la lumière blafarde donne une allure morbide à ce qu'elles éclairent, encore une belle arnaque, et que nous complimentons l'ambre clair de son lustre, elle nous révèle qu'elle achète ses ampoules à filament en Angleterre, car même en Allemagne elle a du mal à en trouver. Françoise s'étonne que cela fonctionne car les Anglais sont toujours en 110 V. La femme nous assure que cela n'a pas d'importance, mais que la mauvaise qualité de l'installation les fait claquer sans arrêt. Sceptique, je me renseigne. Il m'est confirmé que le moindre court-jus ferait disjoncter tout l'appartement ou du moins sauter l'un des fusibles. Je suis étonné que son bricolage tienne quinze jours, le 220 V grillant les bulbes british comme qui rigole.

J'ai attendu six mois pour annoncer Court-circuit, le dernier album enregistré au Studio GRRR, un duo improvisé avec Ravi Shardja (écoute et téléchargement gratuits). Avant chaque publication je demande évidemment le feu vert des musiciens avec qui je travaille. Cela prend parfois du temps. Ravi avait apporté sa mandoline électrique et un mélodica. La musique du groupe Gol, dont il fait partie, me ramène aux premières années d'Un Drame Musical Instantané, bricolage inventif un peu destroy. En enregistrant je pense au jeu du roman de Cocteau, Les enfants terribles, dont Jean-Pierre Melville tourna l'adaptation. À la fois tendre et cruel. La photo de la pochette prise au garage me soufflera le titre des cinq morceaux : Monocycle, Deux roues, Sur trois pattes, Déviation, Ex Aequo. La progression est évidente. Si ce 20 avril 2012 est électrique j'ai l'impression d'entendre deux écureuils galopant imperturbablement chacun dans sa roue motrice. Et ça roule !

vendredi 12 octobre 2012

Prendre les voiles ?


Coups de fil et administration m'empêchent de composer. Je suis vidé. Françoise prend des billets pour le sud, mais pas avant le nouvel an. Je sonne creux. Nicobuq me demande d'améliorer les sons de couvercle en métal pour Leonardo, pas de problème, la Machine à rêves prend forme. J'appelle le Palais pour enregistrer la salle des pas perdus. Nombre d'amis m'apprennent qu'ils n'auront plus un sou à la fin du mois. Je compte mes billes. Le Sénat autorise la ratification du projet de loi sur le traité budgétaire européen. Je me sens mal. Le gouvernement, prétendument de gauche, continuera évidemment de taxer le travail, mais pas le capital. Je me demande combien de temps ça va durer. Le patronat, les entreprises, les collectionneurs d'art ont gain de cause, pas le peuple. J'enrage. À défaut de faire la révolution là tout de suite, il faudrait pouvoir rêver. Je n'avais pas identifié la cane sur son nid lorsque j'ai photographié le bateau pirate.

vendredi 5 octobre 2012

Dérapage contrôlé (2)


La cinéaste Françoise Romand a mis en ligne sur Vimeo la version intégrale de Dérapage contrôlé tourné à Agen en 1994, douze minutes étonnantes et intemporelles réalisées avec humour et plein d'espoir. Dans les studios du Florida répètent plusieurs groupes de jeunes musiciens. Une élue de droite, à l'origine du projet, tient un discours d'une intelligence rare dans le monde de la culture tandis qu'un de ses collègues du même parti rabâche de vieux clichés de classe.


En mai 2006 j'avais signalé ici-même la version courte publiée sur YouTube, mais avec le recul, plus de quinze ans après les faits, la perspective historique rend le film encore plus actuel que jamais. Il y a deux sortes d'œuvres, les millésimées et celles dont la date de péremption est inscrite sur le couvercle. Depuis Mix-Up ou Méli-Mélo, tous les films de Françoise (DVD ou VOD sur UniversCiné) se bonifient avec le temps...

La cinéaste termine actuellement un film sur les afficheurs Ella et Pitr et travaille à une comédie de long métrage...

dimanche 30 septembre 2012

Une vie


Nous étions près de 100 000. Il faisait beau. Françoise s'était fabriquée une petite pancarte : "On a une seule vie. Ici. Maintenant." C'était sans compter les années de lutte qu'on a derrière soi puisque l'on ne peut rien présumer de l'avenir. Mais on ne vit pas sur le passé. Ici, dans le contexte de la manifestation pour une Europe solidaire contre le Traité de l'austérité, la phrase revêt tout son sens. Déplacée, par exemple dans un paradis fiscal, elle aurait pu renvoyer au cynisme des quelques riches qui dirigent la planète. Ici, c'est la partager avec 98% de la population dont une grande partie est encore suffisamment endoctrinée par les grands médias pour voter contre ses intérêts. Maintenant, ce n'est pas tergiverser en repoussant les urgences au calendes grecques. Les états continuent de s'endetter en empruntant à des taux d'usure aux banques privées qui, elles, ne versent que 1% à la Banque Centrale. Les pauvres seront plus pauvres. Les riches plus riches. La crise plus critique. Et la calotte glaciaire continue de fondre, plus vite que nos économies.

samedi 22 septembre 2012

Souvenir de Luc Barnier


Les morts se suivent, mais ne se ressemblent pas. C'est pourtant toujours la même histoire. Cet été naissent quantité de bébés tandis que les vieux tirent leur révérence. Luc Barnier n'avait que 58 ans, mais le crabe l'aura emporté malgré son ardent combat. Il y a deux ans je lui avais envoyé des photographies de famille retrouvées dans mes archives. À l'origine nous les avions agrafées dans les toilettes de l'appartement où nous vivions en communauté avec Michaëla Watteaux et Antoine Guerreiro, juste après avoir quitté nos parents respectifs ! Luc y est resté deux ans et demi, soit presque toute sa scolarité à l'Idhec. Il m'avait appelé pour me remercier pour les photos. Je me souviens, j'étais dans mon bain, il m'a résumé les trente ans où nous avions cessé de nous voir et m'annonça sa maladie. Nous étions restés brouillés après une sombre histoire de répondeur. Je l'avais juste croisé à un concert de John Zorn.

J'ai malgré cela toujours gardé une certaine tendresse pour ce jeune homme habillé tout de noir qui avait décoré sa chambre kitschissime avec des objets du culte comme on le voit dans une séquence de La nuit du phoque que j'avais tourné en 1974. Il avait rejoint notre équipe du light-show H Lights et participa dès lors à toutes ses créations. Ce sont les souvenirs de notre adolescence, les expériences tous azimuts, sex, drugs and rock 'n roll, mais aussi la lumière et le cinéma. La lumière avec le Light-Book que son père avait réalisé à son imprimerie Union, le cinéma puisqu'il devint l'un des monteurs français les plus prisés, travaillant avec Olivier Assayas, Benoît Jacquot, Anne Fontaine, Youssef Chahine, Amos Gitaï, Yousry Nasrallah, Gabriel Aghion, Valérie Lemercier ou Dany Boon... Il avait monté aussi bien Carlos que Bienvenue chez les Ch'tis ! Nous nous étions connus au Lycée Claude Bernard. Il me remplaça au light-show après mon premier concert en tant que musicien. Nous posions pour Thierry Dehesdin dont j'ai recadré deux photos pour ce billet afin d'alimenter les récits que nous projetions sur grand écran. C'est lui, le barbu aux cheveux longs, et celui que la mort amène à la grille dans une mise en scène grotesque comme nous en pratiquions en 1970 !


Il a rejoint les camarades de cette époque tous disparus trop tôt. Marc Lichtig, Philippe Labat, Éric Longuet, et surtout Bernard Mollerat avec qui je faisais équipe à l'Idhec et qui avait remplacé Antoine dans notre communauté du 88 rue du Château à Boulogne-Billancourt. Je revois Luc voûté sur les Leitz et battant des mains devant leurs objectifs pour animer les images, retrouvant ainsi la magie du pré-cinéma. J'entends son rire grave quand nous étions défoncés. Les souvenirs de Nibelle où ses parents possédaient une maison remontent soudain. Les répétitions de nos spectacles multimédia. C'est un peu de cette jeunesse qui meurt avec lui. Françoise m'avait plusieurs fois exhorté à l'appeler pour que l'on se voit. J'ai trop attendu.
Une vague de tristesse m'a emporté en fin de soirée...

vendredi 7 septembre 2012

Françoise Romand sur UniversCiné


La plateforme UniversCiné offre des centaines de films indépendants en VOD (vidéo à la demande). Cette initiative originale s'agrémente d'un beau travail rédactionnel accompagnant les films à l'image des bonus d'un DVD, proposant photos, articles de presse, entretiens inédits avec les réalisateurs, etc., cela en libre accès, permettant de faire son choix parmi les pépites dont la distribution en salles est souvent négligée. De plus en plus de spectateurs optent pour ce nouveau mode de consommation lorsqu'ils ne sont pas attachés à l'objet physique du DVD.
Ainsi, en juin dernier, Philippe Piazzo et Pierre Crezé ont rencontré Françoise Romand qui évoque en vidéo ses films Mix-Up ou Méli-Mélo, Appelez-moi Madame, Ciné-Romand et Thème Je. Dans un second temps la cinéaste présente six films qu'elle a choisis dans le catalogue UniversCiné : Les Petites Marguerites de Věra Chytilová, Home d'Ursula Meier, Solutions locales pour un désordre global de Coline Serreau, Les Habitants de Alex Van Warmerdam, Adieu, plancher des vaches d'Otar Iosseliani et Satin Rouge de Raja Amari, avec extraits à la clef. Quatre femmes sur les six réalisateurs sélectionnés pour une bonne dose de fantaisie et de saine provocation !

Nouvel entretien mis en ligne le 11 septembre, cette fois sur Thème Je.

jeudi 30 août 2012

Chou blanc


Il y des jours où il vaut mieux rester couché, me suis-je dit pour avoir consulté la météo. Jean-Claude a réveillé Françoise à 4h25 ce matin pour être au port à 5h, car il faut être en mer lorsque le soleil se lève, moment précis où le poisson mord. Lever du soleil ou coucher sont les heures stratégiques. Pour une fois j'ai décliné l'invitation et me suis rendormi avec le chat Scotch à mes pieds. La pluie s'est aussitôt mise à tomber pour ne plus s'arrêter. Sur la Méditerranée les éclairs zébraient le ciel. J'aurais pu faire de jolies photos. Françoise et son papa sont rentrés à 9h trempés jusqu'aux os, avec un malheureux sévereau dans le seau. Habituellement, lorsqu'ils rentrent tard, c'est que la pêche est miraculeuse. Les pauvres se sont acharnés sans succès sur les traînes. Pourtant les bancs sont là, je les ai vus avec mon masque, mais la réussite d'une pêche est un mystère. Nous profiterons de cette journée "pourrie" pour faire une virée à Marseille, par la route cette fois ! Il fera beau demain.

jeudi 19 juillet 2012

Improvisation sur iPad


En voyage j'emporte toujours quelques petits instruments de musique si l'occasion se présente, mais les guimbardes sortent rarement de ma trousse de toilette. Chez Birgitte j'ai tapoté du piano-jouet et du pianet, une sorte de petit piano droit de six octaves et demie, mais nous n'avons pas eu le temps de jouer ensemble, plus enclins à la promenade cycliste. À la lecture du compte-rendu de ses concerts, Claus Kaarsgaard m'a proposé de me joindre au trio formé avec le guitariste Christian Frank et le batteur Carsten Landors pour leur dernier concert de la saison lors du Festival de Jazz de Copenhague. Un peu démuni, j'ai accepté grâce aux applications que j'avais téléchargées sur l'iPad, en particulier les clones virtuels de deux de mes instruments fétiches, le Tenori-on et le Kaossilator. Mettez un i devant leur nom et le tour est joué, la transposition sur iOS ne reflétant pourtant jamais exactement l'instrument original. Avec ses 730 grammes stockant un nombre incroyable de données et de logiciels, la tablette est devenue mon nouveau couteau suisse, même si elle ne remplace pas l'ouvre-boîtes ou les lames acérées. On est loin de l'époque où le trio d'Un Drame Musical Instantané voyageait avec un Espace bourré jusqu'au plafond. Le matin du concert j'ai donc travaillé quelques timbres me semblant pouvoir coller avec le jazz en dentelles des trois orfèvres.


J'avais également préparé quelques timbres avec les applications de synthétiseur virtuel Synth, SynthStation et Tabletop, mais je me suis servi essentiellement du iKaossilator dont la souplesse, on pourrait dire le gameplay (la jouabilité), m'offre de laisser courir mes doigts intuitivement pour m'intégrer aux compositions très structurées de mes camarades de jeu. Ajoutez les trois guimbardes et j'étais paré à toutes les éventualités. Une toute petite, classique, et deux plates, achetées en Italie il y a trente-cinq ans, qui me permettent d'articuler des mots ou de souffler sans les pincer. J'ai pu ainsi interpréter quelques chorus bien déjantés avec les deux pouces sur l'iPad et me fondre dans les structures rythmiques avec les guimbardes. Françoise mettra probablement en ligne un extrait à réception du film laissé au Danemark. Je vais donc continuer à travailler l'option iPad qui pourrait me permettre à l'avenir d'honorer d'autres invitations impromptues, car l'expérience fut une véritable partie de plaisir !

Photo du quartet © Birgitte Lyregaard

mardi 17 juillet 2012

Utopie urbaine de Christiania


À l'état de Françoise après deux bouffées on peut affirmer que la commune de Christiania propose définitivement le bon produit. Après un délicieux et revigorant déjeuner végétarien au Morgenstedet nous avons réenfourché nos vélos pour un tour et demi-tour du lac, histoire de faire une dernière promenade avant l'envol back home. Nous avons pu ainsi admirer la liberté de construction dont jouissent les habitants. Cela tient du bricolage, du système D et d'une imagination débridée. D'anciens bâtiments de l'Armée sont restaurés, on trouve beaucoup de maisons en bois contrairement à la ville de Copenhague, d'autres font des expériences avec du verre, de la résine ou de la terre herbeuse.


Il n'y a que dans Pusher Street que les photos sont interdites. Pourtant les étalages sont attrayants avec leurs petites étiquettes aux noms évocateurs de paradis pas si lointains, mais pour le coup artificiels. Ailleurs je me fais discret lorsque j'appuie sur le bouton. Le vent souffle dans les arbres. Le silence est une des caractéristiques de Copenhague. Hormis quelques rares grands axes, pendant toute la semaine on se serait cru un dimanche ! Même pas l'ombre d'un policier dans toute la ville au bout de huit jours, sauf une sortie nocturne "à l'américaine" avec phares bleus et sirènes de quatre voitures se suivant à fond la caisse et demi-tour penaud à peine deux minutes plus tard, style on existe, cette alerte ressemblant plutôt à la parade de Buffalo Bill ! Une ville et des gens très cool, qu'on vous dit... Cela ne signifie pas qu'il ne se passe rien. Le fait-divers local met en scène un jeune afghan à peine naturalisé, retrouvé un matin dévoré par les tigres du zoo sans que l'on sache s'il s'agit d'un suicide, d'un accident ou d'un règlement de comptes. Bon début pour un polar nordique !

vendredi 13 juillet 2012

Jazz et cycles


Ici le vélo est vraiment le moyen de locomotion idéal. Nous avons fait un tour à Nyhavn ; le port est très joli, mais trop touristique. La vie semble très cool à Copenhague. Stress peu apparent. Cela se voit à la manière courtoise de conduire. De plus, la semaine du Festival de Jazz il y a des dizaines de concerts partout dans la ville, dans les cafés, les clubs, les églises, les jardins, les places en plein air...


Nous sommes allés écouter, entre autres, Claus au Tango y Vinos. Il jouait avec un autre Claus, le sax ténor Claus Waidtløv, et le batteur très Roachien Morten Hæsum. Notre Claus Kaarsgaard joue de la contrebasse dans quantité d'orchestres.


Le lendemain dans l'arrière-boutique de Home Made Records il accompagne le guitariste Christian Frank avec le batteur Carsten Landors pour une musique inventive, toute en nuances, un petit bijou Frisellien ciselé à la main. Claus sillonne la ville avec l'énorme instrument dans son tricycle. On adorerait avoir une poussette comme la sienne, mais l'étroitesse des rues parisiennes, des couloirs pour les vélos et surtout les côtes s'y prêtent mal. C'est pourtant pratique pour faire les courses.


Malgré cela, notre expérience shopping est plutôt ratée. Françoise a acheté un joli Thermos vert pomme de marque Alfi ; comme l'objet fuit elle le rapporte à Illum où le vendeur refuse catégoriquement de le changer ou de le reprendre parce qu'il n'est pas stipulé dans la garantie qu'il ne doit pas fuir ! Il aurait bien fait l'échange si Françoise ne l'avait pas rempli d'eau !! Pendant une demie heure le vendu à la cause de son patron accumule les arguments de mauvaise foi avec un sourire indéfectible. Nous abandonnons en lui rappelant que, faute d'humanité, un de ces jours il sera remplacé par une machine. Moralité : n'achetez pas au grand magasin Illum, attrape-nigauds garanti (for English readers: just don't buy at Illum!).
Nous rentrons dîner dans le quartier de la maison, un Thaï succulent. Sinon nous dégustons poissons fumés, frits, à la vapeur ou crus. La vie est très chère au Danemark, plus qu'en France. La crise économique ne semble pas encore avoir atteint le pays. Comme les Anglais, les Danois ont choisi de conserver leur couronne plutôt qu'adhérer à l'euro tout en participant à l'Union Européenne. Nous avions une petite idée du Danemark grâce à deux séries télévisées projetées récemment, le cultissime Matador et les deux saisons de Borgen.

mardi 5 juin 2012

Performance improvisée - 4e mouvement


Dernier des quatre extraits, "Ce que l'on souhaite" affirme le rôle de chacun ce soir-là. À hurler dans le Zube Tube j'en perdrai la voix. Claudia Triozzi poursuit son rôle dramatique tandis que Sandrine Maisonneuve joue de tous les muscles de son corps avec humour et légèreté. Vincent Segal passe du coq à l'âne avec un esprit d'à propos époustouflant. Les trois lieux où mes instruments sont placés m'obligent à des traversées de l'espace scénique que j'effectue chaque fois avec un instrument portable, cloche tubulaire, Kaossilator sur haut-parleurs miniatures, flûte transparente, réverbération acoustique à ressort, etc. Une heure plus tard, nous avons l'impression qu'à peine dix minutes se sont écoulées.


Voir également les 1er, 2e et 3e mouvements.

L'after se déroulera jusque tard dans la nuit avec les cent lapins de Nabaz'mob en répétition chez nous au premier étage (ils seront samedi et dimanche à la Gaîté Lyrique) et une foule d'amis et de gens que nous ne connaissions pas dans le jardin sous une douce température estivale. J'ai demandé à Françoise Romand d'affiner le montage que j'ai préparé du film qu'elle a tourné, histoire de partager notre euphorie avec les absents. Quatre petits tours et puis s'en vont.

mercredi 30 mai 2012

Téléromand en 16 films


À l'issue de quatre mois de résidence dans le nord de la France, Françoise Romand a monté 16 courts métrages dont seulement 6 sont actuellement visibles en ligne pour des questions de droits. Le contrat stipulait un geste artistique sans qu'il soit forcément suivi d'une réalisation. Intervenant auprès d'enfants et d'adultes des villes de Tourcoing, Roubaix, Villeneuve d’Ascq et Wattrelos de novembre 2011 à février 2012, la réalisatrice leur a fait jouer des scènettes en fonction de leurs choix et de leurs aptitudes. Par le montage et la confrontation avec la musique qu'elle a pioché sur drame.org elle a expérimenté le no (wo)man's land qui est sa marque de fabrique, entre documentaire et fiction. Les participants des huit écoles et de l'Institut Lillois d'Éducation Permanente se sont pris au jeu et les portraits ont acquis une gravité en apesanteur. Téléromand est devenu un laboratoire où, dans un premier temps, la complicité avec les protagonistes fut l'axe central et où, au montage, les pièces interprétées par Sacha Gattino, Alexandra Grimal, Antonin-Tri Hoang, Brigitte Lyregaard, Vincent Segal et moi-même ont infléchi le sens, produisant une distance analytique ou accentuant les intentions dramatiques.


Les six vidéos en ligne ne nécessitant pas de mot de passe pour être visionnées sont La caméra change de main qui fut projetée pendant deux mois à La Condition Publique en marge de l'installation Terres arbitraires de Nicolas Clauss, Mix-Up Remix où les enfants rejouent une scène du célèbre film de Françoise Romand de 1985, Variations sur les émotions 1 et 2, Chacuns et Éblouissement.

lundi 28 mai 2012

Portée


Les petits sont arrivés sur le fil comme une bande de hooligans. Françoise Romand a dégainé sa caméra. Mes commentaires l'agaçaient. Ne pouvais-je me taire ? La voix humaine, hors-champ, souligne pourtant la perspective. Comment échapper au cliché animalier YouTube ? Françoise a monté le morceau que Bernard Vitet et moi avions enregistré à l'été 1976, au tout début de notre collaboration qui allait durer trente-deux ans. Celle avec Françoise date de bientôt dix. Le violon, la contrebasse à tension variable et l'orgue à bouche se mélangeant aux piaillements et aux bruits d'ailes, l'évocation commune de la portée est devenue une réalité langagière bien que ce Poison soit paradoxalement une musique non écrite. Tout le monde fait semblant, les oiseaux, nous, Françoise, les spectateurs. Envie d'y croire. L'anthropomorphisme fait le succès des plans-séquences qui inondent la Toile. Retour à l'envoyeur. Les oiseaux ont donné corps à notre dialogue ornithologique. Clip.

lundi 7 mai 2012

Résistance


Qu'ajouter au concert de klaxons ? Espérer la prison à la bande de malfrats qui avait kidnappé notre pays ? Ils ont le nez dans leurs valises. Mais de fête, impossible ! J'avais joué les rabat-joie le 10 mai 1981 alors que François Mitterrand rimait avec nationalisations, abrogation de la peine de mort, 1% du budget à la culture, etc. On en est si loin avec François Hollande, voire son double, François Bayrou. François, François et François. À croire que leurs parents les destinaient tous les trois à servir la république. La sociale-démocratie m'a toujours débecté. Je ne peux me réjouir du résultat des urnes. Tout le travail reste à faire. Ces élections n'auront été qu'un réajustement logique des forces en présence. La crise qui s'avance demandera des solutions plus radicales. Les décisions se prendront dans la rue et les révolutions devront germer sous les crânes. La création est une des manières de répondre aux métastases qui ont gagné les cerveaux les moins informés, ou les plus désinformés, en tout cas déformés.


En addendum au billet de jeudi voici une nouvelle vidéo de la "musique d'ameublement" improvisée lors de l'inauguration du Grand Réinventaire le 18 avril 2012 au Triton. J'ai réalisé ce petit montage de cinq minutes à partir de ce que Françoise Romand avait filmé. Merci à Ève Risser et Antonin-Tri Hoang de m'avoir rejoint ce soir-là pour imaginer une musique qui s'échappe des chemins officiels. Pour que les idées se transforment il faut aussi s'attaquer aux formes. Rêver est l'une des composantes du succès. La libération passera par l'éclatement des consciences. Avec l'accès au savoir, la poésie en est la meilleure garante. Démystifiant les discours les plus convenus elle fait entrer l'impossible dans le réel.

jeudi 19 avril 2012

Les Allumés, politique et numérique


« Les Allumés du jazz sont le seul journal de jazz à maintenir un point de vue politique sur cette musique », écrivait Francis Marmande dans Le Monde Diplomatique de décembre 2004. Avec l'arrivée du printemps et le regain d'intérêt des Français pour la politique, bien que les grands médias nous serinent douteusement le contraire, faisant scandaleusement l'impasse sur le mouvement de résistance qui grossit de jour en jour, il est agréable de constater que le journal de l'association de 58 labels indépendants de jazz et (le plus souvent) assimilés consacre presque tout son numéro 29 à des musiciens engagés et à des réflexions replaçant la musique dans son contexte social et politique. Passé les témoignages des musiciens grecs Thamos Lost, Dimitra Kontu et Kostas Tzekos, ainsi que du professeur Nicolas Spathis, sur les arnaques dont leur pays fut la cible et qui préfigure ce qui nous attend, on souhaiterait un dossier plus complet sur leur paysage musical, mais le canard de 28 pages est déjà bien rempli. L'éthique titille les producteurs Jean-Louis Wiart et Jacques Oger, le saxophoniste François Corneloup et le disquaire Olivier Gasnier ; l'équipe du journal titille Daniel Yvinec, directeur artistique de l'Orchestre National de Jazz ; la Garde Civile espagnole titille Larry Ochs sur ce qui est jazz ou pas, question que se posent aussi les précédents contributeurs cités ! Suit un gros dossier sur le scandale de la création du Centre National de la Musique (CNM) par un ministre de la culture sur le départ sans concertation avec les intéressés, et pour cause, l'institution servant essentiellement les intérêts des grands groupes industriels. Témoignent encore les musiciens Hélène Labarrière, Sylvain Kassap, Benoît Delbecq, ainsi que Sud Culture Solidaires, Fabien Barontini (directeur du festival Sons d'Hiver) et Jacques Pornon, sans oublier ceux qui préfèrent lutter de l'intérieur au risque de se faire berner méchamment, Philippe Couderc (président de la Fédération des Labels Indépendants) et Françoise Dupas (présidente de la Fédération des Scènes de Jazz). Petite pause de quatre pages avec Le Cours du Temps que j'initiai à l'époque où je partageais la rédaction en chef du journal avec le producteur Jean Rochard aux multiples et amusants pseudonymes, cette fois avec le violoniste Dominique Pifarely qui repasse en détails son parcours musical et ses engagements politiques. Eh oui, ça continue, encore et toujours, puisque le batteur Bruno Tocanne évoque ses rêves et résistances. Même la photo de Guy Le Querrec qui s'étale sur une demi-page en quatrième de couverture est commentée par le batteur Edward Perraud, membre fondateur de Das Kapital, entre autres. Ajoutons les nouveautés discographiques commentés par Jean-Paul Ricard, qui font hélas l'impasse sur les albums numériques gratuits uniquement accessibles sur Internet, et les petits mickeys originaux d'une ribambelle de dessinateurs chevronnés (Ouin, Nathalie Ferlut, Johann de Moor, Jeanne Puchol, Rocco, Percelay, Pic, Efix, Andy Singer, Zou, Sylvie Fontaine, Jazzi, Cattaneo) plus de belles photos noir et blanc, et vous n'aurez pas perdu votre temps (ni votre argent puisque c'est gratuit).
Et tout cela lu sur iPad, allongé sur un divan moelleux, puisqu'on peut le télécharger sur leur site comme tous les précédents numéros, et que j'ai ouvert le fichier PDF directement dans iBooks. Pas d'encre sur les doigts, une définition graphique exceptionnelle, et si les ADJ voulaient faire des économies d'impression et de postage, un moyen de rayonner bien au delà des 18 000 exemplaires régulièrement distribués dans les boîtes aux lettres. Seul inconvénient, on ne peut pas le lire dans le bain sans risquer de bousiller sa tablette numérique.

jeudi 12 avril 2012

Bad Boy Bubby & Co


Je ne me souviens pas toujours comment j'ai l'idée de choisir tel ou tel film. Je rassemble ceux que je n'ai pas encore vus sur un disque dur amovible à brancher sur le mediaplayer relié au projecteur ou je les expose devant les tranches de ceux qui sont classés par genre. Au bout de quelques semaines les titres ne me disent plus rien et je suis obligé de zapper quelques minutes, de lire les jaquettes ou de chercher sur Wikipédia. Le soir je cherche un film qui convienne à mes invités, questions de langue, de sous-titres et de genre évidemment. Je garde les pires pour les moments de solitude et les meilleurs pour les regarder avec ma compagne. Du moins ceux que j'imagine bons ou que je ne tente que par curiosité malsaine.

Comme Kay comprend mal le français, j'ai testé des films anglophones. Nous avons tenu un quart d'heure devant Terri d'Azazel Jacobs, fils de Ken, le sirop musical engluant les bons sentiments dans un sucre écœurant. Kay a craqué devant la mauvaise copie sous-titrée de Lumière d'été de Jean Grémillon, mais heureusement Françoise et moi avons tenu bon. Depuis quelque temps nous nous faisons un festival Grémillon, cinéaste que je tiens à l'égal de Jean Renoir et que Paul Vecchiali porte au pinacle dans son récent ouvrage L’Encinéclopédie. Cinéastes "français" des années 1930 et leur œuvre. En plus des rapports de classe toujours remarquablement traités, les portraits de femmes sont d'un féminisme rare pour l'époque. Le ciel est à vous (1943, donc plein de sous-entendus) ou L'amour d'une femme (1954, son dernier long métrage) sont deux chefs d'œuvre de cette sensibilité. Comme nous avons déjà vu Gueule d'amour l'été dernier, il nous reste encore à voir ou revoir La Petite Lise, Daïnah la métisse, L'Étrange Monsieur Victor, Remorques, Pattes blanches et L'Étrange Madame X dont j'ai réussi à trouver des copies parfois remasterisées.


La surprise est venue de Bad Boy Bubby (1993) dont nous ignorions tout. Film hors normes, drôle et provocateur, profond et renversant, il nous surprend sans cesse, autant par son imagination que par les émotions qu'il suscite. Sans le déflorer, je le comparerai à un Enfant sauvage en mode urbain style Tueurs de la lune de miel, version trash d'Edward aux mains d'argent filmée par John Waters, monstre révélant l'humanité de son concepteur, le cinéaste Rolf de Heer. Le tournage est à la hauteur du scénario, 32 directeurs de la photographie se succédant pour chaque nouveau lieu que Bubby découvre, avec piste son enregistrée à l'aide de deux microphones binauraux cachés dans les oreilles de l'acteur Nicholas Hope ! Comme nous sommes épatés, je vais à la pêche et rapporte dix autres films du cinéaste australien qui semblent tout aussi prometteurs, du moins dans leurs concepts : Encounter at Raven's Gate (1988) et Epsilon sont deux films de science-fiction, Miles Davis joue l'un des principaux rôles de Dingo (1991), The Quiet Room (1996) évoque l'effondrement d'une famille à travers le regard d'une fillette, Dance Me to My Song (1998) conte l'amour d'un homme pour une tétraplégique, The Old Man Who Read Love Stories (2001) est tourné dans la jungle de la Guyane française, The Tracker (2002) est un western dans l'outback australien, Alexandra's Project (2003) est un drame qui dérange, Ten Canoes (10 canoës, 150 lances et 3 épouses, 2006) est un conte aborigène ni reportage ni fiction dansant sur la couleur et le noir et blanc, Dr Plonk (2007) est un burlesque entièrement muet, Twelve Canoes (2008) se savoure interactivement sur Internet...

jeudi 5 avril 2012

Le courant est passé


Nous en faisions trop. Dès le premier album d'Un Drame Musical Instantané en 1977, certains auditeurs nous taxaient de coïtus interruptus. On nous accusait de zapper avant que le public ait eu le temps de s'installer. Notre soif d'invention les laissait sur leur faim. Combien de fois nous a-t-on conseillé d'ajouter une bonne rythmique à nos élucubrations protéiformes ! Emportés par la passion du laboratoire et l'excitation de l'inconnu, nous n'avons jamais voulu céder aux sirènes du succès. Cela ne nous empêcha pas de vivre de notre musique, mais nous n'avons jamais connu que des succès critiques, deux mètres de linéaire sur les étagères de nos archives au rayon presse. Entendre que nos fans s'y retrouvaient, mais qu'aucun succès populaire n'était envisageable.
Seuls les lapins de Nabaz'mob surent briser la vitre et rassembler tous les publics, sans que nous l'ayons d'ailleurs prévu puisque le spectacle avait été créé à l'origine pour une occasion unique. Dans les premiers mois Antoine Schmitt et moi nous demandions même ce que nous avions fait de mal pour que cela marche autant. Six ans plus tard l'opéra continue de tourner, à notre plus grande surprise.


Cette réussite, et d'autres que j'avais commises dans les domaines du multimédia (CD-Rom et sites Internet de création) ou du cinématographe, forçait mes interrogations. Cette ligne pure et dure de l'artiste contemporain manquerait-elle de générosité ? Lorsque nous désirons convaincre, nous nous donnons pourtant les arguments pour le faire. En écoutant les premières improvisations du trio formé avec Birgitte Lyregaard et Sacha Gattino je retrouvai l'entrain du Drame des débuts, plaisir partagé de nous retrouver ensemble et d'inventer des formes, des alliages de timbres, des paysages sonores laissant libre cours à l'imagination de l'auditeur. Pour composer une chanson, la plupart des groupes pop ou électro se seraient contentés d'une seule des quinze idées esquissées dans chacun des morceaux de nos deux premiers albums. Suffisait-il de développer un climax pour caractériser chacune de nos pièces en la rendant plus abordable ? S'appuyer sur un texte concentre la théâtralisation, ce que j'appelle souvent le drame même lorsqu'il s'agit d'une comédie, et cerne notre imagination. Il est certain que mes disques de chansons, que ce soit Crasse-Tignasse pour les enfants ou Carton, rencontrèrent un succès plus large que les pièces instrumentales. La chanson donne un cadre au sujet, canalisant la digression dont nous sommes friands.


C'est ainsi qu'est née la musique de El Strøm, après un an de gestation. Le premier concert donné samedi dernier au Triton a confirmé nos choix. Même si elles sont bien barjos, nos chansons ont su séduire le public que l'on devrait écrire au pluriel tant la salle était bigarrée. Hélène Collon me sussura qu'elle n'avait jamais entendu autant de langues différentes dans cette salle. Je crus comprendre qu'il s'agissait de celles qu'emploie Birgitte sur scène alors qu'elle évoquait l'espagnol, l'italien, l'anglais, le danois, le suédois, l'arabe, etc., des spectateurs ! Alors voilà, nous avons des chansons servies par une voix exceptionnelle, des rythmes composés aux petits oignons par Sacha, des instruments extraordinaires excitant la curiosité du public, des mélodies poignantes, une bonne dose d'humour qui fit se tordre la salle, mais encore faut-il trouver des lieux où reproduire le miracle ! Je n'ai plus la patience à faire la prospection nécessaire pour multiplier les petits pains. Le salaire des concerts n'est plus non plus un argument motivant. Seul l'enthousiasme de notre équipe pour notre travail me forcerait à commettre cette douloureuse acrobatie qui consiste à téléphoner aux programmateurs de salles et festivals. En attendant, nous n'avons rien trouvé de mieux que de mettre en ligne nos premiers pas sur le site El Strøm, cinq chansons filmées par Françoise, les trois albums en écoute et téléchargement gratuits, quelques photos et l'irrésistible envie de jouer, jouer encore et toujours, comme si c'était la première fois, ou la dernière.

jeudi 29 mars 2012

USA 1968 - Index des sons, musiques et films


les sons, musiques et films sont pour la plupart inédits
classés chapitre par chapitre
(des liens hypertexte renverront directement aux évènements multimédias disséminés dans le roman)

-1 Home movie, Jean Birgé, film muet, 1955/1958 - 1’47
0 Samba, Antonin-Tri Hoang (sax alto), Vincent Segal (violoncelle), Jean-Jacques Birgé (électronique), 2011 - 2’05
1 Radio Burger, Jean-Jacques Birgé (remix), Philippe Labat (guitare), Éric Longuet (guitare), 1971/2012 - 1’00
2 Feu d’artifice, 2012 - 0’33
3 NY Stress, Antonin-Tri Hoang (clarinette basse), Vincent Segal (violoncelle), Jean-Jacques Birgé (électronique, reportage), 2011 - 1’23
4 Agnès lit son Journal, 2011 - 0’34
5 Ping-pong, 2012 - 0’15
6 Show Me, Jean-Jacques Birgé (piano), 1966 - 0’13
7 Larsenationale, Jean-Jacques Birgé (électronique), 2012 - 0’49
8 Casino Royale at the Drive-In, 1968 - 0’26
9 La ballade de Davy Crockett (T. W. Blackburn traduit par F. Blanche/G. Bruns), Jean-Jacques Birgé, 1958 - 0’34
10 Papa, 1978 - 0’04
11 Avancée, Antonin-Tri Hoang (clarinette), Vincent Segal (violoncelle), Jean-Jacques Birgé (orchestre), 2011 - 3’01
12 Tension 1, Antonin-Tri Hoang (clarinette basse), Vincent Segal (violoncelle), Jean-Jacques Birgé (orchestre), 2011 - 3’05
13 Serpents à sonnette, 2012 - 0’25
14 Tchernobyl, Bernard Vitet (orchestre), Jean-Jacques Birgé (électronique et mixage en temps réel), paru sur Établissement d’un ciel d’alternance (cd GRRR 2026), 2002 - 8’13
15 Tijuana, Jean-Jacques Birgé, vidéo, 2000 - 1’13
16 Sable, 2012 - 1’15
17 Conte 3, Jean-Jacques Birgé (orchestre), 2011 - 4’08
18 Zoos, Jean-Jacques Birgé, vidéo, 2000 - 0’58
19 Penser à l’envers, Jean-Jacques Birgé (paroles et orchestre) et Bernard Vitet (musique et voix), écarté du CD Carton, 1995 - 5’12
20a Universal, Jean-Jacques Birgé, vidéo, 2000 - 1’01
20b Réserves, Jean-Jacques Birgé, musique composée en 1968, vidéo, 2000 - 3’49
21 Golden Gate, Jean-Jacques Birgé, musique composée en 2011, Antonin-Tri Hoang (clarinette basse), Vincent Segal (violoncelle), Jean-Jacques Birgé (électronique), vidéo, 2000 - 1’34
22 Loin, Antonin-Tri Hoang (clarinette basse), Vincent Segal (violoncelle), Jean-Jacques Birgé (orchestre), 2011 - 2’38
23 Five Hundred Micrograms, Francis Gorgé (guitare), Éric Longuet (guitare et basse), Philippe Labat (guitare), Jean-Jacques Birgé (orgue et basse), Marc Lichtig (batterie), 1972 - 6’30
24 Las Vegas, Jean-Jacques Birgé, musique composée en 2006, vidéo, 2000 - 3’44
25 Insolation, Jean-Jacques Birgé (électronique), 2012 - 1’13
26a Nesti Tango, Jean-Jacques Birgé, avec Philippe Deschepper (guitare), Yves Robert (trombone), Jean-Jacques Birgé (synthétiseur), Éric Échampard (batterie), vidéo, 2000 - 4’35
26b Hearst Castle, Jean-Jacques Birgé, musique composée en 1994, vidéo, 2000 - 3’28
27 Horizon II, Bernard Vitet et Jean-Jacques Birgé (orchestre), 1995 - 2’28
28 Dimanche, Bernard Vitet (trombone à pistons), Bib Monville (sax ténor), Bob Aubert (guitare), Pierre Franzini (piano), Pierre Sim (contrebasse), Baptiste « Mac Kak » Reilles (batterie), paru sur Surprise-Partie avec Bernard Vitet (LP Guilde Européenne du Disque SP53), 1954 - 4’07
29 Joie, Vincent Segal (violoncelle), Jean-Jacques Birgé (orchestre), 2011 - 1’15
30 La nuit du phoque (extrait), Jean-Jacques Birgé (réalisation, orgue,électronique, percussion) et Bernard Mollerat (réalisation), avec Philippe Danton (animation), Jean Birgé (voix), Jean-Pierre Lentin (synthétiseur), paru sur Défense de (cd+dvd MIO 026-027), film, 1974 - 1’44
31 Ô monde immonde Hammond, Jean-Jacques Birgé (orgue), 2012 - 1’11
32 Le sniper, Jean-Jacques Birgé, film, 1993 - 2’57
33 Om, Jean-Jacques Birgé (trompette à anche, voix), 2012 - 1’06
34 Hélicoptère, 2012 - 0’31
35a Lux Nunc, Jean-Jacques Birgé (électronique, avion), 2012 - 0’57
35b Nabaz'mob à New York, Antoine Schmitt et Jean-Jacques Birgé, making of filmé par Françoise Romand, vidéo, 2006 - 2’06
36 Mécaniques cantiques, El Strøm avec Birgitte Lyregaard (voix), Sacha Gattino (harmonicas, métallophone, clavier/échantillonneur), Jean-Jacques Birgé (paroles, guimbardes, harmonicas, xaphoon, chimes, Tenori-on), 2012 -10'43

On ne se refait pas. J'ai toujours aimé les listes. Je les ai souvent croisées pour trouver l'inspiration, scrutées pour avoir une vue d'ensemble sous un angle différent. C'est l'une des quatre entrées du roman avec la liste des chapitres, la mosaïque des images fixes et la carte interactive du périple. Les sons, musiques et films qui accompagnent le roman ne seront évidemment accessibles que lors de sa publication sur publie.net au format ePub, en tout 66 minutes de musique et 29 minutes de film.

jeudi 22 mars 2012

35. L'odyssée


(Lux Nunc, un drône aigu inspiré par Ligeti se transforme en son de Boing qui décolle)

Ouvert en 1919, le Loew's Capitol fermera définitivement six jours après notre passage, sur une dernière soirée de gala. Le cinéma de quatre mille places sera démoli. La tour du Paramount Plaza s'y élevera. Nous n'en savons encore rien et nous profitons de l'écran géant en 70mm Cinérama avec son six canaux. Un magnifique programme format américain reprend les plus belles images du film, mais nous ne retrouverons jamais l'émotion de cette première. Le film de Kubrick a besoin de cette démesure. La musique de György Ligeti influencera plusieurs pièces qui accompagneront mon récit. À la sortie, comme une réminiscence de ces à-plat étals animés d'un mouvement brownien, il pleut des hallebardes et nous avons du mal à trouver un taxi. En temps normal il suffit de lever le bras pour qu'un s'arrête devant vous. Agnès craint la nuit à New York. Mr Goldschmidt nous attendait à la maison, nous avons bavardé un moment avant d'aller nous coucher.

11 septembre 1968. Nous nous levons vers 9h. Betty, la fille de Mrs Levy, est passée voir si tout allait bien et nous sommes descendus prendre un petit déjeuner avant de préparer nos bagages. Vers 13h nous allons nous promener une dernière fois sur la Cinquième et vers 17h nous prenons un taxi pour Kennedy Airport. Ça y est, j'abandonne les a.m. et p.m., je recompte les heures de une à vingt-quatre. Nous n'avons presque rien mangé depuis deux jours. Lorsque nous sommes enfin au dessus de l'Atlantique et que l'on nous sert le plateau repas j'ai du mal à tenir mes couverts tant je tremble de faim. Le saumon fumé me semble absolument délicieux. Je savoure. Nous serons le 12 lorsque nous arriverons à Orly, mais la rentrée des classes n’aura lieu que le lundi 23, premier jour de l’automne, ce qui nous laisse largement le temps de nous réacclimater. Pourtant rien ne sera plus jamais comme avant.


New York change sans cesse. En 1968 les Twin Towers ne sont pas encore construites et n'existeront déjà plus quand je reviendrai pour la deuxième fois en 2005. Lors du road movie avec ma fille nous resterons sur la côte ouest. Je m'entête à répéter que je ne reviendrai aux États Unis que pour y travailler, mais je me ferai violence en 2000 pour y emmener Elsa. Entre temps je serai allé plusieurs fois jouer au Québec avec Un Drame Musical Instantané, mais le protectionnisme et les cachets dérisoires ne me pousseront pas à revenir de sitôt aux USA. C'est pourtant une opportunité de travail qui me fera m'envoler pour New York. Je partirai jouer le directeur artistique pour le chanteur mahorais Baco qui mixe son disque au fin fond de Brooklyn, New Lots, dernière station de métro sur la ligne 3. À Manhattan le wagon est presque tout blanc, mais au fur et à mesure des arrêts, plus je m'enfonce dans Brooklyn, plus il devient noir. Au terminus je suis le seul blanc. Pareil dans la rue. Sur le trajet de retour, c'est l'inverse. Fondu au blanc. Pendant ce temps-là, Françoise est jury au Festival Tribeca. Nous habitons un grand hôtel, fréquentons les stars, déjeunons avec Robert de Niro, le contraste est éblouissant. Ma compagne, toujours facétieuse, demande à son chauffeur perso de venir nous chercher en limousine à la sortie d'un concert de rap dans une université de Brooklyn ! Keziah Jones est venu écouter Baco avec la slameuse Hanifah Walidah et la chanteuse tibétaine Yungchen Lhamo. À deux pas de notre hôtel, le quartier de Tribeca est éventré par le trou énorme creusé par les attentats de 9/11 qui restent une énigme, la version officielle n'étant définitivement pas crédible.


(placer ici le film du making of de Nabaz’mob filmé à New York)

En septembre - octobre 2006 je reviens à New York pour présenter Nabaz'mob, l'opéra des lapins communicants composé avec Antoine Schmitt. Cent robots, autant que les métronomes du Poème Symphonique de Ligeti ! Gros succès au NextFest organisé par le magazine Wired au Javits Center. Pendant quatre jours soixante dix mille visiteurs prennent d'assaut notre Rabbit Theater. Ce n'est même pas un civet, c'est du massacre, mais cette présentation inaugure une tournée mondiale qui durera plus de cinq ans. Je repense aux lapins d'opérette alignés au garde-à-vous sur le bord de la route, à l’âme de l’enfance qui ne nous a pas quittés, aux fleurs de San Francisco, aux cent fleurs qui tourneront à l'horreur, envers du siège de Sarajevo qui, à l’opposé, renvoie aux racistes d’East Hartland et à nos pires cauchemars. Nous ne pouvons pas nous échapper. Depuis août 2005, les événements marquants de ma vie se retrouvent sur mon blog. J'y chronique également films et DVD, musique et CD, des livres, des expositions, le fourre-tout que l'on appelle multimédia, mes humeurs, souvent sociales ou politiques, des billets pratiques, des récits de voyage... Je tiens à rester un généraliste avec des spécialités. En 2010, le blog passe en miroir sur Mediapart. Début 2012, j'y publie le premier jet de ce second roman, comme je l'avais déjà fait avec le premier, La corde à linge. Comme j'arrive au terme de mon récit, je rejoins le studio pour enregistrer la musique qui accompagnera sa lecture et monter les extraits vidéo à insérer dans la narration, en plus des photographies. Pendant ce temps, dehors, les sirènes de l’espoir hurlent qu’une fois encore les temps vont changer.

mardi 13 mars 2012

USA 1968, la carte du périple


Je continue de publier quotidiennement les derniers chapitres de mon second roman, USA 1968, tour détour deux enfants, qui en compte 39 en tout si l'on tient compte des trois premiers numérotés -2, -1 et 0. Il n'en reste donc plus que 6 avant d'arriver au terme de notre voyage. En fait, je viens de terminer, mais je me relis à chaque mise en ligne et apporte de petites améliorations de dernière minute. Il m'est arrivé de corriger d'anciens chapitres, mais je pense m'arrêter là et laisser à la publication du roman la primeur des addenda sur publie.net. De toute manière, le roman complet comprendra 66 minutes de musique et de son répartis sur l'ensemble des chapitres et 29 minutes de vidéo en 12 courts métrages. Leur réalisation m'a fait remplacer quelques images fixes et j'ai préparé celles de la mosaïque interactive offrant l'accès aux chapitres par des petites images comme dans mon précédent roman, La corde à linge. On pourra également y accéder par le sommaire des titres, par l'index des musiques et des vidéos et par la carte interactive dûe au graphiste Mikaël Cixous. Pour le reste, tout est entre les mains de Gwen Catalá en charge de la création de la maquette et des aspects techniques de l'ePub, sans parler de l'indéfectible soutien moral de François Bon !

Les musiques et sons que j'ai enregistrés sont presque tous inédits, même s'ils s'étalent sur une période de 1954 à nos jours. Même chose pour les films dont les plus anciens tournés en 16mm en 1958 et les plus récents en vidéo en 2006 ont été montés pour l'occasion par Françoise Romand. Je les ai sonorisés de temps en temps avec de nouvelles musiques qui font sens dans le cours du récit. La plupart des films ont été réalisés pendant le road trip de 2000 et non en 1968, car je ne possédais alors qu'un appareil-photo. J'ai eu la chance de retrouver par contre certaines de mes compositions datant de 1968-même ou des années qui ont suivi !

Les nouveaux films s'intitulent Home Movie, Tijuana, Zoos, Universal, Réserves, Golden Gate, Las Vegas, Nesti Tango, Hearst Castle, auxquels s'ajoutent un extrait de La nuit du phoque tourné dans l'appartement de notre communauté en 1974, Le sniper réalisé à Sarajevo pendant le siège en 1993 et le making of de Nabaz'mob à New York filmé par Françoise en 2006. Les musiciens que l'on pourra entendre sur la bande-son sont Vincent Segal, Antonin-Tri Hoang, Bernard Vitet, Francis Gorgé, Philippe Labat, Éric Longuet, Marc Lichtig, Philippe Deschepper, Yves Robert, Éric Échampard, Bib Monville, Bob Aubert, Pierre Franzini, Pierre Sim, Baptiste « Mac Kak » Reilles, Jean-Pierre Lentin, Birgitte Lyregaard et Sacha Gattino.

Il serait temps que je me repose. Je souffre du syndrome du cliqueur fou bien que j'utilise un trackpad la plupart du temps ou en est-ce la raison, mais je souffre terriblement d'un problème de cervicales qui me lance du coude jusqu'au-dessus de l'oreille et m'empêche de dormir. Son origine pourrait aussi provenir d'un enregistrement pour le jouet iPad Balloon lorsque j'ai secoué comme un malade une flûte qui se joue sans souffler, mais dont le mouvement ressemble à l'essorage de la salade ou à des coups de marteau dans l'air. En frappant plus ou moins fort on accède aux harmoniques et je me suis accroché jusqu'à enregistrer correctement la mélodie recherchée. Mais crac !

samedi 3 mars 2012

Le réveil a sonné


Quelque chose d'incroyable est en train de se passer. La presse en parle peu. Il n'y a rien de secret, et pourtant la nouvelle se propage discrètement, sans vague, mais à la surprise de tous et de toutes. La morosité cède doucement et inexorablement devant l'espoir retrouvé. Car on n'y croyait plus. Les idées n'étaient pas mortes, mais leur réalisation semblait devenue inaccessible, comme une fatalité. Comme si le formatage systématique des consciences nous avait laissés orphelins. Certains disaient que l'on avait les chantres qu'on mérite. Quelle faute payions-nous pour avoir laissé le monde partir à vau-l'eau ? Le prix de nos désillusions nous reléguait à un défaitisme éclairé, optant pour le moins pire. La catastrophe annoncée nous laissait impuissants devant la crise orchestrée qui se profile et dont on sent bien qu'elle n'en serait encore hélas qu'à ses premières manifestations. Aucune personnalité politique ne répondait à nos aspirations de changement. Au mieux, leurs débats étaient velléitaires. Je citais régulièrement le philosophe Slavoj Žižek qui se demandait pourquoi chacun imagine sans peine la fin du monde, mais pas celle du capitalisme. La démocratie, dévoyée, montrait ses limites. Comment prétendre à cette liberté lorsque la manipulation médiatique empêche de penser par soi-même ? Certains refusaient cette mascarade en décidant de ne plus voter. D'autres, dont je suis, avaient toujours opté pour le moindre mal. Quarante ans de vote utile sans manquer un seul scrutin, est-ce de l'abdication ou de l'hibernation ? Je me demandais si je n'allais pas m'abstenir pour la première fois, ou voter blanc. Et puis, tout s'est passé très vite. Et pour chacun. Et pour chacune. Et cela ne fait que commencer. Nous sommes à moins de deux mois de l'élection présidentielle et quelque chose d'incroyable est en train de se passer.
Tous les jours, pendant une semaine, Françoise a insisté pour que je regarde Jean-Luc Mélenchon à l'émission Des paroles et des actes sur France 2. J'ai cédé un dimanche matin pour lui faire plaisir. Je me suis dit : "je regarde dix minutes et puis ça va...". Deux heures et vingt minutes plus tard je suis excité comme un pou. Pas un point de désaccord. En plus, le candidat du Front de Gauche a la hargne et de l'humour, ce qui ne gâte rien. Depuis, j'ai une pêche d'enfer. J'ai regardé sur Internet toutes ses interventions. Il se répète rarement, répond du tac au tac, sa sincérité est évidente. Aux Lilas où chaque vendredi est organisé un concert, nous avons joué au Q.G. de campagne du Front de gauche. L'écoute attentive du public m'a surpris. Les militants sont investis. Je ne développe ici aucun argument. Il faut l'écouter, lui. Sans culte de la personnalité. Toutes nos idées sont là, dans la bouche d'un tribun hors pair. Quelque chose d'incroyable est en train de se passer.
C'est exponentiel. Il n'y a pas un jour sans que chacun/e convainc une personne de son entourage. Il suffit d'insister à ce que nos interlocuteurs ou interlocutrices s'attardent sur ses interventions (en ligne) pour qu'ils ou elles soient conquis. Mes amis connaissent mon indéfectible implication politique, mais c'est la première fois de ma vie que je m'investis pour un candidat. Et l'étonnant, c'est que nous ne sommes pas seuls. Tout autour de nous - mais vivons-nous dans un petit milieu ? - les conversions nous épatent. On craignait de se retrouver seuls et nous croisons chaque jour de nouveaux adeptes. Tel ami, petit patron et socialiste convaincu, nous raconte qu'il a acheté L'Huma Dimanche par compassion à un pauvre militant devant le marché et se rend compte que le journal exprime tout ce qu'il pense. Des citoyens qui avaient peur de voir Le Pen se retrouver au second tour sont conquis. Des jeunes qui n'ont jamais voté sont enthousiastes. Je n'en reviens pas, même le coiffeur qui avait voté Le Pen comprend l'enjeu. Les masques tombent. Les tendances s'inversent. Les sondages, pourtant armes de la manipulation, sont passés de 5% à plus de 10% en moins d'un mois. Le spectre de 2002 est entretenu pour nous empêcher d'exprimer un changement radical. Pourquoi disperser les voix de gauche vers la droite travestie du PS ? Le vote utile aujourd'hui a changé de camp. Le 13 février, François Hollande lui-même avouait au Guardian "La gauche a gouverné pendant 15 ans (...) elle a libéralisé l'économie et ouvert les marchés à la finance et à la privatisation. Il n'y a pas à avoir peur." Devant de tels propos, c'est à nous de frémir.
Si vous pensez que je me fourvoie, prenez quelques minutes et regardez l'émission Des paroles et des actes du 12 janvier dernier. Quelque chose d'incroyable est en train de se passer.

mardi 28 février 2012

26. Road Movie


(il faudra probablement cliquer sur l'image fixe pour lancer le film)

À l'aéroport de Saint-Louis où nous ferons escale, une ruche de verre de quelques mètres cubes sera remplie de fumeurs, mais on n'y verra que du feu, on ne distinguera personne, le brouillard de leurs cigarettes les avalera. Autour du nuage cubique, un congrès d'obèses semblera s'organiser. À l'arrivée à San Francisco la voiture que je louerai pour faire le tour des grands parcs pendant le mois d'août 2000 n'aura pas de cendrier. La chambre fumeur de notre premier motel, irrespirable, dissuade ma fille Elsa de continuer à pratiquer sa jeune manie.

Chaque soir je passerai deux heures à programmer le lendemain de manière à ce qu'elle ne s'ennuie pas. J'aurai emporté deux guides que j'éplucherai consciencieusement. De temps en temps la journée sera consacrée au shopping, façon de casser le rythme de nos vacances aventurières et de plaire à l'adolescente qui voyage les pieds nus sur la planche avant en écoutant du rock à fond la caisse dans l'air climatisé du coupé. Presque chaque fois que des animaux croiseront notre route, nous nous arrêterons. Un soir où nous nous serons égarés et où nous aurons fait demi-tour en espérant trouver une chambre dans ce coin perdu, nous passerons entre deux rangées de lapins au garde-à-vous le long du bitume, des centaines de lapins dans le crépuscule qui ne bougeront pas d'un cil. On croira rêver. Un autre jour, un écureuil se postera sur la ligne jaune au milieu de la route ; j'enverrai paître Elsa lorsqu'elle me demandera de l'éviter, m'attendant à ce qu'il déguerpisse devant le bruit du bolide pourtant bridé par la vitesse automatique ; je ferai malgré tout un écart et constaterai dans le rétroviseur que le petit rouquin n'aura pas bougé d'un poil. À San Francisco nous resterons des heures à regarder les lions de mer sur le quai 39 ; un jour de novembre 2009 ils disparaîtront comme ils seront apparus vingt ans plus tôt, sans que l'on sache où ni pourquoi. Nous en profiterons pour visiter l'aquarium qui sera construit sur le port, mais le plus impressionnant sera celui de Monterey avec ses baies de méduses phosphorescentes. Des bisons paîtront, des biches déboucheront, des écureuils cabrioleront, des chiens de prairie feront les beaux, des geais s'ébroueront, des lézards se faufileront, d'autres doreront, mais aucun n'aura la grâce de l'immense ours blanc nageant sous l'eau au zoo de San Diego. Ses déhanchements chorégraphiques trancheront avec sa balourdise sur la banquise artificielle. Pourtant seuls les sauvages nous pinceront le cœur lorsque nous nous retrouverons seuls dans des paysages lunaires où l'on n'entendra que la brise ou notre propre respiration.

J'aurai emporté une tente pour camper quand le cœur nous en dirait, mais nous ne l'utiliserons qu'une nuit dans le parc de Yosemite. Le mois durant il fera si chaud qu'Elsa insistera pour des motels avec piscine autant que possible. Des pancartes recommanderont de ne rien laisser dans les véhicules et de placer la nourriture dans de grands coffres compliqués à ouvrir pour les ours. Des photographies montreront des automobiles dévastées pour une simple barre de chocolat. Au milieu de la nuit nous serons réveillés par de grands cris. "Get away ! Get away !" signifie "va-t-en !". Nous entendrons du bruit à quelques mètres devant la tente. Elsa m'exhortera à ne pas bouger, mais je lui murmurerai que si c'est l'occasion de voir un ours, surmontons notre peur et passe-moi la lampe torche ! Je ferai glisser tout doucement la fermeture éclair et j'éclairerai brutalement en direction des bruits. Un énorme raton-laveur sera en train de déguster les couches culottes d'un bébé laissées dehors par les occupants de la tente d'en face qui n'auront évidemment pas osé les enfermer avec les aliments dans les coffres blindés !


(S'il est possible de placer deux vidéos dans le même épisode
il faudra cliquer sur cette image fixe pour lancer le deuxième film)

Les paysages seront d'autant plus extraordinaires que nous nous y promènerons souvent sans personne d’autre, de la ville fantôme de Bodie au sommet de Canyonsland. Je renoncerai à rendre visite au Capitaine Beefheart lorsque nous traverserons le désert des Mojaves, peut-être parce qu'Elsa s'en fichera et que c'est mon histoire à moi seul. Trente-deux ans, c'est un sacré bout de chemin depuis ma seconde naissance. Elsa marquera la troisième, Sarajevo la quatrième et Françoise la cinquième. Allez savoir ce qui m'attend ! Le temps n'existe pas. Pour un cinéphile, traverser les États Unis c'est débouler par inadvertance sur un plateau de cinéma. Il ira jusqu'à retrouver l'angle exact des plans, mais il manquera toujours les figurants. Les films se succèdent, le programme est fameux. De Denver à Palm Springs, nous marcherons sur les traces de John Ford, Howard Hawks, John Huston, Nicholas Ray, David Lynch et tant d'autres. "Camera ! Get set ! Action !". Je porterai à la ceinture la petite caméra S-vidéo avec laquelle nous construirons notre road movie, tournant monté. De retour à Paris, nous réaliserons un montage plus serré pour ne pas dépasser une heure et Elsa s'amusera à rajouter des titres, parfois animés.

Le régulateur de vitesse nous permettra de rouler sans risquer de nous faire pincer par les cow-boys avec leurs radars et leurs sirènes. Au volant, les Américains sont plus courtois que les Français. Aux intersections les automobilistes passent dans l'ordre d'arrivée, il faut être sur le coup. Ils ne sont pas forcément patients lorsqu'on hésite ou que l'on s'est placé sur la mauvaise file. Sans ma jeune navigatrice s'orienter serait infernal, car les panneaux indiquent les numéros des routes plutôt que le nom des villes. Nous croiserons la 66 qui traverse les États-Unis de Chicago à L.A. et que chantèrent Nat King Cole, Chuck Berry, les Rolling Stones et les Them... Dans la montagne Crazy Horse accompagnera ma conduite en danseuse avec Neil Young au meilleur de sa forme. Elsa choisira des stations diffusant la musique de ma jeunesse, réduisant l'écart entre les époques, mais son tube préféré qui nous accompagnera tout le long du chemin sera I Hope You Dance de la chanteuse country Lee Ann Womack. Nous roulerons plus souvent avec les Doors, Jimi Hendrix, Crosby Stills & Nash, The Mamas and The Papas et les autres groupes des années 60 de la côte ouest. Ils me rappellent It's A Beautiful Day du violoniste David LaFlamme entendus au Fillmore West la semaine dernière. Je préférerai toujours le son californien au rock urbain de l'est du pays. Il y a quelque chose de jazz dans leurs envolées psychédéliques, un swing binaire que je reconnaîtrai chez Cab Calloway comme son anticipation. Plus tard j'adorerai New York pour ses affinités européennes, mais l'exotisme appartient à l'autre bord.

Je serai courageux au Lake Powell où Elsa fera les soldeurs comme Wal-Mart et à San Diego, me trimbant chez tous les vendeurs de frusques. J'y trouverai d'ailleurs de jolies chemisettes à manches courtes pleines de couleurs. Elle me fera parfois tourner en bourrique. Un jour que nous passerons trois heures à chercher des chaussures qui lui plaisent elle finira par avouer qu'elle ne les a jamais vues, mais qu'elles en a rêvé ! Il me faudra encore plus de courage pour sauter dans l'eau du lac depuis dix mètres de haut. Les enfants n'aiment pas que leurs parents se distinguent. Je sauterai une seconde fois pour être certain que je l'ai bien fait. Et une troisième en espérant avoir le cran d'ouvrir les yeux. Mais non, j'appliquerai mes bras le long du corps et je ne verrai rien. Nous irons nager dans l'océan, puis nous remonterons par Xanadoo, le château de William Randolph Hearst qui inspira à Orson Welles son Citizen Kane. Nous serons surpris par le manque de culture générale des autochtones qui ignorent où est la France et nous demandent s'il s'agit d'un désert en pointant la Russie sur la carte ! La plupart ne connaissent de leur pays qu'un rayon de cinquante kilomètres autour de chez eux. Si nous en ferons sept mille en l'an 2000, combien en aurons-nous parcourus cette année ? Les distances sont difficilement évaluables. Nous ne pouvons comptabiliser que les heures de bus. Vertigineux. Je dois être fatigué, car dans quarante-quatre ans lorsque j'écrirai notre histoire je ne me rappellerai de rien de San Antonio, ni même d'y être allé. Les diapos ne me diront rien non plus et je devrai interroger ma sœur qui s'en souviendra un petit peu mieux que moi.

jeudi 2 février 2012

Carton de films


Ce n'est pas le carton envoyé par les César aux professionnels pour qu'ils votent, mais une sélection en vrac de films vus depuis trois mois (précédente sélection), souvent dispensables, avec un commentaire sommaire, comme un carnet de notes pour se souvenir de ce que l'on vient de voir et que l'on risque d'oublier aussi vite... Et ce en marge des chroniques plus consistantes déjà publiées durant cette période de visionnage. J'ai mis en gras ceux qui auraient pu justifier un article plus conséquent. Les autres sont dans la rubrique Cinéma & DVD.

Comme d'habitude, les filles réclament des comédies et elles ont souvent raison, cela fait du bien de rire un bon coup en ces temps de crise à laquelle s'ajoutent les mauvaises nouvelles s'empilant comme des cubes pour s'écrouler tragiquement. Je pense à cette jeune fille violée chez elle par un salopard cagoulé, à cette copine cambriolée dont la porte explose au marteau, à sa chaudière qui rend l'âme le lendemain matin, à cette autre qui se fait voler son scooter, à la voiture de Françoise qu'elle retrouve sur le bitume avec une roue en moins, et d'autres histoires bien plus terribles qui font s'interroger sur l'avenir de l'homme.
Pour elles j'ai rassemblé :
R.E.D. (2010) de Robert Schwentke, un film d'action qui ne se prend pas au sérieux, style The Long Kiss Goodbye. Des retraités de la CIA (Bruce Willis, Morgan Freeman, John Malkovich, Helen Mirren) aux prises avec leur ancien employeur. Jubilatoire.
Rio Sex Comedy (2010) de Jonathan Nossiter, comédie originale et surprenante de la part de l'auteur de Mondovino. Hirsute et critique.
Le chat du rabbin (2011) de Joan Sfar. Film d'animation sympa, humour juif, sans plus.
Les émotifs anonymes (2010) de Jean-Pierre Améris, comédie sentimentale très bien jouée par Isabelle Carré et Benoît Benoît Poelvoorde. Tendre.
The Anniversary Party (2000) de Jennifer Leigh et Alan Cumming, comédie grinçante par deux comédiens, dans les principaux rôles, passés à la réalisation. Satire people.
Me and You and Everyone We Know (Moi, toi et tous les autres (2005) de Miranda July, comédie impertinente au ton personnel, mais le suivant, The Future (2011), jette un doute sur la réalisatrice imbuvable, qui tient chaque fois le rôle principal.
Turn Me On de la norvégienne Jannicke Systad Jacobsen est une jolie évocation de l'émoi sexuel des adolescents, sous l'angle des filles pour changer. Léger et gentiment provocateur.
Compilation de courts métrages d'Albert Brooks, réalisateur méconnu en France, dix fois plus intéressant que Woody Allen.
Je devrais rajouter quelques films de réalisatrices pour leur faire plaisir et parce que ce serait plus juste, mais la discrimination a la peau dure. Il y a trop peu de femmes, comme dans les catégories suivantes. Ce n'est pas une règle, cela dépend aussi des époques.

Action :
En général c'est les garçons qui en redemandent, quitte à les regarder seul quand leur copine est couchée :
Drive (2011) de Nicolas Winding Refn se tient mieux que je ne l'imaginais, violent, et la fin est dictée par une morale inutile.
Shinjuku Incident (Guerre de gangs à Tokyo) (2009) de Derek Yee, un Jackie Chan qui n'a rien à voir avec ses autres films puisqu'il sous-joue avec gravité cette histoire d'immigrés chinois au Japon pour un film de yakuzas auquel nous sommes guère habitués... Rush Hour (1998) et le 2 (2001) et 3 de Brett Ratner sont des pochades machistes assez marrantes, mais ça n'a vraiment rien à voir.
On peut se passer de Abduction (2011) de John Singleton, énième film de fuite avec des méchants russes aux trousses du jeune Taylor Lautner. Je suis juste étonné à quel point la CIA est taxée de complot dans la majorité des films hollywoodiens. Si on en évoque le dixième dans le réel on se fait traiter de parano. Le message est pourtant clair. The Girl with the Dragon Tattoo (Millénium, les hommes qui n'aimaient pas les femmes) (2011), l'adaptation remarquablement charpentée du premier volet de Millenium par David Fincher enterre la version suédoise. C'est le premier film de ce réalisateur à succès qui me plaise.

Science-fiction et anticipation ; ça devrait réconcilier tout le monde :
Quartier lointain (2010) de Sam Garbarski, adaptation française du manga culte de Jirō Taniguchi, rythme lent, pas mal.
In Time (Time Out) (2011) d'Andrew Niccol, bonne idée de départ, mais ne tient pas la distance.
Quitte à voir un film dystopique, opter plutôt pour Children of Men (Les fils de l'homme) d'Alfonso Cuarón, scénario hélas parfaitement vraisemblable, mais totalement imprévisible. Références, entre autres (car c'est bourré de signes cachés comme dans The Host de Joon-ho Bong), à La bataille d'Alger, Slavoj Žižek et L'aurore de Murnau pour cette adaptation d'un roman de P.D.James. Formidable. Cela nous donne envie de voir d'autres films de Cuarón, comme Y tu mamá también (2001), excellente comédie dramatique sur l'adolescence avec une guerre de classes en filigranes, le documentaire politique The Possibility of Hope aux théories proches de Naomi Klein qui cosigne d'ailleurs son court métrage The Shock Doctrine réalisé par son fils Jonás Cuarón. Je vais regarder les autres dans la foulée...
Thor (2011) de Kenneth Branagh, effets spéciaux à tire-larigot, Branagh doit avoir des impôts ou des pensions à payer pour faire des trucs pareils...
Another Earth (2011) de Mike Cahill, très tendre, et la seconde planète est plus accueillante que celle qui se rapproche dans le kitsch Melancholia (2011) de Lars von Trier, énième film sur la fin du monde et réflexion sur la famille loin de la réussite de Festen.
La 3D de The Hole (2011) de Joe Dante n'a que peu d'intérêt, comme la plupart des tentatives gadgets de relief qui n'apportent rien à l'intrigue et affadissent les couleurs quand c'est une optique rouge et verte. Epouvante pour gamins. J'ai préféré Piranhas (1978), parodie incisive des Dents de la mer où l'on retrouve une charge politique digne du réalisateur ostracisé aux USA.
Une chronique du DVD dans les Cahiers du Cinéma m'a poussé vers Le 13e guerrier (1999) de John Mc Tiernan, mais je me demande quel genre de cinéphilie immature a gagné les jeunes rédacteurs de la revue historique. Leur sélection 2011 est si pitoyable, avec des choix bien lourdingues soutenus par des musiques hollywoodiennes au marqueur fluo, que je vais finir par résilier l'abonnement que j'entretiens depuis les années 70.
Cowboys and Aliens (2011) de John Favreau est un divertissement de leur âge, areuh areuh.
Contagion (2011) de Steven Soderbergh est une catastrophe de film catastrophe.
2012 (2009) de Roland Emmerich, encore une grosse daube avec au début trente minutes d'effets forains avant de sombrerdéfinitivement.
Rubber (2010) de Quentin Dupieux est astucieux, bien réalisé, mais tiré en longueur, ça sent le caoutchouc. On raconte que son prochain film tient la route.

Politiques :
The Ides of March (Les marches du pouvoir) (2011) de George Clooney n'a d'intérêt que si l'on s'intéresse aux élections américaines ou à leur pâle copie française depuis que nos partis réactionnaires se sont affublés de primaires.
Littoral (2004) de Wajdi Mouawad est un des meilleurs films réalisés sur le Liban, avec une véritable démarche d'auteur. J'ai enfin retrouvé les impressions de mes séjours là-bas. Donc déprimant. Mais j'ai vu pire : au moment de publier ce billet je regarde sur Canal + Incendies (2010) de Denis Villeneuve, d'après une autre pièce Mouawad, l'absurdité de la guerre et sa confusion accouchent d'une tragédie grecque de notre époque, moche et bouleversant.
Nous n'avons par contre pas tenu à Pater (2011) d'Alain Cavalier, dialogue superficiel entre un vieux gâteux et un acteur odieusement cabotin. Le propos est à l'image du débat politique national, c'est mou, ça plaît.
Radio Talk (1988), publié en DVD par Carlotta, est l'un des meilleurs films d'Oliver Stone avec Platoon et Wall Street, de la même époque. Thriller freudien. Très bavard, mais ici c'est un compliment.
Le temps des bouffons (1985) de Philippe Falardeau est une des charges les plus explosives de la résistance québécoise. Époustouflant premier court-métrage.

Drames :
Le sordide My Little Princess (2011) d'Eva Ionesco vaut par l'interprétation d'Isabelle Huppert et de la jeune Anamaria Vartolomei, Catherine Baba a dû s'éclater en créant les costumes.
Korkoro (Liberté) (2009) de Tony Gatlif est raté, on a l'impression de revoir trois fois la première demie heure.
Ennui mortel devant Meek's Cutoff (La dernière piste) (2011) de Kelly Reichardt qui a beaucoup plu à la critique.
Subway Stories: Tales from the Underground (1987) de Jonathan Demme, Ted Demme, Abel Ferrara, Craig McKay, Julie Dash et Bob Balaban est passé inaperçu, bien que l'initiative mérite d'être soulignée : un concours de scénarios a accouché de dix historiettes qui se passent dans le métro de New York, confiées à de bons réalisateurs...
Je l'aimais (2009) de Zabou Breitman est une cata, après le succès de ses précédents longs métrages. Quelle déception !
Biutiful (2010) d'Alejandro González Iñárritu est bien réalisé, mais je n'ai pas d'appétence pour les métaphores chrétiennes.
La piel que habito (2011) de Pedro Almodovar, avec un Banderas monolithique, film d'épouvante de série B, beaux décors, ne vaut pas Les yeux sans visage.
J'allais oublié le morbide Sleeping Beauty (2011) de Julia Leigh, dont la presse a fait tout un foin à cause de l'interdiction aux moins de 16 ans et qui m'est sorti de l'esprit aussi vite qu'il y était entré. Bof. Le genre "soufflé" qui retombe illico.
Le rythme de The Descendants (2011) d'Alexander Payne est d'une telle platitude rythmique que tout est plié dès les premières minutes, mélo hollywoodien dispensable sur le deuil. Pour les amateurs de Sur la route de Madison, L'Homme qui murmurait a l'oreille des chevaux et autres Danse avec les loups avec paysages de nature accompagnés à la guitare. Ouin !
The Flowers of War est un Zhang Yimou complaisant sur le massacre de Nankin.

Je me réfugie dans la projection domestique des deux saisons de la série Rome, réalisée sous la houlette de Michael Apted, qui m'avait échappé. Trop chères malgré la coproduction HBO-BBC2, les trois autres saisons prévues ne seront pas tournées.

Documentaires :
Petite déception devant la série Agnès de ci de là d'Agnès Varda qui rappelle l'émission Métropolis sur Arte, son brillant, mais ininterrompu commentaire ne laissant aucune place pour respirer ni réfléchir devant l'accumulation de souvenirs et les coups de chapeau aux copains. Dommage. C'est plus sympa à picorer en fonction des sujets que de s'avaler tout d'un coup. Vivement que la pétillante octogénaire renoue avec son culot créatif et ses inventions sur le fil !
Miesten vuoro (Steam of Life) (2010) de Joonas Berghällin et Mika Hotakaisen est un petit bijou finlandais, voyage de sauna en sauna dans lesquels des vieillards expriment leurs tristesses avec une sincérité désarmante.
Pina (2011) de Wim Wenders, plus intéressant que je ne m'y attendais, même en 2D. Bilan perso : Pina Bausch ne me touche pas.
When You're Strange (2010) de Tom DiCillo, bel hommage au groupe des Doors avec étonnants inserts du film réalisé par et avec Jim Morrison. Drôle d'effet.
900 Nights: Big Brother and the Holding Company (2001) de Michael Burlingame rassemble entretiens et archives, je l'ai regardé à la recherche de détails pour mon roman sur les USA qui se passe en 1968...
C'était un rendez-vous (1976), traversée de Paris au petit matin à fond la caisse revue avec le même étonnement, surtout après le making of où Claude Lelouch raconte les secrets du tournage.
La voix de son maître (1978) de Nicolas Philibert et Gérard Mordillat, idem, documentaire culte sur la manière de diriger une entreprise, passionnant avec le recul de plus de trente ans.
Dans la série d'Arte Les gars et les filles, Pleure ma fille, tu pisseras moins (2011) de Pauline Horovitz aborde la question frontalement et avec humour. La réalisatrice cerne son identité à travers le portrait de sa famille. Chouette ! Et c'est visible en ligne sur le site d'Arte...

Voilà, c'est dans le désordre, abrupt, partial, et cela donne beaucoup de boulot à noter les liens et à se souvenir de tout ce que l'on a oublié. Je risque de me faire engueuler, mais aimer ou détester un film n'a aucune d'importance (l'inconscient ignore les contraires !), c'est de l'ordre de l'intimité, cette appréciation se rapportant au système d'identification, à ce que nous avons déjà vécu nous-même... La question est de savoir si l'on a appris quelque chose, si l'on a été touché, si le sujet et son traitement méritent d'en discuter. Les qualités d'un film n'ont rien à voir avec notre goût, et il ne peut échapper ni à l'histoire du cinéma, ni à la représentation de la société qu'il nous renvoie...

Après cela je me plonge dans un cycle Joseph L. Mankiewicz sur les conseils d'Elisabeth, Marie-Pierre et Jonathan qui m'ont fourni une liste longue comme le bras où figurent aussi Miike, de Oliveira, McCarey, Landis, Rossellini, Portabella, Jack Arnold, Allan Moyle, Penelope Spheeris, Sean Durkin, Monte Hellman...

mardi 31 janvier 2012

The Swedenborg Room


Comme promis, Françoise Romand a réalisé un petit montage du spectacle créé jeudi au Musée d'Art Moderne et Contemporain de Strasbourg, avant son départ pour Roubaix-Tourcoing-Watrelos-Villeneuve d'Ascq où elle termine sa résidence d'artiste à la fin du mois. Vendredi à 19h elle projettera son dernier long métrage, Thème Je, au Fresnoy.
Dans cet extrait de La chambre de Swedenborg nous commençons par accueillir le public, puis, après avoir migré vers une autre scène, nous rentrons dans le vif du sujet. Mais peut-on dire d'un fantôme qu'il est vif ? Six minutes vingt-cinq.


Pour faire la balance après le long épisode d'hier, je rappellerai seulement que Birgitte Lyregaard est la chanteuse, Linda Edsjö la percussionniste au marimba et au vibraphone, qu'enfin je joue ici de la trompette à anche, du Theremin et du Tenori-on.

samedi 28 janvier 2012

Petite France


Ma mère me demande si je regarde le Président de la République demain soir à la télé. Comment lui faire comprendre que je m'en fiche complètement alors que je suis passionné de politique ? Pour la même raison que je ne regarde jamais la télé je n'écoute aucun candidat à la prochaine élection faire son show démagogique. La société du spectacle ne m'intéresse que lorsqu'elle produit de l'art ou de la culture. Autant dire que j'ai une vision ancienne, mais que c'est la seule qui m'offre un avenir. L'électoralisme est une plaie qui a supplanté tout discours idéologique. C'est ce qui a tué le PCF, programme commun aidant. L'extrême-gauche y a succombé à son tour. On peut toujours promettre monts et merveilles ou le grand soir lorsque l'on sait que l'on ne tiendra pas sa parole ou que l'on ne risque pas d'être en position de la tenir. Je préfère admirer la Terre depuis la lune, principe philosophique du recul dans l'espace-temps. Un mensuel comme le Diplo prend ses distances avec l'actualité, cela me convient mieux que de devoir réagir à la seconde, sans parfois même vérifier ses sources. Ou alors privilégier le journalisme d'investigation comme à Mediapart. Dans mon métier de compositeur de musique je préfère les programmations réalisées par des directeurs de festival curieux et inventifs plutôt que par de vieux cyniques qui cèdent aux pressions locales. Au lieu d'imaginer des solutions pour se sortir d'une crise qui fait les choux gras des banquiers et de leurs principaux actionnaires la France a le nez dans le guidon des élections. Comme si le vote allait changer quelque chose... Le système représentatif a fait long feu. Je me méfie des professionnels de la profession comme de la peste. Il faudrait que le candidat élu rende des comptes à l'issue de son mandat, que l'on vérifie si son programme a été respecté, qu'il soit sanctionné. On pourrait imaginer que les élus soient choisis comme les jurés d'un procès, parmi la population, au hasard contrôlé. Pas grand monde ne semble comprendre ce qui nous attend, ce que signifie la crise, la catastrophe annoncée... Elle revêt tant de formes, politiques, sociales, économiques, écologiques, démographiques, etc. que j'entends partout que c'est trop complexe. De qui se moque-t-on ? Ce serait sympa d'écrire un article intitulé "La crise pour les nuls", non ? À suivre.

Nous sommes rentrés crevés de Strasbourg. Cinq cents kilomètres en voiture mercredi avant de décharger le matériel au Musée d'Art Moderne et Contemporain ; le lendemain, installer, brancher, faire la balance et jouer sur trois scènes différentes devant quelques milliers d'étudiants excités ; vendredi remballer, autoroute dans l'autre sens et remettre le studio en état pour l'enregistrement de demain. Notre concert tenait du happening, on a changé notre fusil d'épaule, la finesse passait inaperçue, on a sorti l'artillerie lourde, du rythme, des instruments visuellement étonnants, on a monté le volume. Lorsque je jouais de la trompette à anche le flot des visiteurs s'écoulait inexorablement devant la scène. Dès que je me mettais à jouer du Theremin ça les freinait. En faisant tourner le rhombe devant la scène je dansais d'un pied sur l'autre en m'approchant des antennes si bien que les sons électroniques semblaient provenir de mon arc géant que je faisais tourner en évitant de décapiter quiconque. Les mimiques de la chanteuse Birgitte Lyregaard me faisaient rire intérieurement alors que je pensais interpréter un rôle sérieux de prince des ténèbres. Sa voix me portait aux nues tandis que le marimba et le vibraphone de Linda Edsjö me donnaient des ailes. On était là pour une séance de spiritisme et j'avais l'impression de naviguer sur un vaisseau fantôme. Un des moments que j'ai préférés fut la traversée de la foule compressée sous la nef. Je remuais mon tube à ressorts comme un fou en jouant de la trompette de l'autre main, Birgitte faisait sonner l'orage en écho et Linda fermait le ban comme une ouvreuse avec son panier de friandises à percussion. Il y avait trop de monde pour que j'aperçoive quoi que ce soit de la chorégraphie de Jean-François Duroure qui suivait. Une heure plus tard, un zozo aviné grimpé en haut de la verrière par les filins a servi de prétexte pour terminer la soirée plus tôt que prévu. Dommage ! Redescendu de ses vingt-cinq mètres et viré illico, le danger était passé. Organiser une soirée aussi allumée dans un musée est gonflé. On aimerait que d'autres s'en inspirent pour rompre avec les habitudes qui tuent beaucoup plus de gens que tous les risques pris intelligemment. Françoise Romand a tout filmé, c'est donc une affaire à suivre, elle aussi !

Le soir on était morts. On a regardé Millénium, les hommes qui n'aimaient pas les femmes (The Girl with the Dragon Tattoo). J'ai sorti un alibi en annonçant que l'art est un crayon et l'entertainment une gomme. On a besoin des deux. Trop de crayon finit par faire du gribouillis, trop de gomme par dessiner un désert. Hier soir, on avait besoin d'un coup de gomme pour pouvoir embrayer ce matin sur de nouvelles aventures.

samedi 21 janvier 2012

Terres arbitraires II


À l'occasion de l’exposition Un visage, des visages à La Condition Publique de Roubaix, Nicolas Clauss présente une nouvelle version de son installation vidéo Terres arbitraires qu'il avait créée en septembre 2010 au Théâtre de l'Agora d'Évry (blog) et récemment révisée pour La Friche Belle de mai à Marseille (vidéo). Nul besoin de répéter ce que j'écrivais alors sur cette direction radicale de son travail renouant avec ses premières amours pour la psychologie sociale et politisant sa démarche, si ce n'est que l'artiste a continué à filmer les garçons des cités partout où il s'est exposé et que le déploiement sur 28 écrans de toutes tailles, appuyé par une création sonore octophonique, donne tout son sens à cette dénonciation des stéréotypes du "jeune de banlieue" véhiculés par les médias. Cette dimension généreuse met en valeur chacun des 300 portraits, noir et blanc face caméra, sourires radieux derrière le masque, tout en figurant la manifestation unanime des laissés pour compte. Combien de temps entendra-t-on le tic-tac du réveil avant que ne jaillisse l'étincelle révolutionnaire ? Les yeux de ces jeunes gens en disent long sur notre époque. Ici les sirènes sonnent l'alarme plutôt qu'elles ne suscitent des rêves anesthésiants, modèles façonnés par la publicité qui les attire sur des récifs. Le dispositif scénique permet de naviguer parmi les discours qu'engendrent les cités et de confronter nos propres doutes et nos désirs aux regards de cette jeunesse qui se doit d'inventer un avenir.



L'exposition Un visage, des visages présente également Ode à neuf voix, installation multimédia immersive de Catherine Poncin et Damaris Risch, soulignant encore le remarquable travail d'intervention de La Condition Publique. On rencontre en effet rarement un public socialement aussi mélangé, gageure essentielle de tout centre culturel qui se respecte.

À l'entrée est projeté La caméra change de main, un court métrage de Françoise Romand, en résidence dans la région (Tourcoing, Roubaix, Villeneuve-d'Ascq, Wattrelos) en liaison avec Le Fresnoy. En montant un morceau que nous avons joué en duo avec le violoncelliste Vincent Segal sur un panoramique circulaire tourné à tour de rôle par les participants de son atelier, la cinéaste révèle les intentions cachées et des émotions inédites. Le moindre décadrage, un flou, une hésitation semblent induits par la musique. Le plan répété devient un bon tour où la magie du cinéma pose clairement le rapport son-image. Comme pour les deux grandes installations, les visages dévisagent, les écrans nous renvoyant nos propres regards, ressort fondateur du cinéma.

lundi 16 janvier 2012

6. Good Vibrations


Incroyable, c'est Le Miracle des loups. Les deux collets ont apprivoisé Agnès. Jusqu'ici les bêtes lui collaient le trouillomètre à zéro, selon son expression. Après son succès avec les chevaux et les chiens elle finira par adopter un chat ou un écureuil ! Il y en a aussi plein la maison, des chats. J'adore les écureuils qui sont ici malheureusement considérés comme des rats. Chez les Birge, dans le Connecticut, j'étais fou des chipmunks, en français des tamias, comme Tic et Tac (en anglais Chip and Dale), avec des raies noires et blanches sur l'échine. Un couple avait fait son nid sous le capot d'un vieux pick-up abandonné. Il y eut un drame, le jour où Henry avait fait tourner le moteur. Maman ne nous a jamais laissés avoir des animaux à la maison. Elle trouve cela dégoûtant. Elle a toléré l'aquarium, mais l'atmosphère familiale ne leur a pas réussi. Ils se sont suicidés l'un après l'autre en sautant hors de l'eau. Si Papa ne les sauvait pas en leur administrant la respiration artificielle ou en leur faisant avaler des petits bouts d'aspirine, on les retrouvait raides morts derrière mon bureau, desséchés. En les massant délicatement, espérait-il expiulser l'air qui les asphyxiait ? L'expérience avec les poussins fut encore plus tragique. Le magasin Inno-Passy où nos parents faisaient leurs courses le samedi donnaient un poussin pour chaque boîte d'œufs achetée. On les a mis dans l'aquarium au-dessus du radiateur, mais sans eau ; les poissons étaient tous morts. Le plus résistant a tenu neuf jours. C'était atroce, ils perdaient l'équilibre et crevaient les uns après les autres. Nous sommes des gosses de la ville. Si ce n'était notre rhume des foins, nous adorerions la campagne.

À passer son temps au bord de la piscine, Agnès a attrapé de sacrés coups de soleil. Dans sa lettre à Maman et Papa, elle raconte nos visites au National History Museum et à l'Art Museum. À Paris nous n'y allons jamais. Je ne connais que le Tombeau de Napoléon aux Invalides où mon grand-père m'a emmené plusieurs fois. Ma tante Arlette et mon oncle Gilbert sont les artistes de la famille. J'aimais beaucoup ses tableaux abstraits accrochés chez nous parce qu'elle n'avait pas la place dans leur petit duplex de la rue Rosa Bonheur. Elle est devenue marquettiste. Par contre je trouve ringardes les aquarelles de mon oncle qui est surtout architecte décorateur. J'aurais bien aimé savoir dessiner pour illustrer un peu mieux le Journal d'Agnès. À mon anniversaire Arlette et Gilbert m'offrent toujours un objet design qui tranche avec le goût exclusif de mes parents pour le confort. Le style Meurop n'est pas mon truc. Nous allions au cinéma, mais jamais aucun concert, ballet ou pièce, sauf quand mon père était invité. Nous descendions alors dans les loges saluer les comédiens, comme pour la pièce de Réné de Obaldia, Du vent dans les branches de sassafras, au Théâtre Gramont, avec Michel Simon, Françoise Seigner et Francis Lemaire. De ce "western de chambre" qui se passe dans un ranch assiégé par les Peaux-Rouges je me souviens avec émoi de Caroline Cellier à qui Œil-de-Lynx le Comanche voulait faire nombril-nombril, titipolt abacuc kawawa virgilik et surtout xttllt xttllt ! Dans de nombreuses années, je me demanderai si cette Pamela n'est pas à l'origine de mon irrésistible attirance pour les filles aux paupières lourdes. Bien que je sois choqué que les méchants soient toujours les Indiens, les westerns me plaisent plus que la Parade de la Garde Républicaine à laquelle mon grand-père me conviait chaque année lorsque j'étais petit. J'écris cela aujourd'hui, mais j'étais fasciné par les uniformes de toutes les époques et par les motos qui s'entrecroisaient au ralenti dans une chorégraphie acrobatique réglée comme du papier à musique. Nous allions tout de même au cirque en famille. Alors que je n'avais d'yeux que pour les clowns et les lions, ma sœur préférait la trapéziste dans son costume à paillettes.



Rentrant avec Jeff d'une nouvelle Summer Party je la retrouve d'ailleurs devant le poste en train de regarder le concours de Miss Univers ! Elle y passe ses matins et ses après-midis. D'un côté cela m'énerve, d'un autre pendant ce temps elle me fiche la paix et je peux sortir le soir sans avoir à m'occuper d'elle, me saoulant de guitares électriques dont les zébrures rayent l'a-plat bleu du ciel ou me vautrant par terre sur des coussins en écoutant les orchestres de la côte ouest.
Une pochette de disques qui pastiche Sergent Pepper's Lonely Hearts Club Band m'intrigue plus que les autres. L'intérieur ressemble à l'extérieur de l'album des Beatles et inversement, des hippies barbus déguisés en filles, avec couettes, chignon et robes en dentelle posant devant l'objectif sans qu'aucun nom n'apparaisse ni sur la couverture ni sur la tranche. Quand on l'ouvre, la ressemblance avec Sergent Pepper's est encore plus évidente, sauf que des légumes remplacent les fleurs, des mannequins pourris ceux de Madame Tussaud, et tout le reste est du même métal ! Sur la grosse caisse on peut enfin lire le titre We're Only In It For The Money. Comme je demande à Jeff ce que c'est que ce machin invraissemblable, il pose sur le plateau le 33 tours des Mothers of Invention. Le ciel me tombe dessus. Je n'ai jamais rien entendu de pareil. Dès les premières secondes je suis cloué au plancher, fasciné, emporté, conquis. C'est la révélation.
Jusqu'ici je ne m'étais pas intéressé plus que cela à la musique, n'en ayant jamais fait si ce n'est quelques accords appris par ma sœur pour l'accompagner lorsqu'elle chante les airs de My Fair Lady. (descente de "Here we are together in the middle of the night" au piano) J'ai gagné mon premier 45 tours, les Touistitis de Paris, à un concours de twist à La Baule en dansant sur un pied avec elle quand nous avions cinq et sept ans, ce qui nous a valu de passer à France Inter dans une émission de Jean Fontaine. Je me suis offert beaucoup plus tard le 30 centimètres Claude François à l'Olympia avec mes économies. Mes parents me donnaient dix centimes chaque fois que je descendais acheter le pain. Combien de fois ai-je demandé "une baguette moulée pas trop cuite, s'il-vous-plaît !" ? La musique ne me passionnait donc pas plus que ma collection de timbres, ce qui n'est pas négligeable puisque je pratiquais l'écoute et le classement philatélique avec la même assiduité obsessionnelle. Je fabriquais pourtant déjà des diapositives bizarres en grattant la pellicule, les brûlant, mettant le feu à la laque à cheveux de ma mère aspergée sur les clichés ratés, pour retrouver le style psychédélique des projections découvertes lors d'une conférence d'un type dont j'ai oublié le nom à la Maison des Jeunes du XVIe arrondissement, près de la Seine.
Sur le dernier accord de The Chrome Plated Megaphone of Destiny, qui n'en finit pas, j'annonce fièrement que si je me mettais à la musique voilà ce que je ferais. Lorsque je pose l'exemplaire que j'ai acheté sur la platine de l'électrophone de Jeff qui n'est pas là, je me fais avoir par le superbe son stéréophonique de disque rayé que Frank Zappa a enregistré. Craignant de l'avoir esquinté, je me lève précipitamment et je le range dans sa pochette, pour me rendre compte du subterfuge seulement à Paris. À partir de là, je ne m'arrêterai plus d'inventer en souvenir de ces Mères qui deviendront l'un des trois pères de mon récit à venir. Je n'essaierai jamais de copier Zappa, que je rencontrerai plusieurs fois à Amougies, à Paris et dans le sud de la France, mais j'érigerai l'invention en principe fondateur de toutes mes créations. Je voudrai être original à tout prix quand mon camarade Bernard Vitet me conseillera d'être plutôt personnel. J'anticipe ici gravement. Ma vie avait basculé le 10 mai devant la petite porte du Lycée Claude Bernard, avenue du Parc des Princes, me faisant entrer en politique. À la mi-juillet, mon destin de compositeur de musique est scellé sans que je le sache encore, mais l'idée va faire son chemin. Nous avons encore beaucoup de route à faire. Cette nuit nous prenons le car à 1h30 pour Chicago.

mardi 10 janvier 2012

Qu'y a-t-il à voir à filmer un concert ?


Edgard Varèse se moquait du public qui se lève et se tord le cou pour voir qui joue de quoi dans la fosse pendant un concert. Seule la musique comptait à ses yeux. Bernard Vitet soutenait que toute représentation est un spectacle et qu'il est nécessaire d'en contrôler l'image. À la télé le jury de The Voice tourne le dos aux candidats pour ne pas être influencé par leur plastique. Aujourd'hui, pour communiquer leur travail sur le Net où le buzz prend parfois, les musiciens ont besoin d'être filmés. Les vidéos YouTube, DailyMotion ou Vimeo tiennent lieu de teasers, bandes-annonces censées attirer le public, et surtout les programmateurs trop paresseux pour se déplacer, ou trop éloignés lorsque l'on vise une diffusion internationale. Le petit film de Françoise Romand sur notre opéra Nabaz'mob nous a ainsi permis de parcourir la planète depuis cinq ans. Mais comment restituer l'émotion du direct ?

On ne peut pas. À défaut de faire œuvre de création (Step Across The Border, Straight No Chaser, 200 Motels, The Death of Klinghoffer, comédies musicales, clips inventifs, biopics...) ou de pédagogie (les films de Bruno Monsaingeon avec Glenn Gould, Les Grandes Répétitions de Luc Ferrari et Gérard Patris...), les captations sont ce qu'elles sont, quels que soient les moyens. Elles représentent parfois des témoignages inestimables (Monterey Pop, Woodstock, Gimme Shelter, Spike Jones, opéras filmés, variétés anthologiques, concerts commentés...), mais elles restent de pâles restitutions de la réalité.


Je ne peux faire exception à la règle quand le groupe Odeia me demande amicalement de filmer un de leurs concerts en appartement. Cela nécessite au moins deux caméras pour effectuer le moindre montage. J'en place une sur pied en plan général et me sers de mon Lumix pour changer d'angle, en essayant de ne pas gêner les spectateurs. Sonia Cruchon fait le maximum pour atténuer la dominante rouge après avoir réussi à monter le peu de rushes que je lui ai fournis. La teinte vert-rose donne un petit côté suranné aux images du trio à cordes qui adapte des morceaux traditionnels chantés par Elsa en grec, français, italien, ladino...


Le groupe Odeia sélectionne trois morceaux pour son site. Le premier est Gorizia, un chant italien anti-militariste qui relate une terrible bataille à la frontière italo-slovène en août 1916. Je me souviens d'Elsa à six ans, chantant La belle est au jardin d'amour sur les remparts de St Jean Pied de Port ; elle le chante avec les mêmes ornements qu'alors, appris avec Claire Caillard, lui conférant une délicate tonalité médiévale.


Enfin Levatillu stu cappeddu est une chanson sicilienne qu'interprétaient, le 4 décembre dernier, la chanteuse Elsa Birgé, le violoniste Lucien Alfonso, le violoncelliste Karsten Hochapfel et le contrebassiste Pierre-Yves Le Jeune. Prochains concerts à Paris le 3 février au 3 Arts, et le 12 à nouveau en appartement.

Photo © Erik Patrix

lundi 9 janvier 2012

Rendez-vous chez Lacan

Contrairement aux médias omniprésents et prétendument universels, la psychanalyse s'adresse à une personne à la fois. Pas de généralité, mais du cas par cas. Contrairement à la médecine qui se cantonne aux symptômes, elle recherche les causes, quitte à nous révéler ce que nous ne voulons pas savoir de nous-mêmes et qui détermine nos actes ou nos difficultés à vivre.
Il y a trois ans j'écrivais, sous le titre Jacques Lacan, poète circonlocutoire, l'influence prépondérante que sa pensée eut sur moi qui n'ai jamais eu recours à la psychanalyse. À l'évoquer il me fait peser chaque mot que je tape, comme s'il possédait un sens double que sa phonétique ou la syntaxe de la phrase révèlent.

Le film de Gérard Miller, Rendez-vous chez Lacan, comble un vide. Il n'existait qu'un seul DVD sur Jacques Lacan (édité par Arte) où figurent la conférence de Louvain, un petit entretien avec la réalisatrice Françoise Wolf et un documentaire maladroit d'Elisabeth Roudinesco. Avec l'émission Radiophonie et quelques rares documents en ligne sur ubu.com, le film majeur Télévision réalisé en 1973 par Benoît Jacquot et Jacques-Alain Miller (que le psychanalyste réussit alors à imposer en deux parties le samedi à 20h30 sur la première chaîne !) n'est toujours pas publié en DVD, alors qu'il exista en VHS et est vendu (virtuellement) sur le site de l'INA. Gérard Miller a rencontré Lacan grâce à son frère Jacques-Alain, fidèle élève qui rédigea le Séminaire et qui épousa sa fille Judith. Il en tire un portrait fidèle pour qui sait lire entre les lignes ("Gardez-vous de comprendre !" est l'antidote à toute conclusion hâtive), une analyse simple et précise (son "Je dis toujours la vérité" rime avec "les poètes ne mentent pas, ils témoignent" de Jean Cocteau), mêlant humour et pertinence ("Soyez lacaniens si vous le voulez... Moi, je suis freudien"). Gérard Miller interroge des patients de Lacan, ses élèves, mais aussi ses proches, pour tenter de comprendre qui était l'homme derrière le mythe ("L'inconscient est construit comme un langage", "Ce que Freud rappelle, c’est que ce n’est pas le mal mais le bien qui engendre, qui nourrit la culpabilité", "L’amour, c’est donner ce qu’on n’a pas"). Il pénètre dans son cabinet et son appartement, reproduit les rares photographies qui existent, son commentaire s'adressant paradoxalement au plus grand nombre pour lever le voile sur le mystère Lacan. En bonus, les deux entretiens avec son frère Jacques-Alain et Judith, ainsi que son propre commentaire, sont aussi passionnants que le film de 51 minutes (ed. Montparnasse, sortie le 7 février).

lundi 12 décembre 2011

Tergiversation


Paris est un sujet inépuisable. Comme Olivier Koechlin avait réuni autour d'un mafé l'équipe des Soirées des Rencontres d'Arles de la Photographie, nous avons constaté que j'étais le seul à y être né. La centralisation attire toujours les jeunes qui rêvent d'un ailleurs, que ce soit au moment des études ou juste après lorsqu'il faut rentrer dans la vie active. Passage obligé pour tout ce qui touche aux arts, aux nouveaux médias et à toutes sortes de professions dont je n'ai pas idée. Je fanfaronne chaque fois en lançant que je suis né impasse des Martyrs, en fait cité Malesherbes dans le 9e, ma mère boulevard de Strasbourg, ma grand-mère rue du Faubourg Saint-Denis. Comme je ne connais pas Berlin, seul New York m'a semblé aussi attirante. Récemment j'ai imaginé déménager à Marseille, cosmopolite, animée, ensoleillée, avec les vagues qui me manquent ici malgré la vue sur la mer au fond du jardin ! Cela m'est venu cet été lorsque j'ai découvert qu'il y avait maintenant des magasins asiatiques en plus des arabes ou des kabyles ! Il y a encore tous les potes partis s'y installer, mais Françoise n'est pas trop tentée de retourner là où elle a passé ses dix-neuf premières années. J'hésite aussi pour la nature, je me verrais bien dans un coin plein de bestioles, oiseaux ou mammifères. En tout cas je dois prévoir une grande maison qui puisse attirer les copains. Pas question de s'isoler. Ni de bouger avant de savoir de quels subsides je vivrai à la retraite, insuffisante pour me reposer. Je suis probablement condamné à faire ce que j'aime jusqu'à la fin de mes jours. Sous quelle forme, je l'ignore. Musique, cinéma, littérature. Je bavarde en culpabilisant de n'avoir encore écrit un mot de mon nouveau roman. Tergiversation en attendant de trouver le rythme. Comment continuer à écrire ici quotidiennement et m'attaquer au grand "œuvre" ? Son sujet se prête à la diffusion en épisodes, mais le style ne peut s'imposer sans avoir commencé à en rédiger plusieurs. Cette fois j'ai rassemblé toutes les images, une par épisode, le témoignage de ma petite sœur puisque je pars d'une histoire vécue, et j'ai trouvé comment m'en échapper en jouant sur ce qui l'a précédée et ce qu'elle a généré. Peut-être devrais-je faire une pause d'un mois, comme lorsque nous partons en vacances dans un pays exotique ? Le blog, le roman, plus tous les textes théoriques, chansons, préfaces, articles que je rédige régulièrement dans le cadre de mon boulot, cela fait beaucoup en plus de la musique et de tout le reste de mes activités. Le temps de rêver est comme celui du sommeil, incompressible. Je flâne beaucoup dans mes moments de ce que j'appelle ironiquement loisirs et je dors peu. Lorsque je manque d'inspiration je regarde par la fenêtre, focalise un peu plus loin, une ouverture sur mon front comme une petite trappe d'où sort une loupe ou une longue vue. De temps à autre je photographie quelque chose qui pourrait générer un billet sur mon blog. Touriste dans ma ville, je reste toujours à l'affût d'une carte postale. Changer d'angle. Monter sur un tabouret. Se mettre à quatre pattes. Regarder derrière soi. Se projeter en avant. Tous les moyens sont bons pour trouver un passage secret vers demain.

Photo sans trucage !

lundi 5 décembre 2011

À notre place


Un artiste peut-il éviter de se poser la question de ses origines, entendre ici culturelles ? En 2007, pour le magazine Poptronics, j'avais développé le discours de la méthode qui m'est cher pour réaliser un pop'lab intitulé L'étincelle. Illustré et sonorisé, il préfigurait en cela mon roman La corde à linge récemment paru sur publie.net.

Discutant toujours avec le même ami journaliste, interlocuteur privilégié de Après le disque, ma lettre à la presse papier, et de mon article La presse jazz enterre son avenir, je m'interrogeai une fois de plus sur le rôle de la presse, ses responsabilités et ses démissions. Qu'elle soit spécialisée, ici musicale, ou généraliste dans ses pages culture, elle sert le plus souvent de vecteur de promotion à l'industrie culturelle américaine, ou, plus largement, anglo-saxonne. Les colonisés qui jouent du jazz comme à New York ou du rock comme à Londres se retrouvent parfaitement dans cette collaboration inconsciente qui encense leurs idoles, porte-drapeau de l'envahisseur. Mais qu'en est-il des artistes qui cherchent leur voix en composant avec toutes les influences subies, autant celles de leurs amours de jeunesse (comment aurions-nous pu échapper aux vagues du jazz, du rock, du rap ou de la techno ?) que de plus profondes, qui nous enracinent dans nos terroirs, ou matures, qui nous font nous interroger sur celles-ci ?

La chanson française ou les musiques classique et contemporaine n'ont-elles pas pour moi autant d'importance que les rythmes adoptés outre-atlantique ? Ils furent en effet importés directement d'Afrique, parfois avec escale aux Antilles ou en Amérique du Sud, et non issus de leurs propres terroirs, génocide indien oblige. Les esclaves ont payé leur tribut au nouveau monde. L'impérialisme culturel américain, un terme qui fait sans doute vieux jeu alors qu'il reflète plus que jamais la réalité, a annexé cet apport noir pour mieux conquérir le reste du monde. Je pense à ces bataillons "de couleur" qui ne se mélangeaient pas aux blancs pendant la seconde guerre mondiale. Car le jazz est arrivé en Europe avec l'armée de libération, en 1917 d'abord, en 44 ensuite, rapidement devenue d'occupation. Le swing s'est installé à grand renfort de dollars, ce qui n'enlève rien à ses qualités artistiques, mais fait regretter que ce soit au détriment des autres styles en vigueur. L'anglais, ici comme ailleurs, est devenu un nouvel espéranto.

Loin de moi l'idée de quelque protectionnisme comme il est pratiqué aux États Unis à l'égard de ce qui vient de l'extérieur, mais le besoin d'affirmer la part européenne, française ou parisienne qui est la mienne, comme celle de ma culture juive, pourquoi pas, tant que cela reste culturel et n'empiète pas sur la séparation de l'église et de l'État. Les Européens, qu'ils composent de la musique populaire, entre autres des chansons, ou de la musique savante (que nous serions tentés d'appeler impopulaire !), doivent autant à Vienne qu'à Berlin, à Rome qu'à Barcelone, à Paris qu'à Lisbonne. Si Zappa, Cage, Ives, Ayler, Miles ou les Beatles ont pu m'influencer, ne suis-je également l'héritier de Berlioz, Debussy, Satie, Poulenc, Varèse, Kosma, Ferré ou Gainsbourg ? Mais aussi de Bach et Schönberg, Verdi et Granados, Weill et Rota... D'autres camarades pourraient tout aussi bien revendiquer les influences d'Afrique du nord ou d'Afrique centrale, des Antilles ou de certaines régions d'Asie, de la Corse ou de La Bretagne, tant l'hexagone est constitué d'une mozaïque de cultures, traces coloniales, invasions assimilées, diversité intégrée. Or nos revues musicales n'ont d'oreille que pour ce qui se décline en anglais, essentiellement soutenu par l'industrie culturelle américaine. On me fait remarquer que les petits Français ont leur place dans leurs colonnes, mais ce ne sont que des strapontins (si ma référence n'était pas sévèrement connotée j'ajouterais que leur infiltration tient de la cinquième colonne). Face au pouvoir hégémonique de l'Amérique, n'est-ce pas légitime de chercher à réfléchir sincèrement le paysage musical français et européen ? Les revues en question se trompent-elles de fonction ou manquent-elles d'ambition ?

Le rôle de la presse est d'orienter le débat, de lancer des courants, de forcer la main des paresseux, d'ouvrir les oreilles de plus en plus formatées. En 1920, Henri Collet lança le Groupe des Six qui n'avaient pourtant pas grand chose de commun. En 1957, en nommant La Nouvelle Vague, Françoise Giroud dans L'Express rassemblait de jeunes cinéastes qui ne se ressemblaient guère. Je ne sais pas qui a baptisé la French Touch, mais combien de jeunes musiciens se sont enfoncés dans cette brèche et ont profité de l'aubaine ? La presse ne peut se contenter de compter les points ou, pire, d'en donner. Elle doit prendre parti, générer des mouvements, s'investir dans l'action. La chanson française est animée de sursauts, les musiques improvisées issues des nouvelles traditions européennes ont généré quantité de ramifications, les musiques traditionnelles sont en perpétuelle révolution, les contemporains réexploitent enfin leurs origines au lieu de se fondre dans le même moule, mais les journalistes tardent à comprendre les enjeux dont ils sont les rapporteurs auprès du grand public à défaut d'en être les initiateurs.

Alors que l'on nous imposait de gré ou de force une constitution européenne basée uniquement sur les échanges marchands, ne devrait-on pas développer une Europe des cultures ? Du solide, en comparaison des tours de passe-passe financiers. De l'amitié entre les peuples, pour de vrai. Au menu, hors d'œuvres à volonté, spécialités locales, plateau de fromages et farandole des desserts ! Il n'est jamais trop tard pour se ressaisir, regarder ce qui se trame autour de soi pour composer sans ségrégation avec ce qui nous est envoyé par-dessus l'océan. Que l'on désire danser ou écouter dans le recueillement, nous avons le choix. Arrêtons de prendre sans cesse les États Unis pour modèle avant qu'ils ne s'écroulent, ou soutenons leurs résistances, aussi boycottées que les nôtres. À nous de jouer !

Photo origine inconnue

mercredi 16 novembre 2011

Littérature et musique 1


Voilà, j'ai reçu tout ce que j'avais commandé, comme annoncé dans mon article sur un des CD de Burroughs, produit par le talentueux Hal Willner, spécialiste de tribute albums évoqués également dans cette colonne. À ceux qui pensent qu'un album de texte dit en anglais risque de leur tomber des mains, je réponds du tac au tac que nenni, le flow de ces écrivains vaut tous les chanteurs américains dont vous ne comprenez pas plus les paroles. Sauf qu'ici l'écriture est d'une autre nature, littérature inspirant bien des apprentis paroliers de la musique populaire d'outre-atlantique. À l'écoute d'Allen Ginsberg, William Burroughs, Bob Holman et de leur prédécesseur, le rock 'n roll Edgar Allan Poe, vous comprendrez pourquoi ici Iggy Pop, Diamanda Galás, Marianne Faithfull, Dr John, Jeff Buckley, Sonic Youth, John Cale, Donald Fagen, Michael Franti, Arto Lindsay, Chris Spedding, et ailleurs Bob Dylan, Laurie Anderson, Lou Reed, Tom Waits, Kurt Cobain, Soft Machine, Throbbing Gristle, R.E.M. ou Bill Laswell leur rendent hommage. Remarquablement accompagnés par des musiciens inventifs qui savent ce qu'ils leur doivent, les textes dits par leurs auteurs, à l'exception de Poe servi, entre autres, par Abel Ferrara, Christopher Walken ou Gabriel Byrne, sonnent comme des déclarations d'indépendance, des cauchemars psychomoteurs, des grooves de l'enfer.


Dead City Radio (1990) est un hörspiel cinématographique, extrêmement travaillé comme le deuxième Burroughs, Spare Ass Annie (1993), qui swingue un max. In With The Out Crowd (1998) de Holman oscille entre pop et musiques improvisées européennes. Si tous dévoilent une diversité de climax étonnante et une inventivité musicale hors du commun, chaque pièce de The Lion For Real (1989) de Ginsberg confiée à la composition de l'un des musiciens parmi lesquels Bill Frisell, Marc Ribot, Marc Bingham, Gary Windo, Lenny Pickett, Steve Swallow, Michael Blair, Beaver Harris, en fait le plus contemporain. Le double Closed on Account of Rabies (1997) privilégie le texte de Poe et les ambiances sombres qu'il réclame. Là encore l'accompagnement musical et la partition sonore sont aussi remarquables que les interprètes dramatiques. Un peu paresseux, j'ai téléchargé une version numérique (gratuite) du texte des contes et poèmes pour suivre sur iPad sans trop d'effort. Des chansons d'Ed Sanders ou Deborah Harry and The Jazz Passengers ponctuent les deux CD. Sur le livret dessiné par Ralph Steadman avec préface de Baudelaire qui commençait chaque journée en louant Poe et le traduisit en français, je reconnais les noms de Ken Nordine, David Shea, Wayne Kramer, Greg Cohen... J'écoute en boucle tous les disques.

Je ne résiste pas au plaisir de rappeler l'existence de l'album consacré à Carl Stalling (1990), autre icône de la culture nord-américaine, compositeur extravagant de Bugs Bunny, Bip Bip, Porky, Speedy Gonzalez et tant d'autres dessins animés hirsutes, et l'un des maîtres de Frank Zappa ou John Zorn, lui-même consultant de cette production Willner. Les zappings de Stalling rappellent autant les cut-ups de Burroughs que les films de Jean-Luc Godard.

J'ai toujours été sensible aux lectures en musique. Dès 1973 j'enregistre des improvisations sur des textes de Philippe Danton, Gilbert Lascault ou... Burroughs (tiens, tiens !). Sur Trop d'adrénaline nuit (1977), premier disque d'Un Drame Musical Instantané, je clame un texte inédit de Jean Vigo sur un trio de percussion. En 1981-82 j'assure la direction musicale des Éditions Ducaté, cassettes enregistrées avec Annie Ernaux (La place), Jane Birkin (Lettres de Katherine Mansfield), Annie Girardot (Maudit Manège de Philippe Djian, interdit par l'auteur), Ludmila Mikaël (Le chemin de la perfection de Sainte Thérèse d'Avila) ! La rencontre potentielle de la littérature et de la musique me fascina avant même de remettre au goût du jour les ciné-concerts, manière de donner accès aux textes à ceux qui ne lisent pas encore ou aux chefs d'œuvre du cinéma muet à ceux qui ne supportent pas le silence. Pour nombreux la lecture à haute voix commence aussi parfois avec la m/paternité !

Se succédèrent Un théâtre de dernier ordre (1978) de Josef von Sternberg avec Françoise Achard, Trou (1982) d'après Poe (ça alors !), Le château des Carpathes de Jules Verne et Le dandy des gadoues de Michel Tournier avec Frank Royon Le Mée (1987), Le pic avec Dominique Meens (1987), Le K et Jeune fille qui tombe... Tombe... de Dino Buzzati avec Michael Lonsdale (1985), Richard Bohringer (avec qui nous avions créé J'accuse d'Émile Zola en 1989, augmentés d'un orchestre de 80 musiciens) ou Daniel Laloux (1990), Let My Children Hear Music de Charlie Mingus (1992), puis le CD Sarajevo Suite (1994), dont j'assume la direction artistique avec Corinne Léonet, entièrement construit autour des poèmes d'Abdulah Sidran, et encore deux disques avec Michel Houellebecq dont Établissement d'un ciel d'alternance (1996). Autant de CD que de spectacles vivants. J'adorai aussi accompagner André Dussollier, Bernard-Pierre Donnadieu, André Velter (1992), Claude Piéplu (1994), Alain Monvoisin (1998). Moins rock 'n roll que les Américains, ils n'en divulguent pas moins la beauté de la langue française croisée avec une musique suggestive qui évite définitivement l'illustration. Marche sur le fil que j'espère renouveler bientôt avec Birgitte Lyregaard autour de divers auteurs dans La chambre de Swedenborg (Strasbourg, 26 janvier 2012), et en improvisant avec Jacques Rebotier (Le Triton, juin 2012)... L'an passé, j'accompagnai un texte de Ginsberg avec Vincent Segal à La Maison Rouge (partie 2 du film), décidément, il n'y a pas de hasard !

Enfin, mon roman La corde à linge, récemment édité par publie.net, aborde la question en insérant des musiques et des sons dans le cours du récit, ponctuations ou accompagnements optionnels, lisibles exclusivement sur iPad (ou iPhone), les autres liseuses se contentant pour l'instant du texte et des images.

vendredi 4 novembre 2011

Dépression molle


On ne peut pas toujours faire semblant. Ma compagne me dit que j'ai l'air triste. Si l'on me demande ce que je fais en ce moment je prends un petit temps avant de répondre. Je ne sais plus. Je me disperse.

S'il faut faire bonne figure j'évoque La chambre de Swedenborg, excitant projet avec Birgitte Lyregaard et Linda Edsjö qui sera créé au Musée d'Art Moderne de Strasbourg le 26 janvier, ou la récente publication de mon roman La corde à linge, en numérique avec images et sons. Les beaux projets mettent un temps fou à démarrer : design sonore des nouveaux objets Internet Readiymate avec le papa du lapin Nabaztag, Olivier Mevel, ou des jeux/jouets iPad/papier des Éditions Volumiques avec Sacha Gattino pour Étienne Mineur, participation à une équipe finaliste pour le concours du Mucem, voyage en Asie avec les petits rongeurs, sans compter mon second roman pour lequel j'accumule du matériel, idem pour mon hypothétique disque chez Signatures et une adaptation de L'astre en web-fiction. Je patiente en numérisant mes archives sonores (mise en ligne des meilleures sur drame.org, deux nouveaux albums inédits cette semaine !) et iconographiques (scan diapos), et je ponds un article par jour, sans compter mes commentaires passé ces frontières. Pas de quoi se plaindre a priori. Une vie bien chargée. Françoise est en résidence à Tourcoing / Le Fresnoy pour quatre mois où elle présente son travail et envisage un nouveau film, Elsa cherche à faire tourner Odeia dans lequel elle chante avec un trio à cordes (premier concert hier soir avec succès), plus un projet avec Linda et sa mère et plein d'autres trucs. Pourquoi s'inquiéter ?

Paragraphe pour le verre à moitié vide. Les beaux projets mettent un temps fou à démarrer. 2011 fut financièrement catastrophique. Si j'étais un cas isolé, je m'en moquerais, je saurais que ce sera bientôt mon tour, mais trop de camarades tirent le diable par la queue. Les festivals à qui je propose le trio El Strøm avec Birgitte et Sacha ne répondent pas ; ou bien pour annoncer leur suppression en 2012, ou encore me demandent de rappeler en juin 2012 pour juin 2013. J'ai l'impression que rien ne bouge, je dois supporter les mêmes revers qu'il y a quarante ans lorsque je débutai. Mes derniers albums n'ont pas généré les ventes escomptées, ni la réédition magnifique de Trop d'adrénaline nuit, le premier disque d'Un Drame Musical Instantané en 1976, ni mon duo avec Michel Houellebecq, Établissement d'un ciel d'alternance, enregistré vingt ans plus tard. Aucun journaliste n'a relaté l'énorme travail que j'ai réalisé avec la mise en ligne de 33 albums inédits sur le site du Drame, même les copains font la sourde oreille, pas même une petite news (sauf Dominique Meens sur assezvu.com), alors qu'ils m'apparaissent comme une aventure incroyable, et qu'individuellement ils recèlent plus de merveilles que les sempiternelles scies musicales encensées par les journaux spécialisés. Je suis mal placé pour m'extasier, avec le risque de passer pour un mégalo ou un parano. Il faut bien que je justifie ma dépression molle. Le film de Pierre Oscar Lévy, dont nous avons fait la musique avec Vincent Segal et Antonin-Tri Hoang, sera-t-il diffusé par Arte ou les pressions politiques le rangeront-elles au placard ? Et puis Bernard, mon acolyte du Drame, trente-deux ans de collaboration quotidienne, est en très mauvaise santé et déprime sec. Il a du mal à manger et n'est pas bien gros. Ma maman continue de critiquer tout et n'importe quoi sans n'être plus capable d'en discuter calmement, un mal courant chez les débatteurs.

Le monde part en gidouille. La planète est piétinée. L'indignation est-elle un premier pas vers la révolte ? Les inégalités de classe sont accompagnées d'une telle arrogance. La colonisation se perpétue. L'exploitation est plus monstrueuse que jamais. Qu'ils soient de notre monde repu ou les laissés pour compte du tiers les pauvres ne se laisseront pas berner éternellement. L'inquiétude réside dans les choix politiques que feront les révoltés. Les extrémismes sont toujours bien placés dans les périodes de dépression. La peur et la misère sont mauvaises conseillères. Nous vivons une époque transitoire où le pire devient probable, sans abandonner définitivement l'espoir, mais aujourd'hui j'ai le moral gris. Est-ce plus banalement le spectre de la mort qui rôde sous le fallacieux prétexte que j'aurai 59 ans demain ? Il y a mille explications. Aucune n'est juste. Un rien peut me faire basculer d'un paragraphe à l'autre, bilan pipeauté par un simple coup de téléphone, un sourire dans la rue, un rayon de soleil, la caresse d'un chat, tes baisers...

jeudi 13 octobre 2011

Biophilia de Björk rappelle Alphabet


J'ai dû voler l'iPad de Françoise pour commander l'album interactif de Björk, en retrouvant ses codes, non sans mal, qu'elle avait oubliés !
Je partageais déjà le goût de Björk pour les instruments bizarres (AirFx, Tenori-on, etc.) et les produits dérivés qui font œuvre (en 1997 le CD-Rom Carton offrait un jeu interactif pour chaque chanson sur des images du photographe Michel Séméniako). Me voilà excité par ses variations interactives conçues pour la tablette graphique d'Apple. Car Biophilia me rappelle agréablement Alphabet, le CD-Rom que Murielle Lefèvre, Frédéric Durieu et moi-même imaginâmes en 1999 d'après le livre de l'illustratrice tchèque Kveta Pacovska et produit par les Japonais de NHK Educational. Pourtant, douze ans plus tard, les avancées techniques ne se voient guère. La souris a été remplacée par le toucher tactile, la 3D a pris son envol, l'élégant minimalisme sur fond noir de m/m remplace la palette de couleurs des jeux d'enfant, mais le même plaisir du jouet les anime. L'interactivité est enfin reconnue ! Dans notre "hit" (salué par plus de quinze prix internationaux) près de 50 tableaux interactifs animaient les 26 lettres de l'alphabet. Ici les compagnons de l'artiste islandaise ont imaginé 10 scènes, une pour chaque chanson. Pas de parano, j'aurais aussi pu citer Small Fish de Kiyoshi Furakawa, Masaki Fujihata et Wolfgang Munch de la même année ou d'autres œuvres de l'époque produites sur CD-Rom, dont le langage de programmation en lingo du logiciel Director reste inégalé.


Comme Alphabet, Biophilia a son propre univers, original et unique. Je teste ses tableaux un par un...
1. Selon la position des doigts sur l'écran, Thunderbolt fabrique des arpèges plus ou moins rapides. C'est rigolo, mais l'effet musical reste très limité.
2. Le clavier de lettres associées aux samples de Sacrifice rappelle évidemment les menus d'introduction d'Alphabet, mais tout autant le Piano Graphique de Jean-Luc Lamarque, dont j'apprends avec tristesse la disparition en janvier dernier, qui le créa en 1993 avant de l'ouvrir à d'autres artistes comme Nicolas Clauss et moi-même pour Sudden Stories. Sacrifice ne possède pas pour autant les ressources graphiques du piano de Lamarque.
3. Virus permet de faire bouger et multiplier les métastases du gameleste, croisement entre celeste et gamelan inventé par la chanteuse, et du hang, sculpture sonore en métal, mais l'objet reste raide et frustrant.
4. Mutual Core est aussi décevant musicalement. S'il permet de construire des accords selon l'ordre des strates, l'effet de résistance du matériau est loin d'égaler les expériences d'attractions-répulsions dont Durieu s'était abondamment servi pour rendre sensuels les objets virtuels que nous avions imaginés.
5. De même pour Hollow on préfèrera la version linéaire chantée avec les jolies animations de Drew Berry plutôt que de devoir taper comme des malades sur les enzymes, d'autant qu'un bug oblige à quitter l'application.
6. La harpe de Moon est un séquenceur un peu rébarbatif où l'on accorde chaque note séparément. J'avoue tester la machine pour les possibilités qu'elle offre réellement à l'interprète qui a acheté Biophilia et pour la qualité du résultat potentiel, la question pointant chaque fois la jouabilité et l'esthétique musicale produite.
7. Solstice, conçu par Björk, James Merry et Max Weisel, rappelle terriblement la boîte à musique programmable de la lettre Q, moins facilement contrôlable mais dans une déclinaison originale sur orbite planétaire. Elle oblige malgré tout à lire les instructions de jeu là où Alphabet était entièrement intuitif sans aucun mode d'emploi. Mais nous n'avions pas l'exquise voix de Björk !
8. Les clusters de Dark Matter me laissent sur ma faim, comme si l'application n'était pas terminée... L'image rappelle aussi FluxTune.
9. Enfin Chrystalline est un jeu de rapidité pour construire son propre cristal aux travers de tunnels infinis.
10. J'ai sauté Cosmogony qui anime joliment le menu cosmique principal de m/m.


Mais le projet de Björk (björk.fr) ne s'arrête pas aux jeux interactifs supervisés par Scott Snibbe. Le concept de l'album est une vulgarisation de l'état des sciences par la musique, la voix et l'animation graphique, une transposition poétique de l'univers et de la technologie. En plus de l'interprétation interactive où chaque utilisateur prend la main pour recomposer les rêves de Björk, sont proposées la version linéaire chantée plus deux animations type karaoké de la chanson, la première telle que livrée sur l'album, l'autre qui voit défiler graphiquement la chanson ("Animation") et permet de la rejouer instrumentalement ("Score") pour peu que l'on possède une interface midi ; sont évidemment joints paroles, crédits, plus les analyses musicales et caution scientifique de Nikki Dibben. Rien n'est laissé au hasard. C'est marketé de main de maîtresse, et puisque l'objet est aujourd'hui vénéré comme un culte j'ajouterai de main de prêtresse ! Malicieusement l'achat de l'album restera probablement indispensable à celles et ceux qui ont vraiment envie d'écouter la musique, plutôt pauvre en regard d'un chef d'œuvre comme Homogenic. Le feu d'artifice confère à l'Pad une aura qui pourra profiter à d'autres artistes des nouveaux médias, mais il ne peut cacher le manque d'inspiration flagrant de la chanteuse. Celles ou ceux qui ignorent ses premiers albums ou l'histoire des arts interactifs me trouveront peut-être sévère. L'expérience mérite pourtant ses 7,99 euros (sans compter les différentes déclinaisons du CD) !

mardi 11 octobre 2011

Premier roman : La corde à linge


J'ai encore créé un objet qui ne ressemble à rien. C'est un livre qui se lit sur écran, dont les 47 photographies en couleurs font partie intégrante du récit et que le son vient éclairer d'un jour nouveau. D'une certaine façon ce premier roman pourrait aussi répondre à la dénomination d'un drame musical instantané !

Gwen Catalá a sué sang et eau pour en terminer la maquette. Le sang était thaï, l'eau bretonne, mais ne me demandez pas pourquoi, je l'ignore. Nous conversons par courrier électronique, communication de notre temps, tout comme La corde à linge naquit numériquement dans cette colonne. Mis à part le roman, le fait que l'objet vienne d'un blog et que chaque épisode commence par une photographie a tout de suite accroché François Bon qui s'est empressé de me répondre, chose inhabituelle dans le milieu de l'édition. C'est lui qui m'a poussé à ajouter du son, "un musicien comme vous !", et m'a suggéré de changer le titre. Je l'avais d'abord nommé Une étoile est sans ciel, jeu de mots un peu lourd m'obligeant à l'expliquer laborieusement chaque fois que je le prononçais ! La corde à linge se réfère au procédé d'écriture décrit dans l'introduction. Si le titre s'était rapporté au récit il se serait plutôt agi d'une corde pour se pendre ou du fil d'Ariane pour éviter de se perdre et revenir là d'où Max, le personnage principal, était parti. Quant au linge il ne s'est jamais cantonné à la famille. J'ai pris l'habitude de l'étaler au soleil, prenant le risque de dévoiler ses secrets. Voilà ce que c'est que d'en fréquenter du beau ! Pourtant non, le titre n'a rien à voir ni à entendre avec cette histoire.


Puisqu'il est numérique l'ajout de 80 minutes de son et de musique est une idée formidable, exploitant les capacités inédites de ce nouvel objet virtuel. J'ai toujours adoré les jouets technologiques. Je joue des synthétiseurs depuis 1973, l'année suivante nous utilisons la pause du cassettophone pour réaliser nos montages radiophoniques cut appelés aujourd'hui plunderphonics, sautons sur les premiers échantillonneurs comme sur les programmes informatiques de composition musicale dès leurs débuts, dans mon domaine je produis le premier CD en 1987, l'un des premiers CD-Rom d'auteur dix ans plus tard, la création de mon site remonte aussi à 1997, etc. Encore aujourd'hui, sans fétichiser l'outil, la moindre avancée technologique me pousse à imaginer des œuvres nouvelles jusqu'alors impossibles, ne délaissant pas pour autant les élucubrations plus roots à la Géo Trouvetout !

L'iPad, ou l'iPhone pour les amateurs de miniatures dont je fais accessoirement partie, est la plateforme idéale pour apprécier La corde à linge en son format ePub. Les sons et la mosaïque des images, qui permet comme la table des matières de sauter à l'épisode souhaité, seront par contre absents sur les autres tablettes numériques, format Mobipocket. Dans la version optimale sur iPad et iPhone (P.S. : ça marche aussi en streaming sur Internet sous navigateurs Safari ou Chrome), les sons sont optionnels ; on peut les jouer, les mettre en pause, les faire défiler, les rejouer, voire en wi-fi sur des enceintes distantes, et l'index des musiques renvoie directement au player correspondant. Chaque utilisateur peut choisir entre six polices de caractères, leur taille (très pratique pour les presbytes dont je fais maintenant partie) et la luminosité de l'écran. On peut rechercher un mot, insérer des marque-pages et, toujours sur l'application iBooks, le double-clic sur un mot ou groupe de mots offre de le copier, rédiger une note, surligner ou effectuer une recherche. La tirette qui apparaît au bas de l'écran permet de retrouver n'importe quel chapitre sur la ligne chronologique. Dans mon cas je préfère parler d'épisodes, ce qui correspond mieux à la méthode que j'utilisai pour écrire, ignorant moi-même ce qui allait se passer dans le suivant. J'ignore encore la nature de ce que j'ai écrit. Polar ? Science-fiction ? Politique ? Voyage initiatique ? Ou petite musique ?


Pour 3,49 euros, on peut tenter l'aventure ! Les éditeurs qui publient leurs best-sellers à des prix exorbitants, proches de ceux du papier, n'ont rien compris à ce nouveau mode de diffusion qui devrait plutôt profiter aux "produits de niche", comme la poésie ou dans mon cas, par exemple ! Publie.net représente le fer de lance de cette avancée, me poussant à lire plus souvent sur tablette des ouvrages que je peux facilement commander en ligne, réceptionner instantanément et emporter avec moi sans que cela pèse un âne mort.

Je tiens aussi à remercier celles et ceux qui m'ont aidé, Françoise Romand, Sonia Cruchon, Pascale Labbé, Antoine Schmitt, Philippe Blaizot, Vincent Segal (également violoncelle), ainsi que tous les musiciens présents sur la version sonore, Bernard Vitet (trompette), Sacha Gattino (clavier/échantillonneur), Birgitte Lyregaard (voix), Elsa Birgé (voix), Lol Coxhill (saxophone soprano), Brigitte Vée (piano), Baco (voix), Philippe Deschepper (guitare), Nem (platines), Lucien Alfonso (violon), Karsten Hochapfel (violoncelle), Pierre-Yves Le Jeune (contrebasse), Francis Gorgé (guitare) et Nicolas Clauss (ralenti).

mercredi 28 septembre 2011

Ils ont tous raison


Dans la vitrine de la librairie le nom de l'auteur du roman Ils ont tous raison me fait croire à un homonyme du cinéaste qui réalisa plusieurs films que j'ai adorés et évoqués ici-même : L'homme en plus (L'uomo in più, 2001), Les Conséquences de l'amour (Le conseguenze dell'amore, 2004), L'Ami de la famille (L'amico di famiglia, 2006), Il divo (2008). Je n'ai pas encore vu This Must Be The Place, mais il passe la semaine prochaine au Cin'Hoche en bas de la colline. Enquête faite, Paolo Sorrentino s'est essayé avec le même succès au roman qu'avec ses films qui ne rencontrent pourtant pas en France le succès mérité. Si Il divo est un film survitaminé et politique, Les conséquences de l'amour joue d'une narration de l'attente et l'utilisation du son et de la musique y est absolument remarquable...
Ils ont tous raison est un livre étonnant dont les qualités sont fondamentalement littéraires. Sorrentino (traduit en français par Françoise Brun) possède un style que la critique italienne a comparé à la puissance de Voyage au bout de la nuit de L.F. Céline. Son écriture dense et rythmée ne s'embarrasse d'aucun formatage, d'aucune bienséance. Le langage, souvent cru et imagé, est typiquement italien. Sous le portrait d'un chanteur cocaïnomane, macho brutal et désabusé, c'est l'Italie qui est griffonnée, ou plus exactement, griffée rageusement. "Le style, il n'y en a pas beaucoup dans une époque, le style, le style, ça demande énormément de travail, il faut sortir les phrases de leur signification habituelle, les sortir des gonds, les déplacer, forcer le lecteur à déplacer lui-même son sens, légèrement, il faut tourner autour de l'émotion..." bégayait Céline.

mercredi 14 septembre 2011

Françoise Romand - radio 17h - film 20h30


Comme déjà annoncé dans le Carnet de vendredi, Françoise est aujourd'hui sous les projecteurs. Deux évènements complémentaires illuminent cette journée, d'une part l'émission de France Culture Sur les docks lui est consacrée (écoute libre et podcast), d'autre part son dernier film Thème Je (The Camera I) est projeté en avant-première ce soir à 20h30 au Cin'Hoche, Bagnolet, en la présence de la réalisatrice (entrée gratuite, venez avec vos amis, mais pas avec les enfants !). On peut d'ailleurs enchaîner les deux, l'émission pouvant inciter celles et ceux qui ne connaissent pas le travail de Françoise Romand à prendre le métro jusqu'à la station Gallieni. Le Cin'Hoche, qui appartient à la municipalité, possède deux salles et une excellente programmation, premières exclusivité avec films en version originale.
Frédéric Aron a donc composé un "documentaire" pour France Culture avec un soin tout particulier, en collaboration avec Vincent Abouchar qui s'est chargé de la réalisation. Après plusieurs repérages, Aron a choisi de tourner son émission dans les différentes pièces de notre maison, la salle de montage pour interroger Sylvie Najosky, l'une des organisatrices du Festival Face à Face du film gay et lesbien de Saint-Étienne (Françoise vient de publier le DVD Gais Gay Games autour des jeux olympiques LGBT de Cologne), la salle de projection pour Noël Burch, célèbre théoricien du cinéma et réalisateur qui fut l'un des formateurs de Françoise à l'Idhec et a suivi son parcours depuis Mix-Up ou Méli-Mélo, au salon pour moi (en plus de partager sa vie, j'ai composé la musique des derniers films de Françoise, dont les trois derniers sortis en DVD, Ciné-Romand, Gais Gay Games en collaboration avec Sacha Gattino et Thème Je avec Bernard Vitet). J'y raconte la rencontre avec Françoise qui peut être considérée comme une petite mise en scène typique de sa fantaisie. L'émission est passionnante, avec un petit bémol à la clef, l'utilisation anecdotique de musiques exogènes qui n'ont absolument rien à voir avec le monde sonore de Françoise qui jusque là avait collaboré avec les compositeurs Nicolas Frize et Bruno Coulais, ou l'ingénieur du son François de Morand... On croirait avoir soudain zappé sur une station radio privée. Dommage, on frisait la perfection.
Par contre, aucune réserve sur le cinquième DVD de Françoise dont on fêtera ce soir la sortie puisqu'elle est sa propre productrice. Elle y raconte d'ailleurs comment elle dut vendre son appartement pour financer ce projet intime commencé en 1999 et terminé cette année. Si le film est une comédie, parfois dramatique, les passages "sexe" excluent le public enfants. À l'issue de la projection on trouvera les cinq DVD parus, ainsi que le CD Carton, composé avec Bernard Vitet, dont les chansons accompagnent Thème Je.

vendredi 9 septembre 2011

Carnet de Françoise Romand


Avec le développement du numérique grand public il est devenu banal de raconter que chacun peut aujourd'hui faire un film, un disque, un livre ou devenir photographe. C'est sans compter le budget de promotion et la soumission des organes de presse aux grands groupes industriels qui les possèdent. L'argent appelle le commentaire. Si les petits producteurs ont du mal à imposer leurs productions que dire des indépendants qui travaillent dans le luxe de leur liberté de création ? Devant la paresse des journalistes spécialisés les blogueurs ont la place de s'exprimer, même si leur impact est moindre dans un premier temps.
J'en sais quelque chose pour avoir produit une trentaine d'albums depuis 1975 sur mon propre label, GRRR. Mon dernier en date, duo avec Michel Houellebecq, n'a pas atteint les 500 exemplaires alors que le poète (il s'agit de textes issus du Sens du combat et de La poursuite du bonheur) avouait "quelque chose d'assez rare dans ma vie : une collaboration avec un musicien, réussie." Aucun média littéraire ou généraliste ne l'a évoqué, ni en bien, ni en mal. Seuls les magazines de musique l'ont chroniqué. L'objet a beau être superbe (pochette et livret d'Étienne Auger), il n'atteint pas sa cible.
La même mésaventure touche les DVD de Françoise Romand. Si ses deux premiers, Mix-Up ou Méli-Mélo et Appelez-moi Madame furent chroniqués, elle les attribue au fait qu'ils furent produits par Antenne 2, TF1 et l'INA. Le suivant, entièrement financé par la réalisatrice, Ciné-Romand, passa presqu'inaperçu. Aussi s'inquiète-t-elle pour la sortie cette semaine des deux nouveaux, Gais Gay Games et Thème Je, qui souffrent des mêmes qualités tant cinématographiques (saluées par le célèbre critique américain Jonathan Rosenbaum) que graphiques dans leur habillage stylé (pochettes de Claire et Étienne Mineur, ou de Caroline Capelle). Un site Internet présente l'ensemble avec le même soin, et ils sont tous distribués par Lowave.


Mais rien ne vaut la projection en salle. Ainsi la première de Thème Je aura lieu au Cin'Hoche à Bagnolet mercredi prochain 14 septembre à 20h en présence de Françoise Romand. Vous y êtes cordialement invités, d'autant que la séance sera exceptionnellement gratuite ! Venez nombreux (la salle est grande) et faites honte aux professionnels qui manquent furieusement de curiosité...
Si vous désirez vous mettre en appétit, le même jour à 17h, France Culture diffuse son émission Sur les docks dédiée au travail de la réalisatrice avec, en guest stars, Noël Burch, Sylvie Najosky et votre serviteur.

P.S.: le choix du photogramme illustrant cet article n'est pas innocent. Qu'inventer pour attirer l'attention ?!

mardi 23 août 2011

Cadres et tuyaux percés


Il fait une chaleur d'enfer alors que l'endroit rappelle plutôt le paradis. Depuis deux jours la pression n'était plus suffisante pour que l'eau arrive jusqu'au mas. Sur deux mille mètres à partir de la source nous avons longé le tuyau pour chercher les fuites causées par les rongeurs. Jean-Pierre, qui passa tout un été à dessiner le meilleur tracé pour un dénivelé de seulement dix mètres, nous guide le long des pentes escarpées. Les tapis d'épines de pin glissent comme une piste de ski et les piquants des cupules séchées des châtaigniers traversent nos tennis inadaptées à la balade. Presque arrivée, Françoise se tord une cheville avant un vol plané qui la laisse hilare sur le carreau. Le lendemain elle ne peut plus faire un pas. La pommade, l'arnica et le bandage la remettront bientôt sur pied, mais l'eau n'arrive toujours pas bien que Jean-Pierre ait colmaté le tuyau à chaque série de morsures ravageuses. Son système est astucieux : tuyau perché à la source pour évacuer les bulles d'air, réservoir placé au-dessus du mas pour donner de la pression, etc. Mais là il manque quelques mètres pour que l'eau le remplisse, notre ami en perd son latin et la vaisselle s'accumule. Nous ne sommes tout de même pas à sec, je ne parle ni du rouge ni du rosé, mais du robinet qui coule suffisamment pour que nous puissions remplir des bidons. Hélas plus assez pour alimenter la plomberie de toute la maisonnée.


Pendant qu'il planche sur son problème de robinets les filles font des cadres. Michèle nettoie ceux des abeilles à la flamme. Françoise passe des heures à attendre que Scotch veuille bien descendre la longue échelle en métal depuis la mezzanine où il a élu domicile. Ces dernières années les ruches ont été décimées. Frelons tueurs, teigne, pesticide, ondes ? Jean-Pierre est retourné à la source et a fini par trouver un défaut dans l'amorçage en amont. L'eau est revenue à la joie de tous. Habiter cet havre de paix exige que l'on soit des as du bricolage. Comme j'en suis très loin nous allons bientôt rejoindre nos pénates au confort parisien et réfléchir aux choix que nous propose l'avenir. Mais ça c'est une autre histoire…

lundi 22 août 2011

Ella et Pitr collent en Arles


Françoise a commencé à tourner le petit film qu'elle réalise sur les papierspeintres Ella et Pitr. Nous les avons rejoints en Arles où ils collaient de grands cadres incitant les passants à se photographier devant et à leur envoyer le résultat pour publication sur leur site. La vente des dessins, affiches ou pavés illustrés les autorise à continuer d'offrir leurs œuvres à la rue. Neuf cents personnes leur ont déjà répondu, photo à l'appui. Dans notre quartier le cadeau qu'il nous firent avait provoqué une rixe avec les sorcières qui habitent au fond de l'allée et qui avaient tout déchiré.


Ella et Pitr travaillent à l'avance sur les fins de rouleaux de papier journal récupérés dans des imprimeries. Un coup de balai à colle sur le mur dont les anfractuosités donnent du relief à leurs personnages, un second coup sur l'affiche, et le tour est joué. À chaque station leur fils Piel qui vient d'apprendre à faire pipi tout seul marque son territoire à l'instar de son papa lorsqu'il graphe clandestinement le métro de Naples ou les rues de Tokyo. La gentillesse du couple d'artistes incite les badauds à discuter avec eux lorsqu'ils les croisent...

mardi 16 août 2011

D'un zodiaque à l'autre


Du dragon au scorpion il n'y a qu'un pas. Comme l'autoroute qui mène de Marseille à Nîmes. Ou du tape-cul nautique à la campagne languedocienne. Scotch avait su s'arranger des deux nouveaux chiens, des trois chevaux, des deux chattes dont l'une est la mère de Snow et l'autre la sœur de Scat, deux de mes ex-compagnons, mais Françoise ne trouva pas du tout à son goût le scorpion campant dans l'entrée à la nuit tombée. L'écrabouiller me crevait le cœur, comme un suicide collectif de ma propre espèce. La présence du bébé de Mathilde et des mammifères domestiques (canins) et domesticants (félins) me forçait à obtempérer. Le second euscorpius flavicaudis qui perchait au-dessus de notre lit dut subir le même sort à mon corps défendant. C'est la première fois que je vois cet animal quasi mythique (cf. ci-dessous la scène du bal masqué d'Arkadin d'Orson Welles) en France bien qu'il y en ait pas mal dans le sud.


Pendant des années j'ai conservé dans un tiroir le sérum emporté dans le désert marocain, périmé depuis belles lurettes. Comme un rempart à ma folie ou à mes mauvais penchants. But I can't help it: it's my character! On raconte tant de bêtises sur les tenants de ce signe que je me méfiais de moi-même, même si je me suis toujours bien entendu avec les natifs de novembre... Je possédais également un impressionnant spécimen inclus dans un cendrier de verre. Un jour à Marrakech un homme jouait avec l'un d'eux dans sa main. Il l'endormit dans sa paume, la rouvrit, le scorpion ne moufetait pas. Il souffla sur la bête qui se redressa d'un bond. Cette volte-face m'inspira plus d'une fois.

vendredi 5 août 2011

Le quai de Ouistreham et Retour à Reims


Les deux livres parus en 2010 que Françoise m'a conseillés se réfèrent chacun au monde du travail dans une province cruelle où la différence de classes s'exprime sans fard. Dans Le quai de Ouistreham (Ed. de L'Olivier) la journaliste Florence Aubenas décide de se faire passer pour une femme de ménage jusqu'à trouver un emploi en CDI. Avec Retour à Reims (Ed. Fayard) Didier Eribon assume ses origines prolétariennes alors que son coming out n'avait jamais concerné que son homosexualité. La première choisit Caen, le second retourne dans sa ville natale. Si Aubenas s'immerge dans la noirceur de la misère et découvre un monde tu par les médias, Eribon fait surface en cherchant à comprendre la mutation subie par les électeurs communistes tentés par l'extrême-droite. Introspections d'une sincérité absolue, les deux romans sont des pamphlets politiques remarquablement écrits qui en disent plus long sur notre époque que la lecture des journaux au quotidien. Passionnants, teintés d'humour et de mordant, il se lisent comme les meilleures enquêtes policières, parce que la vie est pour beaucoup un simple crime.

mercredi 3 août 2011

Dans les nuages


Nous avons passé la seconde semaine dans les nuages. On n'y voyait pas à dix mètres. Sur une île l'horizon laisse espérer l'apparition d'un navire, le ciel celle d'un engin volant. Ici, rien. Seulement le bruit de l'eau, pluie incessante au premier plan, torrents de montagne qui gonflent plus bas et quelques cris d'oiseaux que je suis incapable de reconnaître. Le brouillard nous confina dans l'ancienne grange, enveloppés d'un coton humide qui suintait de partout à la fois. Des idées en germeraient peut-être. Nous passions le temps dans la lecture ou les films, Françoise dans Balzac, de mon côté Seul le silence de R.J.Ellory et les trois saisons d'In Treatment (En analyse). Le soir, la brume était si épaisse que l'on pouvait y projeter nos ombres chinoises en ouvrant les fenêtres ! La température oscillait de 4° à 12°.
Encore heureux qu'on va vers l'été, me suis-je dit en référence aux œuvres complètes de Christiane Rochefort embarquées dans mon volumineux bagage et en pensant au sud vers lequel nous allions nous diriger à la fin du mois. J'avais bouclé une valise pour l'hiver montagnard et une autre pour les chaleurs estivales qui nous accompagneraient de Montpellier à Nîmes en passant par La Ciotat, itinéraire en dents de scie sans autre logique ambulatoire que le plaisir de partager quelques journées avec nos amis.

[Scotch en montagne]
Jamais Scotch n'aura autant profité de nous. Notre farniente de prisonniers météorologiques lui sied à merveille. Un soir, en face, nous avons aperçu les neiges éternelles. Il en est même tombé là-haut, vers les trois mille mètres. Cet été nous n'avons pas vu Christian, le berger de l'autre côté de la vallée, perché avec mille huit cents moutons. Les vaches qui nous ont joué leur concert de cloches depuis notre arrivée ont fini par quitter le flanc sud pour rejoindre l'autre versant où les infrastructures de sports d'hiver ressemblent à une ville fantôme. Et puis ce fut notre tour. Nous avons quitté ce splendide isolement pour l'autoroute des vacances avec ses bouchons et sur les nationales des accidents de motards...

lundi 1 août 2011

Pyrénées (semaine 1)


Nous avons perdu l'habitude des jours de la semaine, mais chacun est marqué par un évènement déterminant. Le premier, nous évitons les bouchons sauf à la sortie de Paris ; l'autoroute qui descend vers Limoges est suffisamment agréable pour que nous ne sentions pas les heures qui défilent ; à la sortie de Toulouse une automobile en flammes nous oblige à quelques détours pour rejoindre Luchon ; l'arrivée à l'ancienne grange est épique, sous une pluie intense et un brouillard à couper au couteau je glisse sur une bouse de vache et fais un vol plané dans l'herbe trempée. Nous sommes encerclés par trois cent cinquante bovins dont une centaine de veaux et sept taureaux très impressionnants que l'on dirait préhistoriques.


Nous entamons nos vacances avec Anny, Adriana et la petite Alicia qui s'en vont le lendemain tandis que débarquent Marie-Laure et Sun Sun, accueillis par une météo à peine plus clémente. Le matin suivant, j'attrape un coup de soleil sur la nuque comme nous grimpons dans la montagne. Une dizaine de vautours tournent au-dessus de nos têtes, Françoise cueille quelques fleurs pour poser un bouquet devant la cheminée autour de laquelle nous nous réchauffons quand vient le soir.
Le samedi se rappelle à notre bon souvenir si nous ne voulons pas rater le marché. Comme le prochain est le mercredi nous faisons des provisions pour ne pas avoir besoin de redescendre dans la vallée. Dans les allées d'Étigny je trouve un hotspot pour récupérer mes mails en me tenant sur un pied tel un échassier des temps modernes, un peu ridicule. Nous garons les voitures au bout du chemin et Françoise fait la navette avec la Lada pour ne pas esquinter le bas de caisse.


Le quatrième jour est celui du déjeuner annuel de l'association des résidents de Lespone. C'est l'occasion de rencontrer nos voisins et de confronter des vécus on ne peut plus différents. Nous sommes vingt cinq à dévorer pâté, côtelettes, patates, bien arrosés, en particulier par un vieil Armagnac à qui nous jetons un sort.
La température oscille sans arrêt entre 8° et 25°. Un jour sur deux est ensoleillé tandis que l'autre ne nous permet même pas de voir à dix mètres. Comme en Bretagne devant l'océan le panorama change toutes les cinq minutes. Il suffit d'un petit coup de vent, d'un courant ascendant pour que les nuages changent de formes, disparaissent ou recouvrent le paysage d'un coton épais transformant la pente en île inaccessible.
Le matin du cinquième jour, Nicolas appelle pour prévenir que la nouvelle chaudière est en rade et qu'une forte odeur de fioul envahit l'escalier. Malgré les difficultés acrobatiques pour obtenir du réseau j'arrive à joindre le chauffagiste qui n'est pas encore parti en vacances. Je me détends en tapant ces lignes avec la musique du long métrage que nous avons enregistrée avec Vincent et Antonin et que je découvre finalement quinze jours plus tard comme si elle avait été composée par quelqu'un d'autre. J'en choisirai quelques prises à la rentrée pour mettre en ligne un nouvel album virtuel sur le site drame.org, mais le temps est à la rêverie et à la lecture. Je suis plongé dans le dernier roman d'Umberto Eco qui pour l'instant ressemble plutôt à un ouvrage encyclopédique où apprendre mille et un faits historiques...


Le lendemain, l'énigme du Cimetière de Prague commence à prendre corps. Le thermomètre descend à 4°C pendant la nuit. Nous assassinons des centaines de mouches venues avec les vaches, à coups de journaux lorsque les rouleaux de glu sont saturés. Je deviens copain avec les deux juments en liberté dans le pré. Alain nous explique que le Conseil Général rembourse les 400 euros de l'antenne Internet si nous nous abonnons. Cela nous permettrait aussi d'avoir un téléphone qui fonctionne plutôt que le système hertzien dont les parasites couvrent les conversations.
Le septième jour, la brume rétrécit l'espace à une bulle aveuglante qui flotte au-dessus de la vallée. Les cloches à vache s'arrêtent de tinter. On entend le silence.

mercredi 13 juillet 2011

Coupés du monde


Avant que le soleil se couche nous sommes allés admirer l'affiche que Ella et Pitr ont collé la veille aux Lilas. Françoise et moi ressemblons au petit couple à cheval sur le front de l'oiseau bleu. Nous quittons Paris d'abord pour les Pyrénées où toute connexion à la Toile est impossible. Il faudrait monter au sommet ou descendre dans la vallée, mais nous avons besoin de vacances. Ensuite nous nous laisserons glisser le long du cou de l'animal en suivant la vague. L'été succédera à l'hiver. Adelaide et Nicolas gardent la maison avant d'emménager à Marseille. Scotch nous accompagne. Je reprendrai probablement le fil du blog d'ici la fin du mois lorsque nous serons dans le sud. D'ici là nous arpenterons les pentes à pic et nous nous prélasserons au coin du feu avec un bon bouquin.
Le mien sortira le 20 août avec la fournée de la rentrée de publie.net. Le 15 septembre ce sera au tour des deux nouveaux DVD de Françoise, Gais Gay Games et Thème Je. Suivra la diffusion de La planète dans tous ses états de Hubert Védrine réalisé pour Arte par Pierre Oscar Lévy dont j'ai signé la musique avec Vincent Segal et Antonin-Tri Hoang, tandis que la nouvelle tournée des lapins débutera en Estonie !
Beaucoup de projets pour la rentrée, aussi avons-nous besoin de régénérer nos forces, en commençant par le farniente...

lundi 4 juillet 2011

Le site de Françoise Romand en tenue d'été


Prévu pour le printemps, la refonte du site de Françoise Romand sort pour les vacances d'été. Entre les textes, les images, les films, la présentation graphique, les délais sont toujours plus longs qu'annoncés. Caroline Capelle avait déjà réalisé la pochette du DVD Gais Gay Games en s'inspirant de la collection dessinée par Claire et Étienne Mineur, elle a cette fois rempoté les petites fleurs d'Appelez-moi Madame pour faire éclore les créations cinématographiques de Françoise. En guise d'engrais, Sophia Milann s'est attelée à la programmation sous le soleil de Guylaine Monnier et Bertrand Gac de Regart.net. Tout n'est pas encore sorti, mais les graines peuvent germer. Un bémol, de taille à mes yeux, le site est en Flash et donc incomplet sur iPad ou iPhone. L'ouverture tombe à pic, Thème Je, cinquième DVD, sortira le 14 septembre, avec projection publique (et gratuite !) au Cin'Hoche de Bagnolet. En attendant, bonnes vacances à celles et ceux qui les prennent enfin ou déjà.

mercredi 22 juin 2011

"Thème Je" en exclusivité


Il est des mois creux. Janvier est de ceux-là. Sans enfant scolarisé, c'est le moment idéal pour partir au soleil. Les prix sont bas, les sites déserts. À vérifier la date, certains penseront que je suis tombé sur la tête et ils auront raison, mais cela ne date pas d'hier. Le climat de notre mois de juin fait plutôt penser à novembre. Et encore ! C'est un automne pourri que nous vivons là. Pourtant le printemps avait été radieux, surtout pour les Arabes. Enfin, pas tous. Mais l'idée que l'impossible avait vu le jour avait redonné de l'espoir à celles et ceux à qui l'on objectait que "un oranger sur le sol irlandais, ça on ne le verra jamais" (Bourvil). Il n'y a plus de saisons, répétaient les grand-mères. Le réchauffement de la planète est accompagné d'effets secondaires. Le temps qu'il fait, le temps qui passe, sont des données relatives, que l'on s'ennuie ou que l'on s'affaire. Juin a toujours été pour moi un mois plein où les projets se bousculent au portillon. Cette agitation a paradoxalement suscité les phrases précédentes. Le sujet est pourtant d'un autre ordre, ou d'un autre désordre.
Car le thème du jour, c'est "moi". Entendre le titre du dernier film de Françoise Romand, Thème Je, une question dont j'ai la joie d'être la réponse sans y figurer autrement que métaphoriquement et subrepticement dans le rôle du Joker. En anglais, The Camera I, machine androïde, renvoie à l'œil de Dziga Vertov. J'ai toujours apprécié les jeux de mots, et j'applaudis ici les maux du Je de Françoise qui s'est filmée comme aucun cinéaste n'ose le faire, sans ne jamais chercher à se présenter à son avantage, plus appliquée à défendre "l'autre" avec compassion, quitte à se sacrifier pour son sujet. Lorsqu'il s'agit de soi, l'abîme vous flanque le vertige. Heureusement Thème Je vous embarque pour 1h45 d'aventures aussi drôles que dramatiques.


Plutôt que recopier le dos de la jaquette à laquelle je participai, je préfère citer la critique Anne Gillain : "La quarantaine parisienne, Françoise Romand se perd dans les cœurs et dans les villes. Une auto-dérision jubilatoire vécue sur plusieurs continents en mélangeant les langues dans une diversité culturelle, raciale et sexuelle ancrée dans son époque. Loufoque, ce portrait déjanté d'une cinéaste non linéaire explore l'auto-fiction avec ce mépris joyeusement décapant pour les conventions et susceptible de séduire un public jeune. Dans un genre assez inédit au cinéma, avec fantaisie et malice, humour et grincements de dents, elle met en scène des fantasmes fantasques. Elle s'invite au scalpel dans votre miroir, s'invente des jeux de hasard et un secret de famille. Cette expérience en DV flirte avec la webcam pour poser des questions de cinéma."
Tourné entre 1999 et 2010, le film ne voit son aboutissement que cette année. J'en vis une des innombrables versions alors que je vivais avec Françoise depuis déjà quelques mois. S'il m'apparut comme son meilleur film depuis Mix-Up ou Méli-Mélo, une question me tarabustait et une mise au point s'imposa : "as-tu vraiment besoin de vivre avec deux hommes à la fois ?" et "moi, tu ne me filmes pas, parce que je suis dans la vraie vie." Huit ans plus tard, Françoise a terminé le montage, intégré les chansons que j'avais écrites avec Bernard Vitet en 1992 et qui collent parfaitement aux différentes scènes qu'elles accompagnent, quitte à transformer le drame en joyeuse comédie.
La magnifique pochette de Claire et Étienne Mineur rejoint la collection DVD qu'ils ont illustrée, après Appelez-moi Madame et Ciné-Romand. Bonus tourné en 1977, Rencontres, le premier film de Françoise, montre à quel point son cinéma a de la constance : ses documentaires appartiennent plus à la fiction qu'à une quelconque quête du réel. Sa fantaisie s'étale sur l'écran quelle que soit la saison, tandis qu'elle nous livre ses quatre vérités de menteuse en scène. Elle nous raconte des histoires. Qu'imaginer d'autre lorsque surgit une caméra ? Chacun prend la pose. Françoise n'essaie jamais de nous la faire oublier. Elle joue avec, entraînant les acteurs dans son sillage.
Le DVD ne sortira qu'en septembre (dist. Lowave), mais on peut l'acquérir en exclusivité en écrivant à la production.

mardi 21 juin 2011

Jour chômé


Court extrait filmé par Françoise Romand du concert donné vendredi dernier avec Antonin-Tri Hoang (sax alto et clarinette basse) et Lucien Alfonso (violon) au Souffle Continu. On me voit ici au Tenori-on...


J'ai déjà raconté cette histoire. Pour la première Fête de la Musique, le 21 juin 1982, nous avions équipé la 2CV de Brigitte Dornès d'un pavillon de haut-parleur et ouvert la capote. Nous jouions debout avec les musiciens que nous croisions dans la rue ou qui étaient à leur fenêtre. Je partageais anches, flûtes, percussion et instruments électroniques sur piles avec Hélène Sage tandis que Marianne Bonneau enregistrait notre promenade musicale. J'en ai numérisé un long extrait pour le site drame.org (index 7). L'année suivante, les professionnels avaient récupéré la belle initiative, la transformant en foire d'empoigne pour occuper les meilleurs spots de la capitale. De ce jour, j'ai décidé que le 21 juin serait pour moi un jour chômé, espérant que les amateurs sauteraient sur l'occasion pour mettre le pays en musique. Comme un jour des fous, sorte de tintamarre Cagien !

lundi 20 juin 2011

Converser ou conserver ?


Improviser entre musiciens qui ne se sont encore jamais rencontrés musicalement a toujours un goût de trop peu. Lorsque l'expérience est heureuse ! On aurait aimé développer une séquence chargée de promesses, revoir une association de timbres, reprendre une mélodie, écouter mieux les autres...
Sans aucune répétition les premiers pas peuvent être hésitants. Très vite on reprend ses sens, surtout lorsqu'une pause permet de repartir sur un autre pied.
L'improvisation libre devrait autoriser tous les outrages, toutes les citations, tous les rythmes, toutes les absences, tous les tons, la voix, le texte, les mélodies, les bruits et le silence.
Improviser, c'est réduire le temps entre la conception et la réalisation, c'est composer dans l'instant. Cette fulgurance ne tend pas pour autant vers zéro ; le cerveau doit intégrer à la fois la logique de son propre discours, celui de ses alter ego et la structure globale de la pièce en jeu. L'équilibre est ardu. On ne découvre ce qui s'est réellement joué qu'à la réécoute de l'enregistrement (s'il existe). L'objectivité est un leurre. Il suffit d'être content de soi pour trouver la performance globale exceptionnelle ou mal dans sa peau pour s'en voir contrarié. Du public on prend les compliments ou les critiques, mais n'en rien croire. Chacun, chacune, se fait son cinéma et entend différemment la musique. Sa culture, sa forme, sa quête du moment interagissent sur la perception. Les musiciens, comme les spectateurs, n'y échappent pas.


Le danger n'est pas si terrible. Est-il plus risqué de répéter inlassablement la même formule à succès que de se lancer sur le fil, prêt à toutes les fulgurances. Il est certain que dans la continuité l'improvisation connaît des temps forts et des temps faibles. Mais n'est-ce pas le lot de toute œuvre de jouer sur la tension et la détente, la consonance et la dissonance ? Les spectateurs sont probablement plus sollicités face à une musique qui se crée dans l'instant devant eux comme lorsqu'ils admirent un acrobate en haut du chapiteau. L'œuvre écrite est en quelque sorte prémâchée. L'œuvre instantanée tient compte du moindre bruit de la salle, elle intègre ce qui se passe au delà de la rampe, générant un dialogue impossible, qui tient pourtant plus de l'échange que du don.
Cette conversation s'opposerait à son contrepet, la conservation. Digressions, coupures de paroles, monologues, ping-pong, complicités, séductions, déférences. Dans le feu de l'action ou de la passion on se laisse emporter. Le moment est unique, irreproductible. Comme chaque seconde de notre vie... Ici, que l'on y on assiste ou y participe la création peut chambouler nos certitudes. Rappelons pour terminer une phrase de S.M.Einsenstein qu'Un Drame Musical Instantané inscrivit en exergue de leur première publication en 1976 : "il ne s'agit pas de représenter un spectacle qui a achevé son cours (œuvre morte), mais d'entraîner le spectateur dans le cours du processus (œuvre vivante)." Déjà je ressasse. L'improvisation n'empêche ni la répétition ni la citation, n'est-ce pas ? Et mon point d'interrogation invite au dialogue !

Photogrammes du film tourné par Françoise Romand au Souffle Continu, improvisations avec Antonin-Tri Hoang et Lucien Alfonso.

mercredi 8 juin 2011

Fleur de pluie


Il était temps qu'il pleuve. Les paysans craquaient comme leurs terres fendues par la sécheresse. Nos bambous avaient la jaunisse. Comme nous dînions d'un festin chinois chez nos amis d'en face les éclairs projetèrent nos ombres sur les murs blancs, puis les cordes se mirent à tomber sans le sirop hollywoodien qui formate stérilement la moindre scène sentimentale de leurs envahissantes importations. À en juger d'après leur diamètre, l'averse était grave telle un ensemble de contrebasses annonçant la résurrection des sols. En photographiant notre maison sous un angle inédit pour nous, contrechamp de notre paysage habituel, j'attrapai dans mes filets une fleur de pluie, arc-en-ciel nocturne offert par la municipalité qui planta jadis des réverbères d'une taille autoroutière, éblouissant le sommeil d'autres voisins sous leurs velux. J'aperçus alors le lierre grimpant insidieusement le long de la façade, lierre que j'avais arraché parce qu'il obstruait la gouttière et qui revient à la charge, s'agrippant comme un vampire. Marie-Laure rit encore de mes acrobaties, me servant de mes orteils pour le décoller aux endroits inaccessibles. Dès que le soleil revient, je sors la grande échelle...

Deux jours plus tard je n'ai toujours pas attaqué la façade. Je savais que j'étais débordé, mais j'ignorais que l'avarie viendrait de la cave. L'averse est trop soudaine. Les canalisations sont incapables d'évacuer assez vite toute l'eau des gouttières. L'inondation recouvre la presque totalité du sous-sol. Jonathan m'aide à déplacer les quelques milliers de disques sur des palettes que Françoise est allée chercher dans une entreprise plus haut dans la rue. Écopant et jouant des poids et haltères, nous sauvons le stock. Ce n'est plus une fleur de pluie, c'est devenu un champignon.

jeudi 2 juin 2011

Gais Gay Games


Gais Gay Games est le dernier film de ma compagne, la cinéaste Françoise Romand. Il ne va pas le rester longtemps car suivra très vite Thème Je (The Camera I). Deux DVD coup sur coup : la maison ressemblait à une ruche toutes ces dernières semaines. C'est le quatrième et le cinquième après Mix-Up ou Méli-Mélo, Appelez-moi Madame et Ciné-Romand. J'ai trouvé le titre de Gais Gay Games, composé la musique avec Sacha Gattino et réalisé le mixage.
Lorsque Françoise est partie à Cologne en août dernier pour filmer les Jeux "Olympiques" Gays, sollicitée par le Festival LGBT de Saint-Étienne, j'ai trouvé l'idée saugrenue, rétif à toute représentation audiovisuelle du sport et pensant qu'il y avait déjà tant d'homosexuels dans les Jeux officiels que je ne voyais pas très bien ce qu'elle en tirerait. C'était mal la connaître ou ne pas lui faire suffisamment confiance. Françoise a filmé comme à son habitude, avec tendresse et humour, concoctant une comédie documentaire dont le ton ravira autant les hétéros que les homos car ce n'est pas la question. Kaléidoscope aux couleurs du drapeau gay, les paroles virevoltent, les corps s'épanouissent, les participants se livrent. Des témoins se rétractant par crainte du regard d'autrui sur leur engagement, Françoise est obligée de créer des stratagèmes inventifs qui soulignent la modernité du film. Prétexte à se rencontrer et être ensemble, la compétition sportive l'est aussi à mettre en scène des êtres humains, entendre qu'ils "sont" et que leur humanité ne s'embarrasse pas des clivages communautaires. Ce moyen métrage d'une trentaine de minutes est accompagné des bandes-annonces des autres films de Françoise, la pochette est de Caroline Capelle, l'authoring de Simon Picard. Il est sous-titré en français, anglais, allemand...
Même si certains sont graves, ses films sont tous des comédies. On verra comment, en particulier grâce aux chansons, le long métrage Thème Je ne dérogera pas à la règle de l'exception, mais ça c'est une autre histoire.

Pour recevoir en exclusivité, avant sa sortie officielle, le DVD Gais Gay Games, envoyer 10 euros (port inclus) par PayPal à romandeco@free.fr en précisant votre adresse.

P.S. : la bande-annonce est en ligne sur la chaîne CinéRomand...

mardi 31 mai 2011

Revision


Voilà plusieurs jours que j'ai décidé d'écrire un billet sur le fait que je dors très peu. M'endormant facilement à bout de fatigue et étant trop heureux de me réveiller, j'émets des doutes sérieux sur ce qui se trame dans mon inconscient. Alors que je viens de trouver le titre de mon billet, Sans sommeil, je découvre que j'ai abordé le sujet le 31 janvier 2007 et que je lui ai même attribué ce titre-là !
Jouant aux dix films à emporter sur une île déserte avec Jonathan, je fais une recherche dans mon Blog, et vlan, L'ile déserte sort du chapeau à la date du 18 mai 2007. Je ne m'étais alors autorisé que des films publiés en DVD. La donne a changé. Ma cinémathèque a considérablement augmenté. Aujourd'hui, comme nos listes sont trop longues, nous choisissons seulement des films que nous pourrions revoir quel que soit le moment, là, à l'instant.
Dans le désordre, comme ils me viennent, je sélectionne :
Muriel (Alain Resnais) qui était déjà le premier de ma liste précédente et dont j'ai affublé ma fille en second prénom à son grand dam
La nuit du chasseur (Charles Laughton), film orphelin que Carlotta vient de ressortir au cinéma
Adieu Philippine (Jacques Rozier) dont je connais tous les dialogues par cœur
Johnny Guitare (Nicholas Ray), idem
L'âge d'or (Luis Buñuel) puisqu'il faut bien n'en choisir qu'un
Faust (F.W.Murnau) d'autant que le Drame en avait composé une partition complète et que nous ne l'avons jamais joué
Le testament du Dr Mabuse (Fritz Lang) comme M qui forme dyptique avec lui
Le testament d'Orphée (Jean Cocteau), son dernier film résume toute son œuvre
Anathan (Josef von Sternberg), un autre dernier film, en japonais, commenté par l'auteur
La grande illusion (Jean Renoir) pour ne pas prendre La règle du jeu que Jonathan emporte déjà !
Les demoiselles de Rochefort (Jacques Demy), mais c'eut pu être Les parapluies ou Une chambre en ville
Uccellacci e uccellini (Pier Paolo Pasolini) aussi bien que La ricotta
Histoire(s) du cinéma (Jean-Luc Godard), pirouette élargissant fabuleusement le champ
Cela fait déjà 14 et tous ceux ou celles qui se prêtent à l'exercice trichent en ajoutant qu'ils ont laissé de côté tel ou tel, comme moi Les petites marguerites (Vera Chytilova), Un chant d'amour (Jean Genet), La rue de la honte (Mizoguchi Kenji), Vertigo (Alfred Hitchcock), Mon oncle (Jacques Tati), Le guépard (Lucchino Visconti), Gertrude (Carl T.Dreyer), Persona (Ingmar Bergman), La glace à trois faces (Jean Epstein), A Movie (Bruce Conner), The Peeping Tom (Michael Powell), Hellzapoppin (H.C. Potter), La route parallèle (Ferdinand Khittl), L'homme à la caméra (Dziga Vertov), La face cachée de la lune, que je ne pourrais pas forcément regarder là, tout de suite, sans réfléchir. J'ai carrément oublié Welles, Pasolini, Dreyer, Moullet, Vigo, Bresson, Ophüls, Fuller, Chaplin, Keaton, Fassbinder, Oshima, Varda, Marker, Jacques Tourneur, Lynch, Pelechian, faute de n'avoir pas su choisir... Ni documentaires ni animations, ni ceux de Françoise ou les miens, ni courts-métrages... Le pari est stupide.
Aussi subjectif que moi, Jonathan Buchsbaum sélectionne Muriel et L'âge d'or comme moi, mais ajoute La règle du jeu, Dead Man, Citizen Kane, Satantango, La terre tremble, M le maudit, Les mémoires du sous-développement, Point Blank, Le samouraï, L'éclipse et bien d'autres, parce que nous trichons définitivement tous ! Jonathan, qui m'a suggéré Hell in the Pacific de John Boorman pour illustrer notre île déserte, propose que la prochaine fois nous nommions dix films des vingt dernières années en espérant qu'on arrivera à dix...
L'exercice est un peu vain, mais il peut fournir des pistes. Les choix, forcément subjectifs, renvoient à l'histoire de chacun. Le cinéma a tout à voir avec le souvenir et le fantasme, l'identification à des histoires vécues et les perspectives que l'on se donne encore. Dans ma liste je note tout de même que la mémoire et le testament se complètent, que l'on peut toujours tourner la page et renaître, que tous mes chouchous sont des vecteurs tirant leurs sources dans le passé pour mieux affronter l'avenir et qu'ils incarnent tous une lutte contre la mort. Ce qui me ramène à mon interrogation initiale sur les raisons de ma veille. Le cinéma m'empêcherait de m'endormir, donc de mourir, mais c'est la musique qui me réveille, un merle en particulier, me rassurant chaque matin que je suis toujours en vie.

samedi 21 mai 2011

Anti-communisme, Art nouveau et Arpentage


En fait de Musée du communisme, c'est plutôt celui de l'anti-communisme, les cartes-postales vendues à l'entrée pouvant même prétendre à l'adjectif "primaire" pour leur humour cynique style "Pas besoin de détergent à Prague puisque nous avons le lavage de cerveau !". Je prends quelques clichés de la salle d'interrogatoire et nous suivons la chronologie de 1945 à l'abstraction de ces dernières années en passant par le Printemps de Prague en 1968 réprimé par les chars russes, la Charte 77 initiée, entre autres, par Vaclav Havel et la Révolution de velours qu'il baptisa ainsi en hommage au Velvet Underground en 1989. Les films projetés sont particulièrement émouvants comme ceux du Musée Mucha où l'on voit Paris, New York et Prague au début du siècle en regard des affiches Art Nouveau.


À Prague les distances sont toujours beaucoup plus courtes que nous l'imaginions. Nous n'emprunterons pas une seule fois le tramway, mais nous aurons marché, marché, marché, en long, en large et en travers. Cela tombe bien avec l'orage qui se profile et les hallebardes qui s'en suivront. C'est aussi le meilleur moyen pour apprécier les édifices d'époques si différentes, mais qui s'intègrent tous au plan d'urbanisme. Il semble, par exemple, que les couleurs pastels vert pistache, jaune pâle ou gris bleu obéissent à un nuancier assez strict. On reconnaît souvent les touristes à leur nez en l'air.


Comme en France tout le monde traverse n'importe comment. L'indiscipline serait-elle un signe de création protéiforme ? Entendre le mouvement brownien qui s'insinue dans tous les arts sans qu'aucune école n'écrase la diversité. Malgré sa situation géographique la capitale de la République Tchèque possède le charme des pays du sud, elle respire la culture par tous les pores de son bitume, ou plutôt de ses pavés, pavés que Françoise admire à chaque pas. J'ai failli en glisser quelques uns dans sa valise, mais au delà de vingt-trois kilos cela peut coûter cher !
L'orage est passé aussi vite qu'il avait foncé sur nous, lavant le ciel des quelques nuages qui faisaient ressembler le paysage à un Chirico. Nous avons rouvert les yeux sur un à-plat bleu, climat idéal pour terminer notre escapade...

mercredi 18 mai 2011

La Bohême


Il est deux heures du matin à Prague. Je frappe à la porte, mais personne ne répond. La nuit en tout cas, la ville est calme et quasi déserte. Nous ne croisons que des adolescents anglais et allemands qui font en bande la tournée des bars et des dancings. Nous sommes arrivés il y a seulement trois heures, mais nous avons déjà arpenté le vieux quartier jusqu'au pont Charles qui surplombe la Vitava que Smetana orchestra sous son nom allemand de Moldau. L'architecture est magnifique, un croisement entre Vienne, Strasbourg, les villes du Nord et quelque chose d'indéfinissable.
Nous avons fini par trouver un restaurant ouvert à cette heure tardive et même réussi à souper local, du canard farci d'un truc marbré aussi bourratif que l'accompagnement, tranches de quenelles de pomme de terre et de quenelles de farine, que les choux vert et rouge chauds et acidulés permettront peut-être de digérer cette nuit sans faire de cauchemars à la Little Nemo. C'était bon. Françoise s'est contentée de galettes de pomme de terre au fromage, à l'ail et à la marjolaine.
À Charles De Gaulle j'ai cru qu'on ferait le voyage en car tant l'avion était garé loin sur la piste. Le survol de Prague illuminée présenta le Château dans un écrin d'or pétillant, un peu comme une bière blonde pulvérisée. La journée de demain nous réserve d'autres surprises...

jeudi 12 mai 2011

Chrysomèle contre romarin


La chrysomèle du romarin attaquant le buisson parfumé qui penche vers le soleil depuis que les bambous noirs ont poussé, je suis obligé de cueillir ces cousines du doryphore une à une et de les écrabouiller malgré la sympathie qu'elles m'inspirent. La bestiole est assez jolie avec sa carapace verte, mais c'est elle ou le romarin. Chaque année sonne l'hécatombe, d'abord les branches ravagées, ensuite le piétinement. Le matin je repère bien les insectes adultes remontés vers les têtes, mais ce sont les larves qui font le plus de dégâts.
J'ai d'abord cru que c'était un doryphore, sobriquet des troupes d'occupation allemandes pendant la seconde guerre mondiale, nommées ainsi parce que les envahisseurs mangeaient les patates des Français qui crevaient la dalle. Comme leur uniforme était vert-de-gris, j'ai été trompé par l'analogie de la couleur. Le véritable doryphore a des rayures jaune et noir, style Nestor.
Le romarin, plus efficace frais que séché, est bourré de qualités médicinales et culinaires. Françoise concocte des infusions bienfaisantes, Marie-Laure embroche des coquilles Saint-Jacques sur les branchettes, j'en mets dans les ragoûts, les courts-bouillons, les grillades, etc. Et puis surtout, je le caresse en serrant ses branches sans les abimer pour que son parfum m'enveloppe avant de rentrer à la maison...

mardi 3 mai 2011

Comme un lundi


Je suis monté sur la chaise pour filmer Vincent Segal improvisant avec mon Kaossilator. Il a posé mon instrument jaune citron et les 2 mini-haut-parleurs dans le fond de sa boîte de violoncelle. Leurs LED bleues font de la lumière. Le son électronique vient de nulle part lorsque le couvercle est refermé. Autrement il jaillit comme un diable. J'ai accumulé les couches de timbres, provoqué des élisions, pour aboutir à un magma rythmique qui semble évoluer dans le temps alors que je ne peux plus intervenir sur la boucle ; d'une part je suis perché, d'autre part mon synthétiseur de poche a été confisqué. Jusque là tout se passait sur le pad, avec deux ou trois doigts. Il y a une sensation physique sensuelle à caresser l'écran opaque, à le tapoter, à agir sur les contrôles sans cesser de jouer. L'atelier de Vincent est minuscule. C'est le prix pour habiter dans une maison du Moyen-Âge en plein Marais. On remonte le temps au fil des écoutes, Emmanuelle Parrenin, Los Lobos et les Latin Playboys, Daniel Shafran avec Chostakovitch... Et puis on joue, comme des enfants. Après le déjeuner nous rendons visite au charmant disquaire de la rue Charles V qui ne vend que du vinyle et qui nous fait goûter le son comme si c'était une pâtisserie fine. Pause.
Je rejoins Françoise au Centre Pompidou pour voir Othoniel : grosse déception, nous aurions dû en rester à la station Palais Royal qu'il a décorée. Nous reviendrons pour François Morellet que Marie-Christine Gayffier et Antonin-Tri Hoang nous exhortent de ne pas rater. Curieux, j'achète un nouveau DVD de vieux clips de Michel Gondry et le dernier CD de Youn Sun Nah que j'ai aperçue en vidéo. Le dîner au Bal Perdu se termine trop tard pour que j'ai le temps de regarder ou d'écouter quoi que ce soit. Je prends juste le temps de taper ces lignes et je vais me coucher en espérant dormir sereinement. Plusieurs fois par nuit je me réveille en me souvenant de mon rêve. Ce n'est pas toujours agréable. Mon peu de sommeil est-il lié à la joie de constater que je suis vivant dès que j'ouvre un œil ? Ainsi à la première seconde de ce lundi matin j'ai trouvé la musique d'une des expositions mexicaines que je dois sonoriser en Arles cet été, une évidence telle que j'étais obligé de me lever sur le champ pour aller vérifier concrètement. Le soir, par contre, je m'endors vite, et tard.

mercredi 20 avril 2011

La ruche à tous les rayons


J'envie Simon et sa nouvelle auto dont la couleur est exactement la nôtre. J'aurais fait de sacrées économies si j'étais tombé sur un engin comme celui-là, vive les travaux publics ! Ni le bleu gendarme de l'Espace partie à la casse ni le bleu clair de la Pépite flambant neuve n'arrivent aux jantes de cette Express (Orange was the color of her dress).
Simon, Caroline, Thibault passent de temps en temps assister Françoise comme jadis Julien, Olivier, Annabelle, Igor, Lucie, Pauline et bien d'autres. La maison ressemble alors à une ruche. Le studio accueille souvent les musiciens avec qui je travaille, et les amis. Comme la maison est grande, nous avons deux chambres qui leur sont consacrées, rose ou bleue. Le registre affiche souvent complet. Nous entretenons ainsi une plus forte intimité avec les provinciaux, les étrangers ou les lointains banlieusards qu'avec les Parisiens. Les heures tardives de la nuit et celles de l'aube poussent aux confidences, quand on ne pense plus au dernier métro ou que l'on envisage ce que la journée nous réserve. Certains font un passage éclair, d'autres restent un mois. Je retrouve les accents des débuts de mon indépendance lorsque nous vivions en communauté, ce que l'on appellerait aujourd'hui la coloc. Un grand appartement et chacun sa chambre pour un loyer plus acceptable. Depuis qu'Elsa est partie vivre de ses propres ailes la maison est trop calme. Faire hurler les haut-parleurs me ramène à mon adolescence plutôt qu'à la sienne. Partager le quotidien avec d'autres nous sort du monde exigu du couple. On est d'ailleurs souvent plus dignes en présence de tiers que confinés dans la névrose qui risque de s'installer avec le temps et les habitudes.
J'imagine quitter Paris un jour, mais je sais que notre nouvelle maison devra être encore plus accueillante si nous ne voulons pas nous cloîtrer dans un splendide isolement. Lorsque nous nous en allons nous préférons la confier, avec le chat en prime, plutôt que la laisser vide.
J'aime partager, la vie, la musique, les émotions, la cuisine, le temps qui s'en trouve décuplé, comme si l'on vivait plus longtemps et plusieurs fois dans le même, un vie quantique. Dimanche nous étions dix à table dans le jardin et je pensais aux abeilles qui passaient de temps en temps humer le menu concocté par Benoît avec le soutien de sa Françoise et de leurs enfants. Ève avait apporté le fromage, Antonin un dessert, les conjoints papillonnaient autour, leurs yeux plissés par le soleil. J'ai photographié le sourire des amants. Il y a longtemps dans cette colonne j'avais décidé de tirer le portrait de tous les amis de passage, mais j'oublie presque chaque fois. Dans dix ans, dans vingt ans, si je suis encore là, je regarderai comme ils sont restés jeunes et beaux, parce que le bonheur conserve lorsqu'il est constitué d'un appétit de vivre, d'une résistance militante et de la générosité du partage. Mes amis apportent leur miel à l'existence.
Avec les beaux jours, entendre seulement une météo plus clémente élargissant notre espace au plein air, nous espérons beaucoup de monde. La plupart s'invite d'eux-mêmes. Nous les y exhortons, car nous ignorons les usages de l'invitation formelle. Que notre indisponibilité passagère ne les empêche pas de rappeler une prochaine fois ! À brûle-pourpoint. Les réponses sont franches. De cette promiscuité j'apprends beaucoup. J'adopte l'ailleurs ou l'autrement. Il m'arrive même de me taire.

mardi 5 avril 2011

Les films invisibles


Feuilletant le passionnant catalogue du Cinéma du réel dont la programmation se termine au Centre Pompidou, je dévore la sélection de films invisibles choisis par une cinquantaine de cinéastes, historiens, critiques, etc., œuvres "perdues, détruites, censurées, interdites... peu vues, mal vues, jamais réalisées..." qui me font rêver comme jadis l'Anthologie du Cinéma Invisible : 100 scénarios pour 100 ans de cinéma, rassemblés par Chistian Janicot (ed.Arte).
Si Jonathan Rosenbaum y encense Mix-Up ou Méli-Mélo de ma compagne Françoise Romand (dont aucun des films n'a jamais été programmé au Réel, mais auxquels les éditions DVD offrent une seconde vie !), j'épluche consciencieusement les articles des autres pour déterrer quelques raretés que mes meilleurs limiers sauront bien débusquer. J'évite de m'épuiser sur La mouette de Josef von Sternberg séquestré par Chaplin qui l'a produit, les mythiques director's cuts d'Orson Welles, les inachevés d'Eisenstein, les neuf heures de la version complète de Greed (Les rapaces) d'Erich von Stroheim, etc. Heureusement la planète cinéphile, aussi ronde qu'une bobine ou un disque, révèle d'autres trésors cachés.
Ainsi je mets la main sur une piètre copie de Fear and Desire (1953), le premier long métrage de Kubrick interdit par le réalisateur qui a tenté d'en effacer toute trace, Une partie de plaisir (1975), un Chabrol bloqué pour des questions de droits, First Contact (1982) de Bob Connolly et Robin Anderson d'après les rushes de Michael Leahy sur le choc de civilisations entre lui et un million de Papous inconnus du reste du monde dans les années 1930, Dialogue with a Woman Departed (1980), montage poético-politique de Leo Hurwitz, Thomas l'imposteur (1965) de Georges Franju d'après Cocteau, Stars in My Crown (1950) soi-disant considéré par Jacques Tourneur comme son meilleur, Young Soul Rebels (1991) et Frantz Fanon: Black Skin, White Mask (1996) d'Isaac Julien... Les autres n'ont jamais existé, sont pour l'instant inaccessibles ou ne sont disponibles qu'avec sous-titres italiens. Ce ne sont pas forcément ma tasse de thé, mais toutes les pistes se valent sur le terrain de la curiosité. Il n'y a pas d'autre méthode pour découvrir des chefs d'œuvre méconnus.
Pour dégotter les plus belles perles il faut se lever de bonne heure et recouper les informations. Le blog de Jonathan Rosenbaum est le mieux étayé si on parle anglais et que l'on n'a pas peur de lire de longues et remarquables analyses. Je vais de temps en temps jeter un œil à celui de Bertrand Tavernier consacré aux DVD sur le site de la Sacd. Le plus efficace est de posséder suffisamment de contacts en ville et sur le www pour faire soi-même son petit marché, mais cela prend évidemment un temps fou, alors qu'il faut que je travaille ma trompette, expérimente de nouveaux alliages électroniques, termine mon roman et m'occupe des charges administratives qui affluent en fin de trimestre...

jeudi 24 mars 2011

J'avais annoncé la couleur


J'avais annoncé la couleur dès lundi matin. Mais étais-je déjà au bout du rouleau ou l'ai-je joué professionnel, attendant d'avoir terminé les sessions d'enregistrement avec mes deux camarades pour tomber malade ? Mes boyaux n'ont fait qu'un tour, mon nez s'est mis à couler en cascade, ma gorge a piqué droit vers le val d'enfer. Autant dire que ma nuit fut courte et agitée sans pouvoir m'en servir. J'avais pourtant enfilé ma combinaison anti-nucléaire pour les photos du trio dont nous n'avons toujours pas le nom (non, pas Maurice, surtout si c'est en peinture !). Sacha Gattino avait sorti sa parabole pour capter les signaux de l'espace, Birgitte Lyregaard fredonnait que ça sonnait fresh 'n chips et j'avais troqué mes claviers pour un cornet acoustique. On a mis dans la boîte un joli bouquet de fleurs séchées que l'on ressortira la semaine prochaine pour les tailler, histoire de les rafraîchir. Mon père aurait conseillé l'aspirine, comme pour les poissons rouges.
Le troisième jour, j'avais promis à Elsa de la conduire chercher des herbes aromatiques. Drôle d'idée alors que le panache nous passe au-dessus ! J'ai rapporté de la menthe marocaine, du thym, de la sarriette, de la sauge pour plaire à Françoise, deux sortes de basilic et de l'oseille. Il en faut toujours plus. D'autant que nous avons cafouillé en faisant les déclarations de l'assoc (pas de la sauce !) et qu'Audiens réclame des sommes indues sans qu'on n'y comprenne rien. On arrangera cela aux petits oignons. Comme si ce n'était pas suffisant, aux dernières tomates, des petites cerises qui montent, qui montent, qui montent, l'Urssaf nous gratifie d'un contrôle, rien de grave, mais du temps à perdre, et quand on a la tête dans le cirage la perspective de se plonger dans les comptes n'a rien de drôle.


Lundi, mardi, nous avions improvisé une quinzaine de pièces. Les plus courtes n'étaient pas les meilleures. On a fait un break en descendant sous terre parce que la musique de la ligne 11 qui mène au studio plaît à notre copine danoise. Comme Sacha incarne l'homme-orchestre au volant de ses machines virtuelles, je fais voler la poussière et exhume mon violon, les trompettes, l'entonnoir qui sonne comme une clarinette qui aurait attrapé ma crève et le melodica faisant chavirer Sonia qui nous tire le portrait par l'épier. Quitte à ne pas devenir millionnaires avec nos élucubrations de gamins farceurs et d'adulescents romantiques, autant se lancer dans du laboratoire, quelque chose de véritablement expérimental ! Cela ne signifie pas prise de tête, ce matin la mienne ressemble à une maracas et mon corps à un vibraslap, mais nous prenons le temps d'essayer des alliages inédits. J'ai enfin trouvé l'usage de mon filtre résonateur diabolique en y branchant le Kaossilator ; pour une fois la prudence s'impose ; à force de loucher vers les sub-basses qui dépotent, Vigroux avait fait sauté l'une de mes enceintes... Laisser de côté mes claviers me libère. Birgitte alterne rossignol milanais, flow downtown et l'indicible. J'aurais dû commencer par là.

dimanche 20 mars 2011

À la télé, au cinéma, en dvd...


Bref survol de quelques films vus récemment à la télé, au cinéma ou en dvd, et qui ne feront l'objet d'aucun billet particulier... En vrac, à profusion et arbitrairement...
Ceux de 2010 :
Benda Bilili !** de Renaud Barret et Florent de La Tullaye, leçon de vie par un orchestre de musiciens congolais handicapés, sur le conseil de ma tante Arlette Martin, les bonus de ce film musical justifient l'achat du DVD
Le discours d'un roi (The King's Speech)* de Tom Hooper, beau numéro d'acteurs noyé dans de l'alexandredesplatitude
Hors-la-loi** de Rachid Bouchareb, bien meilleur que Indigènes et indispensable pour comprendre un passage caché de l'Histoire de France, Djamel Debbouze y est formidable
Les petits mouchoirs** de Guillaume Canet, un nouveau Sautet ou Lelouch qui se laisse regarder avec plaisir grâce à l'admirable jeu des comédiens, comme le précédent sur le conseil de Nicolas Clauss
Winter's Bone* de Debra Granik, plus drame que polar, bien poisseux, pas ma tasse de thé mais vraie ambiance
Inception* de Christopher Nolan, pour l'action et le Rubik's Cube du scénario
The Green Hornet° de Michel Gondry, catastrophique pantalonnade
The Social Network* de David Fincher, si vous ne connaissiez déjà l'investissement libidinal des sales gosses devenus les manitous du Net de de l'informatique
Black Swan° de Darren Aronofsky, un cliché machiste de l'univers de la danse assez tape-à-l'œil pour faire illusion, semble-t-il
Tamara Drewe** de Stephan Frears, sur le conseil d'Anna Prangenberg, une comédie réussie inspirée d'une célèbre BD
contrairement aux Aventures extraordinaires d'Adèle Blanc-Sec°, plus nul tu meurs, une honte de plus à l'actif de Luc Besson, un sacrilège
Gainsbourg (Vie héroïque)° de Johann Sfar, sans grand intérêt, mieux vaut acquérir les clips publiés en DVD par Universal plutôt que ce manège de faux sosies
Detective Dee and the Mystery of the Phantom Flame* de Tsui Hark, prise en charge garantie, heroic fantasy avec des baguettes
City of Life and Death (Nanjing! Nanjing!)* de Lu Chan, épopée manichéenne chinoise anti-japonaise en noir et blanc, fastidieux
Tournée** de Mathieu Amalric, magnifiques premières trente minutes, mais la suite est paresseuse
Vénus noire° de Abdellatif Kechiche, c'est malhonnête de ma part d'en parler, j'ai calé à la moitié tant je m'ennuyais ; fiction de gauche, "le cinéma du réalisme citoyen" que critique Laurent Dubreuil dans les derniers Cahiers du Cinéma représente bien "le cinéma révisionniste" fustigé par Alain Badiou (dont les écrits sur le cinéma ont été récemment publiés)
Solutions locales pour un désordre global*** de Coline Serreau, le sujet est trop important pour que je n'en fasse pas un billet à part entière, à suivre
L'année précédente :
À l'origine*** de Xavier Giannoli, un film superbe qui nous interroge sur la manipulation des cerveaux disponibles dont nous pourrions être tous victimes à force d'illusions perdues, Cluzet en grande forme
I Love You Philip Morris** de Glenn Ficarra et John Requa, comédie irrésistible avec Jim Carey en escroc de haut vol, une histoire d'amour entre deux hommes, inspirée d'une histoire vraie comme le précédent
Le roi de l'évasion*** d'Alain Guiraudie, son meilleur de très loin, aucun poncif, du cousu main, à voir absolument comme celui de Giannoli
Violent Days** de Lucile Chaufour, un autre film français qui évite la sempiternelle bourgeoisie se répandant sur tous les écrans, la réalisatrice filme une classe sociale rarement vue au cinéma, prolos du Havre nostalgiques du rock 'n roll, le noir et blanc participe à la fusion de la fiction et du documentaire, et puis elle chante bien, rare chez les cinéastes
La cour des plaignants** de Zhao Liang, intéressante plongée dans la corruption chinoise filmée sur dix ans, terrible
Chéri° de Stephan Frears, adaptation de Colette totalement ratée, contrairement aux deux autres films du même cités ici
Chloe** d'Atom Egoyan, pour une fois bien meilleur remake que l'original (Nathalie* d'Anne Fontaine), contrairement à ce qu'a prétendu la critique ; à comparer les deux, bonne leçon de scénario grâce aux détails pour cette œuvre de commande
Et les plus anciens, par ordre chronologique inverse :
La révélation** de Hans Christian Schmid (2009), cette étonnante fiction est une dénonciation des magouilles politiques du Tribunal de La Haye autour des atrocités perpétuées en Bosnie
Missing (Sam hoi tsam yan)°, psycho-thriller de Tsui Hark (2008), si l'on fait abstraction du sirop mélo
7h58 ce samedi-là (Before the Devil Knows...)** de Sidney Lumet (2007), excellent polar avec Philip Seymour Hoffman et Ethan Hawke en mauvais fils
Ghosts of Cité Soleil** de Asger Leth et Milos Loncarevic (2006), musique de Wyclef Jean et Jerry "Wonder" Duplessis, documentaire époustouflant sur les bandes en Haïti du temps d'Aristide
Les faussaires* de Stefan Ruzowitzky (2006), intéressante anecdote historique sur des faux-monnayeurs juifs au service des Nazis
Les pommes d'Adam (Adams Äpplen)*** de Anders Thomas Jensen (2005), sur le conseil d'Anna, comédie dramatique politiquement incorrecte danoise qui mérite d'être redécouverte (et des pas mûres)
Imposture** de Patrick Bouchitey (2005), la classique intrigue en milieu littéraire est développée de manière originale, pas étonnant du réalisateur-comédien de Lune froide, intéressante approche du masochisme
Broken Wings** de Nir Bergman (2002), sur le conseil de Lucien Alfonso, très beau film israélien sur le désarroi de la jeunesse
Dirty Pretty Things*** (2002) de Stephen Frears, excellent polar londonien dans le monde des sans-papiers clandestins
La chatte à deux têtes** de Jacques Nolot (2002), film gonflé, entendre qu'il peut choquer beaucoup de monde car Nolot montre essentiellement les spectateurs d'un porno dans l'obscurité avec le ballet des travestis qui leur tournent autour, le film passe bien mais ça fait un peu mal
Chaos*** de Coline Serreau (2001), un de ses meilleurs films, Françoise m'en parlait depuis longtemps, la prostitution sous toutes ses formes, entre le thriller et la comédie de mœurs
Le huitième jour*** de Jaco van Dormael (1995), comédie salutaire où l'aspect populaire n'interdit pas la fantaisie
Once more (Encore)** de Paul Vecchiali (1988), cinéaste mésestimé ou méconnu avec pourtant à son actif plus de 50 longs métrages, une œuvre, inventive et subversive, coming out avec réminiscences ici de Jacques Demy, j'ai vu énormément de ses films dans les années 70-80 (Femmes femmes****, Corps à cœur****, Change pas de main**, La machine*...), mais j'ai découvert cet incontournable grâce à Fabien Béziat
Mon oncle d'Amérique*** d'Alain Resnais (1980), bien meilleur que dans mon souvenir, même si la psychanalyse est évacuée au profit des théories de Laborit, pourquoi faut-il toujours opposer au lieu de jouer les complémentaires ?
Série noire** d'Alain Corneau (1979), vu à l'occasion de sa mort sur le conseil de Pierre Oscar Lévy, dialogues de Georges Perec, déprimant et très réussi
Le malin (Wise Blood)° de John Huston (1979), il faut être nord-américain pour apprécier le délire préchi-précha
Affreux, sales et méchants° d'Ettore Scola (1976), le gros comique bien gras, même critique, m'est insupportable
Le privé (The Long Goodbye)*** de Robert Altman (1973), revu sur le conseil d'Elisabeth Lequerret, drôlement bien
L'attentat* d'Yves Boisset (1972), revu sur le conseil de Jacques Perconte, pas mal
Ubu enchaîné** de Jean-Christophe Averty (1971), un peu lourd, mais décapant
Mickey One*** d'Arthur Penn (1965), mon souvenir ne m'a pas trahi, super polar avec en plus la machine de Tinguely qui s'autodétruit en feu d'artifices
Du silence et des ombres (To Kill a Mockingbird)*** de Robert Mulligan (1962), sur le conseil de Vincent Segal, formidable pamphlet anti-raciste, les deux jeunes héros jouent aussi génialement que ceux de La nuit du chasseur****, étrangement méconnu en France
Po zakonu (Dura Lex)*, western constructiviste de Lev Koulechov (1926), décors d'Alexandre Rodchenko, moins enthousiasmant que nous l'espérions
Idem avec le premier volume de L'usage du monde*, où officient Julien Samani (Les hommes de la forêt 121, 2007), Serguei Loznitsa (Lumière du Nord, 2008), Wang Bing (L'argent du charbon, 2008) et évidemment Stéphane Breton (La maison vide, 2008, et La montée au ciel, 2009) dont les documentaires n'ont pas l'originalité de ses précédents***, c'est fort mais la complicité a fait place à la contemplation
La série Bored to Death* est sympa si l'on ne regarde qu'un épisode à la fois (26') de cette comédie déjantée, humour juif new yorkais, fumette et petites pépés, le générique est superbe comme souvent dans les séries américaines. On peut préférer Californication* ou, mieux, Breaking Bad**...
J'en oublie forcément.
En dehors de la saison 4 de Mad Men*** et de l'intégralité des comédies transgressives américaines**** conseillées par Jonathan Rosenbaum (dont le site est une mine), ceux qui m'ont véritablement accroché sont en rubrique Cinéma & DVD**** !

**** Chef d'œuvre *** A voir absolument ** A voir * Pourquoi pas ° À éviter

samedi 19 mars 2011

Retour au bercail (27)


Voilà. C'est fini. Les vacances sont terminées. Ce 27ème chapitre clôt cette série. J'aurais pu publier au jour le jour depuis les cafés et les hôtels où le wi-fi est partout gratuit en Asie, comme je le fais souvent lorsque je voyage, mais il aurait fallu que j'emporte mon ordinateur ou que je me connecte depuis des postes fixes, et surtout que je me mette systématiquement en chasse de cette liaison magique. Or si je suis parti, c'est justement pour fuir ce fil à la patte, cette perfusion quotidienne qui ponctue mes jours et m'esquinte la vue. J'avais besoin de vacances, surtout après le sprint de juillet ; pas moyen de récupérer depuis ; j'avais composé, interprété, enregistré, et ce avec des musiciens, monté sur les images et mixé la musique de 23 courts métrages en moins d'un mois, ce qui me laissait trois heures de sommeil par nuit. J'ai beau être un petit dormeur et faire des doubles ou triples journées de travail, par goût puisque j'ai la chance de faire de ma passion un métier, j'avais besoin de prendre l'air, de casser mes habitudes, de changer d'angle. Voyager dans des pays dont je ne parle pas la langue a toujours produit l'effet désiré. Cela ne m'a pas empêché de prendre des photos comme n'importe quel touriste et des notes sur le petit carnet que j'avais déjà gribouillé en janvier 2008 lorsque nous avions traversé le nord de la Thaïlande et le Laos.
Nous nous sommes reposés la première semaine sur une île thaïlandaise dont je n'ai jamais cité le nom par respect pour tous ses habitués qui m'ont demandé de le taire par crainte d'afflux massif dans les années à venir. Ils rêvent. Des Suédois et des Allemands y construisent déjà un village quadrillé et un grand complexe hôtelier. Il faudra certainement encore fouiner pour trouver de nouveaux paradis que nous contribuons nous-mêmes à polluer par notre rêve d'évasion. Les quinze jours au Cambodge se sont déroulés en trois phases : visite d'Angkor (trois jours suffisent), balade campagnarde sur le lac et au milieu les rizières en descendant jusqu'à Phnom Penh, puis retour au réel dans le monde des ONG et de la prostitution. Bangkok joua enfin le rôle de sas avant de retrouver l'Europe.
Un mois plus tard, je constate l'efficacité des vacances à mes moments de distraction.
J'ai une dent, une chaudière et un évier tout neufs. L'affiche d'Ella et Pitr, lacérée par une foldingue, ne sera pas restée collée plus d'une heure sur notre mur. Sacha et moi avons réalisé notre premier travail de commande en tandem pour Chanel. Le trio que nous avons formé avec Birgitte Lyregaard entame sa seconde période de laboratoire dès lundi prochain. On peut regarder mon duo avec Vincent Segal filmé par Peter Gabor en attendant la suite. Ma fille Elsa a changé de voix sans changer de voie. Françoise va sortir deux DVD au lieu d'un. Pour l'année du lapin nous espérions bien nous envoler vers le soleil levant, mais l'avenir est incertain. Vers où que nos yeux se tournent... Enfin, publier ce récit de voyage avec quarante-cinq jours de décalage m'aura donné un second mois de vacances ! Pour le reste de l'actualité, se reporter aux médias habituels, papier ou virtuel comme Mediapart où ce blog est publié chaque jour en miroir.

vendredi 18 mars 2011

Deux poids deux mesures


J'enrage. En me relisant je pense à la phrase de Michel vers la fin de Adieu Philippine : "Il y a tout de même des choses plus sérieuses dans la vie !".
Voilà deux fois que je perds mes lunettes dans les transports parce que ma chemise ne possédait pas de poche sur mon cœur. La première, j'ai cru les y ranger, mais elles ont glissé et la rame de métro est partie avec ma paire vert et violet. Cette fois les orange et bleu sont restées dans le taxi qui m'amenait à la Gare Montparnasse. La ligne 11 étant très perturbée, j'ai fait le malin en descendant à République pour filer jusqu'à Strasbourg Saint-Denis et rejoindre la 4... Sauf que la correspondance est en travaux. Les rues sont partout bloquées par des camions de livraison. Il fait chaud dans le taxi. Elles sont certainement tombées par terre lorsque j'ai ôté mon pull-over.
Elles représentent à mes yeux la seule manifestation flagrante de mon âge. Le "léger" embonpoint est un peu démoralisant, réclamant une régulation quotidienne de ma gourmandise, mais la vue qui baisse m'oblige à arborer en permanence une prothèse handicapante sur mon nez. J'ai commencé par la presbytie et depuis peu la myopie a montré le bout du sien. J'ai des lunettes pour voir de près, d'autres pour conduire ou regarder des films sur grand écran, et une troisième paire dite intermédiaire pour lire à bout de bras et converser sans postillonner dans la figure de mes interlocuteurs. J'avais commencé ainsi ce billet dans le TGV qui m'emportait vers La Rochelle, sauvé par les rouges, netteté de 50 cm à un mètre !
J'avais titré L'objet perdu en référence à l'un de mes premiers courts métrages dont la composition consistait en 10% net, 20% flou et 70% noir. Ce jour-là j'évoquais aussi la disparition de Séverin Blanchet dans un attentat à Kaboul. Aujourd'hui est enterré son frère Vincent, auteur avec Jean Monod de l'extraordinaire Histoire de Wahari, entre autres.
Jean Renoir racontait que dans une catastrophe le nombre de morts importe peu, car s'il n'y en a qu'un et que c'est moi, d'une certaine façon c'est plus grave. En vieillissant, j'ai des doutes. La catastrophe japonaise me rend terriblement triste. Quoi qu'il arrive désormais il y aura un avant et un après. Si le vent tourne, cinquante millions d'individus sont condamnés. L'expérience suffira-t-elle à enrayer la course à l'abîme ? On nous ment bien évidemment. Comme on nous a menti pour Tchernobyl. Dès le début de l'annonce, Pierre Oscar Lévy a été clair sur son blog. Le scénario le moins alarmiste est horrible. Qu'ai-je à faire de mes lunettes dans cette perspective ?
Apparemment sans rapport avec tout cela, j'ai participé hier à une table ronde sur les modèles économiques au WebTV Festival avec des gens très chouette. Je me suis tout à coup demandé si mon projet d'après Ramuz ne convenait pas exactement à une fiction pour le Net et la télé. Françoise suggérait déjà de le transformer en feuilleton. Fukushima fait virer l'anticipation de mon scénario en une interrogation critique de plus en plus en phase avec l'actualité. Il serait temps que chacune et chacun se demande ce qu'il fera quand le message nous parviendra. Nous vivons un tournant déterminant dans l'histoire de l'humanité. Saurons-nous en tirer l'enseignement qui sauve notre Terre ou les hommes préféreront-ils tout détruire plutôt que reconnaître leurs erreurs ? La honte est sur nous tous de ne pas savoir empêcher l'horreur.

mercredi 16 mars 2011

Perte de Visa (26)


À notre arrivée à l'Atlanta Hotel depuis l'aéroport j'ai perdu ma carte Visa dans le taxi qui avait essayé une fois de plus de nous arnaquer. Imaginez les sueurs froides lorsque je m'en suis aperçu dans la chambre au moment de transvider mes papiers de mon short vers mon pantalon long pour sortir dîner. Les multiples poches de l'un et l'autre m'évitent de porter un sac alors que je dispatche passeport, gros billets et petites coupures, iPhone, appareil-photo de manière à retrouver tout instantanément. Et je fais le tri inverse chaque matin n'ayant plus besoin de me couvrir les jambes contre les moustiques. C'est justement à Bangkok que je trouve ces pantalons en coton parfaitement adaptés aux voyages et qui ne coûtent que 5$ pièce. J'en fais provision à chaque passage.


Espérant me tromper et avoir fait tomber ma carte au moment de nous inscrire, je dévale l'escalier jusqu'à la réception. La fille me demande mon nom avec nonchalance et me demande si c'est ça ! Le taxi avait déjà rapporté l'objet de toutes mes inquiétudes sans n'attendre aucune récompense. Comme quoi on peut parfois se tromper sur l'honnêteté des gens. J'ai plané toute la suite de la soirée alors que nous cherchions désespérément un endroit calme au milieu du quartier musulman envahi par les bordels. Nous avions pris le boulevard par la droite alors qu'à gauche trois restaurants locaux installés la nuit sur un parking offrent du crabe, des coquillages flambés, poissons grillés, arrosés d'une bière locale à l'indice alcoolisé très léger.


Dans la même direction sur Sukhumvit, l'Ocean World au sous-sol du Paragon Siam Center nous change les idées. Françoise me rappelle la fascination de Nicolas lorsque nous étions allés à Brest présenter Somnambules et que nous avions pris une demi-journée à Océanopolis. J'avais dû inviter mon camarade pour qu'il accepte d'y entrer et ensuite il n'y eut plus moyen de l'en décoller, attaché à filmer tous les poissons qui passaient à sa proximité !

mardi 15 mars 2011

Tintin voyage sans passeport (25)


Pendant que Françoise achète un produit qui calme les piqûres de moustiques dans une pharmacie chinoise de Sukhumvit je tombe sur deux fascicules que l'on ne pouvait évidemment trouver que dans un pays où les originaux n'existent pas. Les éditions du Monde, de Libération ou du Figaro sont toutes des photocopies agrafées. Y a-t-il seulement un livre qui ne soit pas copié et broché sur place dans le sud-est asiatique ? Les DVD coûtent 1 dollar, pirates en vente le lendemain où les blockbusters sortent aux États Unis, lorsque ce n'est pas quelques jours avant ! Si l'industrie culturelle américaine reçoit la monnaie de sa pièce, impérialisme oblige, le manque à gagner peut s'avérer crucial pour les éditeurs qui produisent des œuvres ayant rapport direct avec ces pays. De même qu'aucun CD de musique arabe produit en France n'est vendu dans le Maghreb, aucun film de Rithy Panh n'existe au Cambodge autrement que sous cellophane à 1 euro. Les héritiers de Hergé étant réputés pour leur âpreté, il était logique de trouver des détournements de Tintin dans l'un de ces pays défavorisés qui se moquent des droits d'auteur. Les éditions Farang (étranger en thaï) offrent ainsi deux inédits savoureux, Tintin en Irak et Tintin en Thaïlande. Là où cela devient délirant, c'est que ce sont elles-mêmes des copies des pirates originaux. Tintin en Irak, à l'origine en couleurs, est reproduit ici en noir et blanc. Même les pseudos de Youssouf avec l'aimable collaboration de NQP et Victor ont disparu. Idem avec Tintin in Thailand, pirate anglophone de la parodie de Bud E. Weyzer. Véritable histoire d'arroseur arrosé.


Paru en 2000, l'album en Thaïlande est une excellente analyse critique du tourisme sexuel où Tintin retrouve Chang, on pouvait s'en douter. C'est aussi un pied de nez permanent aux ayant-droits de Moulinsart fustigés à longueur de pages. Les dessins en noir et blanc rappellent parfois l'art brut et l'aventure est savoureuse, fidèle représentation des us et coutumes locales.




Tintin en Irak est beaucoup plus intéressant dans son propos. Détournement de vignettes extraites de différents albums parmi les 24 autorisés (il en existe une foule d'illégaux), l'album se moque allègrement de l'incohérence de la politique française et du cynisme de l'impérialisme américain. On est proche des détournements situationnistes.

samedi 12 mars 2011

Immersion dans le réel (23)


Nous pensions faire du tourisme, arpenter les marchés, et nous voici à Phnom Penh en train de tourner un court-métrage qui pourrait permettre à Françoise de trouver le financement de la production du long métrage qu'elle est en train d'écrire !


Nous avons tout de même pris le temps de visiter le Musée des Beaux-Arts et le Palais Royal.


Françoise a été contrainte d'acheter un T-shirt pour cacher ses épaules nues, car les vigiles refusaient qu'elle ne porte qu'un châle. Les soieries sont si douces, en plus d'être pratiques en voyage, peu de place et infroissables.


Dans les jardins, je respirai les parfums de l'Asie. Trois couleurs pour un seul bougainvilliers.


Deux jours plus tard nous assistons à une manifestation de chemises rouges à Bangkok dans le quartier commercial de Pratunam. À pied, à moto, en camion, les manifestants défilent pendant des heures en accompagnant leurs slogans de percussion et de chansons. Françoise s'émeut, ignorant que la couleur ne revêt aucune connotation révolutionnaire. Le lendemain c'est au tour des chemises jaunes. La Thaïlande est un royaume tiraillé entre plusieurs factions qui toutes respectent le roi tout en ayant chacune la corruption qui lui lui colle aux doigts sans que cela atteigne les proportions du Cambodge où aucune manifestation serait possible, ni même envisagée. Nous éviterons chaque fois les monstrueux embouteillages de Bangkok en négociant astucieusement avec les chauffeurs de taxi, moins onéreux que le SkyTrain, le métro d'ici, réservé aux riches.


Nous y faisons des courses vestimentaires, habitude prise au passage dans la capitale thaï. Dans les centres commerciaux les prix sont délirants, huit fois moins chers qu'à Paris. Il suffit de tomber sur le bon stand, car la plupart des couturiers vendent la même camelote avec petits nœuds, dentelles et autres rajouts d'un goût très chinois. Heureusement les Thaïs sont inventifs et l'on trouve des trucs uniques pour des sommes dérisoires, à condition souvent d'acheter les articles par trois, soldes (c'est l'époque puisque le Nouvel An Chinois est dans une semaine) ou grossistes obligent.
Pendant notre voyage nous constatons que la Chine gagne sans cesse du terrain et nous ne donnons pas cher non plus de notre peau tant l'invasion est inéluctable. Le capitalisme stalinien fait froid dans le dos...

dimanche 6 mars 2011

Miam Niam (20)


Décidément la cuisine cra-cra sur les marchés est quatre fois meilleure que n'importe quel restaurant, même local, quatre fois moins chère et mieux tolérée par nos estomacs. À moins que ce ne soit tout simplement les bananes qui produisent un effet régulateur du système digestif ? Très bon tuyau, merci Olivia !
Nous avions passé la vitesse supérieure en ne déjeunant que de mets confectionnés par les vendeurs à la sauvette, riz gluant enveloppé dans une feuille de bananier et farci tantôt de banane, tantôt de porc, tantôt de courge, tantôt d'on ne le saura jamais. Nous achetons des noix de coco à un paysan qui manie la machette comme personne, fignolant le travail en faisant une encoche pour la paille pour boire le jus et une cuillère tranchante avec une partie de l'écorce pour déguster la pulpe. Françoise adore les petites bananes et les mangoustans tandis que je teste des combinaisons de desserts au lait de noix de coco en évitant autant que possible la glace pilée.


On peut manger n'importe où car de très nombreux Cambodgiens ne cuisinent pas et préfèrent acheter leur pitance à ces marchands ambulants. Il n'y a pas véritablement de cuisine khmère. Il y en existe plusieurs, de campagne ou des villes, variant en fonction des ethnies, Sino-khmers (sans compter les Chinois investissant ici comme dans tout le reste de l'Asie, et même sur tous les continents...), Vietnamiens (soldats restés sur place après le conflit indochinois qui mit fin au joug de Pol Pot), Chams (Musulmans venus il y a longtemps du Vietnam), sans compter l'influence thaïe, cuisine très raffinée, même si elle ne peut prétendre égaler la cuisine des banquets de la Chine, l'un des deux sommets culinaires mondiaux, cocorico ! En khmer manger se dit niam.

vendredi 4 mars 2011

Article 4 (19)


Le premier soir à Phnom Penh nous avons la chance de faire la connaissance d'Olivier de Fresnoye, coordinateur de Article 4 qui s'occupe des femmes victimes de violence, au premier rang desquelles les prostituées. Très critique envers le charity business de nombreuses ONG dont la plupart du budget s'envole en frais de fonctionnement (photo ci-dessus d'une route de 1 kilomètre de long menant à une ONG luxueuse au milieu de nulle part), Article 4 préfère former plutôt qu'apporter une aide volatile, poussant les Cambodgiens et les Cambodgiennes à se prendre en charge plutôt que les transformer en assistés. Elle tire son nom du quatrième article de la déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 : «Nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude ; l'esclavage et la traite des esclaves sont interdits sous toutes leurs formes». Grâce aux contacts qu'Olivier a tissés dans toute la ville, nous rencontrons des jeunes filles de 20-25 ans dans des bars dont le racolage est la fonction première. Chacune a une histoire différente, toujours violente, qui pour la plupart se terminera tragiquement. Le Sida fait des ravages depuis le passage des contingents de l'ONU. Les programmes de dépistage produisent hélas l'effet inverse de ce qu'ils sont supposés générer. Apprenant qu'elles sont infectées, nombreuses prostituées décident de se venger à le transmettant à un maximum de clients. Lorsque l'on sait que la prostitution est culturellement acceptée dans ce pays, on peut en imaginer les dégâts considérables.


Nous rencontrons Pierre Legros, directeur d'Article 4, qui fonda l'AFESIP avec la célèbre Somaly Mam dont il est aujourd'hui divorcé. Sa nouvelle épouse est de la même trempe. Nous arrivons le jour même où son autobiographie est publiée. Kunthear Lot, donnée pour morte et enterrée vivante à la naissance, a été violée dès l'âge de 8 ans pendant cinq ans par son oncle dont elle tombe enceinte. Son premier mari l'épouse alors sur un pari et lui fait un second enfant. Un riche Malais la sort de là, mais il se retrouvera en prison, la laissant seule à 18 ans avec trois enfants ! Esclave domestique en Malaisie pendant deux ans elle réussit à s'échapper et à rejoindre le Cambodge avec deux de ses enfants. Etc. L'histoire semble incroyable, mais toutes les filles rencontrées ont une vie aussi terrible. Françoise étudie sérieusement la possibilité de réaliser un film autour de la prostitution au Cambodge et de la violence faite aux femmes et aux enfants.


Le lendemain nous partons en voiture jusqu'au village natal de Kunthear qui rend visite à ses quatre enfants gardés par sa mère. Celle-ci a perdu une jambe lorsqu'elle fut fauchée par un camion sur la route qui nous mène à elle. Aucune effusion familiale, pas un regard échangé de part et d'autre, juste une vague présence. Certaines de ces femmes ont été des Khmères rouges trop actives. Personne n'en parle. Personne ne parle. Écrire un livre sur sa vie (en traductions française et anglaise d'ici peu) est très courageux pour Kunthear, totalement en porte-à-faux par rapport aux pratiques cambodgiennes. Article 4 souhaite briser les non-dits qui empoisonnent la vie des habitants, névroses familiales catastrophiques dont les horreurs se perpétuent de génération en génération. Kunthear apprend qu'elle fut elle-même le fruit d'un viol. Du temps de l'Angkar qui avait aboli la famille, l'organisation choisissait les couples. Une femme qui ne tombait pas enceinte au bout de quelques mois était liquidée.


Partout règne la misère. Françoise filme Kunthear sur la route, au village, au local d'Article 4, à la télévision, tandis que Pierre Legros qui l'a épousée traduit ou donne les clefs de ce qui peut nous paraître invraisemblable en fonction de nos propres références. Kunthear, qui avait réussi à cacher ses émotions sur les plateaux des différentes chaînes de télévision où elle présente son livre, Le ruban jaune, ne peut retenir ses larmes.

mardi 1 mars 2011

Ella et Pitr lacérés par la voisine


De passage à Paris, Ella et Pitr nous font un cadeau merveilleux en venant coller sur notre mur un de leurs cadres qui invitent les passants à se photographier devant et à leur envoyer par mail. Ils ont déjà reçu plus de 400 photos prises un peu partout où les mènent leurs pérégrinations d'artistes de rue. Chaque affiche étant un original, on reconnaîtra la dédicace à son frontispice. Le cadre noir cavalier a malheureusement fait se cabrer la voisine hystérique dont la spécialité est de tirer à vue sur quiconque pénètre dans "son" allée privée. Dès que nous avons eu le dos tourné la harpie procédurière, une autre de ses marottes, déchire rageusement l'œuvre encore fraîche, allant jusqu'à casser un morceau du mur dont la couleur l'agace déjà puisque tout a le don de la mettre en furie. Elle s'est d'abord acharnée sur le mot Bagnolet, mairie avec qui elle règle des comptes depuis que son père, employé municipal décédé il y a plus de quinze ans, aurait été en litige avec la ville. En bas, le texte invitant les amateurs à mettre un pied sur "son" territoire a été réduit en bouillis. C'est ce qui l'a excitée, nous en aurons confirmation le soir-même lors de l'agression physique dont nous serons victimes, mais j'anticipe... Elle n'est évidemment pas la seule habitante de l'allée, aucun autre ne lui adressant plus la parole ni répondant à ses invectives quotidiennes, tous en conflit ouvert avec la maudite famille, trois sœurs partageant la même agressivité.


L'affaire pourrait sembler absurde, voire rigolote, si cette famille n'était connue dans tout Bagnolet pour ses délires paranoïaques qui leur valut de faire 48 heures de garde à vue il y a une dizaine d'années tant elles étaient ingérables. Je me souviens d'elles se débattant comme des diablesses tandis que les policiers embêtés les jetaient dans le panier à salade, qui n'aura jamais aussi bien porter son nom. L'un tenait les jambes, l'autre les bras. Leur agressivité met généralement de l'animation dans le quartier, car il suffit que quiconque fasse trois pas dans l'allée pour qu'elles sortent aussitôt, l'insulte ordurière à la bouche. L'une d'elles a récemment agressé physiquement notre voisine d'en face et elle recommencera hier soir alors qu'Ella et Pitr étaient sagement en train de néttoyer ce qui restait accroché. Elles abîmeront la caméra de Françoise qui filme leur délire, preuve irréfutable en cas de suite, casseront mes lunettes, puis la porte du jardin tandis que nous sommes rentrés et qu'elles s'acharnent sur la sonnette.
J'ai longtemps cherché à les protéger, sachant que leurs doléances pouvaient parfois se comprendre, comme lorsque les propriétaires de toutous viennent faire déféquer leur animal dans ce coin de campagne non bitumée. Mais les trois furies ne sont capables que de se mettre tout le monde à dos, ne survivant que dans la hargne et la haine. Elles habitent pourtant au fond du chemin, à une soixantaine de mètres de la rue. Leur prétention à tout régenter fait évidemment l'impasse sur notre mur de vingt-cinq mètres. Rien n'autorise quiconque à le saccager, encore moins dégrader une œuvre d'art, d'Ella et Pitr qui plus est, deux artistes aussi gentils que talentueux. Ella était toute retournée. Il n'est jamais facile d'être confronté à la folie.


Notre joie n'aura pas fait long feu. Nous nous voyions tirer le portrait de tous nos visiteurs devant le tableau d'Ella et Pitr (papierspeintres représentés par la galerie Le Feuvre). Faut-il être bête et méchant ! C'est marrant, je me souviens de Jacques Brel soutenir qu'il n'y avait pas de gens méchants, mais seulement des gens bêtes. Nous savons hélas qu'il n'y a pas grand chose à faire. Passer notre chemin, en laissant les chiens aboyer pour nous focaliser sur les mésanges qui sont de retour.

P.S.: les harpies m'ayant mis la puce à l'oreille, je suis passé à la Mairie et j'ai découvert au cadastre que nous étions propriétaires d'une partie de l'allée tout le long de notre parcelle ! Voilà treize ans qu'elles me font croire, et aux autres voisins, qu'elles possèdent l'intégralité de l'impasse...

mercredi 23 février 2011

Bamboo Train (15)


La fin d'après-midi sera plus amusante que le pèlerinage sur les lieux du crime. Nous empruntons un des derniers trains de bambou, une natte sur deux essieux et un moteur de tondeuse à gazon. Lorsque nous croisons un autre chariot qui ramène les paysans de la rizière un des deux conducteurs démonte et dépose son véhicule sur le bord de la voie pour laisser à l'autre le chemin sur les rails.


Et nous revoilà repartis à toute birzingue, agrippés à la barre, les cheveux au vent, avec le soleil qui se couche sur la campagne et le son des rails tordus qui nous secouent comme si nous étions à la Foire du Trône. Sur leur blog en temps réel, ma nièce Chloé et son copain Simon précisent que ce sont des roues de char allemand. À l'instant où je mets en ligne ils ont franchi la frontière vietnamienne.


Françoise avec sa caméra et moi avec mon Lumix filmons en HD plusieurs plans séquences dont l'un servira de générique de fin à Thème Je, laissé en suspens jusqu'à notre retour. Comme si Françoise filait vers de nouvelles aventures, les rails du chemin de fer se croisant à l'infini. Comme elle sait exactement comment l'intégrer elle cadre les rails sur la gauche pour laisser défiler les noms de toute l'équipe.

mardi 22 février 2011

Retour sur les Khmers rouges (14)


Nous sommes définitivement abonnés au tuk-tuk. Il nous promène dans la campagne au milieu des rizières où poussent palmiers et cocotiers. On fait du sucre avec les uns et la noix de coco se retrouve un peu partout dans notre alimentation, fraîche avec une paille, râpée, transformée en lait pour soupes ou desserts.


Quant au riz il est servi d'office avec tous les plats. Le thé vert est gratuit lorsqu'il est chaud à la théière. Nous nous plions à la coutume des étrangers qui ne boivent que de l'eau minérale et s'interdisent les glaçons. La petite bouteille ne coûte que 500 riels, soit 10 centimes. On en trouve souvent deux offertes dans les chambres d'hôtel. Il arrive que l'on se fasse racketter, mais comment le reprocher aux autochtones dont l'extrême pauvreté tranche avec notre pouvoir d'achat ?


La première halte n'est pas des plus réjouissantes, mais elle garantit au peuple cambodgien de ne pas oublier la sinistre époque des Khmers rouges qui assassinèrent 1,7 million d'individus, 20% de la population, de manières expéditives et plus brutales les unes que les autres. Sur cette colline de Phnom Sampeau on poussait les condamnés dans le vide jusqu'au bas de la grotte : 10 000 morts. Il suffisait de porter des lunettes ou de parler une langue étrangère pour être considéré comme un intellectuel, donc un ennemi de la révolution, et être immédiatement exécuté. Comment comprendre cette boucherie perpétuée souvent par des jeunes paysans, garçons et filles, illettrés, mais sous les ordres d'hommes ayant fait leurs universités à la Sorbonne ? On raconte que la CIA aurait conseillé aux fonctionnaires de rejoindre les Khmers rouges pour infiltrer le mouvement maoïste. La paranoïa aurait condamné illico l'intégralité des fonctionnaires, et à leur suite les enseignants, les médecins, etc.


Mais l'explication est évidemment beaucoup plus complexe. Il faut remonter loin dans l'histoire du peuple khmer, se rappeler la colonisation de l'Indochine par la France, la guerre du Vietnam qui généra autant de bombes sur le Cambodge et des plus sales (le mélange bombes lacrymogènes + napalm = bombes au cyanure, information non officielle qui sortira un de ces jours quand les USA seront accusés de crime contre l'humanité), l'autodestruction des Khmers rouges, les Casques bleus de l'ONU transformant le pays en un immense bordel pour arriver à la corruption de nombreux dirigeants (collusion avec la police et la mafia), la mise à sac du pays (dilapidation des bois précieux, minerais, pêche, etc., vendus à l'étranger)... À part le tourisme et l'industrie textile le Cambodge ne vit que de l'assistanat de pays étrangers. Nombreuses ONG font leur beurre sur le dos de la misère, tout le monde le sait. Il faudrait plus d'un article pour tenter de comprendre la boucherie des années 70 qui rappelle furieusement le délire des gardes rouges que le gouvernement chinois finira par zigouiller après les avoir créés. Octroyer le pouvoir de vie et de mort à des jeunes gens illettrés a déjà fait ses preuves dans l'Histoire.
L'un de nos conducteurs de tuk-tuk raconte qu'il avait trois ans lorsque ses parents, instituteurs, ont été assassinés sous ses yeux. Enfermé avec soixante autres gamins, sans boire ni manger, qui mouraient au fur et à mesure, il fut l'un des trois rescapés et fut ensuite adopté. On se souvient de la vague d'adoption qui avait atteint alors l'occident...


La suite de la visite est moins glauque. Françoise filme les petits singes qui gardent le temple bouddhiste. Le style est toujours très indien, kitsch à souhait.

jeudi 17 février 2011

Dr Fish (10)


Siem Raep. À chaque coin de rue sont installés de grands aquariums remplis de Garra rufas où nous sommes invités à nous tremper les pieds. Pour 3$ les trente minutes une centaine de petits poissons vous sucent les arpions, avalant les peaux mortes et vous prodiguant maints bienfaits thérapeutiques. La première impression est électrique. Françoise se tord des rire sous les chatouilles.


Le préposé se sert de nous pour appâter les badauds. Une bonne heure plus tard nous sommes toujours là, détendus par le fish foot massage du Dr Fish. L'Ocean World du Paragon Siam Center de Bangkok en a fait une de ses principales attractions. En rentrant au Bopha Angkor Hotel nous nous apercevons qu'un bassin identique est situé juste en face de notre chambre ! Le lendemain je me referai donc une petite séance. Les poissons étant nettement plus gros je ressens très bien l'aspiration de leurs petites bouches. Mes pieds, plus appétissants que ceux de mes voisins à en juger par la grappe des bestioles qui s'y accrochent, sont devenus d'une douceur incroyable.
De retour à Paris, nous apprendrons que cette attraction gagne les centres de beauté européens...

samedi 12 février 2011

Duo Birgé Segal au Triton ce soir à 21h


Cherchant un titre à notre duo, j'ai tout de suite pensé à Duchamp. Comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie semble avoir été créé pour nous. On reconnaîtra facilement l'analogie avec le violoncelle de Vincent Segal et mes détournements. Notre art serait-il une savante entreprise de déconstruction qui transite par des années d'analyse pour sauter directement au passage à l'acte ? Une histoire de fous, en somme.
Le programme détaille :
Si le violoncelliste Vincent Segal ne craint pas la pluie, le compositeur Jean-Jacques Birgé possède une collection d'aiguilles. Sur scène tout est possible. Sérieux comme des bouffons, ils nous convient à partager leur nouveau chant de Maldoror, parodiant tout ce qui tombe entre leurs mains sans renier leur amour pour les lieux communs, le romantisme et le naturalisme, l'improvisation et les musiques contemporaines quelle que soit leur époque. Les machines célibataires de Birgé se laissent séduire par le lyrisme et l'élégance du violoncelle de Segal pour construire ensemble la plus humaine des Ève futures. Les deux joyeux adulescents attaquent la musique à l'acide comme une paraphrase critique du monde où ils ont grandi et qui n'est plus qu'une caricature de lui-même. Leur distanciation crée le vertige en incarnant la victoire de l'imaginaire sur le réel.
avec
Vincent Segal - violoncelle, frein et arbalète
Jean-Jacques Birgé - MascaradeMachine, Tenori-on, trompette à anche, flûtes, etc.
L'arbalète, le frein, la trompette à anche et les flûtes ont été construits par Bernard Vitet dans les années 70. MascaradeMachine est un instrument virtuel conçu par Antoine Schmitt et J-J Birgé en 2010.
J'ai fourni une photo que Françoise avait faite l'an passé au moment de notre visite-concert de l'exposition Vinyl à la Maison Rouge. J'ai relu ce que nous avions imaginé pour cette rencontre rare.
Ce soir, samedi 12 février à 21h au Triton

, nous improviserons librement en nous laissant aller au plaisir de jouer ensemble et de partager ces instants avec le public. En relisant cette dernière phrase ou si j'écoute ce que nous avons déjà enregistré ensemble il me semble avoir bien changé depuis les spectacles d'Un Drame Musical Instantané...

vendredi 11 février 2011

Le baiser de la femme araignée


Étonnant comme l'on peut être sensible ou pas à un film, un livre, une musique !
J'ai bien aimé l'énigme du polar Requins d'eau douce d'Heinrich Steinfest (Carnets Nord), ses ressorts inattendus, mais je suis resté en retrait de son style sec. Je me pose toujours des questions sur la littérature étrangère qui ne me préoccupent pas lorsque les auteurs sont francophones. Cette frustration vient-elle de l'original ou de sa traduction ? Sur ma table de nuit m'attendent les textes sur le cinéma d'Alain Badiou (Nova Éditions), les entretiens avec Werner Fassbinder (G3J) et David Lynch (Cahiers du Cinéma), plus des romans qui m'obligeront peut-être à me poser, Marina de Carlos Ruiz Zafon, Le quai de Ouistreham de Florence Aubenas que Françoise a adoré et Un mage en été d'Olivier Cadiot qu'elle a emprunté pour moi à l'excellente Médiathèque de Bagnolet. En général j'aime justement beaucoup le style de Cadiot, sa musique. Le style. L.F. Céline en parlait très bien. Le style est plus important à mes yeux et mes oreilles que les histoires racontées. Une excellente raison pour égratigner la majeure partie de la production cinématographique actuelle, empêtrée dans les conventions imposées par la narration ou reportages démonstratifs...
Pourtant je n'ai pas accroché à Oncle Boonmee du Thaïlandais Apichatpong Weerasethakul qui semble enchanter pas mal de monde. Les images sont belles, mais le rythme, très personnel, est malgré tout mollement bancal. Est-ce magiquement stylé ou simplement maniéré ? Peut-être est-ce ce fichu sens du sacré qui me fait défaut ? Ou aurais-je une façon tordue de l'appréhender ? Je le sens lorsque je discute de Pasolini ou Bergman avec les amis. Le mysticisme me barbe quand il se substitue à l'inconnu. Comme si la question sans réponse le resterait éternellement ! J'ai essayé de regarder les Enquêtes extraordinaires de Stéphane Allix (Ed. Montparnasse), mais l'accumulation de témoignages ne mène nulle part. J'espérais quelque polémique entre divers scientifiques et philosophes pour m'aider à terminer le feuilleton un peu science-fiction dont il ne me reste que sept épisodes sur cinquante à écrire...
Question du style toujours avec Edward II de Derek Jarman. Le punk baroque appliqué à Marlowe m'horripile rapidement. Surcharge, surjeu, surtout. Tout paraît ampoulé, crémeux, redondant. L'icono homo accouche parfois de ce genre de monstre misogyne.
Le baiser de la femme araignée d'Hector Babenco, réalisateur brésilien d'origine argentine, m'inspire l'inverse (les deux DVD sont publiés par Carlotta). L'homosexualité n'est pas le sujet, mais le machisme qui produit les pires horreurs sur Terre. L'écrivain Manuel Puig révèle le secret de l'origine de son roman dans l'un des bonus. Il n'a pu trouver une seule femme qui revendique son asservissement à l'homme. Seul un travesti pouvait tomber dans le panneau, hors la réalité, dans le fantasme sans hésiter. Le film de 1985 n'a pas pris une ride. Deux prisonniers partagent la même cellule sous un régime dictatorial. Le film dans le film, raconté à l'un par l'autre, souligne l'évasion impossible. À la caricature de militant joué par Raul Julia répond l'extraordinaire finesse du personnage interprété par William Hurt, catalyseur d'un miroir aux faces multiples qui creuse l'inconscient en explorant les abysses de la sexualité et du pouvoir pour révéler la dignité de l'être humain. La résistance se dévoile sous des visages inattendus...

jeudi 10 février 2011

Le tuk-tuk en folie (7)


Les deux motos-taxis nous ramènent au speed-boat qui traverse les îles sauvages dont les arbres ont les pieds dans l'eau. Françoise filme les docks à l'arrivée dans le port de Ranong. J'ignore si les centaines d'individus une feuille de papier à la main qui font la queue sont des immigrants birmans ou des candidats à l'emploi, mais leur nombre est impressionnant. Le hangar à l'écart semble discret, à peine entrevu depuis le bateau.
Sur la terre ferme nous retrouvons l'ambiance de la Thaïlande avec ses petites échoppes et son grand marché où nous savourons un délicieux café thaï, version locale de ce que nous appelions café lao lors de notre précédent voyage, mélange de café noir infusé dans une chaussette et de lait concentré sucré, servi avec un verre de thé vert pour nous rincer la bouche après que l'épais breuvage ait envahi nos papilles. Nous ne dormirons pas de la nuit !


Le tuk-tuk bleu que nous avons hélé au passage oublie de nous déposer aux sources chaudes et nous fait faire le tour de la ville pendant une heure trente alors que les eaux sont à cinq minutes du Palmy Home, 300 Baths la nuit et une liaison wi-fi qui nous permet de réserver avion et hôtels pour la suite de notre périple. Sur le chemin des écoliers, remontant à la source, notre chauffeur, qui n'a visiblement pas inventé l'eau chaude, racole doucement les clients sans les voir et c'est moi qui les lui signale ! Inversement, il se frappe chaque fois le front lorsqu'il prend un grattement de nez pour une sollicitation de s'arrêter. Sur les docks que nous découvrons côté coulisses nous croisons notre premier éléphant, en plein travail.


Retour à la case départ. Nous plongeons nos petons dans une eau sulfureuse à 60° avant de déguster de succulentes brochettes d'œufs frits en apéritif. Un peu de shopping, mais les Thaïs se couchent très tôt, deux grandes soupes, et nous nous envolons le lendemain pour Siem Raep (Angkor) via Bangkok.

mercredi 9 février 2011

Histoire de rat (6)


Je reprends le journal de notre voyage en Asie réalisé en janvier... Sixième chapitre.
Que des rongeurs fassent la java au-dessus de nos têtes, nous empêchant de dormir, peut être contrariant, mais Françoise n'apprécie pas du tout qu'un gros rat lui tombe du faux plafond tandis qu'elle accroche son sac à un clou. Je vois l'animal galoper sous le lit, mais le temps que je tourne la tête vers ma compagne il a déjà disparu comme par enchantement. Il n'existe pourtant aucun trou dans le plancher de bois. Les jeunes Thaïs de la réception arrivent avec un chat qui, après avoir fait plusieurs fois le tour de la chambre, ira se prostrer derrière la cuvette des cabinets ! Comme nous insistons nous passons exceptionnellement la nuit dans un autre bungalow. Le lendemain matin, Françoise se met en quête d'un endroit moins exposé. Dans le resort (hôtel) d'à côté tout le monde est affairé à chasser un serpent grimpé sur la terrasse ! À tout prendre nous gardons notre rat pour les deux nuits qu'il nous reste à passer avant de regagner la terre ferme.
Coup de théâtre le lendemain soir. Des amis québécois nous ont acheté une assiette de glu au milieu de laquelle nous avons placé quelques cacahuètes grillées. Un gros rat s'y est collé les pattes et se débat comme un beau diable, hésitant nerveusement entre le fuite et le butin, trimbalant avec lui le piège tragique. Je rate le premier coup de gourdin. Je le fais couiner au second et l'achève au troisième avant que Françoise ne me rejoigne. Cela ne me plaît pas du tout. J'arrête là mes activités criminelles car, sinon, le quatrième coup aurait été destiné au DJ d'à côté, adepte des sub-basses minuit très largement passé. Le matin, j'aperçois le museau du gecko que je soupçonne avoir été l'adversaire nocturne du gros rongeur.


L'atmosphère est devenue lourde et humide. L'horizon s'est dégagé laissant apercevoir la Birmanie derrière les bateaux de pêche, énormes araignées d'eau au milieu de leur toile. Nous dégustons leurs calamars au barbecue. Nous avons dégotté une gargotte derrière l'hôtel où tout est délicieux et moitié prix de celles installées sur la plage. Une petite dame sous un parapluie qui la protège du soleil, ici la peau blanche est le nec plus ultra, passe proposer du riz gluant à la banane entouré d'une feuille de bananier. Dès qu'il fait un peu trop chaud nous allons piquer une tête dans les vagues, cette fois sous la pluie. mais nous nous faisons picorer par le plancton. Cela change un peu des sun flies, petits insectes énervés qui ont couvert Françoise de petits boutons et du crabe de terre qui l'a pincée en passant.

mardi 8 février 2011

Un album en une journée, du rêve à la réalité


Mettre en ligne un album le jour même où il est imaginé et enregistré ! Une heure de musique inédite, en direct ou téléchargeable gratuitement sur le site drame.org. Le nouveau trio réunit la chanteuse danoise Birgitte Lyregaard, le polyinstrumentiste Sacha Gattino et moi-même.
Hier lundi nous avons donc composé, enregistré, produit et publié un album entier de notre nouveau trio.
Improvisateurs chevronnés, entendre des compositeurs ayant suffisamment travaillé dans le passé pour avoir rassemblé des caisses de biscuits et pouvoir les digérer le temps d'une session de trois heures, technophiles ayant suffisamment roulé leur bosse pour détenir leurs moyens de production et être capables de maîtriser ces nouveaux outils, zébulons assez fous pour mettre en ligne le soir le travail de la matinée, nous nous sommes bien trouvés tous les trois, d'autant que l'entente est parfaite, tant au niveau des humeurs que de la musique.
Alors que j'ai la chance inouïe de jouer au Triton (Les Lilas) samedi prochain avec le violoncelliste Vincent Segal, et nous nous entendons comme larrons en foire, une histoire de pur plaisir et de complicité absolue, je fais coup double en montant un trio avec Birgitte Lyregaard (qui vient de sortir un très bel album de jazz intitulé Blue Anemone avec le pianiste Alain Jean-Marie sur Challenge et qui a plus d'une corde à son arc vocal, sic) et Sacha Gattino (alter ego du nouveau siècle avec qui j'ai déjà enregistré, entre autres la musique du dernier film de Françoise Romand, Gais Gay Games). Avec Vincent comme avec mes deux nouveaux acolytes, l'ambiance est la même. Détente et concentration maximales. Les deux conjuguées nous laissent croire que tout est écrit alors que nous inventons à chaque pas sans ne rien savoir à l'avance de notre voyage. Ensuite, chaque auditeur/auditrice y trouvera ou non son bonheur, mais l'essentiel est que nous soyons aux anges, avec l'irrésistible désir de nous retrouver et de continuer.
Au delà de cette excitation de la découverte, le principe de cette journée productive pose de sacrées questions sur l'industrie du disque. Nous aurions probablement pu améliorer le montage en coupant quelques longueurs, enregistrer en multipistes pour parfaire le mixage, compresser l'ensemble pour offrir un master exemplaire, recommencer quelques prises, faire des morceaux plus courts, mais le fait est là, la musique est accessible dans le monde entier quelques heures seulement après en avoir rêvé !

mercredi 2 février 2011

À l'horizon la Birmanie (2)


il n'y a que quelques pas à faire dans le sable pour plonger dans l'Océan Indien. Par temps clair on peut apercevoir la Birmanie (Myanmar). Les grands bateaux ressemblent à des vaisseaux pirates faits de bric et de broc comme dans les élucubrations hollywoodiennes du cinéma australien. Ils pêchent les calamars de nuit avec de puissants projecteurs.


Après avoir traversé des plantations d'hévéas et de noix de cajou nous avons rejoint à pied la côte est. Des aigles de mer et de petits échassiers nous surveillent comme nous attaquons les pentes douces de l'étroit bitume qui sert de route aux scooters. En Thaïlande on roule à gauche. Sur l'île les automobiles sont interdites. Nous rentrons en taxi-mob à temps pour profiter du soleil rouge s'enfonçant sur l'horizon comme dans une boutonnière.


Je dévore L'ombre du vent de Carlos Ruiz Zafon qu'Elsa m'a offert pour Noël. Nous sèmerons nos lectures au fur et à mesure sur notre route pour alléger nos bagages et faire de la place pour de nouveaux trésors. Françoise fait une cure de sommeil pendant que je me laisse aller à la rêverie annoncée. Hélas, à cent mètres, les sub-basses du bar psychédélique nous réveillent, techno allemande comme la plupart des touristes de cette île paradisiaque non répertoriée par le Routard. Nous préférons aller faire un tour pour voir ce qui se passe sur la plage à minuit plutôt que pester contre cette pollution nocturne.


Deux jeunes Thaïs font s'envoler des montgolfières de fortune en allumant un feu sous une haute lanterne de papier blanc. L'étoile incandescente brûle au large au-dessus des vaisseaux qui marquent une ligne d'horizon fictive comme la corde d'un arc formé par la baie que nous arpentons dans le noir. La nuit s'avérera agitée. Après les décibels de quatre débiles abrutis je surprends le gecko dans la salle de bain, souple comme un gros gant de toilette grisâtre qui fait autant de bruit que la veille, mais chaque fois trop brièvement, et une seule fois par nuit, pour que je parvienne à l'enregistrer. C'est ensuite autour d'un rongeur de faire la nouba au-dessus de nos têtes. Il grattera et rongera le plafond toute la nuit.
Le matin je plonge dans l'eau redevenue bleue pour chasser un cauchemar, reste de l'an passé et du temps exclusif où le travail occupait mes pensées. Le ciel fait la couleur de l'eau...

lundi 31 janvier 2011

Happy Air (1)


C'est reparti pour un tour ! Un mois de pause fait le plus grand bien, on rentre dispos, prêts à affronter le froid en se disant qu'on va se jeter dans un bon bain chaud. Cela changerait des douches rafraîchissantes des nuits clémentes de Bangkok où il faisait seulement 30°C. Mais la maison nous réserve une vilaine surprise. La chaudière est tombée en panne encore une fois. Je connais la manœuvre, démonter la face avant, essuyer le contacteur et la température remontera dans une heure. Françoise prend son mal en patience en se décidant pour un thé chaud, mais les plombs ont sauté en notre absence ! Comme le garde-manger est vide, j'en profiterai demain pour acheter des fusibles en faisant les courses. En attendant je passe la nuit à remplir la DADS de l'association, faire les comptes et trier les six mille mails qui se sont amoncelés comme autant de lignes budgétaires sur le déficit d'une année antérieure ainsi que la pile de courrier qui ressemble à des cadeaux de Noël. Le chat n'arrête pas de miauler et je n'ai pas sommeil. La mélatonine fait son effet : je ne suis pas fatigué et j'attendrai quarante-huit heures avant de fermer l'œil. Dans mon sommeil planent les effluves de notre voyage...


Mes premières lignes thaï se dessinent sous une pluie battante. J'écris couché sous une moustiquaire rose avec les vagues qui viennent s'échouer sur la plage au pied du bungalow vert pomme, couleur de toutes les maisons de l'île.


Nous passerons la nouvelle année endormis, la fenêtre ouverte sur les cocotiers, après avoir quitté Paris vingt-quatre heures auparavant. Mon intoxication alimentaire de la veille du départ n'a pas facilité le voyage. Peu dormi, rien mangé, même pas eu le courage de suivre un film malgré une sélection appétissante dont je ne jouirai qu'au retour où je m'en enfilerai cinq coup sur coup. Françoise a eu la judicieuse idée de prendre une chambre pour quelques heures dans un hôtel proche de l'aéroport Suvarnabhumi, nous permettant d'attaquer la seconde partie du voyage un peu reposés. Un Flamand nous raconte qu'il s'est offert deux heures de massage pour tuer le temps pendant la correspondance. L'avion à hélices ne peut contenir plus de trente passagers. Arrivés à Ranong nous sautons dans un speed boat qui nous emporte sur Kho P., une île encore préservée des flots de vacanciers, fêtards et touristes sexuels.


Nous nous endormons au son du sac et du ressac et nous réveillons à celui des pétards du réveillon que nous passerons dans les bras de Morphée, huitième anniversaire de notre rencontre. Les cris d'un gros gecko gris foncé me font sursauter au milieu de la nuit. Le petit dragon caché sous le toit fait autant de bruit qu'une trompe d'auto, sauf qu'ici personne ne pollue l'espace sonore. On croirait le chant d'un coq punk. Dans la moiteur du matin je termine mon premier billet, allongé sur la chaise longue de la terrasse du bungalow sur pilotis qui fait face à la Mer d'Andaman.

jeudi 30 décembre 2010

Envol


Remise du compteur à zéro programmée pour les jours qui viennent en espérant revenir dans un mois tout neufs, reposés, pleins d'élan pour les nouveaux projets et l'année qui va commencer. Trois ans sans vraies vacances, c'est beaucoup trop long ! Nous laissons derrière nous l'hiver, notre panthère des neiges et les amis qui gardent la maison. Ne pas me connecter à Internet pendant un mois va me faire le plus grand bien. La perfusion est trop contraignante. La cuisine, style la noix de coco et basilic, pourvoira très bien à mon alimentation. C'est la troisième fois seulement en cinq ans que je fais une pause du blog, mais au retour je ne compte pas continuer 7 jours sur 7. Je reprendrai le 31 janvier en sautant les week-ends qui montrent une légère baisse d'audience, me permettant ainsi de souffler un peu. J'ai pensé un moment tout arrêter, car publier chaque jour un nouveau billet m'empêche forcément de faire autre chose. Je n'écris, par exemple, plus de paroles de chanson qui prennent plus d'une journée. J'espérais avoir rédigé les sept derniers chapitres de ma fiction, mais la numérisation des archives du site drame.org m'a accaparé tout décembre.
Au retour je jouerai le 12 février au Triton, Les Lilas, avec le violoncelliste Vincent Segal. Est également programmée une séance de studio avec la chanteuse Birgitte Lyregaard et le polyinstrumentiste Sacha Gattino. De son côté, Françoise pourra enfin boucler le DVD de son film Thème Je. Le reste est ouvert, mais dans quelques heures je commencerai à faire le vide dans ma boîte crânienne. Nous nous envolons donc ce matin pour Bangkok et continuerons demain vers Kho Phayam où nous resterons une semaine avant de filer au Cambodge. Rien n'est organisé. Nous partons à l'aventure.
Nous vous souhaitons une meilleure année en espérant qu'elle vous apporte de bonnes nouvelles. Cela ne se fera pas non plus tout seul. Toutes les énergies vont être nécessaires si nous voulons améliorer les choses et transformer le monde selon nos espérances... À bientôt !

Merci à Aldo Sperber (trois sites 1 2 3) pour la superbe série de photographies réalisées juste avant notre départ.

lundi 27 décembre 2010

Verglas


Aujourd'hui je glisse rapidement. Le trottoir garantit de beaux vols planés. Marcher sur la neige sécurise mes pas tandis que la moindre trace de chaussure la fait fondre avant de geler. J'attaque l'épaisse couche de glace avec le tranchant de la pelle pour faire éclater les plaques de la patinoire. Samedi Aldo Sperber est venu faire des photos de Françoise et moi sous la neige devant la plage ensoleillée derrière le mur. Tous nos gestes sont inscrits dans le blanc comme fossilisés. Il faudra du temps pour que cela fonde. La porte de la boîte aux lettres est collée. Les merles gobent les baies glacées parfum églantine. Nous préférons le cacao amer de Berthillon dont la coupe est encore plus pénible que celle du verglas devant le garage.

samedi 18 décembre 2010

Paris-Lille-Paris sous la neige


J'ai laissé un message à Françoise à La Ciotat pour la rassurer que je suis bien rentré. Nous sommes partis chercher nos 100 lapins à Lille où ils viennent de se produire deux semaines à EuraTechnologies. À l'aller le ciel est bleu, nous filons comme des météores, des draps propres bordent notre route, les terrils impriment leur image en négatif. Au retour nous nous retrouvons dans une poisseuse tempête de neige. Soudain on n'y voit plus à dix mètres. Comme mes yeux sont collés au pare-brise pour distinguer ce qui reste des traces de pneus de la voiture qui est passée avant nous je tends l'appareil à Antoine. Il n'y a plus personne sur la voie de gauche. Il suffit de rouler en cinquième sans freiner ni tourner les roues et de se laisser glisser jusqu'à Paris.
La plupart des automobilistes perdent leurs moyens face à des conditions climatiques inhabituelles. Ça patine au lieu de démarrer en seconde. Ça prend des risques inconsidérés en faisant du pare-choc contre pare-choc, encordés pour ne pas céder au vertige. Les impulsifs déboîtent sans prévenir. Lorsque je conduis je ne fais confiance à personne, particulièrement aux poids lourds qui abusent souvent de leur masse, exténués par les cadences infernales qu'ils subissent.
Les informations autoroutières prennent la main sur le lecteur CD, mais n'évoquent que des accidents en Normandie. Tant qu'il faisait beau, Steve Reich accompagnait le mouvement, mais quand le blanc obscurcit le ciel je préfère Natacha Atlas pour réchauffer le paysage. Les champs ressemblent à des lacs gelés. Mounqaliba, son dernier album a beau être "in a state of reversal" (en état de renversement ?) il ressemble trop à n'importe quelle station de radio maghrébine. Quitte à voyager vers l'Afrique du Nord, j'aurais préféré Le triomphe de l'amour d'Areski Belkacem, l'ombre lumineuse de Brigitte Fontaine, son tuteur comme on dit d'une fleur. Arrivés à la maison j'ai posé sur la platine son rayon de miel doré pour faire fondre le verglas autour de la maison...

lundi 13 décembre 2010

Raplapla


Les activités monomaniaques ne favorisent pas les blogs inspirés. Après avoir numérisé une nouvelle fournée de bandes, je suis à plat. J'ai retrouvé la version originale de La Bourse et la vie pour orchestre symphonique et le trio concertant enregistré avec le Nouvel Orchestre Philharmonique en 1984, des musiques de film dont la maquette d'un arrangement du traditionnel bosniaque Grana od Bora, des jingles pour les Rencontres d'Arles de la Photographie, des arrangements de chants de Noël pour boîte à musique et pour demain j'ai déjà préparé quelques concerts récents... Pendant les pauses je croise Françoise, Anna et Thibaud qui terminent les sous-titres allemands de Thème Je au dernier étage. Je fais écouter mes trouvailles au téléphone à Bernard qui désespère que les "tubes" qu'il a écrits ne soient pas utilisés, mais je me vois mal faire de la prospection. Alors j'attends que ça sonne. Pierre-Oscar a justement trouvé son bonheur en surfant sur Radio Drame !
Ma fainéantise à écrire quand vient l'heure du blog est-elle l'annonce de la pause du mois prochain ? Un mois sans lien Internet, de vraies vacances ! Sacha trouve qu'il manque une photo du studio sur le nouveau site. C'est l'univers dans lequel je marine depuis des jours. Puisqu'elle est reproduite en page d'accueil la voici pour 24 heures en espérant que je sois plus en verve demain...

dimanche 12 décembre 2010

Le passé recomposé


Le passé est un produit de l'analyse du présent. Nous recomposons ainsi totalement notre histoire, nous l'appropriant en la réinventant à la lumière des souvenirs qui nous sont suggérés par les traces et par les émotions que nous avons choisi de nous remémorer. Sont relégués dans l'ombre et voués à l'oubli tout ce qu'inconsciemment il ne nous plaît pas de conserver ou ce que les événements nous poussent à laisser de côté.
On connaissait l'importance des photographies dans l'élaboration de la mémoire, les écrits ont le même pouvoir, mais, pratique moins courante, nous y sommes plus rarement confrontés. Parcourant mes archives sonores pour la radio aléatoire et les albums d'inédits que je mets à la disposition des internautes en écoute ou en téléchargement sur le tout nouveau site du Drame je me rends compte à quel point nous sommes conditionnés. D'une part les traces entérinent les événements vécus, d'autre part notre mémoire est volatile. Il faudrait une seconde vie pour se souvenir de la nôtre et notre disque dur interne montre ses limites au fur et à mesure de notre vieillissement et de son encombrement.
Numérisant les archives à tour de bras depuis des semaines je découvre un nombre d'œuvres insoupçonnées dont nous avions tout oublié, probablement parce que le projet n'a jamais abouti ou que nous sommes passés à autre chose. Ainsi je retrouve Phagocytations enregistré en 1987 comme playback pour une pièce collaborative avec le groupe américain Controlled Bleeding qui aurait dû jouer par dessus et envoyer également un playback pour que le Drame fasse de même. Laissé lettre morte. Ou encore Protée, musique de scène composée fin 1989 pour une pièce de théâtre dont les auteurs ont disparu corps et biens sans nous payer. J'avais un vague souvenir d'autres de nos aventures comme Le Dandy des Gadoues avec Frank Royon Le Mée dont Le poil et la plume et Comedia dell'amore 121 étaient jusqu'ici les seuls témoignages de notre collaboration, les premières versions du K et de Jeune fille qui tombe, tombe... avec Michael Lonsdale et Gérard Siracusa cinq ans avant l'album nominé aux Victoires de la Musique avec Richard Bohringer, la version avec Daniel Laloux que je lui préférais, les improvisations avec Colette Magny, Un théâtre de dernier ordre et deux autres longues pièces avec Françoise Achard, mes duos avec Hélène Sage, des morceaux écrits pour la radio, etc.
À côté des enregistrements musicaux et des émissions de radio je retrouve les cassettes de mon répondeur où sont enregistrés des messages de tous mes amis et des personnes avec qui je travaillais. Et là, nouvelle surprise, des pans entiers de ma vie refont surface. La voix est évocatrice. Avec le recul je comprends le moindre accent, la moindre intention cachée derrière des phrases simples. Je réécris en fait une nouvelle version de mon histoire, puisqu'elle ne se raconte qu'en s'appuyant sur ces éléments qui viennent de refaire surface. Cocteau disait "je suis un mensonge qui dit toujours la vérité". Notre mémoire est une falsification, un conte, une construction fictionnelle. On savait déjà que la vérité n'existait pas, que le documentaire était une création aussi manipulatrice que la fiction, que l'Histoire était écrite par les vainqueurs, voilà que je comprends que le passé n'existe que dans le mythe que nous inventons chaque jour sans le plus souvent nous en apercevoir. En exhumant les archives, les cadavres ressortent du placard, enjolivés, nettoyés, blanchis comme les morts que les Vietnamiens changent de sépulture après une année de deuil et dont ils font la toilette avant de les enterrer dans leur dernière demeure.
Puisque rien n'est certain et le futur moins que le reste, je m'inventerai le passé qu'il me plaira, sans autre mensonge que celui de mon inconscient, simplement en faisant le tri entre le bon grain et l'ivraie, choisissant tantôt l'un tantôt l'autre au gré de ma fantaisie et des traces que je continuerai de relever en explorateur du quotidien.

jeudi 9 décembre 2010

Changement de programme


Les images nourriront nos rêves, mais le son étouffé de la ville est hélas impossible à rendre. Mat en deux coups. Aldo voulait mettre en scène une photo de Françoise et moi sous la neige devant le trompe-l'œil, mais les arbres ont plié sous le poids et caché la fresque. Échec. Scotch s'est décidé à sortir après avoir évalué le parcours le moins humide pour finir sous la table du jardin transformé en tonnelle. Retour vite fait au bercail devant la cheminée. Rock.
Je me suis éreinté à pelleter et balayer le trottoir pour éviter les vols planés, surtout le bateau pavé devant le garage qui est en pente douce. Les arbres ont construit un couloir sur la rue. Les rares passants n'en croient pas leurs yeux. On se calfeutre en attendant le prochain spectacle, quand les bambous relèveront la tête.


Il y a onze ans je me suis décidé à quitter Paris intra muros pour des raisons d'espace, d'insonorisation et parce que regarder pousser les plantes était devenu vital. J'y suis allé à reculons, mais je ne regrette pas mon choix, d'autant que la capitale s'est toujours agrandie en phagocytant systématiquement sa couronne. Et chaque fois que je descends vers Paris depuis la colline des Lilas je partage l'émerveillement des touristes. Surtout si je traverse un pont à pied... À la maison les jours de climats extrêmes sont les plus envoûtants. Qu'il vente ou qu'il neige, qu'il pleuve ou qu'il grêle, qu'on y bronze ou qu'on s'y casse le dos, le petit jardin donne aux éléments une vraie consistance qui disparaît aussitôt que l'on pénètre dans la ville chauffée par ses machines...
Ce matin, j'apprends que mon océan de glace a débordé sur les côtés. Une copine a mis 5h30 pour rentrer hier soir d'Argenteuil. Je reviens d'aider son compagnon à garer sa voiture près du trottoir, après pelletage. La boulangère a vendu des kilos de croissants à toutes celles et ceux qui sont restés dormir au bureau. J'ai secoué les arbres pour qu'ils redressent la tête et hop, rebalayage. Pour la journée, changement de programme, "on ne part plus" (Louis Jouvet à Arletty dans Hôtel du Nord)...
Raymonde. Quoi ?
Edmond. Tiens, voilà les billets...Tu iras te faire rembourser, on ne part plus.

lundi 6 décembre 2010

40 ans d'archives, 300 inédits, 50 heures gratuites


La nouvelle version du site drame.org, qui n'avait pas subi de refonte depuis 1997, est en ligne ! Il y aura encore quelques petits ajustements, mais il aura fallu un an pour en venir à bout. L'ajout le plus important est certainement la radio aléatoire sur la page d'accueil qui permet de se plonger dans l'univers sonore d'Un Drame Musical Instantané, de tous les artistes du label GRRR ainsi que dans mon travail personnel. Sur la Home, on peut donc écouter quelques 50 heures d'archives, la plupart inédites. Si la page Disques est une boutique en ligne et l'on sait le soin que nous portâmes à tous les albums-concepts vinyles, CD ou CD-Extras, la page mp3 offre plus de 300 morceaux inédits en les regroupant par album thématique. Sur chacun, l'écoute est ordonnée comme sur n'importe quel CD avec la possibilité de sélectionner une pièce parmi les autres. Certains albums durent 26 minutes comme mon duo avec Vincent Segal, d'autres durent plusieurs heures jusqu'à 24 heures pour la série des Poisons, époque fondatrice du Drame en 1977. Ce n'est pas tout, le téléchargement de tout cela est également possible et totalement gratuit, mais on peut généreusement soutenir l'entreprise en cliquant sur un des boutons PayPal (remerciement spécial à Emmanuel Girard qui fut le premier donateur hier matin).
Donner libre accès à 50 heures et 40 ans d'archives, c'est jouer le millésime contre la date de péremption. Offrir plus de 300 pièces la plupart inédites, c'est perpétuer un partage qui ne date pas d'hier. Proposer autant de chemins variés, c'est laisser l'auditeur creuser son sillon comme il l'entend. Les mp3 ne prétendent pas rivaliser avec les disques, car rien ne vaut l'objet disque (tous les albums matériels, avec beau livret et qualité audio maximale sont en vente sur le site).
À côté de Radio Drame, on retrouve les rubriques habituelles, News, Presse, Biographies, Liens dont un vers ce Blog, Photos pour la presse, Crédits, etc. Au fur et à mesure je compléterai la base de données mp3, j'actualiserai les news et tenterai d'améliorer la présentation du site. Remerciements particuliers à Contact terrestre, Nicolas Clauss, Antoine Schmitt, Françoise Romand qui m'ont accompagné et conseillé à des degrés divers pour que cette folie devienne réalité.

lundi 22 novembre 2010

Comme Steve McQueen


Ayant regardé Undercurrent (Lame de fond), un superbe Minnelli de 1946 conseillé par Elisabeth, où les rapports psychologiques et les appartenances de classe sont remarquablement mis en scène, nous avions envie de terminer la soirée par un film facile qui nous transporterait jusqu'à notre lit une fois les volets rouverts sur la pleine lune. C'est l'heure des comédies ou des polars. Va pour Bullitt que nous n'avions vu ni l'un ni l'autre depuis belles lurettes, à sa sortie début 1968 en ce qui me concerne.
Quelques mois plus tard, Peter Rambo (rien à voir avec le type qui fait de la gonflette), qui allait prendre la route pour manifester contre la guerre du Vietnam à la Convention Démocrate de Chicago, m'emmena au Fillmore West écouter Kaleidoscope et Grateful Dead dans une longue voiture américaine comme on en construisait encore à cette époque. Mes hôtes californiens étaient un peu plus âgés que moi qui n'avais que quinze ans, ce qui leur octroyait le droit de conduire et d'être assez fous pour rejouer la scène mémorable de Bullitt sans la partition de Lalo Schifrin. La voiture décollait du sol à chaque croisement et retombait sur la chaussée en faisant tonner ses amortisseurs. Je n'en menais pas large d'autant que je venais de tester les produits locaux pour la première fois de ma vie. Les light-shows psychédéliques et les guitares électriques achevèrent de me faire passer dans le nouveau monde, celui qui signale aux adolescents qu'il en est un autre.
Comme je raconte cette histoire à Françoise, elle m'apprend qu'elle entreprit aussi un remake de Bullitt. Un jour (comme un autre) qu'elle entendit que son avion allait s'envoler alors qu'elle était partie se promener dans Kennedy Airport, elle tenta en vain de passer. Les hôtesses refusèrent jusqu'à ce qu'elle explique que sa valise avait été enregistrée et s'envolait seule pour le Festival du Film de Toronto. Boum et reboum ! Les consignes de sécurité sont draconiennes. Au nom de la loi, comme Steve Mc Queen, elle réussit ainsi à faire rebrousser chemin au Boing et à embarquer !

vendredi 12 novembre 2010

Déjà 35 heures inédites


Impossible de m'arrêter de numériser à tour de bras depuis que j'ai mis l'oreille dans les archives. Je retrouve quantité d'œuvres dont je n'avais plus aucun souvenir. Il faut parfois que je reconnaisse mes camarades et mes tourneries pour croire ce que j'entends. Les disques et les spectacles ont occulté tout ce que nous n'avions pas édité.
Il était moins une car une partie des bandes lisses se désagrège, déposant une couche collante sur les têtes du magnétophone. S'en suivent hoquets et ralentis. Cinq cotons-tiges imbibés d'alcool sont nécessaires pour décoller la bouillie marron. Certaines ont mieux résisté au temps que d'autres, mais j'arrive à sauver presque tout.
La mise en ligne prochaine de mon site rénové (sur la capture-écran encore à l'état d'ébauche) a généré cette immersion dans mon passé et celui d'Un Drame Musical Instantané. Sous la trentaine d'albums produits depuis 1975, l'iceberg a déjà fait remonté 35 heures d'inédits sans que je ne me sois encore attaqué aux concerts, ni aux musiques de film, aux expositions, encore moins à tout ce qui touche au multimédia. À côté des disques collectifs auxquels nous avons contribué un peu partout sur la planète et que je compile, j'ai exhumé 24 heures d'inédits du trio original avec Bernard Vitet et Francis Gorgé, quelquefois en quartet avec la chanteuse Tamia, datant de nos débuts en 1977 (série des Poisons). Le choc est d'autant énorme qu'aucun de nous n'a réécouté quoi que ce soit depuis lors. J'ai constitué des albums virtuels correspondant à des projets comme L'argent (d'après le film de 3h10 de Marcel L'Herbier), Let My Children Hear Music (musique de Charles Mingus), Machiavel Live (avec entre autres Philippe Deschepper et DJ Nem), les chansons dont celles écrites pour ma fille Elsa lorsqu'elle était enfant, les remix du Drame par Thurston Moore, Le Tone, Aki Onda, etc., des improvisations avec Colette Magny, Hélène Sage, Françoise Achard, Sacha Gattino, etc., des commandes institutionnelles, des clips, des enregistrements antérieurs à 1974... Les styles varient, mais la "patte" est homogène. Plus je creuse, plus j'en découvre de nouvelles strates. Le filon semble intarissable.
Il m'est apparu plus juste de livrer tout cela gracieusement plutôt que cela meurt sous la poussière au gré des variations climatiques. Ces dizaines d'heures de musique (je continuerai au fur et à mesure mon exploration lorsque ce sera en ligne) seront écoutables en direct sur Radio Drame en ordre aléatoire ou en sélectionnant un album ou un morceau (nombreux dépassent la demi-heure, mais il y a aussi plein de petits machins). Tous ces MP3 seront également téléchargeables. Je passe un temps fou à chercher et taper les dates, l'instrumentation et les notes afférentes.
Si les disques sont en vente, un bouton permettra aux donateurs de soutenir l'entreprise. Je ne me fais pas trop d'illusions au vu de l'essai avec l'œuvre interactive Machiavel. Les amateurs téléchargent le scratch vidéo interactif sans se rendre compte que cela représente un travail considérable qui n'est pas rétribué. Certains invités se pointent les mains vides. On les réinvitera quand même, mais un petit geste fait tellement plaisir !
Faisons circuler la musique plutôt que la protéger jalousement. Si j'approche, ici et ailleurs, des 2000 articles en cinq ans, j'ai composé plus d'un millier d'œuvres depuis mes débuts, des minuscules aux grands fleuves, la plupart du temps en collaboration avec mes meilleurs amis. C'est cette histoire que chante la musique et que je suis fier de partager grâce aux ressources du Net, en agrandissant le cercle. Je suis impatient.

vendredi 5 novembre 2010

58 ans


Si je tiens le coup, je lorgne donc sur la soixantaine, une hallucination ! Je ne serai pas là ce soir pour fêter mes 58 ans puisqu'Antoine et moi serons à Augsburg aujourd'hui et demain avec le clapier enfin libéré par les douanes allemandes après quinze jours de péripéties abracadabrantes depuis leur départ de Norvège. Pensez, plus de cent lapins farcis chacun d'un ordinateur dans trois malles de cinquante kilos chacune, il y a de quoi faire sauter tout l'aéroport, à la poêle s'entend, car les rythmes de notre opéra ne sont pas compatibles avec un dance floor ! À notre tour nous avons failli être bloqués, mais les pilotes et le personnel navigant ont eu gain de cause contre les mesures gouvernementales. Reste tout de même à croiser les oreilles pour arriver à temps. Que les grèves perdurent est une bonne nouvelle, moins marrante quand elles nous bloquent. C'est pourquoi j'ai suggéré que l'on imagine des modes de revendication qui fassent plier le patronat tout en entraînant une large adhésion populaire...
J'ai déjà évoqué le rituel familial de mes anniversaires et l'accumulation des ans comme une sorte de mille feuilles, aussi me pencherai-je seulement vers la caméra intégrée à mon appendice informatique. Encore deux mois avant de débrancher pour quatre semaines. C'est décidé. Les billets sont pris. Plus moyen de revenir en arrière. Nous nous envolerons pour la Thaïlande, cette fois au sud, et le Cambodge. J'ai l'impression que j'y croirai véritablement que lorsque j'aurai posé ma valise. Façon de parler. J'espère n'emporter que le strict minimum qui inclut tout de même un appareil-photo, un petit magnétophone, un carnet, un masque et un tuba. Mais d'ici là, la to-do list est longue.
Je ne sais pas très bien où j'en suis, car mes interlocuteurs font la sourde oreille. Ennuyeux pour traiter avec un musicien ! En attendant, je travaille à mon nouveau disque et j'écris beaucoup. Hier, en fouillant dans les archives, j'ai été pris d'angoisse devant la masse d'œuvres que j'ai oubliées et que j'ai décidé d'écouter en prévision de la station aléatoire Radio Drame sur mon site actualisé. À quoi sert d'avoir accumulé tout cela si je n'en fais rien ? Nombreux titres ne m'évoquent aucun souvenir. Si en cinq ans j'ai rédigé près de 2000 articles ici et ailleurs, si mon catalogue musical depuis mes débuts en compte environ la moitié, la partie immergée de l'iceberg a de quoi me glacer les sangs. Plutôt que de conserver tout ce travail à l'abri de la lumière, il est plus cohérent de le mettre en circulation. Partitions de films, créations en public, improvisations, musique de scène, commandes pour orchestres, émissions de radio, contributions discographiques à des compilations, sonorisation d'expositions, chansons, indicatifs, jeux d'écoute... Cette somme n'est pas sans rapport avec l'argument de mon prochain album !
Et puis, Nabaz'mob sera exposé à Lille la première quinzaine de décembre. 2025 ex machina sera lancé incessamment sous peu. Je dois bientôt faire une conférence sur le design sonore à Créapole. Les finitions du nouveau DVD de Françoise m'accaparent considérablement... Brigitte dirait que je révise. À 58 ans on a commencé à numéroter ses abattis depuis belles lurettes.

dimanche 31 octobre 2010

Portraits pour très


Des images et des sons. Bernard Vitet est venu écouter et regarder. Contrechamp à la pause. Je lui projète Thème Je que nos chansons accompagnent depuis que Françoise les a intégrées à son nouveau montage. Personne ne pose. Jeux de miroirs et loupe au goût de mon camarade qui en 1977 m'avait photocopié les gravures de son exemplaire du Livre des Inventions. Nous écoutons la maquette de mon nouvel album, du moins les premières ébauches. Bernard, présent à la trompette sur le troisième morceau, doit chanter sur le sixième, dès que j'en aurai écrit les paroles. Il n'avait pas vu non plus les films de Pierre Oscar Lévy de la collection Révélations sur lesquels j'ai placé quelques musiques composées ensemble. Je lui montre la richesse du nouveau site drame.org que j'espère mettre en ligne dès que Jacques aura terminé, soit, pour commencer, trente heures de musique inédites...


Françoise à la loupe elle aussi, sous mes Caramels. Avec, suspendu, le tableau qui fait fantasmer nos invités et délie les langues. Pas sans rapport avec Les miettes du purgatoire. Bernard n'est pas le dernier pour imaginer des histoires abracadabrantes. La chaudière est réparée, le feu frisote dans l'âtre, mais nous avons gardé nos manteaux...


Bien que je connaisse le film de Françoise, j'ai beaucoup ri et j'ai pleuré deux fois. En fait j'ai retenu mes larmes pour ne pas influer sur l'interprétation de Bernard qui évoque plusieurs fois Buñuel pendant la projection. Comme José Berzosa, lui aussi s'attend à ce que ce long-métrage choque une partie du public. Il craint que l'on reproche à Françoise de ne pas jouer. De ne pas jouer la comédie. Parce qu'elle joue beaucoup. Mais au jeu de la vérité. Jusqu'à s'en jouer, fictionnalisant les scènes, qu'elles soient impromptues ou sciemment composées. S'enjouant, sans joug, cent joues en feu, en joue, feu ! Je délire tandis que je l'entends tout en haut monter Gais Gay Games pour le Festival LGBT de Saint-Étienne. Elle me demande chaque fois de lui trouver ses titres. J'adore ça. Comment faire sans jouer avec les mots ?
Je titre "Portraits pour très", complétant dans ma tête "amis". Les cigarettes de Bernard m'ont collé la migraine. Il a même réussi à brûler mon nouveau fauteuil dans le studio. Je n'ai rien dit. Il est comme il a toujours été. Il dit que ce n'est pas le temps qui passe, mais nous qui passons. J'ai rigolé en pensant qu'il avait réussi à marquer son territoire...


En regardant cette photo, Bernard dit qu'il s'y reconnaît. C'est donc ainsi qu'il se voit. Cette fois ce sont les lunettes que j'ai trouvées sur eBay. Pas facile de trouver d'anciennes Matsuda à un prix décent. Je lui en ai aussi offert une paire pour le soleil. Il faut que je continue à surveiller si d'autres pointent leur nez sur le site d'enchères. C'est un des rares "endroits" où l'on peut dégoter l'introuvable. Bernard était plutôt en forme. J'ai donc extirpé mon appareil de son étui et j'ai mitraillé. Pour une fois que j'y pense !

samedi 30 octobre 2010

Projets de vacances


Ce ne sera pas la Birmanie dont les élections du 7 novembre risquent de provoquer des troubles incompatibles avec l'organisation d'un voyage plutôt roots. Je passe à Belleville acheter du nerf de bœuf, de la salade de pattes de poulet, des tripes laquées, du crabe cru et d'autres trucs bizarres pour me consoler. Sur le trottoir des Chinoises vendent des petits paquets de riz enrobés d'une feuille de bananier, tantôt sucrés, tantôt salés. C'est délicieux... Ce ne sera pas l'Australie dont le nord sera en pleine saison des pluies et le centre en pleine sécheresse. Et puis c'est loin et cher. Je fais inlassablement tourner le rhombe à deux tons, envoyé par Lark in the Morning, dont le son rappelle celui du didgeridoo. Il remplace celui que j'avais éclaté contre un mur pendant l'enregistrement d'Il ne fait jamais nuit de Zao Wou-Ki et que j'ai essayé de recoller ce matin malgré que l'arc soit toujours sous tension. C'est idiot, mais je suis un piètre bricoleur... Je cherche un coin reposant et dépaysant pour le mois de janvier. Après le Myanmar et l'Australie, je me suis renseigné sur le Costa Rica, mais j'ai l'impression que je m'y prends tard ; la période touristique correspondant aux vacances des Étatsuniens, tout est déjà complet et oblige à une organisation contraignante. Ses paysages naturels peuplés de bêtes sauvages me font pourtant rêver. L'idée est de partir en janvier dans un pays coupé de tout. Pas de téléphone. Arrêt du blog comme je l'avais fait il y a trois ans en partant avec Françoise au Laos. Ce n'est pas gagné. Le sud de la Thaïlande et le Cambodge nous plairait à tous les deux. On y mange bien, nous ne connaissons ni les plages thaïlandaises, ni Angkor et nous n'aurions pas besoin de tout planifier. En attendant je reviens à la réalité parisienne sans mer bleue, sans soleil, la chaudière est en panne et Françoise est revenue bredouille de la gare hier soir alors qu'elle aurait dû se réveiller ce matin à Luchon. La grève continue à la SNCF et l'information n'est pas relayée pour minimiser les mouvements de protestation.

mercredi 27 octobre 2010

Un palais à l'autre bout du monde


Qu'as-tu fait, Sacha, en me donnant l'adresse du workshop d'Issé et Cie ? La vendeuse m'ayant fait goûter tout le magasin avec des petites cuillères transparentes et des coupelles de verre, j'ai succombé à la tentation. Leurs produits sortent de l'ordinaire, parfumés à s'en damner. Sur l'étagère du haut j'ai aligné de gauche à droite du sasho en poudre (piment), un pot de piment frais au yuzu à tomber par terre, de l'huile de périlla (la plus riche en oméga-3, extraite du shizo dont j'ai trouvé des feuilles fraîches chez Ace Mart, le Coréen de la rue Ste Anne), de la sauce Chanponzu composée entre autres de jus d'agrumes japonais (yuzu, daidai, yukou, kabosu, sudachi), du jus de yuzu tout simple, un mirin de trois ans d'âge, des feuilles de nori assaisonnées au piment et bouillon d'huître, du kombu pimenté à saupoudrer sur le riz. Il y en a pour presque aussi cher que tout le reste qui vient de chez Ace Mart, pour changer de Kioko où je me fournis habituellement, car on ne trouve pas la même chose dans toutes ces épiceries. C'est comme à Belleville, chaque magasin a ses spécialités. Avec toutes ces épices, sauces et conserves, j'en ai heureusement pour des mois !
En bas, on voit donc des bouillons pour les rāmen, un mélange de graines, du riz rond, des udon, des assaisonnements divers en poudre pour le riz (besoin de rien d'autre), des filaments de piment (je suis démasqué quant aux émotions fortes), des algues au wasabi pour l'apéritif, différentes bases de sauce de soja pour les potages dont certaines au kombu, du bouillon tokusen shirodashi, des feuilles de sésame marinées, des graines de sésame au wasabi, du kimchi frais dont un de calamar (avoir oublié mes kaennips dans le frigidaire de ma chambre d'hôtel à Séoul me rend malade !), la sauce prune et nori, des bulots... De plus en plus souvent, ces épiceries affichent des explications sur leurs rayons, mais la traduction est souvent approximative. Il me semble que sur les étiquettes sésame, périlla et shizo sont la même chose tandis que yuzu est souvent traduit cédrat, alors que ce sont deux agrumes différents. Le petit citron jaune vient en fait du jardin de La Ciotat d'où Françoise, qu'on aperçoit interloquée par mon étalage en haut à gauche, a également rapporté un kaki sublime et quelques herbes magiques.
Même en période de disette je n'ai jamais lésiné sur les épices, évidemment pas dans ces proportions. Avec un petit assortiment on peut renouveler sans cesse sa cuisine, ne serait-ce qu'un filet de ci ou ça sur un bol de riz blanc. Faute de partir en vacances dans cet extrême-orient qui me fait toujours rêver, je voyage tous les jours en me laissant porter sur le tapis volant de ses cuisines miraculeuses. Mon palais porte bien son nom.

dimanche 17 octobre 2010

Thème Je sans l'Internationale


Françoise Romand termine le montage de son dernier long métrage commencé en 1999. Thème Je sortira enfin en DVD début 2011. Le multi-écrans du début me rappelle l'époque où les cinémas projetaient systématiquement un court métrage avant le grand film. Cette impression vient de la légèreté délicate de ces cartes postales animées où toute la famille Romand s'active à l'image des ruches du jardin. On reconnaît plus loin ce grouillement dans la pluie qui tombe ou les grains de poussière qui volent autour d'un index traversé par le soleil. Mais la comédie annonce les petits drames qui se préparent, et l'alternance des deux fabrique ce qu'il est convenu d'appeler une comédie dramatique. Le montage est la mise en scène de cette dialectique subtile entre des scènes provocantes, souvent par leur caractère sexuel, et la générosité qui se dégage de la nouvelle version tellement plus tendre que celles qui furent projetées dans divers festivals il y a quelques années, de Rotterdam à Jeonju en passant par New York, Créteil et Toronto. Les trente minutes supplémentaires, les effets spéciaux et les chansons donnent la sensation d'un film plus court alors qu'il dure maintenant 1h47.
Comme Françoise souhaitait ajouter quelques notes sifflées de L'Internationale sur son père évoquant les évasions de capitaux plus graves à ses yeux que celles des chiens et des canards, je suis obligé de la dissuader après avoir vérifié auprès de Jean Rochard, producteur des disques nato, que nous courions au devant d'ennuis. En effet, il me confirme que "les droits sont chez Harmonia Mundi jusqu'en 2017 à la suite d'un abracadabrant accord puis rachat de Melodya, la maison de disques unique de l'URSS au moment de la chute de cette dernière. Il est des pays où l'Inter est dans le domaine public mais pas en France (ce qui est un comble). De plus, si on le fragmente il faut l'accord de l'éditeur." Je me souvenais qu'il s'était lui-même heurté à ce problème. C'est complètement dément si l'on sait qu'Eugène Pottier l'écrivit en 1871 et que Pierre Degeyter, mort en 1932, en composa la musique en 1888. C'est encore plus absurde si les quatre premières mesures (thème et harmonies) ont bien été empruntées au final de l'opérette Les Bavards d'Offenbach, créée avec succès au théâtre des Bouffes Parisiens en 1863. La confiscation par les éditions du Chant du Monde serait d'autant plus scandaleuse. Sur quelles bases un tel accord a-t-il pu s'établir avec la Sacem qui fit un procès au cinéaste Pierre Merejkowsky parce qu’un personnage de son film Insurrection résurrection siffle pendant sept secondes l'hymne révolutionnaire adoptée par l'Union Soviétique, lui réclamant 1000 euros. Nous avons franchement mieux à faire qu'à nous battre contre des loups vains amants.

mercredi 6 octobre 2010

À vos souhaits


La pharmacienne m'aurait vendu le fond complet de sa boutique pour que je guérisse. Elle me posait plein de questions, affinait l'ordonnance, un médicament pouvant être miraculeusement associé à chacun de mes mots. Car de maux je n'en ai qu'un seul, mais très handicapant, la crève ! Voilà une semaine que j'éternue comme un beau diable, du genre qui jaillit de sa boîte sur un ressort, entre 150 et 200km/h expliquent les spécialistes. Ils disent aussi que les paupières se ferment alors automatiquement pour éviter que les yeux sortent de leurs orbites à cause de la pression. Comme j'ai le dos en marmelade, les muscles de ma cage thoracique semblent exploser sous la déflagration. J'ai l'impression que je vais finir chez l'équarrisseur. Le rhume s'accompagne d'un halo vasouillard qui m'empêche de travailler, tout au plus puis-je "bricoler". Le pire se produit quand tombe la nuit et que mes deux narines se bouchent m'empêchant de respirer. Je peste contre l'homéopathie qui cette fois ne tient pas ses promesses, mais Françoise me suggérant d'inhaler de la Balsofumine je peux me rendormir. Penché sur le récipient d'eau chaude, élégant modèle tchécoslovaque des années 50, j'ai du mal à me concentrer et j'en renverse régulièrement pour avoir voulu bouquiner en même temps. Si je n'arrive à stopper l'attaque suffisamment tôt, le mal de gorge se transforme en éternuements qui à son tour devient toux spasmodique et j'en prends pour trois semaines supplémentaires à m'arracher les côtes. Ne pas pouvoir respirer est un calvaire. La défenestration suicidaire de Gilles Deleuze m'est toujours apparue comme un dernier excès de vitesse (il l'adorait) avec l'espoir d'y attraper une bouffée d'air frais. J'espère que mon asthme ne reviendra jamais, du moins dans sa version critique, car j'aime l'air autant que les autres éléments.

vendredi 24 septembre 2010

Miroir, miroir, suis-je toujours en une de Mediapart ?


Depuis un mois, j'ai porté mon blog sur Mediapart, mais si son miroir est identique dans sa recopie sur FaceBook j'ai préféré effectuer une sélection d'articles anciens et récents pour le site dirigé par Edwy Plenel. J'y place donc seulement les articles politiques ou critiques, en particulier mes comptes-rendus de livres, DVD ou CD, ne publiant qu'ici les choses personnelles qui, mélangées à l'ensemble, crée cette impression généraliste qui réfléchit plus fidèlement l'encyclopédiste amateur et le professionnel polymorphe. J'avais évidemment envie d'élargir le cercle de mes lecteurs/trices, notant au passage que les commentaires se font plus aisément sur FaceBook et Mediapart qu'ici-même. La ligne éditoriale de Mediapart étant essentiellement politique, mes billets culturels se sont retrouvés instantanément en une du Journal, du Club ou de la rubrique Culture et idées, à tel point qu'hier matin j'occupais ces trois pages avec mes trois derniers articles ! J'aimerais bien que Le Monde Diplomatique ait la même exigence dans ses pages culture que sur le reste de leur mensuel. L'orientation principale de Mediapart explique probablement l'intérêt de la rédaction pour ce que j'écris, puisque je me retrouve chaque jour sur l'une de leurs unes, flatté, comme on peut s'en douter. De plus, cette participation ne leur coûte rien, bien au contraire, puisque je profite de l'abonnement que Françoise a souscrit à raison de 9 euros par mois, somme que je conseille à tous les amateurs d'actualités brûlantes de dépenser sans hésiter, car il y a plus à y lire, voir et écouter que dans les quotidiens traditionnels de la presse papier à laquelle nous sommes également abonnés. Si vous désirez être parrainé(e), l'offre d'accueil est de 1€ le premier mois ou 19€ les 3 mois d'abonnement...
Mon blog le plus complet reste http://www.drame.org/blog puisque je ne publie sur Mediapart qu'une partie de mes récits quotidiens complétée par une sélection d'anciens, et qu'il est impossible de placer certains fichiers, comme les sons, sur FaceBook qui met, en outre, souvent plus de 24 heures pour recopier automatiquement ma prose kaléidoscopique.

mercredi 22 septembre 2010

La casse


S'il y a bien un truc dont je me contrefiche, ce sont les voitures. Cela ne m'empêche pas d'avoir un souvenir ému de l'Espace qui va partir à la casse d'ici une semaine. Nous l'avions acheté il y a vingt deux ans, d'une part pour les migrations saisonnières vers L'île Tudy où nous passions à peu près un quart de l'année, d'autre part pour les tournées d'Un Drame Musical Instantané où nous bourrions le coffre jusqu'au plafond en ne laissant que trois sièges pour notre trio. À l'époque le véhicule tenait du vaisseau spatial, avec ses vitres tous azimuts, ses sièges pivotants, repliables, démontables, et tutti quanti. Je n'ai pourtant jamais fait beaucoup de kilomètres, le compteur en indiquant 176 000, mais les déménagements successifs ont amorti l'investissement. Pour le dernier des miens, j'ai exécuté seul trente voyages plein à craquer, mais j'ai tout de même terminé avec un camion de 30 mètres cubes. Si le contrôle technique est passé avec succès, il n'y a plus d'amortisseurs ni de chauffage. Cela fait quatre ans que nous roulions l'hiver avec des couvertures sur les genoux, mais en nous gelant les pieds. Le garage baigne dans une fine mare composée d'huile et d'eau et nous n'osons plus nous éloigner trop de Paris sous peine de rentrer à pied. Le petit garagiste de Montreuil a réussi à la maintenir jusqu'à ce que mon client nous paye. Alors j'ai commandé une Kangoo Pépite, vite fait bien fait. C'est comme acheter des fringues, il faut que ça se passe en deux temps trois mouvements. Je rentre, j'essaie, je paie, je ressors. Là je me suis seulement assis devant, derrière, à côté. J'ai comparé avec la Dacia qui lui faisait face, mais l'offre de Renault mettait exceptionnellement la Kangoo moins chère. Pour le reste je me suis laissé embobiner par le sympathique vendeur qui a ajouté une bouteille de champagne en capitales sur le contrat. Où va se nicher le marketing ! Ni Françoise ni moi n'en buvons. En plus, elle me travaille depuis des semaines pour que nous n'achetions pas de voiture. Je rigole, elle s'en sert plus que moi. D'un point de vue économique, ça se tenait. Mais il n'y a aucun loueur à proximité et j'aime réagir vite, ici comme ailleurs. Alors j'ai craqué. Cela ne nous empêchera pas de continuer à emprunter les transports en commun, ni surtout de faire de la bicyclette, mais on aura le choix. Il reste un problème : je deviens vite aussi débile que les autres automobilistes lorsque je conduis. Je peste sans arrêt et ça irrite ma compagne. Je la comprends. Au volant la connerie est contagieuse. À pied je râle aussi contre tous ces chauffards, métastases de la ville. Il n'y qu'à vélo que je suis zen. Si je m'énerve, je risque un pépin quelques mètres plus loin. L'ultime solution, je me terre à la maison, je ne vais plus nulle part, mais est-ce que cela fera de moi un homme meilleur ? J'en doute.

vendredi 17 septembre 2010

Cache-misère


Françoise me demande de trouver une solution pour camoufler les craquements d'une séquence où son oncle Giraï évoque le génocide arménien au début de son film Thème Je. Cela hoquète sévèrement et il semble impossible d'opérer chirurgicalement l'extrait sonore autrement qu'en coupant les "poc" énormes qui hachent son témoignage. Le micro de sa caméra était tombé en panne lorsque c'est arrivé. Comme Giraï est mort il y a plus de deux ans, on ne peut pas non plus refaire la prise. Dans ces cas-là, je pratique la méthode du tuyau fluo. Au lieu de camoufler la plomberie qui traverse le salon, je le repeins en jaune citron. Quand ces mystères nous dépassent feignons d'en être les organisateurs, disait Cocteau. Je suis donc allé chercher le gramophone pour jouer d'un effet du passé et justifier les crachouillis. Françoise l'a également filmé afin qu'il n'y ait pas de confusion entre le 78 tours et le son du train entrant en gare de La Ciotat. La comparaison ne nous déplaît pas, bien au contraire, et nous en jouons évidemment. Il reste à mixer habilement les hoquets de la prise catastrophique et le son de l'aiguille à la fin du disque pour que le plan retrouve une poésie que la panne avait effacée. À la fin de la séquence, les canards espagnols, ce n'est pas une métaphore, ce sont des appelants en résidence à La Ciotat, substituent leurs claquements de bec aux trous de son qui claquent.
Dans un précédent film, j'avais comblé l'erreur d'avoir laissé la date imprimée sur l'image un jour où le soleil et le tangage ne permettaient pas de viser convenablement. Nous avions surchargé le film d'informations écrites, produisant un effet de recul critique auquel nous n'aurions jamais pensé si nous n'avions pas fait une bêtise. Nous avions ensuite étendu le procédé à tout le montage, rajoutant au témoignage bilingue une relecture complémentaire grâce aux sous-titres qui ne traduisaient plus la parole mais la commentaient.
Cette gymnastique réparatrice qui consiste à transformer une catastrophe en opportunité créatrice tient autant de l'aïkido que du Verfremdungseffekt !

lundi 13 septembre 2010

Zoom arrière


Comme nous avions passé un week-end tranquille entourés d'amis, je n'avais rien à raconter que de banal, mais tendre et roboratif. Dans un cas pareil, je suis tenté par la pause, une première après cinq ans de blog quotidien. Par acquis de conscience, j'ai demandé à Françoise si elle avait un sujet pour moi. Que nenni ! Alors je suis allé regarder mes dernières photos pour voir si l'une d'elles m'inspiraient. Il n'y a pas de miracle.
Lundi dernier, j'avais remarqué le texte de la pancarte vissée, pour ne pas dire clouée, sur un arbre le long du Gave de Pau, juste en face de la grotte où Bernadette Soubirous vit ses apparitions. Comme le tronc était également planté entre deux modernes fontaines d'eau miraculeuse, je notai l'humour de la situation. Mais je n'avais pas remarqué la variation de ponctuation selon les langues, ni surtout le dessin central. Faut-il se méfier des robinets disséminés partout sur le site, vu l'affluence en ce lieu "ceint" ? Ou les rayons entourant la main du noyé potentiel signalent-ils l'imminence d'un bras salvateur ?


Il est évident que les déçus, tentés de se jeter à l'eau, devraient être légion. Rappelons que la Vierge apparut à Bernadette en 1858, mais rien n'indique que depuis elle y ait élu domicile ou choisi comme lieu de villégiature. C'est pourtant de cet emplacement exact que la "simple d'esprit", je cite Zola, eut sa dix-huitième et dernière apparition. Nous ne sentons rien d'autre que l'angoisse égoïste de centaines de pèlerins, concentrés sur leur mal-être...


Comme nous faisons sagement la queue dans la grotte, deux femmes nous bousculent pour toucher la roche devant nous. Ce geste incivique en dit long sur la place du sacré dans ce supermarché de l'image pieuse. Il est une chose d'avoir la foi, une autre d'avoir les foies. La poudre d'or qu'on jette aux yeux de celles et ceux qui veulent à tout prix avoir une réponse à leurs angoisses sent le soufre. Les croyants exigent la quadrature du cercle. Seuls les scientifiques et les matérialistes ont le goût du mystère.

jeudi 2 septembre 2010

Shut Up and Dance


Après avoir embrassé les amis, j'ai pédalé comme un dératé pour grimper la côte de Belleville aux Lilas. À l'avant de mon Brompton reposait le nouvel album de l'Orchestre National de Jazz, double galette composée par le batteur John Hollenbeck, que j'étais trop impatient de glisser dans la platine du salon. Françoise dormait déjà. J'ai ouvert les volets, décellophané l'objet et la bile noire s'est envolée comme un nuage remonte du fond de la vallée pour aller s'évanouir de l'autre côté des cîmes. Chaque pièce est écrite en hommage à l'un des dix musiciens de l'orchestre, dix petits concertos inventifs et variés plus un morceau où tous frappent le sol de tubes en plastique accordés. Shut Up and Dance est le deuxième album de l'ONJ après celui autour de Robert Wyatt. Shut Up, ça vous en bouche un coin, and Dance, parce que l'ambiance est joyeuse, une sacrée marmaille réunie par Daniel Yvinec qui rejoint doucement mais sûrement son projet initial après un an et demi d'activité.


N'ayant pas l'intention de chroniquer le disque si tôt, je pensais faire un billet court pour évoquer la soirée de lancement du catalogue Bee Jazz de la rentrée en me servant du duo d'Ève Risser et Antonin-Tri Hoang comme alibi. J'aurais raconté qu'ils avaient joué King Korn, un morceau écrit en 1962 par Carla Bley pour son mari Paul, avec une fougue juvénile à redonner des couleurs à la meute des journalistes dont il était évident que peu avaient pris de vacances. Antonin soufflait dans son alto en oscillant de gauche à droite et de droite à gauche comme lorsqu'il était bébé et faisait des incantations exotiques avec le même mouvement de balancier vaudou. Ève pense jouer mâle quand elle frappe les touches du piano alors que sa fantaisie féminine est aiguisée comme un couteau de cuisine. Leur duo sentait fort le grand singe courant au milieu des épis, mais ce n'était que le fantasme d'une autre jeune femme avec une frange blonde lui cachant les yeux et qui cette année en avait déjà 72.
Quelques heures plus tard, alors que j'aurais dû aller me coucher vu l'horaire de mon avion ce matin aux aurores, j'écoutais le second disque en comprenant qu'il me faudrait plus d'une écoute pour en faire le tour. Le tremblé Shaking Peace dédié à Ève ou le "videogameplayed" Praya Dance dédié à Joce Mienniel sont probablement mes préférés. Dès que le style est innommable, je retrouve mes petits. La fraîcheur des compositions fonctionne parfaitement avec l'entrain des jeunes musiciens. Composer pour des individus plutôt que pour des pupitres est gratifiant pour tout le monde. L'ensemble me fait penser à une boule à facettes fixé à un nuage un jour où la brise est légère. J'y repenserai en m'endormant.

mercredi 25 août 2010

Bredouille


D'habitude la pêche nous sort du lit à 4 heures du matin pour être en mer quand le jour se lève. Cette fois, nous avons voulu profiter du soleil couchant. Ce sont les deux moments où le poisson est susceptible de mordre. Trop tôt dans la saison, mer agitée par les scooters des mers et la foule des vacanciers, manque de chance, peu importe la raison, nous sommes revenus bredouille, non sans avoir pesté contre les propriétaires de hors-bord inconscients qui rasent le pointu au risque de couper les lignes que nous traînons. Pour Françoise et moi, de toute manière, l'important n'est pas la prise, cerise sur le gâteau de la ballade, mais la baignade en pleine mer qui nous ravit. Plonger du bateau lorsque nous sommes au large produit une sorte de vertige planant, une sensation unique d'appartenir à la planète bleue. La profondeur sous nos pieds rend le masque inutile. Nous surplombons l'obscurité. Remonté sur le pont, je fais quelques clichés qui raviveront mes souvenirs lorsque nous aurons réintégré notre métropole surpeuplée.

dimanche 22 août 2010

Il n'y a pas que les ânes qui chient de l'or


L'arrière grand-père de Françoise, celui qui joue le rôle du gamin dans L'arroseur arrosé des frères Lumière, Léon Trotobas, faisait paître ses deux chèvres le long de la voie ferrée départementale jusqu'à un terrain abandonné au Grand Séchoir, le Sécadou en provençal. Les riverains lui faisant tracas de son squat animalier, Léon, décidé de ne pas se laisser faire, l'acheta pour une bouchée de pain et planta des piquets pour ses chèvres. Jean-Claude me dessine le huit qui permettait à une chèvre de tourner autour du piquet. Avec le temps, La Ciotat s'étendit et le demi hectare se retrouva en pleine ville ! À l'occasion du mariage de sa fille et du futur maire communiste de la ville à l'époque des chantiers navals, Georges Romand, Léon construisit la petite maison carrée. Beaucoup plus tard, les parents de Françoise y plantèrent leur mobil home jusqu'à faire construire une seconde maison dix ans plus tard. Le jardin extraordinaire traversé par des ribambelles de canards doit donc son existence à un coup de colère d'un électricien des frères Lumière à qui les bourgeois refusaient d'y voir brouter ses chèvres.

vendredi 20 août 2010

Match de canards


Si les canards mangent les grenouilles, se repaissent-ils des souris ? Françoise qui a mis en eau le nouveau bassin construit par son père m'appelle pour assister à un match de rugby entre les six canetons étroitement surveillés par leur mère. Un souriceau tombé entre leurs becs sert de ballon à la bande de palmipèdes excités comme des puces. Ils n'arrêtent pas de se nager après en essayant de se chiper leur proie. Diabolo surveille la mêlée en arbitre de touche sans avoir droit d'y aller de son museau. Je l'ai enregistré en début d'après-midi avec un os entre les dents. Sa plainte phénoménale rappelait le cri d'un lion qui vient de se Quincy Jones dans la porte de sa cage. Loulou, le vieux labrador paralysé de l'arrière-train, s'en fichait éperdument, se réveillant de temps en temps pour lancer un aboiement aussi terrible que celui du jouet qui nous terrorisait lorsque nous étions enfants Passage du Panorama. Entre les grincements de ténor du Jack Russell, les sub-basses du Labrador, les coups de klaxons de la cane, les piaillements de sa marmaille, les stridulations des cigales, les gémissements des tourterelles, les jacassements des pies et le concert des petits oiseaux, il n'y a que les abeilles que l'on n'entend pas, cantonnées derrière les figuiers, trop absorbées à travailler.

mercredi 11 août 2010

Bagnolet, dernière station avant l'autoroute


Commandé lundi midi chez Etal'Pro, le tuyau lumineux est arrivé hier matin, juste à temps pour que je puisse l'essayer avant mon départ pour le sud. Passé l'effet diurne aux couleurs années 60, les douze mètres de trous de l'Isorel ont multiplié les leds jusqu'au fond du jardin comme l'avait imaginé Annie. Il a suffi d'ajouter la guirlande rouge qui longe le mur du fond et un puissant halogène de chantier sur le palmier et les bambous géants pour donner son air exotique à mon neuf cube.
À gauche, un clavier de pots de fleurs surplombe le bureau des invités où est installé mon vieux G5. J'ignore si Sonia et Elisabeth, qui tiendront compagnie à Scotch en notre absence, l'occuperont ou si elles préfèreront investir le studio dont on aperçoit à droite le fauteuil de massage. Nous y avons effectué quelques essais de volume sonore avec tambour et voix la semaine dernière ; en effet, rien ne passe. La lumière de la nuit n'est pas suffisante pour distinguer la porte et la table en marquèterie de ma tante Arlette, ni les centaines d'heures d'archives réfléchies par le grand miroir.
Dans l'après-midi j'ai croisé Anaïs à qui j'ai demandé si elle partait en vacances. Comme elle me répond qu'elle est revenue depuis un moment, je comprends soudain que nous sommes déjà presque à la mi-août. Je ne me suis aperçu de rien. Mais mon titre est trompeur. "C'est bien plus romantique !" Je rejoins Françoise à La Ciotat en TGV. Trois heures jusqu'à Marseille ne justifient pas que je prenne la route. En me mettant au vert, j'espère bien changer de sujet.

samedi 7 août 2010

Rosette a pris la clef des champs


C'était il y a moins d'un an à La Ciotat. Était inaugurée une sculpture à la mémoire des camarades des chantiers navals tombés pour la Résistance. Rosette et Jean-Claude, fidèles au poste, riaient tout de même avec nous de la cérémonie, nos shorts contrastant avec ses pompes, et du lourd monument qui ne risquerait pas de s'envoler. Rosette a toujours aimé rigoler. Pour la caractériser, j'emploierais les mots rigolade et résistance. Dans le film de sa fille Françoise, elle revendique d'avoir eu une bonne vie et d'avoir été beaucoup aimée. C'est vrai. Elle savait se battre, mais le cancer qui l'a emportée n'a pas traîné. Nous aurions dû comprendre les signes avant-coureurs, mais elle n'aimait pas se plaindre. On pensait Rosette invincible, mais la mort n'est pas une étrangère. On vit avec. Le seul ennemi est le renoncement des vivants, leur démission devant l'adversité. Rosette a su nous donner des leçons de vie, le goût du combat, de la légèreté et du plaisir partagé.

vendredi 6 août 2010

L'Arlésien


Pressurisé entre les payeurs indélicats, la disponibilité hypothétique du matériel pour terminer le chantier, mes maladresses à appréhender la console d'administration du futur drame.org et un moustique qui me pique à l'endroit tendre entre les doigts, je choisis de tirer le Joker. Peine perdue, pas moyen de me souvenir où j'ai rangé les jeux de notre enfance et Google, mauvaise pioche, me dirige presque exclusivement vers Jack Nicholson et Heath Ledger... Heureusement que Françoise m'a amoureusement fait jouer le rôle du Joker arlésien dans Thème Je ! Capture écran de la scène où Aldo tire le bonneteau et le tour est joué. Manière de vivre. On fait semblant pour ne pas dire qu'on est triste. Un autre tour. Un mauvais tour. Rosette s'éteint doucement. Quelle tristesse ! Bientôt on ne pensera qu'à son sourire. Mais là ça fait mal au ventre.

jeudi 5 août 2010

Le Château des Carpathes


Une semaine après avoir téléchargé sur mon iPhone 4 l'application qui permet de recevoir gratuitement un étui pour régler le bug de l'antenne du téléphone, j'ai reçu le bumper, un cadre en caoutchouc tout simple qui a l'avantage de protéger un peu l'appareil et, surtout, plus agréable en main que la froide tranche en métal. Le signal de réception est enfin stable quelle que soit la façon de tenir le combiné. J'en profite pour faire un tour du propriétaire en testant les applications auxquelles mon iPhone 1 ne me donnait pas accès.
La définition des chaînes de télévision est incroyable. Je ne pouvais imaginer qu'il soit possible de suivre des émissions sur un aussi petit écran. Dommage que je ne la regarde jamais, bien que je sois encore en-dessous de l'âge moyen d'un téléspectateur d'Arte ! Ajoutez en dix de plus pour les chaînes du service public ou TF1 et vous comprendrez que la retraite a sonné depuis belles lurettes... Contrairement à ce que nous avions imaginé, les jeunes délaissent la télé au profit d'Internet ou d'activités plus saines que l'encloîtrement. Dans un accès de jeunisme caractérisé qui en irrita plus d'un avant que je ne déserte les réunions de producteurs indépendants, je vais donc dehors faire un tour. Comme il faut toujours que je pousse le matériel dans ses retranchements, j'ai raison du GPS d'Orange Maps en désobéissant systématiquement à ses injonctions vocales. Même s'il me court derrière, c'est assez époustouflant pour moi qui n'avais encore jamais testé la prise en charge automatique. Il sera dans ce cas indispensable d'utiliser un adaptateur sur l'allume-cigare, l'application dépensant vite son énergie. L'appareil-photo 5 Mo pixels et la caméra HD sont évidemment d'une qualité incomparable, comparés à la première version, mais je n'ai pu encore tester Face Time qui ne fonctionne qu'avec un autre iPhone 4, restriction limitant considérablement l'intérêt de la communication visiophonique, entendu que la plupart de mes camarades ne sont pas aussi timbrés que moi avec les nouvelles technologies.
L'alimentation externe occupe moins de place, mais le reste des améliorations est surtout dû au dernier système, l'iOS4 que Françoise a installé sur son 3G (donc la version 2) devenu hyper lent depuis.
Conclusion, c'est épatant, surtout si je me remémore Le Château des Carpathes ou toutes les élucubrations de Jules Verne qui constituaient la base de notre culture de science-fiction lorsque nous étions gamins. Un Drame Musical Instantané adapta ce roman pour la scène en 1987 avec Frank Royon Le Mée dans le rôle du récitant de cette "cantate enflammée". Dominique, qui nous accompagnait, et Bernard ayant pris une cuite au genièvre la veille, ce dernier fut pris d'une colère disproportionnée contre les fusées du feu d'artifice qui risquaient d'affoler les pigeons et déserta le parvis de l'église de Marcq-en-Barœul où nous étions installés pour jouir du spectacle auquel nous participions. Frank s'emballa, ne laissant plus aucun espace pour les instrumentaux que Francis et moi étions condamnés à interpréter en assumant la partition de notre camarade trompettiste en plus des nôtres. Plus ça allait, plus Frank accélérait. Je ne me souviens plus de grand chose si ce n'est du roman que nous avions habilement rajeuni avec nos machines du XXe siècle !

lundi 2 août 2010

Charnière


Le boulanger de la place du Vel d'Hiv est parti en vacances. Charlie, le boucher, n'avait plus assez de clients pour rester ouvert. Le quartier est comme sinistré. Il ne reste que l'épicier, Ismaël. Pour le reste il faut enfourcher sa bicyclette. La rue est calme. Françoise filme les Gay Games à Cologne. J'ai presque terminé mon travail. Une dernière réunion sur les tableaux me retient à Paris et je n'ai plus qu'un petit film à sonoriser pour 2025. Le reste pourra se faire à distance : un texte à écrire sur les croisements entre les cultures, les disciplines, les espaces, etc. que m'a demandé Catherine Peillon pour le futur DVD des 38èmes Rugissants, mon activité quotidienne dans cette colonne, préparer les prochaines migrations de lapins, mais surtout reconstruire ma force de travail en me la coulant douce.
À la rentrée, je devrai attaquer la composition de mon nouvel album dont je souhaite avoir enregistré les bases avant Noël pour me concentrer ensuite sur les solistes pris en charge par Radio France. L'autre grand projet est ma collaboration à une nouvelle et excitante aventure avec le scénographe Raymond Sarti qui s'étalera sur deux ans. Je crois que nous n'avons rien fait ensemble depuis Jours de cirque au Grimaldi Forum à Monaco il y a huit ans. L'année se présente sous le signe du voyage, dans le temps, passé et futur, avec mon disque, et dans l'espace grâce au concours remporté par notre équipe, avec Saint-Nazaire comme port d'attache et l'océan en perspective, du moins virtuelle.

mardi 27 juillet 2010

My parallel or my loving drumstick


Françoise est repartie voir sa maman en me confiant la traduction des chansons composées avec Bernard Vitet qu'elle a choisi d'utiliser pour son film Thème Je (The Camera I), à paraître à l'automne en DVD dans une version radicalement différente des pré-projections qui ont eu lieu jusqu'ici. Pour faciliter la tâche à Jonathan, je tente une première traduction à l'aide de l'Harrap's en quatre volumes, ne cherchant surtout pas une traduction littérale, mais les effets poétiques que j'avais imaginés pour le disque Carton en 1996. Écroulé de rire, mon ami américain me suggère d'essayer Google qui me sortira certainement des propositions aussi sottes que grenues. C'est bien la raison pour laquelle je rédige mon blog en français plutôt qu'en anglais qui me permettrait pourtant d'augmenter considérablement mon lectorat. La précision du langage, ses sous-entendus et ses jeux de mots, ne me sont hélas accessibles que dans ma langue maternelle. Je garde l'anglais pour les conversations de tous les jours et les échanges épistolaires avec le reste de la planète. N'empêche que pour l'instant les sous-titres du film risquent d'être assez croquignolets à l'endroit des chansons. Par exemple ça pourrait donner :
My parallel or my loving drumstick
Mademoiselle calling your name
You’re old enough to love
When your quill hesitates…
Que celles ou ceux qui ont reconnu la chanson originale en français nous écrivent. Ils ont gagné...

dimanche 25 juillet 2010

Taille stéréo


Pierre Oscar est arrivé au moment où Francis me coupait les cheveux. Sonia et moi avions déjà commencé depuis la matin avec Marie-Laure qui avait apporté toile et pinceaux pour jouer le rôle d'Édouard Manet dans l'atelier où il avait peint le scandaleux Déjeuner sur l'herbe. Point d'ambiance naturaliste donc, mais l'envers du tableau, petits bruits légers et une seule respiration du modèle sur son gros plan. Au fond, une grosse horloge franc-comtoise homogénéise la scène en assurant la continuité.
Avec raison notre réalisateur nous obligea ensuite à refaire la toupie du Chardin pour mieux l'animer. Nous nous étions donné tant de mal à caler la planche la fois précédente alors qu'il me suffisait de l'incliner au fur et à mesure des lubies de la toupie pour que sa rotation dure le plus longtemps possible tout en variant ses mouvements. Suivit une séance de panoramification en fonction de l'animation en relief dont le film ne présentait ici que l'œil gauche, puisque l'Enfant au toton sera vu avec des lunettes 3D comme le Böcklin.


Pour terminer cette longue journée, nous peaufinâmes les mixages de Gauguin, Poussin et surtout Courbet pour lequel Pierre Oscar (merci pour la photo dans le studio) me demanda de faire complètement disparaître le son à chaque fondu au noir faisant sombrer les dames de petite vertu dans le rêve.
Le vingt-deuxième et dernier tableau est ainsi terminé. Il ne nous reste plus qu'à étalonner l'ensemble et créer toutes les nuances entre faux silence et musique à fond les manettes. Le temps était propice à ma taille saisonnière. Françoise ayant subi le même sort prend les photos avant-après comme la pub d'une cure d'amaigrissement. Je me sens mieux.

mardi 20 juillet 2010

Nous sommes tous des écureuils en puissance


Le soleil sur la table du jardin m'a donné l'idée d'essayer la minuscule automobile que Françoise m'avait rapportée il y a deux ans. En l'absence d'accumulateur son capteur solaire ne permet pas d'emmagasiner l'énergie ; la petite voiture s'arrête donc à la première ombre, ce qui m'arrange pour la prendre en photo. Le climat parisien est habituellement peu propice à ce genre d'expérience si je me remémore les journées ensoleillées cette année.
Je n'ai pas cédé à la campagne commerciale m'incitant à affubler mon toit bagnoletais de capteurs dont le délai avant rentabilité risque de dépasser largement ma présence en ces lieux. Vendre à EDF de l'électricité plus chère qu'elle ne coûte réellement m'est apparue comme une grosse arnaque des lobbys solaires au détriment de l'État. De plus c'est une technologie qui évolue très vite et je crains qu'il faille remplacer tout le système bien avant les simulations financières expliquées par le représentant de commerce trop insistant. Je repense au CD que l'on nous a présenté inusable alors que mes vinyles tiennent beaucoup mieux la distance. Je ne vais pas ici détailler les raisons qui m'ont fait abandonner cette fausse bonne idée, mais le sujet me laisse songeur.
Naïf et mal informé, je me laisse aller à rêver à toutes les énergies que nous pourrions canaliser plutôt qu'en subir uniquement les conséquences dramatiques. Attribue-t-on assez de crédits aux chercheurs qui travaillent sur celle des marées, de la tectonique des plaques, de la combustion des déchets ou de nos propres mouvements ? Le charbon et le pétrole ont vécu, mais il n'y a pas que l'éolien, l'hydroélectrique, le thermique, l'organique, le nucléaire ou le solaire. Je n'y connais pas grand chose, mais en regardant la petite voiture filer sur la nappe, je me suis dit que l'on ne pouvait pas plus continuer à polluer que de foncer tête baissée dans la première offre promotionnelle politiquement correcte. Là-dessus j'ai attrapé mon épuisette et je me suis mis à courir après les écureuils. Avec toute l'énergie que j'ai déployée en vain on aurait pu au moins éclairer la penderie.

samedi 17 juillet 2010

682 km à vol d'oiseau


Je voudrais filer à La Ciotat auprès de Françoise qui veille Rosette jour et nuit, mais le tournage des tableaux me retient à Paris. Ce n'est pas toujours facile d'être où l'on devrait.
Je travaille de 6h à passé minuit presque tous les jours. Comme pour le reste de l'équipe il n'y a ni samedi ni dimanche. Et chaque jour j'ai l'impression que respecter le planning tient du miracle. Hier j'ai mixé La Vierge aux rochers de Leonard de Vinci et préparé les séquences animées des Demoiselles des bords de Seine de Gustave Courbet. Le rêve qu'a construit Pierre Oscar autour de ce tableau me fait éloigner les rires du bal sur l'autre berge et celui d'une des filles dans un imaginaire à portée de main. Samedi la flûte tient le rôle principal, basse sur le Rembrandt, aigrelette sur le Gauguin, dans l'intimité du miroir pour le premier, en suivant la rivière pour le second. Je voudrais tout enregistrer cette fois à l'image, sur le modèle de la fugue.
Une fugue ? Je me sens mal de ne pas pouvoir te serrer dans mes bras. J'aimerais faire rire ta maman, aider ton père, vous écouter parmi les oiseaux et les cigales, mais je ne fais que reconstituer ce genre d'ambiances dans le studio que je déserte seulement aux rares heures du sommeil. Je pense à vous tout le temps, dans le moindre interstice de la fiction en morceaux que nous inventons.
Lorsque j'arrive à voler du temps à cette course folle contre la montre je m'active à terminer 2025 ex machina, un grand écart de quinze ans en prémisse de mon prochain disque, je rédige avec Antoine le texte de présentation de Petit manège, notre nouvelle installation, je résous mille problèmes domestiques ou administratifs sans réussir à m'allonger ne serait-ce que dix minutes pour lire le journal. Pourtant je suis calme, ce qui me permet d'avancer vite et bien. Il y avait longtemps que je n'avais senti cet élan musical. Tout prend sa place. Je pense que je suis calme parce que je suis avec toi et que je te sens t'affairer aussi jour et nuit. Je suis près de toi et ta pensée m'enveloppe à tout moment. Ma tristesse est modulée par l'admiration que m'inspire Rosette, égale à elle-même, à la hauteur de sa vie exemplaire. Déjà Tonton nous avait épatés. Quelle belle famille ! Est-ce que j'écris ces lignes pour m'empêcher de culpabiliser de n'être pas physiquement avec vous ? C'est possible. Je suis ici et là-bas. Je me dépêche de terminer. Ce mois de juillet n'a pas l'air vrai. Rien ne semble réel.

mercredi 7 juillet 2010

La bande des épouvantails


La maison est triste. Tout le monde est parti en même temps. Françoise est descendue voir sa maman qui va de plus en plus mal. Elsa est arrivée dans l'autre sud avec ses amis musiciens. Je crois qu'elle chante trois chansons dans leur spectacle dans trois langues différentes. Pascale est repartie aussi vite qu'elle était apparue. Le quartier est bien calme. Le chat qui vient d'avoir huit ans roupille toute la journée. Sur le chemin du métro, en revenant du rendez-vous avec Olivier et Marc qui nous ont révélé ce que devenait le joyeux projet des objets communicants, j'ai croisé une meute d'épouvantails qui occupaient seuls le jardin des Lilas. Chacun a sa personnalité, choisie par les enfants qui les ont transformés en autant de grands Pinocchio. Je devrais probablement en installer un pour me tenir compagnie quand je lève la tête de mes claviers pour mettre le nez dehors.
Hier, j'ai composé et enregistré une valse pour orchestre, deux mouvements en boucle, l'un gai, l'autre triste, avec la harpe et les timbales en éléments interactifs, pour le dernier module de 2025 ex machina que Nicolas doit terminer avant de ficher le camp à son tour. Je suis content de clore les quatre épisodes par une chose romantique après avoir joué des codes du jeu sur ordi. Ces derniers jours, je ne dors presque plus. L'excitation de la création me tient en éveil. Néanmoins, sans prévenir, à n'importe quel moment de la journée et dans des circonstances parfois assez saugrenues, je sens le sommeil qui me tire par les paupières. Plus je compose, plus je vais vite et plus les pièces me ravissent. Heureusement que toute la "bande des tableaux" est coincée à Paris jusqu'à la fin du mois ! Tenu par un secret de polichinelle, je ne sais comment nous appeler. Pierre Oscar m'a fait envoyer le Chirico, très court, une minute et quelques. C'est une chance que nous ayons enregistré dimanche avec Vincent et que j'ai attaqué le dépouillage de la séance... J'aurais été moins prolixe. À la tête d'autant de prises drôles et surprenantes, j'ai l'idée de faire plusieurs partitions sonores différentes pour le même film. Puisqu'il joue en boucle, la répétition générera la surprise ! Combien pourrai-je bien fabriquer de versions successives à partir de nos élucubrations ? Je m'y attèle.

dimanche 27 juin 2010

Diptyque pour 13 mots et un paysage


C'est la mode des web-documentaires. Tant mieux si cela permet à des œuvres telles Duo pour 13 mots et un paysage de Karine Lebrun d'exister et de toucher de nouveaux publics. Le genre n'est pas récent, même si l'appellation est d'actualité. WaxWeb de David Blair est le premier long métrage publié sur Internet dès 1993. En 2000, Françoise Romand initiait ikitcheneye, tentative online purement documentaire. L'an passé, Antoine mettait en téléchargement gratuit Machiavel que nous avions réalisé pour CD-Rom en 1998... L'évolution technologique permet aujourd'hui de donner au webdoc ses lettres de noblesse.
Karine Lebrun produit un objet abouti où l'interactivité se justifie par un aller et retour panoramique sur le double écran. L'image est en haute définition, le débit est fluide, l'interface réfléchie, permettant à l'internaute de profiter au mieux du spectacle en plein écran. Passé ces considérations techniques, le dispositif convient parfaitement à la rencontre de Karine Lebrun filmant l'écrivaine Christine Lapostolle dont les textes et ses ramifications dans l'histoire littéraire inspirent la lectrice transformée en vidéaste. Le paysage de bord de mer, de la pointe bretonne, le Finis Terrae, et les ambiances sonores de Sacha Gattino répondent au dialogue des deux femmes autour de la résistance qu'offrent la littérature et, par conséquence ici, l'œuvre multimédia.
Dès le premier mot, "Début", s'inscrit le hors-champ, à gauche la musique, à droite la caméra, tierce personnage se révélant lorsque Christine jette un œil à l'arrière de la voiture qu'elle conduit pour parler à son interlocutrice assise à l'arrière, et, plus fort encore, l'internaute aux commandes de l'engin. Le curseur placé sur la collure entre les deux images hésite à privilégier le son de l'une ou l'autre, les mouvements de la souris contrôlant le mixage à l'image pour "Décrire", vague vague laiteuse, écume rappelant le spectateur à son rôle de voyeur ex machina. De part et d'autre, les plans fixes calment les séquences à l'épaule, sobriété de la "Lecture", même si la tentation est grande d'écouter les deux discours simultanés quand intervient "Christophe Fiat". Astucieusement la boucle permet de revenir sur ce que l'on a négligé, les deux vidéos ne faisant jamais la même durée. Le ton murmuré du "Détachement" de Karine renforce l'élégance du travail sonore de Sacha dont l'orchestration homogène comprend pourtant "cithares, tambour à cordes, piano à queue, rhombes, shrutibox, orgue à bouche, kalimba, papier de soie, bruitages de Bretagne, électronique et traitement informatique".
Dans le sixième épisode, terme plus approprié que chapitre, car il peut être agréable d'y revenir plutôt que de vouloir tout assimiler comme un goinfre, l'eau glisse sur le sable comme l'écrivaine arpente la grève. En toile de fond, les vagues de l'océan qui viennent et se retirent recopient sans cesse leur "Écriture" à quatre mains. Pour "Conversation", Kar. apparaît enfin à l'écran (in sur le logiciel), rime riche avec X. que la lectrice prononce Xine, effaçant la référence chrétienne dont on ne saura pas vraiment si l'écrivaine s'en dégage ou l'assume, après les toiles peintes de son compagnon "Benoît Andro", une nouvelle "Promenade" et le plat de "Résistance". Comment peut-elle citer la Princesse de Clèves et revendiquer pour elles deux les termes masculins "écrivain" et "lecteur" ? Comment peuvent-elles justifier de ne pas accorder au féminin des qualificatifs d'épanouissement en prétendant que le mot "écrivaine" est moins beau que celui d'"écrivain" (hors texte, tiens-je à préciser) ? La résistance aux conventions revendiquée par Xine et adoptée tout autant par Karine épargnerait ces restes d'oppression séculaire camouflée sous des prétextes esthétiques ? De quels autres mots l'oratrice se priverait pour cause de laideur phonétique ? Qu'est ce que la beauté d'un mot si ce n'est le simple fait qu'il soit ou non approprié dans l'énoncé ? Je résiste, elles résistent, résistez-vous ?
La "Fin", peu avenante pour les deux femmes, est précédée du "Bout du monde" et d'un échange sur Toile et sofa avec "Pierre Trividic", Sacha en amorce jouant les Candide, avant que le Tchat vidéo ne close le long métrage ou le feuilleton selon qu'on le savoure en bloc ou par étapes. Karine Lebrun réussit un beau portrait d'artiste par le truchement des nouveaux médias, nous faisant entrer dans le monde sensible et critique de Christine Lapostolle par la fenêtre des écrans domestiques, avec un souci du détail où tout est pensé pour que rien ne s'échappe de la Toile tendue pour nous prendre, nous prendre au mot, car 13 n'est qu'un prétexte. Les autres sont des étoiles filantes.

vendredi 25 juin 2010

Face B - Phase 3


Hier matin j'ai reçu un poster de 59x83cm plié en 8 dans une grande enveloppe blanche de Daniela Franco. L'objet commémore à la fois le site Internet et l'exposition qui eut lieu à La Maison Rouge en mai dernier. J'y avais contribué comme beaucoup (dont les noms figurent sur l'image ci-dessus si vous avez de bons yeux ou une loupe !) en donnant à l'artiste une liste de vinyles qui avaient compté pour moi. Le recto propose les pochettes imaginaires qu'a concoctées Daniela Franco accompagnées de textes probablement d'auteurs aussi virtuels que les albums présentés, une fantaisie fantasmatique à l'image du culte que les collectionneurs vouent à ce genre d'objets. La liste des faussaires inventifs est longue d'Orson Welles à Pierre-Oscar Lévy, de Remo Giazotto (l'adagio d'Albinoni !) à Michael Snow, de Borgès à Fontcuberta, etc., autant de canulars qui en disent plus long sur eux que sur leurs créatures. Ces pochettes étaient accrochées à l'entrée de l'exposition Vinyl tandis que des extraits sonores de nos listes peuvent être écoutés sur le site.
Le verso de l'affiche transforme nos disques en petites icônes dont "les 10 vinyles que j'ai achetés pour leurs pochettes et dont la musique ne m'a pas déçu, bien au contraire, puisqu'ils sont à l'origine de ma vocation de compositeur." Tout près de moi sur la page, Vincent Segal proposent "10 disques qui vont par paire" ! Nous avions réalisé ensemble un concert-visite de l'exposition Vinyl que l'on peut regarder et écouter sur Internet (YouTube, DaiolyMotion, Vimeo, comme cela pas de jaloux...) grâce au film tourné par Françoise. L'expérience nous plut tant que nous nous sommes retrouvés récemment dans les studios de Radio France et que nous comptons bien étendre notre collaboration à de prochains concerts.
La taille de l'affiche montre les limites et les spécificités de chaque média, papier ou écran. On ne peut y voir les mêmes choses. La feuille permet un coup d'œil d'ensemble, le site offre d'entendre du son et focalise sur les choix de chaque contributeur. Ils se complètent, comme une expo et son catalogue, un concert et un disque, une face A et une B, comme toi et moi.

mardi 15 juin 2010

Chaînes de vélo, bandes magnétiques, film celluloïd, la grande boucle


Journée off pour les lapins hier lundi. Après le déjeuner au Rivoli, Atom nous conduit à son studio où sont accumulés tous ses trésors. La transcription pour guitare qu'il a lui-même réalisée d'une pièce de John Cage, dédicacée par le compositeur, à la même époque où je le rencontrai à l'Ircam, période Roaratorio dont nous sommes fans tous les deux. Une lettre de Hanecke questionnant la technique vidéo utilisée par Atom. Des affiches. Des photos. Un film 35mm représentant une séance de montage tourne en synchrone sur son ancienne table de montage Steinbeck double bande.


Cette installation "domestique" me rappelle sa merveilleuse exposition Hors d'usage réalisée à Montréal en 2002. Des Québecois prêtèrent leurs vieux magnétophones à bande des années 50 et 60 et racontèrent la dernière fois qu'ils s'en étaient servis. Leurs mains manipulant les bobines sont projetées sur un plexiglas incliné donnant l'impression d'une image fantôme au-dessus des appareils. C'est extrêmement émouvant. Je lui raconte l'histoire de mon premier Radiola en 1963, à l'origine de ma vocation. Atom nous montre d'autres restes de ses installations dont celle où figure une immense boucle de film celluloïd qui circule comme des lianes dans un grand hangar obscur.
Il nous dépose au Community Bicycle Network où nous louons deux vélos jaunes comme nous l'a suggéré Françoise avant le départ. Depuis sa dernière visite, l'un de ces engins porte d'ailleurs son nom ! Le rétro-pédalage pour freiner ce n'est pas top, mais on s'y fait. Décidément nous adoptons Toronto avec une facilité déconcertante, à moins que ce ne soit le contraire ?
Nous aurons réussi à croiser Kay qui s'envole demain pour atterrir chez nous à Bagnolet. Alex et Eric, pas revus depuis notre safari thaï à dos d'éléphants, nous rejoignent pour dîner dans son "funky neighbourhood". L'annonce de la découverte (ou de la cachoterie) des mines de lithium et autres métaux précieux en Afghanistan ne manque pas d'alimenter notre discussion. Le retour à bicyclette a un goût de fraîcheur et de liberté.
De mardi midi à jeudi 18 heures, deux représentations par jour de Nabaz'mob remplacent l'installation en boucle qui recommencera vendredi jusqu'à dimanche soir.

samedi 12 juin 2010

(Tapage) Nocturne par Birgé et Segal


La radio nous permet de vérifier que nous sommes sur la même longueur d'ondes. La Passion du Vinyl avait été une performance, un jeu de réminiscences, une action-music à deux voix. Cet échange valide nos cordes sympathiques en jouant sans images. Le producteur Bruno Letort n'aurait pu en avoir l'initiative sans avoir entendu parler de notre visite-concert de l'exposition Vinyl à La Maison Rouge. Il n'avait pas vu le film tourné par Françoise Romand. Mais l'idée du duo lui avait plu. Attraper Vincent Segal entre deux trains lui semblait une épreuve. Le violoncelliste et moi avons instantanément sauté sur l'occasion. Sans n'avoir jamais répété ensemble, nous nous étions promenés parmi les pochettes de disques de la collection Schraenen. Sans n'avoir jamais répété ensemble, nous avons hoché la tête pour dire que oui, nous étions prêts. L'enregistrement tournait.
Tout était très doux. Comme la nuit. Nous avions passé deux heures à brancher la mixette, mais surtout à ne pas réussir à récupérer France Musique dans mon ordinateur. Question de câbles, d'asymétrie, d'impédance. Tant pis, fit Vincent, on fera sans. J'acquiesce. Ce n'est pas grave. Je voulais transformer le son de la modulation de fréquence en temps réel, comme dans les années 70 lorsque je montais en direct mes radiophonies. Il est comique de voir tout ce monde penché sur la question sans qu'aucun stress ne s'en dégage. Nous nous lançons donc dans une suite de mouvements courts dont la conversation est le fil rouge, avec en option majeure une ambiance acoustique à ce nocturne "tapageur".


Tapage nocturne est le nom de l'émission de Bruno Letort qui passe le dimanche à minuit sur France Musique. Plutôt que jouer aux casques, Vincent Segal proposa de ne pas amplifier son violoncelle tandis que je diffusais le son de mes machines au travers de deux enceintes, à une puissance acoustique s'entend. Tendre l'oreille, être sans cesse à l'écoute, nous réalisons que "nous" jouons ensemble, avec nos instruments relégués à leur rôle d'instruments. D'habitude, si nous sommes amplifiés ou lorsque nous nous coiffons d'un casque, ce sont nos sons qui jouent ensemble, pas nous.
La palette de Vincent me fait penser à un mobile de Calder. Chaque élément a sa forme, son timbre, et l'œuvre n'est équilibrée que par l'audacieuse composition qui l'unifie. Il alterne pizz et archet, joue plusieurs mélodies simultanément, écrase les accords ou rythme l'inexorable pulsion qui nous amène jusqu'à ce dimanche minuit, puisque ces compositions "instantanées" ont été mises en boîte il y a quelques jours. Débarrassé de mes claviers, je joue du Tenori-on sur lequel j'ai ajouté deux banques de sons personnels (la voix d'Elsa enfant et les percussions échantillonnées de mon VFX), ainsi que de la mascarade machine, l'application conçue avec Antoine Schmitt pour notre duo ensemble. L'instrument constitué d'un ordinateur portable avec webcam et, par extension d'un spot et d'un NanoKontrol, est une sorte de Thérémine du XXIème siècle que l'on contrôle en bougeant les mains à la manière d'un montreur de marionnettes à gaine. Je fais l'appoint avec ma trompette à anche, une varinette et un appeau. Notre musique de chambre se joue d'une jeune complicité où chacun réagit au doigt et à l'œil.
Il y aura une suite, sur scène très probablement, et lors d'autres rencontres avec Vincent Segal comme sur le disque que je devrais enregistrer sous mon nom propre pour la collection Signatures de Radio France. Mais ça c'est une autre histoire. En attendant, l'émission de demain dimanche soir (13 juin) est également diffusée dès lundi pendant un mois sur le site de France Musique.

jeudi 10 juin 2010

Nous revoilà partis


Plus de huit heures cette fois pour rejoindre Toronto. Nos cent lapins sont restés sur place depuis les représentations de Victoriaville. Ils ont pris la route pour l'Ontario aussitôt leur clapier regagné tandis que nous traversions l'Atlantique dans l'autre sens, sur les ailes de la mélatonine. C'est reparti pour un tour. Nous les rejoignons maintenant pour une douzaine de jours à Luminato, le célèbre festival canadien. Les bestioles dorment sur place et nous au Sheraton où nous nous ébattrons dans la piscine pendant qu'ils remueront leurs oreilles à l'ombre. Ne sachant pas nager, leurs revendications portent seulement sur la qualité de la lumière et de l'insonorisation. La configuration du Studio 316 de l'Ernest Balmer Studio au Tapestry New Opera (55 Mill St., Building 58, The Cannery) est telle qu'ils ne devraient pas avoir besoin d'amplification. Les cent petits haut-parleurs situés dans chaque estomac se répondront en un mouvement brownien où règne le principe d'incertitude en une délicate centophonie.
Nous présentons l'opéra Nabaz'mob sous ses deux versions.
En installation permanente : samedi 12 (12h-20h), dimanche 13 (12h-18h), vendredi 18 (17h-22h), samedi 19 (12h-20h), dimanche 20 (12h-18h).
En spectacle : mardi 15, mercredi 16 et jeudi 17 (12h30 et 18h).
Toronto rime pour moi avec Michael Snow dont je suis un admirateur depuis ma première année à l'Idhec en 1971 où Jean-André Fieschi nous avait projeté La région centrale. Je pense aussi à Atom Egoyan grâce à qui nous avons été invités et que nous retrouverons là-bas avec Arsinée Khanjian. Nous aurons juste le temps de croiser Kay Armatage que Françoise hébergera à Paris en mon absence et que je ne crois pas avoir revue depuis notre repas de fourmis grillées à Changmai dans le nord de la Thaïlande ! Toronto, c'est aussi Glenn Gould, Teresa Stratas, Neil Young, Frank Gehry, David Cronenberg pour citer quelques artistes qui m'ont remué plus que les trous d'air, perturbations qu'évoquent de temps en temps stewarts et hôtesses et que j'adore sauf au moment des repas ou lorsque j'ai besoin d'aller faire un tour au fond de l'appareil...

mardi 8 juin 2010

Ciné-Romand sur UniversCiné


À l'initiative d'une cinquantaine de producteurs et distributeurs indépendants français, UniversCiné est un site de vidéo à la demande (VoD) proposant plusieurs centaines de films indépendants tel qu'on puisse y faire maintes découvertes. À côté des classiques, le choix permet de donner une seconde chance aux œuvres dont la sortie en salles fut trop confidentielle. On peut louer pour 48h (3,99€) ou acheter (9,99€), télécharger ou regarder en streaming. L'offre légale est nettement moins chère qu'un DVD, même si certains collectionneurs seront frustrés de ne pas posséder l'objet graphique quand celui-ci le mérite ! Par contre, UniversCiné offre des bonus exclusifs de très grande qualité.
Ainsi l'entretien que Françoise Romand a donné à Laurent Carpentier donne vraiment envie de voir ses films. Les extraits ponctuent intelligemment les propos tenus par la réalisatrice. UniversCiné a donc choisi de diffuser en VoD son dernier long-métrage, Ciné-Romand, tandis qu'elle termine le prochain dans sa salle de montage.
Tourné entre 1999 et 2004, présenté dans des versions provisoires au Festival de Rotterdam en 2002 et au Festival de Femmes de Créteil en 2005, on croyait Thème Je achevé, mais Françoise a décidé de revisionner ses rushes avant de lancer la fabrication de son quatrième DVD dont Claire et Étienne Mineur confectionneront encore une fois la pochette haute en couleurs. À la fois tendre, drôle et provoquant, Thème Je est une auto-fiction où l'imagination vient titiller le réel avec insolence. Il sera complété par son premier film, Rencontres, où dès 1977 on reconnaît son style mêlant documentaire et fiction avec le thème de l'identité servant de fil rouge à toute son œuvre.

mardi 18 mai 2010

Atlantique


Air Transat est une compagnie d'aviation low cost qui nous transporte à Montréal. Son nom ne vient pas d'une chaise longue. Les sièges étroits sont en skaï bleu nuit, mais pour dormir le lot couverture + oreiller est à 7 $ canadiens. Si vous préférez rester éveillé, ou comme moi qui dort rarement en avion, surtout en partant à 9h20 pour arriver à 10h45 heure locale. Les écouteurs sont facturés 2 $, soit 1,50 €, mais j'en ai trouvé deux paires sur le siège laissés par les précédents voyageurs. Déjà le Terminal 3 de Charles De Gaulle ressemblait à un grand hangar avec le minimum de confort (dont un café au goût salé !). Heureusement j'adopte la technique de Françoise en squattant une rangée de sièges vides avant décollage, ce qui nous laisse, à Antoine et moi, les coudées franches ! Prévoyant, j'ai également emporté dans mon sac d'ordinateur, un masque, des boules Quiès, un oreiller gonflable et un gilet chaud. La nuit précédente a été agitée, j'espérais piquer un petit somme en m'allongeant en chien de fusil sur les trois sièges. Mon insomnie pourrait découler de la capsule de mélatonine que j'ai gobée la veille. En en prenant une 24 heures avant et une à l'arrivée j'aide mon horloge biologique à se recaler. Le tout est d'adopter le rythme local lorsque l'on arrive sous une nouvelle latitude, ce qui consistera cette fois en une très longue journée vu les 6 heures de décalage après un peu plus de 7 heures de vol.
J'ai déjà vu le film. Je somnole. Le son est bon, mais c'est l'image qui m'ennuie. Un Koulechov en abîme. Au fur et à mesure qu'elle s'éloigne, son visage n'a plus la même expression. Comme pour avoir voulu faire bonne figure. Pourtant on peut être partout à la fois, sur tous les écrans du monde, on n'en est pas moins là...
Devant nous un groupe d'aveugles des deux sexes, excités comme des puces, passent tout le voyage à hurler des plaisanteries grivoises. Je me demande en quoi la négation "non-voyants" ou le restrictif "mal-moyant" est moins discriminatoire qu'une affirmation de sa différence. Leur sensibilité à l'espace de la cabine est surprenante. Plus étonnants, les flashs d'appareils photo qui partent de leurs sièges !?
Le temps de rejoindre Victoriaville, nous avons les crocs. Une faim de loup. Je mords le premier que j'attrape.

lundi 3 mai 2010

C'est par où la sortie ?


7 jours sur 7, le blog. Pas seulement. Le boulot, on ne va pas se plaindre. La vie, c'est bon. Faire à manger, autant que ce soit bon. Se laver, une pause. Se raser, la barbe. S'habiller, tard. Répondre au courrier, inflationniste. Administration, inévitable. Téléphone, en cascade. Les déplacements, minimum. Nourrir le chat, pas trop tôt. Etc. J'appelle maman, je ne l'ai pas vue depuis des semaines, j'appelle Bernard, c'est devenu difficile, j'appelle du bain, je souffle un peu, je sors avant qu'il ne soit froid, et je tape, tape, tape, tape. Impossible de tout raconter, en tout cas pas ici. Je ne veux choquer personne. Tours et détours. Mes jours et mes nuits sont bien remplis. Des écrans partout. Je cherche une porte de sortie. Sans compter sur mes doigts, le planning affiche complet jusqu'à la fin de l'année. La décision de m'abstraire un mois devient vitale. Janvier, la Birmanie ? Il y a trois ans nous étions partis au Laos. Sans tout ça. Juste Françoise. D'ici là, voir les amis. S'organiser pour ne pas travailler. Comment s'y prendre sans tomber malade. Il faut inventer une nouvelle gymnastique. Dormir très peu est une bonne combine, mais les journées n'ont que vingt-quatre heures. C'est ce qu'on dit. Les visites, sympa. Le soir, je m'endors devant le film. Absurde. À l'aube, je m'allonge pour lire. Détente. Apprendre. S'exercer. Éprouver. Répondre. Sourire. Autant que possible. Pleurer. Pas trop. Rire. Jamais assez. Aimer. Beaucoup. Travailler. Travailler du ciboulot. Inventer. Rêver. Et voilà, ça recommence. Pas moyen de se reposer.

samedi 1 mai 2010

La glycine du 1er mai


Claude Monet disait à ses jardiniers : "cette année je veux que tout mon jardin soit mauve". Plusieurs mois à l'avance, il imaginait son modèle comme on prépare ses couleurs. J'en ai eu marre de chercher les failles du système, je me suis allongé quelques instants. Les mystères de l'informatique sont plus absurdes que les énigmes de la nature. J'ai empoigné le courrier, c'était triste. Le Journal des Allumés finit par ressembler à Jazz Mag. Je n'ai pas encore ouvert le Diplo arrivé hier matin, mais ce n'est jamais rose. La vacuité de la presse me pousse à nouveau vers les romans ; hélas, leur lecture saupoudrée me fait vite perdre le fil. J'oscille entre Haruki Murakami et Christiane Rochefort. À la vue de l'enveloppe des impôts, je me laisse espérer en payer plus l'an prochain. Après une bonne saison, l'oseille fleurit à côté des orties. Je comprends mal ceux qui s'en plaignent ou les professions où le truandage est de rigueur. Participer aux dépenses de la cité me semble sain. Évidemment j'aimerais mieux que l'on affecte mon obole à la culture, à la santé, à l'éducation, à l'emploi, à la solidarité, à la préservation de la nature et des autres espèces... Plutôt qu'à perpétuer le gâchis. On préfère produire des armes, entretenir une police agressive et faire des cadeaux de roi aux nantis et aux copains du Fouquet's.
Les fleurs poussent et trépassent. Il y a dix ans le jardin était envahi de centaines de roses jaunes. Les coquelicots rouge vif ne sont apparus qu'en 2000 pour ne plus jamais éclore. Depuis l'an passé, les brins de muguet sont devenus rares. Les plantes les plus vigoureuses étouffent les plus tendres. Sans produit toxique qui risquerait de polluer nos herbes aromatiques, sans interférence trop brutale de ma part sur le cours du temps, le jardin suit son petit bonhomme de chemin. J'évite parfois certaines injustices trop flagrantes, certains assassinats programmés. Les bambous gagnent toujours du terrain et la glycine que Françoise a plantée étend ses grappes sur le lavatère et l'églantier. Les iris violet nous font de l'œil. En juin nous repeindrons le mur du studio qui s'est très abîmé, jaune d'or et parme.
Pensant au défilé, j'imagine de nouveaux moyens de lutte contre le patronat. La désobéissance civile va de pair avec le courage de ses actes. Voire de sa propre pensée. La peur de soi-même régit l'inconscient collectif. Tout est lisse, une mer d'huile, un océan d'hydrocarbure, tandis que l'horreur se profile. À secouer l'arbre mort, on craint qu'il en tombe des fruits pourris, bruns, vert-de-gris. Pourtant, si nous ne nous prenons pas en main nous risquons d'en voir de toutes les couleurs.

jeudi 22 avril 2010

Oui, mais dès l'aurore tous leurs chagrins s'évaporent


Tout guilleret d'avoir récupéré mon Revox PR99 qui me permettra de numériser la suite de mes archives pour mon projet de nouvel album, je vous offre l'enregistrement de la chanson de 1932 dont j'ai retranscrit le texte hier, Les fleurs du jardin chaque jour ont du chagrin. J'ai conservé le dialogue entre les deux couplets, toujours aussi remarquable chez Renoir, conscience de classe oblige !


J'apprécie beaucoup la musique in situ dans les films plutôt que lorsqu'elle vient du ciel ! Jean Renoir s'en est beaucoup servi, ici la chanson fredonnée par Anne-Marie juste avant que Boudu ne soit sauvé des eaux et reprise de lèvres en lèvres comme une obsession tout au long du film, l'orphéon municipal pendant la remise de décoration à Lestingois, le clavecin du théâtre d'ombres de La Marseillaise, la Danse Macabre martelée au piano suivie du limonaire de La règle du jeu, le phonographe du premier plan de La grande illusion sur lequel Jean Gabin écoute Frou Frou (photo ci-dessus) qu'il susurrera ensuite plusieurs fois, le cancan et l'hymne national interdit interprétés par les prisonniers déguisés en femmes, les chansons à boire du Crime de Monsieur Lange, l'orchestre de bal de La bête humaine, etc. Dans La chienne Michel Simon écoute la Sérénade de Toselli sur un autre phonographe. Les chansons populaires, comme dans Toni, hantent, toujours avec à propos, les films de Renoir, probablement influencé par la collaboration Brecht-Weill, jouant d'effets dialectiques afin de produire du sens là où l'image est acculée platement aux bords du cadre.


Ainsi Françoise Romand, qui remonte une dernière fois Thème je avant sa publication en DVD en septembre, vient d'ajouter des chansons que nous avions composées avec Bernard Vitet pour l'album Carton. Nous nous sommes débrouillés pour qu'elles jouent du contre-champ, que j'aurais pu aussi bien écrire contrechant, apportant une lumière nouvelle sur les scènes qu'elles éclairent. Au début du film, pendant le plan d'épilation dans la cuisine, la valse lente éponyme commence par un autre flash-back, celui de Lola Montès, "La comtesse se souvient-elle du passé ? S'en souvient-elle ? S'en souvient-elle ?..." avec fondu enchaîné sur "Il lui demanda son nom, Elle répondit Désir, Il en coupa le son, Ça s'appelait L'aurore..." pour terminer par la voix envoûtante de Delphine Seyrig dans Muriel, ou le temps d'un retour, "Ce serait bien que ça finisse comme ça !". Mais ce n'est qu'un début. Françoise évoque son arrière grand-père, le gamin qui pliait le tuyau dans L'arroseur arrosé des Frères Lumière, un des deux premiers acteurs de l'histoire du cinéma ! Plus loin, nous avons remplacé la chanson de Brigitte Fontaine qui posait des problèmes de droits avec Sony par "Radio Silence, Émission sans fréquence, Qui diffuse à toute heure, Tous les mots qui sont tus, Et tous les cris qui tuent...", que combat Françoise en larmes. Brigitte est tout de même présente dans une séquence ajoutée avec Amore 529 que nous avions enregistré avec elle sur Opération Blow Up. Enfin Moi z'à moi répond bien au miroir cruel dont Françoise joue sans cesse dans son auto-fiction filmée de 1999 à 2002, finie de monter en 2005, même si elle fait l'objet d'une ultime révision. Donc, pas de musique instrumentale, mais des chansons dont les paroles offrent un renversant point de vue complémentaire. Le film, devenu ainsi plus tendre et lyrique, en tire une profondeur moins abyssale et une fantaisie renforcée.

dimanche 11 avril 2010

Le retour de Todd Solondz


Si vous connaissez Happiness, il vous a forcément marqué. Vous courrez donc voir la suite dix ans après (sortie le 28 avril). Nous avions ri d'un bout à l'autre de ce film à la noirceur sans pareil qui décrit les terribles secrets d'une famille apparemment bien banale. Ne nous y trompons pas, toutes les familles ont des cadavres enfermés dans les placards, mais l'American Way of Life est bâtie sur cet aller et retour entre le pire et le meilleur, faisant mine de croire au pardon quand tout n'est qu'oubli programmé. La véritable violence se dessine dans ces interstices où l'être humain, recherchant un bonheur égoïste, espère faire croire à sa normalité alors qu'il combat avec plus ou moins de succès ses monstres dans l'intimité.


Life During Wartime retrouve la famille de Happiness dix ans plus tard avec de nouveaux acteurs pour les mêmes rôles et Todd Solondz, qui nous avait un peu déçus avec Storytelling et Palindromes, signe son meilleur film depuis son succès de 1998. Certains personnages sont également issus de son second long métrage Welcome to the Dollhouse (Bienvenue dans l'âge ingrat). Son premier, la comédie musicale très woodyallenienne Fear, Anxiety & Depression avait été reniée par son auteur. Si l'humour est toujours présent dans le regard acide que le réalisateur porte sur ses personnages, Life During Wartime provoque moins de rires que Happiness car il est plus tendre. Il n'en a pas la méchanceté, peut-être parce que le 11 septembre aura anesthésié les enfants de l'Oncle Sam. Et Solondz de rapprocher pédophilie et terrorisme, ce qui se trame dans la clandestinité, dans la clandestinité de leurs fantasmes offerts au grand jour en toute banalité. Les parents n'étant plus capables de distinguer ce qui caractérise l'âge adulte, la petite fille de sept ans s'avale du Prozac ou du lithium comme si c'était du Coca. Son frère s'en sortira peut-être mieux, pur produit de l'éducation juive, où le petit mâle naît à treize ans le jour de sa Bar Mitzvah. En l'absence du père annoncé comme mort alors qu'il sort d'une peine de dix ans de prison, le gamin endosse le rôle de chef de famille, caution morale à la fantaisie de sa mère qui voudrait refaire sa vie avec un type bien dont le fils atteint du syndrome d'Asperger (c'est très à la mode, le héros de My Name is Khan en est également atteint) est le seul à ne pas s'intéresser au sexe, plus préoccupé par l'accession de la Chine au premier rang mondial. L'une de ses tantes, scénariste à Hollywood qui a rompu avec sa famille pro-israélienne, s'est fait tatouer Jihad sur le bras, tandis que l'autre qui a quitté son pervers de mari est une sorte de fantôme qui converse avec les morts. À noter l'étonnant Paul Reubens, autrefois connu sous le nom de Pee Wee Herman, héros du premier long métrage de Tim Burton et de nombreux shows télévisés pour la jeunesse, dont la carrière avait été brisée après deux arrestations, la première pour s'être masturbé dans un cinéma porno, la seconde pour une affaire de pédophilie dont il s'était sorti mais qui avait laissé des traces dans l'opinion puritaine. Avec l'actuelle affaire Polanski, on voit que les Américains ont la mémoire longue et la revanche tenace.


L'oubli et le pardon sont justement le sujet du film, et lors de l'avant-première au Méliès à Montreuil où nous avait invités Dominique Cabrera vendredi soir, le réalisateur qui était présent, suggéra qu'une famille pieuse pardonnerait plus facilement qu'une famille laïque. Cette affirmation nous parut plus que douteuse si nous nous référons à la politique de l'État religieux d'Israël qui s'appuie sur la mémoire meurtrie du génocide en se vengeant sur une autre population qu'il a spoliée. Heureusement, Life During Wartime, le plus politique de tous ses films, est plus une divagation poétique portée par une analyse féroce de la normalité américaine.
Tourné en numérique par Ed Lachman avec une caméra RED, il aura permis à Solondz de fignoler la direction d'acteurs sans se préoccuper du prix de la pellicule. La scène avec Charlotte Rampling est absolument formidable, mais tout est remarquablement joué dans ce cauchemar éveillé où le quotidien semble lisse alors que les personnages sont perpétuellement en tension, sauf peut-être la petite fille qui est déjà perdue, avalée par les médicaments comme beaucoup d'enfants américains. Françoise fit remarquer à Solondz que s'il pensait que le petit garçon s'en sortirait mieux c'est parce qu'il s'y identifiait. Et le réalisateur de répondre comme tous ses personnages, en faisant semblant de ne pas entendre, mais en s'y résignant, parce que l'on ne peut choisir entre la mémoire et la vengeance, ou l'oubli et le pardon. Seule l'analyse peut nous permettre de rompre le cycle infernal. La compréhension des démons permet de les apprivoiser en remontant aux sources, ce que l'étude comportementale ne saurait résoudre par quelque traitement mécaniste.

mercredi 7 avril 2010

Fictions documentaires de Lionel Rogosin


C'est à se demander si Carlotta ne brigue pas le surnom de "Criterion français" ? L'éditeur américain a la réputation justifiée d'être la Rolls du DVD. Si la qualité des transferts numériques et des bonus des films choisis par Carlotta est exceptionnelle, j'ignore si les épais livrets sont à la hauteur, recevant le plus souvent des tests presse sans étiquette (allez savoir quel est l'endroit ou l'envers en le posant dans le lecteur !) glissés dans une fine pochette transparente. Malgré l'absence de prise de risque sur le cinéma contemporain, leur choix est exceptionnel en ce qui concerne le patrimoine. On leur doit les coffrets Mizoguchi, Oshima ( aussi), Douglas Sirk, Lotte Reiniger, Berlin Alexanderplatz, Antonioni, Fuller, L'argent de L'Herbier, Sa Majesté des Mouches, Les bourreaux meurent aussi, Le temps des Gitans dont j'ai parlé dans cette colonne, et bien d'autres comme les Pasolini ou les Fassbinder. Ils ont également racheté Le Nouveau Latina qui complète leur programmation en salles, riche et variée, forcément plus audacieuse. Appelez-moi Madame de Françoise Romand y avait, par exemple, été programmé.
Après The Savage Eye la semaine dernière, j'ai l'immense plaisir de revoir un autre film sorti en 1959, l'incontournable Come Back, Africa de Lionel Rogosin, dont la sortie est annoncée pour le 21 avril dans un coffret avec On The Bowery et Good Times, Wonderful Times. Comparant ma copie 16mm, que je n'ai pas sortie de sa boîte depuis une éternité, avec ce nouveau master je suis stupéfait par la beauté de l'image. De plus le documentaire qui l'accompagne livre les clefs de ce film unique tourné clandestinement à Johannesburg pendant l'Apartheid. Si Rogosin s'y réclame de Flaherty et De Sica dans son approche du documentaire, sa fiction filmée in situ avec des non-acteurs n'a rien à voir avec le terme de cinéma-vérité si abusivement employé, et c'est tant mieux ! En regardant Come Back, Africa, on constate la distance entre la prétendue vérité défendue par Rouch ou, pire, Lanzmann et l'authenticité analytique de Strick, Rogosin, Cassavetes, Varda ou Romand qui font glisser leurs œuvres vers des formes de réalisme poétique qui ne trichent jamais avec l'illusion cinématographique. Dès qu'il pose un regard sur une scène, que la caméra soit cachée ou visible, dès qu'il cadre, le cinéaste fait des choix et leurs modèles, se sachant filmés, ne se comportent plus de la même façon. Il faut alors inventer autre chose...
Come Back, Africa est un témoignage époustouflant sur l'Afrique du Sud et le racisme, un brûlot politique généreux, une histoire terrible et émouvante, un film de cinéma avec des acteurs formidables. La chanteuse Miriam Makeba sera contrainte à l'exil pendant 31 ans suite à sa prestation merveilleuse. La musique est d'autant plus présente dans le film que Rogosin faisait semblant de faire un documentaire pittoresque pour échapper à la censure et à l'extradition.
On The Bowery, tourné trois ans plus tôt pour se faire la main et apprendre à filmer, utilise déjà le procédé du récit de fiction dans un univers documentaire. Je n'ai jamais supporté les histoires d'ivrognes, j'ignore pourquoi, mais, films ou romans sur le sujet me mettent terriblement mal à l'aise. Le film de Rogosin n'a pas la complaisance de La merditudes des choses (mk2) regardé la semaine dernière et qui m'a complètement déprimé. Les clochards, qui ne vivent que pour l'alcool et en crèvent, préservent une petite part de dignité ; s'ils sont parfaitement conscients de leur déchéance ils ne la portent pas en étendard. Ceux du film ont souvent eu du mal au retour de la guerre en Europe. Un long bonus éclaire l'histoire de la plus ancienne rue new-yorkaise devenue le refuge de tous les marginaux jusqu'à ce que Manhattan soit "nettoyé" au tournant du siècle comme le montre un autre court-métrage. Le regard humaniste que le réalisateur jette sur ses personnages donne leur originalité à ses films.
Good Times, Wonderful Times est un documentaire pacifiste de 1965 proche des idées de Bertrand Russell, pamphlet contre les armes nucléaires en forme de long ciné-tract qui oppose les invités futiles et conformistes d'un cocktail londonien et des images d'archives exceptionnelles sur les ravages de la seconde guerre mondiale. La gloire illusoire des jeunesses hitlériennes s'éteindra sous les décombres de l'Allemagne rasée, dans le froid glacial du Front de l'Est et les camps d'extermination qui sont le déclencheur de l'engagement de Rogosin. Les images d'Hiroshima sont tout autant insoutenables. L'utilisation contrapuntique d'un rock 'n roll souligne le danger de ne pas vouloir croire aux signaux d'alarme tandis que des comparses jouent les "barons" pour révéler l'idéologie des petits bourgeois de la party. Comme dans tous les films de Lionel Rogosin, aucun commentaire ne vient polluer la démonstration, laissant au spectateur la liberté de ses émotions.

mardi 6 avril 2010

La tondeuse à camion


Comme je passais à bicyclette au-dessus du Périphérique, à un endroit où la frontière entre Paris et la banlieue est imperceptible, je m'arrêtai pour photographier un gazon beau comme un camion. J'en profitais pour féliciter ce qui semblait lui tenir lieu de propriétaire. Sa décoration très kitsch était digne du paysagiste dont les coordonnées s'affichaient sur la carrosserie. Je partage la même pelouse dans la salle de bain du premier étage et nul ne peut être dupe du cache-misère recouvrant le carrelage hideux d'origine. De même j'agrafai du canisse au plafond grâce à une gymnastique pénible qui demande le soutien d'un ou deux assistants pour tenir avec balais chaque extrémité du rouleau. Je terminai l'ensemble à la laque rouge vif, l'ensemble ressemblant à un truc innommable vert et rouge avec vissés de drôles de doigts en plastique sortant du mur comme des Cocteau cruels que Françoise avait en magasin.
Repassant le lendemain en mouillant ma chemise, quelle ne fut pas ma stupeur devant le chantier auquel s'attelaient quatre Tamouls décapant au cutter la végétation pourtant bien plantée ! Le pigeon sur le trottoir partageait mon angoisse devant l'eczéma du bolide customisé à rayures. Je repensais au chauffeur souriant de la veille qui accepta mes compliments sans broncher alors qu'il cachait derrière son dos le sécateur assassin. Que personne ne s'approche de ma baignoire, je mords.

lundi 5 avril 2010

Le son de Vinyl


Françoise Romand a terminé le montage du film tourné lors du concert-visite que nous avons réalisé avec le violoncelliste Vincent Segal le 21 mars à La Maison Rouge (Photo Mathilde Morières). Filmé avec une HandyCam, le court-métrage rend bien l'ambiance de la performance qui dura près de deux heures. Nous avons exclu l'interprétation mémorable de 4'33 de John Cage qui se prête mal à une diffusion cinématographique et avons écourté nombre de stations. De même, nous ne nous sommes pas attardés sur les dizaines de pochettes que nous avons commentées en direct, préférant privilégier les séquences musicales. Pour rendre digeste la diffusion sur Internet, nous avons découpé le film de 23'23 en trois parties.


Première Partie (8'37)
Vincent Segal (violoncelle) et Jean-Jacques Birgé (Tenori-on)
autour de Christian Marclay, Helio Oiticica, Philip Glass, Laurie Anderson...


Seconde Partie (5'46)
Jean-Jacques Birgé (Kaossilator), Vincent Segal (violoncelle) et la participation de Martin Fournier (voix)
autour de Laurie Anderson, William Burroughs, John Giorno, Allen Ginsberg, Salvador Dali, Iannis Xenakis, Pierre Boulez...


Troisième Partie (9'00)
Vincent Segal (violoncelle, tourne-disques, keuss keuss) et Jean-Jacques Birgé (flûte, tourne-disques, susu, varinette)
autour d'Un Drame Musical Instantané, Michael Snow, Maurice Lemaître...

J'ai choisi de placer le film à la fois sur DailyMotion, YouTube et Vimeo, ici dans l'ordre croissant de qualité constatée avec le même fichier. Il est intéressant de noter que la meilleure reproduction s'avère celle du site le moins fréquenté.

P.S. : je remarque seulement ce matin que le 33 tours d'Hélène Sage et Bernard Vitet, Supposons le problème résolu paru chez GRRR également, figurait dans le catalogue de l'exposition, aux côtés de Rideau ! et À travail égal salaire égal d'Un Drame Musical Instantané.

jeudi 1 avril 2010

Migration douloureuse


P.S. : depuis que j'ai rédigé ce billet, nous avons décidé de quitter OVH aussi vite que nous y étions arrivés. Ce n'est pas cher, mais les réponses aux problèmes que nous avons rencontrés sont si stupides et erronées que nous avons décidé d'aller voir ailleurs... À suivre...

Jacques m'a aidé à faire migrer le Blog et le site depuis Online vers OVH dont les conditions sont nettement plus avantageuses (4,90 € pour un nom de domaine, hébergement de 1,99 € pour 25 Go à 19,99 € pour 500 Go, etc.) et la stabilité plus fiable. Cela ne s'est pas fait sans mal, une histoire de saturation du CPU par les scripts et de surcharge des serveurs qui nous a brutalement déconnectés dans la soirée. Nouveaux identifiants, nouveaux mots de passe, nouveaux réglages de mails... L'iPhone a été le plus coriace : il fallait remplacer l'@ par % dans la description et le nom de l'utilisateur, ssl0.ovh.net pour le nom de l'hôte et le SMTP, utiliser SSL sur le port 995. Ruse de sioux trouvée par Jacques sur le Net, la googlisation du problème étant la première démarche à faire lorsque l'on n'y comprend rien. On y lit presque toujours les commentaires d'internautes à qui la mésaventure est déjà arrivée. Les forums et les tchats sont dévolus à cette entraide. Prochaine étape, la refonte du site !
Je n'ai pas beaucoup de temps pour écrire. Mes journées sont dédiées aux répétitions et aux rendez-vous qui s'enchaînent avec Antoine Schmitt pour Mascarade... Dominique Playoust et Pierre-Oscar Lévy pour un énorme projet Samsung dont je ne sais ce que je peux révéler... Nicolas Clauss pour le deuxième module du serious game 2025 ex machina... Wolf Ka et Sylvain Ravasse pour le poème symphonique pour 100 Vélib'... Étienne Auger pour un jingle de FRA avec l'Opéra de Paris... Sonia Cruchon pour le site des Ptits Repères... Françoise qui termine le montage du film Le son de Vinyl sur le duo avec Vincent Segal à La Maison Rouge... Ce n'est pas tout, seulement les affaires courantes... S'annoncent aussi les collaborations avec Jacques Rebotier et Sacha Gattino, Olivier Mével et Marc Chareyron, Étienne Mineur, etc. Pardon à celles et ceux que j'oublie, il est tard, mais on s'amusera bien... Nos lapins, eux, se reposent, attendant leur envol pour Bucarest à la fin du mois !

samedi 27 mars 2010

À vendre île déserte


Contrairement à celle qui est incorporée à mon mur orange, j'apprécie très modérément que ma boîte aux lettres virtuelle soit encombrée, voire saturée de pubs, spams, hoax, phishing, etc. Pourtant hier matin, j'ai cru rêver. Qui n'a jamais rêvé se retirer sur un île déserte pour y vivre d'amour et d'eau fraîche ? J'avoue que cela a toujours été l'un de mes fantasmes, à condition que l'île soit véritablement isolée, en pleine nature, offrant tant d'attrait que mes amis n'aient qu'une idée, celle de m'y rejoindre. Peu bricoleur, je me projette mal en Robinson. Comme je ne suis pas Marlon Brando le conte de fée restera à l'état de carte postale, mais je n'ai pu m'empêcher d'aller jeter un coup d'œil à la proposition d'achat d'un petit pied à terre en Polynésie puisque la publicité m'exhorte à "investir dans ce cadre paradisiaque et authentique". J'ai craqué illico pour ce bien "disponible" montré sur la photo à Bora Bora : à vendre îlots et atoll
 d'une surface de 9 500
 m2 pour la modique somme de 5 millions d'euros, une affaire ! Mon budget ne me permettant pas cette folie, je me suis rabattu sur "26 769 m2 de paradis sur le Motu dont 110 mètres de plage de sable blanc", avec vue d'un côté sur le lagon, de l'autre sur l'océan, et ce pour seulement 1 400 000 €. Alors je fais des comptes. Si je vends la maison, avec un apport de Françoise et un bon emprunt, voyons... Le problème, c'est qu'il faut ajouter le prix de la construction, le bateau ou l'hélicoptère. Non, ça ne marchera pas. Il vaut mieux que j'oublie. L'agence fait pourtant miroiter de nombreux avantages, le placement financier, la promotion immobilière, la défiscalisation (la Loi Girardin doit plaire aux autochtones !)... Mais Nicolas, qui avait déjà chaussé son masque et ses palmes, me fait justement remarquer qu'avec la montée des eaux ce n'est peut-être pas un si bon placement.
Dommage ! "Les températures air/mer restent comprises entre 24° et 32°C, on y parle le français et l'anglais en plus du tahitien, le système de santé est excellent, il y a seulement 11 heures de décalage entre Paris et Papeete, les banques sont ouvertes de 7h45 à 15h30 sans interruption, certaines jusqu'à 17h, du lundi au vendredi", ah non, là ce n'est pas possible, il semble que les communications téléphoniques ne soient pas gratuites depuis ma FreeBox et tout à coup je me demande comment je pourrais bloguer chaque matin depuis mon île... En passant le long du boulevard périphérique où sont garées quantité d'épaves servant d'abris aux SDF qui font sécher leur linge sur les grillages, je me demande quel métier exercent les chanceux qui n'auront besoin d'emporter que des vêtements légers, puisque "le soir, la décontraction est de mise, même dans les réceptions un peu mondaines. Un lainage sera utile pour les soirées qui peuvent être fraîches, ou dans les endroits climatisés." Il y a peut-être plus près ? Ce petit délire m'aura tout de même permis de m'aérer le temps de ces lignes. Et je vais de ce pas creuser un trou au fond du jardin pour voir si quelque trésor n'y serait pas enfoui...

vendredi 26 mars 2010

(brève) (reconstruction) (muette) = Rester


J'adore recevoir du courrier. Très tôt le matin je traverse le petit jardin pour aller chercher Libé dans la boîte aux lettres. Il m'arrive d'y aller pieds nus, même lorsqu'il neige. Que la factrice commence sa distribution par le trottoir d'en face et les pâtés de maison qui s'y raccrochent me fait pester. Parfois je l'attrape au passage. Elle est sympa. Le plus souvent j'attends 10h30 avant de retourner voir. Le samedi et le lundi il n'y a jamais grand chose. Service minimum. On n'échappe pas aux factures, c'est donc le reste qui m'intéresse. Si les colis sont trop gros pour la spacieuse boîte homologuée, le facteur spécial camionnette peut sonner à n'importe quelle heure tant que c'est le matin. Si c'est Fedex ou, pire, UPS, alors là c'est n'importe quand, n'importe comment, n'importe quoi ! Comme Françoise est abonnée au Monde la boîte est rarement vide, mais je biche vraiment lorsqu'elle déborde. Cela signifie qu'il y a des paquets avec des bouquins, des disques, des films ou je ne sais quoi.
Hier le colis était long et plat. Pas une taille ordinaire, 38 x 27 cm. L'exemplaire de la plaquette d'Eric Vernhes porte le n°32 sur 150. Les 29 pages sur épais papier glacé couleurs sont accompagnées d'un DVD de 14 minutes, compilation habilement montée des improvisations live du vidéaste au cours de ses collaborations. Bizarrement je rate le nom des musiciens à la fin du film, mais je crois reconnaître Serge Adam à la trompette, Benoît Delbecq et peut-être Marc Chalosse aux claviers, Gilles Coronado à la guitare. Je suis troublé par l'air de famille de ce que j'entends avec la musique d'Un Drame Musical Instantané à la fin des années 80 quand nous avions à peu près la même formation. C'est très émouvant. Le rubato des images colle au son comme celle d'un rêve vécu au quotidien, une sorte de distorsion du réel sans que l'on ait besoin de s'enfiler des psychotropes. Les images imprimées de Rester évoquent un monde intérieur projeté sur l'écran au fur et à mesure que le temps s'écoule. L'auteur, sur la page de garde de l'objet dans son écrin de carton noir, décrit au crayon blanc les choses "en vrai" qu'il m'invite à voir dans son atelier, sa nouvelle bibliothèque indémontable en acier massif et un couple de souris blanches.

mardi 23 mars 2010

La Passion du Vinyl


Après la première station sous le signe de la musique d'ameublement d'Erik Satie, nous avons gravi le chemin transportant l'un sa boîte de violoncelle et un tourne-disques, l'autre sa valise remplie de disques et d'instruments électroniques. Passés devant le Domaine Musical, Eskimo des Residents, Portal par Alechinsky, nous nous sommes arrêtés pour piétiner et diffuser les Footsteps de Christian Marclay. Depuis son acquisition, plus le vinyle est esquinté plus le son est intéressant. Quelques mètres plus loin, pour interpréter un duo de musique répétitive devant les Philip Glass de Sol LeWitt, je sors mon Tenori-on dont le son est plus discret que je ne m'y attendais, obligeant Vincent Segal à jouer pianissimo. Tandis que je diffuse lithurgiquement le 45 tours souple de L'Apothéose du Dollar par Salvador Dali, Vincent glisse un petit Bach (photo 1) ! Sous la vitrine, nous découvrons un disque en chewing gum qui aurait plu au Catalan.


Vincent attaque O Superman, qu'il a déjà fait avec Laurie Anderson, en jouant simultanément la pédale rythmique et la mélodie. Mes boucles vocales au Tenori-on prennent quelques libertés avec l'original (photo 6). Nous sommes plus révérencieux avec 4'33 de John Cage ; j'ignore si c'est une première mondiale de l'interpréter en duo, mais nous jouons parfaitement ensemble (photo 3) ! Vincent déploie une partition très annotée de Ligeti et une autre, autographe, de Pierre Boulez. J'accompagne au Kaossilator Martin Fournier, spectateur anglophone, récitant magnifiquement un texte d'Allen Ginsberg, avant que mon camarade s'interroge sur le Johnny Griffin de Warhol et que je conte mes aventures adolescentes avec les Beatles. J'offre quelques exemplaires de Rideau ! à la cantonade après que nous ayons exécuté un playback à la flûte et au violoncelle sur M'enfin (photo 2). Ce n'est pas tous les jours que les visiteurs d'une exposition d'art contemporain repartent avec une des œuvres sous le bras ! Nouveau duo avec flûte devant The Last LP de Michael Snow où nous prétendons avoir arrangé un morceau d'une tribu disparue, à l'image du canular de l'artiste canadien. Auparavant j'ai montré les pochettes doubles d'un autre album de Snow et du trio Laurie Anderson / John Giorno / William Burroughs. À cette occasion je suggère à Vincent de faire l'expérience du triple sillon de la quatrième face : le choix du morceau est aléatoire.


J'ai apporté des extraits de 3/3 par 1/2 (trois tiers par Un DMI) que nous avions enregistré sur Machiavel avec trois bouts de vinyle de trois différents disques du Drame (écoutable ici). La force centrifuge du tourne-disques portable expulse les tranches de gâteau noires qui scratchent toutes seules sous l'aiguille, composant un morceau inédit surprenant, d'autant que j'ai placé dessous l'une des faces bruitistes du Snow (photos 4-5). Terminant par un hommage à Fluxus, Vincent trace un sillon avec un clou sur la surface vierge du disque à graver soi-même de Maurice Lemaître, puis il joue des Keuss Keuss tandis que je hurle, un susu dans la bouche, sur deux de ses poèmes, L'équipée sauvage et Valse japonaise ! C'est terminé, Vinyl ferme pour ce soir, nous avons improvisé un programme de près de deux heures. Le public est aussi enchanté que nous deux qui nous sommes bien amusés...

Photos © Mathilde Morières, sauf n°3 Corinne Dardé (celle où l'on voit Françoise Romand filmer, ce qui laisse présager d'un futur YouTube qui sera également en ligne sur le site de La Maison Rouge). Merci les filles !

lundi 22 mars 2010

La bave du crapaud


Invité dans une soirée très sympathique, quasi familiale, j'essuyai l'agressivité déplacée d'une ancienne amie, probablement en but à une forme de jalousie inhérente à notre profession. Une heure plus tôt, je lui avais remonté les bretelles, choqué par ses propos racistes sur la communauté chinoise de Belleville. Les rumeurs hygiénistes propagés sur les restaurants et épiceries asiatiques m'ont toujours irrité. S'ils s'agrémentent de critiques sur leur manque de savoir vivre et leur refus de s'intégrer aux us et coutumes françaises, des relents "de bruit et d'odeur" me montent au nez. Les "on est tout de même en France", "on ne peut plus marcher sur le trottoir" et "je ne vais quand même pas déménager", qu'ils s'adressent aux Chinois, aux Arabes, aux Africains ou à quelque communauté que ce soit, me font le même effet. Il est toujours difficile de comprendre que nos cultures diffèrent souvent radicalement, mais que les écarts se résoudront fatalement d'eux-mêmes avec le temps et les nouvelles générations. N'empêche, j'ai droit à la litanie sur la saleté, l'impolitesse, le refus de parler notre langue "alors qu'en fait ils comprennent très bien", etc. Lorsque l'on a voyagé en Asie, on sait bien que c'est dans les bouis-bouis cracras que l'on mange le mieux, qu'une saloperie peut s'attraper n'importe où, et que nos propres us et coutumes peuvent être aussi choquants pour eux. De plus, ceux qui sont ici ne sont ni des touristes ni des émigrants de gaîté de cœur. Comme dans un couple, il est à première vue plus simple de critiquer l'autre que d'apprendre à accepter les différences, mais la méthode est vouée à l'échec. Suivant cet adage, je fis donc un effort pour rester calme et tenter d'expliquer que l'arbitraire des frontières politiques ou culturelles ne sauraient nous donner de prérogatives sur la manière de vivre, et de vivre ensemble. Sachant par ailleurs que l'on ne convainc personne qui ne veuille être convaincu, ma tentative de conciliation ne peut qu'aboutir à une fin de non-recevoir de la part du raciste ordinaire. Faute d'arguments, l'aigrie est partie en me tournant le dos. Tant pis, j'aurai fait ce que j'ai pu.
Je me sortis moins bien de ses attaques personnelles, alors qu'elles n'auraient dû me faire ni chaud ni froid. L'injustice et la méchanceté me désarçonnent. Refusant de me battre sur ce terrain, je glisse dans une position défensive que je tiens de mes plus jeunes années, issue d'une culture paranoïaque de la persécution. Je fus particulièrement touché par l'attitude de ma fille qui ne put s'empêcher de me défendre pour m'éviter de m'empêtrer dans des justifications déplacées pénalisant mon propos. Plus tard elle me demandera de but en blanc pourquoi j'essuyai plusieurs fois dans ma vie "les attaques de femmes castratrices", me renvoyant à mon enfance, dont je ne suis probablement jamais sorti totalement, et au sentiment de différence qui me poussa à me distinguer faute de pouvoir m'intégrer. Sa bienveillance rejoint celle de Françoise lorsqu'elles me conseillent de me taire. Je parle trop et mon entêtement à me justifier fiche tout par terre. Mon père avait coutume de me rappeler : "la bave du crapaud n'atteint pas la blanche colombe". Incorrigible maladroit, je répétais la maxime en m'étalant de tout mon long lorsque je me croyais obligé de préciser "et la blanche colombe ici c'est moi !". Désespéré devant mon cas, il aurait ajouté : "laisse pisser le Mérinos !".
En tapant ces lignes, je me rends compte à quel point ces deux paragraphes se répondent, touchant tous deux au sentiment d'exclusion et d'intégration. Les souffrances relatées montrent les difficultés de chacun, face à soi, au groupe, lui-même confronté à une société plus large, cercles concentriques dont le rayon n'en finit pas, jusqu'à une humanité qui feint d'oublier qu'elle n'est qu'une espèce parmi tant d'autres, ivre de son pouvoir de construction et de destruction. La question d'appartenance au groupe est indissociable de l'existence, quelle que soit l'échelle choisie. La difficulté d'être, dans ce qu'elle a de plus intime, relève somme toute d'un phénomène social.

samedi 20 mars 2010

Scotch 1 - JJB 0


Mes lecteurs connaissent mes points faibles. À part le dos, mon petit orteil gauche est mon talon d'Achille. Un coup de vent rasant, et paf, cela suffirait à le froisser. Je lisais tranquillement dans mon lit allongé sur le dos lorsque le chat a sauté comme une puce mais de ton son poids sur mes pieds tournés vers le plafond. Huit kilos et demi se sont abattus sur mes arpions fragiles. J'ai senti le craquement. Arrêt de jeu. Massage à l'arnica, granules et Di-Antalvic tant qu'il en reste. J'ai aussitôt pensé à l'EMDR, technique intéressante de désensibilisation et retraitement de l'information par mouvement des yeux ! Comme je suis embarrassé de demander à Françoise de jouer les hypnotiseuses en faisant osciller un stylo devant mes yeux, je me suis fait offrir un métronome. Pour un musicien, quoi de plus naturel ? Sauf que celui-ci est mécanique, on n'en fait plus beaucoup, et que je ne m'en sers que pour m'autohypnotiser. Ainsi personne n'attrape de crampe. Et mes yeux de suivre l'oscillation du balancier en me concentrant sur la douleur et le choc initial. Auto-suggestion ? Effet placebo ? Technique de libération émotionnelle (EFT) ? La douleur s'estompe miraculeusement et je peux m'endormir. Le lendemain matin, je réitère l'opération métronome, et mes yeux d'aller de droite à gauche et de gauche à droite. J'arrive à poser le pied par terre ! J'ai cru comprendre qu'il s'agit de reprogrammer des réflexes anciens générés par la douleur. Ainsi lorsque je me coince le dos, il se met en position de baïonnette à tel point que les jambes ne sont plus en face du tronc. Impressionnant ! Or il s'agit d'une position antalgique, mon corps se souvenant qu'ainsi je compense la coincette. Hélas cette position génère toute une suite de rééquilibrages catastrophiques, comme une colonne de cubes empilés sur une base tordue. La reprogrammation est censée effacer cette mémoire du corps, me permettant de réagir plus efficacement sur le traumatisme. Vous me suivez ? Après des années de pratique (le choc, suivi de sa prise en main !) j'ai réduit la convalescence de trois semaines à quelques jours, essentiellement en me relaxant au lieu de m'énerver contre la douleur. L'expérimentation de l'EMDR est donc une nouvelle plongée passionnante dans les possibilités du cerveau à la contrôler, qu'elle soit physique ou psychique. Miracle ! Je réussis à enfiler chaussette et chaussure, à pédaler, et en fin de journée je gambade comme si de rien n'était. Cela ne m'est jamais arrivé en 37 ans de casse-pied. Je n'ai même plus d'inquiétude pour le concert de demain où je dois jouer debout et déambulant. Je n'aurai pas vécu de bouts et d'ambulances.

vendredi 19 mars 2010

Nous faisons lignes à part


Françoise et moi faisons lignes à part. Pratiquant de temps en temps l'une et l'autre le téléphone longue durée, nous avons chacun notre propre numéro. Depuis les abonnements tout en un avec forfait illimité nous avons donc loué deux FreeBox. En cas de panne, comme hier matin où la liaison Internet de ma compagne était coupée, nous pouvons nous rabattre sur l'autre connexion, nous évitant de tourner chèvres et de paniquer comme des idiots. Depuis que nos iPhones fonctionnent en Edge ou en 3G nous avons encore une solution de secours pour récupérer ou envoyer des mails. J'ai également conservé mon numéro France Telecom qui me permet d'appeler sur le 09 et de recevoir par le 01, et en cas de rupture Free de continuer à pouvoir travailler. Cinq lignes de téléphone, six ou sept ordinateurs, deux modems, quatre bornes wi-fi, deux lapins communicants, une boîte aux lettres au format homologué pour recevoir les gros paquets, trois bicyclettes, deux cartes Vélib', quatre jambes, une vieille bagnole pourrie, un métro pas loin, deux bouches et des oreilles, des voisins sympas, on ne pourra pas dire que nous sommes coupés du monde. En retour, on s'inquiétera de notre santé mentale.
Sur certains points nous avons néanmoins assaini l'atmosphère domestique, d'autant que nous travaillons tous les deux à la maison. Nous ne répondons ni l'un ni l'autre aux coups de fil qui ne nous sont pas adressés, pas plus que nous ne réveillons les ordinateurs qui ne sont pas les nôtres, sauf occasions exceptionnelles avec l'accord du conjoint ! Nous ne posons non plus aucune question sur les endroits où nous sommes allés et sur nos rendez-vous respectifs, laissant à l'autre le soin de raconter ce qu'il ou elle souhaite. Bavards et prolixes en confessions, avis et interrogations permanentes, nous partageons déjà tant de complicité. Comme l'indépendance économique est le garant de nos choix individuels, l'intimité est le complément indispensable de la fusion. Cela me fait penser à un feuilleton radiophonique de Zappy Max dont je me souviens des intonations quand dans les années 50 toute la famille réunie autour du premier poste à transistors écoutait Ça va bouillir !

jeudi 18 mars 2010

Du son dans tous les sens


La voiture broute comme si ça patinait. La rumination est amusante, mais ça ne tourne pas rond avec un effet balançoire angoissant. Je suis ennuyé car mon Espace de 1986 me rend bien service lorsque je transporte du matériel, pour les courses ou aller écouter un concert en banlieue. Nous en servant peu, nous hésitons à racheter une automobile. Sa grande contenance est précieuse. Hélas le prix est proportionnel à la taille du véhicule... Pour l'instant je fais durer, mais voilà déjà quatre ans que le chauffage est en panne. Heureusement les beaux jours arrivent. Les oiseaux ont réinvesti l'églantier et le lavatère. Ça piaille dans tous les sens.
Au lieu de l'apporter au garage qui affiche complet j'ai fait des tests comparatifs entre deux paires d'enceintes miniatures en vue du concert-visite de dimanche à la Maison Rouge : les iHome ihm79 ont un son nettement meilleur avec des basses flatteuses, mais elles sont deux fois plus volumineuses que les ihm77 et elles arrachent moins. Pour une écoute domestique les 79, pour les déplacements les 77.
J'ai écouté le dernier Zappa paru, Philly '76, avec Bianca Odin. C'est toujours bien, mais plus aucun album inédit édité par la famille n'apporte grand chose de nouveau à la discographie du génial compositeur pamphlétaire. Dans le disque du batteur Franck Vaillant Magnetic Benz!ne le travail vocal de Soobin Park est très excitant, mais l'orchestre est trop jazz-rock pour me plaire. Je préfère écouter La longue marche du compositeur Benjamin de la Fuente dont j'envie la virtuosité violoniste pour partager son goût pour les trémolos hystériques, le traitement électroacoustique de ses distorsions en anneau et les rituels rock'n roll. J'ai trouvé de nouveaux Charlemagne Palestine ; c'est le genre de musique à écouter sans discontinuité pendant 24 heures et puis passer à autre chose, comme un stage au sauna. je ne sais pas si on cuve pendant ou ensuite.


L'étonnante comédie musicale sénégalaise Karmen Geï, film de 2001 de Joseph Gaï Ramaka, interprétée par la sublime Djeïnaba Diop Gaï, danseuse à l'érotisme torride, nous enchante. J'ai toujours adoré les tambours de Doudou N'Diaye Rose, mais quand intervient le saxophone free de David Murray qui a signé la musique, j'en reste comme deux ronds de flan. Le brûlot politique s'épuise au fur et à mesure du scénario, mais les chansons sont superbes et le film assez gonflé ne ressemble à rien de connu, ni du cinéma africain pour l'export, ni une énième adaptation musicale d'après Bizet.
En fin de journée, Vincent Segal (il s'en fiche, mais il n'y a pas d'accent !) me rejoint pour structurer notre visite de l'exposition Vinyl dimanche à 17h. J'ai mis de côté quelques disques et préparé les instruments dont je compte me servir pour accompagner nos propos. Vincent a plein d'idées et ses nombreuses collaborations artistiques, de Michael Snow à Laurie Anderson, constituent un trésor d'anecdotes. Nous devrions interpréter un numéro de duettistes assez amusant (photo ©Françoise Romand)...

vendredi 12 mars 2010

Un petit sujet






Françoise retrouve un petit sujet tourné sur Pauline Lafont en 1987 au Studio Harcourt pour le magazine C'est encore mieux l'après-midi présenté par Christophe Dechavanne. Le nom de Françoise Romand a été paresseusement oublié au générique. Heureusement elle l'avait déclaré à la Scam. Elle imagine des cadrages et une lumière plutôt gonflés pour ce genre d'émission. Le ton du commentaire et l'illustration musicale donnent une couleur années cinquante à l'ensemble, ravivant ma mémoire d'enfant. Tandis que la télé n'existait pas encore, les salles de cinéma projetaient les actualités et un court-métrage avant le film. C'est comme cela que nous étaient révélées les images du monde et que de jeunes réalisateurs étaient découverts pour leur mérite et pas seulement pour leur filiation familiale. En marge d'archives phénoménales, le Studio Harcourt perpétue sa tradition de photographies glamour, mais la carrière de Pauline Lafont s'arrêtera tragiquement au fond d'un ravin l'année suivante lors d'une randonnée solitaire. En regardant le petit sujet je me souviens que les cinéastes de la première vague (L'Herbier, Epstein, Delluc, Dulac...) avaient été obligés d'inventer une manière originale pour filmer les scénarios très basiques qui leur étaient imposés. Tant que l'on nous en laisse la liberté, on peut toujours trouver une solution pour améliorer l'ordinaire.

jeudi 4 mars 2010

Les comédies de la liste Rosenbaum


En suivant scrupuleusement la liste des comédies transgressives américaines indiquée par Jonathan Rosenbaum dans The Unquiet American, nous découvrons évidemment des joyaux que nous ignorions. Le dernier en date fut The Three Caballeros, un dessin animé de long métrage, réalisé par Norman Ferguson en 1944, un des meilleurs de chez Walt Disney, qui mélange prises de vue réelles, avec chanteurs et danseurs sud-américains, et les personnages de Donald Duck, Joe Carioca et Panchito Pistoles. Ce film expérimental est un cocktail explosif de kitsch et de psychédélisme débridé. On frise Tex Avery pour les gags absurdes et la scène éthylique imaginée par Salvador Dali dans Dumbo pour les traitements graphiques.
Les films de Lubitsch ne sont pas tous aussi drôles ou pétillants d'intelligence les uns que les autres : nous avons été emballés par Angel, un petit bijou avec Marlene Dietrich et Melvyn Douglas, et par La huitième femme de Barbe-Bleue avec Gary Cooper et Claudette Colbert. Les dialogues y sont étincelants, les situations jubilatoires, c'est du grand art. Trouble in Paradise (Haute pègre) et Cluny Brown (La folle ingénue) ne sont pas du même niveau, mais sont très plaisants ; par contre, nous avons été déçus par Heaven Can Wait (Le ciel peut attendre). Ce sont toutes des comédies de mœurs où les femmes s'affranchissent de la condescendance masculine, où les allusions sexuelles sont légion et où les conventions bourgeoises volent en éclats. Je n'évoque ici que les films projetés ces dernières semaines, il nous reste quantité de Lubitsch muets à découvrir, périodes allemande et américaine, et je ne parle pas des merveilles que nous connaissons par cœur comme The Shop Around the Corner, Ninotschka, To be or not to be, voire Design For Living (Sérénade à trois) et That Uncertain Feeling (Illusions perdues)...
Nous ne connaissions Preston Sturges que de nom, mais The Palm Beach Story (Madame et ses flirts) est un chef d'œuvre lubitschien avec Claudette Colbert et Joel McCrea et Christmas in July (Le gros lot) une jolie fable sociale. Tous ces films sont des screwball comedies mettant la plupart du temps en scène des couples qui s'aiment et se cherchent des noises. Dans le genre, Adam's Rib (Madame porte la culotte) de George Cukor est probablement le meilleur de tous ceux interprétés par le tandem Katherine Hepburn - Spencer Tracy. Parmi les descendants du maître Lubisch dont il a été l'élève, Billy Wilder est un des plus représentatifs. Si mon préféré reste One Two Three, nous passons un agréable moment devant Avanti! et, plus encore, The Fortune Cookie (La grande combine) avec Jack Lemon et un Walter Matthau au meilleur de sa forme.
Will Success Spoil Rock Hunter? (La blonde explosive) de Frank Tashlin, avec Jayne Mansfield, Tony Randall et Groucho Marx, ne vaut pas certains de ses films avec Jerry Lewis, mais il annonce l'univers de la pub de Mad Men et écorne avec humour l'univers de la communication comme le fait dramatiquement Wilder dans le remarquable Ace in the Hole (Le gouffre aux chimères), démonstration implacable de la manipulation de l'opinion à des fins mercantiles, cinquante ans avant notre ère.
The Fountain of Youth est une curiosité télévisuelle où Orson Welles mélange prises de vue fixes et mobiles en mettant à profit ses talents de conteur. Il nous reste à voir pas mal de films de la liste ou ceux cités dans les articles publiés par Rosenbaum dans son livre-catalogue et dont j'ai scrupuleusement noté les titres. Mon billet ne fait que les survoler, livrant des pistes aux amateurs de comédies, genre que les filles réclament souvent en projection et que j'ai eu longtemps du mal à fournir ! J'ai gardé celles d'Albert Brooks et d'Elaine May pour la fin. Rosenbaum prétend que Brooks est dix fois plus drôle que Woody Allen, mais trop original pour avoir du succès. Real Life est un pastiche de télé-réalité de 1971 tordant et prémonitoire, intelligent et corrosif, tandis que, moins réussi, Lost in America attaque le mythe américain de la liberté en un double petit bourgeois d'Easy Rider ! De même, Elaine May réalise un pendant au Lauréat de Mike Nichols avec The Heartbreak Kid, une comédie noire avec le génial Charles Grodin, et Ishtar, une comédie ratée avec Warren Beatty Dustin Hoffman, Isabelle Adjani et Grodin, qui a le mérite d'aborder l'ingérence de la CIA à l'étranger au travers d'une loufoquerie où les deux principaux protagonistes incarnent un couple de chanteurs ringards envoyés à Marrakech pour un contrat miteux.
Entendre Françoise pliée de rire deux soirs de suite mérite d'être souligné ! La comédie de science-fiction Innerspace (L'aventure intérieure) de Joe Dante nous a donné envie de voir ses autres films dont le succès n'a jamais égalé celui des Gremlins. Comme pour nombre de films choisis par Rosenbaum, cela s'explique par leur côté politiquement incorrect et leur originalité. Nous sommes montés d'un cran dans le délire avec la politique-fiction The Second Civil War où l'État d'Idaho, fermant ses frontières à des enfants réfugiés pakistanais après un conflit nucléaire avec l'Inde, déclenche une Seconde guerre de sécession, attisée par les médias télévisuels. Si cette satire hilarante et incisive renvoie furieusement aux présidents des États-Unis passés et à venir, ainsi qu'aux différentes guerres qu'ils n'ont cessé de mener, elle met en scène avec un humour dévastateur le spectacle qu'organise quotidiennement les médias qui nous gouvernent.
Pour ne pas rester scotchés uniquement sur les films américains, fussent-ils critiques, et désertant la liste Rosenbaum, nous avons regardé Le temps qu'il reste (DVD France Télévisions Distribution) du Palestinien Elia Suleiman, nettement moins drôle que les précédents ''Chronique d'une disparition'' et surtout ''Intervention divine''. Le film a beau être juste et personnel, il reste un gout de déjà vu qui sied peut-être aux gags répétitifs de Suleiman, mais déçoit au regard des inventions auxquelles il nous avait habitué. Évidemment satirique avec l'occupation israélienne, il a le mérite de savoir se moquer aussi bien de son peuple...
Sur les écrans, le blockbuster Precious est un film sympa et moins consensuel que les clichés dramatiques d'un Ken Loach. Lee Daniels sait filmer avec légèreté une situation tragique, même si les séquences glamour sont un peu lourdes. Il y a tout de même de jolies trouvailles comme lorsque Precious se voit en blonde dans le miroir ou qu'elle s'identifie physiquement avec les héros du petit écran. Arriver à réaliser une comédie dramatique sur le viol, l'inceste, l'obésité n'est pas une mince affaire. Dans ce pamphlet social, le casting essentiellement féminin et noir ainsi que les rebondissements du scénario donnent une bouffée d'air frais au cinéma américain contemporain.

mardi 23 février 2010

José Berzosa en bonus de Thème Je


Dimanche Pauline Fort filme José Berzosa commentant Thème Je, le quatrième film de Françoise Romand qui sortira cette année en DVD, après Mix-Up ou Méli Mélo, Appelez-moi Madame et Ciné-Romand (dist. Lowave). En plus de Rencontres, tourné à l'Idhec en 1977 et retrouvé récemment dans les archives de Harvard à Boston, Françoise a décidé d'ajouter cet entretien amusant où son ancien maître espagnol critique les scènes qui le choque dans l'autofiction qu'elle a réalisée de 1999 à 2004. Elle remonte le volume d'un coup de téléphone occulté dans le mixage initial. On revoit le plan litigieux... Ce n'est pas la seule séquence qui dérange dans Thème Je. Le film fait beaucoup rire en projection publique, il met parfois mal à l'aise en comité restreint. Passé ses énormes qualités cinématographiques, sa réputation de "film maudit" justifie largement sa publication en DVD. C'est à mon avis le meilleur de Françoise depuis ses deux premiers, celui qui éclaire l'ensemble de son œuvre.
À table, j'interroge José sur Luis Buñuel qu'il a connu à Paris et Mexico. Comme Frédéric Rossif lui avait demandé de tourner un sujet sur Buñuel, Don Luis accepte à condition que José joue le rôle du premier diacre de Priscillien dans La Voie Lactée et de ne jamais apercevoir sa caméra. Lorsqu'il entend le mot "Moteur !", notre ami reste pétrifié de devoir réciter son long monologue en latin ! Le premier assistant, Pierre Lary, l'emmènera boire un café pour le détendre pendant qu'une centaine de personnes attendent dans la forêt éclairée en nuit américaine... Qu'il raconte son tournage au Vatican avec Françoise ou qu'il commente avec élégance les couleurs que j'arbore, José, qui pour venir nous voir a enfilé des lacets oranges à ses souliers, ne manque jamais d'un humour pince-sans-rire que l'autre Espagnol n'aurait pas désapprouvé. J'ai toujours beaucoup ri à La voie lactée, surtout après avoir lu dans L'avant-Scène Cinéma les explications de Buñuel sur les hérésies. Ça tombe bien, Thème Je est un film hérétique dans l'histoire du cinéma.

P.S. : photo réalisée sans trucage.

mercredi 10 février 2010

Bande-annonce de Ciné-Romand


Après le happening à Barbès en 2007 (1 2) et à La Bellevilloise en 2009 (3 4 5 6), après la publication du DVD dans son magnifique étui conçu par Étienne Mineur, après le site réalisé par Caroline Capelle et Sébastien Pons, c'est au tour d'une nouvelle bande-annonce de Ciné-Romand d'être mise en ligne à l'occasion du lancement du film aux États-Unis par Microcinema. Françoise Romand avait déjà réalisé un trailer plus explicatif. Celui-ci, énigmatique, ouvre une piste féministe. J'en ai composé la musique. À l'image on reconnaîtra Serge Dupire, Florence Thomassin, Marc Lavoine, Anne Jacquemin et Feodor Atkine.

samedi 6 février 2010

Les lapins à toutes les sauces et le jardin des délices


Ayant reçu copie d'un reportage réalisé par Marc Helfer pour la télévision finlandaise autour de Nabaz'mob avec entretien au Studio GRRR et extrait du film de Françoise, je me promenais parmi nos bestioles lorsque j'aperçus un enregistrement vidéo en haute définition de notre opéra réalisé par Heinz Sambs (caméra) et Ramsy Gsenger (montage) à l'occasion de notre passage au Musée Lentos de Linz en Autriche pendant le Festival Ars Electronica qui venait de nous remettre l'Award of Distinction 2009 pour la musique numérique. Leur petit montage en fondus rend bien le spectacle que nous avions donné au musée d'art moderne et l'ambiance de la soirée. Il existe nombre de vidéos tournées ici et là, à New York ou Amsterdam, Paris ou Strasbourg (ci-dessus), sans compter les passages au Journal Télévisé et tous les extraits pirates capturés avec des téléphones portables. D'autres disparaissent, découverte beaucoup plus angoissante que les mises en ligne sauvages, comme le joli film tourné aux Arts Décoratifs, brutalement effacé sans que l'on ne nous en ait avertis ni que l'on sache pourquoi. YouTube permet pourtant de stocker tout ce que l'on souhaite sans coûter un centime ni occuper la moindre mémoire sur nos sites ou nos disques durs. L'éradication laisse un grand trou noir en illustration de mon article d'alors et une certaine amertume devant les usages cavaliers de personnes ou d'institutions avec qui nous avons collaboré. Internet n'est pas un modèle de courtoisie, porteur d'autant de de goujateries qu'ailleurs.

P.S.: au moins le Blog aura servi à quelque chose. Le film tourné par Olivier Souchard a été réintégré sur DailyMotion.


Comme je jetais un œil à ce qui est en ligne, je tombe avec surprise sur une captation linéaire d'une scène du Jardin des Délices que nous avions créé avec Frédéric Durieu et la graphiste Veronica Holguin. Le projet que j'avais initié à Hyptique était resté à l'état de pilote faute de subsides, l'éclatement de la bulle Internet en l'an 2000 ayant pulvérisé toutes nos ambitions dans ce domaine pour un moment. Cherchant une idée pour un CD-Rom adulte, j'en avais eu l'idée le soir-même où nous avions terminé Alphabet. Il s'agissait d'adapter librement le tryptique de Jérôme Bosch.
Nous avions terminé la grande introduction avec navigation parmi les étoiles et les planètes du système solaire (utilisant son système en 2D½, Fred avait poussé la précision jusqu'à les situer à leur endroit exact dans le cosmos !) pour arriver sur la Terre, un globe que les éléments naturels malmenaient brutalement sans atténuer l'effet poétique de ces boules de verre que l'on retourne pour faire tomber la neige. C'était ainsi que Bosch a peint le Jardin lorsque le tryptique est fermé. J'avais fait traduire dans toutes les langues la phrase inscrite tout en haut "Ipse dixit et facta sunt, ipse mandavit et creata sunt" en substituant le pronom personnel "il" par le "on" impersonnel qui correspondait à notre perception du monde à savoir que ce n'est pas Dieu qui crée les hommes, mais le contraire : "Comme on le décide les choses sont faites", les ambiguïtés du Hollandais permettant cette interprétation sacrilège ! Il reste une trace de l'avant-propos avec le module Big Bang où matière et anti-matière se frottent l'une à l'autre pour produire le résidu qui donna naissance à l'univers d'où nous sommes issus, poussières d'étoiles. Le tryptique s'ouvrait après que nous ayons reconstitué son cadre. Nous avions également réalisé la première des sept scènes du Paradis, Forever, qui produit une musique répétitive infinie, différente à chaque redémarrage. Les deux modules Shockwave furent plus tard recyclés avec PixelbyPixel pour former Time. La première scène de l'Enfer du Musicien ne fut jamais complètement terminée. Y défilait l’histoire de la musique pendant qu’un eugénisme imbécile et cruel résolvait avec terreur la question démographique.
Le tableau qui est montré ci-dessus est le seul réalisé du tryptique central dit le jardin des délices proprement dit. Y poussent plantes, fleurs et champignons aux formes plus que suggestives, vulves et phallus suggérés par ces photographies de nature prises en forêt et dans les champs. Le rythme varie chaque minute tandis que des flûtes mélodiques accompagnent les apparitions, on entend les herbes écartées, les caresses portées aux fleurs génèrent des râles de plaisir. Les rythmes de cette forêt d’émeraude y sont moites, les flûtes si calmes qu’elles nous laissent respirer à notre tour… J'ignore comment ce module a pu se retrouver sur YouTube. Il ne fonctionne qu'en OS9 et n'a jamais été commercialisé. Il s'agit probablement d'une personne à qui nous avions offert l'un des exemplaires du pilote... Quoi qu'il en soit, il est préférable que les œuvres circulent plutôt qu'elles disparaissent sous prétexte de protection !

samedi 16 janvier 2010

Dîner entre amateurs de piments confits


Le gigot est toujours trop cuit à mon goût. La majorité des convives le préfèrent à point ou, au mieux, rosé. Je reproduis probablement l'habitude de mon père qui mangeait sa viande bleue. Paralysé suite aux mauvais traitements infligés par ses geôliers allemands, il s'était rétabli grâce à sa cousine Suzon qui l'avait conduit en brouette aux abattoirs de Sermaize, tous les matins pendant six mois, pour ingurgiter deux litres de sang frais. Lors de son évasion, il ne pesait plus que trente-sept kilos ! Alors que ma mère n'a jamais pu avaler une viande où il restait l'ombre d'un filet de sang, ma sœur et moi avons adopté le goût du cru.
Les recettes du gigot d'agneau indiquent un temps de cuisson beaucoup trop long ; s'il ne tenait qu'à moi, dix minutes par livre suffiraient. En tirant jusqu'à un quart d'heure, l'agneau devient tout gris. Même très cuit, je me délecte de son parfum grisant. Cette fois, j'ai piqué sa chair de gousses d'ail et de brins de romarin cueillis dans le jardin après l'avoir badigeonné du miel des ruches de Jean-Claude, saupoudré de sel fumé et poivré. Aucune matière grasse n'est nécessaire, mais j'arrose régulièrement la viande d'eau pour faire du jus. J'avais choisi de l'accompagner de quinoa rouge, de fèves, de fonds d'artichauts cuits à la vapeur de romarin, j'en avais coupé un peu trop, et je proposai une sauce à la menthe vinaigrée rapportée de Londres. Pour ce repas simple, à savoir sans extravagance, Françoise avait servi une délicieuse crème de potiron en entrée, Tina avait confectionné un onctueux Mont-Blanc à la noix de coco, Olivia avait remonté une exceptionnelle huile homonyme de chez sa maman dans le Lubéron, Stéphane souriait, Sacha et Karine s'étaient occupés du fromage et du pain en passant par la rue de Crimée, parfaits comme à leur habitude.


Ils avaient également apporté des piments végétariens confits à se damner. Leur côté corsé est très doux, laissant les arômes vous envahir comme un génie jaillissant de sa lampe merveilleuse. Si le dîner était simple, on remarquera qu'il n'exclut pas les superlatifs. Les couleurs des nappes confectionnées par Olivia à partir de tissu d'ameublement s'harmonisaient avec les mets partagés. Les sourires d'Antonin et Nadja, occupés au premier étage par Kié la petite peste et Mario Galaxy, laissaient planer une grande tendresse sur la soirée. J'en avais bien besoin après les contrariétés des deux derniers jours. Chaque fois qu'intervient un conflit professionnel relatif à l'intendance je suis incapable de travailler. Tout est finalement rentré dans l'ordre, un joyeux désordre plus propre à la création, dès lors que le mystère reprend ses droits. Conclusion, il faut que je revois tout ce que j'ai enregistré depuis quarante huit heures avec une oreille critique. J'avais beaucoup sifflé. Mais quand pourrai-je souffler ? Ce n'est pas joué. Ni même jouer...

vendredi 15 janvier 2010

Paralysie locale


Très affairé mais tenu au secret, je ne peux rien écrire. J'enregistre les sons d'interface du nouvel objet communicant imaginé par l'équipe qui a inventé le lapin Nabaztag, mais en plein développement du prototype je ne peux dire un mot. J'enregistre la musique du clip de la CNIL lié à 2025, le projet de serious game porté par Tralalere, mais je ne peux rien montrer avant que ce ne soit officiellement mis en ligne. Je travaille sur le lancement d'un écran augmenté qui pourrait révolutionner le monde de l'art contemporain, mais nous n'en sommes qu'à l'étude des possibles. Tributaire des concertations sur le poème symphonique pour 100 vélos, je ne peux rien faire. L'absence de modèle économique pour l'album de mon centenaire me paralyse. La mise en jeu de mon nouveau site dépend de la disponibilité de Nicolas Clauss. Le prochain spectacle avec Antoine Schmitt ne peut être révélé avant sa création en ouverture du Festival de Victoriaville au Québec. Et les projets avec Françoise Romand, Surletoit, Raymond Sarti, Pierre-Oscar Lévy, Sacha Gattino, Jacques Rebotier, etc. ne sont pas assez avancés pour être évoqués aujourd'hui. Le mutisme n'empêche heureusement pas l'imagination de déborder, même si mes phrases sont ponctuées de la conjonction de coordination "mais" qui marque systématiquement son opposition à mon envie et mon excitation à vous faire partager mon enthousiasme.
Il est d'autres encombrants secrets qui n'auront jamais leur place dans cette colonne. Si la prudence n'est pas un terme qui m'anime, l'intimité des uns, la stratégie des autres, les promesses faites aux uns comme aux autres imposent des limites à la publication. Saurai-je être plus loquace demain ?

jeudi 14 janvier 2010

Électrocution au révolver


Bernard Vitet se promène toujours avec de drôles de briquets qu'il achète à une Chinoise de son quartier. Il ne craint pas qu'un convive les embarque par inattention. Ce sont souvent des chalumeaux qui permettent d'orienter la flamme horizontalement. L'engin qu'il tient à la main pendant qu'il discute avec Benoît Delbecq est particulièrement pervers. Si l'on actionne la gâchette on reçoit une décharge électrique terriblement puissante. Le choc semble aussi fort que lorsque l'on touche du 220 volts. Pour allumer ses cigarettes, qu'il enchaîne les unes sur les autres malgré ses poumons fragiles, il doit agir sur le chien. L'atmosphère est enfumée. Fut un temps où nous travaillions quotidiennement ensemble avec Francis Gorgé. L'odeur de ses blondes court-circuitaient celle des Bastos de Bernard, mais à la fin de la journée le studio était envahi d'un nuage de poison. Je devais aérer pendant des heures après leur départ et j'avais fini par installer un avaleur de fumée faisant également office d'ionisateur. Aujourd'hui le moindre mégot empuantit l'espace clos et je dois vider les cendriers au fur et à mesure pour ne pas me sentir oppressé. Nous ne sommes plus habitués. L'atmosphère du salon est moins confinée, mais Françoise fait des courants d'air à nous faire attraper la crève.


Après le dîner, Benoît nous fait écouter son nouvel album en quartet avec le trompettiste norvégien Arve Henriksen, le batteur Lars Juul et son vieux complice Steve Argüelles trafiquant les sons aux commandes du logiciel Usine et de son filtre Sherman. Ce Way Below the Surface des Poolplayers est coolissime, nous attirant vers les grands fonds où la pesanteur est un vague souvenir. Je me sens plus proche de la musique de Benoît quand il prépare son piano que lorsqu'il en joue "nature". Le Bösendorfer du studio de La Mise en Circuit sonne alors comme un orchestre. J'apprécie toujours son élégance et le raffinement de son jeu tout en nuances, plus varié et évidemment mieux mis en valeur sur son nouvel album solo, The Civitella Project, également produit chez Songlines.
Nous réécoutons aussi Machiavel sur lequel nous jouons tous les trois. Le disque d'Un Drame Musical Instantané a été enregistré en 1998. Déjà douze ans ! Benoît figure au sampleur et au synthé sur le premier morceau Night Knight avec Bernard à la trompette, Steve à la batterie et Philippe Deschepper à la guitare. Je produis les nappes de cordes et introduis pour la première fois du Theremin dans un morceau. Il joue aussi sur L'aiguille creuse, toujours avec Bernard, mais cette fois je me sers d'un processeur vocal et DJ Nem scratche remarquablement ses platines. Le disque a beau rassembler des pièces que nous avons composées Bernard, Francis et moi de 1980 à 1982, des remix d'Agnès Desnos, Étienne Auger, Luigee Trademarq et Steve, un faux vieux morceau avec le trombone Yves Robert, le puzzling de 3/3 par 1/2 où nous avions découpé trois disques noirs du Drame en trois morceaux égaux comme les parts d'une tarte, puis recollé trois tiers différents ensemble sur la platine du tourne-disques, et mon préféré, Crimes parfaits, avec la radiophonie de centaines d'échantillons que l'on appellerait aujourd'hui "plunderphonics", l'album, très électro, est étonnamment homogène. Antoine Schmitt vient de réaliser l'adaptation pour Mac et PC de la partie CD-Rom de Machiavel qui ne tournait plus sur les nouvelles machines et qui sera bientôt téléchargeable gratuitement dès qu'Étienne aura terminé la mise en page du site Internet qui lui sera dédié.

lundi 11 janvier 2010

Le comble du cinéma


Voilà presque un an que je n'ai pas édité de playlist de films, exceptés ceux pour lesquels j'ai écrit un article comme les quatre longs métrages de Paolo Sorrentino, l'essai interactif Imagine sur le site d'HBO, The Pervert's Guide to Cinema de Žižek, les films d'animation Bachir d'Ari Folman, Coraline d'Henry Selick et Paprika de Satoshi Kon, le provoquant Princess d'Anders Morgenthaler, le kitchissime Avatar, plusieurs DVD de films expérimentaux plus ceux de Martin Arnold et une soirée de projection de Jacques Perconte à La Société de Curiosités, les élucubrations musicales télévisées de Spike Jones, les galipettes de Cécile Babiole, les Rouletabille de L'Herbier, La fabrique des sentiments de Moutoux, L'âge des ténèbres de Denys Arcand, Home d'Ursula Meier, Cortex de Boukhrief, La mélodie du malheur de Miike, Forbidden Zone de Richard Elfman, Convoi de femmes de Wellman, le dernier Aldrich All the Marbles, les cinq saisons de The Wire, le coffret Salut les Copains, le Ciné-Romand de Françoise et mon propre Nuit du Phoque... Ce qui nous mène jusqu'à ma précédente playlist !

Dans le plus grand désordre j'aborderai donc des films vus en 2009 et dont je n'ai encore soufflé mot :

  • À sa sortie, j'avais bêtement boudé Le bal des actrices, second film de Maïwenn Le Besco après son coup de maître(sse) Pardonnez-moi, or son nouveau faux documentaire nous en-chante littéralement, tournage kaléidoscopique où l'on remarque l'excellence des actrices (Karin Viard, Marina Foïs, Muriel Robin, Jeanne Balibar, Charlotte Rampling, Julie Depardieu, Christine Boisson et bien d'autres) comme celle de Joe Starr, comédien d'une justesse absolue (dvd Warner).
  • Capturing the Friedmans est un documentaire d'une force redoutable d'Andrew Jarecki, digne héritier d'Errol Morris, qui dresse le portrait d'une famille américaine entraînée dans le tourbillon de révélations fracassantes par le truchement de home movies, de témoignages bouleversants, de manipulations policières aussi tordues et d'une enquête psychanalytique pleine de finesse et d'intelligence (dvd mk2).
  • Invictus de Clint Eastwood est aussi pouf pouf et ennuyeux que les derniers Michael Mann (Public Ennemies), Spike Jonze (Max et les Maximonstres), ou pire, les derniers Tarentino, si gros navets que je ne tenterai même plus de regarder les suivants. Mais je ne vais pas m'étendre sur toutes les grosses daubes américaines que je me suis farcies avant d'apprécier District 9 de Neill Blomkamp (dvd Seven), Two Lovers de James Gray (dvd Wild Side Video) ou la très émouvante comédie dramatique Rachel Getting Married de Jonathan Demme où l'utilisation de la musique est toujours in situ (à noter la présence de Cyro Baptista !)... Nous avons également aimé Irina Palm de Sam Garbarski avec Marianne Faithful en géniale grand-mère courage (dvd Gie Sphe-Tf1) et Adoration, le dernier d'Atom Egoyan, pourtant massacré par la critique, dans lequel Arsinée Khanjian n'a jamais été aussi bonne (dvd Gie Sphe-Tf1). Je craignais le pire avec The Informers de Gregor Jordan d'après Bret Easton Ellis, mais l'étude de ce monde de jeunes adultes riches et dépravés est passionnante. Bonne surprise encore avec le polar Frozen River de Courtney Hunt (dvd France Télévisons) ou Sherrybaby, beau film de Laurie Collyer avec la formidable Maggie Gyllenhaal (dvd Metrodome)...


  • De mon florilège de comédies de Lubitsch, je n'ai encore vu que le chef d'œuvre d'humour Bluebeard's Eighth Wife, l'agréable Cluny Brown et le poussif Heaven Can Wait. J'ai plongé dans l'immense filmographie d'Alexander Kluge jusqu'à m'y noyer, sorte de Godard allemand peu connu en France (dvd importés par Choses Vues). Parmi les marathons, la série animée japonaise Kaiba de Yuasa Masaaki, l'auteur de Mind Game, recèle des trésors d'imagination et Shawn le mouton des studios Aardman permet de se détendre après un truc bien plombant (dvd Gie Sphe-Tf1) ! Nous ne viendrons pas non plus au bout de l'œuvre de Shuji Terayama, puzzle psychédélique complètement déjanté. Nous avons regardé un paquet de films réalisés par Kathryn Bigelow : si The Weight of Water nous a un peu barbés, Near Dark et The Hurt Locker ne valent tout de même pas Blue Steel ou son remarquable Strange Days. Même chose avec Happiness de Tod Solondz avec lequel ses autres films ne peuvent rivaliser (dvd Entertainment in Video). Par contre, je sens que le coffret de 18 Fassbinder me durera longtemps tant j'ai manqué ses films à l'époque de leur sortie...
  • Le très réussi Le convoyeur de Nicolas Boukhrief m'a donné envie de voir tous les films réalisés par Albert Dupontel qui y tient le rôle principal (dvd Studio Canal). J'ai bizarrement préféré Le créateur à Bernie... Côté rigolade, Louise-Michel de Gustave de Kervern et Benoît Delépine et Rumba de Dominique Abel, Fiona Gordon et Bruno Romy nous ont fait passer de très agréables moments (Gie Sphe-Tf1). Nous n'avons pas compris l'ire déclenchée contre Musée haut musée bas de Jean-Michel Ribes, comédie burlesque plutôt hirsute (dvd Warner). Dans un autre genre, les films des Yes Men sont revigorants, même si leur potentiel politique reste très superficiel (dvd Palisades Tartan).
  • Marie m'a prêté le remarquable A Bigger Splash de Jack Hazan sur la vie du peintre David Hockney que je n'avais jamais vu (dvd Compagnie des Phares et Balises). Tout comme The Manchourian Candidate de John Frankenheimer conseillé par Rosenbaum, hilarant pamphlet bancal anti-communiste (dvd MGM) ou Hitler connais pas, extraordinaire enquête documentaire de Bertrand Blier de 1963 que Nicolas m'a fait découvrir...

J'en oublie des quantités tant j'en ai vus l'an passé, sans compter les saisons 3 et 4 de Heroes, la saison 1 de Fringe, les saisons 2 de True Blood et Damages, etc. Ajoutons les merveilleuses perles contenues dans les coffrets DVD de Cinq colonnes à la une et Dim Dam Dom...
Me vautrer devant un film sur grand écran est l'une des rares occupations qui me déconnectent de mon hyper-activité...

mardi 5 janvier 2010

Concerto pour violoncelle et 3 millions d'abeilles


La vidéo que Françoise avait découverte à la Biennale de Lyon est enfin en ligne : Didier Petit joue pour et avec les abeilles d'Olivier Darné sur le toit de la mairie de Saint-Denis. L'apiculteur-plasticien a créé le Parti Poétique pour polliniser la ville. "Poser une ruche quelque part consiste à poser un centre de prospection et à tracer autour de cette ruche un cercle d’environ 3 km de rayon. Ce territoire «invisible» délimite alors environ 3000 hectares de superficie qui constituent approximativement la zone de butinage et de prospection de l’abeille." La pollution liée aux pesticides épargne les villes que les abeilles ont adoptées avec gourmandise. On connaissait, entre autres, les ruches du square Georges Brassens à Paris où Elsa, enfant, avait appris à les caresser. Celles de Jean-Claude alimentent nos petits-déjeuners et nos goûters à s'en pâmer. Darné en a installées dans plusieurs quartiers de Paris et en banlieue. Sur son site, encore en construction, il vend déjà le Miel Béton à grand renfort de slogans tels "Time is Honey" ou "L'erreur est urbaine" ! Et le violoncelliste Didier Petit de charmer les abeilles qui volent autour de lui jusqu'à se poser sur le crin de son archet pour mieux ressentir les vibrations généreuses de son inspiration...

lundi 4 janvier 2010

Boum au matin


Ce matin nous avons été réveillés par une explosion, courte, sèche. Le front polaire qui nous fait greloter interdisant les orages, j'ai pensé au gaz. C'est déjà moins brutal que le jour où une bombe m'a fait sauter en l'air à cinq heures du matin. J'avais pensé que ça y était : à force de jouer avec le feu, ils avaient réussi ! C'était il y a trente ans, j'habitais rue de l'Espérance à côté d'un café dont la vitrine venait d'être pulvérisée par quelque règlement de comptes, mais nos parents nous ayant élevés en nous répétant qu'ils n'auraient peut-être pas dû faire d'enfants à l'ère de la bombe atomique, j'ai attendu un instant la lumière blanche et la brûlure de la fatalité. Le nucléaire ne provoque plus les mêmes peurs. Nous avons jusqu'ici survécu. Les explosions sont devenues banales. On ne lira probablement rien dans la presse et le chat continuera à dormir à mes pieds sur la couette.
Je me demande pourquoi il choisit cette place, réduisant mon espace de sommeil en m'obligeant à des positions obliques ou en chien de fusil. Le coin du lit est le plus proche du radiateur, mais nous l'éteignons la nuit et entrouvrons la fenêtre, ce qui explique pourquoi nous avons entendu clairement la déflagration. Ayant laborieusement œuvré avant la naissance de l'aube - l'aube précède l'aurore - je retrouve systématiquement Scotch allongé de tout son long sur le ventre de Françoise. Il ne vient jamais sur le mien qui a pourtant perdu son bombement excessif pas plus qu'il ne se couche aux pieds de ma compagne dont la taille moindre offre un espace libre plus propice à l'extension du matou géant. Les croquettes diététiques semblent moins probantes que mon chrono-régime. J'ai perdu quatre kilos en deux mois, mais la panthère des neiges fait toujours ses huit et demi. Entre ses deux positions, il m'accompagne sagement pendant la rédaction de mon Blog, mais dès la dernière bouchée avalée, il remontera rejoindre Françoise, me laissant seul choisir le cliché qui illustrera ce billet. Passé sa mise en ligne, je me console en enfourchant mon vélo jusqu'à la boulangerie où m'attend un moelleux palmier qui me fait saliver tout le long du chemin...

dimanche 27 décembre 2009

Bises fraîches


Rarement la mer est aussi haute. Elle arrose les pieds de la villa des Tours. Anny et Françoise, aussi téméraires l'une que l'autre, avaient prévu de s'y baigner ce matin, mais du Mistral est annoncé. Les maisons de la Côte d'Azur ne sont pas équipées pour l'hiver. Il y fait plus froid que dans le nord. J'enfile épaisseur sur épaisseur pour ne pas geler. Françoise a sorti la couverture chauffante qu'elle a rapportée de Chine et Rosette a ajouté un bain d'huile. Ma photo ne vaut pas celle qu'Elsa a envoyée de Bretagne. À marée basse elle a inscrit ses vœux sur le sable mouillé...

jeudi 24 décembre 2009

Swinging London


Pendant les réglages de Nabaz'mob, nous avons un peu de temps pour faire quelques emplettes. Françoise m'a commandé des MBT, les anti-chaussures dans lesquelles on a l'impression de flotter au-dessus du sol, excellentes pour muscler le dos, dit-on. Ça a l'air génial. J'en ai profité pour essayer les Vibram Fivefingers avec chaque orteil séparé, mais c'est aussi compliqué à enfiler que les chaussettes au même principe. Pas assez de patience, cela me casse les pieds. Dans l'Old Truman Brewery qui accueille nos lapins je prends des photos d'Antoine dans la Sphère, une structure gonflable abritant une installation composée d'un écran de Leds géant réfléchi par une ribambelle de miroirs. Mon camarade retrouve ses gestes de night-clubber dès que la techno rythme les images aux effets d'optique imprévisibles !


Avant de lancer la meute nous avons le temps d'aller voir l'exposition Decode au V&A Musseum recommandée par Étienne Mineur et de passer aux food stores d'Harrod's ! Les œuvres sont celles de designers et non d'artistes, ce qui signifie que c'est "joli", mais que ça ne raconte absolument rien. En plus d'être superficielles, elles semblent dater d'il y a dix ans. Les musées européens s'évertuent à toujours montrer les mêmes anglo-saxons ou s'en inspirant, négligeant fondamentalement les artistes français qui ont un monde à eux, avec un propos dépassant l'exercice d'école et l'enjeu instrumental. Decode a le mérite de montrer au grand public des objets mettant en jeu des systèmes interactifs ou utilisant les nouvelles technologies. Quant aux spécialités British, comment éviter la sauce à la menthe et la Picalilli Sauce ?

mercredi 23 décembre 2009

Zombies on Brick Lane


Les trois dernières nuits ont été très courtes. Tout a commencé samedi soir chez Elisabeth. Il fallait voir et entendre l'impatience et l'enthousiasme cinéphilique déployés par Elisabeth Lequeret, Marie-Pierre Duhamel et Jonathan Rosenbaum dont les phrases se coupaient, s'enchaînaient et se croisaient.. Dans une allégresse générale nous échangeons nos commentaires, critiques et appréciations sur les films de Berlin, Venise ou ailleurs, sur ceux du temps passé, du présent et de l'avenir. Le grand jeu ! Je note Skidoo d'Otto Preminger tourné après son expérience du LSD, The Manchourian Candidate et les réalisations pour la télévision de John Frankenheimer que j'ignorais. Nous rejoindrons nos pénates vers quatre heures du matin. Depuis, j'ai peu dormi, me levant tous les matins vers six heures alors que les soirs s'étendent dans la nuit verglacée. Pourtant, la semaine semble assez calme. Façon de parler. Les doigts s'agitent toujours autant sur le clavier. Noël Burch organise à la maison une projection de son film en cours, réalisé avec Allan Sekula, pour que ses amis lui donnent leur avis. Nous craquons au bout de trente minutes du dernier Spike Jonze, Max et les Miximonstres. Mieux vaut lire le livre de Maurice Sendak. Tard le soir, je termine la troisième saison de Heroes. Françoise me fait prendre une cure de magnésium que j'interromps pour partir à Londres.
Antoine et moi y sommes finalement arrivés. Notre marathon s'est achevé par plus d'une heure de trajet en métro entre Heathrow et Aldgate East. Nous marchions au radar, mais nous y voilà ! La baie vitrée de la petite suite donne sur le panorama de la City, quelques gratte-ciel surmontées de grues dont l'étonnant Cornichon de Norman Foster. La véritable richesse du quartier n'est pas là, mais sous nos fenêtres. Brick Lane est bengali. Des hustlers font la retape à la porte de tous les restaurants indiens. Cela ne pouvait pas mieux tomber. Dans l'avion de la British Airways, nous nous étions entendus sur le choix du restaurant de ce soir, histoire de nous plonger dans le bain avant de sombrer dans les bras de Morphée. Les épiceries, les magasins de bricolage, les vendeurs de CD et DVD jouent le raga du soir tandis que nous nous éteignons... Au moment de m'endormir, je reçois un SMS d'Antoine qui vient de changer de chambre. En branchant l'adaptateur électrique pour prise anglaise acheté en bas, il a fait sauter les plombs... Que nous réserve l'installation des lapins que nous mettons en œuvre ce matin aux aurores ? Nous devons encore brancher cent cinq transfos sur le secteur et le magnifique entrepôt de l'Old Truman Brewery n'est pas chauffé dans la journée ! Le thermomètre japonais mis en vente par Colette y affiche 9°C.

samedi 12 décembre 2009

Nabaz'mob et la Tour Eiffel


Hier soir le tableau était kitsch à mort. La Tour Eiffel clignotait en rythme avec les lapins pour leur première sortie dans un cadre évènementiel, en l'occurrence l'inauguration des nouveaux bureaux du Boston Consulting Group rue Saint Dominique. Une immense tente accueillait les 500 invités en dessous de la façade dont les fenêtres servaient de canevas à une animation vidéo. Des hôtesses laissaient monter les visiteurs par petits groupes jusqu'au cinquième étage pour assister à l'opéra Nabaz'mob présenté comme le clou de la soirée. Un parcours lumineux les guidait à travers une salle de boules à facettes enfumée qui me fit penser au début des 5000 doigts du Docteur T. Dans le couloir des snowfalls alignés sur le sol donnaient l'impression que l'on shootait dans des éclats de lumière.


Tout au fond, les 100 lapins jouaient leur partition tandis que l'on pouvait découvrir au travers des deux baies vitrées leur servant de décor, à gauche, le dôme des Invalides et, derrière, la Tour dont les illuminations de Noël semblaient avoir été conçues par l'équipe de Hmm! pour coller avec le reste du spectacle. Nous récoltons avec amusement les remarques des jeunes cadres de BCG de plus en plus éméchés : " C'est bien l'esprit de la boîte, discipline et alignement... Tous pareils, tous différents... Une métaphore des consultants... Le Conseil d'Administration... Ils vont nous sauter dessus... C'est extrêment bizarre... Hyper-flippant... You can chose which one you are... Et donc ?... ". Un Nanoz:tag, petit lapin vert comme leur logo, était offert à chaque invité à son départ. Le nôtre était décalé. Il faudrait encore parquer notre marmaille de v2 dans leurs clapiers métalliques, les charger dans une carriole sans chauffage, foncer vers le Bois jusqu'à leur tanière, les déposer et reprendre les trois flight-cases de v1 devant s'envoler pour Londres la semaine prochaine...
On n'était pas couchés ! Il était tard, d'autant que samedi soir on irait au Bal des Allumés qui se tient dès 21h au Triton, Les Lilas, mené par le Grand Chahut Collectif.

P.S. : la performance du v2Ensemble, filmée et montée par Françoise Romand, est en ligne !

jeudi 3 décembre 2009

Salut les copains


Régression absolue. J'ai l'impression de sucer mon pouce en regardant le coffret DVD que sortent les Éditions Montparnasse à l'occasion des fêtes. Le son des années 60, les jingles, les voix d'Europe n°1 et bien entendu les chanteurs et chanteuses qui ont marqué ma prime adolescence à une époque où mes parents louaient leur première télé chez Locatel. Le beau packaging au format 30 cm comme un 33 tours recèle un grand livret de 16 pages et le premier 45 tours 17 cm de Johnny lorsqu'il avait 16 ans. Les chiffres défilent, cela ne me rajeunit pas, mais ne me vieillit pas pour autant. Le regard que nous pouvons porter sur ces petites madeleines éclaire la chemin parcouru par chacun, pour les fantômes en noir et blanc comme pour le spectateur en couleurs. Aucune nostalgie, mais une pêche d'enfer : la radio prenait un coup de jeune en s'inspirant du modèle américain et le transistor révolutionnait l'écoute d'alors comme aujourd'hui le lecteur mp3. Le rythme s'empara de la variété française imposant les canons anglo-saxons qui règneront jusqu'à nos jours sur les antennes. L'excellent texte de Christophe Quillien rappelle que tout commença en 1955 avec Pour ceux qui aiment le jazz, une émission de Frank Ténot et Daniel Fillipacchi. Le 19 octobre 1959, le rock'n'roll, en (in)digne héritier, va déferler sur la France, et la vague yé-yé d'annoncer, parmi d'autres signes, les révolutions estudiantines de mai 68 et du Flower Power. Le monde des jeunes s'est agrandi et SLC est son prophète. Si les ados des temps modernes n'y prennent garde en se laissant bourrer le mou par la grisaille, ils pourraient perdre la fureur de vivre qui anima leurs aînés, malheureusement souvent incapables de leur transmettre. Rien n'est jamais gagné, rien n'est jamais perdu. Le monde est ce qu'on en fait et c'est leur tour.


En vacances à La Baule, j'avais gagné à 9 ans un concours de twist en tandem avec ma petite sœur et j'étais passé à la radio. En 1963, mon premier geste en rentrant du lycée, l'actuel "collège, sera de l'allumer pour écouter Salut les copains. Mes parents désirant m'encourager me promettent de m'acheter un magnétophone si j'obtiens le Prix d'Excellence. Même si j'étais souvent premier de la classe à l'école primaire, mon succès est très improbable, mais l'idée de pouvoir enregistrer mes chansons préférées va me galvaniser. Je rentre un soir en demandant à ma mère où se trouve un magasin de hi-fi. C'est pour eux une catastrophe, ils n'en ont pas les moyens, mais une promesse est une promesse et ils se saigneront pour la tenir. J'ai toujours le vieux Radiola à bande qui marquera mon entrée en musique. C'est mon premier instrument et très vite j'en jouerai comme tel. Salut les copains fut le détonateur, Zappa le cordon Bickford pour que 1968 m'explose à la figure et me débarbouille en me repeignant aux couleurs d'un arc-en-ciel encadré de rouge et noir.
J'ai descendu du grenier le vieux Radiola dont je sens encore sous mes doigts les deux touches mécaniques qu'il fallait appuyer pour enregistrer les chansons présentes sur les trois DVD : Johnny, Polnareff, Claude François, Nino Ferrer, Dick Rivers, Eddy Mitchell, Dutronc, Françoise Hardy, Sheila, Vince Taylor, Gene Vincent, Adamo, Christophe, Petula Clark, Richard Anthony, les Moody Blues, les Surfs, les Them, les Troggs, Marianne Faithful, Otis Redding, Hendrix, etc. Huit heures trente de rêves colorés qui vous électrisent, 140 chansons plus d'épatants compléments d'époque ! J'ai retrouvé les Touistitis, mon premier 45 tours gagné à La Baule, et celui de SLC, avec la voix du virtuel Chouchou "pitchée" dans l'aigu, reçu avec la place gratuite pour le concert des Rolling Stones à l'Olympia le 29 mars 1966, grâce au concours des Copains Menier ! Il fallait 50 emballages de chocolat mais leur taille n'était pas spécifiée, alors ma mère avait eu l'idée d'acheter une boîte de 100 petites barrettes individuelles me permettant d'être dans les premiers à répondre... Cinquième rang, mon premier concert live, toujours grâce à Salut les copains, c'est dire si cette luxueuse compilation me touche ! Elle ravira autant les adolescents d'hier passés à autre chose que ceux d'aujourd'hui souvent nostalgiques d'une époque glorieuse qu'ils n'ont pas connue.

dimanche 22 novembre 2009

Acharnement thérapeutique


Fou, idiot, obsessionnel, dépendant, maniaque, je pourrais en entendre de toutes les couleurs et, sous un certain angle, ce serait justifié. S'il existe une possibilité d'émettre mon billet quotidien, je mets tout en œuvre pour y parvenir. J'ai fini par intégrer cette discipline comme une activité aussi banale et indispensable que manger, se laver, se vêtir, dormir, rêver, travailler, faire ma gymnastique, lire le journal, etc. J'ai perdu la matinée d'hier penché à la fenêtre, en plein vent, à en attraper la crève et une tendinite, pour finalement me replier sur une solution plus évidente et combien plus efficace.
Tout avait commencé la veille vers minuit. Je m'aperçois que mon iPhone capte le signal d'Orange lorsqu'il est connecté à sa base avec le cordon USB jouant le rôle d'antenne ! Je passe à trois barres alors qu'il reste muet si je le décroche. Récupération de mails, utile avec différents travaux en cours. Françoise m'ayant involontairement réveillé tôt, je saute sur mes jambes pour immortaliser le soleil qui se lève sur les sorbiers des oiseaux plantés devant notre fenêtre. Comme toute la maisonnée est endormie, hormis les chasseurs partis avant l'aube, je me colle à la fenêtre pour publier mon blog. Si le texte et une des deux photos n'étaient pas passées comme une lettre à la poste avant les suppressions d'emploi et les réformes successives qui ont porté un coup fatal au service public, je ne me serais pas acharné pendant quatre heures sur la photo restante. Rien n'y a fait. Pas moyen. Énervé, j'ai fini par craquer en empruntant la Lada pour monter à la station de ski perchée au-dessus, sur l'autre flanc. La vue à 360° depuis Superbagnères désert est superbe. Je fais quelques pas, regrettant seulement de me retrouver seul au milieu du panorama. Mais que voulez-vous ? À chacun ses lubies.

samedi 21 novembre 2009

Les griffes de l'ours


Tous les repas de Lesponne étant pantagruéliques, je tente de ne pas faire trop d'incartades hors de mon chrono-régime, mais c'est chaque fois une épreuve. Entre les intestins de fouque sur canapés, les steaks de biche à la braise, les frites maison, le gratin d'endives, le pot au feu de canard sauvage, les grives, les fromages de brebis et de chèvre, les gâteaux et les bonnes bouteilles apportés par les amis, le vin d'orange, les liqueurs de nèfle ou de verveine, je dois mener une résistance insoutenable. Nous partons donc digérer en escaladant les collines jusqu'à l'ancienne palombière de Jean-Claude. La pente est raide et l'expédition est chargée de rapporter la cage qu'il avait fabriquée il y a de nombreuses années. Françoise qui ne peut jamais emprunter le même chemin que tout le monde se prélasse dans une chaise longue naturelle au creux d'un arbre...


Christian et Jean-Pierre découvrent des traces du passage de l'ours. Il y en aurait une quinzaine dans les Pyrénées et nous sommes justement sur leur chemin. L'un d'eux avait égorgé une brebis vers la cascade en y laissant son collier. C'est un sujet qui fâche parmi les chasseurs et les adeptes de la réintroduction de l'espèce slovène. Si les discussions avec certains chasseurs tempèrent mon antipathie pour le crime organisé, mon goût pour le gibier et l'absurdité de certains urbains ignorants de la nature aidant, les histoires qui se racontent font tout de même froid dans le dos quand on évoque les viandards, les inconscients et les malades de la gâchette. Donnez un fusil à des mâles et ils risquent de se comporter rapidement comme aux États-Unis où le port d'armes est autorisé.

P.S. : querelle de spécialistes, ce ne seraient pas des griffes d'ours, mais un cerf qui s'est frotté les bois pour faire tomber ses velours ou peut-être un de ses deux bois au moment de la mue... D'autres imaginent un très grand blaireau... Et puis retour à l'ours, etc.

vendredi 20 novembre 2009

Le Cirque de la Glère


Comme nous avons traversé la vallée jusqu'à l'Hospice de France, la connexion fonctionne avec le relais de Superbagnères tout en haut en face de nous. Situé juste au-dessus de notre grange, elle ne délivre aucun signal lorsque nous sommes à la maison. Un monument rend hommage aux évadés de France qui ont franchi les Pyrénées dès 1941, passant par les geôles franquistes, pour rejoindre les armées de libération en Afrique du Nord. On imagine mal les soldats allemands leur filant le train dans la montagne sans en connaître les chemins. Comme tous les habitants des derniers villages avant la frontière, les Luchonnais ont une mentalité proche des îliens. Il est coutume d'évoquer avec humour la Principauté de Luchon ! En faisant parler les anciens, on passe des soirées entières à écouter des histoires de braconnage et de contrebande, des sagas familiales dignes des meilleurs romans.
Hier matin, avec Françoise et Maurice, par le Chemin de l'Impératrice nous sommes grimpés jusqu'au magnifique Cirque de la Glère d'où nous avons admiré les galopades des isards et le vol d'un gypaète barbu. Ce rapace d'une époustouflante envergure orne le T-shirt que j'avais acheté à Luz-Saint-Sauveur en 1999 lors de l'un des derniers concerts d'Un Drame Musical Instantané. À l'ombre des cîmes il n'y a pas un chat, pas l'ombre d'un lynx non plus, mais Maurice repère des traces d'ours et croise trois biches en redescendant. Sur le chemin escarpé, un écureuil noir avait inauguré ce joyeux bestiaire.


Avant de partir, Françoise avait aussi filmé une salamandre qui s'était endormie au fond de l'abreuvoir. Chaque fois que je suis en montagne, je n'ai de cesse de chercher les bestioles qui la peuplent. Je me fiche des sports d'hiver, mais je suis aussi bête qu'un joueur qui attend de tirer le bon numéro quant il s'agit de surprendre des cerfs ou de repérer les chevaux sauvages qui, cet hiver, paissent à l'embranchement de L'ourson. En revenant nous nous arrêtons en voiture à la Cascade d'Enfer près de la Centrale électrique dont les lumières sont les seules artificielles à briller dans la nuit noire. Françoise a retrouvé la "piscine", un trou d'eau dans le cours de la Lys, où se baigner en été. À cette époque-ci, on voit des choses que le feuillage cache en d'autres saisons. J'en ai plein les chaussures de montagne et j'apprécie de me retrouver en chaussettes devant la cheminée à la tombée du soir.
La nuit tombée, la voie lactée et les millions d'étoiles transforment le ciel en écran d'épingles grâce à l'absence de lune et d'éclairage urbain. La hauteur de l'observatoire favorise ce tour de magie universel.

vendredi 13 novembre 2009

Encanaillement


J'aime bien avoir rendez-vous avec Antoine dans le quartier de l'Opéra à l'heure du déjeuner parce qu'il apprécie autant que moi le poisson cru. Nous alternons entre Koba rue de la Michaudière et Matsuda ou Foujita rue Saint Roch. Il prend souvent un chirachi tandis que je me lance dans des expériences téméraires comme le natto ou un truc que je ne connais pas. Comme nous étions un peu en avance pour aller démonter le clapier des Arts Décos, j'ai suggéré à mon camarade d'aller faire un tour au nouvel Apple Center qui vient d'ouvrir sous la pyramide du Louvre. C'était très geek, mais ça valait bien la visite du magasin Colette où il m'avait traîné en apéritif. Vu les prix, nous ne risquions pas grand chose. Mariage ou enterrement, le ton du quartier était clairement donné devant l'Église Saint-Roch par une grosse grappe d'emperlousées et d'enrolexés d'un autre âge, du moins peut-on l'espérer. Au café, au milieu des jeunes gens tous en costumes cravates, nous aurions pu paraître exotiques si quiconque avait noté notre présence. Traversée du jardin, passage du sac aux rayons, vendeuses et vendeurs charmants en T-Shirt rouge. Je suis ressorti du temple des Macophiles avec un disque dur ultra-léger, 170 grammes pour 500 Gigas, et un cadeau pour Françoise, un casque Bluetooth pour son iPhone, avec kit adaptable en fonction de la taille de l'oreille, quatre petites merveilles : les oreilles de ma compagne et nos deux nouveaux jouets...

jeudi 12 novembre 2009

Feng shui écran


Un peu comme le chat pour roupiller, j'ai des places attitrées pour travailler et j'en change régulièrement. Je pose ainsi mon ordinateur portable sur la table de verre où nous mangeons ou dans le studio. S'il m'arrive évidemment de le transporter dans d'autres pièces comme la chambre, la salle de cinéma ou le bureau de Françoise, ce ne sont alors que des passages. Par exemple, ces jours-ci chaque fois que je veux m'installer dans le salon je me souviens que je l'ai posé près de mes instruments de musique. L'éloignement des activités domestiques diminue sainement la perfusion du réseau. J'ai pourtant l'impression que je suis plus à mon aise pour écrire en baignant dans le quotidien qu'en m'isolant dans le monde fantasmatique de la musique, muet en l'occurrence puisque je n'écris pas en jouant tandis qu'il m'arrive d'écouter de la musique dans le salon en tapant sur mon clavier. Cette permutation ne dure qu'un temps, car très vite je me lasse de la proximité du mur qui me fait face dans le studio (photo), préférant la profondeur de champ devant moi lorsque je suis au bout de la table. Pourtant, dans les deux cas, il suffit que je lève les yeux pour apercevoir le jardin, mais la réalité de la rue est plus présente dans le salon, même si je l'ai dans le dos, et m'immerger dans la communauté, humaine ou naturelle, m'est indispensable pour rêver. Je dois toujours garder un pied dans le réel et la tête dans les nuages. Il y a un temps pour tout, mais une place pour chaque chose.

lundi 9 novembre 2009

Furtivement


Après son succès en salles, Les Plages d'Agnès sort en DVD, agrémenté de petits boni comme elle dit : Trapézistes et voltigeurs (8'), Daguerre-Plage (6'), une planche de quatre magnets d'après l'affiche de Christophe Vallaux (en chemise bleue sur la seconde photo) et un livret de seize pages. Si l'on m'aperçoit à la toute fin du film d'Agnès Varda, lors de ses 80 balais, nous pensions que Françoise avait disparu du montage. Que nenni ! Un arrêt sur image m'a permis de saisir le photogramme. Quatre images, c'est un sixième de seconde, juste le temps d'apercevoir son ensemble rose et vert, mais pas assez pour reconnaître sa frimousse.


Quant à moi, je suis bêtement fier d'apparaître tout sourire au milieu du générique. Le mois qui a suivi la sortie du film il n'y eut pas un jour sans que l'on m'accoste dans la rue. Pour deux secondes à l'écran ! On peut imaginer le calvaire des acteurs et actrices à sortir dans le monde. Lunettes noires et vitres fumées, déguisement et postiches, négation de son identité et réclusion, tous les moyens sont bons pour gagner l'anonymat.
Michael Lonsdale me raconta qu'un soir où il dînait à Strasbourg avec Roger Moore et Mireille Mathieu, appréciez l'improbable trio, quelle ne fut pas l'angoisse de découvrir 2000 personnes à la sortie du restaurant ! Un autre jour, un chauffeur de taxi étale son admiration pour le comédien, pour terminer pas lui demander d'avoir la gentillesse de lui signer un autographe, "Monsieur Galabru...", et Michael de signer Michel Galabru pour ne pas décevoir "son" admirateur ! Je me souviens des fans se couchant sous les pneus de la voiture de George Harrison avec qui je venais de jouer, des crises d'hystérie des admirateurs de Richard Bohringer pendant les répétitions du K ou simplement du malaise des autres artistes à la table de Robert De Niro.
Lorsque j'étais adolescent je rêvais de célébrité. À fréquenter et travailler avec des stars, j'appris plus tard la rançon de la gloire et appréciai, en tant que compositeur, d'en percevoir les bénéfices sans en subir les préjudices...

vendredi 6 novembre 2009

Gâté


Si vous aimez que l'on vous souhaite votre anniversaire, inscrivez-vous sur les réseaux sociaux comme FaceBook. La famille, les amis d'aujourd'hui et ceux que l'on avait perdus de vue, les cousins d'Amérique ou des inconnus vous envoient leurs meilleurs vœux aussi vite et longtemps que dure le jour. C'était très gentil et je remercie toutes celles et tous ceux qui ont eu la gentillesse de me faire un signe. J'adore chaque année que je prends, même si cela commence à en faire beaucoup, car lorsque ce ne sera plus le cas, c'est que je serai mort. Délicieuse première, j'ai justement commencé l'après-midi par une nouvelle peau, celle de mon visage redevenue aussi douce que les fesses d'un petit bébé, grâce au cadeau-surprise de Françoise dans un institut de beauté où, passé entre des mains expertes, j'ai eu droit à une heure et demie de massage, nettoyage, réflexologie faciale, drainage lymphatique... En sortant, j'ai trouvé d'occasion chez Gibert le DVD Silk Stockings de Rouben Mamoulian avec Cyd Charisse qui ferait presque oublier la version de Lubitsch avec Greta garbo intitulée Ninotchka, deux chefs d'œuvre d'anti-communisme primaire. Comme c'était l'heure de mon sucre nous nous sommes arrêtés boire un chocolat à la Pâtisserie Viennoise, adresse incontournable près de l'École de Médecine. Après un petit gâteau chez Mulot, Françoise a déniché au Mouton à cinq pattes, près du Bon Marché, l'imperméable dont j'avais besoin, bel argenté moiré qui me permettra de continuer à faire le coquet en le passant par dessus mes vestes chamarrées. Plus loin, boulevard Saint-Germain, c'était toujours ma fête, un magasin soldant ses chemises pour trois fois rien. Sublimes incrustations de petits miroirs indiens, velours frappé, motifs fleuris et couleurs assorties à mes récents accoutrements... La longue marche s'achève chez Inagiku, restaurant japonais spécialisé dans le teppan-yaki, où nous avions rendez-vous avec ma mère, ma sœur et ma fille. Le cuisinier jongle avec les mets qu'il fait griller devant vous en produisant une rythmique de métal avec les couteaux qu'il range à sa ceinture. Je continuai à recevoir des présents pour cette journée déjà passée, présageant l'avenir. Rentré à la maison, je fais de la place en jetant les vieilles chemises déchirées et en envoyant mes shorts à la cave. Sur ce je vais me coucher. J'avais commencé à 6h ce matin en enregistrant la musique de 2025... Encore un sacré bout de chemin !

vendredi 30 octobre 2009

Pasta Unica #1


Pasta Unica m'a donné l'occasion de visiter le 104 où je n'avais encore jamais mis les pieds. Belle bâtisse aux proportions généreuses, le "nouveau" lieu a la réputation d'être une coquille vide dont la taille absorbe la majeure partie du budget en dépenses de fonctionnement, laissant des miettes à la programmation artistique. J'imagine que la première rencontre professionnelle proposée par Philippe Baudelot, Cécile Denis, Emmanuelle Raynaut et Cyril Thomas était gracieusement hébergée, dans une salle où l'acoustique désastreuse obligeait à faire des exercices surhumains pour comprendre les orateurs. Néanmoins les échanges furent passionnants, ouvrant peut-être des brèches dans le mur de confusion qui entoure les œuvres utilisant les nouveaux médias.
Le préambule rédigé par l'Argentin Pablo Zunino ayant interrogé l'uniformisation et le formatage tout autour de la planète, le ton était donné à la contestation qui demeura toujours dans une ambiance bon enfant où aucune exclusion ne fut prononcée malgré la diversité des projets présentés. Ainsi nombreux artistes venus montrer une de leurs œuvres en gestation critiquèrent le terme d'art numérique pour caractériser toutes ces formes d'expression. S'il est nécessaire de se fédérer, est-il souhaitable de se rassembler autour d'un outil plutôt que d'une démarche ? Pasta Unica a justement été créée pour apporter des réponses à ce type de question. Ainsi un observatoire de 46 questions, mazette c'est un fleuve, a été mis en ligne pour donner la parole aux différents acteurs gravitant autour des pratiques émergentes, ayant recours aux nouvelles technologies. Que de circonvolutions pour nommer l'incernable ! Artistes, journalistes, théoriciens, programmateurs, producteurs sont donc invités à livrer leur pensée.
Si les travaux de mes camarades de jeu Nicolas Clauss, Antoine Schmitt, Françoise Romand, Wolf Ka ne pouvaient que m'enchanter, je découvris le travail vidéographique de Jacques Perconte avec qui je partage pas mal de points de vue sur l'état du monde. Son plan séquence ferroviaire musicalement ascensionnel aux couleurs saturées dont les avant-plans transforment le décor du fond est épatant... Présentant FluxTune, je composai la musique de la manifestation en dessinant son titre (photo) ! La rencontre fut aussi l'occasion de revoir nombreux estimables confrères et consœurs perdus de vue depuis plus ou moins longtemps comme de discuter tango avec Zunino dont le père était bandéoniste et compositeur, et de Schönberg avec Norbert Schnell, chercheur à l'Ircam ! Le père de l'École de Vienne prétendit assurer la suprématie de la musique allemande pour un siècle. Pourquoi pas ? L'erreur fatale à la "musique contemporaine" fut que les compositeurs de l'École de Darmstadt dont Boulez le crurent ! La suite au prochain numéro...

dimanche 25 octobre 2009

Remettre rien sans cesse à demain


Comme chaque samedi mes bonnes intentions n'ont pas été suivies d'effet. Décidé à me reposer après une semaine bien chargée, j'ai commencé très tôt en écrivant une petite contribution sonore d'une minute pour le Tapage Nocturne de Bruno Letort consacré au Mur du Son, en référence au 20ème anniversaire de la chute du mur de Berlin. J'ai évidemment pris le contrepied de ce que j'imagine que les autres compositeurs produiront en enregistrant dans la foulée cette pièce exclusivement vocale (en ce qui me concerne !) et que j'ai intitulée Casual, en français on traduira "décontracté" ou "informel", que l'on prendra soin de prononcer avec un accent français de circonstance "Cage Wall", mon idée consistant à ébranler un mur a priori infranchissable lorsque l'on connaît les interdits radiophoniques ! À découvrir donc dimanche 15 novembre 2009 à 23h55 sur France Musique...
Comme il était dix heures du matin, je suis resté travailler au studio pour jeter un œil à la partition du premier module de 2025, le serious game destiné aux ados de 12 à 16 ans sur lequel planchent Nicolas Clauss et l'équipe de Tralalere. J'en suis évidemment sorti vers 19 heures après avoir réalisé un dépouillement quasi total, du moins en l'état d'avancement des animations et séquences interactives. J'ai essentiellement programmé le V-Synth pour les ambiances en boucle, les sons de navigation et ébauché la musique pour trouver la couleur générale avant d'aborder ce premier module. C'est toujours compliqué de réaliser un pilote en imaginant les potentialités de la série. J'ai terminé la journée en cherchant quelques sons de cordes et de cors pour donner une petite note cinématographique à ma partition, mélange d'électronique légère et de rythmes lourds destinés à produire un peu de stress chez le joueur chronométré.
J'aurais pu venir taper ce billet, m'allonger pour lire ou regarder un film, mais Françoise m'a demandé de chercher des sons de cours de la Bourse en anglais pour l'extrait qu'elle montrera jeudi prochain au 104 à l'occasion de la première de Pasta Unica. De mon côté j'ai envoyé à Cécile Denis une présentation linéaire de FluxTune que j'ai montée sur FinalCut à partir d'une copie-écran, avec Françoise pour me tenir la main, échange de bons procédés.
Si je tiens toujours mes promesses, je fais exception à mon égard. Par exemple, aujourd'hui dimanche je me suis promis d'être plus sage et de vaquer à des occupations moins studieuses. En d'autres termes j'espère avoir de la visite pour me dissiper et me forcer à faire ce que je ne sais pas faire, rien.

jeudi 22 octobre 2009

La taille assassine


Tout le quartier se croise à son chevet. Deux ans après avoir fait couper un magnifique peuplier, mon voisin récidive en martyrisant son deuxième et dernier arbre. C'est une honte, un crève-cœur. Les oiseaux, petits et grands, venaient s'y percher. Les merles y avaient leur nid. Sa haute silhouette se découpait sur le ciel comme une ombre bienveillante sur la rue. J'en ai des crampes d'estomac tellement je suis en colère, impuissant devant tant d'ignorance. Le cèdre protégeait les voisins d'en face des rites d'un autre âge où la communauté repliée sur elle-même écorche ses chants dans des cabanes en bois qui poussent comme des colonies dans ce qui est devenu une cour. La verdure atténuait le bruit de ses nombreux enfants qui jouent aussi bien au foot qu'ils ne psalmodient ! Fâché contre eux parce qu'ils continuent à envoyer des ballons dans notre jardin, cassant systématiquement les pots et écrabouillant les fleurs, je leur avais expliqué à quel point nous tenons à ce coin de verdure. Ils m'avaient simplement répondu qu'ils avaient essayé de faire pousser des plantes, mais que cela donnait trop de travail à entretenir. Sic. Ils avaient aussi précisé qu'ils détestaient la nature. Cela ne les empêche pas de nourrir paradoxalement et illégalement les pigeons, volatiles urbains qui chassent les espèces de passage. La mairie m'avait répondu que la loi ne leur interdisait pas de tout arracher. Nous leur avions, les uns et les autres, exprimé notre attachement pour le grand conifère, mais ils ont le droit pour eux et nous vivons, semble-t-il, sur une autre planète, dans une utopie où seul le présent peut être messianique. Les ouvriers qui ont taillé comme des sagouins ont répondu à Françoise qu'ils ne coupaient pas tout, mais le massacre est affiché. Notre voisin, avec qui nous essayons néanmoins d'entretenir des relations de bon voisinage, détruit systématiquement toute la flore qu'il occupe, d'abord la haie qui nous séparait, ensuite le peuplier, puis l'herbe remplacée par des dalles, et aujourd'hui il ne reste qu'un tronc décharné. Phénomène étrange.

samedi 17 octobre 2009

Sévice militaire


À quelle nostalgie l'attrait de la guerre renvoie-t-il ? Tuer ou être tué. Une fois que les hommes sont sur le terrain, il n'y a pas d'alternative. Le service militaire n'est plus obligatoire. Censé faire disparaître les classes sociales sous l'uniforme, il faisait perdre un an à qui avait mieux à faire. Cette égalité devant la loi n'était que de surface. Les petits bourgeois savaient y couper et les pistonnés rentraient chez eux le soir. La violence des pauvres était canalisée sous les ordres de sous-officiers exerçant leur pouvoir débile sur les jeunes recrues. C'était parfois une manière de sortir de sa condition, d'échapper à son milieu, de voir du pays. Les hommes entre eux pouvaient transposer leur homosexualité refoulée en amitié virile. Les anciens combattants fourmillaient de souvenirs croustillants. Les seuls films de guerre supportables sont ceux qui la dénoncent, même s'ils continuent d'exercer leur pouvoir de fascination morbide. Les guerres résolvent les crises sociales et les expansions démographiques. Les jeux de guerre sur les consoles vidéo participent à l'abrutissement de masse. Ils révèlent ce qu'il y a de pire chez les humains, aveuglement, veulerie, ignorance et stupidité.
Par prudence, je ne m'en suis jamais ouvert publiquement, mais je fus réformé P5, "exempté du service actif, réserviste service de défense sauf inaptitude à tout emploi". P signifie Psychologique et P6 équivalait à la camisole... Cette désignation aurait pu m'empêcher de faire carrière dans l'administration ! Mon sursis m'avait permis de terminer mes études de cinéma et je ne me voyais pas interrompre ma vie en postulant au service cinématographique des armées. La coopération avait quelque chose d'obscène. Certains camarades avaient craqué en Afrique autour de la piscine entourée de leurs boys. D'autres avaient joué le jeu sur ordre du groupuscule trotskyste auquel ils appartenaient. J'étais résolument non-violent et n'aurais pas tenu une arme pour un empire, forcément colonial. Une psychanalyste m'avait remis un certificat signalant "une schizophrénie dissociative avec inversion du rythme nycthéméral". Elle racontait que je m'étais spécialisé dans les films de vampires et que vivre la nuit était incompatible avec le rythme militaire. C'était en 1975. Le comique fut de me retrouver assistant de Jean Rollin quelques mois plus tard sur Lèvres de sang. Je me souviens être parti aux "trois jours" qui en duraient la moitié après 48 heures sans dormir, ayant juste terminé le disque pour l'année de la femme réalisé par le PCF. Refusant de dormir avec d'autres hommes, j'ai passé la nuit au cachot, la porte ouverte et la lumière allumée. Après cette troisième nuit de veille, je n'étais pas bien frais. Je n'avais coché aucune des cases du test lorsqu'il s'agissait d'actes de guerre, mais, sorti d'une grande école, je ne pouvais faire l'imbécile. Le verdict consistait en une hospitalisation quinze jours plus tard. L'angoisse ! Remettre ça alors que j'étais certain de ne pas sortir conscrit de la caserne de Blois... À l'Hôpital Percy de Clamart, la seconde manche dura à peine une heure. " Vous vous entendez bien avec votre père ?". Deux minutes de silence. "Oui", hésitant et pas convaincu du tout. "Et avec votre mère ?". Un oui instantané, franc et massif retentit dans le bureau du psychiatre chez qui j'avais passé la séance à chercher par terre une aiguille qui n'existait pas en pensant en boucle aux esclaves du Metropolis de Fritz Lang. Le médecin me tendit ma réforme tandis que les troufions étaient écœurés que je leur exprime que je n'en avais rien à foutre. Philippe Labat avec qui je partageais l'appartement de la rue du Château à Boulogne quitta les militaires ennuyés de ne pouvoir le garder en leur lançant : "Rien ne résoudra la tragédie de l'être !".

P.S.: plongé dans les dernières pages de L'insurrection qui vient, j'avais raté la photo de l'affiche du métro qui avait suscité ce billet (si l'analyse sociale du petit bouquin est extrêmement fine et les trois premiers quarts passionnants, les conclusions du Comité invisible sont hélas un raccourci immature). Comme je retournais à la station Mairie des Lilas, la guichetière de la RATP, se transformant en auxiliaire de police, m'empêcha de continuer mes prises de vue : "il est interdit de photographier dans un endroit public". Je tentai sans succès de la sensibiliser au choc représenté par le slogan "La guerre comme si vous y étiez", mais rien n'y fit. Je me contenterai donc d'un cliché pris par Françoise à qui j'avais glissé discrètement l'appareil. Pour avoir, entre autres, vécu le siège de Sarajevo, je sais à quel point l'affiche est criminelle et je reste interdit devant ce qui est accepté ou non par la Régie Autonome des Transports Parisiens et par ses usagers. De retour à la maison, je découvre d'ailleurs que la veille Jean Rochard s'est servi de la même affiche pour initier son propre blog !

vendredi 9 octobre 2009

La subversion des images


En sortant de chez mon magicien préféré, celui qui me remet d'aplomb sans y toucher, nous sommes allés voir l'exposition du cinquième étage du Centre Pompidou consacré aux photos des surréalistes. Si La subversion des images est sous-titrée "Surréalisme, photos, film", c'est surtout par ses images fixes qu'elle surprend, par leur profusion et leur richesse, et par l'écho qui rebondit sur notre époque. Les collages et autres cadavres exquis sont les grands-pères des mix et remix, samples et détournements. L'iconographie photographique s'est déplacée dans le camp du son (!). Pourtant l'amusement que prend toute cette bande de chenapans à jouer leurs tours pendables à la société ne ressemble pas à la superficialité de la plupart des artistes contemporains. Les surréalistes voulaient "changer la vie" et leurs facéties de garnements débordant d'imagination ressemblent plus à la période des années 60/70 qu'à notre morosité frileuse. En sous-pesant le somptueux catalogue de 480 pages, je me demande tout de même s'il n'est pas plus confortable d'apprécier les reproductions photographiques dans son salon que d'arpenter les neuf salles pour en savourer tout le jus. La scénographie est simple, le blanc s'imposant encore une fois avec quelques effets de miroir sur tranches, mais nombreuses œuvres basses sont encore destinées aux nains et la fatigue m'assaille avant que j'arrive au bout du petit marathon. Préférant mon sofa aux banquettes rondes sans dossier, je survole et butine l'expo pour me goinfrer, rentré à la maison.
Les neuf films (Buñuel, Dali, Richter, Cornell, Man Ray, Germaine Dulac et Artaud, Roger Livet, etc.) sont extraordinaires, mais tout cinéphile en aura déjà fait ses choux gras. Reprenons donc la visite en tournant les pages. 1. "L'action collective" ne peut que m'enchanter tant elle excite l'esprit communautaire qui m'est cher. Portraits de groupes avec femmes (rares...) 2. (et souvent reléguées à leur nudité plastique)... "Le théâtre sans raison" pointe la folie comme mot d(e dés)ordre. Jamais n'abolira le hasard. 3. "Le réel, le fortuit, le merveilleux" nous replonge dans le Paris de jadis que probablement aucun de nous n'a connu et qui porte déjà à nos yeux les habits surréalistes. Au tranchant parfait. Mannequins et statues. 4. "La table de montage" héritée de Lautréamont engendre toutes sortes de rimes impossibles qui vont chercher leur non-sens dans la psychanalyse, hélas ici quasi absente. Ça colle pourtant. 5. "Pulsion scopique" renverse les échelles et suggère un autre monde qui est pourtant du nôtre. L'œil de verre du voyeur se rince au cabinet noir interdit aux enfants et pour cause. Ce ne sont pas les seules images qui nous surprennent, car partout on voit bien qu'on ne s'embêtait pas. Le réel plus surréaliste que nature. 6. "Le modèle intérieur" esquisse donc ce qui fait défaut, à savoir les arrière-pensées de ce groupe d'empêcheurs de tourner en rond, son inconscient esquivé. Fermez les yeux une fois pour toutes. Tout est à voir. 7. "Écritures automatiques" donne son sens à la future indétermination qu'on qualifie trop souvent aujourd'hui d'aléatoire. Miracles de l'instant. Le mouvement arrêté. 8. "Anatomie de l'image" convoque les recettes alchimiques d'alors, on brûle, on gratte, on frotte, on renverse... Mais le corps reste obsession, l'éros caché enfin révélé par la plaque photosensible. 9. "Du bon usage du surréalisme" montre que toutes les avant-gardes comme tous les révolutionnaires sont récupérés et permettent au système qu'ils attaquent de perdurer. Les poils de Dora Maar, les hippocampes de Painlevé, la forêt de brosse à dents du jeune Robert Bresson, les larmes de Man Ray font réclame.
Avant, on se sera délecté de Breton, Éluard, Desnos, Prévert, Bataille, Char, Léo Malet, Ernst, Bellmer, Brauner, Magritte, Ubac, Brassaï, Atget, Cartier-Bresson, Kertész, Eli Lotar, Jacques André Boiffard, Paul Nougé, Maurice Tabard, Jakob Tuggener, Vane Bor, Roger Parry, Wols, Manuel Alvarez Bravo, Jindřich Štyrský, Georges Hugnet, Yamanaka Tiroux, Wilhelm Freddie, Miroslav Hak, Artür Harfaux, Benjamin Fondane, Claude Cahun et Moore (Suzanne Malherbe), Valentine Hugo, Suzanne Muzard pour terminer cette liste par quelques filles perdues puisque les femmes ont tant inspiré cette bande de joyeux drilles qui ont révolutionné l'histoire de l'art et par là-même la vie, notre vie.

Photo : Françoise Romand

lundi 5 octobre 2009

Les petits cours d'eau font les grandes rivières


Éric Dalbin a mis en ligne quelques photos signées Yves Malenfer du rideau d'eau dont j'ai composé la musique pour le stand RCZ de Peugeot au Salon de Francfort. On y aura un avant-goût du travail graphique de Phormazero, mais il faudra attendre le film pour entendre la partition en mouvement. Voir billet du 15 septembre pour plus de détails. J'y développe comme d'habitude mon discours de la méthode.
Se rendre utile est une démarche gratifiante. Certains compositeurs rechignent à composer de la musique appliquée, or il est souvent plus sain de travailler pour le privé que pour le public. Les rapports humains sont directs, les désirs et les appréciations s'expriment, c'est déjà pas mal, de plus, clairement, ce qui est fort appréciable. Je rappelle que, par exemple ici, j'ai été totalement libre d'écrire ce que je voulais, sans aucune contrainte si ce n'est le cahier des charges qui spécifiait exclusivement que la "création artistique" devait être "cristalline et futuriste". Techniquement, je composai avec le son de l'eau venant percuter le bassin récupérateur. Je me verrais très bien éditer le résultat comme n'importe quelle œuvre personnelle. Le Poème Électronique de Varèse n'a-t-il pas été conçu pour le Pavillon Philips de l'Exposition Universelle de Bruxelles en 1958 !
Les rémunérations afférentes à ce genre de commande permettent en outre d'en créer d'autres ou d'en accepter dont le budget est inexistant. J'ai l'habitude de dépenser d'une main ce que je perçois de l'autre. Ainsi les salaires générés par notre opéra de lapins nous offrent les moyens de prendre le temps pour réfléchir à de nouvelles créations ou simplement de choisir les travaux qui nous excitent le plus et les partenaires les plus sympathiques, de ceux avec qui nous vibrons en sympathie. J'ai déjà écrit que je ne travaille plus qu'avec des gens gentils !
Ainsi je rêve de mes prochaines collaborations, que ce soit avec Antoine Schmitt (nous avons deux projets "live" sur le feu, l'un assez lourd pour lequel nous sollicitons des aides publiques, l'autre, commandé pour une première partie de Nabaz'mob en ouverture du Festival de Victoriaville au Québec), avec Nicolas Clauss (deux projets encore, le trio live avec Sacha Gattino et le "serious game" pour Tralalere dont les trois premiers modules doivent être prêts avant la fin de l'année), avec Étienne Mineur (pour des livres interactifs convoquant les dernières avancées technologiques), avec Valéry Faidherbe (une commande pour Saint-Gobain qui va se préciser dans les jours qui viennent), avec Françoise Romand (projets de films en cours), avec Pierre-Oscar Lévy (la musique du film devrait s'écrire avant qu'il ne commence à monter et Bernard Vitet sera de l'aventure) et quelques autres, tous amis de longue date ou qui le deviendront, avec qui je partage la soif d'inventer et de rêver. Je reste à l'affût de nouvelles idées comme de rencontres inattendues qui bouleverseront ce à quoi je m'attendais. Ainsi hier matin quelle ne fut pas ma surprise lorsque la pianiste et compositrice Ève Risser m'alpagua sur le quai de la gare de Strasbourg ! Pour l'instant je prendrais bien quelques jours de repos, mais en suis-je capable ?

samedi 3 octobre 2009

On a mis le feu


Ce sont deux histoires. Pendant qu'Antoine et moi frisions l'émeute à la Nuit Blanche de Metz avec nos lapins des garçons sauvages incendiaient des automobiles à Bagnolet devant chez nous. Je pense à la peur de nos voisins réveillés par l'explosion de leurs fenêtres suivie des flammes. À l'Arsenal, ancien dépôt de munitions messin, nous avons proposé de faire gracieusement une quatrième représentation pour satisfaire les centaines de spectateurs qui n'avaient pu assister aux précédentes, mais l'organisation a refusé. L'atmosphère était explosive. Dehors la foule scandait : "Les lapins ! Les lapins !" À la maison, Françoise a filmé le feu qui, le lendemain matin étonnamment, ne semblait pas avoir endommagé l'arbre au coin de la rue. Nous avons tous les deux pensé avec effroi à la cuve à mazout provisoire devant le garage qui doit être enlevée lundi matin, mais Antoine m'a expliqué que c'était un liquide trop gras pour s'enflammer. L'accueil de Véronique Albert a été adorable, et les intermittents du spectacle de la Nuit Blanche nous ont permis de réaliser trois représentations enflammées. Nous avons juste eu le temps d'admirer "Line Describing a Cone", le film-dessiné de 1973 d'Anthony McCall projeté dans la fumée de l'Église Saint-Pierre-Aux-Nonnains et coucouche-panier-papattes-en-rond. Ayant passé la journée plié en deux par le réveil de mon hernie discale j'appréhende la journée de demain. Nous devons remonter "Nabaz'mob" à l'Aubette à Strasbourg avant 14h. Antoine dit que, tordu comme un bonzaï dans mon costume noir et or, je ressemble au Juge Ti. Il est bientôt trois heures, extinction des feux.

mercredi 30 septembre 2009

mc gayffier, technicienne en relief


mc gayffier se présente comme technicienne de surfaces (toile, papier, mur, panneau, écran). Ce mélange d'humilité et d'orgueil, de précision et d'approximation, d'humour et de sérieux dresse le portrait en creux d'une artiste intègre dont on ne peut cantonner les qualités à l'application de surfaces. Le volume qu'elle embrasse englobe la littérature, la musique, la cuisine et probablement d'autres vertus cachées qui se révèleront peut-être sur le blog/site qu'elle a récemment mis en ligne. Ses œuvres picturales renvoient souvent à ses écrits, proses de poétesse aimant ciseler le verbe et sculpter la phrase jusqu'à ce que les mots se retournent contre celles et ceux qui les lisent, leur envoyant des images en pleine figure comme autant de gifles bienveillantes. Car notre Bigoudenne n'a rien de Bécassine. mc gayffier a l'esprit acéré des mamans qui ont refusé la télévision, diffusé toutes les musiques, couru toutes les expos et plongé dans la littérature comme on s'accroche à une bouée de sauvetage dans une époque où sombrent les utopies et où règne la lâcheté des parvenus. Sa peinture est vive, ses critiques cinglantes et son amitié partagée. Si elle défend parfois son œuvre avec la timidité propre à nombreuses femmes artistes, elle fait souvent référence aux autres elles qu'elle fréquente de près ou de loin, Françoise Pétrovitch, Marthe Wéry, Anne Catoire... En regroupant toiles et textes sur sa page Internet, elle ouvre son atelier aux lecteurs et lectrices fatigués des galeries de surface pour une œuvre tout en relief qui renvoie au sens des choses, aux émotions humaines et à l'envie affichée de tout faire péter.


Marie-Christine fut ma voisine boulevard de Ménilmontant pendant une douzaine d'années. Je montais souvent au troisième discuter de tout et n'importe quoi sans qu'elle ne laisse jamais la place à la platitude. Elle fut l'éminence grise et la petite main de la revue ABC comme, organisant festivités et libations, rendant possibles les rêves des camarades. Nous fûmes les baby-sitters les uns des autres. J'avais coutume de dire que j'avais six mômes, avec les filles de tous les voisins, ou pas du tout, Elsa dormant là-haut lorsque nous nous absentions et Bilkis, Galilée et Antonin descendant les autres jours. Les filles venaient, il est vrai, regarder la télé chez nous et j'ai filmé une séquence craquante où toutes les trois regardent les Demoiselles de Rochefort avec des yeux énamourés. Bilkis a longtemps joué les papillons de nuit, Galilée est sortie de l'ENSCI et Antonin, toujours au Conservatoire, a rejoint l'ONJ. Marie-Christine est aussi une Mère L'Oye prête à défendre sa couvée bec et ongles. Nul hasard à ce que deviennent ses petits. Ils connaissent tout de la fête, de l'espace ou de la musique. Ils eurent la finesse de s'approprier les qualités de leur mère sans ne jamais toucher aux poils de ses pinceaux ni à ses plumes. Elle en est la maîtresse incontestée, maniant l'outil avec la sagesse du maître d'armes.

lundi 28 septembre 2009

Video Capture


Il y a des années que l'accessoire permettant de transférer un fichier vidéo analogique depuis un magnétoscope vers le Mac n'existait plus chez Apple. Elgato vient de commercialiser un objet simple et pratique pour récupérer ses films qu'ils soient sur VHS, Video8, Hi8 ou je ne sais quoi. Video Capture se présente sous la forme d'un petit boîtier sortant en USB et entrant par 3 fiches RCA femelles (2 audio et 1 vidéo doublée par 1 entrée S-Video). Elgato fournit un raccord 3 RCA mâles-mâles et 1 adaptateur Peritel. L'objet détecte automatiquement les formats NTSC, SECAM, PAL et PAL/60. La résolution vidéo est de 640 x 480 (4:3) ou 640 x 360 (16:9), le format vidéo H.264 à 1,4 Mb/s ou MPEG-4 à 2,4 Mb/s selon la puissance de l'ordinateur (Intel Core Duo et OSX Leopard indispensables) et l'audio AAC 48 kHZ 128 kb/s. Vous pouvez synchroniser les fichiers avec un iPod avec fonction vidéo, un iPhone ou une Apple TV et les éditer dans iMovie 09 sans réencodage. On peut même éditer directement pour YouTube...
Je vais enfin pouvoir numériser quelques trésors de ma vidéothèque. Jusqu'ici j'étais obligé de passer par le gros DVcam de Françoise. Ce ne sont pas tant les films enregistrés en VHS qui m'intéressent que les petits sujets que j'enregistrais à la télévision pour terminer mes cassettes de 3h ou 4h. Avec le temps, comme pour les musiques, ce sont ces petits bouche-trous qui m'intéressent le plus de revoir ou réécouter. Pendant des années j'ai coché le programme et enregistré des trésors dont les couleurs ont pâli tandis que le noir et blanc résistait mieux à l'usure du temps.

dimanche 20 septembre 2009

Cine-Romand.com


Ciné-Romand a rajeuni. À partir d'éléments graphiques de Claire et Étienne Mineur, de photos d'Aldo Sperber, de la musique de Bernard Vitet, Didier Petit et moi-même, d'extraits de films, Caroline Capelle et Sébastien Pons ont réalisé le nouveau site de Françoise Romand autour de son dernier film à paraître en DVD le 15 octobre. Pour les impatients, Ciné-Romand est envoyé en avant-première aux internautes qui le commandent dès aujourd'hui.
Organisé en 4 parcours qui rappellent le happening filmé dans les appartements autour de La Bellevilloise, le nouveau site offre deux savoureux bonus inédits au DVD, extraits des films Appelez-moi Madame et Vice Vertu et Vice Versa. Un roll-over sur les pastilles rondes permet d'entendre des dialogues enregistrés parmi les spectateurs et sur chaque page la musique s'évanouit lorsque l'on regarde un extrait des films de Françoise Romand. Lowave distribue les trois déjà édités en DVD, soit Mix-Up ou Méli-Mélo (deux bébés sont échangés à la naissance), Appelez-moi Madame (un militant communiste devient transsexuel à 55 ans avec l'aide de son épouse) et Ciné-Romand (en remontant le temps du blog : 1 2 3 4 5 6 7). Le prochain à paraître début 2010 sera le sulfureux Thème Je (une auto-fiction filmée pendant quatre ans).
À ce propos, signalons sur le DVD le court-métrage Réflexions désobligeantes où je me prête avec disgrâce à un duo grinçant dans la cuisine, rappelant avec humour les indiscrétions facétieuses de la réalisatrice, son projet iKitchen (des webcams dans des cuisines du monde entier) et son thème de prédilection, l'identité, souvent poussé à l'extrême, traversant tous ses films et que Ciné-Romand présente avec encore plus d'évidence.

mercredi 16 septembre 2009

Le bordel


Après l'aquaplaning vertical, un billet planning horizontal. J'aimerais prendre le temps de m'allonger pour lire les journaux auxquels je suis abonné. Heureusement il y a les voyages, à condition que je ne bavarde pas tout le long ! Certaines périodes ne favorisent guère l'écriture de mes billets quotidiens. Cette gymnastique a-t-elle un lien avec le fait que ma fille soit acrobate ? Sur son trapèze chaque mouvement est pesé pour ne pas se mettre en danger. Pour un improvisateur tel que moi le jeu consiste à savoir se rattraper.
Je compose pour pas mal de supports différents, j'aide Françoise au lancement de son nouveau DVD, je dois écrire pour des journaux, répondre à des interviews et je suis souvent en vadrouille. Revenu lundi soir de Francfort, je repars le 22 avec Antoine à Strasbourg pour présenter Nabaz'mob salle de l'Aubette avant (jeudi 24), pendant (samedi 26) et après Ososphère (1er et 3 octobre). À Francfort la musique du rideau d'eau remplit parfaitement sa fonction, notre deuxième clapier est en forme au Musée des Arts Décoratifs, j'ai terminé l'habillage sonore du DVD de Didon et Énée, j'ai des projets de collaboration avec Nicolas, avec Pierre-Oscar, avec Antoine et Bernard, avec Sacha, avec Sonia et Valéry, avec Étienne Mineur, avec Étienne Auger, avec Françoise (heureusement que j'adore les collaborations !), etc. Je pense aussi rembrayer bientôt sur mon projet d'album "solo" qui me refait de l'œil depuis que j'en ai trouvé le titre définitif (!)... Je suis certain d'oublier le plus important... Hier matin, j'ai répondu aux questions de Marc Helfer pour la télé finlandaise, il faut tester 100 alimentations électriques pour une troisième centurie de lapins et Radio En Construction me propose de faire une performance live pendant Ososphère... Je retourne à des activités plus prosaïques, changer la lampe d'un des deux vidéo-projecteurs et installer la version 5 de Cubase. Comme tout cela ne doit pas m'empêcher de vivre, bien au contraire, je me dépêche de finir !

samedi 5 septembre 2009

Les lapins en culotte de peau


Lorsque nous sommes arrivés à Linz, le clapier qui voyage désormais en trois flight-cases nous attendait. Dans ma valise j'avais pris soin de glisser des vêtements couleur carotte. La soirée de gala était évidemment consacrée à la remise des Prix Ars Electronica. Antoine Schmitt et moi avions volé jusqu'à Linz en Autriche pour recevoir l'Award of Distinction Digital Musics pour Nabaz'mob. Françoise Romand, réalisatrice du petit film qui a fait le buzz, nous accompagne sur les bords du Danube. Puisque désormais Nabaz'mob est appelé à voyager loin, Antoine a placé en avant la version anglophone du site de l'opéra, nabazmob.com. De mon côté je le mets régulièrement à jour en ajoutant des photos prises lors de chaque nouvelle installation ou représentation. Les 100 lapins Nabaztag n'offrent jamais la même interprétation de la partition et la scénographie change chaque fois en fonction des lieux.
Demain dimanche à 19h30, l'opéra ouvrira le Big Concert Night au Lentos, le Musée d'Art Moderne de Linz, dans sa version acoustique, c'est-à-dire sans aucune autre amplification que les 100 petits haut-parleurs situés dans leurs ventres respectifs. Idem à Strasbourg dans la salle de l'Aubette, imaginée dans les années 1920 par Theo van Doesburg, en collaboration avec Jean Arp et son épouse, Sophie Taeuber-Arp, les 24 et 26 septembre, et 1er et 3 octobre dans le cadre du Festival Ososphère. Pour la Nuit Blanche de Metz le 2 octobre, nous serons dans la salle de l'Esplanade de l'Arsenal conçue par l'architecte Ricardo Bofill tandis que le second clapier est toujours au Musée des Arts Décoratifs à Paris jusqu'au 8 novembre dans une version en boucle qui lui aura fait exécuter 2000 représentations !
Si Ars Electronica est le festival où les programmateurs du monde entier viennent faire leur marché de nouveaux médias le gala ressemblait à toutes les soirées du genre, auto-congratulations gigognes à mourir, contre quelques pincées de nouvelles images. Nous nous rattraperons les jours prochains avec une programmation dont la profusion justifie grandement le déplacement des aficionados. L'exotisme le plus ébouriffant était représenté par le buffet typiquement autrichien dressé dans le hall de la Brucknerhaus : des brioches de pomme de terre farcies tantôt de chair à saucisse, tantôt d'un œuf ou d'une prune, accompagnées de pâtes, de riz ou de choucroute ! Depuis la terrasse on peut voir les illuminations de l'Ars Electronica Center sur la rive opposée du Danube qui n'a jamais été bleu. Je m'endors en écoutant le vent siffler sous la porte de notre chambre dont nous avons laissé la fenêtre ouverte pour profiter de l'air pur. Demain nous passons à l'action. Les lapins n'ont plus qu'à se tenir à carotte.

jeudi 3 septembre 2009

Le DVD "Ciné-Romand" en avant-première


Si vous souhaitez recevoir Ciné-Romand, le nouveau DVD de Françoise Romand dès aujourd'hui (sortie officielle en octobre), envoyez un chèque de 20 euros (port inclus) à l'ordre de Alibi Productions, 60 rue René Alazard, 93170 Bagnolet. Pensez à joindre votre email pour recevoir des informations sur la suite de ses aventures.

Au dos de la superbe pochette réalisée par Claire et Étienne Mineur (on notera l'air de famille avec celle de Appelez-moi Madame, pour que l'ensemble fasse collection ; on attend pour bientôt le suivant, Thème Je), on peut lire le petit texte dont vous pouvez deviner l'auteur :

Ciné-Romand est une mise en abîme des précédents films de Françoise Romand. Des spectateurs sont invités à les découvrir lors d'un happening mélangeant fiction et réalité dans le cadre d'un théâtre domestique. Les voyeurs ne sont pas toujours ceux que l'on croit. Romand s'inspire de L'arroseur arrosé, reprenant le rôle de son arrière grand-père ciotaden, le gamin facétieux qui pliait le tuyau. Après avoir filmé le public et les habitants des appartements où s'improvisent des scènes documentaires, Françoise Romand les intégre fictionnellement parmi les extraits de ses films, revisités au montage. Spectateurs, hôtes, anges-guides, acteurs et techniciens, tous deviennent des personnages de cette fiction-documentaire dans le miroir d'Alice réfléchissant une fantaisie espiègle où les rôles s'inversent et se complètent.

"Françoise Romand a ce regard qui mélange de manière indéfinissable ironie, indiscrétion et vraie passion pour les gens. La réalisatrice s'est toujours intéressée aux destinées peu ordinaires." Catherine Humblot, Le Monde

Ciné-Romand a été présenté au Centre Pompidou par les Cahiers du Cinéma dans le cadre du Festival d'Automne.
N.B. : depuis, la version du DVD a été retravaillée et entièrement remontée.

Bonus : Réflexions désobligeantes (court-métrage avec Françoise et moi, plus Antoine en invité surprise, 2009) et Mix-Up ou Méli-Mélo (bande-annonce originale, 1985)
Photographies : Aldo Sperber / Picturetank - Authoring : Igor Juget
Musiques : Jean-Jacques Birgé, Bernard Vitet, Nicolas Frize, Bruno Coulais
Français, English subtitles - 99 minutes - DVD5 / NTSC / Zone: All / Couleurs / 4:3

jeudi 27 août 2009

À la traîne


Retour au réel. Façon de parler tant le décalage est flagrant dès que l'on change ses habitudes. Levés à 4h pour être sur le lieu de pêche avant le lever du soleil, nous embarquons une dernière fois à bord du pointu. La ville dort à poings fermés. La veille, le vent d'est nous a empêchés de sortir avec Maurice pour aller plonger autour des deux frères, d'énormes rochers au large de Fabregas. Nous sommes restés nous baigner près de la cale où nous avons pique-niqué avec Pascale et Françoise. Je me mélange les pinceaux en accrochant à l'envers les feux indiquant normalement babord, vert, et tribord, rouge. Heureusement, Jean-Claude, à la barre, s'en aperçoit. Les étoiles cèdent la place à un ciel rouge sang, digne des plus kitsch cartes postales. Les premiers nuages de notre voyage filtrent le soleil qui projette ses rayons vers l'infini comme une gloire renversée. Pendant que je rêve allongé sur le pont les bias n'arrêtent pas de mordre à la ligne de Pascale Je les attrape avec la grande épuisette pour ne pas les perdre au dernier moment. Françoise l'aide à décrocher les hameçons. Dès que le poisson mord, il faut ramasser la traîne sans à-coup. S'il est trop gros, lui lâcher du mou et reprendre. Le temps a changé. Il fait carrément frais le matin, mais l'après-midi la chaleur humide nous assaille. Jean-Claude accompagne d'une rémoulade la chair un peu sèche des maquereaux espagnols et nous nous écroulons pour une sieste réparatrice.

Recette de la rémoulade : hacher (mais pas à la machine, cela ferait de la purée) de la ciboulette ou à défaut de l'oignon avec une ou deux gousses d'ail, des câpres en quantité, deux ou trois anchois dont on a enlevé l'arrête centrale, du persil, pourquoi pas un tout petit peu de coulis de tomate (deux cuillérées à café pour un bol), du poivre ou du piment. Touiller avec le jus d'un citron et trois à quatre cuillérées à soupe de mayonnaise à l'huile d'olive, parfois corser avec un peu de rouille. Jean-Claude varie selon les jours en ajoutant ici du curry, là de l'harissa yéménite que je lui ai offert.

samedi 22 août 2009

La journée d'un pêcheur


Il est 5 heures du matin. En descendant au port des Capucins pour embarquer, nous croisons une bande de jeunes fêtards qui vont se coucher. Nuit noire sans lune. Dans les lumières de la côte les goélands, ici on les appelle des gabians, ressemblent à des étoiles filantes. Doucement le jour tend son voile laiteux sur le ciel bouffé aux mites. Je m'allonge sur le pont du pointu pour admirer la voûte. Nous pêchons à la traîne dès que le soleil se lève. Françoise attrape un bia ou maquereau espagnol de plus de 1 kg, l'honneur est sauf, mais ce n'est pas un grand jour. Nous espérons faire mieux en nous rapprochant des pierres tombées. Trois oblades se laissent prendre aux rusquiers. Nous ne rentrons pas bredouille, la pêche suffira largement au dîner de ce soir avec nos invités. Il fait très chaud, 38°C dehors, 26°C sous la surface, nous plongeons dans l'eau turquoise depuis le bateau avant de rentrer faire la sieste. Il est midi, voilà huit heures que nous sommes levés, la journée d'un pêcheur...

jeudi 20 août 2009

La ruche


Comment se passerait-on des dictionnaires ?! Nous avions terminé les sous-titres et ce matin-là Jonathan et moi étions aux prises avec l'Harrap's en quatre volumes pour trouver un titre juste à Rencontres, le premier film de Françoise Romand qui figurera en bonus sur le quatrième DVD. Nous optons pour Intersections qui se comprend en français, plus précis même que le titre original de 1977. Un quatrième DVD ? C'est l'usine ! Si Ciné-Romand est parti au pressage, nous enchaînons directement avec un quatrième opus, Thème Je (The Camera I), film maudit tant il dérange ou effraie. Les deux essais se complètent admirablement. Là où Ciné-Romand est une fantaisie joyeuse tournée vers l'avenir à partir d'éléments du passé, Thème Je est un drame époustouflant s'étalant sur quatre ans, une aventure dont Françoise a heureusement tourné la page, faisant son miel des spéculations de l'avenir. Il n'en est pas moins drôle et plein d'esprit. Nous nous sommes en effet aperçus que le film mettait parfois mal à l'aise les spectateurs qui le découvraient en séance privée, mais dès qu'il est projeté en public, la salle rit souvent à gorge déployée, se délectant des facéties de la réalisatrice. À mes yeux, c'est son meilleur film depuis Mix-Up ou Méli-Mélo et Appelez-moi Madame. Il pulvérise le genre de l'auto-fiction, comme ses premiers films inventaient un genre nouveau dans le documentaire. Dans Thème Je, Françoise a retourné la caméra sur elle-même, sans aucune compassion. C'est parfois brutal, mais la sincérité est absolue, même dans les scènes les plus improbables, toujours mises en scène, le propre du cinéma. C'est peut-être une manière pour elle de s'autoriser toutes les extravagances envers celles et ceux qu'elle filmera désormais. Un long-métrage de "fiction" et deux "documentaires" sont au stade de l'écriture. J'inscris des guillemets tant ces dénominations sont sujettes à caution dans l'œuvre de Françoise. Les prochaines étapes consisteront donc à la promotion de Ciné-Romand qui sortira à la rentrée et au tournage des bonus de Thème Je, en français et en anglais. Ciné-Romand devrait permettre de mieux appréhender le travail de Françoise, re-création ou récréation à travers un parcours étonnant, happening contemporain s'appuyant sur une filmographie dont la logique explose aux yeux et aux oreilles.

lundi 3 août 2009

Sous-titres


Jonathan Buchsbaum aide Françoise à vérifier les sous-titres anglais de Ciné-Romand. Ce sont les derniers mètres. La situation est tendue. Je les rejoins pour traduire les citations de Brecht et rendre intelligibles les extraits de ses films sortis de leur contexte. Faut-il être fidèle au texte original ou le rendre compréhensible au public anglophone ? Nous préférons adapter les dialogues, réécrire le film. Les sous-titres font partie intégrante de la création.
Dans un passage de mon propre film, La nuit du phoque, j'avais été jusqu'à insérer un texte contemporain de la réédition en DVD plutôt que traduire le texte de 1974, pour retrouver l'effet de l'original. J'avais souhaité étendre ainsi le décalage entre l'image et le son en produisant une distanciation dans le temps (plus de 30 ans !), évidemment uniquement accessible aux anglophones qui auraient des notions de français ! On connaît le célèbre exemple de Pierre Dac réalisant les sous-titres de Hellzapoppin et faisant du texte : "Ça se corse (chef-lieu Ajaccio) !" Pour Idir et Johnny Clegg a capella j'avais tenu à aller jusqu'au bout du processus de création en gérant le rythme des sous-titres avec la monteuse, Corinne Godeau. Comme c'est un film forcément musical les versions où l'un ou l'autre sont sous-titrés finissant pas constituer deux films différents.


Jonathan a réussi à attraper son train à la Gare Montparnasse et j'ai passé la journée de dimanche à faire de la correction les yeux rivés sur l'écran, l'Harrap's en quatre volumes et WordReference.com à l'appui. Françoise n'a jamais fini. Elle rajoute encore un dernier plan pour expliciter le commentaire d'un de ses invités quand il dit croire que la soirée est terminée, espérant enfin prendre un verre et qu'il constate que le frigo est ouvert : "Mais non, le film continue..." Alors à cet endroit du montage nous rajoutons le plan du téléviseur dans le congélateur qu'a photographié Aldo Sperber et qui lance le générique de fin.

samedi 1 août 2009

La place des fêtes est belle en rouge


Toujours aussi élégant, chapeau de paille et tenue gris-vert assortie à ses montures de lunettes, avec, ultime provocation, Vladimir Ilitch Oulianov à la boutonnière, Bernard Vitet promène Hunky, un fox-terrier des îles du nord dont il a pris soin d'oublier le vrai nom à particules long comme le bras. On peut d'ailleurs se demander qui promène qui, tant Bernard sort peu, handicapé par une lombalgie qui ne le lâche pas. Les amis comme ceux qui ne le connaissent que pour avoir été conquis un soir au Club Saint-Germain du temps du be-bop, sur la scène du Festival de Châteauvallon avec Portal, lors de toutes les aventures du free-jazz et évidemment pendant les 32 ans d'Un Drame Musical Instantané (voir son impressionnant pédigrée sur Wikipédia), me demandent souvent comment va Bernard. La réponse est comme il peut. Faute qu'il ne puisse plus jouer de trompette depuis quatre ans, on pourra néanmoins l'entendre avec ravissement dans Ciné-Romand, le film que Françoise sortira en DVD à la rentrée et dont elle met au point les derniers sous-titres après qu'Étienne Mineur en ait terminé la jaquette et Igor Juget l'authoring. C'était la dernière prestation de Bernard à la trompette avant que ses dents ne le trahissent. Cela ne l'empêche pas de composer, mais je crains que l'on n'entende plus jamais son timbre si particulier, tendre et lyrique, grave et mat, autrement que sur les enregistrements. Heureusement sa discographie est riche et éclectique. Mais rien n'est jamais joué.
Il travaille à rééditer son album solo, Mehr Licht !, agrémenté d'inédits de choix, mais le sens de l'organisation n'étant pas son fort cela risque encore de mettre quelque temps... En évoquant hier Don Cherry, je me suis souvenu que c'était son orchestre qu'avait élu Don à son arrivée à Paris. Il y avait Gato Barbieri au ténor, Jean-François Jenny-Clarke à la basse et Aldo Romano à la batterie. En d'autres termes, mon pote s'était fait chiper l'affaire. Cela ne les empêchât pas de jouer ensemble avec François Tusques, à deux trompettes comme Bernard le fit également avec Chet Baker. Certains disent même que Chet changea de phrasé après cet intermède qui dura quelques mois. Dans d'autres circonstances il fit aussi équipe avec Roger Guérin, Itaru Oki, Jacques Coursil, même si c'est plus facile de jouer avec un ténor, comme si l'on avait une boîte d'octave (rires) !
Bernard me livre un contrepet de son cru en guise de titre, et non pas...

vendredi 17 juillet 2009

Le travail du deuil


On est comme à la campagne. Le cimetière de Charonne jouxte l'église Saint-Germain-de-Charonne qui servit de décor à la scène finale des Tontons flingueurs. C'est dire si la cérémonie commençait bien. Les vieux amis ressemblaient à des boulistes ayant raté l'heure de la sieste. Sous un soleil brûlant aux effluves presque corses, les oraisons prononcées en hommage à Jean-André Fieschi en dressèrent un portrait fabuleux et varié, certains avec énormément d'émotion, d'autres plein d'humour, les plus proches se laissant aller à quelques piques pleines de tendresse. Ainsi sa compagne Françoise Risterucci, Émile Breton, Christiane Lack, Jean-Patrick Lebel, Michel Vinaver et d'autres se succèdent au micro, mais ce sont certainement les témoignages de ses enfants, Marthe et Simon, qui sont les plus poignants et les plus fidèles. J'espérais retrouver certains visages, j'en découvre d'autres, je n'en avais oublié aucun. Une chanson corse et la trompette de Miles Davis accompagnent les derniers adieux. En guise de faire-part, la famille a mis à disposition des cartes postales figurant Jean-André à différentes époques de sa vie. Il a toujours adoré les images. J'en choisis une où l'on voit bien qu'il pouvait ne pas être toujours commode !
Lorsque ce fut mon tour je bégayai quelques mots à la mémoire de mon ami :
Cher Jean-André, je n'aurais jamais imaginé me retrouver dans ces circonstances.
Nous avons arpenté ensemble maints cimetières en lieux de promenade et de mémoire, de Venise sur l'île San Michele où nous étions venus porter des fleurs à la demande d'un ami sur la tombe de Stravinsky aux côtés duquel reposait Diaghilev jusqu'au Père Lachaise où tu voulais me montrer celle de Pierre Zucca. Un après-midi comme celui-ci, tu m'avais amené ici-même et tu m'avais indiqué celle de l'infâme Brasilach qui n'était pourtant pas ta tasse de thé bien qu'il ait écrit une célèbre histoire du cinéma.
Ce cimetière de Charonne, nous devrions le rebaptiser cimetière de Charon en hommage à tes qualités de passeur. Je parlais de toi en t'appelant "mon Maître", car lorsque j'étais jeune homme, tu m'appris la moitié de ce que je sais et me donna la méthode pour acquérir le reste. Je disais aussi que ma dette était inextinguible et ton dernier coup de théâtre ne me facilite pas la tâche. Tu tenais toi-même ce pouvoir initiatique de Claude Ollier. Aussi, pour que ta flamme ne s'éteigne jamais, il nous reste à continuer à transmettre ce que tu nous a légué, une appréhension aussi magique que matérialiste de notre monde.
On ne réveille pas un somnambule qui marche au bord du toit. Dors bien et continue à nous faire rêver.

mercredi 15 juillet 2009

Dans les gradins

Le film est là.

Si je hurle dans l'aquarium en verre qui tient lieu de clapier aux 100 lapins de Nabaz'mob c'est pour me faire entendre de la caméra que tient Olivier Souchard qui a réalisé tous les petits films de l'exposition Musique en Jouets pour le site du Musée des Arts Décoratifs. J'ai eu l'idée de situer là l'entretien, bien qu'il reste très peu de place pour nous deux, parce que c'est une position impossible et intenable. Impossible car les vitrines sont fermées à double tour. Intenable à cause de la chaleur diffusée par les 100 transfos qui alimentent en électricité notre chœur lagomorphe. L'équivalent de seulement 1kW, mais nous sommes dans un milieu quasi hermétique. Il y a tout juste l'espace pour que je me place à un bout et Olivier à l'autre avec les bestioles de profil. Si nous avions diffusé l'opéra, le son qui sort du ventre de chaque lapin aurait couvert ma voix, même avec un micro-cravate. Les vitres parallèles renvoient le son dans tous les sens, faisant rebondir la musique comme autant de balles de ping-pong inépuisables. C'est vrai que souvent je parle fort. Parfois Françoise s'écarte comme si le vent la décoiffait. J'ai trouvé amusante la réflexion qui me dédouble en remplacement d'Antoine, bloqué dans les embouteillages, qui n'arrivera jamais à temps pour le tournage...
Même si je fais des efforts, je ne suis pas toujours très clair. Par exemple, j'annonce qu'il n'y aura qu'une seule œuvre comme celle-ci. C'est vrai et c'est faux. C'est faux, parce que les lapins se reproduisent. Le premier clapier a donné son titre à notre opéra : nous l'avions nommé en référence aux mobs, ces rassemblements d'individus qui ne se connaissent pas et se rencontrent juste le temps d'une action instantanée et souvent loufoque ; 90 propriétaires de Nabaztag avaient ainsi apporté chacun le leur pour participer à l'opéra au Centre Georges Pompidou et Violet avait complété pour arriver à la centaine. Mais la contrainte était trop forte pour continuer ainsi. Il fallait programmer chaque animal et le reprogrammer ensuite avec les réglages de chaque propriétaire, sans compter les annonces et la disponibilité du nombre selon les lieux où nous jouons. Le second clapier, acheté par Atari pour le NextFest organisé par le magazine Wired, est resté à New York. C'est avec un troisième clapier que nous sommes partis en tournée. Lorsqu'il a fallu immobiliser Nabaz'mob pendant cinq mois aux Arts Décos, nous n'avions pas d'autre choix que de mettre une second ensemble en activité, la quatrième centurie. Et ce n'est pas terminé, nous espérons mettre sur pattes très bientôt un troisième clapier, donc le cinquième cent, pour pouvoir nous produire plus facilement en fonction des dates et des lieux. Nos lapins seront ainsi jusqu'au 8 novembre au Musée à Paris pendant que leurs frangins joueront successivement à Linz pour la grande nuit musicale d'Ars Electronica le 6 septembre, puis à Metz le 2 octobre lors la Nuit Blanche et il est question que la troisième fratrie investisse les nuits électroniques d'Ososphère à Strasbourg entre le 24 septembre et le 3 octobre. Un vrai cirque !
Ah oui, j'ai dit que c'était vrai aussi, qu'il n'y en aurait pas d'autre... En effet, nous nous sommes refusés à créer une seconde œuvre avec les lapins et ce pour plusieurs raisons et malgré les possibilités énormes et inexploitées que recèle Nabaztag. D'abord, nous avons, Antoine et moi, déjà pas mal œuvré en participant à l'invention du lapin domestique Nabaztag proprement dit. Ensuite, et c'est lié, nous ne souhaitons pas être systématiquement associés à un animal en plastique. Nous avons une vie en dehors du clapier ! Par contre, nous avons cherché à donner une suite à notre collaboration, après Machiavel et Nabaz'mob, et nous avons enfin trouvé. C'est très avancé. Le script est rédigé, il ne suffit plus qu'à trouver des partenaires avec qui nous entendre. Machiavel jouait sur un rapport un/un, la machine contre l'individu. Nabaz'mob interrogeait encore le contrôle et le chaos, la liberté individuelle et la discipline du groupe, cette fois avec 100 robots. Notre troisième collaboration se concentrera sur un groupe d'êtres humains et sera un spectacle vivant.

mardi 14 juillet 2009

Désastre


Sur son blog, Pierre-Oscar Lévy rappelle les différentes étapes de la lutte pour sauver la planète de 1827 à nos jours. Sous un déluge de dates, la catastrophe annoncée ne rencontre que peu d'écho chez les politiques à la solde des profiteurs. Personne ne souhaite savoir. Quand on écrit personne, cela signifie évidemment peu de monde. P.O.L. livre cette compilation édifiante, fruit d'une recherche pour un film qui ne se fera pas, et pour cause...
En 1995, j'écrivais de mon côté le scénario d'un long-métrage de fiction qui subira le même sort. J'en livrai ici-même le découpage des cinq premiers plans sous le titre Prégénérique de L'Astre. J'étais très présomptueux. Qui a envie de voir un film qui raconte la fin du monde ? Nous savons tous que nous allons vers la mort, mais nous ignorons que nous pourrions la vivre ensemble. Il ne s'agissait même pas de l'orgueil des hommes qui pensent devoir en être forcément responsables, mais d'un accident survenu dans le système de la gravitation. Rapidement la terre retombe au soleil et tend à lui pour s'y refondre... Je n'avais pas mis toutes les chances de mon côté en attribuant à une voix off le rôle principal, pourtant alors accepté par Hanna Schygulla (on la voyait seulement apparaître dans les derniers plans), tandis que le scénario ne mettait en scène qu'une multitude de rôles épisodiques. Gilles Sandoz, alors Agat Films, voulait produire L'Astre, mais je comprenais mal ses manières de producteur, et la réaction de la Commission de l'avance sur recettes eut raison de mon enthousiasme. Évènement paraît-il exceptionnel, face à mon scénario la Commission se déclara incompétente deux fois de suite ! J'avais donc la possibilité de le présenter une troisième fois, mais les notes de lecture de la seconde Commission m'achevèrent. J'avais souhaité faire un film "populaire" et l'on me comparait à Duras, Straub et Huillet. Quelle naïveté de ma part ! Je retournai à ma musique... Françoise dit que je devrais retenter de le mettre sur pieds, mais j'avoue être sceptique. J'avais d'abord rêvé de faire de ce roman de C.F. Ramuz un opéra, puis un hörspiel avant de me lancer dans ce projet de long-métrage. Nous avions retravaillé les dialogues avec Lors Jouin et produit un découpage alibi pour rassurer mon producteur alors que ma façon de tourner devait obéir à des lois beaucoup plus personnelles. Avec Bernard Vitet, nous avions écrit toute la musique pour qu'elle préexiste au tournage. Il n'y a pas de scénario qui exprime mieux ma vision du monde. En l'abandonnant, j'ai fermé les yeux.

mercredi 8 juillet 2009

Le paradoxe Berthillon


La Maison Berthillon ferme toujours au moment des vacances scolaires. Juillet et août n'échappent pas à la règle, chose assez surprenante pour un glacier. La queue des touristes venus déguster les célèbres sorbets et crèmes glacées s'allonge sur l'île Saint-Louis, ailleurs que devant la maison-mère, étonnamment close pour un tel lieu de plaisir. Comme les restaurants abonnés, les dépôts du quartier auront su prévoir leurs stocks. Le magasin est fermé, mais le laboratoire continue à tourner presque tout l'été sous la houlette du gendre du fondateur (si je ne m'emmêle pas les pinceaux dans la généalogie de la famille). Si commander un cornet réclame de la patience, il n'y a jamais cohue pour acheter les boîtes en ¼, ½, ¾ ou litre. Il ne reste donc plus que quelques jours (réouverture le 2 septembre) pour faire ses provisions avant la fatale pénurie.
Déjà enfant, les glaces me faisaient rêver. Nous allions en famille à L'igloo, rue de Sèvres. Je me souviens du verre d'eau rempli de glaçons que le couple de propriétaires servait avec. Lors d'un séjour à St-Johann-im-Tyrol où mes parents m'avaient envoyé pour apprendre l'allemand (!), je m'ennuyais tant qu'un samedi après-midi je m'enfournai 17 boules, testant systématiquement tous les parfums. Le choix draconien que je m'étais imposé provoquait probablement les séances de revenez-y. Mes amis se sont souvent étonnés de nous voir savourer ce mets glacé en toutes saisons. Aujourd'hui, c'est devenu commun, mais à l'époque les appartements n'abritaient pas tous un réfrigérateur et les congélateurs domestiques étaient encore rares. Je me souviens des premières crèmes glacées à emporter que l'on trouvait dans certains supermarchés tel Inno. Lors de mes promenades sur les grands boulevards, près de la rue Vivienne où je passais mes premières années, les glaces italiennes à la pression formaient monticule en petites torsades. À nos palais Motta succéda à Gervais, les esquimaux à l'entr'acte, Sip Babylone et tour du monde en cornets.
Il m'est impossible de revenir de chez Berthillon, dernière station avant l'autoroute qui nous ramène à la maison, sans rapporter un sorbet au cacao extrabitter, d'une densité à couper au couteau en se faisant les muscles. Ensuite j'oscille : chocolat au nougat, marron glacé (selon saison), praliné au pignons ou au citron et coriandre, noix de coco, pistache, réglisse, earl grey, lait d'amande, feuille de menthe, poire, fraise des bois (selon saison), framboise, mangue, sans oublier l'incontournable caramel au beurre salé ou au gingembre pour Françoise et le petit pot au fois gras pour Noël...

samedi 4 juillet 2009

Filmographie de Jean-André Fieschi


L'héritage intellectuel de JAF fut si considérable que sa mort génère en moi un sentiment d'usurpation. Je n'y étais pas préparé. Cherchant à honorer ce que j'appelais ma "dette inextinguible" je plonge dans mes archives et compile une biographie curieusement absente du Web. Je retrouve des projets, des lettres, des articles, des entretiens, des films, des images dont cette photo que j'ai prise dans les années 70... Une biographie au carbone qu'il avait rédigée au début de notre collaboration sur Les nouveaux mystères de New York (1976-1981) nous donne de précieuses informations, quand j'aimerais reproduire certains de ses écrits, toujours remarquables.

Jean-André Fieschi
(5 mai 1942, Ajaccio, Corsica - 1er juillet 2009, São Paulo, Brésil)

1949 : Vision de Bambi au Rio Opéra.
1961 : Les Cahiers du Cinéma, époque Rohmer.
1963 : Réalisation, à Barcelone, de Cuixart, pour la Galerie Metras.
64/68 : Cahiers du Cinéma, époque Rivette. Secréatrait de rédaction de la revue, articles, entretiens, rencontres (Renoir, Bunuel, Sternberg, Rossellini, Pagnol, Visconti, Straub).
1966 : En plus des CdC, chronique hebdomadaire au Nouvel-Observateur.
Réalisation de L'accompagnement, écrit en collaboration avec Claude Ollier et Maurice Roche, et traversé par les mêmes + Edith Scob, Marcelin Pleynet, André Téchiné. Montage : Jean Eustache. Partition sonore : Michel Fano. Le film était dédié à Julio Cortazar, Prime du CNC (60 000F), ventes aux USA, Canada
(ligne illisible dûe à la pliure)
65/68 : Fonde et dirige avec Noël Burch, l'IFC (Institut de Formation Cinématographique), atelier un peu utopique où furent chargés de cours, de recherches ou de travaux pratiques W.Borowczyk, Marguerite Duras, Michel Fano, Jean-Luc Godard, Pierre Guyotat, Marcel Hanoun, André Hodeir, Robert Lapoujade, Christian Metz, Claude Ollier, Alain Resnais, Jean Ricardou, Jacques Rivette, Jean Rouch, Alain Robbe-Grillet, rien que du beau monde.
66/68 : Réalisation, dans la série (défunte) de Janine Bazin et André S.Labarthe "Cinéastes de notre temps" de :
Pasolini l'Enragé (1h40)...
Domaine italien 2 : Bertolucci (on pouvait avoir des excuses à ce moment-là), De Bosio, Bellochio ?
La Première Vague (Delluc, Dulac, Epstein, Young Mr L'Herbier), travail de recherche de montage, de teintage, et d'archivage de ce qui pouvait encore être archivé.(coréal: Noël Burch)
M.L'Herbier : une re-vision, réévaluation de l'œuvre muette de M.L'H.
Également, participation aux émissions sur Bunuel et Sternberg.
68/69 : Chronique régulière à "La Quinzaine Littéraire".
69/70 : Chargé de cours à Paris I (Histoire du cinéma).
Co-auteur, avec Claude Ollier, de textes radiophoniques, La Fugue et Cinématographe, dans le cadre de l'A.C.R. (Atelier de Création Radiophonique).
70/71 : Pratique intensive du cinéma d'intervention directe (film réalisés pour les municipalités d'Argenteuil, Bobigny, Sartrouville, pour la Confédération Génbérale du Travail, pour le Théâtre des Amadiers à Nanterre, etc.
L'histoire vivante, sur la mémoire du mouvement ouvrier, starring Jacques Duclos, vainqueur d'un cendrier de cristal (rose) au Fesrtival de Leipzig de l'année suivante. (coréal: Bernard Eisenschitz)
71/73 : Enseignement à l'IDHEC (Histoire du cinéma, travail sur le montage, direction de tournages).
Pratique de la vidéo d'animation, dans les entreprises de la Seine St Denis.
Participe à la rédaction d'une encyclopédie monumentale du Cinéma, dirigée par Richard Roud, en cours de publication à Londres et New York simultanément.
Textes sur Bunuel, Epstein, Hitchcock, Murnau, Rivette, Rouch, Sennett, Straub, Tati, Vertov.
73/75 : Directeur de production à Unicité (films, vidéos, disques, journaux muraux, etc.). Étude sur des terrains très diversifiés (entreprises, quartiers, municipalités, régions, etc.) des différents supports audiovisuels et de leus spécificités. Enquêtes, voyages.
Auteur d'émissions de télévision, dans la série (défunte) de Monique Assouline "Grand Écran" : Le film noir américain et Jean Renoir (Réal: Charles Bitsch), L'enfant et ses images (R: Pierre Beuchot). Également : Il était une fois la Comédie musicale (R: Raoul Sangla).
Parallèlement, découverte, expérimentation et pratique intensive de la Paluche, écriture de scénarii (pour Bernard Stora, Eduardo de Gregorio), interventions dans les pages "spectacles" du "Monde", réalisation d'une émission (FM) sur la musique traditionnelle corse, ainsi qu'un disque sur le même sujet.
1976 : Paluche encore, naissance d'un projet tout à fait spécial, double travail concernant le projet lui-même et les moyens de le faire aboutir.


Complétons imparfaitement avec la filmographie publiée lors de sa rétrospective à la Galerie du Jeu de Paume en 1999 :
Permanencia del Barroco (1963)
Théâtre (1980), coréal. Jean-Pierre Mabille, avec Françoise Lebrun, Dominique Labourier, Jean-François Stévenin, Maurice Garrel, Jean-Claude Dreyfus, Jacques Lassalle
Bande Eustache (Jean qui pleure, Jean qui rit) (1982)
L'horreur de la lumière (1982, vidéo-paluche), 25', image-montage : JAF, avec Georges Didi Huberman
Les Monts Oural (1982, 5'), image-montage : JAF, avec Pascale Murtin et François Hiffler (Grand Magasin)
Les Dogons et Chamber Music (1983)
Baby Sitter (1984, 13') avec Anouk Grinberg
Un enfant au sommeil agité (1985, vidéo-paluche/UMT, 13') avec Grand Magasin
Le tueur assis (1985, 60'), scénario-dialogues JAF et Jean Echenoz d'après Patrick Manchette, avec Jean-Pierre Léaud, Roland Amstutz, Caroline Chaniolleau, Jean Dautremay, Michel Delahaye, David Gabison, Yann Collette, Hugues Massignat, Catherine Laulhère
Lettre à une jeune comédienne (40 ans d'Avignon : les acteurs) (1987, 26') avec Maria Casarès, Alain Cuny, Ludmila Mikaël, Gérard Desarthe, Maurice Bénichou
L'idée perdue (1988, 21'), texte Jean Paulhan, avec Anouk Grinberg
Portrait imaginaire d'Alain Cuny (1988, 120') - 1re partie Le savon noir, 2e partie La jeune fille Violaine, image Jacques Bouquin et JAF, montage JAF, avec Alain Cuny, Anouk Grinberg
Chloé, bonne à Rome (1988, 5') avec Grand Magasin
Tommaso Landolfi (1986, 27'), image Luc Pagès et JAF, montage JAF, avec Olimpia Carlisi, Idolina Landolfi
Joë Bousquet (1990, 27'), id., avec Hélène Alexandridis et la voix du Poisson d'or
Pasolini l'enragé (1966-1993, 65'), image Georges Lendi, avec Pier Paolo Pasolini, Franco Citti, Sergio Citti, Ninetto Davoli (photo ci-dessus)
Ramentevoir (1993, installation, Centre Pompidou, "Manifestes")
Que faire ? (bis) (1994, 59'), image/son/montage JAF, entretiens Jacques de Bonis, musique Jean Wiener, avec Jean Burles, Yves Clot
Ninetto le messager (1995, 28'), image Maurice Perrimond, montage Danielle Anezin, avec Ninetto Davoli
Le Talisman (1996, 4')
L'illusion (1997, 60') autour de L'illusion comique de Pierre Corneille montée par Jean-Marie Villégier, image JAF, montage Danielle Anezin
CinéMuse (1997, 13') avec Christine Hoffet
Mosso Mosso (Jean Rouch comme si...) (1998, 73'), image JAF et Gilberto Azevedo, Montage Danielle Anezin, avec Damouré Zika, Tallou Mouzourane, Hamidou Godye... et Jean Rouch
Le Commencement des lions (1998, 4') avec Martha Fieschi
Kaydia (Nouvelles impressions d'Afrique) (1998)
Le jeu des voyages (1987-2004, 20 heures!)
La fabrique du "Conte d'été" (2005, 90'), coréal. Françoise Etchegaray

jeudi 11 juin 2009

Au Pays Bigouden


Depuis que j'ai acheté cette carte postale il y a une vingtaine d'années, aucune n'est probablement plus de ce monde. Les jours de marché à Pont-Labbé, on rencontrait souvent des Bigoudennes. En voiture, elles étaient obligées de laisser sortir leur coiffe par le toit ouvrant de la 2CV ou bien elles penchaient la tête à s'en ficher le torticolis. Déjà que certaines marchaient toutes tordues, handicapées par une maladie de la hanche congénitale que l'on ne rencontre que dans la région... Les autres bretonnes disaient qu'une coiffe aussi haute ne pouvait être qu'un signe d'orgueil. En en voyant une passer, "C'en est pas aucune, toujours à faire du ton qu'elle est !" aurait dit une des vieilles dames sur le banc, à côté de la maison de Michèle. L'île Tudy est en fait une enclave Penn Sardin en Pays Bigouden.
Nous nous consolons en dévorant à marée basse des huîtres plates sauvages à même les rochers. Elsa m'a conseillé astucieusement de me munir d'un tournevis et d'un marteau. Pendant ce temps-là, Françoise croque des chapeaux chinois ou patèles qu'elle appelle arapèdes. Après ces délicieux hors-d'œuvre nous passons deux heures à déguster chacun une araignée de mer. Une salade de roquette et un Traou Mad plus tard, nous ne rêvons plus que de sieste ! Six heures plus tard, marée haute, l'eau est à 15°. Nous plongeons devant quelques papys emmitouflés. Gâteaux. On ne peut pas dire que nous faisons dans la dentelle.

mardi 26 mai 2009

Petit creux


Embouteillage du temps de travail. Ça se corse, je ne sais plus où donner de la tête pour trouver le temps d'écrire mes billets. La voiture ressemblait à un nuage, j'ai fait changer la durite en T et c'est reparti pour un tour après vingt deux ans de bons et loyaux services. Je croyais que ma couronne en or s'était soulevée, mais c'était la molaire en-dessous qui s'était effritée, je l'ai fait réparer et c'est reparti pour un tour de mâchoire. Là elle se réveille et cela me rend dingue. Toujours pas de machine à laver depuis un mois, maismoinscher ne respectant pas les délais, je me suis énervé par mail et c'est reparti pour un tour. Les gamins d'à côté ont tant insisté pour récupérer leur ballon qui écrabouille nos fleurs que je leur ai rendu et c'est reparti pour un tour. Je leur ai bien expliqué que je ne leur en voulais pas à eux, mais à moi de leur rendre chaque fois pour qu'ils recommencent à tout bousiller. C'était marrant quand ils ont reconnu ne pas pouvoir jouer au foot dans leur salon sans tout casser ni continuer à faire pousser des plantes dans leur jardin parce que cela demandait trop d'entretien. Et puis j'ai préparé l'envoi de ma newsletter puisque des news il devrait y en avoir demain ou jeudi et là ce sera reparti pour un tour. Dorothée m'a demandé de spécifier nos actualités parce qu'on semblait ne pas en avoir beaucoup à venir, la page de communication des Arts Décos ayant l'air vide, comme si on ne fichait rien, alors qu'Antoine s'escrime sur le programme du nouveau clapier, des v2 pour l'installation qui sera inaugurée le 24 juin, et que moi je cours partout, dans ma tête, avec mes jambes et en écrivant n'importe quoi, du moment que ça me vient sous les doigts pour remplir ce fichu billet que j'aurais bien remplacé par une image de hamac, histoire de respirer cinq minutes. Mais voilà, chaque fois que je voudrais m'allonger avec un bouquin, un journal ou ma mie, le téléphone sonne et il faut résoudre un nouveau problème et c'est reparti pour un tour. Il fait beau, mais je n'en profite que lorsque je pédale sur mon Brompton entre tous les rendez-vous, alors que déjà la météo annonce de l'orage et une chute de dix degrés, on croyait que c'était l'été mais c'est reparti pour un tour. Le temps que je me décide à aller admirer une fleur qui venait d'éclore la veille sur un des cactus de Marie-Laure et Sun Sun, elle était déjà flétrie. Je dois aller chercher Sacha pour commencer les répétitions avec Nicolas. Répétition n'est pas pour moi le terme adéquat même si c'est reparti pour un tour. C'est comme les élections européennes, un seul tour et ça repart. Il faut que je m'occupe de prendre des billets de train pour la Bretagne sinon ce sera encore fichu pour les vacances alors que nous serons bientôt à Quimper avec nos lapins v.1 (le 12 juin au Théâtre de Cornouaille). Et le pire c'est que j'oublie vraiment ce que j'ai à faire, que c'est déjà l'heure du dîner, que je suis affamé et que je n'ai rien préparé. Ah si, il faut que je vide les calamars ! Françoise prétend qu'il ne faut jamais annoncé une mauvaise nouvelle à un gars qui n'a rien mangé. J'y vais tout de suite, des fois que le téléphone sonne ou qu'elle ne m'ait pas tout dit...

jeudi 21 mai 2009

Carapaces


Nous terminions le mixage de Ciné-Romand que Françoise avait présenté en novembre dernier au Centre Pompidou dans une forme inachevée qu'on appelle un ours. À l'heure de la pause, Igor me montre un insecte dont nous ignorons le nom. En découvrant la photographie sur l'écran, nous apercevons ma silhouette qui se reflète sur les élytres. Je crois même y reconnaître les traits de mon visage...


Comme devant n'importe quel animal, je peux rester des heures à le regarder avancer, faire sa toilette, manger, disparaître... Il en est ainsi des paysages comme des visages et des corps. On ne se lasse pas de les admirer. La pause est salutaire. Le jardin pousse à vue d'œil. Je lève le nez pour voir trois soleils, celui qui se réfléchit dans les deux derniers murs récemment repeints en orange et Sun Sun qui me sourit depuis sa fenêtre. Nous habitons les uns pour les autres dans des maisons de poupées.

mardi 19 mai 2009

L'attaque de Martin Arnold


Ayant accompagné Françoise au Point Éphémère pour la signature de ses deux premiers DVD au Salon des éditeurs indépendants, j'ai fait quelques trouvailles dont les œuvres cinématographiques quasi complètes de Martin Arnold, un cinéaste autrichien qui rappelle étonnamment le Steve Reich des débuts lorsque le compositeur répétitif américain travaillait sur du "found footage" pour It's Gonna Rain ou Come Out. Ici rien de systématique, mais une science du cut-up microscopique et du bégaiement sémiologique à couper le souffle. Martin Arnold fait des boucles avec des films trouvés. Les photogrammes lui dictent des effets que son imagination cultive comme dans une champignonnière. Ondulations, glissements, flashbacks, renversements, kaléidoscopes, pas de deux diabolique dont on ne voudrait manquer aucun instant pour un en pire, parsèment Pièce touchée (1989), manège diabolique où le spectateur est pris d'un vertige hypnotique qui se développera de manière encore plus perverse dans les films suivants.


Pour Passage à l'acte (1993, ces deux premiers titres sont en français), l'artiste autrichien intègre le son à la boucle pour tailler un short (les films font chacun environ un quart d'heure) à la famille américaine et aux mâles dominants en pleine crise d'autorité. Si la scène devient cocasse, elle n'en demeure pas moins fascinante, hypnotique. Les effets stroboscopiques du "flicker film" ralentissant l'action génèrent une analyse cruelle du principe cinématographique. The Cineseizure, titre du DVD édité à Vienne par Index en partenariat avec Re:Voir, pourrait d'ailleurs se traduire "Ciné-attaque" comme dans une apoplexie.
Le troisième film de la trilogie (la suite des œuvres d'Arnold est constituée essentiellement d'installations), Alone. Life Wastes Andy Hardy (1998) détourne une comédie musicale avec une virulence inattendue. Mickey Rooney, mais plus encore Judy Garland sont torturés par le hachoir du cinéaste transformant en drame œdipien l'original par des tremblements où le mouvement des lèvres et le frémissement de la peau révèlent la sexualité refoulée des films de l'époque. Martin Arnold fait partie, comme Mark Rappoport, de ces entomologistes du cinéma qui en révèlent les beautés cachées, inconscientes et convulsives, sans ne jamais sortir du cadre.
Comme toujours, les films sont à voir sur grand écran pour que la magie fonctionne à plein. Le DVD offre en prime quelques "pubs" pas piquées des hannetons, de l'humoristique Jesus Walking On Screen à la douche de Vertigo pour la Viennale. Terriblement drôle et monstrueusement juste.

mardi 12 mai 2009

Ma main au feu


Même pas mal ! J'en ai déjà parlé, j'apprends à contrôler la douleur. Comme je ne suis pas masochiste et que je ne fais pas exprès de me faire mal, je ne peux pas tester mes théories quand ça me chante. Depuis quelques années, je travaille sur la brûlure jusqu'à non seulement ne plus la ressentir, mais ne même plus en avoir de trace. J'en étais si convaincu samedi que j'ai montré à ma compagne le mauvais endroit de ma main ! Pourtant un peu au-dessus, on voyait très bien la marque... Revenons en arrière jusqu'au grill que je touche en enfournant un poulet fumé à la mode chinoise. Ma peau ressemble alors à une viande dorée à souhait. Impressionnant. Je pose un glaçon illico sur la plaie pendant une dizaine de minutes tandis que j'étudie les sensations successives provoquées par la chaleur et le froid conjugués. J'enfile les adjectifs comme des perles sur le chapelet de mon imagination jusqu'à presque regretter de ne plus rien sentir. Quel autre secret possède le fakir qui marche sur des braises ? La brûlure finit par ressembler à celle du piment que j'affectionne plus que de raison. Je tiens l'analogie. Cela en devient agréable. La grosse sangsue rougeâtre devient un tatouage éphémère qui disparaîtra comme toutes les autres blessures. Enfin, presque toutes. J'ai sur la cuisse un coin de peau particulièrement doux qu'un bistouri dessina lorsque j'étais enfant. Comme si la leçon n'était pas suffisante, je plonge la même main dans les orties dont Françoise a besoin pour la soupe. Pas de trace cette fois, mais une anesthésie électrique et collante qui monte en pointe vers le poing. Stop. On arrête là les expériences. Aller dans le sens de la douleur, l'apprivoiser, rend ces déboires piquants et instructifs.

dimanche 10 mai 2009

Portraits en nuage de tags



Antoine Schmitt m'envoie mon nuage de tags (à gauche) que le site 123people.fr a compilé après qu'il ait tapé mon nom dans le champ de recherche.
Le moteur prétend explorer presque chaque recoin du Web pour vous aider à trouver des informations sur vos (futurs) proches. Grâce à (sa) technologie de recherche, trouvez les profils de vos amis, de connaissances ou de célébrités. Chaque profil 123people comporte des adresses email, des numéros de téléphone, des images, des vidéos, des profils issus de plateformes communautaires, de Wikipedia, et bien plus encore... Tous ces résultats sont automatisés et rassemblés en temps réel à votre demande spécifique. Aucune information n'est stockée et les adresses email, postales et les numéros de téléphone proviennent de banque de données publiques locales (France) et internationales.
Rien de très nouveau, pas de surprise, une googlisation classique donne même plus de résultats, à condition que l'on y passe du temps, tout dépendant de la notoriété de la personne et donc du nombre de pages que le site de recherche a indexées. Les agrégateurs de flux RSS comme Netvibes nous ont habitués à embrasser d'un coup d'œil les réponses que nous attendons. 123people accélère la recherche, résume et compile.
C'est évidemment la compilation qui est amusante, à l'image de l'outil "synthèse automatique" du logiciel Word qui résume un texte, le nuage de tags vous taille un costard en deux coups de cuillère à vous faire la peau.
Mon portrait au nuage de tags est plus fidèle que d'autres essais que j'ai ensuite réalisés en tapant le nom de mes camarades. Précédées opportunément par Musical et Instantané, mes casquettes de compositeur de musique et designer sonore me conviennent parfaitement après mon lien au Cinéma appuyé par L'image. La nature de mes productions (Disques Grrr, Cd-roms - souligné par la répétition !) précisent quelques uns de mes succès (Carton, Machiavel, Nabaztag, le Sniper, Alphabet et Drame pour Un Drame Musical Instantané). Mon attachement à Paris s'inscrit en lettres géantes, ma collaboration avec Nicolas Clauss occulte celle avec Antoine Schmitt, même si Machiavel est en bonne place et que le pluriel de lapins renvoie à notre Nabaz'mob ! Les choix mécaniques sont aussi arbitraires que s'ils avaient été décidés par un être de chair. Je pense aux absences, à commencer par ce blog qui m'occupe quotidiennement et, à côté de mon nuage de tags, je copie-colle celui de Françoise, aussi réussi, si si. Antoine précise "qu'il faut de la matière (beaucoup de pages et de texte) pour que l'algorithme fonctionne". À suivre (sic).

jeudi 7 mai 2009

La bande-annonce originale de Mix-Up


Hier j'évoquais les films de Luc Moullet, docu-fictions avec lesquels les films de Françoise Romand entretiennent quelque cousinage, par leur fantaisie et leur inclassabilité. Parfois leurs auteurs apparaîssent facétieusement à l'écran. S'ils partagent humour et auto-critique, la comparaison s'arrête là.
La bande-annonce de Mix-Up ou Méli-Mélo (1985), le premier film de Françoise Romand, figurera en bonus de son dernier film et DVD Ciné-Romand, le temps de finaliser tout cela. Le montage est enfin terminé. Il ne reste plus à Françoise qu'à fignoler les sous-titres anglais, à mes zigues d'en peaufiner le mixage, à Igor Juget d'en concocter l'authoring et à Étienne Mineur d'en créer la pochette, et le tour sera joué ! On ignore encore la date de sortie définitive du petit dernier, probablement la rentrée de septembre. Ciné-Romand (2009) avait été montré par les Cahiers du Cinéma au Centre Pompidou pour le Festival d'Automne dans une version intermédiaire, très différente de celle qui sortira. On sait seulement qu'un quatrième DVD le suivra avec Thème Je (2004), film sulfureux qui aurait risqué d'être compris de travers sans connaître le reste de l'œuvre de la cinéaste, actuellement au travail sur deux nouveaux projets de longs métrages. C'est rageant de ne pouvoir rien en révéler, ni des uns ni des autres. Juste l'eau à la bouche avec ce petit "trailer" inédit, retrouvé récemment par Françoise !
Et puis, si vous préférez voir les films en salle, Appelez-moi Madame (1986) sera projeté à Paris au Nouveau Latina, cinéma racheté par l'éditeur Carlotta, samedi 16 mai à 19h30, en présence de la réalisatrice. Unique projection. Le lendemain dimanche 17 mai au Point Éphémère, lors du Salon du DVD et des éditeurs indépendants de cinéma, elle signera le DVD Appelez-moi Madame à 15h sur le stand de Doriane et Mix-Up ou Méli-Mélo à 16h sur celui de Lowave.

vendredi 1 mai 2009

Dératés informatiques


Pause. C'est le jour ou jamais. Il a suffi que Françoise ouvre iTunes pour que son écran 24 pouces tout neuf se mette à faire des siennes. Chaque fois que je cliquais sur une partie de l'image il improvisait de nouvelles formes. C'était assez joli, mais plutôt inquiétant. Tout est revenu dans l'ordre après un redémarrage, mais j'avoue n'y comprendre rien. Pas plus que pour Cécile qui a reçu un drôle d'appel d'un type habitant Lyon, également chez Orange, qui venait de trouver dans sa boîte aux lettres l'intégralité des mails envoyés à Cécile depuis le 12 février !? C'est encore plus angoissant de penser que tous nos mails se promènent peut-être en copies quelque part sur le Net sans que l'on n'en sache rien. Imaginez que cela tombe en de mauvaises mains... Si quelqu'un a une explication, je suis preneur... C'est sans compter les mails importants qui tombent par erreur dans la boîte des indésirables sans que l'on sache pourquoi tout bouge soudain.

jeudi 23 avril 2009

Street View, comme si vous y étiez


Promenons-nous dans les rues pendant que Google n'y est pas, s'il y était il nous fil-me-rait ! Caroline, la nouvelle assistante de Françoise, nous a révélé une ressource récente de Google Maps hallucinante. Lancez le site. Tapez l'adresse d'une grande ville. Prenez le petit bonhomme tout jaune en haut à gauche et glissez-le à l'endroit où vous voulez vous rendre... Sur la carte de l'Europe, le personnage éclaire les villes qui ont été photographiées par une voiture équipée d'une drôle de caméra (photo). C'est impressionnant. On découvre la ville en 3D dans le moindre détail. La boussole permet de panoramiquer (on peut faire ça avec les quatre touches fléchées !). La loupe se rapproche de manière terrifiante. La visite virtuelle ne se fait évidemment pas en temps réel. Sur les images qui défilent notre mur d'enceinte n'est pas encore orange. La coccinelle Volkswagen est donc passée au printemps dernier avec sur son toit une caméra à onze objectifs suffisamment petite pour être transportée en sac à dos. La technologie utilisée est celle de Immersive Media, filmant les vidéos à 360 degrés en haute résolution et en mouvement, à 30ips. Sur Google Maps, la fonction s'appelle Street View.

mercredi 22 avril 2009

Caramba, encore raté !


Les vacances semblent bien compromises. Françoise présente Appelez-moi Madame en plein milieu du mois de mai au New Latina, elle n'a pas terminé la maquette de iKitchenEye et il reste pas mal de finitions sur Ciné-Romand qui doit sortir en DVD. Le mixage définitif devrait se faire la semaine prochaine, mais il reste encore certains sous-titres à réaliser, l'étalonnage et des petites bricoles. Ensuite il faudra préparer les éléments du DVD pour qu'Étienne puisse en faire la maquette à son retour d'Australie. Je vais essayer d'arracher quelques jours quelque part de quelque manière, mais rien n'est gagné. Comme la perspective s'éloigne jour après jour, je n'ai plus qu'à rêver de contrées lointaines, de parfums exotiques, de vols long courrier, de bruits de jungle, de saveurs inédites, de langues inconnues, de rien, la vacance ! Je pourrais toujours proposer un petit séjour à Lisbonne ou Barcelone, nous n'y sommes jamais allés ensemble... Françoise, si tu lis ce billet, tu sais ce qu'il te reste à faire ! Nous n'arrivons pas à décrocher. Lorsque ce n'est pas l'un, c'est l'autre. Moins j'ai de contraintes de planning, plus je m'escrime. Le travail programmé me donne bonne conscience et me permet de prendre le large plus facilement. Dès que les rendez-vous remplissent la grille, nous sommes cuits. J'aurais préférer aller me dorer le mou au soleil, fut-il islandais. C'est partie remise... Pourtant, prendre des distances est toujours salutaire. Une remise à zéro du compteur, ou plutôt du conteur, et c'est reparti pour un tour ! Et puis c'est plus sympa que de devoir s'arrêter en tombant malade, non ? Enfin, on verra bien...

samedi 18 avril 2009

Le yaourt en deux coups de cuillère à pot


Je suis dans le yaourt. Je recommence à ne pas dormir, alors je rêve tout haut et cela me donne l'idée de donner la recette toute simple du yaourt que Françoise concocte régulièrement. Lorsque j'étais tout jeune homme, mes parents m'offrirent une yaourtière. Je sucrais les pots et l'opération de remplissage était le moment fatidique pour ne pas en coller à côté. Je ne vous parle pas du nettoyage des huit pots, la moindre trace risquant de sentir le fromage. Françoise ne s'en embarrasse pas, adepte du saladier dans lequel on va puiser à la cuillère à soupe. Elle remplit donc une casserole de 3 litres de lait frais entier (à défaut de vrai lait frais, j'achète du micro-filtré, mais tous les laits conviennent à la recette) qu'elle porte à ébullition. Éviter de vaquer à des occupations prenantes qui vous font oublier que le lait déborde si on ne l'arrête pas instantanément !
Après avoir enlevé la casserole du feu, attendre qu'il refroidisse entre 38° et 45°. Si l'on n'a pas de thermomètre, on peut tremper son doigt dedans : la chaleur doit être supportable, légèrement supérieure à celle du corps. Ajouter un peu de yaourt, pas besoin de mettre tout le pot, et mélanger avec une cuillère en bois. Verser le mélange dans le saladier. Couvrir et entourer d'une couverture, duvet ou anorak et attendre qu'il refroidisse. Surtout ne pas le bouger avant terme, les secousses sont fatales. Si on fait cela le soir, on attendra le matin pour le mettre au réfrigérateur. Il ne reste plus qu'à se goinfrer.
C'était la pause du week-end. Je prends ma photo avant d'enfoncer la cuillère !

mercredi 8 avril 2009

Kréyol Factory, black and proud


À l'entrée de Kréyol Factory qui se tiendra jusqu'au 5 juillet à la Grande Halle de la Villette, je suis saisi par une citation de Patrick Chamoiseau qui éclairera ma visite de l'exposition : Quand les colons européens parvinrent aux Antilles, ils trouvèrent des Caraïbes, des survivants arawaks. Débarquant, le premier geste de ces "Découvreurs" fut de reproduire l'esprit-village continental : planter drapeau et croix, prendre possession du sol, nommer, poser chapelle, dresser fortins, installer une souche de peuplement. Cette pratique s'opposera à celle des Caraïbes. Pour ces derniers, les îles n'étaient pas des isolats, mais les pôles d'un séjour archipélique au long duquel, de rivage en rivage, au gré des événements, des fêtes et des alliances, ils naviguaient sans cesse. Leur espace englobait l'archipel et touchait aux lèvres continentales. Pour eux, la mer liait, et reliait, précipitait en relations. Le colon européen, lui, se barricade dans l'île : rival des autres fauves colonialistes, il élève des remparts, dessine des frontières, des couleurs nationales, il divise, s'enracine, confère force religieuse à son enracinement : il crée un Territoire. Il scelle dans sa tête les barreaux de l'exil. Loin de sa source natale, il se vit à l'écart, et fonde l'acceptation dominante de l'insularité.
Une soixantaine d'artistes contemporains réfléchissent l'histoire de la créolisation, de la colonisation à l'exploitation. L'actualité la plus brûlante, avec, entre autres, la grève guadeloupéenne, renforce d'autant l'affirmation d'une culture forte, résistante et critique. C'est l'anti-Quai Branly. Les cris de rage s'opposent aux collections du musée colonial. Ici les œuvres jouent du sac et du ressac, les vagues ravivant les racines amérindiennes, l'esclavage et la misère. L'Océan indien aussi a fourni son lot de déracinés. Après ces traversées, l'exposition attaque directement au nœud freudien de la virilité en abordant le trouble des genres, comment se transmet une culture, puis comment elle se rêve... Passé l'évocation des tribus arawaks massacrées, l'Afrique s'exporte dans les mythes du vaudou haïtien et les rythmes du calypso et du gwo-ka. Le métissage et les mélanges marquent les "Nouveaux Mondes" de leur empreinte. Il n'y a pas que les Caraïbes, au-dessus des océans les étoiles dessinent d'étranges figures qui relient la Réunion, l'île Maurice, la Guyane et les grandes métropoles où les communautés ont parfois élu nouveau domicile, un "chez soi - de loin".


La plupart des œuvres sont magnifiques et nous permettent de découvrir des artistes majeurs trop peu exposés. Quelle claque si l'on compare avec les insipidités des récentes expositions contemporaines ou les galeries prétentieuses qui ne font que nous renvoyer à la vacuité d'un mondialisme stérilisant ! Nous sommes loin du Trocadéro et de la Maison Rouge... Sobre et élégante, la scénographie de Raymond Sarti fait ressortir les couleurs qui nous explosent à la figure. La déambulation est remarquable, nous laissant glisser d'île en île sur les rouleaux d'une vague de carton où flottent de gigantesques containers de tôle ondulée. Il me manque les sons que ce bouquet de fleurs paradisiaques ou vénéneuses suscite en moi et qui auraient permis que nous décollions littéralement. Les textes peints sur les murs remplissent ce besoin, et il faudra évidemment que j'y retourne pour voir les films projetés dans les tours de zinc, pour relire les voix de Aimé Césaire, Édouard Glissant, Stuart Hall, Daniel Maximin, Raphaël Confiant, Françoise Vergès, Frantz Fanon ou Chamoiseau, pour m'imprégner des pièces que j'ai négligées à ma première visite. Je garde en mémoire la forte émotion produite par les centaines de tongues ramassées sur la plage et serties de fil de fer barbelé de Tony Capellan, la beauté des tableaux de Marcel Pinas composés d'ustensiles de cuisine, la violence des 210 000 douilles qui transforment en ruche mortelle la carrosserie de Limber Vilorio, la tête contre les murs de Jorge Pineda, les photos transgenres de Lyle Ashton Harris, le bateau de Jean-François Boclé dans l'obscurité d'un fond de cale et les 33 figures de femmes accrochées de Belkis Ramirez... Toutes les œuvres, récentes, témoignent de la vivacité de ces cultures fortes qui assument leur passé tragique les yeux fixés sur un avenir entièrement à inventer. L'ensemble est une des expositions les plus politiques que j'ai eu l'occasion de voir depuis longtemps.

vendredi 3 avril 2009

Appel à boycott


La loi Hadopi est passée à l'Assemblée, essentiellement votée par la droite et rejetée par les partis dits de gauche. L'industrie discographique et cinématographique avait réussi son travail de lobbying auprès des sociétés d'auteurs (mes sociétés !) pour les entraîner dans cette voie liberticide, et contre les sociétés d'interprètes (mes sociétés également puisque je fais autant partie de la Spedidam et de l'Adami que de la Sacem, de la Sacd et de la Scam !). En parlant de privation de libertés, je n'évoque pas celui de télécharger librement sans rémunérer les artistes (j'ai défendu ici même la licence globale : 1 2 3), mais la loi, au demeurant inapplicable, est la porte ouverte au contrôle des échanges sur Internet. Rappelons que la semaine dernière le Parlement européen a considéré que "garantir l'accès à tous les citoyens à Internet équivaut à garantir l'accès de tous les citoyens à l'éducation" et adopté un rapport sur "la sécurité et les libertés sur Internet". On a pu lire ici et les raisons de s'opposer catégoriquement à Hadopi. Les artistes qui ont soutenu cette loi se sont fourvoyés en pensant qu'il s'agissait simplement de défendre son bout de gras. Il y avait d'autres façons de le faire que de jouer les collabos avec un système répressif qui encourage à désobéir en brouillant son identification (l'IP flottant ou délocalisé), à tester de nouveaux modes qui échappent à la loi (le streaming se développe : on regarde un film en temps réel sans télécharger) ou qui sont légaux (Deezer a signé un accord avec la Sacem et permet d'écouter tout ce qu'on veut sans que les artistes ne voient la couleur de leur argent), et j'imagine que les faussaires s'en donneront à cœur joie tant la tentation est grande de résister à cette loi aussi dangereuse qu'inapplicable. Le système envisagé permet tous les abus et les internautes auront peu de moyens pour se défendre en cas d'erreur par exemple. Il suffira aussi au pouvoir d'invoquer cette loi pour couper la connexion à Internet à qui il le souhaite. Nous entrons dans une ère où la répression va pouvoir s'épanouir. Et ce avec la caution d'un grand nombre d'artistes dont on trouvera la liste sur le site de la Sacem.
Je n'ai jamais apprécié les collabos, qu'il le soit devenu par conviction ou par inconscience. Aussi je décide de boycotter les disques et les films des signataires à commencer par ceux qui sont montés en première ligne pour défendre leurs petits intérêts égoïstes au détriment du bon sens et de l'intérêt général. Je me prive ainsi de Aldebert, Arthur H, William Baldé, Agnès Bihl, Bertrand Burgalat, Jean-Patrick Capdevielle, Bernard Cavanna, Alain Chamfort, Dany, Daphné, Da Silva, Thomas Dutronc, Jean Fauque, Gotan Project, Françoise Hardy, Icare, Louisy Joseph, Philippe Lavil, Maxime Le Forestier, Claude Lemesle, Renan Luce, Didier Lockwood, Christophe Mae, Ridan, Sanseverino, Yves Simon, Stanislas, Tété, et au cinéma, Jean-Jacques Annaud, Christian Carion, Jean-Claude Carrière, Alain Corneau, Radu Milhaileanu, William Karel... La liste est hélas beaucoup plus longue, mais chaque fois que j'apprendrai qu'un ancien camarade a permis de faire passer cette loi mortifère, je me priverai de son art. C'est une bonne manière de faire le tri en cette époque où plus que jamais il va falloir se serrer les coudes contre la réaction et l'obscurantisme.

lundi 30 mars 2009

Faire semblant


Je fais semblant de ne rien dire comme le lutin fait mine de sauter. En réalité je lui prends la main et nous pensons à autre chose...! Le week-end m'a trop accaparé dans ma recherche d'incunables. La moisson a dépassé mes espérances : Les quatre nuits d'un rêveur de Bresson et son premier court-métrage, une comédie intitulée Les affaires publiques, deux films retenus par sa veuve, cinq épisodes de France tour détour deux enfants de Godard que je n'ai pas vus depuis 1977, Une femme mariée dont je voulais montrer aux étudiants la séquence du café avec le son off, onze courts de Bruce Conner puisque A Movie est déjà un de mes films préférés, dix de Pascal Aubier que je découvre, Crime et châtiment de von Sternberg avec Peter Lorre, Safe de Todd Haynes dont Françoise m'a parlé, plusieurs longs de Vera Chytilova qui mériterait franchement qu'on lui rende justice (Les petites marguerites, c'est elle !), quatre Fuller dont Park Row et Dead Pigeon in Beethoven Street que je cherche depuis que je l'ai vu lorsque j'étais étudiant à l'Idhec, deux Denys Arcand... J'ai commandé aussi Prometheus' Garden de Bruce Bickford, l'animateur dément qui travailla avec Frank Zappa et un second DVD, Monster Road, consacré à son travail en animation d'argile le plus époustouflant que l'on puisse imaginer... Donc ça existe, souvent sans sous-titres pour les films étrangers, il suffit de chercher, parfois très longtemps, mais la course au trésor finit par porter ses fruits ! Il faudra encore avoir le temps de tout regarder et je reviens pour un petit compte rendu.

mercredi 25 mars 2009

Flash back et remix


Votre solidarité m'encourage à me détendre. Je peux m'allonger lire, à en oublier d'écrire. Je me rejoue la scène de la plage de galets en bas de l'échelle. C'est plus haut que ça en a l'air. C'est surtout très grand avec une colonie de goélands seuls face à l'horizon. C'est loin. C'est déjà loin. Mais à seulement deux heures de Paris.
En réalité, Françoise me demande de regarder l'état du montage de Ciné-Romand. Igor et elle ont tout bouleversé. La version projetée au Centre Pompidou n'en montrait que les prémices. Elle a choisi d'autres plans, incorporé les spectateurs à la fiction, utilisé la distance critique des webcams en cherchant les correspondances entre les différents films.
Je profite aussi de ce jour chômé pour "lire" un copieux et passionnant billet sur Poptronics accompagné de séquences exclusives filmées par Chris Marker et intitulé C’est les luttes virales, groupons-nous et demain.... Annick Rivoire y recense les actions inventives des grévistes et résistants au sarkozisme destructeur. C'est bourré d'images et de liens précieux.

samedi 7 mars 2009

... All the Marbles (Deux filles au tapis)


Comment peut-on passer à côté d'œuvres magnifiques sans les voir ? En cherchant des informations sur le dernier film de Robert Aldrich que j'ai exhumé de ma vidéothèque VHS pour le montrer à Françoise qui a évidemment biché pendant toute la projection, j'en étais presque déprimé. En 1981, ... All the Marbles, sorti en France sous le titre Deux filles au tapis, était probablement trop en avance sur son temps pour être remarqué à sa juste valeur. Les critiques y ont vu un film misogyne alors que n'importe quelle féministe jubilerait d'admirer les California Dolls cogner sur l'arbitre pourri et qu'il n'y en a pas une trace ni dans le scénario ni dans la réalisation. Bien au contraire, Aldrich, en filmant ces filles hors du commun, montre le statut des femmes dans une société corrompue qui vacille dès que l'on n'en respecte pas les conventions. D'autres parlent d'une comédie invraisemblable quand il s'agit d'un des meilleurs films réalisés sur le catch, très loin des tics éculés de The Wrestler d'Aronofsky. D'abord il y a le décor, villes du Nord des États-Unis dont on ne voit que les banlieues grises, motels miteux, autoroutes uniformes, tandis que l'on entend en off les savoureux dialogues à l'intérieur de la vieille voiture du manager dévoué et roublard. Aussi extraordinaire que chez son ami Cassavetes, Peter Falk y tient là un de ses meilleurs rôles, avec ses California Dolls, deux filles un peu paumées qui aiment comme lui leur travail, le catch à quatre pour la beauté du sport, filmé magnifiquement par Aldrich. J'ai l'impression de regarder un match à la télé comme lorsque j'étais petit. Évidemment c'est drôle, mais chaque scène est poignante, sur le ring comme hors piste. ... All the Marbles montre la veulerie des hommes et le courage des femmes, la pudeur des uns et le sacrifice des autres, le besoin de réussir pour elles qui ne sont qu'objet de désir pour les mâles. Aldrich a payé cher son indépendance de vue, viré d'Holywood pendant des années. Il évite les clichés racistes sur les indiens de Bronco Apache, montre les héros crapuleux de Vera Cruz, fustige le maccarthysme dans Kis Me Deadly (En quatrième vitesse) avec son Mickey Spillane en détective facho brutal, taille un costard aux producteurs de cinéma dans The Big Knife (Le grand couteau), dénonce la violence des hommes dans la guerre avec Les douze salopards, leur déshumanisation, la barbarie...

Comment peut-on passer à côté d'œuvres magnifiques sans les voir ? Je me repose la question en pensant à Anathan de Josef von Sternberg, à 7 Women (Frontière chinoise) de John Ford, à Gertrud de Dreyer, à L'innocente de Visconti (encore quatre derniers films, des films de vieux !), à Convoi de femmes de Wellman, à Leo the Last de Boorman, à La symphonie des brigands de Feher ou aux 5000 doigts du Dr T de Rowland... Les connaisseurs appellent ces œuvres méconnues ou malaimées des films-culte !
Des cinéastes sont souvent méprisés pour de mauvaises raisons : Agnès Varda a beau récolter les faveurs du public et les récompenses je suis toujours étonné du mépris d'une grande partie de la profession, c'est une femme ; Jean Cocteau continue à subir l'anathème des surréalistes probablement dûe à son homosexualité déclarée, je ne vois aucune autre explication ; Jacques Rozier a ramé toute sa vie ; pourquoi Jacques Becker ou Jean Grémillon n'ont-ils pas la renommée d'un Jean Renoir ? Jusqu'à peu Michael Powell était inconnu dans notre pays. Parfois des histoires de droits bloquent les films ; connaissez-vous La nuit du carrefour de Renoir ? Les films de Pierre Etaix sont scandaleusement coincés par un contrat assassin. Quand je pense que les chaînes de télévision publique repassent sempiternellement les mêmes longs métrages, cela me met en rogne...

mercredi 4 mars 2009

Jour de claque


Hier fut une journée catastrophique pour le porte-monnaie. Françoise lança les hostilités en renouvelant sa station de travail FinalCut, son vieux Mac ayant atteint sa huitième année (attention, un nouveau MacPro est sorti hier). De mon côté, conseillé par Sacha, je craquai pour un KaosPad 3, multi-effet qui redonnera un coup de jeune à mon clavier VFX-SD dont les bidouillages en temps réel ont fini par me paraître limités après vingt ans de pratique ! Nous avons ensuite marché main dans la main jusqu'au trottoir d'en face pour nous offrir de nouvelles lunettes, les siennes sont vertes, les miennes bleues, dans les deux cas fines montures modernes et métalliques qui nous feront voir la vie en rose, du moins l'espérons-nous. Heureusement la ristourne en rapport avec notre grand âge et nos mutuelles respectives atténuent la douloureuse.


Françoise marchande ensuite d'autres sortes de paires chez Anatomica. Elle craque, entre autres, pour des Mogami de chez Trippen qu'elle aura du mal à porter à bicyclette ou à emporter dans sa valise, look japonais qui lui fait gagner huit centimètres en s'y sentant étonnamment confortable comme avec toutes ces chaussures de fabrication allemande à la semelle anatomique. En enfilant mes Kajax dorées j'ai l'impression d'être dans les sandales d'Aladin. Cette fois, les vendeurs sont adorables et rigolent des facéties de ma compagne essayant bottines sur mocassins, aussi profitons-en ! Depuis que je me chausse ergonomiquement ma fatigue est divisée par deux, et la plasticité des Trippen (voyez leur site) montre nettement plus de fantaisie et d'invention que mes sempiternelles sandales Birkenstock que j'ai l'habitude de porter à la maison ou bien l'été (j'en ai tout de même racheté une paire, les vieilles commençaient à sentir mauvais à force d'y suer nu-pieds). Chaque fois que je sais que je vais rester longtemps debout, j'opte pour ces chaussures dont la semelle épouse la voûte plantaire. Pour s'être comprimé les orteils dans des souliers trop étroits nos arpions se déforment, et à la longue le dos morfle monstrueusement. Question de culture. Aussi solides qu'astucieuses, leur coût vaut le coup. On ne peut pas toujours imaginer où le progrès va se nicher !

samedi 28 février 2009

L'invasion des climatiseurs en devanture


Depuis la canicule le syndrome des climatiseurs envahit progressivement la France, défigurant les façades de leurs verrues métalliques et bruyantes. S'ils n'ont pourtant pas été d'une grande utilité depuis l'alerte de l'été 2003, cela n'empêche pas les sociétés pollueuses qui les fabriquent ou les installent de fleurir comme des furoncles sur le dos de la peur. Le décret timide qui en réglemente l'usage, publié le 21 mars 2007 au Journal Officiel et en vigueur depuis le 1er juillet, recommande de n'utiliser ces systèmes de refroidissement qu'au-dessus de 26° pour en réduire la consommation d'énergie délirante, incitant à limiter ainsi l'émission des gaz à effet de serre et le réchauffement climatique qu'ils occasionnent. Trois véhicules neufs sur quatre en sont déjà équipés, augmentant considérablement la dépense d'énergie. EDF, dans un discours totalement cynique, espère que cette habitude va se propager aux habitations individuelles et collectives. Aux États-Unis, dans nombreux pays d'Asie, les rues en sont infestées, générant un bruit permanent tel qu'il empêche d'ouvrir les fenêtres si l'on pensait avoir le choix en créant un courant d'air. C'est ce bruit qui angoisse Françoise tandis que des installateurs sont en train de poser deux de ces maudits appareils sur le toit de l'entreprise qui surplombe le jardin et jouxte les fenêtres des chambres. D'autant que ces systèmes fonctionneront sans cesse puisqu'ils peuvent servir de chauffage le reste de l'année ! Elle exige déjà des taxis qui nous véhiculent d'arrêter l'air conditionné quand nous en empruntons. À New York, on attrape la crève l'été à pénétrer en tenue légère dans des bâtiments frigorifiés et l'hiver dans des lieux surchauffés alors que l'on est bien couverts. L'Agence Régionale de l'Environnement a publié un petit dossier instructif sur le sujet. L'automobile a défiguré les artères de nos villes, c'est au tour des climatiseurs de s'attaquer aux façades. La perversité du système, c'est que le pseudo confort qu'ils offrent (installation et consommation onéreuses) en rafraîchissant l'air intérieur fait monter la température extérieure, générant la demande de rafraîchissement intérieure ! L'air conditionné est donc une drogue nocive produisant une accoutumance dangereuse pour la santé, le porte-feuilles et la planète. J'imagine déjà une réplique pour saboter ce fléau comme Bourvil s'attaquait aux antennes de télévision dans La grande lessive de Jean-Pierre Mocky. "Caramba, encore raté !". Je crains de prêcher dans le désert, là où il n'y a aucun cerveau disponible à bourrer et où l'électricité n'a pas droit de cité. Si ça fulmine sous nos crânes, faudra-t-il encore s'habituer à vivre en face de l'absurde et du gâchis ?

vendredi 27 février 2009

En quête de mes doubles


Si je n'ai pas reproduit le système initiatique qui me fut transmis par Jean-André Fieschi, lui-même instruit par l'écrivain Claude Ollier, je n'en ai pas moins toujours cherché mes doubles, d'autres moi-même en somme parmi les générations qui me suivent. Ne rêvant pas d'en faire à leur tour mes élèves, j'ai préféré les considérer comme des collaborateurs avec qui partager mes jeux. Le désir de revivre sans nostalgie les épisodes passés de ma jeunesse, probablement de la comprendre, la tendresse complaisante que j'éprouve pour mon passé, m'ont souvent poussé vers celles et ceux avec qui je sens des points communs, ce qui les différencie a priori de mes compléments, pièces d'un puzzle dont l'équilibre est la clef de voûte. Aucun pseudo double ne peut pour autant être autrement qu'un complément et chaque complément est à sa manière un autre double. Mais je sens bien la différence entre les opposés qui s'attirent et les semblables qui partagent. Bernard Vitet et Francis Gorgé incarnent l'accord parfait de trois individus radicalement différent embarqués sur le même navire, en l'occurrence Un Drame Musical Instantané, près de quarante d'amitié, trois tiers d'Un dmi, pour jouer sur les mots comme sur les touches. 3/3 d'1/2 est d'ailleurs le titre que je donnai à l'une des pièces de l'album Machiavel après que nous ayons découpé en trois les vinyles du Drame pour en reconstituer un seul sur la platine tourne-disques ! La joie fut immense de marcher ensemble, de tout casser parfois, de reconstruire aussi le monde à nos mesures, microscopique dans les effets, immense par nos ambitions de rêveurs. Il en fut de même avec mes compagnes et aujourd'hui Françoise réfléchit ma face cachée comme un criquet bienveillant à l'affût de mes faux pas, qu'elle le veuille ou non.
Pourtant la tendresse que j'éprouvai, par exemple, pour les élucubrations instrumentales d'Hélène Sage, les constructions provocantes d'Ève Risser, la rigueur obsessionnelle de Laure Nbataï, la fantaisie gastronomique de Sacha Gattino, la soif d'apprendre d'Antonin Tri Hoang, sans oublier ma propre fille, ne ressembla jamais à la fascination que je ressentais pour les autres, ceux qui savent ce dont j'ignore tout, les peintres, les conteurs, les virtuoses, les ouvriers, les ingénieurs, les voyous... Mes doubles m'émeuvent, mes compléments m'épatent. Les uns valident mes choix, les autres les certifient. Tous à la fois me rassurent et me font marcher au bord d'un précipice où l'écho me demande d'abord qui je suis.

lundi 23 février 2009

Une force de la nature


Françoise a rapporté ces deux images du Palais Lumière à La Ciotat. Les platanes digèrent calmement leurs prothèses, ouvrant de nouvelles perspectives aux bords des routes. Que cachent les autres arbres lorsque leurs cicatrices se sont refermées ? Quels vestiges sauver avant qu'ils ne les digèrent complètement ? Dans la résidence méditerranéenne des frères lyonnais, les poches kangourou laissent entrevoir les signes dérisoires d'une époque qui finira par disparaître. Combien de temps a-t-il fallu ? Combien en reste-t-il ?

vendredi 6 février 2009

Les cloches du Drame


Il y a vingt-six ans, Bernard Vitet construisait un clavier de cloches tubulaires pour le répertoire du grand orchestre d'Un Drame Musical Instantané. Il trouvait intéressant d'entretenir la résonance des cloches en les posant à plat tel un vibraphone plutôt que de les suspendre sur un portique comme dans les orchestres symphoniques. On peut l'entendre dans le disque Les bons contes font les bons amis, sur les pièces Ne pas être admiré, être cru et Révolutions. Durant quelques années nous l'avions prêté à Gérard Siracusa qui avait tenu un des deux pupitres de percussion. Je l'ai retrouvé chez Bernard où il encombrait son studio. J'ignore encore où je vais stocker l'imposante valise qui lui sert de caisse de résonance que l'on place sur des tréteaux pour en jouer. Les seize tubes en métal du la bémol au do sont posés sur du polystyrène qui à sa connaissance est le meilleur matériau pour cet usage, analogue à l'air contenu dans une caisse de violoncelle. On en joue par exemple avec des baguettes sur lesquelles on a collé des superballs entourées de mousse ou des mailloches dures et feutrées. Sur la photo de 1983 ci-dessous, la caisse en bois trapézoïdale, également façonnée par Bernard avec longue poignée élégante et roulettes, est à sa droite, le long de la paroi du monte-charges. Je ne suis pas très rassuré de voir mon camarade suspendu en l'air par un câble, accompagnant une partie de notre matériel dont les trompes qui font aussi partie de sa lutherie originale, des tubes en PVC avec entonnoirs en guise de pavillons.


Bernard a conçu de nombreux claviers accordés avec des objets très divers. Dans le parc en plein air de St Quentin-en-Yvelines il posa d'immenses lames de marimba au-dessus d'une fosse pour que les enfants en jouent en sautant dessus. Dans le cadre des Gémeaux à Sceaux, il a également été l'initiateur d'étonnantes parties de tennis-poêles (accordées) avec blackballs. Le proviseur qui l'avait engagé avec Françoise Achard fut l'objet d'innombrables plaintes du voisinage. Plus tard, lors de la création du Unit avec Michel Portal il inventa le clavier de poêles à frire que Bernard Lubat s'empressa d'imiter aussitôt. Pour l'opéra Histoire de loups de Georges Aperghis, il avait construit avec Bruno Schnebelin des claviers de limes de toutes tailles et des gongs réalisés à partir de panneaux de signalisation récupérés dans la rue ! J'aurais bien aimé installer le Dragon qui figurait dans les spectacles avec Françoise Achard et que Bernard enregistra pour son disque Mehr Licht !, mais mon propre studio n'y suffirait pas, tant en hauteur qu'en largeur ; c'est un balafon géant avec des résonateurs en résine de polyester (les moules étaient des ballons de football gonflés à la bonne taille) munis de membranes en plastique pour les timbres ; son mât est équipé d'un clavier de pot de fleurs et les haubans de différents métallophones. Les pots de terre pendent aujourd'hui dans les archives et je peux en jouer de temps en temps à condition de grimper sur une échelle...

vendredi 2 janvier 2009

Entretien audio en 9 chapitres sur le design sonore


En prévision de la conférence du 22 janvier prochain organisée par les Designers Interactifs à l'ENSCI en compagnie de Nicolas Misdariis et Roland Cahen, j'ai répondu aux questions de Xavier Collet qui introduit ainsi les neuf chapitres de notre entretien que j'ai découvert hier grâce à un mail d'avertissement automatique de Google :
"Nous vous proposons de découvrir aujourd’hui l’interview de Jean-Jacques Birgé, designer sonore, compositeur, cinéaste et également pionnier de la création “multimédia”. L’épaisseur du personnage a influencé la forme de cette entrevue. Nous devions parler design sonore et médias interactifs, mais chez Jean-Jacques Birgé, toute pratique artistique ou de design s’inscrit dans une démarche globale qui transcende les disciplines, les styles, les écoles, une démarche qui questionne la société, une démarche qui s’engage, s’affirme et qui est capable d’inventer sa propre place dans le monde.
Ainsi le format de l’interview est, comme la précédente, divisée en questions, car il fallait bien un cadre, mais celles-ci se prolongent dans des digressions, des anecdotes qui sont le témoignage d’une vie consacrée à l’art, au design et à la recherche d’une vérité personnelle. Une interview pleine de sincérité et d’humanité en ces temps Orwelliens de manipulation généralisée et de barbarie économique."
C'est amusant, Xavier Collet a souvent terminé les chapitres qu'il a découpés par l'un de mes éclats de rire. L'ensemble des neuf chapitres dure moins d'une heure, alors que mon intervention devra durer seulement quinze minutes avant de retrouver mes collègues autour d'une table ronde. Je l'ai donc structurée en trois parties de cinq minutes qui me laissent libre d'improviser. Après une très courte présentation autobiographique, je compte expliquer comment j’en suis arrivé au design sonore, à Nabaztag (c'est la commande) et aux choix qui s'y rapportent (voix féminine, charte sonore, identifiants de connexion…). Je commenterai ensuite une succession d’exemples sonores déjà montés entrecoupés de silences, espérant que l'enregistrement saura m'interrompre avec humour et à propos, le temps ramassé induisant un duel plus qu'un dialogue. Je crains trop les interventions figées où je m'endors comme tout un chacun, les projections illustratives type PowerPoint et les éternels ressassements. Le quart d'heure ne permettant pas la digression, j'envisage ma prestation comme un challenge scénique qui me fiche la trouille, ce qui est toujours de bonne augure, un juste équilibre entre la confiance et le risque. Je terminerai en évoquant Nabaz'mob, l’opéra pour 100 lapins avec en coda le petit film de la création avec Antoine Schmitt réalisé par Françoise Romand.

Photo © Aldo Sperber 2008

samedi 27 décembre 2008

Des barreaux aux fenêtres


Depuis trois ans nous avons regardé se construire les lofts en face de chez nous et nos nouveaux voisins s'installer les uns après les autres. Des liens d'amitié se sont créés avec certains. Nous attendons le moment opportun pour faire la connaissance de ceux avec qui nous avons de nombreux amis communs. Les rapports de voisinage sont toujours des questions épineuses. Je me souviens de cette adage sarajevien du temps du Siège : "Dieu te demandera ce qu'il en était de ton voisin et de ton chien." Une de mes voisines ne m'adresse plus la parole depuis huit ans, nous partageons le strict minimum avec ceux qui entretiennent un repli communautaire, la glace se dégèle avec d'autres, mon chat va bien et j'évite soigneusement tout contact avec le prétendu Grand Horloger, la pire crapule de bande dessinée que les humains aient inventée...
Tous les appartements d'en face ne sont pas encore habités. Regardant les ouvriers poser des barreaux à toutes les fenêtres du rez-de-chaussée du lot qui fait l'angle, je suis tombé dans un abîme de perplexité tant l'impression de voir s'ériger une prison m'agresse chaque fois que je mets le nez à la fenêtre. La paranoïa se justifie-t-elle ou est-ce un délire sécuritaire ? Qu'est-ce qui peut bien pousser une famille à vivre derrière des barreaux ? Craignent-ils pour leurs avoirs ? Bijoux, tableaux, signes extérieurs de richesse visibles depuis la rue ? Aiment-ils seulement vivre toutes fenêtres ouvertes, hiver comme été ? Si la plupart de leurs voisins ont opacifié la partie à hauteur d'homme en collant un film sur les vitres, l'un d'entre eux ne s'en est même pas donné le mal, estimant que le passage dans la rue était si rare, surtout la nuit, que rien ne justifiait d'empêcher la lumière de filtrer. Alors ? Le 93 a-t-il si mauvaise presse qu'il nécessite de se mettre en cage ? Les grandes fenêtres sont pourtant conçues contre les effractions, sinon je comprendrais. Des volets exigent qu'on les ouvre et qu'on les ferme, train-train quotidien qui pourrait mettre la puce à l'oreille des voleurs. Je louai, dans l'ancien temps, une maison dont l'une des fenêtres était grillagées. La pièce était sinistre, impression claustrophobe de vivre dans un commissariat. Françoise dit que ce n'est pas sympa pour les autres qui risquent de se faire cambrioler plus facilement, les voyous préférant s'attaquer au plus facile, tout devant être "bouclé" en moins de quelques minutes. A contrario, n'est-ce pas indiquer là où l'enjeu en vaut la chandelle ? Leur assurance exige-t-elle ces dispositions, mais alors quid des quatre autres rez-de-chaussée ? Il est vrai que l'aération n'a peut-être pas été réfléchie. N'y avait-il d'autre solution ? Quoi qu'il en soit la vue de ces barreaux me rend triste chaque fois que je me penche... J'y vois les dents serrées, un filtre inamovible, une muselière qu'il faudra penser électrifier quand les garçons sauvages s'approcheront de la capitale...

mercredi 17 décembre 2008

Le plus grand escroc du siècle ne serait qu'un amateur


Françoise me fait remarquer qu'il est étrange de reprocher à Bernard Madoff d'être le plus grand escroc du siècle sous prétexte que laissant espérer des profits juteux à ses pigeons il était incapable de rembourser tous ses "actionnaires" alors que tout le système bancaire fonctionne sur la même arnaque. Il avait l'habitude de rembourser cash ceux qui l'exigeaient, mais n'avait pas prévu que la crise génèrerait une demande telle qu'elle dévoilerait le pot aux roses. Si demain, nous nous pointions tous à notre succursale bancaire et que nous exigions de retirer tous nos avoirs, la banque serait bien incapable de faire face à la demande. La différence ressemble à l'écart qui divise les sectes et les religions établies : il n'y en a pas ! Ce n'est qu'une question de proportion, celle de l'escroc est bien moindre que celle de son modèle, l'ensemble du système bancaire. Tous pratiquent en réalité un exercice de haute voltige, de monte-en-l'air, qui ressemble bigrement à la Chaîne de Ponzi.
Ici et là j'entends que cela pourrait d'ailleurs consister en un acte révolutionnaire qui ferait s'écrouler le système capitaliste du jour au lendemain : si nous retirions tous nos avoirs en liquide, les banques, ne pouvant faire face, feraient illico banqueroute. La proposition peut sembler alléchante, mais elle favoriserait évidemment les plus rapides devenus les nouveaux maîtres du monde, à moins que le Capital ne se ressaisisse en inventant je ne sais quelle dévaluation. Des émeutes suivraient immanquablement la fermeture des guichets. Qu'adviendrait-il ensuite ? Reprise en mains par la violence ? Mais de quelle nature ? Je ne suis pas assez calé en économie ni en histoire pour y répondre, mais la question mérite d'être posée...
Car il n'est pas question de moraliser un système immoral. Toutes les affaires récentes révèlent brutalement que le système inique s'essouffle et laisse entrevoir les signes de sa chute. Rien de certain encore, mais scénario parfaitement envisageable.

Photogramme de It's A Wonderful Life de Frank Capra.

samedi 22 novembre 2008

Jacques Lacan, poète circonlocutoire


Ouf ! Voilà qui me rassure. Dans le film Jacques Lacan, la psychanalyse réinventée, Françoise Dolto, Pontalis et d'autres psychanalystes racontent qu'ils ne comprenaient souvent pas grand chose à ce que racontait le second génie de l'inconscient, mais qu'il leur semblait pouvoir devenir intelligents s'ils persévéraient. Fin des années 70, grâce à Dominique Meens qui me demande de l'enregistrer pour lui, je suis renversé par Radiophonie, sept questions de Robert Georgin auxquelles répond longuement Jacques Lacan pour les Après-midis de France Culture. Tout m'échappe, mais j'ai le sentiment d'être en présence d'une mine d'or et me laisse bercer par la poésie de la langue. Je place alors le psychanalyste aux côtés de Jean Cocteau et Jean-Luc Godard, ces trois voix devenant fondatrices de mon passage à l'âge adulte.
Je jouis des effets circonlocutoires qui permettent de tourner autour du sujet sans jamais viser le centre, mais s'en approchant au plus près au fur et à mesure des révolutions. La poésie, qu'elle soit verbale, sonore ou picturale, a cette force de ne jamais se périmer, contrairement à la science démentie à l'instant même où toute théorie est émise. La poésie vise juste, parce qu'elle va puiser ses racines au plus profond du moi, reflet égocentrique de toute organisation sociale. Dans son histoire féline, Cocteau écrivait que les poètes ne mentent jamais, ils témoignent.

Jacques Lacan fut peu enregistré, encore plus rarement filmé. Son dernier séminaire, à Caracas, se trouve en mp3 sur Ubu.com, comme ceux intitulés L'envers de la psychanalyse, ... Ou pire, Encore, Les non-dupes errent, L'insu que sait de l'une-bévue s'aile à mourre, un hommage à Lewis Carroll et Alice, un Petit Discours à l'ORTF et le premier impromptu de Vincennes. Télévision, one-man show extraordinaire de 1973 tourné par Benoît Jacquot (texte sur un petit fascicule paru au Seuil dans la collection du Champ Freudien que le psychanalyste dirigeait, et également présent sur Ubu), est avec Radiophonie la trace la plus importante en marge de ses Écrits ! Ce film, de très loin le plus passionnant de tous, n'a pas encore été porté en DVD, bien qu'il exista en VHS. Arte Vidéo édite aujourd'hui la Conférence de Louvain accompagnée de Jacques Lacan, la psychanalyse réinventée, documentaire d'Elisabeth Kapnist, écrit avec Elisabeth Roudinesco, ponctué par une musique inopportune de Michel Portal sur des plans vides. Ce film n'est pas à la hauteur du précédent, Jacques Lacan parle, réalisé par Françoise Wolff que le précédent cite abondamment et qui se terminait par un petit entretien où Lacan semble énervé par son interlocutrice. La conférence est exemplaire du fait qu'un jeune étudiant néo-situationniste l'agresse patissièrement, anticipant la tradition des entarteurs belges, tandis que celui-ci retourne la salle en défendant le révolté contre les endormis. Mais Télévision reste le chef d'œuvre qu'il serait urgent de rééditer.

dimanche 16 novembre 2008

Le grand verre


Hier après-midi la projection du film de Françoise à Beaubourg remporta un vif succès. On dit vif pour exprimer le vivant. Le remix est vivifiant. On dit aussi vif pour mis à nu. Son féminin est vive comme un hourra couronnant ces dernières semaines. La mariée regardée par ses célibataires, même. Le Centre Pompidou affichait travaux pour le raout de la Sinistre de la Culture devant accueillir ses homologues étrangers dans le trou à -1. Lorsque tous les spectateurs eurent quitté la salle de cinéma, mon envie de pisser s'épanouit légitimement. D'habitude on ne fait la queue qu'aux femmes, mais bizarrement elle s'allongeait chez les hommes. Les urinoirs étaient tous condamnés ! Une fuite ? Nous montons au sixième étage où je constate le même phénomène. Convoquant Marcel Duchamp et Christo, les techniciens de surface ont enveloppé l'objet dans du plastique entouré de bandelettes adhésives. Court-circuitant le train-train du musée, la sécurité aurait-elle sérieusement eu vent d'anarchistes piégeant l'œuvre avec des fers à béton pour en faire un Tinguely ? Une fuite. Cela ne tient pas debout. Quelle histoire pour une fontaine ! Je suis renversé. Ce sont bien des multiples : tous les urinoirs du Centre sont emballés... Comme les spectateurs dans la salle comble, devant la fluidité du montage de Ciné-Romand. L'amalgame prend tout son sens. On rit, on pleure, on est touchés, et je me laisse enfin aller à ces élucubrations, libations sensasses de décompression n'ayant rien à cirer des pompes et circonstances.

samedi 15 novembre 2008

Ciné-Romand (4) - avant-première


C'est aujourd'hui-même à 14h au Centre Pompidou (salle cinéma 2, niveau -1), pour le quatrième jour de Cinéma numérique 2 organisé par les Cahiers du Cinéma (voir critique des Cahiers) dans le cadre du Festival d'automne (entrée 4 ou 6 euros, durée 1h26).
La photographie de Ciné-Romand qui illustre ce billet est toujours d'Aldo Sperber dont la nouvelle exposition à La Maison des Photographes (121 rue Vieille du Temple à Paris 3ème jusqu'au 30 novembre) présente de grandes images pleines d'humour et de couleurs pimpantes.
Quant à Françoise Romand, notons qu'elle a réalisé le film en trois semaines, temps qui la séparait du happening qui l'a inspiré. Elle en a fait un film à part entière, recomposant sa filmographie à la lumière d'aujourd'hui en une fantaisie prismatique qui fait ressortir l'unité de son travail. Ciné-Romand est le complément idéal de Thème Je (DVD à paraître en 2009). Il déplace le phénomène d'identification, qui vise habituellement les acteurs, vers les spectateurs. La mise en abîme va jusqu'à la projection du film en salle. Ne ratez pas cette occasion exceptionnelle, en présence de l'artiste !

dimanche 9 novembre 2008

Déversoir


J'ai emmené Elsa et Chloé voir le spectacle de la contorsionniste québecquoise Angela Laurier au Théâtre des Bergeries à Noisy-le-sec, conseillé par Françoise que Déversoir avait emballée lors de sa programmation à La Villette. Malgré mon lumbago qui ne cède toujours pas, j'en suis ressorti renversé. Angela Laurier a construit son spectacle sur une résistance. Elle a mis en scène son propre corps face au drame où son père maniaco-dépressif et son frère schizophrène ont subi l'un et l'autre des électrochocs. Le grand écran présente le road movie de la saga familiale, avec sa mère et ces deux-là. Le moment le plus émouvant et le plus généreux arrive lorsque tout est terminé, quand le frère malade et son propre fils viennent saluer. La contorsionniste a su jouer de son art pour apprivoiser la douleur de leur histoire. En regardant le numéro qu'elle exécutait du temps où elle participait au Cirque du Soleil, on saisit l'écueil qui sépare la mécanique trop bien huilée et la profondeur de l'aventure familiale qui va lui permettre de se réconcilier aussi avec son corps qu'elle ne pouvait plus voir en peinture.


La peinture, j'y ai pensé tout le temps pendant Déversoir. J'ai vu passer tous les modèles de Jérôme Bosch, ces monstres étonnants dont les corps difformes sculptaient leur résistance à la normalité. En croisant son art et l'histoire qui l'a faite femme, elle a trouvé ce que tout saltimbanque cherche à partager, l'amour du monde, impossible mais pourtant réel.

samedi 8 novembre 2008

Ciné-Romand (3) - le film


J'ai réécrit hier le texte qui suit pour annoncer l'avant-première du film de Françoise, dans une semaine exactement, samedi 15 novembre à 14h au Centre Pompidou (salle cinéma 2, niveau -1), pour Cinéma en numérique organisé par les Cahiers du Cinéma (voir critique) dans le cadre du Festival d'automne (entrée 4 ou 6 euros, durée 1h35). La photo d'Aldo Sperber y figure, parmi d'autres. Igor et moi en terminons le mixage. Nous sommes tous excités comme des puces. Entre le tournage en direct du happening et la projection du film à Beaubourg, il se sera écoulé seulement trois semaines ! C'est un marathon.

Ciné-Romand (le film)

De Mix-Up à Thème Je, Françoise Romand réinvente le documentaire en lui injectant la fantaisie de la fiction. Dans tous ces films, bouleversants d'humanité et de compassion pour ses personnages, elle n'est pas dupe du pouvoir de la caméra et ne cesse de répéter que "tout ça, c'est du cinéma !" Son humour critique et la complicité qu'elle installe avec celles et ceux qu'elle filme, tant dans ses fictions que dans ses documentaires, lui permettent de réaliser une œuvre dont la recherche de l'identité est la clef.
Dans un premier temps, Ciné-Romand fut un happening en appartements autour de ses films. Avec la complicité des voisins d'un quartier et une armée de guides qu'elle nomme des anges, Françoise Romand invente une installation ludique, qui gomme définitivement la frontière imaginaire entre fiction et réalité... La consigne est simple : les hôtes, chez qui sont projetés les films de la réalisatrice, continuent à vivre comme si de rien n'était tandis que les spectateurs les visitent dans la plus grande discrétion. À partir de son travail de réalisatrice, l’artiste génère une création à la croisée du théâtre documentaire et du cinématographe. L'installation est saisissante. Françoise Romand la filme, rajoutant une strate à la mise en abîme dont la projection en salle n'est peut-être pas le dernier avatar.
En filmant les spectateurs des appartements où se jouent naturellement des scènes domestiques, Françoise Romand rejoue une nouvelle fois L'arroseur arrosé, l'une des premières fictions de l'histoire du cinéma, reprenant le rôle de son propre arrière grand-père ciotaden, le gamin espiègle qui pliait le tuyau. En effet, chez les habitants le dispositif se renverse. En s'y invitant subrepticement, les visiteurs, voyeurs par essence, semblent happés par les films qu'ils feignent de regarder. Leurs hôtes, exposés sans filet, voyant défiler une ribambelle de gens qu'ils ignorent, les analysent à leur tour. Par cet effet de miroir répondant au souhait de Jean Cocteau, c'est-à-dire réfléchissant, Françoise Romand transforme l'essai en film, dès lors que ses personnages effacent tout ce qui permettrait d'identifier réel ou fiction ! Chaque personne y joue son propre rôle ou, du moins, une facette souvent enfouie de sa personnalité. Le rideau virtuel qui séparait les deux espaces, d'un côté la vie, de l'autre le spectacle, est fragile voire volatile. Combien d'Alice franchirent ce soir-là le miroir ? Et dans un sens, et dans l'autre ?
Acteurs et spectateurs ont joué dans la même pièce, comme à l'époque du Living Theatre dans les années 60. La question n'est plus de savoir si le public participe, mais qui est le public ? L'évidence devrait nous sauter aux yeux. La différence n'existe pas, il n'y en a jamais eu, il n'y en a pas, il n'y en aura pas tant que les œuvres éclaireront nos propres émotions, nous rassurant ou nous bousculant, nous renvoyant toujours au phénomène d'identification et à sa critique, merci Monsieur Brecht. Quel que soit l'angle, c'est l'impossible qui passe dans le réel ! Documentaire et fiction, non, ni documentaire ni fiction !
En mêlant des extraits de ses films au spectacle du happening, Françoise Romand tisse une toile où la place de chacun n'est plus assignée. On traverse Ciné-Romand comme des somnambules dans une maison de poupées, découvrant la dimension buñuelienne de nos vies, lorsque l'appartenance sociale et la famille façonnent nos gestes et nos pensées, sans que l'on ne sache jamais pourquoi, pourquoi on va au cinéma...

vendredi 7 novembre 2008

Intégrale Demy, un coup de baguette magique !


Je suis aux anges. Geneviève, c'est ma maman, m'a offert l'intégrale DVD de Jacques Demy dont le coffret sortait le jour de mon anniversaire. Une "princesse m'apporte ses vœux" à La Régalade, accompagnés de ceux d'Agnès V. (carte postale en illustration). On reste dans le quartier. Je retrouve des films rares et quelques perles inédites en boni. Je n'ai jamais vu La naissance du jour filmé pour la télé d'après Colette, j'ai oublié Le bel indifférent d'après Cocteau, quasi voisins de paliers ces deux-là. Le Palais Royal était mon jardin d'enfance. Je ne vais tout de même pas rabâcher sur ce coffre aux trésors en rappelant Les Parapluies, Les Demoiselles ou Peau d'âne. J'ai attendu la naissance de ma fille pour les voir et revoir sans passer pour un ringard. Jusque là, je les regardais en douce, je pleurais à l'un, me remontais le moral avec l'autre, rêvais avec le troisième. Cette édition permettra-t-elle de réhabiliter Une chambre en ville, drame musical renversant sur fond de lutte sociale ? Je brûle d'impatience. Tout voir et revoir, oui. Peut-être avons-nous été injustes avec les moins réussis ? Les personnages circulent d'un film à l'autre. Je liste ce que je ne connais pas, les premiers dessins animés, les entretiens, les reportages, les documents sonores du CD qui accompagne ces douze DVD ! Le site Ecran Large donne toutes les détails sur le contenu du coffret (Arte Vidéo).
J'envie la complicité que Françoise entretenait avec le cinéaste d'une humilité confondante. Arrivé en avance pour la projection de Appelez-moi Madame, il pose des questions à Françoise comme si c'est elle la pythie. La projection du film le subjugue. C'étaient les derniers mois de sa vie. Plusieurs entretiens datent de cette époque. Curieux, fin, délicat, elle m'en parle comme s'il était l'un de ses propres personnages, tellement attachant. Comme sa compagne est assise sur le fauteuil basculant avec les jambes repliées, Jacques tire sur sa robe pour la rallonger. Agnès Varda se moque de lui parce qu'il aurait peur que l'on voit sa culotte ! Je deviens midinet en regrettant de n'avoir pas été une petite souris pour assister aux dîners auxquels participaient Delphine Seyrig et Sami Frey. Jacques Demy était un ange discret. Dans tous ses films, il nous fait croire aux fées, puisque l'on est aujourd'hui assez grand pour savoir qu'ils recèlent de terribles secrets de famille, des drames surmontés, des fantasmes d'enfant, transformés en histoires merveilleuses par un des plus grands virtuoses de la baguette magique. Comme tous les contes de fées, les films de Jacques Demy se comprennent différemment au fur et à mesure que l'on grandit.

jeudi 6 novembre 2008

Mind Game, vertigineuse plongée dans le cinéma d'animation



Dans Mind Game du réalisateur Masaaki Yuasa d'après le manga de Robin Nishi, la logique du rêve est aussi difficile à suivre que le scénario de Ghost in the Shell. L'animation explose le cadre et déborde d'imagination. Le film, produit en 2004 par le Studio 4°C, responsable du très beau Amer béton, est une œuvre originale qui rappelle aussi bien Windsor McKay (Little Nemo) que Moebius. Les hallucinations héritent aussi bien de la scène conçue par Salvador Dali pour Dumbo l'éléphant que les références au manga dessinent un époustouflant portrait du Japon contemporain. Cet entre-choc de styles aussi différents dans une même scène dérègle tous nos sens, nous faisant valdinguer dans un trop-plein d'émotions plastiques qui disloque la narration au travers d'un prisme déformant. Le flash rend l'expérience si troublante que lorsque la lumière se rallume dans la salle elle nous replonge aussi sec dans l'obscurité du quotidien. Mind Game est un film sur le vertige, expérience ultime de la mort et retour à la vie, une jeu d'esprit où la peur prend ses racines dans la petite enfance et le courage dans ce qui nous reste d'imagination.

Merci à Karine de m'avoir fait découvrir ce diamant noir.

P.S. : cela n'a absolument rien à voir, mais Jacques Oger m'annonce la mort de Jimmy Carl Black, "the Indian of the group" des premiers Mothers of Invention. Les fans historiques de Frank Zappa comprendront ma tristesse.
Puisque je suis dans les brèves, les Cahiers du Cinéma de novembre ont publié deux articles sur Françoise, l'un pour Appelez-moi Madame (DVD à paraître le 18 novembre), l'autre pour Ciné-Romand (avant-première du film à Beaubourg le 15 novembre à 14h dans le cadre du Festival d'automne, à ne pas manquer, que vous ayez participé au happening ou que vous l'ayez raté !).

jeudi 30 octobre 2008

Ciné-Romand (2) - une traversée du miroir


En filmant les spectateurs des appartements où se jouent naturellement des scènes domestiques, Françoise Romand rejoue une nouvelle fois L'arroseur arrosé, l'une des premières fictions de l'histoire du cinéma, reprenant le rôle de son propre arrière grand-père ciotaden, le gamin espiègle qui pliait le tuyau. Dans un précédent hommage aux Frères Lumière, séquence de son film Thème Je tourné de 2001 à 2004 (DVD à paraître l'an prochain), la réalisatrice fit jouer le rôle du jardinier à Aldo Sperber, l'auteur des quatre photographies reproduites ici ! Le dispositif "visiteurs voyeurs par essence / accueillants inconscients par jeu" se transforme en "visiteurs fascinés filmés / accueillants analystes". Par cet effet de miroir répondant au souhait de Jean Cocteau, c'est-à-dire réfléchissant, Françoise Romand transforme l'essai en film, dès lors que ses personnages effacent tout ce qui permettrait d'identifier réel ou fiction ! Chaque personne y joue son propre rôle ou, du moins, une facette souvent enfouie de sa personnalité. Comme le rideau virtuel qui séparait les deux espaces, d'un côté la vie, de l'autre le spectacle, la frontière est fragile voire volatile. Combien d'Alice franchirent ce soir-là le miroir ? Et dans un sens, et dans l'autre ?


Quand tout le matériel fut rangé, en fin de soirée, les habitants du quartier sont descendus de chez eux pour témoigner. Ils apportent encore une nouvelle lumière à l'ensemble. Les langues se délient et les masques tombent. Acteurs et spectateurs ont joué dans la même pièce, comme à l'époque du Living Theatre dans les années 60. La question n'est plus de savoir si le public participe, mais qui est le public ? L'évidence devrait nous sauter aux yeux. Il n'y en a jamais eu, il n'y en a pas, il n'y en aura pas tant que les œuvres nous renverront à nos propres émotions, nous rassurant ou nous bousculant, nous renvoyant toujours au phénomène d'identification et à sa critique, merci Bertolt Brecht. Dans le bonus de son DVD Appelez-moi Madame, Françoise Romand me fait citer le génial dramaturge et philosophe. Pas de hasard. Par où qu'on regarde cette drôle de soirée, c'est l'impossible qui passe dans le réel ! Ça se bouscule et puis ça trouve sa place. Documentaire et fiction, mieux, ni documentaire ni fiction ! La contagion s'étendra-t-elle aux spectateurs du film ? C'est à prévoir.


Sur tous les écrans de Ciné-Romand, tournaient en boucles les films de Françoise.


Comme les photographies du précédent billet, ces quatre-là sont aussi d'Aldo Sperber. Ailleurs, l'ange Karine relate son expérience sur son blog.

mercredi 29 octobre 2008

Ciné-Romand (1) - la soirée


Tout le temps qu'a duré le happening Ciné-Romand, je suis resté coincé (pas que du dos) à La Bellevilloise et n'ai pu visiter aucun des onze appartements où les Anges emmenaient les visiteurs. J'ai entendu les témoignages des uns et des autres qui revenaient, repartaient, racontaient, s'émouvaient des situations inhabituelles que les idées folles de Françoise Romand avaient provoquées. Il y eut des rires et des larmes, des renversements de rôles, certains traversant le miroir et transgressant les règles comme il se doit, mais aucun accident ne fut à déplorer si ce n'est deux visiteuses ne supportant pas de briser le tabou de l'intimité et l'un des hôtes se rendant compte un peu tard que ce n'était pas vraiment sa tasse de thé. Partout ailleurs, et pour tous, l'expérience semble avoir été marquante si l'on en juge des messages touchants que Françoise reçoit depuis lors. Comme je suis resté à La Bellevilloise pour m'assurer du bon fonctionnement des cinq salles, je découvre ici le reste grâce aux superbes images d'Aldo Sperber (seule la première ci-dessus est de moi) comme j'aurai la surprise du film que Françoise monte avec Igor Juget.


Il faut dire que, si ce n'est l'aide bienveillante de Seb le régisseur de la soirée, l'accueil du lieu a été en dessous de tout, nombreux engagements de leur part n'étant pas respectés et les techniciens se la jouant machos rouleurs de mécaniques pour cacher leur incompétence et le manque d'investissement flagrant des prétendus partenaires. Une honte ! On pourra me reprocher de signaler ce manquement, mais je pense chaque fois à ceux qui passeront derrière nous et à qui l'on se contenterait de dire : "Ah bon, vous ne saviez pas ?!". Françoise réussit son pari invraisemblable, grâce à la sympathie de la vingtaine d'Anges et de tous les camarades venus lui prêter main forte. Pauline, secondée par Julia, dirigeait de main de maître les guides et groupes en partance pour chacun des quatre circuits possibles. La gentillesse et l'investissement des familles accueillant la meute des voyeurs bien intentionnés en bouleversèrent plus d'un(e)... Je rappelle que les consignes aux familles étaient de ne prêter aucune attention aux personnes pénétrant dans leurs appartements, ces visiteurs étant censés rester discrets, s'asseyant pour regarder l'un des films de Françoise, fictions ou documentaires, courts ou longs métrages, projetés ici sur le mur, ailleurs sur un écran d'ordinateur ou une télévision. Découvrir l'ensemble de son œuvre, du moins une grande partie, remet en perspective chacun de ses films dans son parcours singulier d'auteur.


Étienne Carton de Grammont, Igor et Françoise ont filmé des heures de rushes devant être montées d'ici quinze jours pour que le nouveau film soit projeté au Centre Pompidou par Les Cahiers du Cinéma dans le cadre du Festival d'Automne "Cinéma numérique", probablement le samedi 15 novembre dans l'après-midi.




Je ne livre ici qu'une toute petite sélection des photos d'Aldo Sperber (et dans de pâles reproductions au regard des originaux de quelques 50 millions de pixels !) qu'il mettra très bientôt en ligne sur son site ou sur Picturetank et dont Françoise fera une séquence dans le film d'1h40 qui réfléchira son parcours. À suivre...

mardi 28 octobre 2008

Repeindre la ville


Il y a huit ans, tout le monde m'avait dissuadé de peindre le mur d'enceinte du jardin en orange, sous prétexte que cela ferait cirque. Je m'étais laissé convaincre, mais je ne me suis jamais habitué au rose vomi derrière les barreaux. Pour gagner de la place en agrandissant le jardin, nous avons récemment remplacé les grilles en fer forgé par un petit mur et je suis revenu à la charge avec mon orange barnum. Françoise était évidemment enchantée de l'idée. J'ai fait attention que mes oranges bleues tintinesques s'accordent avec le jaune et turquoise de la maison d'à côté. Tandis que nous peignons la façade, presque tous les passants, jeunes et vieux, s'arrêtant pour commenter, louent le rayon de soleil que ma lubie jette sur le quartier. Il y a toujours quelques grincheux pour se plaindre, mais je suis content d'avoir tenu bon. Le gris de nos cités me déprime et j'espère bien donner ainsi l'exemple et voir fleurir bientôt dans la rue des fleurs immobilières ou automobiles de toutes les couleurs.

lundi 27 octobre 2008

Cocktail Gainsbourg


Comme je vais me coucher très tard après le happening délirant de Françoise à La Bellevilloise et que je donne un cours à 9h, je n'ai pas le temps d'écrire quoi que ce soit. Je ne vous laisse pas tomber pour autant et vous suggère une petite visite sur Poptronics, son équipe ayant concocté un délicieux cocktail Gainsbourg avec une flopée de vidéos formidables ! Si vous préférez écouter Bernard à la trompette, retrouvez Les oubliettes sur Deezer, et à demain pour de nouvelles aventures...

dimanche 26 octobre 2008

Happening unique ce soir à La Bellevilloise et alentour


Je recopie servilement le dossier de presse auquel j'ai participé en donnant un coup de main à Françoise pour cette soirée exceptionnelle puisque irreproductible. J'espère pouvoir y assurer mon rôle de joker bien que je me sois cassé le dos vendredi matin et que je ressemble vaguement à la Tour de Pise. Les analgésiques et les anti-inflammatoires me faisant planer, c'est une Tour de Pise en lévitation qui devrait vous accueiller demain...
Entre fiction et réalité…
À l’occasion de la sortie DVD du film Appelez-moi Madame, Alibi productions vous invite au Ciné-Romand de Françoise Romand : un happening en appartements autour de ses films, à La Bellevilloise et avec la complicité des voisins du quartier. Une installation ludique, entre fiction et réalité... À partir de son travail de réalisatrice, l’artiste génère une création à la croisée du théâtre documentaire et du cinématographe. L’ensemble réfléchit la fantaisie et la profondeur de son œuvre avec humour et générosité.
Françoise Romand
Après ses études à l'IDHEC (devenu la FEMIS), Françoise Romand réalise son premier film en 1985 Mix-Up ou Méli-Mélo découvert au Moma à New York et acclamé par la critique américaine. En 1986, Appelez-Moi Madame confirme son style à la frontière du documentaire et de la fiction et la conduira à enseigner le cinéma à Harvard. Son dernier film, Thème Je (2004) est une fiction expérimentale autobiographique (à paraître l'année prochaine).
En 2007, elle explose les frontières entre cinéma, spectacle vivant et Internet avec son premier Ciné-Romand. Aujourd'hui, en association avec La Bellevilloise, elle propose de renouveler l’expérience pour une soirée exceptionnelle…
Plus d’infos sur les sites www.romand.fr et www.cine-romand.com
Des photographies d'Aldo Sperber, mes propres impressions et photos sur ce blog lors du premier Ciné-Romand (1 2 3), la bande annonce sur YouTube...

N.B.: avis aux étourdis (dont je fais partie), nous venons de passer à l'heure d'hiver, donc retardez vos montres d'une heure ! On bégaie...

samedi 25 octobre 2008

Catastrophe


À vouloir trop en faire, je scie la branche sur laquelle je m'assieds pour rédiger mes articles quotidiens (et non quotidiennement). Cette différence me joue des tours. Comme il m'arrive de ne pas avoir le temps d'écrire, j'anticipe parfois en préparant un billet que je poste plus tard. À l'instant de publier je corrige souvent quelques effets de style ou je rajoute un lien hypertexte qui donnera les détails dont je ne souhaite pas m'encombrer. Ce matin je pensais publier une petite histoire lorsque je découvre qu'elle figure déjà depuis presque une semaine sur mon blog ! Évidemment ce jour-là il y en avait deux, mais je ne m'en suis pas aperçu. J'ai probablement décocher la case fatale sans faire attention. Pas moyen de revenir en arrière sinon en meublant l'espace vacant de mon imagination par ces lignes à dormir debout, je veux dire par ces lignes écrites assis, mais dormant debout, tant ma nuit fut courte. Est-ce important de savoir si c'est bien celle qui précède ou une autre ? Je m'en fiche comme de mes premières chaussettes, car mon côté obsessionnel ne va pas jusqu'à collectionner tout ce qui me vêt, encore que... Je garde à la cave mes vieilles frusques pour nettoyer les carreaux et cirer les godasses. Et puis toutes mes nuits sont courtes, vous le saviez. Comment, sinon, aurais-je le temps de vous retrouver chaque matin, de faire le reste de mon travail, les courses, d'entretenir la maisonnée, de voir les amis et tutti frutti ?
Demain dimanche est le Jour J pour Françoise. Nous vérifions le matériel : 5 vidéoprojecteurs, 2 plasmas géants, une dizaine de moniteurs télé, 18 casques, une quinzaine de systèmes son et de lecteurs DVD, tous les câbles et adaptateurs qui vont avec, les affichettes, les films... Pour visiter les dix appartements autour de La Bellevilloise, une vingtaine de guides prêtent main forte à Françoise qui les appelle des Anges. Pauline Fort l'assiste depuis des semaines. Avec Igor Juget et Étienne Carton de Grammont nous filmerons l'événement qu'elle devra monter avec Igor d'ici le 15 novembre pour que le film intitulé logiquement Ciné-Romand soit projeté au Centre Pompidou dans la programmation des Cahiers du Cinéma sur le cinéma numérique dans le cadre du Festival d'Automne. Un marathon chasse l'autre. Le film de 1h40 inclura des extraits de son œuvre dans l'esprit de la soirée de demain.
Le petit film qui ouvre cet article est la bande-annonce que Jean-Luc Godard a réalisé pour le Festival de Vienne en Autriche.
D'amour.

vendredi 24 octobre 2008

Angoisses au tamis du rêve


Je me suis réveillé au milieu de la nuit parce que "mon problème était d'être à l'heure". Pour ne pas arriver en retard à l'école, je courrais tous les jours avec mon cartable qui pesait une tonne. Je n'ai pas manqué un cours. Plus tard, je faisais le tour du pâté de maisons pour ne pas être en avance à mes rendez-vous. Je refusais d'entrer au cinéma si la séance était commencée. Pourquoi Françoise s'arrange-t-elle toujours pour que nous arrivions au dernier moment à la gare, quitte à rater le train ? Poussée d'adrénaline et de sueur au compteur ! À notre première sortie, elle est d'ailleurs arrivée dix minutes après que La symphonie du hanneton soit commencée. J'ai compris que cela ne serait pas facile, ni pour l'un ni pour l'autre.
Car la phrase de mon rêve cachait un autre sens. Il apparut comme je la répétais à voix basse en allant chercher un verre d'eau dans la salle de bain. "Mon problème était d'être râleur". Celles et ceux qui me connaissent savent que mon ton cache parfois mes intentions. Ma voix haut perchée peut devenir très désagréable si je m'emporte. Entendre là : lorsque la passion me fait m'envoler vers de hautes sphères jusqu'à dévaler la pente comme des boules de bowling sur des montagnes russes, la démonstration du tribun produisant une excitation à flanquer le vertige à mes interlocuteurs jusqu'à les rendre sourds. On peut me croire agressif, alors que ce n'est nullement mon propos. Quand il le faut, je sais aussi me défendre sans ambiguïté et j'ai vu des cheveux se dresser à l'horizontal devant ma réelle colère. Il ne s'agit pas de cela, mais d'un quiproquo généré par mes angoisses et celles de mes victimes. Je le suis aussi, bien évidemment, les miennes s'exprimant par le hiatus, les leurs par le motus.
Nous voilà bien ! Comprenez que dès lors il me soit impossible de me rendormir...

jeudi 23 octobre 2008

Appelez-moi Madame (4)


Françoise Romand a mis en ligne la bande annonce de son film Appelez-Moi Madame dont le DVD paraîtra officiellement le 17 novembre, distribué par Doriane (mais que l'on peut recevoir en primeur dès maintenant, pour 20€ port compris, en écrivant à alibiprod@free.fr) et qu'elle fêtera lors de son Ciné-Romand à La Bellevilloise dimanche prochain 26 octobre de 18h à 23h.
Le sujet ? Dans un petit village normand, un militant communiste, marié et père d'un adolescent, devient transsexuel à 55 ans, aidé par sa femme.
À sa sortie en 1987, le célèbre critique du New-York Times, Vincent Canby, écrivait "Miss Romand fait des documentaires uniques. Elle s'attache aux faits mais il y a certaines réalités que peu de romanciers ou écrivains supposés sérieux traiteraient si ce n'est sous des pseudonymes... Dans Appelez-moi Madame, la cinéaste nous fait partager sa curiosité, son étonnement et son regard..." Pour cette édition dont Étienne Mineur a conçu la pochette, Françoise a réalisé deux entretiens, l'un en français, l'autre en anglais, compléments de programme qui tranchent radicalement avec les bonus habituels !

Documentaires ou fictions, tous les films de Françoise Romand interrogent l'identité de ses personnages. Dans Mix-up ou Méli-mélo des bébés sont échangés à la naissance, dans Appelez-moi Madame un militant communiste devient transsexuel à 55 ans, dans Les miettes du purgatoire deux jumeaux vivent en symbiose avec leurs parents très âgés, dans Passé Composé un homme à la recherche douloureuse de son passé rencontre une femme amnésique qui fuit le sien, dans Vice Vertu et Vice Versa deux voisines de palier s'échangent leurs vies, l'une prostituée de luxe l'autre intellectuelle au chômage, jusqu'à Thème Je où la cinéaste retourne sur elle la caméra en fouillant les histoires de famille et les réinventant, se permettant avec elle-même ce qu'elle n'aurait jamais osé avec qui que soit d'autre.
Documentaires ou fictions, la cinéaste mord le trait et met en scène les hommes et les femmes de la vie réelle comme s'ils étaient des personnages de roman. Pour elle, la vérité n'a jamais existé au cinéma. Les regards face caméra renvoient au miroir du spectateur. Avec tendresse et compassion, Françoise Romand recompose le passé en faisant jouer aux protagonistes leurs propres rôles. Espiègle et complice, elle ouvre la porte à toutes leurs fantaisies.
Dès le début d'Appelez-moi Madame le ton est donné. Ovida Delect fait un signe de connivence à la caméra et raconte ses fantasmes que la cinéaste concrétisera en images. La musique de Nicolas Frize accompagne la mariée qui court au ralenti sur la plage. En 1986 dans un petit village normand, devenir transsexuel à 55 ans avec l'aide de sa femme n'est pas une mince affaire pour ce communiste et poète, ancien résistant resté muet sous la torture. L'amour d'Huguette pour son mari devenu femme transcende tous les poncifs et son douloureux sacrifice réfléchit le statut de toutes les femmes. Avoir été directrice de l'école maternelle fait passer la pilule auprès des villageois. Dans un micro-trottoir rythmé par le hachoir du boucher, la réalisatrice se débarrasse rapidement des remarques grivoises que le curé couronne. Les deux mamies tournent le dos à ces commérages. Les films de Françoise Romand évitent les commentaires, ils parlent d'eux-mêmes, réfléchissant les vies ordinaires de personnages extraordinaires sous l'œil fantasque de la mise en scène. Le drame se joue toujours dans la comédie. La distance n'est pas celle de l'auteur à son sujet, mais du sujet au filmage, rapprochant le spectateur au plus près de l'émotion en le faisant entrer incidemment dans les arcanes du cinéma.

Site dédié à Ciné-Romand

dimanche 19 octobre 2008

Le langage du ventre


Comment faire un cadeau en orientant le choix du destinataire, sans choisir à sa place ou lui remettre bêtement un chèque ? Offrir un présent est pourtant une manière de dialogue entre deux êtres. Le choix implique de s'intéresser aux goûts de l'autre, message intime qui montre à quel point nous sommes à l'écoute de ses désirs. La SmartBox marque un entre-deux, dirigeant la sélection vers un pôle sans prendre de décision franche. Une aventure, un massage perso, un séjour ou un repas pour deux, un atelier initiatique, 31 boîtes de 30 à 400 euros pour combler tant de rêves inexprimés envahissent les abords des caisses enregistreuses. Cela fonctionne sur le même schéma que les chèques-cadeaux, en cernant le sujet sans lui imposer quoi que ce soit ni s'en débarrasser en sortant simplement son porte-feuilles. La formule fait déjà un malheur. À Noël, ma maman m'offrit Saveurs du Monde et Dégustation. Françoise et moi avions choisi un restaurant colombien et un magasin de chocolats ! Nous avons déjà dîné, il nous reste la dégustation commentée et les ganaches...

samedi 11 octobre 2008

Ping Pong pour deux somnambules


Durée de chaque film :
Jumeau Bar 4'08 - Modified 6'07 - L'ardoise 5'33 - Les dormeurs 3'17

Voilà, nous avons ajouté une page à notre collaboration pour qu'elle se poursuive ici et ailleurs. Depuis que je joue en duo avec Nicolas Clauss, je suis aux anges lorsque nous nous produisons en spectacle. Sous le nom de Somnambules, nous avions adoré jouer avec d'autres musiciens tels Pascale Labbé, Didier Petit, Étienne Brunet, Éric Échampard, mais j'étais trop préoccupé par l'orchestre pour me fondre totalement aux tableaux interactifs de Nicolas.
Bien que je sois capable de produire autant de bruit qu'un grand orchestre, je n'ai jamais apprécié le solo, pas tant pour la musique que pour le plaisir du ping pong. Les images que mon camarade anime en direct me renvoient une critique, des propositions, un univers qui me stimulent et me permettent d'improviser librement. D'un spectacle à l'autre, nos interprétations à tous deux peuvent différer radicalement, nous créons de nouvelles œuvres, nous en donnant à cœur-joie. Ce billet n'apporte aucune analyse, les films parlent d'eux-mêmes, aujourd'hui mes notes livrent seulement quelques informations "techniques"...
Ainsi, nous commençons souvent avec Jumeau Bar dont je transforme les sons avec mon Eventide H3000, une sorte de synthétiseur d'effets que j'ai programmé pour passer les sons à la moulinette. Nicolas construit également ses boucles en proposant sa propre version du module interactif original. Si vous allez sur FlyingPuppet, vous pourrez jouer vous-même avec la vidéo... Pervertir le travail que j'ai réalisé il y a quelques années est une opération très amusante. Je tire le scénario vers l'humour, en trafiquant les sons synchronisés, en exagérant les nuances par des effets appropriés à chaque plan.


J'ai placé les quatre films sur DailyMotion et YouTube, mais je préfère en général le premier qui n'incruste pas son nom dans l'image comme on marque les troupeaux. Modified est le dernier tableau de Nicolas Clauss, pas encore en ligne, le plasticien hésitant à l'heure actuelle entre exposer ses tableaux animés sur le Net ou off line dans des espaces réels. La rareté produirait-elle plus de désir ? Le plus souvent, ses œuvres rendent mieux leur jus lorsqu'elles sont projetées sur de grands écrans, les ordinateurs ne rendant pas la beauté du détail, l'émotion de l'immersion...
En modifiant électroniquement ma voix, une cythare inanga (rapportée de Stockholm en 1972), un violon hou-kin (achetée deux ans plus tard rue Xavier Privas) et une flûte roumaine (je ne me souviens plus d'où elle vient, mais ses sons stridents passent au-dessus de n'importe quel ensemble ou magma électro-acoustique), je suis la logique du tableau interactif joué en direct par Nicolas, un Organisme Programmatiquement Modifiable...


Avec deux petits instruments électroniques, un Tenori-on et un Kaossilator, j'accompagne les divagations dessinées d'une bande de gamins avec qui Nicolas a élaboré l'installation interactive de L'ardoise. J'ai réussi à m'approprier le Tenori-on depuis que j'y ai glissé mes propres sons. Il n'y a hélas que trois banques personnelles pour 125 timbres d'usine. J'utilise ici des échantillons de mon VFX. Le Kaossilator me sert de joker. Lorsqu'on improvise, il est toujours utile d'avoir plus de matériel que ce dont on a besoin. Au dernier moment, j'ai décidé d'ajouter une radiophonie réalisée en 1976, premier mouvement de mon inédite Elfe's Symphonie que je diffuse avec un cassettophone pourri. Depuis, je l'ai numérisée pour pouvoir la traiter électro-acoustiquement avec l'AirFx, un autre effet qui permet, par exemple, de scratcher n'importe quelle source sonore comme un DJ sur sa platine, mais sans y toucher, en jouant avec un rayon infra-rouge en 3D !


Le dernier film qu'a tourné Françoise à La Comète 347 montre Les dormeurs, une pièce de Nicolas de 2002 que j'aime beaucoup et que j'accompagne à la trompette à anche. Comme Jumeau Bar, vous pouvez jouer vous-même avec en allant sur le site après avoir téléchargé le plug-in Shockwave.

mercredi 8 octobre 2008

Petits ours jaloux et sombres crapules


Nous ne cessons de recevoir des plaintes d'amateurs de civets qui n'ont pu assister samedi soir à Nabaz'mob, notre opéra pour 100 lapins communicants. Ceux qui ont eu la chance de voir de quoi il retourne nous envoient des témoignages de gratitude et non des moindres... Nous ne pouvons pas encore tout dévoiler, mais je vous livre aujourd'hui une exquise miniature reçue ce matin par la poste. Maguy Siegel, qui fut la monteuse de plusieurs films de Françoise, intitule le tableau que j'expose avec gourmandise dans la salle à manger "Petits ours jaloux des petits lapins". Miam !
Quant à l'écrivaine publique Dominique Giudicelli, "biographe familiale agréée", elle nous envoie un des rares clichés où Antoine et moi apparaissons sur la photo de famille avec toute la marmaille.


Ces délicates attentions soulagent mon fardeau. Ce devait être un billet léger. Hélas, les pensées sombres me rattrapent. Ceux qui se fichent du krach boursier parce qu'ils pensent ne rien avoir à perdre se trompent. Ce sont ceux qui n'ont rien qui vont en pâtir le plus. Les prix vont monter, le chômage s'amplifier, les fins de mois seront plus pénibles. Les autres s'empiffreront ou se serreront un peu la ceinture sur leurs à-valoir. La bourgeoisie joue à fais-moi peur, mais la Bourse n'est qu'une énorme machination des puissants pour piller les petits porteurs et se refaire une santé après avoir tiré sur la corde.
Ce soir, les facéties de nos petites bêtes ne me font pas rire. Peut-être parce que j'ai regardé un film triste, Boy A, de John Crowley, l'histoire d'un jeune Anglais qui essaie de refaire sa vie mais dont le passé le poursuit par l'entremise de la connerie humaine. Jacques Brel disait qu'il n'y a pas de gens méchants, mais seulement des imbéciles. Elsa me demande pourquoi il fut traité de boy-scout ? Je ne savais pas, mais c'est ainsi que les humanistes sont perçus, naïfs hypersensibles et volontaristes...

lundi 6 octobre 2008

Réservez dores et déjà votre Ciné-Romand


Pour annoncer son nouveau Ciné-Romand à La Bellevilloise le dimanche 26 octobre prochain, Françoise Romand a mis en ligne un petit film de la première à Paris en mars 2007. Le happening commençait chez elle et se continuait en jeu de piste dans son immeuble 1930 avec la complicité de ses voisins, chez eux, entre fiction et réalité.
Les spectateurs se perdent dans le labyrinthe, de la cave aux chambres de bonne en passant par des appartements aux portes entrouvertes où il surprennent des scènes de la vie quotidienne avec la télé diffusant en boucle ses documentaires ou ses fictions. À partir de son travail de réalisatrice, Françoise génère une création à la croisée du théâtre documentaire et du cinéma, réfléchissant la fantaisie et la profondeur de son œuvre avec humour et générosité. Le petit montage intègre les photos d'Aldo Sperber et vous pouvez retrouver le carnet mondain de ces soirées façon Gala relatées sur ce blog les 12, 17, 19 et 20 mars 2007.
Françoise réitère l'expérience pour une soirée unique à La Bellevilloise et dans des appartements alentour. Ce sera un dimanche comme hier. Le nombre de places étant limité, il est prudent de s'inscrire dores et déjà en écrivant à alibiprod@free.fr
En même temps, sort son second DVD, Appelez-moi Madame, distribué par Doriane Films.

dimanche 5 octobre 2008

Succès délirant de notre opéra Nabaz'mob


La matinée avait mal commencée. Je suis déjà en route lorsque qu'Antoine m'appelle pour me prévenir qu'il ne sera pas à l'heure au montage de notre opéra à Bercy Village. Sa vieille Clio, sur le parking de la gare près de chez lui, s'est fait vandalisée dans la nuit. Les gamins sont allés jusqu'à déchirer en petits morceaux tous les papiers qu'ils ont trouvés, les contraventions dans la boîte à gants (!), s'attaquant au siège bébé, défonçant le tableau de bord, arrachant les leviers... En agrandissant la photo, on aperçoit la mine déconfite et médusée de sa compagne et de sa fille découvrant le sinistre. Tout au long de cette folle journée, les mœurs humaines n'en finiront pas de nous surprendre...
Sous le Passage Saint-Vivant, vestige en pierre de taille des anciens entrepôts, Benoît et Daniel m'aident à placer les 100 lapins sur les podiums en gradins. Devant la difficulté de sonoriser les petites bêtes dont le son est très discret, nous plaçons les enceintes des haut-parleurs au milieu de la ruelle couverte pour que le public entende la musique au fond de la salle tandis que les premiers rangs profitent du son direct des cent petits haut-parleurs cachés dans le ventre des Nabaztags.
Avant même que le soir ne soit tombé, l'attraction des petits robots wi-fi provoque une affluence encore jamais vue à Bercy-Village. Les scanners placés sous les portiques des entrées nous donneront bientôt les chiffres de fréquentation, des milliers de noctambules faisant la queue jusqu'à deux heures du matin bien que la fin du spectacle ait été annoncée. Dès la seconde représentation, là où nous attendions vingt enfants du Parcours Paris-Mômes, il en arrive deux cents. Nous multiplierons les séances, en enchaînant dix coup sur coup au lieu des six prévues, mais nous ne pourrons accueillir que le quart des spectateurs venus assister à notre opéra Nabaz'mob. Des dizaines de copains feront demi-tour, découragés par la foule compacte qui a envahi le Cour Saint-Emilion. France 2, France 3, TF1 se succèdent pour leurs journaux respectifs d'aujourd'hui dimanche. Antoine reste zen, donnant l'ordre aux bestioles d'entamer chacun des trois mouvements les uns après les autres, tandis que je tente de gérer la salle, l'afflux, la presse et le stress que produit chez moi autant de monde. La dernière séance est ponctuée des cris des manifestants dépités de n'avoir pu assister au spectacle. À leur tour, ils entonnent en chœur "Libérez les lapins !". Ceux-ci, stoïques jusqu'au bout de la soirée, sauront imposer le silence pour se faire écouter.
Maÿlis et Françoise nous aident à ranger les bestioles et leurs oreilles articulées dans leurs malles. Il est trois heures lorsque nous regagnons nos pénates, fourbus, mais évidemment contents du succès remporté par notre opéra contemporain, nous remémorant les milliers d'yeux pétillants que le spectacle a enchanté tout au long de cette Nuit Blanche hallucinante.

samedi 27 septembre 2008

Des guides pour les arts numériques


Nicolas Clauss, Françoise Romand, Antoine Schmitt, Xavier Boissarie, Antoine Denize, Electronic Shadow, Servovalve (je cite ici ceux avec qui j'ai déjà collaboré) et plein d'autres camarades figurent sur le nouveau guide Arts Numériques (Tendances-Artistes-Lieux et Festivals) réalisé sous la houlette d'Anne-Cécile Worms (M21 Editions, 330 pages, 29€). Nous avons tous envoyé une image de 16x22cm et une biographie, soit cent artistes numériques français préfacés par toute une ribambelle de textes passionnants dans leur diversité, totalement à côté de la plaque, visionnaires ou remettant salutairement les pendules à l'heure. Tous font ressortir la question de l'art, ce qui en est ou ce qui en naît.
Pour ma part, selon les jours et les humeurs, j'y cherche l'émotion, le rêve ou la critique. L'émotion du beau, le rêve de l'inouï, la critique de la narration, fut-elle abstraite ou d'essence philosophique. Quant à la technologie, je n'en ai absolument rien à fiche, si ce n'est pour m'allonger régressivement par terre à pervertir mes jouets. Le numérique ne signifie rien d'autre qu'un protocole industriel. Les concepts appris dans les écoles de beaux-arts assurent essentiellement la pérennité de professeurs souvent dépassés et de leurs élèves s'embourbant dans le scolaire et les nouveaux académismes. Les modes se suivent et se ressemblent par leur inanité heureusement éphémère. De ces marais fangeux, qui rappellent les univers sociaux de la publicité et de l'entertainment, émergent quelques personnalités portant sur leurs épaules des mondes, des visions, des souffrances et des colères. Encore faut-il avoir appris à ne pas confondre les phénomènes de foire (je n'y vois aucun inconvénient, à condition de savoir les identifier, comme se détendre devant un gros blockbuster macho américain ou jubiler devant une œuvre du septième art) et les véritables démarches artistiques. Pauses snobinardes de classe contre urgences hospitalières.
Mais comment s'y prendre pour trier le bon grain de l'ivraie ? Rechercher la nécessité : le choix ne fait que tatouer la surface de son encre délébile. Apprécier le rejet quand prend la greffe : combat ou soumission ? Le texte de Gilles Alvarez me surprend par son acuité à cerner les faux-semblants jusqu'à terminer par une phrase de Claude Debussy : "qu'il vaut mieux regarder le lever du jour qu'écouter la Symphonie Pastorale". Les œuvres ne sont que le reflet du monde, son inconscient monstrueux. Il y a ceux qui s'y plaisent et s'y complaisent, et de pauvres hères rêvant naïvement de le bousculer et qui enragent. Pour un artiste, le repos n'existe pas. Le sommeil est habité. Le mystère seul le calme. Il n'y a pas d'abonné au numéro que vous avez demandé. Aucune réponse n'est satisfaisante. Mais il avance. En aveugle. Qu'importe ! Il sait où il va. Nulle part. Parce que ce sera toujours mieux qu'ici et maintenant. Ses gestes lui sont dictés par une morale qui rejette tout ce qui est convenu sans être interrogé. Le travail est si colossal qu'il restera inachevé. J'écris il, mais c'est en nombre que leur pouvoir s'exercera. Les initiatives de regroupement sont indispensables.
Parallèlement à l'édition de l'ouvrage autour des artistes qui comprend également une importante partie sur les lieux et festivals, Anne-Cécile Worms qui s'occupe de la revue bimestrielle MCD (Musiques & Cultures Digitales) édite la version 2008-2009 du Guide des Festivals Numériques (MCD, 9€) dans lequel le président du Cube, Nils Aziosmanoff, cite les temps forts du dernier festival en commençant par notre opéra pour 100 lapins communicants, photo à l'appui.
Décidément, Nabaz'mob a la cote ! Avec Antoine Schmitt, notre clapier participe à la Nuit Blanche à Paris le 4 octobre pour 6 représentations (20h-21h-22h-23h-0h-1h) à Bercy Village, Passage Saint-Vivant (Métro Cour St-Émilion). Nabaz'mob sera aussi à Besançon le 2 novembre au Festival Musiques Libres et en 2009 il est fortement question d'une tournée sur trois autres continents en même temps qu'une installation durant six mois dans un musée parisien. J'en fais tout un fromage sans être dupe de la carotte qu'il représente. Nos élucubrations nous échappent, reprises par les vulgarisateurs que nous alimentons et qui, à leur tour, nous font gentiment manger du frais plutôt que des pissenlits par la racine. Un artiste doit aussi apprendre à voir avec les yeux de son public, savoir apprécier les déplacements de sens, partager les émotions. À moins de basculer dans l'autosuffisance, quand l'échec ne sonne pas comme une injustice, le succès a le goût de l'usurpation. L'insatisfaction est le moteur de l'œuvre. L'avenir est pavé de mauvaises interprétations. Rien n'a de valeur que le prochain geste.

mardi 23 septembre 2008

Les lys tâchent


En quittant sa villégiature parisienne, Pascale nous a offert un magnifique bouquet de lys qui a éclos après son départ. Les liliums donnent au salon des allures printanières qui tranchent avec l'automne frisquet qui nous fait allumer le feu dans l'âtre dès le matin. Revers de la médaille, le parfum exhalé est d'une telle puissance que je dois les écarter pour arriver à consommer le moindre aliment. Travailler à proximité m'est impossible sans suffoquer. Pire, en les déplaçant j'ai frotté les pistils sur ma chemise vert pomme, laissant une trace de poudre rouge sang sur mon épaule. Françoise, qui crut d'abord que je saignais du nez, a arrêté brusquement mon geste tandis que j'allais rincer les traces de pollen sous le robinet. Le lys est indélébile. C'est le bouquet ! La tristesse me guette de perdre la chemise très Sergent Pepper's trouvée à New York dans la même boutique SM que mon kilt, mais ma compagne me conseille de chercher sur le champ le remède sur Internet en googlisant "lys tâche". La recette était simple, il suffisait de coller délicatement un morceau de ruban adhésif sur le tissu et le pollen se détache comme par miracle. Scotch et scotch et scotch et rescotch... Eurêka ! Cette chemise portée au concert de samedi est sauvée. À ce propos, ce n'est pas pour nous jeter des fleurs, mais la soirée D'autres Cordes fut très réussie. Le spectacle a confirmé à Nicolas et moi-même le choix du duo...

P.S. : de plus, j'apprends que flyingpuppet.com, où Nicolas expose ses tableaux interactifs, souvent en collaboration avec ma pomme, est nommé aujourd'hui "site du jour" par Libération - Ecrans.fr...

P.P.S. : deux jours après Nicolas, c'est au tour d'Antoine de se retrouver site du jour sur Ecrans.fr avec TimeSlip... Bravo les gars !

mercredi 17 septembre 2008

Appelez-moi Madame (3)


Françoise a cru devenir folle. Elle calait les sous-titres anglais de son film Appelez-moi Madame pour les envoyer à Igor qui terminait l'authoring du DVD, mais ce n'était jamais synchrone. Ils raccourcissaient, se décalaient de une seconde, puis de deux, de trois... On reprenait nos marques, incriminant la conversion en NTSC, format choisi pour que le public américain puisse voir le film. En France, tout le monde peut le lire, mais les Amerloques ne peuvent pas faire de même avec le PAL. Alors on réduit par le plus petit dénominateur commun, le PAL étant autrement meilleur que le NTSC utilisé également par les Japonais. Ils forment la zone 1. De toute manière, Appelez-moi Madame est multizones et non verrouillé. Il n'y a que les majors et les grosses boîtes pour coller des verrous qui ne servent à rien puisque n'importe quel pirate en herbe est capable de les faire sauter en un ou deux clics. Alors à quoi ça sert ?
Vu le succès des films de Françoise Romand outre-atlantique, le choix du NTSC s'explique très bien, d'autant que c'est la maison de production de la réalisatrice, alibi, qui édite. Nous avons fini par comprendre que les sous-titres étaient corrects, mais que le lecteur DVD sur lequel nous faisions les tests pataugeait dans la semoule, n'arrivant pas à lire correctement le film et à récupérer le fichier texte de ces fichus sous-titres, pourtant refaits amoureusement par Françoise pour corriger les approximations de la version de 1987.
Le master est donc parti à l'usine. Je récupère mon studio, mes machines et mon temps. Le design graphique d'Étienne Mineur est superbe, parfaitement adapté au projet. 22 ans plus tard... et Onboard, les deux compléments de programme ont été mitonnés aux petits oignons pour accompagner le plat de résistance. Je les ai cadrés, sonorisés, mis en musique et mixés. Françoise a enregistré un film en français, l'autre en anglais. Les deux entretiens sont "same same but different" ! Bel exercice de montage. Doriane distribuera le DVD qui sortira début novembre. D'ici là, Françoise aura créé son nouveau Ciné-Romand à La Bellevilloise (réservez impérativement le dimanche 26 octobre), j'aurai participé à la soirée D'autres Cordes à La Comète 347 avec Nicolas Clauss (c'est samedi, il y aura du monde), les 100 lapins de Nabaz'mob auront dégourdi leurs oreilles pour la Nuit Blanche à Paris le 4 octobre (Bercy-Village), le reste à l'avenant...

mardi 9 septembre 2008

Comme un poison dans l'eau


Mes métiers ne me permettent pas de savoir si et quand je suis à l'œuvre ou pas. Penser, réfléchir, rêver pourraient suffire à me donner cette impression de bien-être, mais j'ai besoin de voir les résultats pratiques pour y croire. Croire que ce n'est pas que du vent, une idée éphémère qui passerait comme un ange. Il faut que ça bruisse et que ça crisse. Les mots s'affichent, les sons explosent, les images s'échappent. Je ne pourrais vivre sans me surprendre. Tôt le matin, je suis poussé hors du lit par cet impétueux besoin d'inventer quelque chose, de résoudre la question sur laquelle je me suis endormi la veille, ou une autre, peu importe, du moment que ma cervelle frémit délicieusement au beurre noir de l'à poil. Mon corps suit le temps bien que mâle, à condition que je l'entretienne comme le reste. Balance du matin chagrin, gymnastique du soir espoir. Le reste de la journée, je m'active, sueur bien portante, mes yeux suivent les deux doigts qui tapent sur le clavier lorsqu'ils n'arpentent pas l'écran de long en large, mes jambes se plient et se déplient comme un ressort lorsque je glisse du salon au studio, mes oreilles rebondissent d'un combiné à l'autre, je marque une pause pour faire un son, une suite de notes, une respiration musicale. Tu parles, ma langue tourne sept fois dans sa bouche pour autant de syllabes ! La musique m'oblige nez en moins à une concentration encore plus resserrée, sans rature, comme un archer. Rien ne remplace cette fébrilité de cachet effervescent, ever adolescent, quinquadulescent comme m'appelle Annick Rivoire pour présenter mon PopLab. Je me laisse emporter par les mots alors que je voulais parler du travail en cours ou de la vie sous la mer. D'une part, le DVD de Françoise m'accapare depuis des jours et des nuits (elle squatte le studio en plus de son atelier), d'autre part la vie aquatique me fascine plus que toute autre, envers du décor mégalanthropique, milieu naturel où les poissons s'ébattent comme on ne peut l'imaginer si l'on n'y est pas allé voir de soi-même. Bouteille. Cocktail détonnant que cette oscillation entre l'hyper-activité et l'abandon ! La comédie du travail. Vivre ? J'efface un s pour me noyer dans l'élixir.

vendredi 5 septembre 2008

Kafka s'invite chez Free


Pour celles ou ceux qui l'ignorent encore, Franz a beaucoup d'humour. Tandis que je venais de répondre par courriel à ma fille enfin localisée sur une des centaines d'îles d'un gigantesque archipel ensoleillé, ma ligne Free a soudainement sauté, la FreeBox affichant sobrement son fatal chenillard. Ni une ni deux, après une heure d'une patience toute relative, je compose le numéro de la Hotline. Un "technicien" me donne celui d'un collègue "local" censé passer sur place dans les deux heures qui suivent. Je rêve. Évidemment. Ce serait trop beau : le nouveau numéro est saturé. En désespoir de cause, je tente le tchat de l'Assistance Free. Saturé également. J'envoie un mail à tous zazars. Ces manipulations sont accessibles grâce à la FreeBox de Françoise que je squatte sans scrupules. Travaillant tous les deux avec Internet, nous avons eu la prudence de doubler notre abonnement.
J'arrive enfin à joindre une conseillère qui me demande d'interchanger les deux machines pour identifier la panne, appareil ou réseau ? La manipulation semble indiquer que c'est la ligne qui hait défèque tueuse ! Chaque machine est associée à un numéro, donc irremplaçable, mais permettant tout de même de faire quelques tests. Je rappelle donc, puisque j'ai dû raccrocher pour tout débrancher et rebrancher. Réseau saturé, rappelez ultérieurement. Je réitère l'opération sauvetage et chaque fois l'automate me fait tout un laïus et me réclame de taper mes identifiants avant de m'envoyer paître. Est-il possible que l'opérateur souhaite me les faire apprendre par cœur ?
Eurêka ! Après plusieurs tentatives, j'ai en ligne une nouvelle conseillère qui me demande pour la troisième fois tout un paquet de renseignements que Free a déjà. C'est avec les 34 centimes par minute de la Hotline que Free se rattrape sur les abonnements bon marché. Cette saga m'amuserait moins si nous n'avions une seconde ligne qui fonctionne. Le rendez-vous est pris pour dans treize jours, ce qui diffère légèrement des deux heures précédemment annoncées. Je note que les salariées de l'entreprise sont solidaires de leur employeur qu'elles défendent contre mon persiflage longuement rôdé à ce genre de gymnastique.
Je ne résiste pas à rappeler que depuis plus de vingt ans où nous dépendons des ordinateurs et des satellites qui les entourent leur fiabilité est un élément toujours aussi peu domestiqué. Les constructeurs de matériel, les éditeurs de logiciels, les fournisseurs d'accès n'ont aucune morale, puisqu'ils commercialisent des marchandises et des services qui ne sont que rarement, ou éphémèrement, au point. Les consommateurs leur avancent systématiquement les frais de finition, mais comme le décalage se poursuit et que le résultat est aussi fragile, l'arnaque est patente, assumée et acceptée. Imaginez que les constructeurs automobiles ou les laboratoires pharmaceutiques fassent de même (argh, mes exemples sont très mauvais, me voilà obligé d'aborder prochainement le sujet) ! En définitive, ce n'est pas si grave, puisqu'ici il n'y a pas mort d'homme et que la connexion est revenue en fin de journée... La menace d'en parler ici y est peut-être pour quelque chose. Le coup du journaliste marche une fois sur deux ! Le soir, j'ai tenté d'annuler le rendez-vous, mais après dix minutes d'attente, le sempiternel message de saturation de la Hotline m'a raccroché au nez. Demain je réessaierai et cela me coûtera encore 0,34 € la minute...

jeudi 28 août 2008

La mort sur le bitume


Il est une heure du matin. Nous dormons d'un profond sommeil lorsque le téléphone sonne. À cette heure de la nuit, ce ne peut être qu'une erreur ou une mauvaise nouvelle. Caro m'annonce : "je suis désolée, mais je crois que ton chat s'est fait écraser". Je saute dans mon pantalon, mais, croisant Scotch sur le pas de la porte, je crie à Françoise que notre chat est sain et sauf. Louise est en larmes au milieu de la rue. Elle a vu et entendu le matou se faire écraser et la bagnole assassine griller le stop et foncer sans s'arrêter. Presqu'aussitôt, une voiture de police déboule et s'arrête net devant la poubelle que Louise a placé sur la chaussée pour que personne ne continue le massacre. Les quatre cow-boys voient seulement un type hagard et une jeune fille en pleurs au milieu de la rue. Je m'approche illico pour leur expliquer que la voisine a cru que notre chat s'était fait renverser, que le nôtre est entier, mais qu'il y a bien un cadavre devant eux. Ni une ni deux, la brigade rembarque et file sans demander son reste. C'est tout juste si la voiture pie ne passe pas sur le corps étendu. Les chats du quartier sortent soudain de l'ombre comme s'il fallait qu'on en parle. Je suis obligé d'aller ramasser la pauvre bête avec un grand sac en plastique. C'est la petite chatte grise des voisins de la maison jaune. Il va falloir que je leur annonce demain matin. La nuit recouvre les traces de sang sur le goudron. Pas moyen de dormir. Je mâche les mots que je devrai prononcer. La figure de la copine de Scotch me hante. Ils jouaient certainement ensemble à l'instant de l'accident. Je me souviens de la mort de Lupin et de Scat. Je pense à celle de ceux qui nous ont quittés. Je suis triste.

mardi 26 août 2008

Jonathan Rosenbaum, le cinéma à découvert


Depuis que Jonathan Rosenbaum a pris sa retraite du Chicago Reader auquel il a collaboré de 1987 à cette année, il s'est employé à mettre en ligne les 7500 articles qu'il a rédigés et continue à écrire sur son blog hebdomadairement. Le célèbre critique américain, digne hériter de James Agee et André Bazin (dixit J-L Godard) comme de Serge Daney, donne des milliers de pistes à ceux qui souhaiteraient en savoir plus sur les films ou les DVD, car Rosenbaum a changé ses pratiques avec le temps, regardant aujourd'hui beaucoup plus de galettes qu'il ne va au cinéma. Après avoir hanté les salles et pratiqué les cassettes vidéo, sa cinéphilie doit aujourd'hui beaucoup aux éditions DVD, nous permettant de partager ses révélations et ses coups de cœur. Ses articles souvent très fouillés offrent en effet à ses lecteurs (anglophones) de découvrir une flopée de raretés.
Ses parents, qui s'étaient fait construire leur maison par Frank Lloyd Wright, la seule en Alabama, avaient repris la chaîne de salles de cinémas que possédait son grand-père. Dans son autobiographie, Mouvements : Une vie au cinéma (P.O.L.), il raconte son enfance, ses premiers émois cinématographiques sans négliger les analyses filmiques et quelques considérations sociales sur l'époque.
En parcourant son blog, je pourrais passer des heures à découvrir des chefs d'œuvre méconnus pour lesquels Rosenbaum donne souvent les adresses pour se les procurer. Nous sommes loin des donneurs de leçons et des censeurs, on sent poindre la générosité et la passion sous chaque phrase.
Auteur de nombreux ouvrages, bataillant contre la toute puissance exclusive du cinéma américain, il révèle les films du reste du monde qui occupent, tout de même, plus de la moitié de son panégyrique. Françoise le rencontra ainsi en 1985, lors de la sortie américaine de Mix-Up ou Méli-Mélo qu'il contribua largement à faire connaître aux États-Unis et qui figure parmi ses 1000 films préférés après qu'il l'ait nommé film de l'année. Rare qualité, Jonathan Rosenbaum (photo extraite de son entretien sur le dvd Mix-Up édité par Lowave) s'intéresse à toutes les époques, des plus reculées aux plus actuelles, et à toutes les latitudes, voire certaines difficilement localisables pour qui n'est pas trop féru de géographie ! Irremplaçable.

samedi 23 août 2008

Boomerang


J'ai commencé ce blog il y a trois ans pour ne plus rabâcher en société. Du moins, c'était une des raisons. Une façon de me débarrasser une fois pour toutes des sujets qui me tarabustent et me poursuivent. J'étais enfin libre d'écouter patiemment mes interlocuteurs. Avec le temps, je crains que la tendance s'inverse. À bloguer sept jours sur sept, je ne sais plus ce que j'ai raconté, je perds le fil, je crains de placer une illustration pour la seconde fois. On peut toujours jouer le thème et ses variations. Peut-être m'inquiète-je pour rien ? Je me demande si je ne devrais pas changer de support ou de protocole. Ce n'est pas la première fois. La preuve !

Le disque sur lequel je travaille est une manière de blog. Respect de la chronologie sans lésiner sur les retours en arrière et les spéculations sur le futur, les relectures et les croisements contre nature, les mises en perspective et les recyclages. Ces derniers jours, j'ai exhumé des enregistrements que j'avais totalement oubliés, certains très aboutis, d'autres en attente, là quelques bribes surprenantes. Ils constituent déjà une première passe. Mes fantômes font la queue à l'entrée du studio. Raviver le passé permet d'envisager l'avenir. Je coche les tâches effectuées pour passer à autre chose. Un siècle, montre en main.

Le réfrigérateur ne fait plus de bruit depuis que le réparateur a remplacé le ventilateur. Françoise enregistre en studio quelques phrases pour prendre ses distances avec son sujet. Sonia et Farnaz forment le chœur de mes enfantillages. Antoine place mes notes distordues sur un miroir sans tain. Cinq opérations sans rapport les unes avec les autres, mais qui permettent de battre les cartes de mon projet sans craindre qu'elles parlent, révélant prématurément mes secrets. Un code brouille les pistes sans même que je m'en aperçoive. On appelle souvent cela de la musique.

mardi 19 août 2008

Appelez-moi Madame (2)


Ce n'est pas si facile de travailler à deux au montage. Je suis rapide et impatient, Françoise est méticuleuse et têtue. Je lui ai donné un coup de main au tournage et déjà fourni un paquet de sons pour que l'entretien sur Appelez-moi Madame glisse subrepticement vers la fiction comme elle aime le faire dans tous ses documentaires. Pendant que j'apprends ainsi à me familiariser avec Final Cut, Françoise prend le recul qui lui est nécessaire. Après avoir presque terminé la version française de ce retour en arrière de vingt-deux ans, elle a souhaité faire un montage radicalement différent pour la version anglaise qu'elle a baragouinée tant bien que mal, nouveaux plans, nouveaux sons, nouvelles astuces et nouveaux gags.
L'idée est marrante de faire deux films différents en français et en anglais pour aborder les mêmes thèmes : la transsexualité en 1986, le regard face caméra, le contrechamp explicite, le refus des commentaires, la difficulté de ne pas céder aux critiques, la distanciation, l'émotion des caractères, la fictionalisation... D'une langue à l'autre, le ton est différent. Le français est plus direct et badin, l'anglais plus sec et hésitant.
Comme j'avais équipé Françoise d'un micro-cravate caché sous son corsage et clippé sur son soutien-gorge, la voix est claire, détachée, sans presque aucun coup de vent sur la membrane. Nous sommes même obligés de rajouter des sons seuls pour retrouver l'ambiance maritime et les grillons lorsque la terre est en vue. Clapotis, grincements que je mêle à ceux de la contrebasse d'Olivier Koechlin, mouettes moqueuses, splash et la musique composée initialement pour son film Si toi aussi tu m'abandonnes. Supprimée pour de sinistres raisons déjà abordées à l'époque du procès (gagné) contre la société de l'indélicat Serge Moati, c'est la première fois qu'on pourra l'entendre, du moins les parties avec le violoncelliste Didier Petit.
Il faut donc tout réimaginer et inventer en s'attaquant à la version anglophone. Les prises de vue sont évidemment différentes, mais il faut trouver le ton qui convient par le rythme du montage et la bande-son qui prend une importance colossale puisqu'elle joue sur le hors-champ. Françoise s'amuse d'ailleurs de quelques contrechamps savoureux avec son père qui roupille à l'avant du bateau et ma pomme, le casque sur les oreilles, m'agrippant au filin pour ne pas passer par-dessus bord ! Pour garder le cadre fixe tandis que le bateau tangue tant que ça peut, je maintiens la caméra si fort avec la main gauche que j'attraperai une tendinite dès le premier matin. Je veux que le cadre ne lâche pas Françoise avec l'arrière-plan qui chavire à nous en faire attraper le mal de mer.
Pour cette seconde interprétation, avec relativement peu de matériau, Françoise joue des désynchronisations, des frottements, des chevauchements, elle provoque en montrant que les coulisses sont aussi parlantes que l'attaque frontale. Sans tout dévoiler, ce sont les bêtises et les maladresses du tournage et du montage qui déclenchent en nous les meilleures idées. Face à l'adversité, nous sommes obligés d'inventer... Tout le monde est logé à la même enseigne.

jeudi 14 août 2008

Avis de recherche


Je ne me souviens plus si j'ai déjà utilisé le tableau de Françoise en illustration pour raconter les débuts de notre aventure. Un rapport assez banal entre homme et femme. Je n'avais pas de rames, mais j'aimais l'eau. Aujourd'hui, nous recherchons simplement à savoir qui est l'auteur du "Rêve", un ou une M. Russel qui a apposé sa signature au bas de la toile. Françoise l'avait achetée lors d'un vide-grenier avenue Trudaine. Si vous avez une piste, n'hésitez pas à nous contacter...

mercredi 6 août 2008

Tout nus tout cuits


Malgré des coups de soleil à des endroits rarement exposés, la journée de lundi a été merveilleuse. Maurice nous a emmenés au Cap Sicié avec son pointu dont le nom lui va comme une paire de palmes. Le spectacle sous-marin était aussi fabuleux que la côté déchiquetée où nous avons accosté pour pique-niquer avec dégustation d'arapèdes (appelées berniques en Bretagne) et de spécialités locales. Ayant dû plonger sous le bateau, je suis très fier d'avoir réussi à réparer un boute en train de se sectionner au-dessus de l'ancre, retrouvant ainsi mon apnée juvénile. Nous avons ensuite plongé autour des Deux frères, deux gros rochers au large où vient brouter toute la faune sous-marine. Retour de manivelle à Fabrégas pour treuiller la barque sur ses rails en cale sèche après avoir réenfilé nos calcifs. Ce petit tour en mer, comme dirait Yves Afonso dans Maine Océan, m'a donné envie d'acheter un bateau alors que je ne sais même pas en conduire. Françoise a le permis, c'est déjà ça ! Mais puisque j'aime le silence et la mer, la flotte et le désert, la faune et la flore sous-marine, la migration et le changement, je me demande sérieusement si une maison est bien adaptée à mes rêves de futur vacancier.

lundi 4 août 2008

Appelez-moi Madame 1


Françoise m'a demandé de filmer son interview pour accompagner le DVD de son second film, Appelez-moi Madame, qui sortira en novembre. Nous avons embarqué à bord du pointu de Jean-Claude pour tourner au large. En 1986, son film se passait en Normandie, au bord de la Manche et au Moulin d'Andée. Vingt-deux ans plus tard, elle choisit la Méditerranée, près de sa ville natale de La Ciotat. De retour à terre, elle s'aperçoit qu'elle aurait aimé apporter certaines précisions que les embruns lui ont fait oublier. Comme il n'est pas question de recommencer, je lui suggère d'ajouter ces détails en sous-titres ou en commentaires de son entretien, rajoutant une couche critique à ses souvenirs. Appelez-moi Madame est l'histoire d'un militant communiste, marié et père d’un adolescent, qui, dans un petit village normand, devient transsexuel à 55 ans, aidé par sa femme. Comme le précédent, Mix-Up ou Méli-Mélo (édité en DVD par Lowave), le second film de Françoise Romand eut un retentissement extraordinaire aux États-Unis et fut complètement ignoré en France. Les DVD apportent une seconde chance aux films. Le sien sortira en DVD (édité cette fois par alibi) peu après son nouveau Ciné-Romand (1 2 3) qui se tiendra à La Bellevilloise le dimanche 26 octobre prochain. On en reparle.

dimanche 27 juillet 2008

Anh-Van comme


Voilà plus de vingt ans que je connais Anh-Van. Nous habitions dans le même immeuble à Père Lachaise. Je grimpais au 3ème. Il descendait au 1er. Les enfants étaient chez les uns, chez les autres. À tour de rôle, les voisins faisaient les nounous. Nous pouvions décider de sortir sur un coup de tête. Michèle et moi n'avions pas une fille, mais une demi-douzaine ou pas du tout. Une véritable ruche. La quinzaine de moutardes (à deux près il n'y avait que des filles) avaient presque toutes le même âge. Certains dimanches, il y avait des fêtes d'immeuble que je filmai au fil des années. Marie-Christine et Anh-Van organisaient des soirées avec des dizaines de convives où se produisaient des musiciens classiques, des jazzmen, des danseurs de tango, des comédiennes... Lui, c'était le bon docteur, fidèle au serment d'Hippocrate, des comme on n'en voit plus beaucoup, dévoué à ses patients. J'en faisais partie, mais lorsqu'il a déménagé, j'ai arrêté d'être malade. Ce serait devenu trop compliqué. J'ai raconté les mardis soir où ensuite Anh-Van Hoang faisait table ouverte et plus tard ses dimanches après-midi à Belleville...
Lorsqu'il est passé à La Ciotat, entre ses plongées en Corse et Carnoules où jouait son fils Antonin-Tri, je lui ai suggéré que nous mettions en ligne les 26 numéros de notre revue ABC comme, quatre ans et demi, de 1992 à 1996, pour arriver à la lettre Z. Cela consisterait essentiellement à scanner un paquet de pages 21x29,7, textes et images. On pourrait en reproduire un florilège. Je rappelle que l'ABC comme tirait au nombre d'exemplaires qu'il y avait de rédacteurs. À l'époque où mes films tournés à Sarajevo rassemblaient 20 millions de téléspectateurs tous les soirs, je trouvais cela très sain. Selon les numéros qui grossissaient au fur et à mesure de la chronologie, on était assuré d'être lu par huit, dix-sept ou trente-trois lecteurs attentifs, d'autant que l'on s'en parlait mutuellement à la fête qui célébrait chaque sortie. Il sera impossible de restituer la variété de textures, les papiers variant pour chacun d'un coup sur l'autre, papier glacé, papier buvard, papier dessin... Marie-Christine Gayffier, qui assurait le secrétariat de rédaction en plus de tout le reste, reliait parfois des matières plus exotiques, grillage, carrelage en plastique... Nous livriions chacun les copies de notre contribution, image et texte associés. Tout était fait à la main, parfois numéroté. Pour la lettre K, nous avions édité une cassette audio dont j'avais réalisé le montage. Parmi les rédacteurs il y avait autant de pros (Françoise Petrovitch, Alain Monvoisin, François Davin, François Figlarz, Joseph Guglielmi et tant d'autres) que d'amateurs (Elsa qui était toute petite avait même écrit et dessiné un O comme Oeuf !). La revue vit naître des amours, des couples se séparer, des amis disparaître, des créativités se révéler... C'est dans ce cadre que j'écrivis mon M comme Mobilisation Générale et mon P comme Papa. En bon archiviste, je suis un des rares à posséder toute la collection, comme celle du Journal des Allumés qui publieront leur vingt-deuxième numéro à la rentrée.
J'aurais pu parler de la musique, des rêves, des filles, de politique ou de bouffe, de fumée ou d'alcool (en bon médecin, Anh-Van est l'auteur avec Yves Charpak du Guide de la Cuite !)... L'ABC comme fait partie des souvenirs que je partage avec Anh-Van et des beaux jours du boulevard de Ménilmontant.

samedi 12 juillet 2008

Plumes


Nous nous sommes endormis sur le qui-vive craignant que le chat ne fasse qu'une bouchée des petits canetons en train de naître sous notre fenêtre. Leur mère n'avait rien trouvé de mieux que de couver dans les buissons juste en dessous du perchoir de Scotch. Elle sort pour se nourrir, mais elle regagne subrepticement son nid après s'être assurée que personne ne la regarde. À minuit, nous entendons les coquilles craquer et les petits piailler.
Vers 4 heures du matin, j'entends de drôles de sifflements, comme des plaintes. Je me redresse brusquement dans le lit pour m'apercevoir que c'est ma compagne qui fait ces bruits de sirène homérique. Les canetons ne mouftent pas. En revenant des toilettes, j'aperçois comme une paire de chaussettes roulée en boule le long du couloir. Je m'approche. C'est une tourterelle, mais comme elle ne bouge pas d'un cil qu'elle n'a pas, je me demande si ce n'est pas un leurre en plastique du père de Françoise. Je retourne dans la chambre chercher une lampe de poche et j'éclaire son petit œil rond et noir. Un trou de sang coagulé marque son dos. L'oiseau reste inerte jusqu'à ce que je le saisisse pour le mettre dehors. Après un tour d'inspection dans la maison, je découvre le carnage dans la cuisine. Le lendemain matin, je peux suivre le trajet du chat aux plumes semées sur son passage, mais plus aucune trace de la tourterelle.
Avec ses copines, elles volent le grain des canards et en consomment 50 kilos chaque mois, un gouffre. Scotch, tapi à l'affût, sait faire la différence entre animaux domestiques et pilleurs célestes. La cane, de son côté, vient le narguer pour fixer les bornes avant qu'il ne se croit tout permis. Nous attendons que tous les petits soient nés. Il faudra en attraper un pour attirer la mère suivie de toute sa smala et les faire entrer dans la nurserie...

lundi 30 juin 2008

Friture d'oblades


Loin de mes archives, j'illustre mon billet paresseux avec la plage du dimanche soir.
Enfin les vacances. J'ai terminé hier dimanche ma conversation à deux sur le blog Tchatchhh après une douzaine de longs billets illustrés et souvent sonorisés, j'ai envoyé les derniers sons pour les Ptits Repères, réclamé l'argent qu'on nous doit... Indépendant, on passe plus de temps à régler des questions administratives qu'à faire son travail.
J'ai terminé le premier volume du bestseller suédois Millenium et me suis plongé dans Lignes de faille de Nancy Huston que m'ont conseillé chacune de leur côté Elsa et Françoise. Je comprends pourquoi ma fille tenait à ce que je le lise. De plus, je découvre que la romancière a dédicacé son livre à Tamia qui a enregistré une année entière avec le Drame. Nos archives sont pleines d'inédits où la chanteuse joue d'une foule de timbres surprenants. Un jour, je raconterai peut-être le stage auquel Bernard et moi avions participé et où tous les deux avons été en-dessous de tout, mais j'attends qu'il y ait prescription. De temps en temps, nous pensons avec tendresse à Tamia, et à Annick depuis longtemps disparue.
Fin 1976, Francis et moi avions composé et interprété pendant un mois en direct au Théâtre des Amandiers à Paris la musique de la pièce Cool Sweety et Speedy Panik écrite et jouée par Annick Mével et Hermine Karagheuz. C'était bien ringard et à la fois très sympa. Comme le public était clairsemé, je me souviens de deux spectateurs en particulier, le premier émouvant, Roger Blin, le second à gerber, André Glucksmann (non, il n'a pas changé !). C'est à cette époque que nous avons fondé Un Drame Musical Instantané...

L'image et le son ne collent pas. Le calme du jardin tranche avec le raffut de la plage située trois cents mètres plus bas. C'est l'heure de la sieste. Nous n'avons plus l'habitude de telles chaleurs. Au casque, on entend parfaitement le continuum des cigales sur lequel vient se percher une fauvette. Dans les haut-parleurs de mon ordi, on dirait de la friture d'oblades. En testant mon Korg MR-1, je comprends qu'il faudrait que j'acquière des microphones plus adaptés à l'effet de spatialisation recherché. Deux omnis à accrocher sur chacune des branches de mes lunettes ou à cheval sur mes oreilles ?

dimanche 29 juin 2008

À porter au crédit d'un motocycliste condamné récemment pour conduite en état d'ivresse


Il est trois heures du matin. Nous sommes à Pigalle en 1994, grande époque du vol à l'arraché de sacs de dames. Françoise avait laissé le sien sur le siège arrière de sa voiture. Deux gars ouvrent la portière, s'en emparent et remontent en courant la rue Germain Pilon. Françoise a beau faire des signes désespérés aux passants qui les croisent et crier "Au voleur !", aucun ne bronche. Une Vespa qui descendait la rue s'arrête à sa hauteur. "Vite, vite, ils m'ont volé mon sac et sont partis par la rue Véron". Comme le galant fait un demi-tour chevaleresque, elle veut monter à l'arrière de son scooter, mais il refuse parce que ça peut être dangereux. Elle continue de grimper à pieds tandis qu'il disparaît à la poursuite des deux voleurs. Avant qu'il ne parte, elle a le temps de lui crier d'au moins récupérer ses clefs et ses papiers. Dix minutes plus tard, le voilà qui revient et sort de sa poche le trousseau de clefs. C'est génial, s'exclame-t-elle, elle est sauvée, elle peut au moins rentrer chez elle. Mais ce n'est pas terminé, il est en négociation avec les deux junkies qui veulent bien rendre le sac à condition de conserver le liquide. Elle sait qu'elle ne possède que 50 francs : "qu'ils gardent le fric !". Lorsque le petit gars revient avec le sac, elle lui propose, pour le remercier, un coup à boire comme elle n'habite pas loin. Il a un petit côté étudiant en droit ou en médecine avec ses lunettes rondes et l'air sympa. Ce soir, il n'a pas le temps, mais comme il travaille au Théâtre de l'Atelier, il propose à Françoise de passer le voir. Elle imagine qu'il déchire les billets à l'entrée. Là-dessus, le courageux jeune homme enlève son casque et, coup de théâtre, elle reconnaît Guillaume Depardieu qui n'est évidemment pas du tout ouvreur, mais joue à l'Atelier. "Incroyable", fait-elle, "je suis réalisatrice et c'était justement ce soir la première de mon film" (Passé-Composé) ! C'est la raison pour laquelle elle était un peu dans la lune et n'a pas senti venir les deux voleurs. Françoise se rendra compte qu'ils ont aussi piqué sa montre Swatch dont elle voulait justement se débarrasser parce qu'elle faisait trop de bruit pendant les projections. L'aventure coûta le prix d'une place de théâtre ! Pour remercier Guillaume Depardieu, elle lui enverra Pourquoi j'ai mangé mon père de Roy Lewis.
N.B. : petit détail amusant en ce qui me concerne, sa traduction est l'œuvre de Vercors et de sa compagne Rita Barisse.
P.S. : Guillaume Depardieu vient d'être condamé par le tribunal de Versailles à deux mois de prison ferme pour conduite en état d'ivresse au volant de son deux roues.

vendredi 27 juin 2008

Un pont sur la toile


Comme je viens de l'écrire sur tchatchhh à la fin de mon billet sur Rossini, j'ai réussi à me connecter au Net depuis le TGV qui nous emportait vers Marseille grâce à la clé USB 3G+ dans laquelle j'ai glissé la puce de mon iPhone. Pas besoin de wi-fi ni de quoi que ce soit d'autre. Mon MacBook peut fonctionner sur la Toile même en rase campagne, et pour pas un rond puisque mon abonnement Internet est illimité en ce qui concerne la navigation et les mails. Quand je l'ai achetée, la clé était en promo chez Orange à 30 euros. Un miracle ! Chaque "avancée" technologique m'épate. Nous marinons dans Jules Verne. Mes rêves d'enfant prennent corps. Comment voulez-vous grandir avec ça !
J'ai donc aussi délocalisé mon blog depuis le début de la semaine dernière et ce jusqu'à dimanche pour pouvoir converser avec Karine Lebrun sur le blog à deux dont elle a eu l'initiative. J'y ai parlé du son et de l'image, du voyeurisme, du Drame, du chanteur Franck Royon Le Mée, des droits d'auteur, du sampling, de la création musicale, de la difficulté d'être et du choix, de la Pompafleurs des Ptits Repères et j'ai digressé allègrement comme d'habitude ! Karine a évoqué Marcel Duchamp, Victor Marzouk, Daniel Spoerri, Benoît Le Guein, Joël Hubaut (Put Put à l'écoute), Makigami Koichi (aussi), Christian Marclay, Marcel Broodthaers (entretien radiophonique avec chat )... Et tous les deux d'étranges gastronomies...
De mon côté j'ai donné à entendre Radio Silence (du cd "Carton"), Pas de cadeau (un trio du Drame sur le vinyle "18 surprises pour Noël"), Le poil et la plume (du cd "L'hallali") et surtout le premier mouvement d'une radiophonie inédite de 1976 intitulée Elfes' Symphonie.
Il suffit de cliquer sur Tchatchhh et vous y êtes (si vous lisez ce billet dans quelques temps, il faudra simplement y choisir mon nom parmi les invités ou bien juin 2008). Comme ici, il n'y a plus qu'à remonter le temps. Les blogs se lisent bizarrement par bonds de bas en haut, mais heureusement de haut en bas, et de gauche à droite !
Je ne dors toujours pas. Il fait très chaud. J'ai le vertige et un peu mal au dos. Le chat Scotch m'en a encore fait voir de toutes les couleurs pendant le voyage, façon de parler, il stresse quand on le trimbale dans son panier et s'oublie, c'est comme ça qu'on dit lorsqu'il se rappelle à notre bon souvenir par un parfum qui me fait me précipiter pour ne pas incommoder le wagon. Je m'enferme dans les toilettes de l'IDzen pour tout nettoyer, la caisse et le matou.
Pour celles et ceux qui s'inquiètent de la santé de Françoise, elle doit être prudente, mais, sur la voie de la guérison, elle échappe pour l'instant à l'opération. Tout va bien. Elle revit. Le bougainvillier explose. Les potimarrons pullulent. Les abricots mûrissent. Les poissons se multiplient. Nous marchons sur l'eau.

jeudi 26 juin 2008

Sec


Avant d'arriver à la mer, il y a le train. Trois heures pour Marseille. Rosette vient nous chercher à la gare Saint Charles. Françoise n'a le droit à aucun effort. Elle ne peut pas se pencher en avant sans risquer un décollement de la rétine. À l'arrivée, nous filons directement chez l'ophtalmologiste qui lui révèlera les modalités de ses vacances ! C'est sec. La mer attendra encore un peu.

mercredi 25 juin 2008

Dilatation


Nous quittons Paris demain pour La Ciotat, laissant la garde de la maison à Jonathan et aux amis, malgré les problèmes occulaires de Françoise qui devra peut-être se faire opérer là-bas. J'emporte tout ce qu'il faut pour travailler, même si j'espère me la couler douce. Cette fois, Scotch est du voyage. Je compte me refaire une santé et revenir un homme neuf. Je ne sais pas encore si je serai capable de continuer le blog tous les jours. Peut-être qu'un peu de vacances me feraient du bien de ce côté-là aussi. Voilà bientôt trois ans que je blogue 7 jours sur 7, j'ai donc dépassé les mille articles. Jusqu'à dimanche inclus, je suis aussi toujours sur tchatchhh. Mais je vous retrouve au bord de la mer. Tchao !

jeudi 19 juin 2008

Bon débarras


Les seules activités de bricolage que je supporte sont celles qui ne salissent pas trop. Je hais la peinture et tout ce qui s'y rapporte et je tolère seulement de me dégueulasser les genoux de pantalon que j'use de toute manière je ne sais comment, de m'écorcher les mains jusqu'à les faire saigner, d'accumuler la sueur et la soif tant j'essaie de me débarrasser de ces tâches ménagères le plus rapidement possible. Évidemment, comme je bâcle, les étagères sont toujours un peu de guingois, mais le seul fait d'en arriver à bout équivaut à une victoire sur la nature, une sorte d'aventures de l'arche perdue à mon petit niveau. Pour celui à bulles, Françoise est obligée de me le mettre sous le nez, sinon je m'en passe, utilisant par exemple un des petits cylindres des étagères Ivar d'Ikéa pour vérifier au pifomètre l'horizontalité de mon œuvre. Donc, après une visite à l'enseigne suédoise où j'en ai profité pour acheter quelques produits gastronomiques aseptisés, je me mets au turbin pour monter les étagères du garage. Françoise et Jonathan ont terminé la peinture blanche de la nouvelle cloison et l'état de ma compagne ne lui permettra de passer la couche de rouge à l'extérieur probablement qu'à la rentrée. En attendant les bûches du tas de bois resteront sous la flotte dans le jardin de devant. C'est marrant comme je me crois obligé d'utiliser un langage plus populaire lorsque je parle bricolage. J'assume mes racines d'intello jusqu'au bout de mes brindilles. Nous avons vendu l'ancienne porte battante sur eBay et la nouvelle cloison va permettre de stocker le bois à l'abri et soulager la cave, les archives et le réduit du jardin. Mais c'est pas tout ça , je dois maintenant écrire un billet qui m'excite beaucoup plus sur tchatchhh puisqu'il va concerner la gastronomie, un sport plus dans mes cordes !

mercredi 18 juin 2008

Histoire de l'œil


La veille, nous avions regardé La mort de Dante Lazarescu du Roumain Cristi Puiu, l'histoire terrible d'un type qui ne sent pas bien, appelle une ambulance et se retrouve trimballé d'hôpital en hôpital en allant évidemment de plus en plus mal... Filmé comme un reportage, le film est remarquablement bien joué, mais bien trop sinistre à mon goût, d'autant que je supporte très mal l'univers hospitalier, même si je n'y ai jamais eu recours. Cela me donne le cafard et je préfère franchement les cimetières et les enterrements aux visites formolées. La critique du système de santé est féroce et nous nous faisions la remarque que l'action a beau se passer en Roumanie, cela ne doit pas être si différent chez nous. Le film est localisé, mais l'histoire est universelle. Je repense à la phrase d'André Ricros : "Pour être de partout, il faut être de quelque part".
Lundi après-midi, Françoise avait pris rendez-vous chez l'ophtalmologiste parce qu'elle sentait une gêne à l'œil droit. La voilà expédiée direct aux urgences de l'Hôtel Dieu pour deux petits trous et un début de décollement de la rétine. Vingt-cinq personnes attendent devant elle ! Certains ont une compresse sur l'œil, un gamin déchire tous les journaux qu'il trouve sous le regard de sa mère qui ne bronche pas, des pompiers ont les yeux rouges, tout respire le vieux, le vétuste et la maladie... Quelques heures plus tard, lorsque le nombre s'est réduit à onze, une infirmière dit que le médecin a dû filer au bloc opératoire, mais une autre susurre qu'il est probablement parti dîner mais que ça ne se dit pas. Françoise espère que c'est vrai, parce que s'il doit lui cautériser les lésions au laser, autant qu'il soit en forme ! Elle décide néanmoins de tenter sa chance en reprenant imprudemment sa bicyclette pour se présenter aux Quinze-Vingt derrière la Bastille. Il y a encore plus de monde, c'est complètement dingue. Une nouvelle infirmière lui raconte le scandale des urgences qui manquent cruellement de personnel. Françoise suggère de faire grève. Elle répond qu'ils sont déjà en grève et lui conseille un troisième hôpital, le Rotschild près des Buttes Chaumont ! On se serait vraiment crus dans le film de la veille. C'était pénible en fiction, mais cela devient carrément drôle à le revivre le lendemain malgré les inquiétudes. Et nous voilà repédalant vers les hauteurs pour enfin trouver une oreille attentive à son histoire d'œil. Il est minuit, l'interne lui fixe un rendez-vous pour le lendemain matin première heure en lui interdisant tout effort. Laser. Immobilisation totale pendant huit jours. Nous ajournons notre départ, décommandons nos engagements et regardons l'avenir avec patience. Françoise en profite pour téléphoner, une des seules activités praticables dans sa position. Mon œil ! Non, le sien, mais la dilatation s'est déjà résorbée lorsque je pense à le prendre en photo...

Rappel : jusqu'au 29 juin, je mène deux blogs de front, le second est une conversation avec Karine Lebrun sur tchatchhh.

jeudi 12 juin 2008

En route vers de nouvelles aventures


Ayant choisi de ne pas me représenter, j'ai participé hier à mon dernier Conseil d'Administration des Allumés du Jazz. Après dix ans d'implication solidaire et de militantisme volontariste, j'arrête mes activités au sein de l'association de producteurs discographiques indépendants. Cela correspondait à plus de soixante jours par an. Après avoir participé à l'élaboration du gros catalogue de 434 pages en 1998, j'ai tenu jusqu'à ce jour le rôle de co-rédacteur en chef du Journal avec Jean Rochard, soit 21 numéros dont le dernier a été tiré à 18000 exemplaires, tous distribués. J'ai également réalisé le double album des Actualités, supervisé les différentes versions du site Internet et initié le Blog et la WebRadio. Je ne regrette rien, mais il est temps pour moi de passer à autre chose. D'autant que je ne me suis jamais senti l'âme d'un producteur, gardant ma spécificité de créateur à renouveler sans relâche mes utopies. Je ne souhaitais pas non plus être vu dans certains milieux, certes aussi excentrés que le jazz, comme l'homme des Allumés, ce qui finissait par occulter mon travail de compositeur. Au travers de prochains billets, parfois même involontairement, je reviendrai sur ce qui m'a enthousiasmé et sur ce qui m'a fait prendre des distances avec un secteur de la musique qui ne brille pas par sa solidarité, mais cela se passe-t-il autrement ailleurs ? J'en doute. La situation économique et sociale actuelle exige des compromis et des négociations avec lesquels mon caractère et mes choix politiques sont incompatibles, même si je suis certain que seul un rapprochement des différents acteurs de la scène jazz et assimilés sauvera, du moins momentanément, un secteur en crise. D'autre part, je ne crois pas que l'association ait les moyens économiques et les compétences de ses ambitions en matière de distribution. Le label GRRR reste évidemment partie prenante aux Allumés et je reste quant à moi disponible pour aider de différentes manières mes camarades dont la tâche est bien lourde. Mes sornettes d'alarme n'ayant pas été entendues ces trois dernières années, je cherche désormais à arpenter des chemins où le soleil brille la nuit, où la jeunesse est une qualité, où la musique s'affranchit des pressions de toutes sortes et particulièrement de l'air du temps. J'ouvre grand les fenêtres, je ventile, respire un bon coup, et je pense avec tendresse à Valérie, Cécile, Françoise, Christelle, Pascale, Jean, Jean-Pierre, Didier, Pablo, Étienne, Stéphane et tous les autres aux côtés de qui je me suis battu toutes ces années... La fête continue.

samedi 31 mai 2008

Agnès Varda et ses 80 balais


Elle les a même eu hier soir, et c'est le fils de 16 ans du scénographe Christophe Vallaux qui a eu l'idée de demander aux amis d'Agnès de venir chacun chacune avec un balai pour en faire un bouquet d'anniversaire. La photo prise devant sa porte, sur le trottoir de la rue Daguerre, montre l'octogénaire du jour, toujours aussi pimpante, étreignant celui que Françoise a customisé en le bombant de rose fluo, d'orange sanguine et d'or. J'y ai noué un petit cadeau et Yolande Moreau a réussi à raccrocher le pompon fuschia qui s'était décollé du manche. Les deux nôtres détonent au milieu de la rutilance de l'ensemble. Les seuls à avoir servi, ils possèdent une histoire, atterrissant chez Agnès après de très nombreuses heures de vol. Au milieu de la foule des amis, j'en retrouve deux qui me touchent particulièrement.
La première est Luce Vigo qui me rappelle que je fus le premier à mettre en musique À propos de Nice, le film muet de son père, le cinéaste Jean Vigo. C'est aussi le premier ciné-concert que le Drame créa, c'était en 1976. Vingt-cinq autres chefs d'œuvre cinématographiques suivront, qui nous firent faire le tour du monde. Nous abandonnâmes lorsque le genre devint une mode, lassés peut-être aussi de rester trop longtemps dans la fosse d'orchestre ou derrière l'écran. La dernière fois que j'avais été en contact avec Luce, c'était pour l'annuaire des anciens élèves de l'Idhec qu'elle aura mis trois ans au lieu de trois mois à rassembler.
Le second est un autre vieux monsieur dont j'ai toujours aimé le travail. Un des tableaux de Jacques Monory illustrait la pochette de Carnage, le dernier 33 tours d'Un Drame Musical Instantané. Plus tard, l'Ekta "Technicolor" d'une toile détruite nous servit de carte postale. Enfin, nous composâmes la musique du film que la vidéaste Dominique Belloir réalisa sur ses toiles pour la Cité des Sciences et de l'Industrie et qui accompagne, je crois, encore le public qui fait la queue devant le Planétarium. Monory, un sourire toujours aussi charmeur, me parle de la vanité du monde qui ne cesse de croître, un monde stupide et terrible auquel il continue paradoxalement de s'accrocher. N'est-ce que de la curiosité ? Un jour où nous parlions de ses monochromes bleus, il me confia : "la nature m'écœure !". Je pensai bizarrement à Varèse dont le titre Déserts est souvent compris de travers.
Si, au détour d'un couloir, une pancarte clame "J'ai mal partout", en voilà trois qui n'ont pas de quoi se plaindre. La vie est belle, à condition de s'exprimer dans la résistance et le partage. Hier soir, Agnès rayonnait.

mardi 27 mai 2008

Pensées circonflexes


Hier matin, il faisait encore assez beau pour monter sur le toit et tuber le conduit de la cheminée. Il paraît que cela devrait réduire notre consommation de fuel dont le prix vient d'ailleurs de dépasser 1 euro le litre. Ça grimpe, ça grimpe. Voilà des années qu'on nous le dit, mais personne ne croyait vraiment à la pénurie, et personne ne croit non plus à ce qui se prépare comme à la réalité cynique, honteuse et mensongère qui a poussé les Américains à envahir l'Afghanistan et l'Irak, à faire ami ami avec l'Arabie Saoudite et maintenant à lorgner sur l'Iran ou le Vénézuela, sans compter les tentatives de déstabilisation de la Chine via le Tibet new age fantasmé par les Occidentaux en mal de gourou. Ne pas croire que les Russes ou les Français soient en reste sur le sujet... À y regarder de près, on risque de prendre le globe pour une toupie. Le pétrole grimpe et nous avec. Aux rideaux, citoyens ! Faites en des drapeaux de toutes les couleurs pour escalader les barricades... J'adore la vue du toit. Il n'y a rien de mieux que de changer d'angle, avec ses yeux ou à l'intérieur du crâne. La lecture de Žižek (Bienvenue dans le désert du réel) me porterait-elle sur le ciboulot ? Il a une façon formidable de retourner les évidences comme une chaussette. La philosophie et la psychanalyse seraient-elles la poésie mise à l'épreuve de la pratique ?
Comme on faisait des pointes sur les tuiles, on en a profité pour dégager le lierre mort qui avait colonisé la gouttière, mais, surtout, j'ai ramassé la vieille antenne télé en râteau dont la rouille avait sectionné le mât. Pas étonnant que la réception hertzienne se soit détériorée ! Crâne, antenne en râteau, mât, faut-il que les mots soient en haut pour porter des chapeaux circonflexes ? Je suis aussi descendu dans l'abîme recevoir la suie dans la figure lorsqu'apparut le tuyau en aluminium au-dessus de la chaudière. C'est justement pour l'éviter qu'on tube. Françoise passe et repasse le disque de Bernard. Du toit, on voit la cheminée de la voisine d'en bas qui n'a pas de chapeau, elle chauffe la pluie qui dégringole dedans, parce que depuis, ça tombe dru.
Le soir, nous avons démonté la porte arrière du garage. J'avais imaginé rentrer des voitures dans ce qu'est devenu le jardin. J'ai préféré les arbres aux automobiles. Certaines n'apprécient pas les platanes, d'autres si. Un érable est en train de prendre. Derrière la porte jaune, il y a de grandes fleurs de pavot orange et des fuchsias qui grimpent le long du mur du voisin. Tout grimpe, sauf les salaires. L'idée de Françoise est de remplacer cette porte pivotante (qu'elle a mise en vente sur eBay) par un mur et une porte vitrée qu'Hélène avait aperçue abandonnée sur un trottoir près de la Place des Fêtes. Du côté extérieur de la future cloison on pourra mettre le bois de chauffage à l'abri et à l'intérieur on construira des étagères pour accumuler encore plus de cochonneries. Les trier une fois de temps en temps, c'est aussi de la poésie. C'est dommage qu'elles encombrent le reste du temps. On ne fait de la place que pour pouvoir l'occuper. Ça me scie. J'aime les grands espaces. J'imagine le ciel à l'envers comme un océan de moutons noirs. Cette menace a du bon !

mardi 20 mai 2008

Est-ce Velib' en billevesée ?


Nous n'avions pas imaginé que le nouveau système de transport parisien allait nous faire tant marcher... Mais commençons par le commencement. Après avoir testé l'engin avec la carte bleue, nous avons décidé qu'il serait plus simple de prendre un abonnement à l'année. Il suffit donc de glisser sa carte Velib' ou son Pass Navigo sur la borne et le tour est joué ! Pour 29 euros, nous pouvons ainsi emprunter une bicyclette et la rendre moins de trente minutes plus tard sans que cela nous coûte un centime de plus. Si nous risquons de dépasser la demie heure, nous cliquons le vélo sur une borne et nous le reprenons illico, passé quelques secondes. Même si nous voyageons le plus souvent avec nos propres engins, il est pratique de faire des sauts de puces à Vélib' aussitôt que nous nous promenons à pieds. Il n'y a pas trop d'hésitation à avoir, surtout qu'un ticket de métro à l'unité revient à plus d'un euro, une somme franchement prohibitive. Le seul problème est la disponibilité des deux roues aussitôt que l'on habite sur les hauteurs.
Ce jour-là, Françoise avait décidé de descendre en empruntant un Vélib' à la Porte de Ménilmontant. Il en restait, mais l'un avait le pneu arrière à plat et l'autre avait une roue qui ressemblait à un anneau de Möbius. Malgré ses chaussures à petits talons, elle prit son courage à deux mains comme on se saisit d'un guidon de montagne et décida de filer jusqu'à la station suivante qui n'était pas mieux garnie. Les cyclistes les prennent en haut la matin, mais les laissent le plus souvent en bas. Les services d'entretien ne regarnissent pas suffisamment ces stations désertées et particulièrement celles qui sont bien excentrées. Par contre, dans le Centre il devient difficile de trouver une place libre pour parquer son engin. À la sixième station où elle fait chou blanc, Françoise décide de prendre l'autobus, mais elle a déjà marché de la Porte des Lilas jusqu'au Père Lachaise ! C'est une bonne idée, d'autant qu'il se met à tomber illico des hallebardes. Arrivée au terminus du 61, elle glisse enfin sa carte sur une borne où les véhicules sont alignés comme des petits soldats, mais l'indicateur persiste à rester rouge. Elle appelle donc sur son portable le service responsable qui lui apprend qu'elle a bien rendu son Vélib' de la veille, mais qu'elle ne l'a pas cliqué convenablement !? La nuance peut sembler absurde. Il est rendu ou il ne l'est pas. Précisons que le préposé lui demande le numéro de la borne du vélo en plus de l'adresse de la station, ainsi que le numéro de son abonnement qui n'a pas été reporté sur sa carte Navigo. Elle devra attendre 24 heures avant le droit de réutiliser le système ! Le reste du parcours se fera donc encore à pieds. On lui promet que, comme c'est la première fois, elle ne sera pas sanctionnée financièrement.
Moralité : abonnez-vous, c'est beaucoup plus simple, gardez votre numéro d'abonné avec vous, déménagez dans le fond de la vallée ou levez-vous très tôt le matin, ayez de bonnes chaussures de marche, vérifiez l'état d'un vélo avant de l'emprunter, attendez bien que le voyant repasse au vert lorsque vous le rendez, j'en oublie certainement que mes lecteurs sauront compléter. Pendant ce temps, le mien s'excite à tourner tout seul sur place. J'avais bien annoncé en titrant que ce n'était qu'une histoire de sornette de vélo !

samedi 17 mai 2008

Žižek défend Badiou devant le Tribunal du Peuple


Après le préambule accusateur d'un olibrius paranoïaque depuis le fond de la salle connue dans le passé comme Cinémathèque de la rue d'Ulm, le titre sarcastique de la conférence du philosophe slovène invité par Alain Badiou à l'E.N.S. justifie bien son nom par la navette qui se fera d'un discours de l'un sur l'autre : "Alain Badiou devant le Tribunal du peuple". Ce lieu historique sied également à Slavoj Žižek (prononcer Slavoï Jijek) qui étaie souvent ses propos avec des blockbusters du cinéma holywoodien... Le rouge est mis.
Tandis que le discours quasi universitaire du Français est fluide et s'appuie sur des rapports de cause à effet ou d'effet à cause, nécessité des contingences et contingence des nécessités, celui du Yougoslave a tout du méridional hystérique à la recherche du point de rupture. Žižek fait son cinéma, c'est-à-dire qu'il pratique l'ellipse, l'art du montage, en interrompant ses phrases pour sauter à pieds joints de marche en marche. Sa pensée va vite, mais elle emprunte les mots de tous les jours. Alors on galope derrière lui qui nous fait face.
Dans sa longue introduction, Badiou évoque leurs différences et leurs points de rencontre, de Richard Wagner aux philosophes du début du XXe siècle. Hegel est sur leurs lèvres. Badiou fait rouler les mots dans sa bouche. Žižek ne mâchera pas les siens. Mais tous deux fustigent modernité et post-modernité qui ne sont que répétition et restauration de vieux schèmes. À l'Algérie et Mai 68 de l'un répondent le stalinisme et le titisme de l'autre, voilà pour leurs sources biographiques... De l'importance de nommer ses ennemis, et d'en avoir... Que veulent ceux qui ne veulent ni la terreur ni la vertu ? La corruption ! Le courage est de n'avoir pas peur de ce que l'on redoute...
À son tour, Žižek réveille le communisme pour démasquer le capitalisme global à visage humain que l'on a coutume d'appeler socialisme. Annuler l'opposition radicale de l'ennemi ne marche pas. On ne peut pas négocier. L'époque n'a rien de post-idéologique, c'est une idée des démocrates qui sont allés jusqu'à légitimer la torture... Lacan disait que l'angoisse est le seul affect qui ne trompe pas. À la terreur et à l'angoisse, Badiou répond par le courage et la justice à laquelle Žižek substitue l'enthousiasme. Se moquant du Dalaï Lama qui spiritualise l'hédonisme forcément avec succès, il est capable de traits d'humour sur les sujets les plus graves comme l'antisémitisme sioniste dont la "S.H.I.T. list" rappelle les méthodes des Nazis. Sa plaidoirie zappe à tout bout de champ. Le 1 devient le 0 inscrit dans le multiple. Trop de pistes passionnantes. Je prends des notes décousues, parce que demain je me souviendrai d'autres bribes. Je n'aurai plus qu'à me plonger dans ses livres, que Françoise dévore depuis quelques jours.

dimanche 4 mai 2008

Promenade sur la Seine


Profitant de la venue de Rosette à Paris, hier samedi nous sommes allés nous balader en Batobus sur la Seine. Le soleil cognait. On se serait cru en plein été. Nous savions que ce moyen de locomotion existait, mais ne l'avions jamais emprunté.
Enfant, j'étais monté plusieurs fois sur les Vedettes Paris-Tour Eiffel et je voyais passer les Bateaux-Mouches dont le nom m'intriguait. Lorsqu'Elsa eut le Bac (à lauréat, et non celui qui traverse la rivière de Pont-L'abbé entre L'île Tudy et Loctudy), je cherchai un endroit sympa pour évoquer son avenir et l'invitai sur un bateau qui partait du Trocadéro. Sur le pont, je me souviens lui avoir demandé : "Tu as 18 ans. J'ai fait ce que je devais faire. Maintenant dis-moi ce que je peux faire ?" Elle répondit : "Papa, surtout rien du tout !" Et vogue la galère... Depuis, elle mène sa barque en maintenant son cap comme elle l'avait souhaité. J'ai toujours eu envie de descendre le canal depuis La Villette jusqu'au port de l'Arsenal en passant les écluses, mais c'est une excursion qui reste à faire...
Je savais donc que l'on pouvait traverser Paris par la voie fluviale, transport intéressant en cas d'embouteillage par exemple. Les Batobus coûtent cher à la journée, mais 12 euros (tarif maxi) est le prix de n'importe quelle attraction touristique. Par contre, le forfait à l'année est réduit à 55 euros, ce qui devient extrêmement attractif, à condition que les bateaux ne soient pas pris d'assaut et qu'il ne faille pas attendre d'en voir passer trois avant de pouvoir grimper à bord. La fréquence des quatre Batobus en service va de 20 à 30 minutes selon les saisons et il faut compter une heure et demie pour effectuer une boucle complète. On peut évidemment faire autant de haltes qu'on le souhaite avec le billet forfaitaire, mais la cohue des beaux jours en week-end rend l'aventure très dissuasive. Le forfait permet pourtant de monter et descendre autant de fois qu'on le désire entre le Jardin des Plantes et la Tour Eiffel. On s'arrête à Hôtel de Ville, Louvre, Champs Élysées sur la rive droite, et dans l'autre sens à Orsay, St Germain-des-Prés, Notre-Dame sur la rive gauche. En naviguant sur le fleuve à Bangkok, Françoise suggérait que ce serait bien d'avoir ce type de navette à Paris, pas chères, rapides et très pratiques. On en est encore loin. J'adore Paris, mais j'aimerais que Bangkok soit plus proche.

dimanche 27 avril 2008

Cybergym chez soi avec la nouvelle interface pour la Wii


Avec un mois et demi de retard, Françoise a enfin reçu son cadeau d'anniversaire par la poste. On ne pouvait ni déplacer sa date de naissance, ni la sortie française de la Wii-Fit, la nouvelle interface Nintendo pour la console Wii (joli jeu de mots anglophone qui sied aux pieds, fit to feet) associée à toute une batterie d'exercices physiques sérieux et de jeux amusants. J'imagine que toute la presse va sauter sur le sujet, alors j'ajouterai seulement que l'objet convient parfaitement à ma compagne qui se tortille dans tous les sens pour faire des têtes à un ballon de foot, slalomer entre des piquets, danser ou faire tourner un hulla-hoop. De mon côté, ayant tenté le yoga, les pompes et la marche sur le fil, je me pose la question du danger que peut représenter cette gymnastique si l'on est sujet à la coincette ? Il serait plus prudent de faire vérifier l'opportunité de tous ces exercices par un ostéo connaissant mes fragilités avant de me casser en deux sur les conseils de mon "entraîneur" robotisé. Si le fabricant recommande une pratique quotidienne de l'objet pour retrouver sa vigueur de jeune homme, un corps d'athlète pour les uns, plus de souplesse pour les autres, il est certain que la partie ludique provoquera une bonne dose de rigolade en société. La Wii-Fit serait véritablement géniale, s'il n'y avait pas cette musique débile qui accompagne tous nos mouvements. Nintendo devrait sérieusement se pencher sur le problème, en proposant un choix d'accompagnements et en permettant de couper la musique tout en conservant le reste des informations sonores... Je ne sais pas comment joindre les concepteurs, mais les interfaces Nintendo mériteraient un véritable travail de design sonore adapté à cet objet sur lequel des millions d'utilisateurs vont passer des heures en se farcissant une daube répétitive abrutissante. Toute son ergonomie sonore reste à inventer. Bel enjeu !

samedi 26 avril 2008

Professor Bad Trip


Si Franck ne jouait pas ce soir au Zebulon de New York avec l'accordéoniste Andrea Parkins, il serait venu écouter l'interprétation de Professor Bad Trip par l'Ensemble Intercontemporain à la Cité de la Musique. Vigroux m'a fait connaître l'œuvre de Fausto Romitelli comme les étudiants de l'Ircam m'avait parlé de Sciarrino six ans plus tôt, le soir mémorable où j'ai rencontré Françoise aux e-magiciens de Valenciennes. Lorsqu'ils ne sont pas versés dans les sempiternels revivals, ce que les plus jeunes écoutent est toujours riche d'enseignement. J'avais noté la date en septembre et nous y voilà !
La première partie réunit l'enivrant Steve Reich avec Eight Lines et le conventionnel Philippe Hurel avec son concerto pour piano, Aura. Si Reich continue de nous donner le vertige en nous entraînant dans les méandres de la musique répétitive, Hurel nous laisse de marbre malgré son intéressant travail sur les quarts de ton. Musique bourgeoise de rigueur : comme la plupart des compositeurs dits "contemporains", par son acceptation surannée de la modernité, il la caricature en défendant les attributs de la classe sociale qui l'a engendré(e). Entr'acte.
Françoise remarque qu'elle a rarement entendu un compositeur contemporain aussi contemporain que Romitelli, et Sylvain Kassap de renchérir en insistant sur la réécoute indispensable de la version discographique de Professor Bad Trip par l'Ensemble Ictus, dont le répertoire correspond mieux au génial italien disparu en 2004 à l'âge de 41 ans que l'E.I.C. C'était tout de même amusant de voir Pierre Strauch s'escrimer au violoncelle électrique fuzz aux côtés de Vincent Segal à la basse, le seul de l'orchestre à oser hocher la tête ! Des trois leçons de Romitelli, la dernière laissa la mieux transparaître la magie de son art, mélange réussi de toutes les musiques "contemporaines ", au sens propre cette fois, au sein d'un langage et d'une syntaxe parfaitement maîtrisés. Les trois cordes, les trois vents, le piano, la percussion y côtoient la guitare et la basse électriques comme la bande électronique sans que cela choque à aucun moment. Romitelli se permet même de faire jouer du kazoo et de l'harmonica miniature à ses interprètes. Tout coule de source, même si c'est celle du Styx.
Pendant le concert, je scrute la salle et constate à quel point elle est éclairée. Généralement, on la noie dans le noir pour focaliser l'attention sur la scène. Dans les concerts de rock, de jazz ou de variétés, on sent bien que ça remue, on n'a pas besoin de souligner sa présence par l'image. Rien à cacher, tout le monde se tient bien. Franchement, même si c'était une belle soirée, cela manquait furieusement de soufre.

mardi 22 avril 2008

La zappette qui rend fou


Je suis suffisamment crevé pour taper mon billet allongé dans mon lit avec l'ordinateur brûlant sur le ventre. Je sens bien que c'est malsain. Ça me fait mal au coccyx et la chaleur dégagée par le MacBook est très désagréable, mais je ne suis plus à ça près. J'ai passé deux après-midi à m'escrimer sur la télécommande universelle censée remplacer les huit zappettes du premier étage. Je ne compte pas les quatre du salon ni celles du studio ! Hélas, pour l'instant, la mise en fonction est beaucoup plus pénible que le numéro de jonglage. J'ai fait cette acquisition pour permettre à Françoise et à nos invités de se servir du matériel audiovisuel, car, même avec le mode d'emploi de la maison, la tâche est devenue insurmontable. La conformation de l'Harmony 1000 est pourtant extrêmement compliquée et je ne comprends pas comment une personne "normale" peut réussir l'opération. Expert en débugage à la pomme, la difficulté rencontrée m'apparaît paradoxale pour un objet conçu pour faciliter les choses à l'utilisateur lambda. Logitech a néanmoins installé un protocole savant, tant technologique que humain, pour aider les chanceux utilisateurs. De quoi tout passer par la fenêtre. La base de données a répertorié 1700 appareils, mais je dois tout de même envoyer je ne sais combien d'informations infra-rouges à l'objet rêvé. Pour l'instant, ce n'est pas très concluant, la télécommande universelle (300 euros chez Amazon) s'évertuant à produire des comportements fantaisistes à mes appareils. Après des heures d'acharnement thérapeutique et quarante-cinq minutes avec la Hotline, patiente et diligente, je dois attendre que les techniciens niveau 2, ceux qui savent tout mais à qui on ne peut jamais parler, me postent un mail qui m'annoncera qu'ils ont tout programmé à distance à ma place. En voilà une performance ! Si ça marche, je promets de vous le signaler, parce que ça vaudra vraiment le coup. D'un simple geste du doigt sur l'écran tactile, les appareils engagés dans tel ou tel processus (regarder un dvd ou la télé, enregistrer un film ou écouter la radio, etc.) s'allumeront tous en chœur, se connecteront automatiquement sur les bons ports, sélectionneront le bon canal, tandis que tous les autres resteront éteints. En attendant, je vais jeter un coup d'œil à la fuite d'eau de la cave, un exercice tellement plus simple et moins douloureux que de s'arracher les cheveux avec les merveilles que le progrès nous apporte... Aujourd'hui, exercices de relaxation avec pliage d'un pupitre, déploiement d'un transat et ouverture d'une boîte de sardines, cauchemars psychomoteurs largement détrônés par l'informatique domestique !

Post Scriptum : quatre jours plus tard, je passe presque deux heures avec un technicien Niveau 2 qui m'aide à configurer avec succès la zappette infernale. Le numéro de la Hotline est gratuit, heureusement car tout se passe en direct de Toronto, comme lorsque l'on appelle Apple et que l'on est en ligne avec l'Irlande. Sauf qu'Apple fait payer ses à peu près... Après ma première réaction de dépit, je me devais saluer le professionnalisme de Logitech.

vendredi 18 avril 2008

De l'énergie jusqu'à la marée noire


Les retours sur les chapeaux de roues ne laissent pas beaucoup de temps au blogueur fou pour faire son travail. Les journées n'ont que 24 heures et mon sommeil est déjà réduit à sa plus simple expression. Je devrais y arriver. L'enthousiasme est mon principal carburant.
De bon matin, je porte le PPG à réparer à cause de ses touches bloquées et de ses amnésies : miracle, mon vieux clavier n'a pas perdu la mémoire depuis la dernière fois que je l'ai rechargé. Dierstein m'explique qu'il faut que je le laisse allumé une fois par semaine si je ne veux pas qu'elle s'efface. Même chose avec tous les appareils dont les programmations sont mémorisées grâce à une pile. C'est comme les magnétophones qu'il faut faire tourner régulièrement si l'on ne veut pas que la graisse se fige et que tout tombe en rade. Je ne le fais pas. Il le faudrait.
Je fonce ensuite chez Orange acheter la clé USB 3G+ avec un ?Pass Internet Everywhere sans engagement" (la promo s'arrête mercredi). Bizarres ces noms anglophones pour un produit local... J'ai une idée derrière la tête et je suis ravi de pouvoir enfin me connecter où que ce soit avec mon MacBook. Deuxième miracle, cela fonctionne comme je le souhaitais.
Rentré à Bagnolet, je reçois le comité éditorial du Journal des Allumés. Nous préparons deux numéros de front pour la rentrée automnale : un "normal" (comme si cela existait !) et un "spécial" (ce qui signifie qu'il donnera deux fois plus de boulot !). Nous pensons valoriser le fond de plus de 1000 références plutôt que de toujours mettre les nouveautés en avant. 100 cd à 10 euros chaque, ce serait bien. Gros travail éditorial en perspective.
Le soir, je retrouve Françoise et Franck au Studio Sphota où est présenté Marée Noire, le spectacle de Samuel Sighicelli, avec vidéo, musique électroacoustique en quadriphonie et textes lus par son frère David. Pipelines, plateformes offshore, le liquide noir va recouvrir l'océan. Il s'enflamme en saignant le c?ur des hommes. Contrechant du styrène, l'hymne cède la place à l'oraison funèbre. Hier soir, la folie de l'or noir était encore à un taux jamais atteint.
Tard le soir, je récupère mon vieux synthé. Aucun appareil n'a jamais égalé le PPG dans sa transparence et ses effets de perspective sonore. Nettoyé, il a rajeuni de trente ans. J'avais oublié la souplesse des touches tant les "bushings" étaient tassés comme les amortisseurs d'une vieille guimbarde. Cela me démange de m'en servir pour la musique du film que je dois enregistrer aujourd'hui pour le collège des Bernardins...

jeudi 10 avril 2008

Des yeux pour voir...


De même qu'il est absolument impensable de prendre pour argent comptant la globalité des informations véhiculées par la presse qui ne fait que développer ce que les grandes agences officielles lui communiquent (AFP, Reuters...) - rappelez-vous, par exemple, les récentes affaires de RER ou même d'Outreau - nous devons rester extrêmement prudents avec celles que nous recevons quotidiennement sur Internet et ne surtout rien réexpédier avant d'en avoir vérifier l'authenticité. Les mails dénonciateurs à scandale s'avèrent souvent être des informations passablement tronquées ou se révèlent de simples hoax qui encombrent le réseau et font perdre toute crédibilité à "la résistance" qui s'y développe, ce qui est peut-être le but de ceux qui les inventent.
Hier, j'avais déjà écrit les trois premières propositions lorsque Françoise m'a fait suivre l'enquête de Michel Collon. Il y avait quelque chose qui ne collait pas entre la photographie et son commentaire. Pas besoin d'être très malin, j'avais "vu" juste l'image avant de lire : le coup d'œil initial ne correspondait pas à la légende. Peut-être parce que j'ai l'habitude de chercher le hors-champ et qu'ici l'attitude des badauds en disait long...
En 1989, le prétendu charnier de Timisoara en Roumanie nous avait mis la puce à l'oreille. La même année, l'exécution du couple Ceauşescu nous a immédiatement paru une mise en scène. La localisation de leurs blessures ne correspondait pas aux impacts des balles filmés sur le mur derrière eux. Procès expéditif, rien ne collait, aujourd'hui j'ai oublié les détails, inhumation dans une tombe anonyme, on a vite fait de se débarrasser de la question.
Pendant la première guerre du Golfe, à quinze jours d'intervalle, je vois à la télévision le même pont détruit sous deux noms différents. Les oiseaux mazoutés du Koweït ne faisaient pas non plus partie de la faune locale. Et les puits de pétrole étaient censés brûler pendant des années et des années... Douze ans plus tard, on comprendra que Saddam Hussein n'a probablement pas été arrêté à cette saison, mais six mois plus tôt, l'état de la végétation (les palmiers à l'arrière-plan) jouant le rôle d'indice révélateur. Les images imprécises d'usines d'armes de destruction massive en Irak font partie du lot...
On a beau voir et revoir les films réalisés autour du 11 septembre 2001, on reste coi devant la crédulité du public. Les démonstrations sont pourtant renversantes (1 2 3). À moins de rebondissements spectaculaires dont les Américains ont le secret, la version officielle du gouvernement Bush figurera dans les livres d'histoire et le président des États Unis ne sera jamais traduit en justice.
En Union Soviétique, les victimes des purges staliniennes étaient systématiquement effacées des photos de groupe. On pourrait jouer au jeu des sept erreurs tellement l'évidence saute aux yeux.
Je ne cite que quelques exemples qui me reviennent à l'esprit ce matin, mais la liste est longue, des manipulations reconnues, de celles qui le seront un jour, de toutes celles qui passeront à la trappe. En ce qui concerne les légendes abusives, tronquées, détournées, le meilleur exemple est de regarder les actualités télévisées qui ne montrent rien et disent tout, tout ce que les téléspectateurs doivent en penser. Le contre exemple pourrait être représenté par le passionnant magazine No comment sur la chaîne Euronews, mais il y a toujours une façon de cadrer ou de monter les images. Un documentaire, même sans être accompagné du rituel commentaire, n'a rien à voir avec une prétendue vérité. Le cinéma-vérité est une pure vue de l'esprit, une arnaque digne du marketing. LA vérité elle-même n'existe pas, nous apprenait-on en philo au lycée. Il faut en voir de toutes les couleurs pour faire ses choix, regarder, écouter, prendre ses distances avec les évidences et se demander encore et encore "pourquoi?". La théorie du complot, déclinée de diverses manières selon les époques ou les enjeux géopolitiques, peut évidemment engendrer des effets révisionnistes. Il est donc nécessaire de creuser les zones de doute en s'informant de diverses manières, accepter de changer d'angle, analyser les arguments des uns et des autres, en réfléchissant chaque fois à qui profite le crime ?

lundi 31 mars 2008

Le goût d'avant, le goût d'après


C'est le printemps. Les primevères ont envahi le jardin d'Antoine et Chloé. Samedi, il ne pleuvait plus. On était trop contents d'aller les voir. Et sur le chemin on ne pouvait pas faire autrement que de retourner à la ferme de Mauperthuis faire nos courses de produits frais. Tous les fromages sont à tomber par terre : c'est la région du Brie et du Coulommiers... Si nous habitions plus près, nous prendrions un abonnement, mais c'est tout de même à 50 km de Paris. Vrai poulet, vrai lapin, vrai jus de pomme... Comme s'il pouvait y avoir de faux fruits, de faux légumes, de fausses bêtes ! Il est de plus en plus difficile de trouver du lait cru. Ici ça sent l'étable. Tout y est. L'endroit est presque trop bien tenu, on se croirait en Suède tant le moindre détail est à sa place, visite de la ferme, échantillons dégustation, parking, possibilité de réceptions, etc. C'est évidemment plus cher qu'à l'hyper du coin, comme le dimanche au marché des Lilas. On a l'impression de vivre dans deux mondes, un pied dans l'industrie normative, l'autre dans une flaque de bouse qui sent bon la nature. Le sous-vide a quelque chose de faussement hygiénique, c'est une poudre aux yeux, la lyophilisation du vivant, une usine de mort, celle du goût certainement et, par extension, celle de tous les sens.
Françoise tente depuis deux ans de s'inscrire au panier de l'AMAP (Associations pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne), mais il faut s'y prendre des mois à l'avance, c'est un peu dissuasif lorsque l'on a envie d'essayer... Pourtant, cela semble vraiment sympa et intelligent. Chaque semaine, un agriculteur bio de votre région vous fournit un panier de légumes. Comme vous payez à l'avance en début de saison, l'agriculteur s'assure un revenu stable et, de votre côté, vous bénéficiez d'un beau panier de légumes de saison à un tarif plus intéressant qu'en grande distribution puisque l'achat se fait directement entre le producteur et le consommateur. C'est tentant. Il y en a dans toute la France, dans les grandes villes, dans les campagnes, tout un réseau s'organise pour lutter contre l'absurdité de la consommation en général. Comme pour le reste, on revient au particulier, à la proximité, pour pouvoir ensuite s'étendre à nouveau. Il faut se grouper, se rencontrer, multiplier les fronts de résistance... Ici pour le ventre, ailleurs pour l'esprit !

vendredi 28 mars 2008

Recompositions d'Aldo Sperber


J'ai d'abord connu Aldo Sperber peintre et sculpteur. Probablement avait-il eu d'autres vies encore avant cela ? J'adorais ses collages qu'il encadrait après leur avoir donné du volume. Dans le salon, Françoise accrocha une valise lumineuse creusée par un petit autel où trône un personnage kitsch en coquillages et posa un vase constitué de deux ampoules électriques évidées, soudées à une forme de poids et mesures et au manche d'une fourchette...
Je n'ai pas été convaincu d'emblée lorsqu'Aldo est passé à la photographie. Lorsque l'on change d'outils et de support, il faut souvent un peu de temps et beaucoup de travail à l'artiste pour retrouver ses billes éparpillées dans cette nouvelle cour de récréation. Et puis voilà, Sperber refonde son site Internet et classe ses œuvres en quatre catégories : extérieurs, intérieurs, monde des jouets, portraits. Toutes forment un ensemble de situations cocasses, d'illusions suggestives, de parties cachées où l'humour se joue souvent sous l'angle des dimensions.
Dans la partie Indoor, on reconnaîtra quatre images du Ciné-Romand et deux où le chat Scotch a prêté sa fourrure. Toy World renvoie les modèles à leur matière plastique, désincarnant les corps pour souligner leur conventionnalisme. Des appendices rhabillent les portraits. Toutes les images, souvent drôles, parfois très inquiétantes, réfléchissent le monde du rêve et de l'inconscient...

jeudi 27 mars 2008

La femme est le prolétaire de l'homme


En jetant un coup d'œil en arrière aux images qui illustrent les billets récents qui s'affichent lorsque je déroule l'écran, je note que beaucoup traitent de femmes lorsqu'elles n'en sont pas les incitatrices. Je ne m'en étais pas aperçu. Le Journal des Allumés est mis en pages par Daphné Postacioglu, Lucie Cadoux m'indique des films d'animation, Anne Montaron nous enregistre en concert avec Ève Risser et Yuko Oshima tandis qu'Agnès Varda nous filme, le blog de Fani croque toute cette jeunesse à belles dents, la voix de Channy Moon Casselle flotte dans le salon, Françoise est partout, Marie-Dominique Robin enquête sur Monsanto, les dessins érotiques de Melinda Gebbie sont magnifiques, Maïwenn signe un film bouleversant, enfin Louise Bourgeois coiffait hier le tout de sa sensibilité et de son intelligence... J'aurais pu remonter jusqu'aux premiers jours du mois, Sonia Cruchon dirigeant l'équipe pour les Ptits Repères, Karine Lebrun, Christine Lapostolle et Danièle Yvergniaux aux Beaux-Arts de Quimper comme Barbara Dennys aux Arts Décos d'Amiens, Marjane Satrapi avec Persepolis, Danièle Huillet laissant seul son Straub, etc.
Le statut des femmes a bigrement changé depuis un demi-siècle. Nous n'entendrons heureusement bientôt plus qu'il y a peu de compositrices ou de grandes peintresses dans l'histoire de l'art. Dans le passé, les femmes devaient arrêter leurs activités créatrices dès lors qu'elles enfantaient. Pour les plus résistantes, leur mari signait à leur place ou elles prenaient un pseudonyme masculin. Les écrivaines ont donné le ton, telle Colette se dégageant de la tutelle de Willy. Combien d'Alma Mahler durent se taire et de Gertrude Kolisch s'effacer devant son Schönberg ? Edward et Nancy Kienholz signent désormais ensemble, comme Christo avec Jeanne-Claude...
Si les femmes prennent le pouvoir en art, elles singent brutalement les hommes en politique ou dans l'entreprise. Là où règne la violence, il n'est pas facile de développer sa spécificité féminine et de s'imposer. La parité passe par l'indépendance. Dans le monde du travail (comme si l'art n'en était pas !), le féminisme a encore de beaux jours devant elles. Dans l'esprit des mâles, tout reste encore à faire, et leurs "compagnes" en sont hélas imprégnées. Les jeunes gens ne peuvent imaginer à quel point le statut des femmes a changé. Elles n'eurent le droit de voter en France qu'à partir de 1944 et d'ouvrir un compte en banque sans l'accord de leur mari qu'en 1965 ! Les combats menés tout au long du siècle dernier portent lentement leurs fruits. Je me faisais régulièrement engueuler lorsque je soutenais que les femmes artistes n'expriment pas la même sensibilité que les hommes. En 1981, lorsque nous engageâmes un tiers de filles dans le grand orchestre du Drame, l'esprit du groupe respira la santé ! Mais chaque fois que nous bouclons un nouveau numéro du Journal, nous nous rendons compte que la gente féminine est encore bien peu représentée. Françoise note tout de suite que tel festival a un jury 100% masculin ou que parmi les films présentés il y a encore si peu de réalisatrices. En 1975, alors que j'étais assistant sur le disque produit par le Parti Communiste célébrant l'année de la femme, le Comité Central refusa la phrase d'Engels qui donne son titre à cet article. Elles sont là, mais on ne leur laisse encore que des strapontins. À suivre.

lundi 24 mars 2008

Vestiges


Françoise aurait rêvé emporter cette peinture sur bois installée dans la rue principale de Luang Nam Tha, devant l'immeuble administratif en construction, mais le peintre n'est pas de la région. L'enquête nous aurait menés à Ventiane où nous aurions dû passer des jours de guichets en bureaux pour connaître l'auteur anonyme de cette scène réaliste. Dans les bazars laotiens, elle cherche des artistes comme celui-ci, mais les tableaux proposés aux touristes sont autant de poulbots ringards et couchers de soleil sur rizières à peine dignes de figurer sur un calendrier des postes. Le business des souvenirs est d'ailleurs étrangement conventionnel ; les mêmes choses sont exposées partout ; il faut être sur le qui-vive pour sentir l'objet unique lorsqu'il passe à portée. Françoise aurait peut-être dû se lancer dans l'import-export ? Lorsque les autres filons auront été exploités, on découvrira probablement les œuvres qu'a produites le réalisme socialiste chinois. Les galeristes mettront la main sur ces artistes singuliers comme ils s'entichèrent du Congolais Chéri Samba aujourd'hui exposé dans les musées d'art moderne du monde entier. Cela nous changerait des vacuités adolescentes que répand régulièrement le Palais de Tokyo. Inculture et arrogance sont devenues les mamelles de la France. Vous pensez que je divague, que je passe du coq à l'âne ? En effet : le président qu'elle s'est choisi répond bien à cette image, même s'il aurait préféré un poster de Mount Rushmore ou la photo d'un beau voilier...

mardi 18 mars 2008

Retour sur mon duo avec Nicolas Clauss


Donc, le lendemain, pour mon duo avec Nicolas Clauss à L'Échangeur, je n'emporterai pas de clavier. Mon instrument principal devient mon micro devant lequel je chante, joue de la flûte et de la trompette à anche. Je transforme tous les sons en temps réel, les miens comme ceux que Nicolas produit en jouant de ses modules interactifs, avec mon Eventide (une sorte de synthétiseur d'effets que j'ai programmés) et mon AirFX que je module sans le toucher en faisant au dessus de lui des passes "magnétiques" (en fait, optiques, puisqu'il s'agit d'un rayon avec un système de repères en 3D). Jamais nous ne sommes parvenus à faire aussi bien ressortir l'humour grinçant de Jumeau Bar, les effets amplifiant les intentions critiques que véhicule ce petit bar de campagne. Après un White Rituals des plus SM, voix et flûte aidant, j'accompagne L'ardoise avec mon Tenori-on dont je joue ce soir pour la première fois. J'oscille entre le côté kawaï (mignon) des dessins d'enfants et les sujets graves qu'ils évoquent. Lorsque je n'installe pas le cadre, décor qui permettra tous les possibles et parfois même l'impossible, je cherche surtout la complémentarité avec les images projetées par Nicolas. Nous terminons notre petite prestation par de délicats et lugubres Dormeurs qui s'écroulent au combat comme des quilles s'affalant sous leur propre poids et font sonner leur marche ralentie au son d'une martiale trompette à anche. Rebelote. Nicolas et moi sommes aux anges, impatients de recommencer l'expérience du duo, et heureux d'avoir participé à une si belle soirée. Françoise Romand a réagencé quelques extraits de notre prestation pour le petit film qu'elle a réalisé.
Mirtha Pozzi et Pablo Cueco avaient ouvert le bal par leur duo de percussion, avec Étienne Bultingaire aux manettes. Grosse surprise du remarquable jeu théâtral de Didier Petit qui partage la scène avec son violoncelle et le chorégraphe Mic Guillaumes. Final avec Jean-François Pauvros transformant son instrument en vielle et revenant progressivement vers ce qu'elle est, une guitare électrique vrombissante.
Le surlendemain, je vais écouter Pascal Contet maltraitant délicatement son accordéon devant l'installation végétale de Johnny Lebigot, Lucia Recio donnant la réplique aux sculptures en bois que José Lepiez caresse astucieusement, et les WormHoles dirigés de main de maître à l'archet par l'ami Didier Petit, grand organisateur de ce somptueux et malin mini-festival, hôte parfait, qui sait mieux que personne ce que signifie la générosité... Lucia passe d'un registre à l'autre, tantôt grave et bruitiste, tantôt rock et coupant ; Camel Zekri à la guitare en demi-teintes et Edward Perraud au jeu inventif et grinçant, Bultingaire aux effets métropolitains complètent ce quintet original dont la clarinettiste Carol Robinson est l'invitée et que je n'avais pas revue depuis l'enregistrement de Sarajevo (Suite). À l'entrée (et à la sortie !), Théo Jarrier et Hervé Péjaudier tiennent la boutique de disques installée sur des tréteaux de fortune et ça marche. Lors du concert au Triton, les vinyles du Drame étaient partis comme des petits pains, les plus jeunes étant friands de 33 tours. Même succès pour le nouveau Journal des Allumés que je suis allé chercher à l'imprimerie de Montreuil, livré en primeur à L'Échangeur... (à suivre)

lundi 17 mars 2008

Retour sur le concert avec Donkey Monkey


J'attendais que Françoise Romand ait monté cet extrait de notre concert pour revenir sur ma rencontre musicale avec Donkey Monkey, le duo formé par la pianiste alsacienne Ève Risser et la percussionniste japonaise Yuko Oshima. Le résultat fut à la hauteur de nos espérances. La complicité humainement partagée s'est laissée transposer naturellement sur la scène du Triton. La première partie, s'appuyant sur des morceaux du duo, était plus popisante tandis que la seconde, basée sur mes programmations virtuelles, était plus explosée. Comme chaque fois, il en faut pour tous les goûts et nous avons entendu assez de commentaires pour saisir que les uns ou les autres préfèrent tel ou tel morceau. C'est toujours ainsi. Si l'on écoute les avis des spectateurs, il faut en récolter suffisamment pour que tous les passages trouvent leurs admirateurs ou leurs détracteurs. Tout entendre, mais n'en faire qu'à sa tête, en l'occurrence un être tricéphale dont les méninges carburent au-delà de la vitesse autorisée. Après cette première rencontre sans véritable répétition, nous nous sommes découverts dans l'action. Je perçois ce que je pourrais améliorer à mon niveau : soigner les codas et développer les complicités avec chaque musicienne indépendamment de leur duo, dramatiser mon apport par des ambiances de reportage et des évènements narratifs, étoffer mon instrumentation acoustique lorsque les morceaux durent plus que prévu, par exemple j'emporterais bien le trombone et le violon vietnamien, mais je supprimerais les projections sur écran difficilement compréhensibles pour le public en les remplaçant par des compositions où l'improvisation libre se construit autour de modèles dramatiques.
J'en saurai plus après avoir écouté l'enregistrement de la radio. Nous avions en effet commencé la soirée par un petit entretien avec Anne Montaron puisque France Musique diffusera la soirée le 23 avril à 22h30 dans le cadre de son émission "À l'improviste".
Les filles ont lancé le mouvement, je les ai rejointes en commençant à jouer depuis les coulisses avec un petit instrument improbable que j'ai acheté dans un magasin de farces et attrapes il y a près de 40 ans ! C'est une sorte d'appeau dans lequel je dois souffler comme un malade pour en sortir de puissants sons de sax suraigus. Sur le dessus de cet instrument tricolore affublé d'une petite percussion en métal sur bois, je bouche le trou unique pour rythmer mes phrases. J'accompagne mon solo de déhanchements suggestifs tandis que je rencontre l'objectif d'Agnès Varda venue filmer notre performance en vue de son prochain film provisoirement intitulé Les plages d'Agnès. Mes guimbardes tiennent alternativement le rôle de basse et de contrepoint rythmique au duo excité du piano et de la batterie. Le second morceau est plein d'humour, Ève et Yuko chantant en japonais un blues nippon que j'accompagne avec des effets vocaux qui vont de l'électroacoustique déglinguée à des imitations yakuzesques de comédiens nô. La première partie se clôt sur un longue pièce de pluie où les sons tournent des unes à l'autre sans que l'on ne sache plus à qui sont les gouttes qui éclatent ici et là. Ève a préparé le piano avec des tas de petits objets étranges tandis que Yuko est passée au sampleur... Après l'entr'acte, les filles s'amusent à suivre ou contrarier de nouvelles gouttes, cette fois sorties tout droit du diagramme de FluxTunes projeté sur l'écran derrière nous, ping-pong qui nous oblige à rattraper les notes comme si c'était des balles. Les trois garnements étalent ensuite leurs jouets pour trois petits solos et une coda en trio (carillon, toy-piano, jeu de cloches, synthétiseurs et Theremin à deux balles) suivi d'un duo de pianos où Ève doit sans cesse rebondir face à mes quarts de ton renversés. Nous terminons par un zapping de ouf où je joue du module Big Bang face aux deux filles qui usent, abusent et rusent irrévérencieusement avec leur répertoire pour me couper systématiquement et alternativement la chique. Le petit rappel est on ne peut plus tendre, Ève s'étant saisie de sa flûte traversière, Yuko nous enchantant de sa langue maternelle et ma pomme terminant dans le grave de ma trompette à anche. Nous espérons maintenant pouvoir remettre ça un de ces soirs, ça, une véritable partie de plaisir !
Sauf les rares jam-sessions où je ne jouais que du Theremin, c'est la première fois que je jouais aussi peu de clavier. Mes touches noires et blanches et mes programmes construits au fil des années incarnent une sécurité dont je souhaite me débarrasser. Aussi, le lendemain, pour mon duo avec Nicolas Clauss à L'Échangeur, je n'en emporterai carrément pas... (à suivre)

mercredi 12 mars 2008

Répétition avec Donkey Monkey


Françoise filme les répétitions qui ont lieu au Studio GRRR. Il y a du vent, dans le jardin les clochettes tintent avec véhémence, et de la fenêtre on voit le forsythia et le cognassier du Japon, branches constellées de petites fleurs jaune ou rouge. Yuko Oshima joue de la batterie Gretsch, que nous a prêtée Le Triton (où nous jouons demain jeudi), et d'un échantillonneur virtuel qu'elle transforme avec des effets analogiques. Tandis qu'elle chante en japonais, je fais le yakuza en prenant une voix grave et rauque, on s'y croirait. Je me suis entraîné avant et pendant mon voyage au Japon en 1996 lorsque nous avons monté les expositions sur la fête foraine à Kumamoto et Osaka avec Raymond Sarti et Zeev Gourarier. Ève Risser est obligée de "préparer" mon grand Yamaha droit, un U3, mais elle aura heureusement un piano à queue pour le concert. Elle chante aussi en japonais et joue de la flûte traversière. Ni l'une ni l'autre, nous n'emporterons nos Theremin comme nous l'avions annoncé, nous avons suffisamment de matériel à trimbaler comme ça. J'utilise beaucoup ma voix que je transforme avec le H3000, je joue de petits instruments à anche et des guimbardes, j'ai mon sempiternel synthétiseur VFX et les machines virtuelles, développées avec Frédéric Durieu, que je projetterai sur un écran au-dessus de moi et dont je transforme les sons avec un effet dont l'interface est un rayon infra-rouge en 3D. Nous nous entendons bien, c'est un régal. J'apprécie beaucoup notre façon de procéder, en évitant de trop répéter, mais en mettant en place la suite des morceaux, choisissant les timbres, évoquant nos intentions, soignant les transitions. La première partie est constituée de pièces du répertoire de Donkey Monkey sur lesquelles je me greffe et que les filles adaptent à la situation. Je donne le ton de la seconde, cette fois c'est à Ève et Yuko de rentrer dans mon monde. Il y a encore des zones de flou que nous devons mettre au clair aujourd'hui. C'est drôle comme j'ai passé une bonne journée à les écouter et à m'égosiller devant le micro, mais je suis ratatiné, comme elles d'ailleurs. Nous devons encore prendre le temps de nous reposer et de préparer le matériel. C'est la partie que j'aime le moins de ce travail, je risque chaque fois de me coincer le dos, alors je rêve d'une salle de spectacle où tout serait installé et où je n'aurais plus qu'à jouer...

dimanche 24 février 2008

Chinatown (16)


Retour à la case départ, un mois plus tard. Sur ce Monopoly, dépenser 20000 bats s'avèrera heureusement impossible. Nous nous faisons un week-end shopping de folie en nous enfonçant à nouveau dans Chinatown, puis dans les shopping centers où s'exposent les jeunes créateurs. Vente en gros, trois robes très Courrège vendues dix euros les trois, des pantalons à trois euros, douze slips de garçon aux couleurs vives (introuvables où que ce soit ! J'avais fini par croire que c'était impossible) pour quatre euros le paquet, une valise orange qui se remarquera aisément sur le tapis roulant, etc. Nous la bourrons avec nos achats à concurrence de vingt kilos, jusqu'à ce que je me torde le poignet en la descendant du taxi en arrivant à l'aéroport de Suvarnabhumi, superbe réalisation dûe à l'architecte allemand Helmut Jahn. Des petits os ont bougé et je passe la nuit à me tenir le bras tant la douleur me fait souffrir.
Et puis, nous montons et descendons le fleuve, nous arrêtant à l'Hôtel Oriental. Sa navette vient nous chercher et nous ramène, mais je me sens toujours un peu mal lors de ces incrustes sauvages. Le sentiment d'usurpation ne me quitte pas. Comme dans une église, j'ai l'impression d'y être démasquable, alors que j'ai passé ma vie à noyer le poisson en battant les cartes. C'est le fardeau de tous les autodidactes qui ont réussi malgré tout. Françoise, elle, s'y meut comme un poisson dans l'eau.


Époustouflante mêlée des poissons-chats le soir le long de la Chao Phraya tandis que les enfants leur jettent du pain. Nous n'avons jamais vu autant d'animaux se ruant sur la nourriture avec cette voracité. Les bestioles sont énormes. Est-ce une façon de les engraisser avant de les pêcher ? Je filme le grouillement terrifiant avec mon appareil-photo...


Le matin de notre départ, tandis que nous descendons très tôt dans les soys de Chinatown pour acheter des chaussures, nous nous retrouvons face soit à un cortège célébrant la mort de la sœur du roi, soit à une répétition du nouvel an chinois qui se profile, soit à une autre fête que nos connaissances en chinois ne nous permettent pas d'identifier. Les enfants se coiffent des attributs du dragon, figures monstrueuses, corps ondulant ; les musiciens font sonner cuivres, flûtes, cordes et surtout percussions brillantes composées de cymbales crash, de gongs puissants, de métal éclatant...


Nous n'arriverons jamais à acheter les petites chaussures qu'a repérées Françoise, car les boutiques ne vendent qu'en gros ou demi-gros et les tractations avec les Chinois sont extrêmement difficiles. On a l'impression que cela les ennuie énormément de vendre à des étrangers. "T'achète ou pas, moi je m'en fiche !" est le leitmotiv de la matinée. Bon, bien alors, on s'en passera. Et nous repartons nous empifrer de quelque spécialité gastronomique dans une cantine populaire... Dommage que les règlements d'hygiène soient si contraignants sous nos latitudes ! Ces petites échoppes vont terriblement nous manquer. Au retour, nous apprendrons comment l'industrie agro-alimentaire a mis la main sur la restauration en imposant des lois absurdes. Ainsi, comme il est interdit d'utiliser des œufs frais, les restaurateurs doivent se fournir chez Metro pour acheter d'un côté les blancs, de l'autre les jaunes, sous vide ! Ce n'est qu'un exemple, mais seuls les restaurants gastronomiques ont l'autorisation de se servir de produits frais à condition de tout jeter chaque soir. Les fonds de sauce maison sont d'une autre époque, à moins de prendre le risque d'une très forte amende...


Retour à Bangkok, à sa fourmilière, à ses désirs de revenez-y. La suite se jouera chez Paris-Store, chez Tang ou dans les petites épiceries de Belleville... Le voyage est terminé, dernier épisode de la saison un.

jeudi 21 février 2008

Les miettes du purgatoire


Formidable ! Des téléspectateurs ont enregistré le court-métrage que Françoise Romand avait réalisé pour Strip-Tease et l'ont mis en ligne, ce qu'elle ne pouvait se permettre. En effet, la nièce des deux jumeaux a demandé que Les miettes du purgatoire ne soit plus diffusé à la télévision. Or cette interdiction a fait plus de publicité au film que si il était resté un épisode parmi d'autres de la célèbre série. Il est, grâce à elle, devenu "culte" et Internet permet de découvrir ce petit joyau qui tranchait déjà avec le style de Strip-Tease. Car Françoise ne se moque pas de ses personnages, elle vibre en compassion avec eux comme dans toutes ses autres œuvres. Cette tendresse a chaque fois tissé une complicité avec celles et ceux qu'elle filmait, lui permettant de tourner comme personne.
Les deux parents sont aujourd'hui décédés, et seul reste en vie l'un des deux frères, Yves, qui ne voit d'ailleurs aucun inconvénient à ce que le film soit projeté. À la mort d'Alain, la famille aurait aimé brûler tous ses tableaux, effaçant ainsi ce qui pouvait sembler incorrect dans cette morale morbide qui compose le charme discret de la bourgeoisie.
Il est passionnant de mettre en relation Les miettes du purgatoire et le long-métrage Mix-Up ou Méli-Mélo que Françoise tourna sur deux bébés échangés à la naissance, jumelles à leur manière croisée. À propos de Mix-Up, voir le site DVDBeaver qui a récemment réalisé une page autour du film avec de belles captures d'écran.

lundi 11 février 2008

Le revers d'un patrimoine de l'humanité (10)


Le label "Patrimone de l'humanité" par l'Unesco a un revers à sa médaille. L'ancienne capitale coloniale au confluent du Mékong et de la Nam Kane, magnifiquement conservée, devient un centre touristique où seuls les temples sont encore préservés des marchands. Il y en a partout. Des marchands, certes, et des temples, à tous les coins de rue. Leurs ors et leurs couleurs vives sont aussi kitsch qu'ils apportent calme et sérénité. Les jeunes bonzes jouent au football ou s'affèrent autour des points d'eau. Du haut du Mont Phosi, la vue est à tomber.


Le second soir, nous nous plions au rituel de la population à laquelle nous appartenons tout en la fuyant autant que nous pouvons : nous achetons des T-shirts de toutes les couleurs au motif de la faucille et du marteau, des pantalons thaïs (ceux de Changmai étaient de bien meilleure qualité), des bijoux de pacotille, cuillères en bambou, du thé, du café, des algues de la rivière séchées et parsemées de petites graines de sésame... Nous marchandons en riant avec les vendeuses hmong qui tentent toujours de vendre le double, mais ici les prix sont si ridicules en regard de notre train de vie habituel d'occidental que nous pouvons nous poser la question de la justesse de notre démarche : faut-il payer ce que l'on nous demande sans sourciller comme des Américains ou jouer le jeu des us et coutumes en négociant le prix de chaque chose ? Si la loi de l'offre et de la demande est la même partout, nous risquons de faire grimper les prix en les rendant prohibitifs pour des populations dont l'économie n'a rien de commun avec la nôtre.


Nous changerons trois fois d'hôtel. La première chambre située dans un hôtel chic du quartier huppé est chère et n'a pas de fenêtre. La seconde a le désagrément de côtoyer une machine bizarre que nous serons incapables d'identifier, mais qui n'aura de cesse de s'enclencher et de s'arrêter toute la nuit, clic, shhhhh, clic, shhhhhh. Nous trouvons enfin notre bonheur à la Nock Noy Guesthouse, grande chambre lumineuse avec parquet et vue dégagée sur le bleu du ciel. Hélas, nous devons repartir le lendemain matin aux aurores.


D'ici là, nous découvrons le grand marché couvert à l'extérieur de la ville. Sa localisation sur le plan du Routard est totalement erronée et nous marchons une heure et demie de trop, mais, encore une fois, nos efforts sont récompensés. Nous sillonnons systématiquement toutes les allées, hébétés devant tant de choses que nous sommes bien en mal d'identifier, par les prix dérisoires, la beauté ou l'astuce de certains objets. Le secteur nourriture est évidemment mon préféré ! Nous ne rencontrons jamais aucun occidental dans ces marchés où les poissons nagent sur la tranche dans des cuvettes, la viande ne ressemble à aucune des nôtres à cause de la coupe sauvage, les fruits et légumes forment d'énormes tas sur des bâches à même le sol et les petits traiteurs proposent des sandwiches laos, des brochettes de porc et de poulet, des soupes toujours, same same, but different. Nous trouvons des paquets de thé lao joliment enveloppés et le thé vert "1" que nous avons découvert pendant notre séjour dans les arbres à Bokeo et que l'on sert avec les "poissons", les lèvres jouant leur rôle de passoire. Plus loin, les bijoutiers proposent l'or et l'argent, un or parfois très jaune, de la couleur des temples aveuglants de soleil.



Sur la route, nous sommes surpris qu'ils s'en construisent autant de neufs. Les drapeaux rouges cohabitent avec les insignes du bouddhisme. Nous percevons le mépris étouffé des Laos pour les tribus animistes qui vénèrent les phis, sortes de dinités fantômatiques qui hantent les rêves, mais que les autres Laotiens ne négligent pas pour autant. Dans la jungle de Bokeo, nous en avons invoqué un qui avait pris l'apparence d'un arbre aux racines noueuses, comme des cordes s'enfonçant dans la terre humide. Le résultat ne fut pas brillant, puisque s'en suivirent un accident et l'apparition effrayante des serpents verts, ce qui fit bien rire notre guide Songkeo. Lorsque les laotiens construisent une maison, ils commencent souvent par élever un petit temple sur le terrain. De même, la statue se dresse au milieu du chantier, avant que le bâtiment administratif ait vu poser sa première pierre.



Françoise achète des petites bananes pour le voyage de demain, vingt six heures plein sud, jusqu'aux "4000 îles".

jeudi 7 février 2008

Luang Nam Tha (7)


Nous faisons d'agréables rencontres, seulement d'autres voyageurs. La barrière de la langue nous empêche d'avoir des discussions profondes avec les autochtones. Mon laotien est aussi primitif que leur anglais. Nous évitons soigneusement les Français qui ont presque toujours l'âge de la retraite tandis que les autres (Australiens, Allemands, Hollandais, Américains...) sont en général beaucoup plus jeunes. Nombreux partent pour plusieurs mois dans le sud-est asiatique : Vietnam, Cambodge, Laos, Thaïlande, parfois la Birmanie ou la Chine, jusqu'à l'Inde ou l'Indonésie. Les manières de certains touristes ignorant les coutumes locales nous choquent ou nous révoltent. À Luang Nam Tha, nous croisons plusieurs fois un couple d'Allemands de notre âge, très sympathique, avec qui nous partageons nos choix culinaires et populaires.


Françoise m'entraîne souvent sur les marchés où nous nous refaisons une garde-robe pour trois francs six sous et j'arpente, avec envie et le désespoir de ne pouvoir tout goûter, les allées de nourriture où des femmes proposent la véritable cuisine laotienne ou originaire de la trentaine de tribus qui peuplent les montagnes. Je glane quelques idées pour mes futures soupes et j'essaie d'identifier les herbes que je retrouverai à Belleville ou dans le XIIIème.


Le second jour, nous louons des vélos pour découvrir la campagne, rizières et villages des différentes ethnies, rivières et petits ponts de bambou... Le soir, nous nous couchons vers 21 heures comme tout le monde...


Je prends à la fois peu de notes et de photos. Il faut choisir entre vivre au présent ou récolter des souvenirs. J'essaie de déconnecter d'avec mes "mauvaises" habitudes. Les instants magiques sont fugaces. Mon vieil appareil-photo est trop lent pour les saisir. Le délai d'une seconde ne me permet pas de faire des portraits, je me cantonne aux paysages et aux vues fixes ou figées.


Les maisons sont plus souvent construites sur pilotis pour éviter les animaux et plus certainement les inondations en période de mousson. La période que nous avons choisie est idéale : pratiquement aucun moustique, donc inutile de se faire vacciner, température agréable de la saison sèche, tourisme réduit puisque ce n'est pas une période de vacances scolaires.


Certains paysages me rappellent mon voyage au Vietnam il y a une dizaine d'années. On raconte que ce pays a beaucoup changé, que les touristes y sont considérés comme des portefeuilles sur pattes, tranchant avec l'amabilité des Laotiens.

mercredi 6 février 2008

Trois petits films dans la jungle de Bokeo (5)


Je me suis résigné à mettre en ligne ces trois vidéos malgré leur déplorable qualité. C'est le première fois que j'utilisais mon vieil appareil-photo numérique pour réaliser trois petits plans sur les câbles du Gibbons Experience. Les films d'origine ne sont pas si mauvais, mais YouTube refuse leur format natif, aussi suis-je obligé de les réexporter dans QuickTime en les compressant et le résultat n'est pas brillant. Cela donne tout de même une vague idée de l'aventure. Vous pouvez toutefois regarder d'autres séquences tournées par divers participants en tapant Gibbons Experience ou Gibbonx dans YouTube.


La première séquence "montre" Françoise quittant la Maison 4 où nous avons passé la première nuit. Dans la seconde, j'arrive de la Maison 5 où nous avons été confrontés aux cinq reptiles géants vert fluo. Dans la dernière, on voit Françoise terminer la glissage en s'aidant avec les bras.


Heureusement, nous avions acheté des gants de laine en face de l'agence pour protéger nos mains ! Au début, la tendance est souvent de se coincer les doigts dans la poulie, mais on apprend très vite... Et puis nous nous surveillons les uns les autres pour ne pas prendre de risque idiot. L'important est surtout d'attendre que le précédent soit arrivé avant de s'élancer. Même à un kilomètre de distance on sent parfaitement les vibrations du câble quand on le touche, que ce soit la poulie ou le choc des mains qui se hissent. La seule faille est l'absence de vibration si quelqu'un s'est malencontreusement arrêté en route, aussi nous crions "ok !" (deux syllabes) ou "non !" (une syllabe) aux injonctions des impatients ou des inquiets. Hélas, certains répondent par un "not ok !" dont la distance et l'écho de la forêt avalent obligatoirement la négation, risquant de provoquer des accidents.

lundi 4 février 2008

Snake Experience (4)


Tout a commencé de travers. Les Hmong qui devaient nous accompagner dans la forêt avaient changé la date de leur nouvel an sans prévenir et aucun guide n'était prêt à sacrifier trois jour de libations pour une poignée de touristes. S'ajoutait une réunion de chefs par-dessus le marché ! Personne ne voulait manquer ça, Hmong Politics... Les jeunes filles qui avaient enfilé leurs costumes de fête s'entraînaient à se lancer des balles en vue de leurs mariages proches. C'est ainsi que l'on se choisit un conjoint pour la vie. Le chef des guides était furieux. Aucun des guides ne cédant, nous avons entamé notre marche précédés d'un seul guide, Songkeo, qui, Lao, n'avait rien à faire du nouvel an hmong. Après trois heures à s'enfoncer dans la forêt vierge, les huit inscrits à la Waterfall Experience atteignirent la chute d'eau annoncée.


Nous avons bien besoin de ce bain glacé pour évacuer la fatigue et la sueur. Françoise et moi choisîmes de passer la nuit seuls en Maison 4 tandis que les six autres, deux Allemands, deux Hollandais et un couple de Californiens se partageaient la 6, dernière construite avec tout le confort moderne, soit une douche et des toilettes. Notre maison, située tout en haut d'un arbre à trente mètres au-dessus du sol, ne nous offrait pas ce luxe et je craignais devoir emprunter un des câbles qui surplombent le vide si une envie nocturne pressante se faisait sentir.


Les six maisons perchées chacune en haut d'un immense arbre sont toutes accessibles par des câbles sur lesquels nous glissons, équipés d'un harnais sur lequel est fixé une poulie. Rien de plus excitant que de fendre l'air pour regagner l'autre flanc des vallées que nous surplombons. Le plus long câble mesure 1 kilomètre à 150 mètres au-dessus du sol. Le plus effrayant est de se lancer dans le vide. Ensuite, cela glisse tout seul. Si l'on va trop vite, on appuie sur le frein en pneu qui entoure la poulie. Si l'on n'atteint pas la plate-forme opposée, les gants de laine que nous avons acheté à Houeisai nous permettent de la rejoindre à la force des bras, ce qui n'est pas toujours très agréable, mais chacun s'en sort plutôt bien, même Françoise qui est la plus légère et doit souvent terminer les derniers mètres suspendue au-dessus du vide, en jouant de ses biceps et de ses abdominaux.


Nous avons beau être équipés de lampes frontales le cas échéant, l'idée de nous lancer seuls, de nuit, sur un de ces câbles, avec une envie de chier incontournable, ne nous inspirait pas vraiment et nous eumes la chance de pouvoir attendre le matin humide, trempé de la rosée de la cascade au pied de l'arbre. La brume monte d'abord avec le jour pour se dissiper ensuite avec le soleil.


Notre guide nous avait apporté à dîner, mais le groupe nous rejoint avec trois heures de retard le matin suivant. Un accident est arrivé. Marin filmant sa glissade et voulant arrêter sa caméra est reparti en arrière tandis que Brian n'attend pas le signal et s'élance sur le fil. Le choc des corps est brutal. Le premier s'en sort avec maintes contusions et une canne, mais l'Américain ne peut plus bouger. Songkeo le hisse avec une corde jusqu'en Maison 6 où sa compagne le rejoint. Nous n'étions plus que six à reprendre la marche pour rejoindre la 5, puisque nous devons échanger nos habitats avec un autre groupe. Bien que nous ayons pris du retard et marchions à l'heure la plus chaude, SongKeo nous propose d'aller visiter la Maison 3 dont la vue ur les montagnes est exceptionnelle. Nouveaux câbles enchanteurs, rêves de tarzan, végétation grandiose, mais peu de faune. Avec mes jumelles, nous admirons quelques volatiles colorés, petits zoziaux vert et jaune, bleu électrique, rose fuschia ou grands oiseaux noirs à longue queue. Seul le silence habite vraiment la forêt où nous ne verrons jamais les gibbons qui donne leur nom à cette belle expérience, mais nous les entendrons le matin suivant avec beaucoup d'émotion. Il aura fallu dix ans à Jeff et son équipe pour mettre sur pieds le projet d'écotourisme, convertissant les braconniers en gardes forestiers. Le Gibbons Experience n'étant dans aucun guide, le bouche à oreille risque seulement de rendre plus long le temps d'attente des réservations.


Nous venions d'arriver en Maison 3 lorsque notre guide se mit à hurler "Snake ! Snake ! Snake !" Un immense serpent vert rampait à un mètre de nous sur une branche de l'arbre qui soutenait la plate-forme. Panique à bord, mais pas au point de manquer la photo, et les toursistes que nous sommes de demander à Songkeo d'attendre une seconde avant de tuer le dangereux reptile. Il l'assomme d'un coup de planche sur l'échine, mais le serpent remonte. L'autre guide pète les plombs et jette par dessus bord en direction de l'animal tout ce qu'il trouve, un banc, des tasses en métal, le peu de meubles présents qui vont s'écraser quelques dizaines de mètres plus bas. Je fais bouillir de l'eau que nous versons dans l'arbre creux, mais un second serpent de trois mètres surgit. Et un troisième animal, et de quatre, et de cinq ! C'est incroyable. Tous sont aussi longs les uns que les autres et particulièrement agressifs face aux assauts dont ils sont victimes. Comprenez que nous sommes suspendus au-dessus du sol avec tout cet équipage. Songkeo réussit à en tuer quatre, coupant le dernier à la machette. Le sang a beau être froid, il est bien rouge. Nous désertons la Maison 3 accompagnés de ses quatre pensionnaires dont une jeune fille qui tremble comme une feuille.


Nous nous serrons donc en Maison 5, puisque de huit nous étions passés à six pour devenir dix par la force des choses qui rampent et crachent comme des malades. La seconde nuit est plus calme, sans les petits rats qui avaient piétiné nos camarades la nuit précédente, présence expliquant probablement celle des reptiles, elle-même due à un mauvais rangement ou nettoyage des miettes des repas. Encore une fois, Françoise et moi, nettement plus âgés que la plupart, faisons chambre à part en squattant l'étage supérieur de ce nouveau nid avec vue à 360° sur la forêt qui nous entoure et se réveille. Nous prendrons le chemin du retour et attraperons de justesse le car qui nous amènera jusqu'à Luang Nam Tha. Il suffit de lui faire signe sur le bord de la route, il s'arrête, à condition qu'il y ait de la place à bord. Nous n'avons pas très envie de rester au bord de la route. Les ballots s'empilent dans la travée centrale. Voyages épiques où les Laos crachent et vomissent tant qu'ils peuvent, secoués par les routes chaotiques en épingles à cheveux, au son de rap lao tonitruant. Les voyageurs disent qu'en Chine ils n'emportent pas de petits sacs en plastique avec eux ! Françoise s'inquiète que le vent rabatte les miasmes vers les fenêtres...

samedi 2 février 2008

Coquaphonie (3)


Lorsqu'à 3h55 une centaine de coqs entamèrent leurs vocalises enrouées, je compris l'expression "se coucher avec les poules". Le soir, à neuf heures, le village est éteint, livré aux cigales et aux grenouilles. Le silence de la nuit nous change des pétarades citadines. Du moins l'ai-je cru jusqu'à ce que les gallinacés s'animent. Quatre heures plus tard, ils n'avaient toujours pas terminé de sonner leur réveil infernal. La nuit suivante, le tintamarre débute à minuit ! Je rêve de Crazy Squirrel dans le film de Tex Avery où il tente de faire la peau d'un de ces emplumés. Je sais maintenant que je n'ai pas emporté de boules Quies pour des prunes. Conserve-t-il autant de coqs pour des combats ? Nous avons vu des ados parier plus loin à Luang Prabang. Les poules sont sans cesse assaillies par les mâles. C'est la viande la plus tendre, le porc est trop coriace et le canard est un animal mythique, présent sur tous les menus, mais jamais disponible. Ici, pas d'élevage en batterie...


Houeisai est un village frontière laotien sur le Mékong, une longue rue principale où s'alignent commerces, guesthouses, petits restaurants de fortune où l'on mange pour trois francs six sous, 15000 kips laotiens ou 30 baths thaïs. En échange de 300 euros, le changeur m'a remis une liasse de cinq centimètres d'épaisseur avec trois millions de kips. Pour acheter une voiture, il doit falloir une brouette.


Le soir, les enfants qui rentrent de l'école nous adressent de souriants "Sabaïdii". Nous leur rendons ce mignon bonjour. Les Laotiens sont particulièrement aimables. Personne ne nous alpague. De l'avion qui nous amenait à Changmai, nous sommes passés au VIP Bus à un car plus rudimentaire pour rejoindre la frontière, un tuk-tuk pour traverser Changkong et la pirogue enfin. Nous ne sommes pas au bout de nos peines. Les autochtones passent leur temps à cracher par la fenêtre du bus. Mieux vaut s'asseoir à l'avant, d'autant qu'ils sont souvent malades à cause des routes qui tournent et vomissent tant qu'ils peuvent. Chacun a une dizaine de petits sacs en plastique qu'il jette au fur et à mesure par la fenêtre... Si le confort hôtelier semble de plus en plus spartiate, ce n'est qu'en apparence. Notre chambre à Changrai avait l'allure d'un vaste panier de riz gluant tressé, celle de Houeisai donne sur le Mékong et les collines sauvages de la province de Bokeo.


Nous marchons jusqu'au marché du matin, le talatsao, situé plus loin à l'intérieur du village. Au coucher du soleil, nous grimpons jusqu'à la pagode où de jeunes bonzes jouent avec de l'eau. L'un d'eux fait le mur. Nous évitons soigneusement les touristes français qui se comportent comme des cuistres pour se faire photographier avec les moines. Nous essayons de nous conformer aux usages locaux pour ne pas choquer nos hôtes, ce qui embête un peu Françoise qui aurait préféré porter des shorts plutôt que des pantalons. S'il fait chaud dans la journée, les nuits sont très fraîches.


Nous avons réservé les dates de notre trek au Gibbons Experience depuis Paris. Ce projet d'écotourisme a été initié par des Français qui ont converti les braconniers en gardes forestiers pour protéger le saccage de la forêt primaire. Ils ont construit six maisons dans les arbres et tendu de longs câbles pour les atteindre ou traverser les vallées. Les places sont évidemment limitées. Ils ne font aucune publicité, mais le bouche à oreille risque de rendre les délais de réservation de plus en plus longs. Nous sommes impatients de rejoindre la jungle et de nous élancer dans les airs comme des Tarzan...

jeudi 31 janvier 2008

Touristes en Thaïlande (2)


Lorsque l'on a goûté à Changmai on se demande si l'on aura envie de repasser par Bangkok. Même si nous n'échappons pas aux embouteillages et à la foule, nous sommes dans une ville de province. Les marchés y sont encore plus incroyables, débordant de légumes qui ne ressemblent souvent que vaguement aux nôtres, de fruits exotiques, de poissons qui frétillent dans des bassines en plastique, tant d'anguilles qu'on dirait la chevelure de la Gorgone, de calamars, de tortues, de plats amoureusement cuisinés comme à la maison, parfums enchanteurs qui nous donnent envie de tout goûter à s'en faire péter la sous-ventrière. Heureusement, nous faisons attention de ne pas en arriver à ces extrémités. Sauf pour le piment dont je me gave comme les enfants abusent des sucreries.
Le premier soir, je trouve même une gargote où l'on nous apporte un plat d'insectes frits, grandes sauterelles, grosses fourmis ailées et chenilles croustillantes. J'en rêvais. Je suis servi. Les grenouilles au curry ressemblent plutôt à des crapauds dont la chair est succulente. Françoise préfère de loin les plats où la noix de coco participe à la recette. Je dévore de petits raviolis aux cacahuètes et au lait de coco de couleur bleue, verte ou blanche.


Changmai semble plus touristique que Bangkok, essentiellement parce que les guesthouses se trouvent toutes dans le même quartier. Je convaincs Françoise de céder au charme de la campagne et aux paradoxes du tourisme organisé. Ce sera l'unique fois du voyage. Les ballades à dos d'éléphant ou en char à bœufs nous séduisent moins que la descente de la rivière en radeau de bambou ou la ferme des orchidées. Tout est paisible. Nous terminons nos journées dans les écoles et les salons de massage. Pourtant, que ce soit pour les pieds (1 heure à 3 euros) ou tout à l'huile (1h30 à 6 euros) dans un institut d'aveugles où le fou-rire est maître, il s'agit plus de massages de confort que de soins réparateurs. On y passe un moment de détente, mais on est loin des doigts magiques de Liu Yang.


Après avoir marché, marché et encore marché, nous nous habituons à la simplicité des tuk-tuks, ces petits scooters-taxis à 1 euro qui se faufilent partout. Après avoir passé trois jours à Bangkok et trois à Changmai, nous rallions Changrai, dans le Triangle d'Or où se cultive l'opium, pour rejoindre ensuite le Laos. Nous passons la soirée dans le night market où je trouve de nouveaux insectes grillés, énormes criquets et vers de bambou... Le jus de gingembre nous tord les boyaux et la fondue en marmite de terre nous les réchauffent.


Au milieu des stands de colifichets, bijoux fantaisie, vêtements, un luthier vend des saxophones en bois de rose qui sonnent magnifiquement. Il fabrique également de petites flûtes et des sax en PVC qui me rappellent ceux qu'avait l'habitude de confectionner Bernard.


Nous passons la frontière à bord d'une pirogue à moteur qui traverse le Mékong. Le Laos est notre choix initial, mais, quitte à passer par Bangkok, il était plaisant de s'y arrêter enfin. Nous y reviendrons certainement, pour jouir de la mer, de la plongée sous-marine et du farniente, ou pour y faire nos courses. On en reparlera, mais, pour l'instant, nous accostons à Houeisai d'où commencera la véritable aventure...

mercredi 30 janvier 2008

Retour à la case départ, Bangkok un mois plus tôt... (1)


Voyager dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier nous a permis de trouver de la place dans un vol direct de la Thaï pour Bangkok. Dans l'avion personne ne se soucie de la date. Nous ne saurons jamais quel pays nous survolions lorsqu'y sonnèrent les douze coups de minuit. Manière amusante de fêter notre rencontre il y a cinq ans. Le mouvement de l'avion et celui de la planète produisent un glissement du temps dans l'espace que je n'arrive pas à contrôler. Où et à quel instant passons-nous à 2008 ? Arrivés, nous sommes accueillis partout un "Happy New Year" qui remplace le "Sawadee" habituel.


Difficile de se repérer dans le labyrinthe des "soi" de l'immense marché que représente Chinatown. À chaque coin de rue, les cuisines ambulantes nous proposent des plats que nous connaissons de Belleville et du XIIIème. Nous choisissons d'attendre le retour pour acheter tout ce qui nous éblouit, d'autant que nous ne savons plus où donner de la tête dans ses ruelles couvertes qui grouillent de monde et d'objets incroyablement bon marché. Bousculade. Les livreurs jouent de la trompe et de la sonnette. Les sacs en plastique pleins à ras-bord envahissent les arrière-boutiques. Nous mangeons pour 40 baths chacun, même pas un euro ! La chambre du New Empire Hotel dont Françoise a coupé l'air conditionné s'ouvre sur un bourdonnement de voix et de ruche urbaine. Au coucher du soleil, rouge comme il se noie, une nuée d'hirondelles vient crier devant la fenêtre et le premier moustique s'infiltre pour me souhaiter la bonne année de son dard arrogant.


Il paraît que les Thaïlandais ne sourient plus autant qu'avant. Avant la télévision et la publicité. C'est partout pareil. Les gens s'endettent pour posséder le nouvel objet dernier cri, un 4x4 flambant neuf, chromé, doré. Un je ne sais quoi qui pourra les pousser jusqu'au suicide si une peine de cœur vient s'ajouter à la course au fric. Chaque mois, il s'en précipite dans le vide depuis les toits des buildings qui grattent le ciel. Bangkok juxtapose la plus grande opulence et la misère des plus démunis dans le même espace. Le long des rives de la Chao Phraya alternent palais et taudis sur pilotis. On circule en bateau, en métro ou en SkyLine, en bus, en taxi ou en tuk-tuk, une petite voiture attachée à une moto. Cela dépend des quartiers. Les courses sont si bon marché qu'il serait stupide de s'en priver, souvent moins d'un euro. Il faut seulement réapprendre à marchander pour ne pas contribuer à une flambée des prix que les autochtones ne pourraient pas assumer. Parfois le chauffeur de taxi refuse de mettre son compteur en route et nous en redescendons aussitôt. La plupart ne connaissent pas la ville et ne savent pas plus lire un plan que le reste des Thaïs auxquels nous demandons notre chemin. Ils conduisent comme des fous. Certains n'ont pas de permis. Nous marchons aussi beaucoup. Une halte au Wat Pho nous donne quelque répit. Le Bouddha couché nous montre l'exemple. Quarante cinq mètres d'horizontalité avant d'atteindre le nirvana. Nos pieds réclament la réincarnation.


Nous reviendrons à Bangkok dans un mois pour y faire de dernières emplettes. Nous avons eu le temps de noter que l'on mange mieux dans la rue pour quelques centimes que dans n'importe quel restaurant indiqué par les guides. Autant manger au délicieux Lao Siam rue de Belleville ! La cuisine populaire des cantines et des marchands à la sauvette emportent par contre tous nos suffrages. Assis sur un tabouret, sur le trottoir ou dans le caniveau, nous nous régalons de fruits de mer, de soupe aux ailerons de requin, de nouilles et de rôtisseries. Le soir, les magasins ferment et laissent la place à de nouveaux commerces qui s'installent devant les vitrines désertées. Les rues sont métamorphosées, méconnaissables. L'agitation ne cesse jamais. Jour et nuit, Chinatown vibre d'activité. Nous nous laissons envahir par le vertige et le bruit.


Il faut venir à Bangkok les mains vides, sans valise et tout acquérir sur place. Se vêtir à Chinatown, au marché indien de Pahurat et surtout dans les shopping centers de Pattunat où les jeunes designers vendent leurs créations pour une bouchée de pain, entre un et quatre euros pour un haut ou un bas ! Éviter soigneusement Chatuchak Park qui ressemblent aux Puces de Saint-Ouen pour aller où se fournissent les habitants. D'ailleurs, c'est la règle que nous suivrons partout, fréquenter autant que possible les lieux désertés par les touristes pour privilégier les endroits où rencontrer les locaux. C'est là que l'on mange le mieux, là que l'on trouve des trucs invraisemblables, ingénieux ou magnifiques, là où l'on apprend à vivre autrement. Hélas, notre ignorance de la langue et la difficulté des Thaïs et des Laotiens à parler anglais ne nous permettront pas d'avoir d'échanges profonds avec les populations locales.


Les guides sur ces pays, tant le Routard que Lonely Planet, sont mal fichus. Ce sont des mines d'informations, mais ils sont souvent imprécis, erronés, et frisent parfois dangereusement la xénophobie coloniale. Le préambule historique du Lonely Planet est intéressant, mais catastrophique dans le détail. Le Routard a l'avantage de ne toucher que les francophones et permet d'éviter l'encombrement. On sent hélas qu'il a été rédigé il y a déjà quelques années. Faute d'avoir réservé le train de nuit pour Changmai, nous nous envolons pour le nord. Nous quitterons progressivement la capitale pour la province, la campagne, nous enfonçant toujours plus profondément dans la nature jusqu'à la forêt vierge.

lundi 28 janvier 2008

Tonton est mort ce matin


Entre le moment où nous avons rassuré nos mamans que nous étions bien arrivés à l'aéroport Charles de Gaulle et le temps de temps de rentrer en taxi jusqu'à la maison, Giraï, l'oncle de Françoise, est mort dans son lit à 97 ans. J'aurais préféré faire ma rentrée par une bonne nouvelle ou commencer à narrer nos aventures épiques au Laos et en Thaïlande, mais Tonton nous ravit la vedette. Giraï nous a montré la voie d'une vieillesse heureuse, aussi grâce à sa sœur Rosette, la maman de Françoise et Anny, qui s'est occupée de lui jusqu'au bout, aménageant le cabanon dans le jardin en studio plutôt qu'en l'envoyant dans une maison de retraite. Tonton, ce sont des chansons, ses rêves de brevet au concours Lépine pour sa bicyclette, le récit du génocide arménien, un humour et une espièglerie qui l'accompagnèrent jusqu'au bout. On avait parfois l'impression qu'il était ailleurs, mais il entendait tout et savait nous le faire savoir avec drôlerie et à propos. Je souhaite à toutes celles et ceux que j'aime de finir comme lui.

lundi 31 décembre 2007

Pause


Ça y est. Nous sommes partis pour un long périple qui nous mènera en Thaïlande et au Laos. Il a fallu du temps pour nous décider. Prendre un mois de vacances n'est pas chose facile pour des artistes qui adorent leur travail et ne savent jamais comment s'arrêter. Nous avions vraiment besoin de faire un break pour remettre nos compteurs à zéro au retour. Rien de mieux alors que de s'envoler pour un pays dont nous ne parlons pas la langue et sans savoir ce que nous y ferons, où nous irons, ni ce que nous verrons et entendrons. L'Asie m'a toujours attiré, en particulier pour sa gastronomie et ses jungles.
Après que nous ayons trouvé une solution pour la maison et le chat, la décision la plus difficile à prendre fut pour moi d'interrompre le blog pendant notre périple. Nombre de mes lecteurs apprécient les récits de voyage et je savais que celui-ci serait riche en péripéties, comme le séjour que nous ferons à la cîme d'un arbre en y accédant par des tyroliennes, de longs câbles sur lesquels on se lance pour atteindre notre habitat. Peut-être là-haut aurons-nous la chance de croiser des gibbons ? Libération a parlé samedi de cette initiative de reconvertir les braconniers en protecteurs de la forêt.
Lorsque je me suis vu glisser un dvd dans le lecteur avec la main gauche, allumer l'ampli avec la droite et me demander si je ne pourrais pas en profiter pour appuyer sur le commutateur du vidéo-projecteur avec un orteil, j'ai compris qu'il me fallait sérieusement rompre mon rythme stakhanoviste. Pondre un billet 7 jours sur 7 depuis plus de deux ans est une gageure que j'espère pouvoir reprendre le 29 janvier, mais je ne suis aujourd'hui certain de rien du tout. Je n'ai pas envie de chercher le web-café de chaque coin paumé où nous comptons échouer. J'emporte de quoi écrire et un appareil-photo avec une carte mémoire suffisamment grande pour contenir quelques centaines d'images. Je ferai le tri au fur et à mesure. J'essaie de voyager léger, avec le minimum vital, mais il reste encore dix kilos. Je suis trop inquiet pour partir les mains dans les poches.
Nous passerons le réveillon dans l'avion qui nous mène à Bangkok, manière amusante de fêter notre rencontre. Françoise et moi sommes ensemble depuis cinq ans exactement aujourd'hui. Du moins ce soir, après que le commandant de bord aura annoncé les douze coups de minuit, et il faudra encore attendre une bonne heure, mais ça c'est une autre histoire.
Voilà. Si mes billets quotidiens vous manquent, surveillez le site Poptronics qui mettra enfin en ligne, d'ici une dizaine de jours, mon Pop'lab, sept pages bien denses comprenant mon texte, un entretien avec Annick Rivoire et Elisabeth Lebovici, des photos, des musiques en mp3 dont deux de mes premières œuvres totalement inédites datant de 1965 et 1968, etc. Vous pouvez aussi prendre votre courage à deux mains et fouiller dans le passé du blog. La recherche par mois est la plus exhaustive. Sinon, rendez-vous le 29 janvier et bonne année !

dimanche 16 décembre 2007

Connexion Internet itinérante illimitée


Tandis que je prends ma première photographie avec mon iPhone, je m'aperçois que l'appareil est en train de relever mes mails alors qu'il n'y a aucun réseau wifi dans le hall du Théâtre de Chaillot. Je m'en inquiète le lendemain matin auprès d'Orange qui m'apprend que le réseau Edge le permettant est compris dans le forfait et ce de façon illimitée. Je crains évidemment quelque facture exubérante qui additionnerait les suppléments imprévus. Le préposé me met par contre en garde contre la même opération si je me trouvais à l'étranger. Il en profite pour essayer de me vendre une assurance à 9 euros par mois couvrant la perte, le vol, avec fourniture express d'un nouvel appareil, l'iPhone étant une marchandise extrêmement convoitée par les voleurs à l'arraché. Il paraît que la soirée de lancement fut une aubaine pour les adeptes de ce sport brutal.
Hier soir, comme nous étions coincés dans un embouteillage, Françoise me suggère de regarder le site Sytadin depuis mon portable. Je n'y avais pas pensé. L'habitude est de regarder sur mon ordinateur comment ça roule avant de quitter la maison, mais cette fois j'ai oublié. Je suis épaté d'arriver à me connecter depuis le périphérique alors qu'il n'y a aucun réseau wifi. J'en profite pour envoyer un mail à Pascale depuis la voiture et cela fonctionne parfaitement depuis mon compte Gmail, sans coût supplémentaire. Je trouve juste que la batterie s'épuise assez rapidement. Plus tard, au lieu de faire des kilomètres à pieds inutiles pour rejoindre les amis, j'aurais dû penser à cliquer sur leur adresse, le plan se serait ouvert, un peu comme si j'avais eu un GPS, option encore inexistante sur l'iPhone. N'empêche que je suis aux anges avec mon nouveau jouet...

mercredi 5 décembre 2007

Rose, 80 ans


Françoise a passé un temps fou à trouver la bonne compression du petit film qu'elle a réalisé pour l'anniversaire de sa maman. Faute d'être tous là, elle avait demandé aux amis et amies passés à La Ciotat depuis vingt ans d'envoyer à Rosette un petit mail pour fêter ses 80 ans. Pour adapter en film cette littérature épistolaire, Françoise a choisi iChat. Dessinant quatre plans se partageant le cadre, le dispositif met en scène tous les protagonistes, y compris YouTube qui imprime sa marque en bas dans le coin. Elle s'y entend pour tourner les moments de vie en fête inattendue. Les réponses se sont précipitées à l'image de l'accueil ciotadin que ses parents ont prodigué à tous les amis de passage. Rosette ne se laisse pas distancer par les nouvelles technologies, nageant dans le bain virtuel comme dans la Méditerranée qui rafraîchit le bas de la colline juste en dessous de chez elle.

lundi 3 décembre 2007

Madame de...


Madame de... est une valse viennoise. La tête me tourne. Mon corps vacille. Le destin est obscur. Saurons-nous l'aborder avec dignité, humilité ? Je pense aux romans d'Arthur Schnitzler. Françoise répond Edith Wharton. Les mouvements amples de la caméra ont l'élégance des personnages. Les avant-plans en amorce renforcent la distance freudienne de notre regard. Ici les miroirs réfléchissent aussi. La lumière de Christian Matras vaporise un voile d'une précision absolue sur les âmes et les objets. Les yeux dans les yeux. Paupières baissées. Un geste. Coup de foudre. La moindre réplique renvoie au décor, à un costume ou à la scène, sans jamais négliger ni les différences de classe, ni les rapports entre les femmes et les hommes. Tout est écrit et tout semble si naturel que nous pénétrons en somnambules les rêves de celles et ceux que filme Max Ophüls. Ses personnages n'ont pas le choix, ils s'enfoncent dans le récit comme nous traversons la vie sans savoir, que lorsqu'il est trop tard...
Les œuvres d'Ophüls sont un ravissement. Je n'en perds pas une bouchée, de l'image comme de ce qui s'y trame, le moindre figurant, les astuces sonores, les cadres de Douarinou, les costumes d'Annenkov, l'époustouflante Danielle Darrieux dans un de ses meilleurs rôles... Ophüls, comme Mizoguchi, fait partie des rares cinéastes mâles à avoir su filmer les femmes en remettant pitoyablement les hommes à leur place, ici Charles Boyer et Vittorio de Sica. Madame de... fut tourné en 1953, entre Le plaisir et Lola Montès, d'après un roman de Louise de Vilmorin qu'adaptèrent Marcel Achard, Annette Wademant et le metteur en scène. L'œuvre est à réévaluer. Max Ophüls figure parmi les plus grands cinéastes français de l'histoire aux côtés de Jean Epstein, Jacques Becker, Jean Grémillon, trop souvent oubliés au profit d'Abel Gance, Jean Renoir ou Marcel Carné. Je ne vais pas citer tout le monde...


Le dvd anglais (zone 2, donc lisible sur un lecteur français) a un bande-son très moyenne (alors que le film lui fait la part belle) et les sous-titres sont insubtilisables, mais l'excellence du film mérite que l'on s'en fiche. Un dvd du Plaisir est également disponible en copie anglaise (Universal), tout aussi épatant et entraînant que Madame de... Ne boudons pas le nôtre, d'autant que l'on devra encore attendre que soit restauré Lola Montès, car voilà plus de quarante ans que l'on ne l'a pas vu avec ses couleurs d'origine.

mardi 27 novembre 2007

Le panache


Pour conclure le délicieux dîner vietnamien composé par Claire d'un phó et d'un poulet au saté, Sacha, qui a d'autres talents que celui de designer sonore, avait apporté de quoi élaborer le dessert. Sur un épais coussin de crème Chantilly à la fleur d'oranger et au sirop d'érable trônait une pâte de dattes au réglisse et mandarine entourée de pépins de grenade, pignons et petits morceaux de pommes. Le syphon qu'il utilise également pour de savantes émulsions me rappelle mon père qui avait l'habitude de s'en faire une montagne recouvrant son assiette. Pfruuuuuit de Chantilly... Ma mère lui faisant remarquer qu'il était tout de même au régime, il répondait que ce n'était "que du Luft", de l'air !
Légers et aériens, les petits carnets de Claire imprimés sur des marges de papier se déplient pour nous emporter au dessus des nuages tandis que ses photographies nous plongent dans des abysses en suspension. D'une balade interactive à Tokyo à la contrebasse chorégraphique de Youen Cadiou, Claire promène une sensibilité féminine à fleur de peau, confrontant les corps aux éléments, en mouvements amples et sensuels. Les quatre carnets font un cadeau très mignon quelle que soit la saison (4 euros l'un, 14 l'ensemble). D'une planète à l'autre, Étienne fit une démonstration de Super Mario Galaxy sur Wii Nintendo, tandis que Karine et Françoise se défonçaient en échangeant quelques balles. Goûtant peu les jeux d'adresse, malgré l'impression physique étonnante que procurent les manettes vibrantes et sonorisées, je restai à la fenêtre avec le panache qui avait décoré mon assiette.

samedi 24 novembre 2007

Dans de beaux draps


Il n'y a plus beaucoup de feuilles. Nos semelles ne crispent plus comme des gaufrettes. Il n'y a presque plus de vent. Mon vélo ne fait plus d'embardée comme s'il était conduit par un ivrogne. Il ne pleut pas. Nous sortons sans rentrer la tête entre les épaules. Il ne fait pas encore trop froid. Cela tombe bien, le chauffage de la voiture est définitivement tombé en panne. Françoise envisage d'embarquer une couverture. Nous ne pensons pas remplacer la vieille Espace lorsqu'elle aura rendu l'âme. Acquisition, assurance, essence, parking, contravention, pannes, garage... L'addition est sévère. Il est moins cher de prendre des taxis tous les jours que de posséder sa propre automobile. Il suffit de louer un camion pour les déménagements, une décapotable pour l'été, un minibus quand on est nombreux, une petite pour les sauts de puce... On se fait livrer les courses par Internet ou l'on ne sort plus de chez soi. C'est au choix. Le froid, la pluie, le vent ont bon dos. Le froid nettoie la nature, la pluie irrigue les sols, le vent casse les figures compassées. L'hiver bégaie, il vient frileusement sur la pointe des pieds. J'écrabouille tout de même quelques fruits rouges tombés de l'églantier, qui collent sous les miens. Nous avons ressorti gants et bonnets, mais ce n'est pas pratique pour écrire. Il est trop tard. Je vais me coucher. La couette est une belle invention. Par ici, il aura fallu attendre les années quatre-vingt pour ne plus rien avoir à border et deux heures du matin pour que je me décide à rejoindre Morphée.

jeudi 22 novembre 2007

Explication de texte


Quelques personnes amicales se sont émues du texte que j'ai publié sur les difficultés de communication que je rencontre de temps en temps avec ma maman. D'autre part, il aura parfois pu paraître indécent d'étaler en public sa vie de famille ou l'intimité de ses proches. Je m'en suis déjà un peu expliqué dans le billet du 23 janvier, mais il me semble important d'apporter quelques précisions sur ce difficile exercice.
Tout d'abord, je suis évidemment moins touché par la tristesse de ma mère qu'elle ne l'est elle-même. Je suis affecté par son handicap parce que je l'aime. C'est elle qui souffre de l'isolement dans lequel elle s'est enfermée. Par flemme elle s'est souvent empêchée de faire ce qui lui plaisait. Pour avoir refuser le moindre effort physique, elle s'est coincée dans une attitude arthritique aujourd'hui irréversible. Il lui est devenu de plus en plus douloureux de marcher, alors qu'elle aimait sortir au théâtre ou au cinéma. Ma grand-mère ne l'encouragea pas. Ainsi, par exemple, le jour du baccalauréat, elle ne la força pas à se lever si elle était trop fatiguée pour s'y présenter ! Ou encore, mon père la déposait devant le restaurant pour aller ensuite se garer. Et ainsi de suite.
Vendeuse en librairie quand elle le rencontra, lui-même était alors agent littéraire, elle est restée entourée de milliers de bouquins. Mais si les livres aujourd'hui la fatiguent, elle passe ses journées à feuilleter des magazines. La télévision reste allumée comme chez beaucoup de personnes âgées qui accompagnent leur solitude par une présence fictive, un médium. Elle a pourtant la visite de sa femme de ménage cinq matins par semaine et reçoit ses deux sœurs le week-end. La mienne est également très présente, puisqu'elles se voient toute la journée au bureau et font même les courses ensemble. Maman craint de s'ennuyer si elle s'arrêtait de travailler. Comme chacun d'entre nous, elle est d'abord sa propre victime. Elle veut avoir le dernier mot, se braquant dans une attitude qui rejette les apports extérieurs. On apprend pourtant autant de ses aînés que de la jeunesse qui vous suit. La perte de communication vous fige dans une attitude étouffante. Pénible pour soi, et par conséquence pour tous ceux et toutes celles qui tiennent à vous.
Françoise se moque de moi parce que ces lignes lui rappellent certains traits de mon caractère. En mettant le doigt là où cela fait mal, elle comprend pourquoi j'écris. Certains penseront que ces histoires devraient rester du linge sale qu'on lave en famille. Hélas, les cadavres ressortent toujours des placards, un jour ou l'autre. Lorsqu'ils n'affectent pas directement les protagonistes, ils influencent catégoriquement leur progéniture voire leur lointaine descendance. La névrose se transmet avec le reste des acquis. Si je m'exprime publiquement, c'est que je n'ai d'autre choix. Mon mutisme serait beaucoup plus dévastateur. J'ai souvent raconté que j'étais devenu artiste pour ne pas devenir fou ou délinquant. Transformer mes souffrances sociales en texte, en film ou en musique m'a permis de sublimer l'insupportable et de retourner la contrariété en acte positif. Elle m'en a aussi donné la force. Les valeurs qu'elle m'inculqua et dont elle ne sut pas toujours profiter elle-même m'aident à taper ces lignes, me permettant d'évacuer mes désaccords et de savoir pourquoi j'aime ma mère.

Sur la photo j'ai trois ans, c'est le jour du premier anniversaire de ma petite sœur.

mercredi 7 novembre 2007

XXO, la mecque du design vintage


À Romainville, dans un hangar abracadabrant de 3500 m2 s'entassent ou s'exposent des milliers de divans, fauteuils, bureaux, tables, luminaires rassemblés par trois fondus de mobilier design qui ont commencé en chinant aux Puces de Vanves et Saint-Ouen. Leur collection, digne d'un musée, couvre les années 1950 à 2000. C'est à louer ou à vendre, et il y en a pour toutes les bourses, tout dépend des créateurs évidemment : Peter Shire (j'adore Memphis), Eames, Panton, Gehry, Starck, Paulin, Leonardi, Thor-Larsen, Humberto & Fernando Camapana, Mourgue Colombo... Le catalogue de XXO est en ligne sur leur nouveau site et la grotte d'Ali Baba est ouverte au public du lundi au vendredi de 9 h 00 à 18 h 30 sans interruption. Un émerveillement.


À part vendre aux entreprises ou aux particuliers, XXO loue évidemment son mobilier pour le cinéma et la télévision. Je m'extasie devant les meubles vintage, la plus importante collection en Europe de mobilier des sixties et des seventies. Si tous les copains décorateurs connaissaient l'adresse, Françoise l'a trouvée dans le Parisien en sirotant son café au coin de la rue. Elle a craqué pour un petit divan bleu et vert transformable en conversation que l'on aperçoit dans Le rêve du chat. Les deux dossiers en quart de cercle peuvent pivoter chacun jusqu'à 180°.

mardi 6 novembre 2007

Voodoo


Françoise m'a demandé une petite pièce de monnaie contre son cadeau Voodoo fabriqué par Vice Versa en Italie. Il paraît que c'est la coutume lorsque l'on offre quoi que ce soit de coupant. Le designer Raffaele Iannello a également signé un balai wc Pinocchio très rigolo. De bons couteaux qui coupent, histoire de bien cuisiner ce à quoi on jettera un sort.

dimanche 4 novembre 2007

Grand-mères courage


Lors de sa dernière visite à New York, Françoise a réalisé un petit film sur les grand-mères américaines qui manifestent contre Bush, intitulé ''Les mamies font de la résistance''. Elles militent contre l'intervention américaine en Irak et pour le retour des soldats américains. Voilà quatre ans que les Grandmothers Against The War se rassemblent tous les mercredis sur la 5ème Avenue, devant le Rockefeller Center. Cette Granny Peace Brigade a fait des émules dans quinze autres grandes villes des États Unis. Même si elles ont été arrêtées, poursuivies en justice (et acquittées), les octogénaires n'en démordent pas, elles se battront jusqu'au bout contre la guerre en Irak ou ailleurs. Brandissant des banderolles, distribuant des tracts contre le recrutement, demandant à s'engager elles-mêmes dans l'armée, elles se sont assises sur le trottoir (pas facile à leur âge !) et elles ont marché...
Merci à Nydia pour les informations et à toutes les grand-mères courage (elles ont entre 60 et plus de 90 ans) qui nous montrent que l'âge n'empêche pas de vivre !

lundi 29 octobre 2007

Françoise sur eBay


Françoise s'est évité un déménagement en vendant ses meubles de Barbès sur eBay. Bonnes affaires pour celles et ceux qui ont remporté les enchères. Le lit à baldaquin est parti à 2,50 euros ! Tout n'a pas été aussi catastrophique heureusement. Il reste encore quelques bibelots qu'elle brique avant de les placer sur le site marchand. Elle a un peu de mal à s'organiser pour éviter que les enchères se terminent un vendredi ou un samedi soir. Plus on laisse l'objet longtemps en exposition, plus l'enchère peut grimper, puisque le nombre des clients potentiels augmente sur la durée. Les prix de réserve dissuadent les acheteurs, alors souvent Françoise démarre à un euro. Elle fait des photos de tout cela sous tous les angles, et hop ! Le seul problème, c'est que son désir d'acheter est aussi fort que celui de vendre, délire partagé par de nombreux eBayeurs. Ceux qui se sont déplacés pour emporter leurs lots étaient tous au demeurant charmants.
Parfois il y a des anicroches, pas en ce qui la concerne, mais la Poste a perdu la magnifique paire de lunettes Matsuda que Bernard avait achetée à Donna en Floride. Vous avez alors soixante jours pour vous plaindre et régler le litige.

dimanche 28 octobre 2007

Un samedi comme les autres


C'est un samedi, un samedi comme tous les samedis, mais pas les miens. D'habitude, je n'en ai pas, des habitudes oui, des samedis connais pas. Sauf que j'évite de faire les courses le samedi après-midi et de sortir en auto le samedi soir. C'est l'avantage et l'inconvénient de travailler chez soi et à son compte. On ne sait pas s'arrêter.
Donc, c'est un samedi et nous allons au Puces de Montreuil chercher des douilles à baïonnette pour le lustre que Françoise a rapporté de Barbès et accroché dans la salle à manger. Les douilles actuelles n'ont plus le même diamètre, à croire que c'est exprès pour faire marcher le secteur quincailler. Sur le chemin, Françoise me force à m'inscrire à la médiathèque municipale. Les médiathèques recèlent des trésors cachés, des idées insoupçonnables, des évidences écartées, et leur accès est gratuit. Les Puces, c'est presque pareil. Si les trouvailles sont payantes, leur prix est souvent dérisoire. On trouve essentiellement de l'outillage, des bibelots et des vêtements. En pédalant pour remonter la côte, nous sommes attirés par les raïtas, les percussions et les youyous accompagnant un mariage à la sortie de la mairie... Au-dessus de la noce, on peut lire "Liberté Égalité Fraternité", derrière les musiciens une plaque à la mémoire de Salvador Allende. C'est gai et joyeux. C'est un samedi.
Je ne regrette pas d'être allé me promener. Comme chaque fois, je commence par dire non. Le contraire des mariés. Je réfléchis ensuite. Une minute plus tard, je reviens sur mon refus. Je ne peux tout de même pas dire non à tout. Réagissant toujours très (voire trop) vite, je me protège par la négative, pour pouvoir me donner le temps de peser le pour et le contre, et finalement me laisser convaincre. Je dis non d'abord, comme je commence toujours par les mauvaises nouvelles avant de me rassurer avec les bonnes. Je préfère aller du moins vers le plus plutôt que le contraire. Bien que je déteste les codas en musique, je garde toujours le meilleur pour la fin. Traînant les pieds de prime abord, j'enchaîne toujours de bon cœur, dès que je me suis fait à l'idée, une idée qui me dérange, car tout me dérange avant que je ne m'y plonge puisque je suis ailleurs immergé. Rien de reluisant, c'est l'expression de mon côté râleur. L'autre face est plus sympathique, me laissant surprendre par la vie avec d'autant plus d'entrain que je lui ai résisté. Mon refus a façonné mon imagination. Mais c'est tout de même d'abord non.

samedi 27 octobre 2007

L'œil sans queue ni tête


Les animaux se suivent, mais ne se ressemblent pas. Après les requins (du 20 heures), les lapins (wi-fi), le cygne (bâché), le chat (sur canapé), la vache (à coller), je me souviens de celui-là, mais pas de la manière dont je m'y suis pris pour qu'il n'ait pas peur. Œil pour œil, mais sans les dents. En y repensant, peut-être que la fixité exprime sa terreur ? Peut-être regarde-t-il nulle part. A-t-il fallu batailler pour l'alpaguer ? L'histoire de l'œil. Françoise le tenait-elle ? Le poil et la plume, enregistrée par le Drame avec Frank Royon Le Mée il y a vingt ans déjà, est notre pièce préférée pour récitant et orchestre. Le texte était extrait des Météores de Tournier. On m'avait reproché d'avoir choisi un auteur de droite. Qu'est-ce que j'ai pris lorsque j'ai travaillé avec Houellebecq ! Chaque animal a sa manière de voir, en couleurs ou monochrome, en relief ou à 360°, plus ou moins bien, de face ou de côté, et le cerveau recompose la réalité, mais combien de réalités coexistent ? Même les aveugles disent "je vois". Le bout de mon nez n'est pas bien loin. Loucher n'est pas la double vue. Il en faudrait un troisième au milieu du front. Trois pour la voyance, deux pour le relief, un pour le roi. Je n'en ferme jamais qu'un seul.
Il fut un temps où je portais des lunettes noires dans le métro pour voir sans être vu. La presbytie eut raison de cette obscurité frelatée. Un soir, dans un couloir de la station Arts et Métiers, sentant que je vais me faire agresser par un gars à la mine patibulaire, j'ôte mes lunettes noires pour éviter les plus gros dégâts. Le type ne comprend pas mon geste fataliste, et le traduit par un fatal "tu veux la bagarre, pas de problème, je retire mes lunettes". Détendu, j'étais seulement résigné à en prendre une. Arrivant à mon niveau, le méchant, impressionné, change de tronche et me fait "yeah, blues brother, man !". Nous sommes passés au travers grâce à une erreur d'interprétation. Les évènements rapides me donnent l'impression d'avoir croisé les corps comme des ectoplasmes, de les avoir traversés.

jeudi 25 octobre 2007

Le rêve du chat


Dans le rêve du chat, je nage infatigablement vers Françoise qui me tourne le dos en serrant un cœur sous son bras. Les réflexions en abîme montrent d'autres rêves avec d'autres cœurs. Quant au miroir, il reproduit la scène dans un style abstrait réalisé avec des objets concrets. L'eau courante jaillit du sol, l'abat-jour est renversé pour dessiner un cœur, le visage porte un masque. Les autres cadres - une main indique les toilettes, des pinceaux forment tableau, la nuit envahit le lointain - ne font que légender l'action qu'un simple clic sur l'interrupteur suffirait à gommer. Surpris par ces représentations récurrentes, nous nous demandons si nous existons autrement que dans le rêve du chat qui squatte la conversation depuis que Françoise l'a rapportée de chez XXO.

mardi 23 octobre 2007

Clichés


Antoine m'épingle en blogueur entre deux représentations de Nabaz'mob. Jusqu'ici, j'ai toujours trouvé un endroit pour mettre en ligne, mais c'est parfois au prix de certaines gymnastiques. Pour conduire notre chœur de cent lapins, je m'étais encore habillé en carotte et Antoine en bâton. Face au public, j'anthropomorphise les petits robots, mais c'est surtout l'occasion de dire quelques mots, de mettre un visage sur nos noms. Nous ne représentons qu'une énième déclinaison du Dr Frankenstein. Les deux malles pleines de créatures sont reparties ce matin chez Violet. J'ai conservé un double des clefs.


Détendus, Françoise et moi passons notre dernière journée à Amsterdam à flâner et faire du shopping dans les petites rues qui coupent les canaux : alcool d'œuf et genièvre, gadgets design, bonbons écœurants, fromages hollandais... Françoise a également trouvé l'oreiller en duvet dont elle rêve depuis longtemps ! Pour les garçons, il existe encore ici des vespasiennes qui rendent la vie plus facile, surtout lorsque l'on marche longtemps (au thé chaud) et qu'il commence à faire frais. Pour les filles, il y a des coffee-shops un peu partout et des cafés plus traditionnels !


Face à notre hôtel, un architecte imagina six maisons chacune dans le style d'un pays différent, ici l'anglaise, l'hollandaise et la russe. Nous reprenons le tramway vers la gare nettement plus chargés qu'à l'aller. Il semble souvent plus simple de faire ses courses partout ailleurs qu'à Paris, comme si nos yeux se réveillaient d'une séance d'hypnose... Le Thalys traverse les Pays-Bas et la Belgique pour rejoindre la Gare du Nord en 4h11.

samedi 20 octobre 2007

Amsterdam à bon port


Après un peu de marche à pieds, nous avons réussi à attraper le Thalys malgré la grève. Certainement influencé par les prouesses masochistes de Bruce Willis, un abruti qui avait choisi de voyager en équilibre entre deux wagons du métro empêchait la rame de partir.
J'avais préparé des cataplasmes, sandwiches au jambon où l'on remplace le beurre par des rillettes, mais le personnel ferroviaire n'a pas arrêté de nous nourrir à la même fréquence qu'en avion. Cela ne nous a tout de même pas coupé l'appétit pour aller dîner au Tempo Doeloe, considéré comme le meilleur indonésien d'Amsterdam : un feu d'artifices de saveurs, 25 plats du plus doux au plus épicé, lente montée vers l'enfer (le 25ème de cette Rijsttafel Istemewa fut fatal, même pour un fanatique du piment comme moi) ! Nous étions allés digérer la ribambelle de repas de midi au Rijksmuseum. La lumière des Rembrandt est toujours aussi épatante et les trois Vermeer restent mes préférés de tout le musée. Je n'étais pas retourné à Amsterdam depuis une quinzaine d'années. Françoise retrouve l'original de l'énorme tableau qui est accroché le long du lit de la chambre bleue à La Ciotat, un portrait de vieille femme priant de Nicolaes Maes qu'elle attribuait erronément à Frans Hals. Tournant le dos au cheval cabré de Constable, je me retrouve en face du cygne en colère de Jan Asselijn dont j'ai souvent envoyé la reproduction en carte postale.


Les rues sont calmes, envahies de vélos, nous marchons le long des canaux. Nous avons profité de l'après-midi pour goûter un délicieux space-cake au chocolat dans un coffee-shop psychédélique. L'âge des clients était étonnament étendu : petites jeunes filles, mamies, rastas trentenaires... Léger, aérien...
Mardi dernier, curieux de toutes les musiques, Robert Wyatt demande à ce que l'on n'éteigne surtout pas nos téléphones portables pendant sa conférence de presse. Cela tombe à pic : jusqu'au 3 février 2008, le projet sonicobject, label de sonneries contemporaines monté par Antoine Schmitt et Adrian Johnson, est exposé au festival video vortex, Nederlands Instituut voor Mediakunst. Nous sommes 18 compositeurs et compositrices à avoir participé à cette formidable expérience et le hasard veut que j'arrive à Amsterdam le jour du vernissage.
C'est notre fête. Après Nantes et Amiens, Nabaz'mob, l'opéra pour 100 lapins communicants, écrit avec Antoine, finit sa tournée de rentrée par trois représentations ce soir au Centre De Balie lors du symposium sur les impacts sociaux des RFID, Recalling RFID. Pour l'occasion, nous avons écourté légèrement le premier mouvement en réduisant les pauses entre les phrases et rajouté un intermède rythmique avant le second. J'ai hâte d'entendre le chœur anarchique des bestioles interpréter la nouvelle version.
Le matin, la lumière sur le Vondelpark est simplement hollandaise.

samedi 6 octobre 2007

Nabaz'mob à Amiens pour la Nuit Blanche


Nous partons ce matin à Amiens pour présenter Nabaz'mob, notre opéra pour 100 lapins communicants. La ville a adhéré à cet évènement initialement parisien, qui s'est en outre étendu à plusieurs capitales étrangères. Antoine et moi dirigerons la meute de ces coquins à 21h et 23h à l'Auditorium Dutilleux. En dehors des œuvres ou des spectacles, la Nuit Blanche est une occasion de sortir et de parfois découvrir des lieux alternatifs dans son quartier. L'année dernière, nous avons eu la surprise de constater un nombre incroyable d'initiatives dans le nôtre, une nuit off en marge de la programmation officielle ! La Nuit Blanche proprement dite est une opportunité pour nombreux artistes de toucher un large public avec des installations artistiques ambitieuses, difficiles à monter dans des conditions ordinaires.
Ce n'est pas le cas de nos 100 lapins qui ont commencé à gambader de ville en ville, s'échappant de la tâche domestique pour laquelle ils ont été initialement programmés. 100 rebelles parmi 200 000 Nabaztag vendus à ce jour ne peuvent mettre en péril le succès de la petite bête. Chacun sait pourtant que les révolutionnaires constituent une force dynamique qui permet au système de perdurer en l'empêchant de s'endormir sur ses acquis.
Pour ne pas reproduire les problèmes de synchro, donc de tempo, rencontrés à Nantes (interprétation au demeurant fort intéressante !), nous emportons trois routeurs beaucoup plus puissants, des ombrelles, comme à New York. Sur le site de l'opéra, nous avons récemment ajouté les derniers articles de presse (Le Monde, Libération, 20minutes...) et le court reportage tourné par France 3. La caméra d'Antoine s'étant enrayée à Nantes, nous comptons filmer le spectacle cette fois-ci. Nous savons que le film de Françoise a été déterminant dans la tournée de Nabaz'mob. Antoine me raconte que, lors d'une création d'Atau, il a vu débarquer une équipe de télé au complet pour pouvoir ensuite vendre la performance à des festivals. Il n'y a rien de plus convaincant qu'une vidéo.
Lorsque nous dirigions le grand orchestre d'Un Drame Musical Instantané (1981-1986), Youenn Le Berre et Didier Petit m'avaient reproché d'éditer systématiquement l'enregistrement des premières représentations qui étaient fatalement moins au point que les suivantes. Pour des petites structures comme les nôtres, si nous n'avions pas produit le disque de la première, il n'y aurait probablement pas eu de seconde. Vingt ans plus tard, je rééditerais bien les enregistrements originaux augmentés de quelques captations plus tardives.
En ce qui concerne Nabaz'mob, nous n'avons pas eu ce problème, même si chaque représentation s'avère différente, selon les conditions techniques (phénomènes aléatoires de la programmation) et scéniques (disposition et sonorisation variables). Nous attendons chaque nouvelle interprétation de nos petits robots avec la plus grande joie et curiosité.

vendredi 21 septembre 2007

En perm' à Nantes, l'astuce est amusante...


Comment venir à Nantes sans traverser le Passage Pommeraye ? Jacques Demy y est en perm' car il ne le quittera jamais. Les images de Lola et d'Une chambre en ville sont imprimées sur ma rétine. Je revois Michel Piccoli en marchand de télés s'égorgeant au rasoir devant Dominique Sanda nue sous son manteau de fourrure.
Plus loin, de l'autre côté de la passerelle qui enjambe la Loire, se dresse le gigantesque Palais de Justice construit par Nouvel, et à sa droite les ateliers du Royal de Luxe. Leur éléphant est impressionnant lorsque sa machinerie se met en branle. Des branches jaillissent de la façade, pieuvre en balcons fleuris. Je bifurque vers les les Halles Alstom où est exposée la Friche Numérique du Festival Scopitone, mais il est déjà l'heure de faire répéter la meute.


Tandis que je passe du pachyderme au lapin comme du coq à l'âne, 20minutes.fr, qui reproduit le film de Françoise, en profite pour titrer :

Une chorale de lapins à l'opéra

Un opéra avec cent lapins reliés par onde Wi-fi ?
Le spectacle a beau sembler surréaliste, il existe. Les interprètes ne sont pas de véritables bêtes à poils vivantes mais des lapins-gadget en plastique d’une trentaine de centimètres de haut qui, reliés par ondes Wi-fi, ont le nombril qui s’éclaire, les oreilles qui gigotent et émettent des sons. Cela s’appelle le «Nabaz'mob», contraction de Nabaztag — lapin en arménien — et flashmob, ces rendez-vous éclair organisés dans des lieux publics.
Au final, une chorégraphie à la fois étonnante et, n’ayons pas peur de le dire, féerique. Mais attention, «on a perverti le lapin, explique Jean-Jacques Birgé, designeur sonore et co-auteur de la pièce avec Antoine Schmitt. Seul, le lapin, en tant qu'objet, a l'air mignon. Mais là, rassemblé avec d'autres, ça change: les lapins deviennent maléfiques. C'est une parodie de la démocratie.»
«Les lapins sont devenus des rock stars».
Cet opéra, créé en 2006 à Beaubourg, à Paris, est maintenant en tournée internationale, à Nantes dès ce jeudi soir, à Amiens le 6 octobre, à Amsterdam le 20 octobre et bientôt, aux Etats-Unis. «Le phénomène nous échappe un peu: désormais, la prestation s’arrache de ville en ville, sourit Olivier Mével, co-fondateur de la société Violet, qui fournit les lapins Wi-fi. Au fil du temps, nos lapins se sont professionnalisés et sont devenus des rock stars. On les trimbale en camion dans leur caisson, et on a même une accompagnatrice qui les installe en tournée.»
Appareillage.
Le dispositif est mastoc: cent lapins (soit 130 kilos au total) voyagent ainsi, avec leurs câbles d’alimentation et les cent prises associées, plus six routeurs Wi-fi et deux ordinateurs régis par les auteurs de cette pièce écrite. Oui, écrite. Antoine Schmitt et Jean-Jacques Birgé envoient via leurs ordinateurs la partition aux lapins qui la jouent ensuite sur la scène, en remuant les oreilles. Parfois en décalé. Car les interprètes restent des lapins, pas des moutons.
Alice Antheaume (20minutes.fr, 20/09/2007)


Pour rejoindre nos lapins qui seront beaucoup plus disciplinés que la veille et répondre aux questions de France 3 (édition des Pays de Loire ce soir à 19h), je traverse le Passage Pommeraye dans l'autre sens. Comme il est impossible de trouver une botte de carottes (avec des fanes) à Nantes passé midi, je joue les leurres en enfilant veste et pantalon orange tandis qu'Antoine passe au noir : la carotte et le bâton ! Le subterfuge les gruge. Aucune évasion à signaler, aucune reproduction non plus, tout le monde regagne son clapier tandis que nous imaginons une nouvelle scénographie pour le 6 octobre à Amiens. Christophe nous fait remarquer que Nantes et Amiens sont les deux villes de Jules Verne. Sous quelle meilleure étoile pouvions-nous jouer les chefs d'orchestre numérique ?

dimanche 16 septembre 2007

Un plan de Paris


Françoise se débrouille toujours pour partir au dernier moment, en oubliant ci ou ça et à me stresser alors que je ne suis même pas du voyage. Une névrose en vaut une autre, je suis plutôt du genre à partir une demi-heure en avance. La ponctualité stigmatise bien des comportements. J'avais donc commencé la journée par chercher l'adresse de Xana sur le plan de Brooklyn pour que Françoise arrive à bon port, les taxis jaunes se perdant souvent dès qu'ils sortent de Manhattan (MapQuest est l'équivalent de Mappy). De son côté, elle réussit à faire faire demi-tour au taxi bleu, pensant avoir oublié ses lunettes qui étaient évidemment dans son sac.
L'après-midi, plus calme et ensoleillée, s'est déroulée en sauts de puce dans le XIème et le XXème au guidon de mon Brompton que je réparai avec succès, mais non sans mal. Il est enfin doté de quatre petites roues pour le traîner façon caddie et d'un feu arrière qui fonctionne ! Hormis la marche à pieds, y a-t-il un moyen de locomotion plus agréable que la bicyclette pour découvrir Paris ? Depuis que je roule sur deux roues, j'ai l'impression d'être en vacances lorsque je conduis et de découvrir la ville comme un touriste. Je m'arrête sur les ponts qui enjambent la Seine, je regarde les vitrines, les cariatides qui ornent les façades, les passants... Et je fais des photos comme si c'était des cartes postales. Celle-ci, prise depuis le toit du Musée du quai Branly, montre le contraste de trois époques : ça, c'est Paris ! Nouvel, Eiffel et je ne sais qui. J'ai également profité de ma journée off pour me faire ratiboiser la colline avant de remonter celle de la Porte de Ménilmontant.

samedi 15 septembre 2007

Paris-Lorient-Paris dans la journée


Passant par la rue du Départ (sans recevoir 20 000 balles) pour m'éviter les dix minutes de couloirs souterrains de la station Montparnasse au quai du TGV, je tombe sur une vitrine des Galeries Lafayette avec nos lapins fétiches : en reflet, Shoot 'em Up (Descendez-les !) ; sur l'écran : A priori il n'y a aucune raison... Belle annonce pour la reprise de notre opéra à Nantes la semaine prochaine pour le Festival Scopitone !
Dans le train, une vieille dame ronchon hurle "Vous n'avez pas soif, derrière ?". Elle n'arrêtera pas de se retourner jusqu'à s'en prendre à ma voix "porteuse"... "Un vrai moulin à paroles !". Difficile de dire le contraire. Si je parle pourtant tout doucement, ma gamme de fréquences ressemble bigrement à la sienne. Elle n'arrive pas à se concentrer sur son magazine pipole. J'ai beau faire des efforts de murmures, ses tympans vibrent en sympathie avec mes cordes vocales. Nous préparions discrètement notre entretien concernant l'appel d'offre pour une installation muséographique immersive projetée sur onze écrans. Nous faisons rire nos interlocuteurs en divaguant sérieusement sur l'océan, mais cela ne peut encore en rien augurer de leur choix. Il faisait beau, l'air était pur, comme un parfum de vacances, un leurre.
J'aurais souhaité prendre un cliché breton, hélas la ville reconstruite après les bombardements alliés est aussi lisse qu'un centre commercial. J'entends tout de même une mouette à l'instant de grimper dans le TER bondé qui m'emporte vers Rennes. Arrivé à Paris, il n'y a pas de taxi. Il n'y a jamais de taxi à la Gare Montparnasse. Je finis par en alpaguer un à Vavin qui ferait bien le tour de Paris pour me ramener à la maison. Je suis pressé de rentrer, Françoise s'envolant dans quelques heures pour New York où elle va préparer la ressortie de ses films sur le territoire américain. L'histoire se répèterait-elle ?

samedi 8 septembre 2007

Aldo scotché


La couleur des photographies d'Aldo Sperber (liens vers PictureTank, films et Ciné-Romand) est souvent franche, comme les cases d'une bande dessinée dont la colorisation crue oriente la lisibilité du scénario. Instants posés sans référence cinématographique, les images arrêtées s'insèrent dans une action entre un avant et un après. Les modèles semblent poser pour un peintre. J'ai évidemment choisi cette image à cause de Scotch. Évaluant le danger, le chat joue de ses prunelles vertes tandis que la marionnette rouge sang est suspendue au hors champ d'une fenêtre que l'on devine. Françoise et moi avons prêté décor et accessoires contre chacun un galurin de la styliste Catherine Cardine, rue du Faubourg Saint-Honoré, dont Aldo photographie toues les collections. Sur le divan de la salle de cinéma, Sophie, journaliste de rock, tient les ciseaux du coupeur de pouces de Crasse-Tignasse.

vendredi 31 août 2007

Fin du voyage


Les éclats des voyageurs se mêlent au boogie woogie ferroviaire pour une bande son tricot digne d'un Godard : un jazzman américain évoque les continents traversés de sa voix de stentor, un grand beur et un petit black aident une vieille dame peroxydée en la charriant sur sa valise pleine de lingots, une blonde mouche son chien à nœud nœud, une famille nombreuse de petites filles sautille autour de leurs jeux vidéo, une jeune suisse allemande fait des efforts d'articulation, les sacs à dos se bousculent, les wagons s'échangent, la barmaid fait sa Betty Boop et la contrôleuse aux ongles vernis assortis à son uniforme gris, mains et pieds, chtonque le billet... Nous avons quitté Pascale dans le décor western de la petite gare de Saint Geniès de Malgoirès pour faire la course avec Xana dont l'avion barcelonais atterrit à Orly pendant que notre TGV freine derrière son pareil en panne. Françoise est plongée dans une fourmilière littéraire et je recommence à penser utile.

mercredi 22 août 2007

Répit


Même couleurs pour Françoise en plissé d'Issey Miyake et Pascale en gentille woman fermière servant leur petit déjeuner à Dada, Flika et Pilgrim tandis que Bambou et Médor, hors champ, gambadent allègrement dans la prairie attenante. Toute une faune gardoise, moustiques nocturnes et matous matois inclus, volettent et se frottent à nous aux heures des siestes du Midi. Jean travaille sa flûte zavrila dans une chambre du fond pendant que Mathilde roule vers Nîmes où Björk, ce soir, envahira les arènes. Je ne fais rien.

mardi 21 août 2007

La grande illusion


Doris nous confie Suite française d'Irène Némirovsky dans sa traduction anglaise qu'elle vient de lire lors de son séjour à Paris. Jonathan s'en saisit pour le dévorer avant son retour à New York et nous offre l'original en français. Après Françoise, je me presse de le terminer avant de quitter La Ciotat pour le laisser à ses parents à qui l'époque de l'exode et de l'occupation parlera plus qu'à moi. Jean-Claude adore l'histoire et Rosette me raconte le flot des réfugiés qui se déversait du nord sur les boulevards des Maréchaux Porte de Montreuil avec leurs vaches, leurs cochons et tout leur barda, impressionnant défilé à qui les Parisiens offraient du pain sur leur passage.
Le plus émouvant sont les notes et les lettres en annexes, mais il faut avoir lu le roman pour apprécier ces documents inestimables qui accompagnent le manuscrit oublié toutes ces années dans une valise, l'éclairant d'un jour nouveau très moderne. L'écriture était minuscule, comme la page du manuscrit de Georges Arnaud que j'ai retrouvée chez mon père. Pour l'une et l'autre le papier était rare ! L'histoire de 1941-42 est vécue par des personnages de fiction, récits parallèles qui dessinent une période fragile avec la plus grande délicatesse. Irène Némirovsky, écrivaine réputée avant guerre, fut déportée, comme son époux Michel Epstein, à Auschwitz. Russes blancs émigrés, ils auraient peut-être échappé à la mort si leur conscience de classe avait été plus critique. Ces grands bourgeois juifs partageaient avec les Nazis la haine du bolchévisme ! Le récit posthume a été publié grâce à la découverte récente de leurs deux filles qui avaient fui la capitale.
La peur fit sombrer la France dans l'absurdité, la collaboration et l'horreur. L'Histoire se répète. La peur est mauvaise conseillère.

lundi 20 août 2007

Du poisson frais au soleil


Après le lever du soleil, on n'attrape plus rien. Tout se passe à l'aube ou au crépuscule. Jean-Claude a pêché un monstre de près de 4 kilos, appelé denti à cause de ses dents pointues, et des bias, une sorte de maquereau espagnol. Les petits sont beaucoup plus vivaces que le gros. Si l'on tire trop fort sur la ligne, ils la cassent vite fait. La photo tient des poids et haltères. Le denti suffit à huit gourmands pour le repas de midi, les bias pour le dîner et il en reste pour aujourd'hui.
Ce matin, nous devions nous lever aux aurores pour accompagner le père de Françoise sur la Cuilleras, son pointu ou barquette marseillaise, mais le Mistral s'est levé, donc pas nous. L'an passé, nous avions fait une pêche miraculeuse de sévereaux. Une autre fois, j'avais rapporté un petit baracuda. Jean-Claude connaît les coins comme sa poche et la manière de les approcher... Il sait aussi les cuisiner !

dimanche 19 août 2007

Troc


Pascale a eu pitié de mes oignons et nous a invités dans son havre de paix où nous la rejoindrons dans quelques jours. Au vu des prix pratiqués par la SNCF en période estivale lorsque l'on ne s'y prend pas trois mois à l'avance, nous avions décidé de rester là malgré mon impérieux besoin de changer d'air. Françoise a tenté le coup sur Trocdesprems et miracle, elle a dégotté deux billets pour Toulon à 20 euros ! Il ne restait plus qu'à trouver quelqu'un pour la maison et Scotch, et nous voilà repartis sur la route. Première escale, La Ciotat, sa plage, ses poissons, ma seconde famille.
À Paris, je n'arrivais plus à me reposer. Il fallait recharger les batteries en vue d'une rentrée qui s'annonce animée : les lapins toujours, Nabaztag lui-même et l'opéra avec Antoine qui réunit cent de ces petites bêtes (représentations les 19 et 20 septembre à Nantes pour Scopitone, le 6 octobre à Amiens pour la Nuit Blanche, le 20 à Amsterdam...), la suite des enregistrements avec Franck Vigroux, de nouvelles écoles où dispenser la bonne parole du son sur l'image (Autograph, Sainte Geneviève...), les finitions du film de Pierre-Oscar, un Pop'Lab pour Annick, le nouveau numéro des Allumés, etc. Idem pour Françoise qui prépare son nouveau Ciné-Romand et la rétrospective de ses films à l'Entrepôt, Peep-Chat avec le Théâtre Paris-Vilette, la sortie dvd de Appelez-moi Madame, etc.
Mais oublions tout ça et consacrons-nous aux joies de la villégiature ! Pour me mettre dans le bain, je picore tomates, raisins, figues, prunes et dévore à pleines dents les canards sauvages que les filles ont plumé pendant que je plantais un poivrier et un caprier. Jean-Claude part à la pêche à cinq heures du matin, mais je n'ai pas le courage de me lever pour l'accompagner...

lundi 13 août 2007

La scandaleuse généalogie de Kara Walker


Inspirée par les films muets de Lotte Reininger, l'artiste afro-américaine Kara Walker découpe des silhouettes dans du papier noir et réalise des films d'ombres chinoises où elle évoque l'esclavage aux États Unis et l'ambiguïté des rapports sexuels qu'il engendra entre les communautés. Si ses grands panoramas et ses théâtres de marionnettes apparaissent anecdotiques, malgré leur charge sulfureuse où le sexe et la violence sont omniprésents, ses écrits sont bouleversants, autrement plus provocants que l'érotisme bon marché de ses fresques monochromes. Quelques tentatives de colorisation et de très beaux collages ne changent rien à l'affaire. Pourtant, analyser son œuvre sans se référer au racisme toujours aussi vivace aux USA risque d'atténuer le sens de sa démarche, résolument contemporaine parce que fortement enracinée dans une histoire terriblement douloureuse qui n'est pas prête de s'éteindre. Le passé du peuple noir a été soigneusement enfoui, refoulé. Les blancs ne souhaitent pas plus exhumer les scandales intimes subis par les corps, leurs gènes se propageant allègrement dans la communauté afro-américaine. Les fantasmes de Kara Walker réveillent les fantômes pour que celles et ceux qui le vivent encore dans leur chair clament leur nom sans vergogne.
Photo : Françoise à l'exposition du Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris, Mon Ennemi, Mon Frère, Mon Bourreau, Mon amour, jusqu'au 9 septembre.

vendredi 10 août 2007

Remue / ménage


Le mois d'août rime avec écoute et le temps de ne rien faire avec s'affaire. Ainsi je rattrape mon retard sur les disques que je n'ai pas encore entendus. Mais dans quelles conditions ? En accompagnement ou en ne faisant rien d'autre ? Depuis quelques mois, les disques tournent sur la platine pendant que je tape. Ou bien je tape tandis que tournent les disques. De quoi je parle ? De ce que j'entends ou de ce que cela m'inspire indirectement ? Je rêvais d'un fauteuil comme celui qu'essaye Françoise dans l'appartement du Corbusier. À Würzburg, Jürgen Königer en avait un qui trônait, solitaire, au milieu de sa pièce d'écoute. Regarder des films le soir est la seule activité qui m'empêche encore de m'activer dans tous les sens. Son "assise" conviendrait-elle ? Il m'arrive de m'endormir devant l'écran. J'en suis un peu contrarié, mais je ne suis pas le seul. Lorsque je résiste, j'ai des énervements dans les jambes qui risquent de se perpétuer si je vais me coucher dans mon lit. Parfois toute l'assistance roupille. C'est cocasse. Comme la fois au cinéma où je me suis retourné sur mon siège pendant une séance d'un film en 3D : toute la salle portait des lunettes noires. Avec le temps qu'il fait on n'en a pas besoin, mais on a celui de regarder des films... On en parle demain.

mardi 7 août 2007

An(nu)al Pass


On se fait une joie de sortir de sa tanière et c'est la déception. L'exposition Les Messagers au Centre Pompidou est tristement anecdotique. J'avais pourtant de merveilleux souvenirs d'Annette Messager. La promiscuité avec son compagnon Christian Boltanski joue des vases communicants, à double sens, mais aucune émotion ni réflexion ne se dégagent de cet empilement de traces. Les lignes de la main restent aussi plates que des affiches pour touristes. Si, comme le dit J-L G, l'important ce n'est pas le message mais le regard, comment comprendre mes paupières qui se ferment doucement devant tant de baudruches ? La grenouille qui voulait se faire plus grosse que le bœuf se dégonfle comme autant de petites morts avortées. Le voile rouge qui enfle ressemble à la mer en plastique du Casanova de Fellini. Seules trouvent grâce à mes yeux Les Piques, et quelques crayons de couleur. Ailleurs, l'amas noie le poison. Je ne voudrais pas faire porter à Annette Messager l'amertume suscitée par tant de vacuité exposée dans ce lieu de culture où l'art reste aux abonnés absents. Je lui en veux de n'être point différente, là où Godard sut faire exploser les conventions.
Annette Messager a conçu le laissez-passer 2007 du Centre. La carte lenticulaire qu'elle a imaginée donne à voir alternativement, selon le mouvement que l'on imprime à son poignet, les mots "Laissez passer" ou "Laisser pisser". En auto-justification laborieuse le programme offre son explication de texte. Comme à la télé on nous dit bien quoi penser. Loin d'être une simple boutade, ce jeu de mots - qui habite toute l'œuvre - souligne le lien entre le bâtiment et les fonctions corporelles, le flux et les fluides. Il condense dans un registre minuscule des préoccupations fondamentales dans le travail de l'artiste, centré sur la question du corps. J'aurais certainement dû laisser pisser le Mérinos, mais, en sortant, Françoise, qui a bien compris la leçon, relève ce qu'Annette a raté : en lettres de néon qui brûlent la lentille de mon petit appareil-photo, sous "Laisser-passer" est inscrit "Annual Pass". Françoise roque, permute au lieu de remplacer des lettres, soulignant le statut difficile du visiteur condamné à l'An(nu)al Pass !
P.S. : je suis peut-être passé à côté, mais les fantasmes de l'enfance qu'évoque Jonathan ne suffisent pas à palier la trop courte distance entre l'objet et son sujet. Quelques pièces sympas, aucune vue sur la mer. La salle d'à côté n'arrange pas les choses, Philippe Mayaux ne prend pas. Le Prix Marcel Duchamp 2006 sous-dalise comme on en voit plein les galeries de Soho, c'est déprimant.

lundi 6 août 2007

La passion des plantes


Dimanche, il faisait beau.
J'ai terminé de traiter les fichiers du lapin italien avant le dîner ; j'avais commencé à 7 heures du matin. La première livraison en compte un bon millier, j'aurais mis moins de trois jours, je vais de plus en plus vite...
En arrachant les palmes fanées du yucca qui grimpe maintenant à plus de deux mètres devant la fenêtre de la cuisine, Caroline a dévoilé ses racines. Elle espère faire repartir dans son jardin celle qu'elle a coupée. Encore un alien végétal. Si les piquants repoussent chaque fois que je les taille pour éviter qu'on s'y pique douloureusement, sa chair est très tendre. Chaque année il produit une grappe de fleurs blanches immense qui pousse en son cœur. L'ancien propriétaire raconte qu'il a tenté de s'en débarrasser avec de l'acide, mais qu'au contraire cela l'a fortifié ! Je rampe par terre pour admirer le travail. C'était le jour pour bricoler dehors, Françoise et Jonathan ont réparé deux chaises avec de la fourrure synthétique rose fluo. Il paraît que la semaine va être pluvieuse. Le tonnerre gronde déjà. Le soleil reviendra à Pâques ou à la Trinité. On ne sait plus où on en est. Le mois d'août est déstabilisant. C'est bien.
J'ai photographié le palmier à l'exposition Kiefer. Comme touché par la foudre. Il renaît de ses cendres par la grâce de l'artiste qui lui a confectionné un appui-tête. J'espère aller voir celle d'Annette Messager ce soir au Centre Pompidou... Si j'ai terminé de découper les fichiers du gourou, encore deux cents aujourd'hui...
Je m'y mets de ce pas.

samedi 4 août 2007

L'invasion des profanateurs de toiture


Les bambous atteindront huit mètres cette année. La jungle gagne sans cesse du terrain. J'ai choisi de quitter Paris pour voir les arbres pousser et sentir les saisons se succéder. C'est une farce, la lisière est à trois cents mètres ! Sous l'assaut des plus vivaces, les espèces se raréfient. D'autres apparaissent, graines apportées par le vent et les oiseaux. Je n'aimais pas tailler les branches, mais j'ai fini par accepter comment la nature fonctionne. Malgré tous les conseils m'exhortant à empêcher le lierre de s'accrocher à la maison, je l'ai laissé proliférer. Je pensais qu'il lui faudrait du temps avant qu'il n'arrive à attaquer la pierre et que son manteau de verdure m'éviterait de ravaler les quatre hauts murs. Tout semblait rouler comme sur des roulettes jusqu'à ce que le lierre atteigne le toit, envahissant la gouttière et soulevant les tuiles. Plus le choix ! J'ai commencé à sectionner les branches au rez-de-chaussée, à arracher celles qui adhèrent à la façade, à me tordre dans tous les sens, m'esquintant une fois de plus les doigts. Je dois encore emprunter une échelle ou un harnais pour repousser l'invasion de la toiture. Ce n'est pas gagné. Françoise est inquiète que je grimpe à plus de dix mètres en hauteur. Je crains pourtant moins l'escalade que l'arrachage... Entre les bambous et le lierre, c'est auquel sera le plus coriace. Je regretterai l'épaisse toison qui donnait à la maison un air champêtre hiver comme été. Maintenant la reprise du crépis semble inévitable. J'ai toujours rêvé repeindre la maison d'une couleur flashy, je ne me suis jamais décidé pour laquelle...

vendredi 3 août 2007

Amie Siegel fait fondre le réel


Quittant Berlin où elle avait été artiste en résidence et passant voir Françoise à Paris avant de rejoindre Harvard où elle venait d'être nommée en charge du cinéma expérimental, Amie Siegel avait sous son bras deux films.
Le premier, Empathy, est un long métrage sur l'intimité des rapports entre le psychanalyste et son patient. Les psys sont réels, tandis que les patientes sont jouées par des comédiennes, mais rien de cela ne se voit tant la direction d'acteurs est maîtrisée. Cela se comprend lorsque la réalisatrice américaine le souhaite pour aussitôt nous le faire oublier. Si la plupart des praticiens ronronnent d'une langue de bois pare-feu, celui que j'appelle "le crocodile" se livre à l'objectif avec une sincérité hors du commun. Derrière la fente de ses yeux, on sent l'animal prêt à bondir. Mais la patiente n'est pas une proie envisageable et il refermera ses mâchoires sur ses propres fantasmes. Amie Siegel laisse traîner ses clefs pour offrir aux spectateurs les indices de la relation qu'entretient la cinéaste avec ses sujets : la perche entre dans le champ, Amie fait mine d'apprêter sa comédienne, extraordinaire Gigi Buffington, comme si la caméra ne tournait pas encore, le début même du film montre que les tricheries sont de mise comme dans tout documentaire (documenteur explicité par Varda !), les auditions pour le rôle principal sont-elles jouées ou vécues, etc. La passe est réussie lorsque le plateau de jeu bascule, le transfert s'opérant, le psy glisse du fameux fauteuil au divan d'Amie !


Amie Siegel avait découvert les copies des films que Françoise avait laissées dans les archives de l'Université d'Harvard à Boston. Elle avait été impressionnée par Mix-Up comme par Appelez-moi Madame (Call Me Madam). Le premier est sorti en dvd chez Lowave, le second pourrait être édité prochainement. Toutes deux aiment mêler documentaire et fiction, jouer des faux-semblants et entraîner leurs personnages réels sur les pentes taquines de la reconstitution et de la mise en scène. Sublime coïncidence, Amie reconnaît la monteuse, Maguy Alziari-Siegel, en photomaton sur le générique de Mix-Up, c'est la femme de son cousin américain à Paris. En regardant le second film qu'elle nous a laissé nous comprenons qu'Amie est une réalisatrice avec de beaux jours devant elle. Françoise me dit qu'elle a déjà ressenti cette complicité lorsqu'elle rencontra Atom Egoyan il y a vingt ans... Ce n'est pas tous les jours que l'on fait de pareilles rencontres.


Le court-métrage Berlin Remake est une installation pour deux écrans (split screen). Le bonus montre le film in situ dans le cadre d'une exposition. Sur l'écran de droite sont projetées plusieurs séquences de films est-allemands des Studios DEFA entrecoupées de noir, sur celui de gauche Amie Siegel montre les mêmes lieux qu'elle a filmés à plusieurs décennies de distance. Elle a conservé le son de "l'original". Si les cadres et les mouvements de caméra sont identiques, la réalisatrice a, cette fois encore, joué de la mise en scène pour parfaire l'illusion. Elle a disposé des personnages aux places stratégiques du cadre comme le monteur cherche les contrastes de lumière pour réussir ses passages d'un plan à un autre. Mais ici voir les deux images en même temps troublent le regard, exhorte l'émotion et la réflexion, nous renvoyant à notre propre histoire. Le cinéma n'est-il pas l'art de reproduire les émotions passées de chacune et chacun ? Cantonner l'installation à une évocation du temps qui passe dans un endroit, il est vrai, chargé de sens, Berlin Est, est une grave erreur. C'est la sempiternelle question de l'identification qui est nous est renvoyée par ce miroir sorcier, une glace à trois faces où le visiteur, à son tour, devient l'acteur d'un monde imaginé par la metteuse en scène. Berlin Remake est un pas de plus vers l'immixtion de la fiction dans le réel et sa réciprocité. Une mise en abîme qui défie la loi des genres.

dimanche 29 juillet 2007

Nabaztag en Russie : 100 Набазтагов в Центре Помпиду


100 Набазтагов в Центре Помпиду
Видео
Юлия Выдолоб / Рецензии / 1 из 86 Обозреватель
«Афиши»
Nabaztag — это пластмассовый заяц, который подключается к Wi-Fi, шевелит ушами и мигает светодиодами. Сразу надо сказать, что практической пользы от него вообще никакой. Конечно, вам будут рассказывать, что зайчик еще может читать новости на английском и французском, проигрывать mp3-файлы, оповещать, что пришла почта, работать будильником и так далее. Но, согласитесь, все это можно делать и без зайчика. А вот когда видишь, как пластмассовое существо медленно поводит ухом и пускает по животу ряд разноцветных огней — вот тут спокойными остаются только самые бессердечные. Патологическую любовь с первого взгляда — или по крайней мере жгучий интерес — Nabaztag вызывает практически у каждого. И зачем он мигает, в принципе, уже неважно (хотя мигает он потому, что ищет сеть, или принимает сообщение, или читает RSS-поток, или не нашел сети и т.п., — все это подробно расшифровано на nabaztag.ru). Поклонников у зайчика в мире уйма. Они наряжают его в очки и покупают наборы цветных ушей, фотографируют в цветущем саду и выкладывают во Flickr; а два француза и вовсе собрали сто Набазтагов и заставили их синхронно мигать и издавать звуки в Центре Помпиду (см. youtube.com). Смотрится это по-настоящему жутко.
17 июля 2007 г.
En illustration du site russe, on retrouve le film que Françoise a tourné sur la création de notre opéra au Centre Pompidou. Représentations de Nabaz'mob prévues à Nantes (Scopitone, 20 septembre), Amiens (Nuit blanche, 6 octobre), Amsterdam (20 octobre).
Versions anglaise, américaine, espagnole, italienne, allemande de Nabaztag déjà disponibles ou en cours d'enregistrement (même ce dimanche !). Le lapin viserait-il à devenir maître du monde ? HAL s'inquiète.

lundi 23 juillet 2007

Plein les mirettes


Si j'adore me baigner, je n'ai jamais aimé aller à la plage. Trop de bruit, de bousculade, d'épandage, et surtout, impossible de trouver une position agréable pour bouquiner sur une serviette de bain. Il y a longtemps que je ne m'allonge plus sur le sable pour bronzer. Je laisse faire le soleil sans m'en préoccuper. Si nous sommes nombreux à y aller ensemble, j'apprécie encore de jouer avec les vagues, mais je m'épuise vite. Mon père m'apprit à rentrer dans la mer en courant ; ensuite je m'ennuie et nage rarement très loin. En découvrant il y a une douzaine d'années l'émerveillement de la plongée sous-marine, j'ai du même coup compris les joies du masque et tuba. Équipé ainsi, je ne sens plus le temps passer et les distances s'allonger ; en quelques brasses (je n'ai jamais su nager autrement avec plaisir) je me retrouve au bout du monde. Il suffit que je suive un banc de poissons pour me laisser entraîner loin du rivage, sans qu'aucune fatigue vienne interrompre la baignade. Lorsqu'Olivia et Thierry m'apprirent que la plongée était interdite aux asthmatiques, même légers comme moi, le monde du silence s'écroula. J'aurais pu hurler avec les loups de mer pour noyer mon chagrin. Je ne suis pas certain que je serais capable de suivre leur prescription si l'occasion se représentait tant j'ai adoré me promener dans cette forêt inimaginable au milieu des animaux farceurs. En attendant, Françoise et moi nous adonnons à la nage en surface les yeux rivés vers le fond, admirant pageots, saupes, oblades et girelles.

samedi 7 juillet 2007

Version censurée en ligne sur Free TV perso


J'ai raconté l'histoire du film de Françoise, Si toi aussi tu m'abandonnes, le 16 avril et annoncé le lancement de TVPerso sur le canal 13 de la FreeBox dimanche dernier. En voici une application, la version censurée par la télévision est accessible sur VideoClub en tapant le code 33642 ou en cherchant dans Divers. Cinquante deux minutes pour apprécier la différence si vous êtes abonnés à Free et que vous avez vu la version formatée produite par Image et Compagnie, la société de Serge Moati, lorsqu'elle est passée sur France 3. Une occasion exceptionnelle de voir le film tel que Françoise Romand l'a réalisé, avant les coupes et les ajouts, avant que tout ce qui concerne la religion, les Scouts d'Europe (liés au Front national) et la famille adoptive du jeune Colombien soit censuré, avant que le film ne devienne un portrait à charge... L'idéal serait de pouvoir comparer les deux versions, ce qu'a rapporté Poptronics lors de la projection aux Beaux-Arts programmée par Addoc... L'Humanité d'hier vendredi consacre une page sur le documentaire en danger dont un article sur l'histoire de ''Si toi aussi tu m'abandonnes'' signé Marie Barbier.

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mercredi 27 juin 2007

Les clowns


J'avais raté Le Cabaret des Chiche Capon au Zèbre, mais ils seraient au Samovar (c'est tout à côté de la maison à Bagnolet). Le rire est salutaire, il y avait longtemps que je n'avais autant pleuré, des larmes bien portantes, lorsque le rire ne peut plus endiguer l'émotion, que l'on s'étrangle et s'étouffe en spasmes à la fois épuisants et revigorants... Je ne me souviens plus de leurs noms, mais ils étaient douze sur scène, issus de différentes troupes et de l'école de clowns du Samovar. Devant ce bouquet de jouvence, le public d'adultes tint son rôle comme les enfants devant un spectacle de marionnettes, réagissant activement aux pitreries le plus souvent heureusement muettes.
Les grands clowns utilisent peu de mots. On se souvient du "sans blague !" du suisse Grock. J'étais trop jeune pour le voir en public, mais je me rappelle les Fratellini lorsque j'avais cinq ans. Albert me laissa une impression indélébile. J'ai toujours préféré l'indiscipline de l'Auguste au rappel à l'ordre du clown blanc. Adolescent, je fis le light-show du Cirque Bonjour à ses débuts et je fus ému de revoir Victoria Chaplin et Jean-Baptiste Thiérrée dans le sublime film de Fellini, un de ses meilleurs avec Roma. Plus tard, grâce à Geneviève Cabannes et Francis Gorgé qui travaillaient avec les Macloma, j'eus la chance de jouer avec Guy Pannequin dans notre spectacle Zappeurs-Pompiers 2. J'adorais la méchanceté de Guy lorsque, maquillé en noir, il terrorisait les spectateurs. Le clown peut approcher les tabous, braver les interdits, provoquer au delà du raisonnable. Il incarne la désobéissance sociale qu'ailleurs on appelle folie. Et le rire qu'il engendre libère les nœuds de tension que nous accumulons à force de nous plier aux us et coutumes.
Quel plaisir de partager cette rigolade avec Elsa qui nous avait exhortés à venir et d'entendre Françoise s'esclaffer à tout bout de champ alors qu'elle était venue à reculons, prétextant ne pas aimer les clowns. Elle n'avait jamais connu que les lamentables zavattineries qui prennent les enfants pour des demeurés en s'appuyant sur trois éternels jeux de mots. Mais nous étions confrontés à l'art du rire qui tient de l'absurde et de la critique féroce, proche du burlesque des Chaplin, Keaton, Marx, Jacques Tati ou Pierre Etaix qui sont des clowns de cinéma. La moindre mimique de Patrick de Valette nous plie en deux, en trois, en quatre, nous laissant à jamais un souvenir libérateur de cette soirée lumineuse.

lundi 25 juin 2007

Grrr...


J'aurais très bien pu faire un billet sur l'Étoile de la Tripe au Marché des Lilas, sur le jardin d'Anny dans le XIVème, l'expo de Lolo à Ivry, le concert solo d'Ève chez Anh-Van à Belleville, la soirée chez Maguy aux Buttes Chaumont, la collection de voitures électriques de Don et le mini-slot, mais c'eut été sans compter la panne de l'Espace que je dois conduire à la première heure au garage, à condition d'arriver à la pousser pour la faire démarrer dans la descente. Je suis en nage d'avoir grimpé la côte à toute vitesse, Françoise fait le zouave sur sa bicyclette et il est trop tard pour développer la moindre idée cohérente. Ce beau dimanche commencé rue des Thermopiles s'achève par une miraculeuse cueillette d'escargots à deux heures du matin... Ils se sont empiffrés de persil et de cerfeuil que c'en est écœurant. Ils ne nous ont pas laissé un brin. Farcis d'eux-mêmes les hélicidés n'en seront que meilleurs. Les goinfres.

mercredi 13 juin 2007

En vrille


Il n'avait pas suffi que je me casse le dos jeudi dernier, hier soir j'ai tordu mon petit orteil en préparant le barbecue pour les sardines. Deux fois de suite, je pars en vrille. Un vice de fond ? Le point d'interrogation que je scotche avec du sparadrap m'arrive en pleine poire. Une vis déforme. Ma colonne vertébrale est en baïonnette et mon petit doigt ressemble aux petits gris que Françoise cueille dans le jardin pour les déguster à la suçarelle. On avait assez qu'ils saccagent nos plantations, on est passé à la contre-attaque. D'habitude, je heurte mon petit orteil quand vient l'été, mais cette fois j'étais en tongues et j'ai seulement effectué une rotation du pied gauche pour ramasser le bois mort dont j'avais besoin pour allumer le feu. C'est déprimant de recommencer chaque année le même tour. Prendre son mal en patience. Heureusement, j'étais déjà sous anti-inflammatoires à cause de mon sacrum. J'ai pris une dose d'arnica, j'essaye de faire comme si de rien. Tu parles ! Ça pique, ça brûle, je marche en crabe et me voilà épinglé à la maison sans pouvoir enfiler une chaussure. Je n'ai plus qu'à me concentrer sur les derniers fichiers de mon conejo et composer avec Bernard le carnaval brésilien accompagnant la danse des trente-deux jeunes filles. Danser, ce n'est pas demain la veille...

mercredi 6 juin 2007

Rémanence


Perception rétinienne de la machine. Sur iChat, l'écran conserve la dernière image de notre conversation. Depuis l'intégration d'une caméra aux derniers Mac, les échanges vidéos se multiplient. Pierre-Étienne me montre son épaule trois fois démise et parle de son métier de pilote de Boings depuis le village de Navata en Catalogne, Fred me laisse espérer des nouvelles de FluxTune depuis son château de St Laurent-le-Minier, Françoise envoie ce cliché ciotaden alors que je prends congé de Giraï qui, malgré ses 97 ans, jubile de ces avancées julesverniennes. C'est devenu très simple. Il suffit d'un double-clic pour amorcer la connexion. Ce n'est pas qu'un gadget pour se voir en plus de s'entendre. Je montre une mise en pages, vérifie des numéros, précise les dimensions d'un objet... Plein écran. Nous nous amusons à faire courir deux réalités simultanées comme dans le projet iKitchenEye de Françoise. On peut s'y mettre à trois ; une foule d'applications vont se découvrir d'elles-mêmes.
Derrière moi, on aperçoit la valise d'Aldo Sperber, des années où il réalisait plus de sculptures que de photographies. La figurine dans la cavité centrale s'allume le soir, comme un autel païen à une divinité du voyage. Si c'est cela, c'est raté, je fais du sur-place. Je suis en peignoir de bain malgré une heure très avancée de la journée. J'ai beau commencer très tôt, 6 heures ce matin, j'ai du mal à m'arrêter de travailler. Même pour aller faire ma toilette. Si je suis invité à une vidéo-conférence, je fais attention de ne pas être à poil ! Je me débrouille néanmoins pour ne pas faire le tour du cadran dans cet état. Ce serait déprimant, destructurant. Sur la capture-écran, je vois ma fausse incisive qu'il faudrait remplacer. Auparavant, on s'en rendait compte seulement lorsqu'elle était éclairée par une lumière noire. Ma main expose impudiquement ses lignes à tous les chiromanciens.

lundi 21 mai 2007

Narcisse Machine


Je me demandais ce que j'allais bien raconter aujourd'hui. J'ai commencé à écrire ce que je pensais de mon nouvel ordinateur portable, un MacBook Pro 15 pouces 2,16GHz, 3Go de mémoire vive. Comme chaque jour, la question de l'illustration s'est posée. Une image de l'objet me semblait tout indiquée. Alors que j'étais prêt à le prendre en photo ou à chercher une reproduction sur le Net, la caméra intégrée m'a fait un clin d'œil. J'ai lancé le logiciel Photo Booth, traduisez Photomaton, mais j'avais beau incliner l'écran vers le clavier, cela ne fonctionnait pas. J'ai attrapé le premier miroir qui passait à portée de main, une horloge ORTF que Françoise avait posé dans les archives, et je l'ai retourné de façon à voir le clavier rétro-éclairé sur l'écran. Je ne me suis pas aperçu que je le tenais à l'envers, mais nous n'en sommes plus à cela près. J'ai appuyé sur le déclencheur : 3 2 1... Flash !
L'écran est devenu tout noir. Entièrement noir. Plus aucun logiciel n'était accessible. Aucune touche n'était effective. Impossible de quitter. J'ai flippé. Je ne suis toujours pas remis du crash de mon disque dur le mois dernier. J'ai forcé à quitter brutalement en appuyant quelques secondes sur le bouton d'allumage. C'est reparti, heureusement, mais il faut toujours attendre que le bureau apparaisse pour en être vraiment certain. Je ne sais pas ce qui s'est passé. Mystère. L'ai-je effrayé en lui renvoyant son image ? L'éclat aveuglant semble lui avoir fortement déplu. Pourtant, c'est là, regardez, comme une pièce à conviction. La prochaine fois, j'essaierai en plein jour, sans le flash automatique ! Il faut savoir sérier les problèmes...

lundi 14 mai 2007

Lors Jouin joue le barde


On continue dans la détente. Et on s'amuse, et on rigole... " Rikita rozenn gaer a Java, Deus da zansal ha deus da voucha, Da vouezh zo flour pa ganez da sonenn, Da zaoulagad evel diou steredenn... " Ainsi commence le refrain de Rikita (jolie fleur de Java) en version bretonne par le barde Lors Jouin dans l'album fraîchement paru chez Keltia Musique, Chansons de la Bretagne éternelle d'hier et de toujours pour maintenant par rapport à demain (cd + dvd de 26 minutes !). C'est sans aucun doute le disque le plus ringard de l'année, le plus kitsch et le plus authentique. Les Bretons s'y reconnaîtront sans mal, à en pisser dans leurs braies. Les autres auront peut-être besoin de quelque explication pour savoir si c'est de l'andouillette ou du cochon. Les deux certainement.
Lors Jouin joue le jeu sans aucun compromis en collectant ces chansons qui marquent l'histoire de la Bretagne, mais en les interprétant avec la plus grande honnêteté, collant à une réalité souvent complexe, quitte à prendre tous les accents du terroir, à chanter volontairement faux ou désynchronisé pour les clips vidéo, avec un orchestre de synthés et un remarquable accordéoniste. Plus vrai que nature !

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samedi 12 mai 2007

Ma tante touche du bois


Arlette Martin expose peintures et marqueteries jusqu'au 19 mai à la Mairie du XXe arrondissement à Paris. Elle est passée des pinceaux au travail du bois en 1958 sur la suggestion de mon oncle Gilbert. Arlette est la sœur aînée de ma maman. Lorsque j'étais enfant, les murs de notre appartement étaient recouverts de ses tableaux abstraits parce qu'elle ne savait pas où les accrocher dans leur mansarde de la rue Rosa Bonheur. La question de l'abstraction s'est donc très tôt posée à moi. On me répondait que cela ne représentait rien, qu'il ne fallait pas essayer d'y voir des ressemblances avec quoi que ce soit comme on fait avec les nuages lorsque l'on découvre parfois avec surprise des analogies avec des formes existantes. J'ai déjà évoqué le déséquilibre intentionnel, inspiré par cet unique lien avec l'art dans mes jeunes années. Je me souviens parfaitement de certains de ces tableaux peints au début des années 50. Arlette a continué en travaillant le bois, c'était une des rares marquetistes à ne pas faire dans le ringard, ni figurative ni géométrique. Abstraite !
D'elle je possède ainsi une table basse, un tableau et une aquarelle, mais la pièce dont je suis le plus fier est la porte qu'elle m'offrit pour le studio de musique à mon installation à Bagnolet. Arlette est étonnante de vitalité et cela se retrouve dans ses œuvres. Elle accumule les responsabilités à la Maison des Artistes (trésorière non solidaire des délires sarkozistes de son président !), au Syndicat National des Sculpteurs et Plasticiens (secrétaire générale honoraire), à la SAD (présidente en 1986-87 au Grand Palais) et jusqu'à l'année dernière, à 80 ans passés, elle était encore bénévole aux Restos du Cœur... Dans ses tableaux où les essences de bois remplacent la palette de couleurs en tubes, la matière continue à vivre. Il lui arrive de mélanger les deux techniques et j'aime particulièrement ceux où le rouge contraste avec les veines des bois exotiques. Les sinuosités du bois obligent à les suivre, à dessiner avec l'aléatoire. Arlette a réalisé des pièces monumentales, des meubles, mais Place Gambetta ce sont des tableaux ou des objets plus modestes comme de grands éventails dont l'accrochage fait bien ressortir tant l'homogénéité de l'œuvre que la variété de tons. En écrivant, je me rends compte que toutes ses toiles comme ses marqueteries sont des coupes transversales. L'aubier sous l'écorce.


Gros plan sur la poignée racine de la porte coulissante qui mène au studio. Ma sœur a également plusieurs meubles et un grand paravent marqueté et turquoise. Sa fille Estelle, ma nièce, a réalisé la maquette de l'élégant catalogue. Toute la famille est décorée par ses cadeaux uniques et attentionnés. Seule Françoise est venue au vernissage avec un original, puisqu'elle porte le magnifique pull over orange, blanc, rouge et noir qu'Arlette a tricoté pour elle l'an passé ! Sur le livre d'or, je gribouille : "L'abstraction fondatrice. La rémanence. Du bois dont je ne ferai pas de flûte..."

vendredi 11 mai 2007

Tutti frutti


Bernard et moi avons terminé de composer la musique du clip pour le film que réalise Pierre-Oscar pour la Communauté Européenne. Nous sommes impatients de l'enregistrer, mais des formalités administratives en repoussent la date. L'orchestration comprend un quatuor à cordes, un accordéon musette, une guitare manouche, un zarb et des uillean pipes, la cornemuse irlandaise. Des documents d'archives y seront mêlés dans la partition sonore définitive. C'est toujours excitant d'écrire avec les images. Françoise nous apporte des petits morceaux d'ananas dans le studio...
Pourquoi les fruits qu'elle a rapportés du Brésil sont-ils si parfumés ? Pourquoi le voyage affadirait-il leur goût s'il est organisé par un importateur consciencieux ? Pourquoi les fruits de nos étalages ont-ils perdu leur arôme ? Je crains les réponses bien informées. Pourquoi vouloir manger des fraises en toutes saisons ? Pourquoi est-ce que je remplace l'apport en fruits dans mon alimentation par un grand verre de jus d'orange avec pulpe dès que je me lève le matin ? Pourquoi, enfant, ne mangeais-je que des bananes ? Là je connais la réponse en chanson, c'est "parce qu'il n'y a pas d'os dedans". Pour quelle raison le coût prohibitif de certains fruits leur assure-t-il de posséder ce qu'ont perdu les autres ? Toutes ces questions me donnent le tournis et m'anémient. Je m'allonge sur les planches de bois exotique pour admirer l'ananas, l'anone (ou corossol), les fruits de la passion (qui poussent sur la grenadille), la papaye (ici ouverte) et la mangue passés à la douane avant d'atterrir dans mon assiette. J'ai semé quelques noix du Brésil sur le bord de l'assiette et rapproché le rhododendron qui s'est remis à fleurir après deux ans de grève. Anny affirme qe c'est un azalée. L'encyclopédie explique que les azalées sont de la famille des rhododendrons. Alors ai-je planté l'un ou l'autre, ou les deux en un ?

vendredi 4 mai 2007

À côté de mes pompes


Le spectacle d'hier soir au Triton a été un plaisir sans mélange. Les neuf étudiants des Conservatoires s'en sont sortis comme des chefs. Quant à Somnambules, j'ai pu jouer avec Éric dans la même complicité que j'ai entretenue avec Francis et Bernard dans le Drame pendant des années. Étienne a fait planer son lyrisme au-dessus de nos rythmes emmêlés. Nicolas n'a plus qu'une idée, c'est de recommencer. J'y reviendrai, évidemment.
Mais ce matin, en bon somnambule, je me lève pour ranger mes instruments dans le studio pendant que Françoise défait ses valises. Elle est revenue avec une petite cargaison d'Havaianas. Les tongues brésiliennes, vendues 6,50 euros à Sao Paulo, sont commercialisées 45 euros en France. Je crains que ce ne soit pas du commerce équitable.

vendredi 27 avril 2007

Remontée mécanique


J'ai été très sensible aux messages de sympathie envoyés en commentaires du billet d'hier ou par mail. Le soleil a également produit l'effet escompté et, après le Conseil d'administration des Allumés où nous avons préparé la soirée du 29 mai (billets allumés des 31 mars et 16 avril), j'ai pédalé jusqu'à la Maison de la Radio pour enregistrer en différé une émission de David Jisse et Yvan Amar qui sera diffusée le 1er mai à 15h sur France Culture, deux jours avant notre spectacle. En introduction j'ai joué un petit morceau électronique sur le synthé-jouet made in China que Françoise avait dégotté chez Tati le Noël précédent et, en coda, j'ai effectué un petit zapping flûte-guimbarde-Steinway. Mon adaptation minimaliste de l'Internationale, premier mai oblige, dépassait la durée de l'émission et vous ne l'entendrez pas, mais les morceaux improvisés comme la sélection des extraits musicaux m'ont plu (Michel Houellebecq - Elsa à 9 ans chantant Cause I've got time only for love - la trompette de Bernard dans Trop d'adrénaline nuit). L'entretien est très vivant, mais les séquelles des jours précédents se devinent au travers de mes bégaiements inhabituels. L'émission Un Poco Agitato porte bien son titre ! Un poco piu.
En roulant vers le studio, je croise Pierre à qui son déménagement à Marseille semble avoir magnifiquement réussi. Il a bonne mine et ne se dépare pas d'un sourire que les tracasseries parisiennes avaient depuis longtemps effacé. Cela fait plaisir à voir. En repensant à sa mine hilare rosie par le sud, je tente une décalcomanie en sprintant rue de Rivoli. Sur le chemin du retour devant le Cirque d'Hiver, je manque d'écraser Otar Iosseliani dont j'apprécie pourtant la fantaisie ethnographique (coffret vivement recommandé chez blaq out, d'où il sort probablement). En gravissant la rue des Panoyaux, je m'arrête à la librairie-galerie Le Monte-en-l'air, spécialisée dans la bande dessinée de qualité, pour acheter le pavé Tous coupables ! dont j'ai annoncé la parution, mais qui ne sort réellement qu'aujourd'hui. Petite déception, le bouquin est en noir et blanc, pour les couleurs on se réfèrera donc aux sites signalés dans mon billet, mais le pavé est très agréable à tenir entre les mains et pour 16 euros vous ferez un acte civique en vous faisant radicalement plaisir.
Arrivé en haut de la côte, le numéro de mai de Jazz mag m'attendait dans la boîte aux lettres. Spécial Archie Shepp, il me plaît d'autant que Guy Darol, dont j'apprécie particulièrement le style et l'idée dans ses chroniques ici et dans Muziq, a pondu un article élogieux et circonstancié sur mon duo avec Houellebecq (voir aussi mes billets du 28 janvier, 1er et 3 février). Quelques pages plus loin, je suis interviewé par Émilie Quentin au sujet des Allumés du Jazz. Mon "autoportrait dans les toilettes du TGV" est pataphysiquement attribué par Goaty à un certain Robert Ouayate.
Le soir s'achève sur un savoureux poulpe grillé que je n'aurai pas volé. Tikka oseille-curry-yaourt-ail. Les mésaventures de disque dur (déjà remplacé, mais vierge !) m'avaient totalement coupé l'appétit. Je passe en cuisine avec une pensée émue pour Françoise qui doit être arrivée à Sao Paulo où elle est avec Anny, chez leur tante Mathilde, 97 ans. Interrogatoire au menu brésilien pour une enquête familiale qui n'en est pas à son dernier rebondissement !
Retour en arrière. Je m'aperçois avec stupeur que les dernières illustrations de chaque billet annoncent la journée du lendemain ! Ce n'est pas la première fois que cela arrive. Après une entrée en fanfare, l'arbre coupé précède la faucheuse et le disque terrien qui lui même anticipe la mort du disque dur, la route bitumée annonce celle sur laquelle Belmondo est étendu... La photo couleur de mon instrumentarium enraye la loi des séries.

vendredi 20 avril 2007

Jerry Lewis en cascade


Avalanche de dvd de ou avec Jerry Lewis. Ayant réussi à dégotter une copie de Cracking Up (également appelé Smorgasbord), le dernier long métrage qu'il réalisa en 1983, j'ai eu immédiatement envie de voir d'autres films que ceux parus en France. J'ai donc commandé sur Amazon deux coffrets et trois disques isolés, sachant qu'il paraîtrait plusieurs autres films d'ici fin mai. Le premier coffret réunit huit des premiers films du tandem formé avec le crooner Dean Martin (1949-53), scènes amusantes, mais évidemment pas à la hauteur des films réalisés plus tard par Lewis lui-même. Les quatre dvd du second présentent leurs shows télévisés et At War with the Army (La terreur de l'armée) (1950). On voit que Jerry avait déjà son personnage, mais ce n'était encore que grimaces et destruction. Les sketchs sont entrecoupés de longs spots publicitaires et les invités sont bien ringards. Les trois autres films sont The Delicate Delinquent (Le délinquant involontaire) (1957), The Disorderly Orderly (Jerry chez les cinoques) (1964) que je cherchais depuis longtemps et Funny Bones (Les drôles de Blackpool), un film de Peter Chelsom (1995) que Françoise m'a assuré être hilarant. Les prix sont suffisamment bas pour que je me risque à acheter des films (zone 1 dont peu avec sous-titres français) plus intéressants historiquement que vraiment amusants. J'y reviendrai lorsque j'aurai tout regardé ! Et écouté... car les films de Jerry Lewis, metteur en scène de génie, à l'égal d'un Chaplin, Tati ou Etaix, recèlent souvent des moments de rare intelligence sonore. Pour The Bellboy il inventa l'assistance vidéo qui permet au réalisateur de suivre l'action sur un petit écran. Si mon préféré reste The Nutty Professor (Docteur Jerry et Mister Love), Cracking Up m'a décoincé les zygomatiques et j'en avais bigrement besoin ! Dans ce film où Jerry va chez le psychanalyste, la scène d'ouverture est absolument géniale.

mardi 17 avril 2007

Les lois de la physique appliquées aux tours jumelles


Il n'y a pas que les élections présidentielles... Il n'y a pas que le formatage honteux du film de Françoise qui nous préoccupe, même si tout cela est emblématique de ce qu'est devenue la télévision... Le temps file et révèle le dessous des manipulations médiatiques... Après Loose Change, un autre film signalé par Olivier sur le complot du 11 septembre. Époustouflant encore une fois. 90 minutes à voir jusqu'au bout. La première partie de 911 Mysteries, très technique, analyse les données physiques de l'explosion des deux tours jumelles. La seconde dévoile encore quelques secrets. Quand les criminels seront-ils démasqués ? Ce documentaire est la première partie d'un triptyque, elle s'intitule Demolitions. Les suivantes, en cours de réalisation, seront Hijackers and Planes (Pirates et avions) et Who Benefits (Qui en profite). Nombreuses informations sur ReOpen911 (en français), WeKnow et Question911.
Sur Loose Change, voir les billets des 29 mars, 27 avril et 6 septembre 2006.

lundi 16 avril 2007

Si toi aussi tu m'abandonnes


C'est une sale histoire : comment une œuvre d'auteur devient un produit formaté pour la télé ; comment, malgré un procès gagné contre un producteur indélicat, le "final cut" du réalisateur est bafoué par le mépris des décideurs, de ceux qui s'arrogent de penser à la place du public. Le film diffusé n'est pas de Françoise Romand.
Résumons. Françoise Romand réalise Si toi aussi tu m'abandonnes, un film sur l'adoption internationale, en faisant le portrait d'un jeune Colombien adopté par une pieuse famille française. Le film terminé ne plaît pas à France 3 parce qu'il n'impose pas "une" lecture mais qu'il joue de ses ambiguïtés, posture incompatible avec la "politique" actuelle des chaînes. Françoise, bonne fille, entend les critiques et rectifie son montage, mais refuse d'ajouter un commentaire qui prend les spectateurs pour des débiles à qui il faut tout expliquer, comme le lui ordonne le puissant Serge Moati, patron d'Image et Compagnie, la société de production. Elle ne souhaite pas non plus interviewer les "spécialistes" tel le directeur de la DDASS ou je ne sais quel psy de service. Elle résiste également à couper la scène du cauchemar de José qu'elle a demandé au plasticien Nicolas Clauss d'illustrer en animation Director. Françoise a toujours fait entrer la fiction, la mise en scène, dans ses documentaires (Mix-Up ou Méli-Mélo, sorti en dvd chez Lowave, Appelez-moi Madame, Les miettes du purgatoire, un autre film interdit de Françoise qui ébrèche la religion, ou Thème Je en sont de brillants témoignages). Elle n'a jamais non plus écrasé ses films avec le moindre commentaire. La production réclame 23 884,01 euros pour faire modifier le film par une autre réalisatrice, mais Image et Compagnie est heureusement déboutée, Françoise se battant sur le fait que son film est fini et que la manip reviendrait à court-circuiter le final cut cher à l'exception culturelle française. La Scam prend en charge les frais d'avocat ; Agnès Varda, Gérard Mordillat, Marcel Trillat, Pascale Dauman, Jean-Pierre Thorn, Ange Casta et le monteur Julien Basset témoignent en sa faveur. De la partie adverse, Serge Moati est cité comme unique témoin !! Après deux ans d'emmerdements, le jugement accorde le droit moral à la réalisatrice et des dommages et intérêts, il est vrai, très symboliques, officiellement elle a gagné le procès.
La semaine dernière, sans l'avertir, France 3 diffuse le film dans le cadre de "La case de l'Oncle Doc" (la référence à l'Oncle Tom, le collabo par excellence, n'est pas inintéressante). Stupeur et tremblements, c'est la version Image et Compagnie qui passe à l'antenne ! La musique que j'ai composée est remplacée par celle du compositeur de Ripostes (évitant ainsi tout conflit avec la Sacem), les animations de Clauss sont pratiquement toutes supprimées (prétexte initial de la chaîne : "c'est pour Arte, on dirait du Michaux"), mais surtout le sens du film est totalement modifié. Là où Françoise montre de la compassion pour son personnage, la version Image et Compagnie en dresse un portrait à charge. Là où Françoise montre les responsabilités de la famille d'adoption qui a d'ailleurs refusé d'être filmée, on se dit que les parents n'ont vraiment pas eu de chance de tomber sur un enfant violent ; cela ne donne certainement pas envie d'adopter un gamin ! Dans la version diffusée, tous les entretiens avec José tournés à l'église ont été expurgés, tiens tiens (je les avais sonorisés aux grandes orgues de Sainte Elisabeth). Les accointances avec les Scouts d'Europe ont ainsi été gommées. Par contre, nombreux nouveaux témoignages chargeant le jeune Colombien ont été ajoutés. Pas assez puisque la version diffusée ne fait que 45 minutes malgré les documents d'archives abondants et insignifiants qui jalonnent la chose. La commande initiale était évidemment de 52 minutes, durée du film de Françoise. Il faudrait rentrer dans les détails du jugement pour comprendre comment le producteur et la chaîne prétendent contourner le droit de la réalisatrice en diffusant un film honteux, tant dans les méthodes employées que dans le résultat.
Le film de Françoise, le seul "auteurisé", est une œuvre de création où le travail sur le son, l'image et le montage est exemplaire. C'est le portrait complexe d'un jeune homme prisonnier d'une toile d'araignée aux ramifications sociales passionnantes qui, sans doute, sont à l'origine de sa personnalité acquise, tandis que la version formatée présente un reportage affligeant, banal, ennuyeux, qui laisse croire que la cause de la violence de José vient de ses racines lointaines... La comparaison entre les deux devrait faire l'objet d'une analyse dans toutes les écoles de cinéma et les débats citoyens, car c'est la démonstration éclatante de ce qu'est le formatage. Des documentaristes se sont d'ailleurs récemment réunis au sein du ROD, le Réseau des Organisations du Documentaire, pour dénoncer le formatage de leurs films et assurer la pérennité et l’essor du documentaire sur les chaînes des télévisions publiques. "Dénonçant la politique affichée et officielle (c'est pas courant de voir cela noir sur blanc) de France Télévision d'influencer ses réalisateurs et scénaristes de documentaires dans le sens du poil du public, pour qu'il ne zappe pas... Tout leur site est un appel à la réflexion sur le thème de la difficulté de réaliser des documentaires de création aujourd'hui (merci Antoine pour ce lien précieux)." À suivre.

vendredi 13 avril 2007

Sarkozy par Onfray


Pascale m'envoie le texte du blog du 3 avril du philosophe Michel Onfray dont Françoise dévore les livres depuis quelques semaines. L'Université du goût initié par Michel Onfray a attiré l'attention de Françoise qui travaille sur un projet de théâtre et Internet autour de la cuisine pour le Théâtre Paris-Villette. Le blog d'Onfray est hébergé par le Nouvel Observateur, mais l'entretien avec Nicolas Sarkozy dont il est question ici et dont la lecture est vivement conseillée est une commande de Philosophie Magazine.

On a l'impression que les élections présidentielles concernent plus les médias que le fait politique. On n'en est pas encore aux shows à l'américaine, mais pas loin. Le cirque médiatique ressemble plus à un match de catch qu'à un débat idéologique. La télé-réalité a envahi tous les secteurs de la vie citoyenne. Tout est noyé dans les flonflons et les tours de passe-passe. La boîte à mails est inondée de faux comme le prétendu sondage du CEVIPOF donnant Le Pen en première place. Je cite Pascal Perrineau, directeur du Centre d'Etudes de la Vie Politique en France : La rumeur persistante qui prête au CEVIPOF la réalisation d'une enquête selon laquelle J.M. Le Pen aurait 20% d'intentions de vote, N . Sarkozy 19%, S. Royal 18%, F. Bayrou 11% n' a aucun fondement. La dernière enquête du CEVIPOF a été réalisée du 5 au 19 février 2007 (4ème vague du baromètre politique français) et les intentions de vote recensées dans la perspective du premier tour de l'élection présidentielle étaient alors les suivantes : 31% pour N. Sarkozy, 25% pour S. Royal, 15% pour F. Bayrou, 12% pour J.M. Le Pen. Mais j'ai honte de me laisser aller à livrer ces chiffres tout aussi manipulatoires. N'y a-t-il rien de plus anti-démocratique qu'un sondage ?
Vérifier ses sources avant de tomber dans le panneau des manipulations du Net. La peur a fait voter à 82% pour Chirac, permettant ainsi à Sarkozy d'accéder au pouvoir. La peur est encore le moteur de ces nouvelles élections. Quelle connerie les Français, qu'ils se pensent de droite ou de gauche, s'apprêtent-ils à faire cette fois-ci ?
Lorsque ce n'est pas de la peur, pas mal de filles (et de gars) disent vouloir voter pour une femme, qu'au moins cela changera ! Ça part d'un bon sentiment, mais, Anglaises, auraient-elles voté Margaret Thatcher pour autant ?

vendredi 6 avril 2007

Névrose


La photo date de Noël dernier, mais le dîner est d'hier soir. Les histoires de famille ne sont jamais simples. Il est parfois plus difficile d'être fils que d'être père. Hier soir, ma tante Arlette assistait avec réserve et une saine dose d'humour à l'engueulade entre ma mère et moi. Elsa demande à sa grand-mère pourquoi elle est si agressive envers moi, pourquoi elle ne veut pas comprendre qui je suis devenu. Fait-elle semblant de ne pas saisir mes choix et mes espérances ? J'étais fier et rassuré que ma fille pose les vraies questions, je me suis dit qu'elle s'en sortirait bien sans nous, un jour. J'étais plus triste pour ma mère que son intolérance rend malheureuse. Françoise a raccompagné les deux sœurs, je suis resté discuter avec Elsa. Avant de partir, maman m'a pris dans ses bras et m'a embrassé. C'est un geste rare chez elle, je sais bien qu'elle nous aime, mais j'ignore ce qu'elle aura fui toute sa vie et qui l'a tant fait souffrir. Elle m'appellera certainement demain pour regretter de s'être emportée. Elsa dit qu'avec une histoire pareille, je devrais faire une analyse. Elle est sympa, elle me fait rigoler. Être un artiste dans une famille, ça fait tâche.

lundi 2 avril 2007

Retrouver la mémoire...


Françoise était persuadée que j'avais déjà écrit un petit billet sur le Père-Lachaise, mais je suis incapable de le retrouver. Le système de recherche du logiciel DotClear n'est pas très au point. Par exemple, si on cherche les billets écrits sur le cinéma par rubrique, le blog affiche seulement les plus récents et ne propose pas les précédents. Pour y arriver, il faut d'abord choisir une rubrique, puis sélectionner chaque mois l'un après l'autre. Ou bien il faut chercher un mot rare, pas trop utilisé dans l'ensemble des billets. Grrr, je me casse la tête, mais ai-je jamais écrit de billet sur le plus beau jardin de Paris ?
J'ai tapé "cimetière" dans le champ idoine. Rien de morbide pourtant dans ce musée de sculptures où les gisants et les statues produisent de fortes émotions. Le journaliste Victor Noir, tué en duel, est le plus célèbre avec ses parties proéminentes, nez, braguette et bout des godillots, usées à force d'être astiquées par des jeunes femmes espérant devenir fécondes. Mais rien sur Noir ni Blanqui, gisant bien maigre, mais pas aussi décharné que les images des camps dont les évocations font face au Mur des Fédérés. Tant de communards ont été fusillés ici même. Dans une autre section du cimetière, en haut, juste en face de la grande entrée, Le Monument Tiers a été plastiqué plusieurs fois... Louis Adolphe Thiers, le fossoyeur de la Commune...
J'essaye le mot "jardin", magnifique en toutes saisons, comme aujourd'hui au printemps, ou feuillu et fleuri l'été, aux nuances automnales ou encore recouvert de neige... Mais rien, pas de "réserve" non plus. C'est pourtant la plus grande réserve d'arbres et d'oiseaux de Paris. "Promenade" ne donne pas plus de résultat, pourtant c'est magique, en plein de cœur de la ville, le silence, la nature. Des arbres s'enlacent et ouvrent les tombes, des souvenirs s'effacent, d'autres jaillissent de la terre. Des familles entières sont réunies, l'histoire de la France, toutes origines confondues, des anonymes aux plus célèbres, apparitions, disparitions...
Quelques derniers essais me rappellent ma fille "Elsa" que je promenais chaque jour en face, lorsque nous habitions devant la station de métro Père-Lachaise. Je l'y ai souvent filmée à l'époque des films de famille. Je ne les regarde jamais. C'est elle que cela branchera plus tard, si les cassettes sont encore lisibles. Trop de films étouffent l'intention. Mon père nous a laissé une soixantaine de minutes en 16mm, c'est bien assez. On reconstitue le reste. On le rêve. De toute manière, le passé n'a rien à voir avec son enregistrement. L'invention de Morel en montre bien les limites.
"Zouzou" était le roi des chats du Père-Lachaise, mais qui s'en souvient vingt ans après ? Toutes les vieilles sur les bancs autour de Casimir Périer, dont la tête abritait un essaim de guêpes qui tournait autour comme une couronne, le connaissaient. Elles l'ont probablement rejoint. Je me demande si certaines bestioles ne sont pas restées ici en clandestins. Le cimetière des animaux à Asnières est fait pour les bourgeois, les autres sont dans des jardins, ou dans le souvenir... Une chose m'inquiète, nous n'avons croisé aucun matou cet après-midi. Où sont donc passés les chats du Père-Lachaise ?
Reste "Françoise" (j'ai commencé par elle, il faut bien que j'essaye) qu'en éternel père-lachaisien je guide au travers des tombes, regrettant les plans de pommes de terre autour de Parmentier remplacés par de vivaces iris, découvrant celles et ceux enterrés depuis les dix dernières années puisque je m'en suis éloigné tout ce temps, mais dix ans, qu'est-ce que c'est ? Et vingt que mon père est au columbarium. Il fait si froid tout en bas que sa poussière doit être bien conservée. Son nom sur le marbre me fait une drôle d'impression. Jean Birgé, 1917-1988. Il aurait 90 ans. Il faudra donc que j'arrive à 87 ou 88 si je veux connaître ma fille à mon âge puisque je suis devenu père à peu près au même que lui. Vertige du microscopique. Poussière d'étoiles. Les siècles ont érodé la pierre, la mousse a envahi le creux des noms qui y sont gravés, on entretient de vieilles tombes qui ont l'air neuf, le souvenir fait revivre les disparus... C'est la vie éternelle, un temps du moins... Avant l'oubli... Mais ai-je jamais écrit ici quoi que ce soit sur le Père-Lachaise ?
La semaine dernière, Françoise était venue. Tout le monde attendait Pascale Dauman, parce qu'elle était en retard, retenue dans le XVIème pour des histoires de formulaires, même pour son dernier voyage...
En sortant, nous croisons Antoine qui vient de faire un tour lui aussi pour se changer les idées. Un jour que nous travaillions là en marchant, nous avions tous deux été filmés pour le Journal de 20 heures. Comme le bout où je réponds à l'intervieweuse est passé à l'antenne, Antoine rit encore de ma façon d'être partout, sans même faire exprès, même quand ça n'a aucun rapport avec mon travail. Mais voyons, ce blog est-il autre chose qu'une promenade au Père-Lachaise ?

vendredi 23 mars 2007

Énigme


Parfois Scotch ne me comprend pas. Pourquoi je bosse sans répit depuis tôt le matin jusqu'à ne prendre mon bain qu'au moment d'aller préparer le dîner pour filer regarder un navet sur Canal. Scotch y perd son latin, mais du moment qu'il mange à l'heure tout va bien. Deux repas par jour, un tiers de boîte chaque fois, mais j'évite de lui donner dès que je me lève, sinon il s'impatiente et nous réveille. Parfois Françoise lui achète du poisson frais tandis que je lui fais toujours goûter ce que je mange, mais il est habitué à ses boîtes. Il n'est pas facile de m'arrêter lorsque je rédige le premier jet d'un texte. L'article s'intitule pour l'instant "Dessins animés et films d'animation", c'est pour le n°19 des Allumés. Le sujet colle bien avec la nouvelle manière de faire illustrer le Journal par des dessinateurs. Mais l'ordinateur s'est mis à faire tourner sa roue arc-en-ciel chaque fois que je faisais un geste. Redémarrages, gravure d'un dvd de sécurité, une légère sueur froide, je ne suis pas certain d'avoir réparer quoi que ce soit, quelqu'un a une idée ? Scotch n'en revient pas. Tant de temps passé devant l'ordi... Il croit peut-être que c'est pour la chaleur qu'il dégage. Mais il voit aussi mes doigts qui s'animent frénétiquement. Ça ne colle pas.
J'appelle Bernard pour discuter de la musique du film dont nous devrions composer la musique. L'éternelle question de l'orchestre se pose, enregistrer dans un pays de l'Est ou habiller un clone des habits d'une petite formation ? Celle du studio lui succède : ici ou ailleurs ? Nous construisons peu à peu un plan possible. Les contraintes et les désirs définissent le cadre : verse-A-B-A, comme une chanson. Le film est court, un tract, une idée, mais énormément d'éléments. L'obscurité menaçante doit être suivie d'une gloire précédant la plénitude du pluralisme et de l'union. Des cordes certainement, mais orchestre ou quatuor ? Une valse, suggère Bernard. Ajouter la percussion et les solistes. Nous envisageons un accordéon, une guitare (manouche puis électrique) et une anche irlandaise style Uilleann Pipes, mais je ne suis pas sûr de comprendre de quel instrument parle Bernard, je crois que c'est ça mais sans le bourdon. Il parle d'un régulateur ! Les documents d'archives seront ajoutés dans le rythme, comme un montage radiophonique, des bribes zappées style Crimes parfaits ou Des haricots la fin. Comment conserver l'émotion en ciselant le sens ? Les poils sont censés se dresser sur les bras, mais ça parle à l'intellect, gageure intéressante. Scotch s'en fiche. Ses poils sont doux. Il voudrait bien comprendre qu'est ce que je fabrique au lieu de m'occuper de lui.
Après des journées si remplies, j'ai du mal à déconnecter. Regarder un film ou sortir. Scotch préfère le film. Mais nous ne connaissons rien de sa vie lorsque nous sommes absents et nous ne comprenons jamais à quoi il pense. Les autres chats sont souvent plus clairs dans leurs intentions. Mes inquiétudes, le plaisir de faire, mes rêves (j'aime faire bouillir mon cerveau), rien de bien mystérieux. L'énigme, c'est Scotch.

mercredi 21 mars 2007

L'habit ne fait pas le moine


Pour son cinquantième anniversaire lundi soir, Jean-Pierre Vivante m'avait demandé de présenter la soirée qui réunissait au Triton nombreux de ses amis musiciens. Je crois m'être sorti honorablement de l'exercice de style en jouant la sobriété et en misant sur le rythme des enchaînements. Pourtant je reste perplexe devant mes prestations publiques de médiateur, craignant qu'elles n'occultent mon travail artistique. Le matin même je présentais un projet des Allumés à la Fédération des Scènes de Jazz, même impression... Mon investissement bénévole dans le milieu associatif gomme le reste. Si mon blog ou mes conférences se comprennent comme l'expression de la nécessité de transmettre, mon travail éditorial pour le Journal des Allumés ou d'autres organes de presse oblitère mon ?uvre que les nouveaux venus semblent ignorer. La mémoire s'efface. C'est pourtant sa fonction de se diluer dans le temps. Jean me faisait remarquer ce matin qu'il avait entendu hier un orateur parler de nos musiques comme si elles étaient nées il y a 25 ans. 25 ans, cela coïncide avec l'arrivée de la gauche au pouvoir. Mais le jazz et les musiques improvisées datent de bien avant ! Il est indispensable d'identifier ses racines si l'on veut produire de beaux fruits ! Ces constatations sur la méconnaissance de mon travail artistique n'ont heureusement trait qu'au petit milieu du jazz où je ne me suis jamais senti très à l'aise et pour cause. J'ai toujours été trop indiscipliné face aux différentes chapelles qui le composent. Le Drame m'a heureusement permis d'y exercer mon art sans vraiment le fréquenter, car, avec Francis et Bernard, nous partagions les mêmes critiques à son égard : superficialité, apolitisme, machisme mâtiné d'homosexualité refoulée (ça mériterait qu'on s'y attarde, j'y reviendrai), un univers ras-des-pâquerettes qui tranchait avec nos préoccupations quotidiennes. Il s'agit de trouver les collaborateurs avec qui partager les lubies. Lendemain de fête un peu douloureux. La fragilité est notre terreau. Je reste un rêveur qui compose des illusions.


Comme pour me contredire, à la fin de la soirée du Triton, la scène déclarée "ouverte" généra une jam-session des plus juvéniles avec une distribution des plus enviables. La section rythmique soudée composée de Sophia Domancich au piano, Hugh Hopper à la basse et Simon Goubert à la batterie contribua grandement à la qualité de l'improvisation. Trois chanteuses se complétaient admirablement dans leur diversité, sans négliger des instants de grande complicité : Élise Caron (aérienne), Pascale Labbé (quasi punky) et Marianne James (slam & soul). Le violoncelliste Vincent Courtois, le claviériste Benoît Delbecq, le guitariste Patrice Meyer, le trombone Yves Robert alternaient chorus et effets de masse. En voyant Médéric Collignon délirer au centre de la scène, je l'ai rejoint sans aucun de mes instruments habituels. Plus on est de fous plus on rit. Après que Thomas de Pourquery ait jeté l'éponge, je me lance dans une suite d'interventions bizarres qui m'asséchent la bouche, passant de la guimbarde à la flûte de nez (varinette) sans oublier un petit instrument sans nom, jouet d'enfant ou appeau pour noces et banquets qui sonne comme un saxophone fuzzy. Je vois avec amusement les mines interrogatives de chacun chercher d'où peut bien venir ce son hystérique. Personne ne semble se rendre compte que cette jam-session est le vrai miracle de la soirée (en dehors d'un duplex avec Anahi en Uruguay dont personne ne croit la réalité) alors qu'il n'y a presque plus personne dans la salle (dernier métro oblige). Tous et toutes viennent de jouer avec un plaisir sans mélange, car détachés de toute image à défendre, se laissant aller au plaisir d'être ensemble, au risque du pire et du meilleur.
J'ai oublié de préciser que j'avais poussé la fantaisie jusqu'à me vêtir de mon célèbre kilt et d'une tunique où le mot "suicide" est imprimé noir sur blanc. Tout va bien. La prochaine manche se jouera au Triton le 3 mai avec le nonet composé des étudiants de trois conservatoires et, en seconde partie, Somnambules qui réunira Nicolas Clauss, Etienne Brunet, Eric Echampard et moi-même. En avant, la musique !

La première photo est de Françoise Romand, les deux autres, dont celle avec Médéric, de Madi qui en propose 218 sur son propre site ©Marie-Emmanuelle Brétel.

mardi 20 mars 2007

Photos-Romand par Aldo Sperber (III)


Après la Patience raisonnée de samedi matin, l'impatience des entrées en scène. Éole et Philou esquissent le même pas de danse en attendant les premiers visiteurs. Admirez l'ensemble sans même avoir besoin de se regarder. Éole, qui a gardé son manteau et son faux-col, a un jeu de jambes qui fait des miracles (voir billet d'hier). Philou, qui s'occupe du vestiaire, est aussi danseur de claquettes. Il gardera ses gants blancs, même pour dîner sans fourchette. Il est le boy en pagne de Thème Je.
La porte est entr'ouverte pour surveiller l'ascenseur transportant les invités. Certains préfèrent gravir à pieds les six étages. Est-ce de la peur ou du courage ?


Louisette, Léon, Isabelle et Gisèle jouent à la canasta sans faire attention à la télévision qui déverse son flux ininterrompu. Assis sur le canapé pour quelques minutes, les frères Goeury se font happer par la comédie de Françoise, Vice Vertu et Vice Versa. Ils en oublient les habitants qui eux-mêmes suivent les consignes de Françoise : ne faire aucun cas des visiteurs qui traverseront toute la soirée leur appartement. Chacun est absorbé par ses activités. Les deux groupes s'ignorent mutuellement. Leurs chemins se seront croisés sans qu'ils ne s'adressent jamais la parole. Annie Gentes suggère qu'il y a une passerelle entre les deux univers, et qu'à certain moment de son existence on aurait pu choisir l'inverse. La tentation de s'engouffrer alors dans l'autre vie devient prenante. Marcher sur le fil, est-ce une forme du border line ? Rien n'est jamais joué.
L'absence d'un des personnages en fait le centre de l'instant saisi par Aldo Sperber. Il n'est signalé que par un petit livre posé sur la table. Son évocation donne tout son pouvoir à l'hors-champ photographique.


Silence. Moment d'écoute. J'aurais dû enregistrer le son des souterrains. Le visiteur ne voit rien, mais il est entouré d'une profusion de signes graphiques dont certains représentent une énigme, un peu comme en musique.


Agnès de Cayeux oscille entre les deux écrans, elle envoie un SMS à un ami pour lui dire de rappliquer dare-dare. Derrière Nicolas Bigards, on entrevoit la Butte Montmartre éclairée par les lumières de la ville. Comme eux, lascivement allongé, Bernard Vitet assiste à la projection d'Appelez-moi Madame. Il est fortement question de le sortir en dvd comme Mix-Up ou Méli-Mélo l'an passé. Regarder les spectateurs depuis l'écran me fait revenir en arrière. Il y a plus de trente ans. Nous assistions à une séance en relief du Frankenstein de Paul Morrissey. Lorsque je me suis retourné sur mon fauteuil, toute la salle portait des lunettes de soleil...


Danièle Obadia regarde Mix-Up ou Méli-Mélo
">Mix-Up ou Méli-Mélo dans la chambre du fond. La pratique quotidienne du yoga lui confère un port altier. Aldo Sperber a pris cette photographie et la précédente le samedi 10 mars. Les autres sont du 17.


Dans la salle de bain, la baignoire ressemble à un cercueil où gît Yves dans la boîte à images des Miettes du purgatoire. Ceux et celles qui connaissent le film savent qu'il écoute religieusement de la musique concrète. C'est pourtant le seul survivant du film.


Plus tard dans la soirée, après une centaine de visites, Philou et moi avons l'air moins flamby. Mathilde lit le projet de Françoise, Peep-Chat. J'ai les yeux fermés, mais j'avance toujours.

lundi 19 mars 2007

Ciné-Romand façon Gala (II)


Gros succès pour le deuxième et dernier samedi du Ciné-Romand à Barbès.
Aldo Sperber prend une nouvelle série de superbes clichés (publiées sur ce blog dès demain mardi ; en attendant je m'y colle) tandis que Françoise Romand filme les réactions de ses invités à son installation qui s'étend cette fois dans plusieurs bâtiments de l'immeuble, avec visite du labyrinthe souterrain et remontée par le fragile monte-charge vers les chambres de bonne donnant sur le Sacré-Cœur et la Tour Eiffel... Derrière la porte de l'une d'entre elles se joue le polar Passé-Composé. En dessous, dans l'entrebâillement d'un rideau, on aperçoit Thème Je projeté sur un mur. Tout cela a été inventé et monté par Françoise pour présenter ses œuvres dans leur globalité en les insérant dans une installation théâtrale qui rappelle ses méthodes de travail et son regard original sur la vie. Pascale Labbé parle d'une mise en relief (de relier et de réel), Annie Gentes de glissement, Sarah Badet d'érotisme du voyeur, Agnès Delauche du "fantasme accompli d'être le passe-muraille", Blandine Stintzy d'un moment de fiction pour de vrai, nombreux disent être ravis d'avoir rencontré des "vivants"...


Lucille Hadzihalilovic, Françoise Romand, Atom Egoyan, Arsinee Khanjian, Anny Romand, Marie Debray, et devant, Philou et Karim Mahiout. Ma pomme (verte) en contrechamp. Devant l'afflux des visiteurs, les guides, beaucoup plus nombreux que la semaine dernière se chamaillent en rigolant pour être du prochain voyage. Patrice, Annabelle, Olivier, Adriana, Philou, Pascale, Romina, Chloë, Anny, Olivia se repassent discrètement les quatre doubles des clefs de la cave pour garder la surprise intacte.


Un vendredi soir noir de monde, Marie qui venait juste d'adopter Éole l'a emmené en voiture de Barbès à Bastille, et il s'est perdu. Les chances de le retrouver étaient quasi nulles. Le lendemain matin, devant sa porte, elle retrouve Éole qui est revenu tout seul sur ses quatre pattes ! Mathieu Potte-Bonneville et Franck Vigroux attendent l'ascenseur tandis que d'autres visiteurs arrivent. Franck oubliera son sac dans le grand salon, mais il n'aura aucune chance de le retrouver devant sa porte le lendemain matin. Nous le rassurons par mail dès que nous rentrons à Bagnolet.


Depuis 14h, Louisette et Léon jouent à la canasta avec Giselle et Raymonde. Ils tiendront jusqu'à la clôture, à 23h ! Sur l'écran, Anne Jacquemin et Florence Thomassin interprètent la comédie de Françoise, Vive Vertu et Vice Versa. Giulia et Michel reçoivent Caroline, Nathalie et Andrew. Les acteurs du réel jouent leurs rôles sans faire attention aux visiteurs qui traversent leurs appartements en faisant preuve d'une grande discrétion. Maxime, quatre ans, joue le jeu de ne pas dire bonjour aux visiteurs, mais il fera tout de même un petit signe à la jeune Alma. Caroline Rossignol et Yiyao Yang, croisant trois locataires qui montent un imposant canapé par l'escalier de service, demandent à leur guide si c'est prévu dans le scénario ! Idem pour la panne d'ascenseur dans l'obscurité de la cave où Patrice, qui guide Pierre Nicolas Combe du Cinéma L'Entrepôt et ses amis, leur fait croire que tout est prévu…


Jean-Denis Bonan et Anny trinquent dans la cuisine devant le pâté de foie, les tartes aux épinards et le mezzé libanais. Les webcams sans fil installées par Philippe Ramelet montrent Philou, Olivia Ekelund et des vues des autres appartements. Un moniteur trône face à la cuvette des cabinets, l'autre est dans le salon. Raymond Sarti (j'ai raté la photo) parle de l'étonnante inversion des rôles, les postes de télévision semblant refléter la réalité tandis que les scènes vécues donnent l'impression que nous sommes des personnages de fiction. Tous poussent Françoise à continuer dans cette direction, "c'est le genre d'installation rêvée pour les Nuits Blanches."



Devant la porte d'entrée, posent Agnès Delauche et Maÿlis Puyfaucher (la voix française de Nabaztag), puis Karine Lebrun et Sacha Gattino, tous deux très chics en Issey Miyaké dont Sacha continue à sonoriser les défilés. Suivent deux couples mère-fille, Pascale Labbé et Mathilde Morières, Anny Romand et Adriana Santini.



À gauche, Patrick Gufflet, directeur du Théâtre Paris-Villette où Françoise créera cet hiver ''Peep-Chat", spectacle mêlant théâtre et Internet, et les frères Goeury... En bas à gauche, les guides, Patrice Pujol et Chloë Ramet, et derrière, Adriana et Annabelle, attendent que les groupes remontent pour accompagner les nouveaux arrivants. Pendant qu'Aldo, assisté de Mina, règle son temps de pause, Cathy Chauvet lit les alexandrins que Dominique Martin vient d'écrire sur le livre d'or. Les témoignages ne sont pas tous décryptables. Certains sont en arabe, en chinois, en arménien ou en thaï ! Agnès Varda y a écrit "De passage parmi des gens et des écrans, j'ai eu le plaisir de grapiller des grains en grappes, des bouts de films, des pousse-à-revoir-en-entier..." Beaucoup, comme Marine Leys, écrivent que "ça donne le sourire", Philippe Demontaut qu'il rentrera désormais dans son appartement autrement, Chloé Abittan évoquent les deux côtés de l'écran...



Dans l'entrée, Antoine Schmitt, Chloé et leur fille Alma qui trouvera dans le décor de Françoise de quoi exercer ses talents de coureuse à pieds, font face à Camille Delamarre, Patrice et Mathilde. Annie Gentes compulsant le dossier de presse raconte qu'elle a l'habitude d'échanger son appartement pour les vacances. C'est rentrer dans l'intimité des gens en leur absence, avec un mode d'emploi. Elle trouve beaucoup de similitudes avec l'installation du Ciné-Romand. En bas à droite, Maguy Alziari, Don Siegel et Sophie Erkelbout...


Yann-Yvon et Elsa jouaient la veille au Cabaret Sauvage avec Le vrai-faux mariage, filmé par Elsa Dahmani pour un album de La caravane passe. Le film sera composé de captations du spectacle et d'une partie fiction tournée à Plèchti même ! Dans le miroir, on m'aperçoit prenant la photo à côté d'Elsa, Didier Silhol et Philou. Isabelle et Didier nous aideront à charger tout le matériel dans l'Espace. Il est quatre heures quand nous allons nous coucher.
Françoise a réussi son pari. Elle a adapté l'imaginaire de ses films à la réalité et fait basculer les visiteurs dans une fiction 3D temps réel, j'ajouterais (comme on disait lorsque j'étais enfant) en chair et en os ! Si le titre n'avait été utilisé par un autre rêveur, cela pourrait s'appeler naturellement De l'autre côté du miroir sans que l'on sache quel est l'original et son reflet. En présentant la majorité de ses films et en les insérant dans un dispositif scénographique et participatif, Françoise montre que son œuvre ne peut se réduire à un seul support (le cinéma ou la télévision) et qu'elle s'adapte parfaitement à toutes les transpositions, éclairant ainsi sa démarche et affirmant ses choix.

samedi 17 mars 2007

Patience


Le nouveau programme du Ciné-Romand de Françoise réserve de nouvelles surprises. Nouveaux guides, nouveaux acteurs du réel, invités-surprise, un passage secret, la vue d'une fenêtre convoitée par l'équipe du Da Vinci Code et toujours ses films, mais déplacés, Mix-Up ou Méli-Mélo, Appelez-moi Madame, Les miettes du purgatoire, Passé-Composé, Vice Vertu et Vice Versa, Dérapage contrôlé, Thème Je...
C'est ce soir à Barbès et je n'aurai pas le temps de rédiger mon Carnet mondain avant lundi. Le temps de tout démonter, comme la semaine dernière, il sera trop tard pour que je m'y attèle. Pour patienter, j'ai choisi une photo d'Aldo Sperber qui a pris samedi dernier quelques magnifiques clichés de l'installation, probablement retravaillés sur Photoshop. Le couloir derrière lui était rose, la télé émet le bleu, mais d'où vient le jaune ? Peut-être seulement les quelques secondes du temps de la pause... Mina a laissé la porte ouverte pour le photographe. Ses lunettes ont l'air noires. Trop de lumière ? La photographie me rappelle le peintre Jacques Monory, un réalisme décalé dans des monochromes juxtaposés. Orson Welles suggérait d'enlever un paramètre à la réalité pour faire naître la poésie. Que fait Mina sur la cuvette des chiottes ? Le couvercle est-il fermé ? Elle ne s'est pas déculottée. Elle regarde la télé posée sur la machine à laver. Ça ne tourne pas. En réalité, l'écran diffuse un puzzle des webcams retransmettant les images en direct des autres appartements du groupe d'immeubles. Mais en regardant ce qu'en a fait Aldo, je n'arrive pas à le croire. C'est toute une histoire. Mais je suis incapable de la raconter.


La pochette du dernier 33 tours d'Un Drame Musical Instantané, Carnage, était un détail d'un tableau de Monory (Explosion). Plus tard, il nous a offert un Ekta d'une œuvre détruite, Technicolor, pour une carte annonçant les projets du Drame. L'une et l'autre œuvres m'inspirent le thème d'une pièce musicale. C'est exactement ce que je cherche.

jeudi 15 mars 2007

Atom à Bagnollywood


Au dernier passage d'Atom, nous avions regardé Citadel, son film tourné à Beyrouth en dv qu'il présentera début mai au Centre Pompidou. C'est l'histoire du retour de sa compagne Arsinee dans son pays natal après vingt-huit ans d'absence et de ce qui ne devait pas être vu. De retour avec elle, cette fois à Bagnolet, il choisit un film de Jacques Tati pour montrer notre salle de projection à leur fils Arshile. Comme Atom me demande quel film je projette lorsque je veux faire une démo, je choisis Kaipochee, une scène de Hum Dil De Chuke Sanam, film de Bollywood réalisé par Sanjay Leela Bhansali avec Salman Khan. Écran large, son 5.1 particulièrement enveloppant et rebondissant, musique jubilatoire d'Ismail Darbar... La chorégraphie exceptionnelle emballe Atom qui découvre ici le cinéma populaire hindi contemporain. Les dizaines de cerfs-volants qui se croisent dans le ciel répondent au formidable ballet se déroulant sur les terrasses d'un inimaginable palais de rêve. Chaque fois que je repasse cette séquence, je suis aussi excité que pour Les demoiselles de Rochefort...


À table, nous comparons les mœurs françaises et canadiennes, les fractures libanaises et les réflexes arméniens. Comme Atom nous raconte sa merveilleuse installation sur la mémoire avec la participation des collectionneurs de bandes et de magnétophones (nous avons emprunté le dvd à la Médiathèque), je lui montre la bobine de fil magnétique qui appartenait à mon père. C'est ce qui a précédé le ruban 6,35. Arsinee évoque les passages couverts parisiens. Arshile espère que Nabaztag est branchable à Toronto (il faut que je me renseigne demain auprès de Maÿlis... Après Agnès Varda, j'ai appris aujourd'hui que François Rabbath possédait un de nos lapins communicants !) et s'étonne que les réseaux wi-fi à Paris soient presque tous protégés par des mots de passe alors qu'en Amérique du Nord on trouve à se connecter un peu partout grâce aux bornes personnelles. C'est une autre mentalité. Françoise, qui a cuisiné une délicieuse joue de bœuf (!), a beau avoir réussi la création de son Ciné-Romand samedi dernier reste tendue devant la perspective de sa reprise samedi prochain. Si elle ne fait que quelques petites inversions de projections dans l'appartement principal, elle renouvelle complètement les participations du voisinage. La régie reste copieuse pour mettre en place le dispositif complet et la réception des invités exige de nombreux guides. De mon côté, je prépare la soirée exceptionnelle au Triton pour laquelle Jean-Pierre m'a demandé de jouer Monsieur Loyal...

mercredi 14 mars 2007

Bifurcations


Aux feux rouges, les cyclistes qui traversent la capitale s'échangent des remarques printanières sur la beauté des choses. Arrivé à Radio France, Bruno Letort m'interroge pour Tapage nocturne au sujet de mon nouveau cd avec Houellebecq (diffusion sur France Musiques jeudi soir à minuit). Je profite du soleil pour aller faire des emplettes. Françoise m'emmène au Mouton à cinq pattes acheter des pantalons aux couleurs vives comme de jolis fruits pour trois francs six sous : orange, vert pomme, jaune citron. Je trouve l'intégrale d'Edith Piaf en 20 cd pour un prix ridicule, mais je suis stupéfait qu'aucun nom d'auteur ne figure nulle part sur le coffret édité par EMI. Par contre les galettes sont superbes, noires comme les anciens disques en bakélite ou en vinyle...
Le soir, nous sommes invités chez Chantal et Bruno Latour "à partager nos expériences d'artistes et de chercheurs autour d'un plateau de fromages et de vins". Olivier Vallet présente le travail de la compagnie des Rémouleurs (image ci-dessus), marionnettistes et montreurs d'ombres. Chacun raconte ses prochains spectacles et ses projets. Tout ouïe, nous échangeons quelques vues. Il est question de l'effacement du cadre. L'ambiance est sympathique, nous faisons des découvertes. Après Iconoclash et Making Things Public au ZKM, Bruno aborde le sujet de sa prochaine exposition intitulée Bifurcation. De son côté, Chantal Latour anime aussi avec Omer Corlaix les soirées de l'Appart, un club de rencontres entre compositeurs et interprètes. Ces salons semblent d'un autre siècle, mais est-ce le XIXème ou le XXIIème ?
Tard dans la nuit, nous grimpons vers chez nous en passant par notre itinéraire préféré à bicyclette. Nous évitons la montée Père Lachaise Gambetta en empruntant la rue Oberkampf, puis à droite et à gauche en baïonnette vers la rue des Panoyaux que nous suivons jusqu'à l'escalier qui mène rue Sorbier pour déboucher Place Martin Nadeau. Il suffit de pousser le vélo le long des marches et le tour est joué. À Pelleport, nous roulons sur le trottoir pour prendre la rue du Surmelin, qui est dans le mauvais sens, jusqu'à la Porte de Ménilmontant ; nous sommes presque arrivés.

lundi 12 mars 2007

Ciné-Romand façon Gala (I)


Françoise Romand regarde Appelez-moi Madame (photo de tournage) entourée d'Agnès Varda (voir les pieds d'Agnès Varda !) et Agnès Cazenave (qui est à l'origine de Mix-Up, Dérapage contrôlé et ce film justement). La lumière de la Butte Montmartre filtre à gauche par la fenêtre. Huguette et Ovida Delect chantent Le temps des cerises.
Derrière les rideaux de l'entrée, on aperçoit Thème Je projeté sur le mur d'une autre chambre. Françoise s'adresse à la caméra dans le décor de son précédent appartement de Pigalle qu'elle a vendu pour produire le film.


Le dispositif de webcams wi-fi installé par Philippe Ramelet permet de surveiller ce qui se passe dans les autres appartements que l'on visite et de gérer le flux des visiteurs. Loca-Images et l'A.P.R.E. ont prêté le reste du matériel qui manquait. En bas de l'écran, on voit Annabelle faire le guide dans l'appartement de Patrice et Andrew où est projeté le polar Passé Composé (avec Feodor Atkine, Laurence Masliah et Anny Romand). On reconnaît nos hôtes sur le site Internet ikitcheneye montré dans leur cuisine, site qui préfigure le projet Peep-Chat que Françoise prépare pour le Théâtre Paris-Villette à la rentrée dans le cadre de x-réseau. Sur les murs sont accrochées des photos de nus au jardin prises par Stéphane Serafini pendant le tournage de Thème Je. Patrice, Andrew et leurs invitées ignorant totalement les visiteurs, ceux-ci ont l'étrange impression d'être passés de l'autre côté de l'écran. À l'étage du dessous, les nombreux convives du dîner d'Isabelle cèdent parfois à la tentation d'échanger quelques phrases de dialogue avec les nouveaux venus qui sont amenés par petits groupes par Annabelle, Olivier, Françoise, Aldo ou Anny... Je fais moi-même une des visites en racontant comment Françoise et moi nous sommes connus ici pour un autre jeu de piste qu'elle avait imaginé pour me séduire. Chez Valérie comme chez Isabelle, les postes de télé diffusent en boucles la comédie Vice Vertu et Vice Versa (avec Florence Thomassin, Anne Jacquemin, Marc Lavoine et Serge Dupire) qui raconte justement l'histoire de deux filles qui habitent sur le même palier...
Agnès Varda, experte en installations ludiques, joue les "garçons" d'ascenseur.


Anny Romand et Élise Griffon grapillent quelques en-cas dans la cuisine. Dans un autre bâtiment de la cour, Isabelle a également invité ses voisins à dîner. Françoise a réussi à transposer dans le réel sa manière de diriger "les comédiens" dans ses documentaires. La réalité et la fiction s'entremêlent. La réalisatrice recompose le passé. Tous les acteurs de la soirée se retrouveront vers 23h dans son appartement.


On aperçoit l'immeuble par la fenêtre de la cuisine où John, Mark Rappaport et Antonio Fischetti regardent Les miettes du purgatoire dans le congélateur.
José Berzosa et d'autres reviendront samedi prochain. Les acteurs seront tous différents, les appartements visités seront nouveaux. Seule l'installation dans celui de Françoise sera la même. On assiste à la projection de Mix-Up ou Méli-Mélo dans une troisième chambre. Dans la baignoire est plongé un moniteur avec Dérapage contrôlé. Dans les w-c est posé un second moniteur pour suivre les web-cams depuis son siège.


Jean-Pierre Mabille et Michèle Suraci signent le livre d'or dans l'entrée. Sandra Basch, Hélèna Villovitch et fils posent pour moi, mais avec prudence. Plus tôt dans la soirée, Sonja Wiemann a coincé les doigts de Bruno Amable dans la grille de l'ascenseur !


Je squatte la cuisine en fée du logis tandis que Bettina Clasen et Aldo Sperber (qui est à l'origine des Miettes) me tiennent le crachoir.
Annabelle Basurko, l'assistante à la réalisation de Françoise, et Alain Wagner, qui prendra les deux photos qui suivent, écoutent le récit des tribulations de chacun dans les escaliers, extrêmement variées selon les visites. Beaucoup de monde. Gros succès. Pas de blâme.


Fin de soirée : Bernard Vitet, Pascal Kané, Isabelle Vorle, Patrick Beurard-Valdoye, Agnès de Cayeux, Philippe, Olivier Berne, l'assistant à la production de Françoise, François de Morand... La dernière visite se termine à 23h avec Étienne Brunet qui arrive de la Cigale, mais la soirée se terminera beaucoup plus tard devant de sublimes pâtisseries orientales achetées en haut de la rue du Faubourg Poissonnière. Comme on ouvre les fenêtres sur la nuit, on voit la Tour Montparnasse, la Tour Eiffel, le Sacré-Cœur et le métro aérien à la station Barbès.

P.S.: rentrés à Bagnolet, nous apprenons que nous avons raté le feu d'artifice. Une canalisation de gaz a éclaté au coin de la rue. Une flamme de trois étages de haut jaillit dans un bruit assourdissant. Le feu s'éteint. Les pompiers évacuent les riverains. Une heure passe avant que les employés du gaz trouvent le robinet. Lorsque nous arrivons à la maison, tout est calme. Seul Scotch nous guette dehors et bondit prévenir Ouist et Snow qu'ils vont enfin pouvoir dîner.

dimanche 11 mars 2007

Jean Epstein, le lyrosophe


De tous les films muets que nous avons mis en musique avec Un Drame Musical Instantané depuis 1976, ceux de Jean Epstein sont certainement parmi mes favoris. Nous les avons d'abord interprétés en trio, puis nous avons recréé La glace à trois faces à Corbeil en 1983 avec notre orchestre de 15 musiciens. Denis Colin à la clarinette basse remplaçait Youenn Le Berre qui jouait habituellement de la flûte, du sax et du basson. J'avais découvert ce film lorsque j'étais étudiant à l'Idhec avec Jean-André Fieschi qui avait réalisé un Cinéastes de notre temps sur la Première Vague en collaboration avec Noël Burch. Si Germaine Dulac, Louis Delluc et Marcel L'Herbier (dont nous avons "accompagné" L'argent, 3h10, certainement l'une de nos plus belles réussites) m'avaient intéressé, j'ai tout de suite été séduit par l'adéquation du fond et de la forme chez Epstein. Son Bonjour Cinéma est une petite merveille tant graphique que littéraire éditée en 1921 par la Sirène dirigée par Blaise Cendrars. Je me suis plongé dans ses Écrits avec la même passion, fasciné par ses théories sur le son qui corroboraient ce que je définirai moi-même dans mon travail. Le gros plan sonore par ralentissement du son est resté pour moi une référence. Je me réfère ici à ses films plus récents comme Le tempestaire ou Finis Terrae, mais ce qui m'occupe cette fois sont ses films muets. Baissez le son des films en lien sur Google Video et laissez-vous porter par la magie des images. Si le silence vous pèse, mettez sur votre platine n'importe quel disque de Debussy, cela fera très bien l'affaire !


1927. La glace à trois faces. Le portrait d’un homme à travers trois femmes. Les fragments de plusieurs années viennent s’implanter dans un seul aujourd’hui. L’avenir éclate parmi les souvenirs... Le découpage est simple. Nous accompagnions "la bourgeoise" dans un style impressionniste, à la fois superficiel et élégant. Nous passions au jazz, assez free, pour "la bohème" et dans un registre plus tendre avec "l'ouvrière", un peu techno dans les dernières interprétations. Car si les principes narratifs et critiques étaient souvent les mêmes, chaque traitement variait d'un concert à l'autre, et particulièrement au fil des années puisque nous avons continué jusqu'en 1992. Absolument pas iconoclastes, mais résolument inventifs, nous essayions de nous hisser à la hauteur des inventions de l'image et du montage, nous agissions tout simplement comme si le réalisateur nous commandait la partition aujourd'hui. Les films muets sont souvent beaucoup plus créatifs que ceux qui ont suivi. Ils posent la grammaire du cinéma, sa syntaxe en se permettant toutes les outrances sans être contraints par ce qui se fait ou ne se fait pas. Le muet est l'âge d'or du cinématographe en tant qu'art, le septième du nom dit-on. Après les flonflons de la fête du village, nous terminions La glace à trois faces par le drame proprement dit, avec la course effrénée arrêtée par une hirondelle, le bec meurtrier frappant l'homme en plein front.


1928. La chute de la maison Usher. Le ralenti, les surimpressions, les travellings de ce cinéaste poète donnent déjà à Edgar Poe l’inquiétante musique qu’il mérite. C'est à cette occasion que Francis et Bernard adaptèrent pour la première fois L'invitation au voyage de Baudelaire et Duparc. Notre travail était beaucoup plus contemporain, nul besoin de repères historiques. Si La glace est très "modern style", Usher est intemporel et de nulle part, juste dans le rêve et l'inconscient. Nous voulions transposer Edgar Poe en musique, j'utilisais d'ailleurs une thématique empruntée à la version inachevée de Claude Debussy (rendant visite à Peter Scarlet dans son appartement de Ann Street, la plus petite rue de New York, célébrée par la plus courte chanson de Charles Ives, nous remarquons la plaque rappelant que Poe y écrivit Le corbeau...). Les deux films convenaient parfaitement au style d'Un Drame Musical Instantané. J'ai été très triste lorsque Marie Epstein, qui nous avait soutenus pendant des années, choisit une autre bande-son que la nôtre pour sortir La glace en salles. Elle nous confia que notre interprétation était la plus créative, mais elle préférait une musique qui ne fasse pas d'ombre au film de son frère. Nous avons souvent été confrontés à cette pensée absurde, reléguant le son à une pâle illustration...
Nous avons donc toujours tenté d'être aussi inventifs que les réalisateurs du passé, recréant, par exemple, le laboratoire de l'ouïe imaginé par Vertov lorsque nous montâmes L'homme à la caméra en janvier 1984 avec le grand orchestre à Déjazet. Aujourd'hui, le ciné-concert est devenu une mode, un genre. On a oublié que le Drame inaugura le retour à cette forme dès 1976. Nous avons fait le tour du monde avec les films d'Epstein, Caligari ou la Jeanne d'Arc de Dreyer, inscrivant vint-deux films à notre répertoire dont l'intégrale Fantômas de Feuillade pour le Centenaire du cinéma en Afrique du Sud ou des raretés de Pathé et Christensen au Festival d'Avignon... Nous n'acceptions jamais de composer une nouvelle musique si d'autres s'en étaient déjà chargés. Il y a tant de trésors de l'époque du muet. Nous voulions faire découvrir ces merveilles. C'est dire que nous fûmes les premiers à nous coltiner ceux que nous avions choisis. Lorsque les programmateurs que nous avions initiés sentirent le filon, ils nous écartèrent savamment pour en tirer le prestige. Le temps d'Orsay et des grandes commémorations était venu. Notre paranoïa nous poussa un peu bêtement à l'esquive. Nous avions peut-être aussi envie de sortir de la fosse d'orchestre ou de derrière l'écran. On y reviendra.

P.S.: j'avais préparé ce billet à l'avance sachant que je serais exténué à la sortie de l'extraordinaire soirée de Françoise à Barbès. Je tenterai de relater le Ciné-Romand demain quand j'aurai développé les photos et que nous serons rentrés à la maison. Je mets en ligne depuis les lieux de l'installation avant de rentrer...

samedi 10 mars 2007

Le 10 mars 2007

Françoise s'y connaît en festivités. Il y a trois ans, elle organisa mon anniversaire-surprise avec autant de convives que de bougies. Avec la complicité d'Elsa, elle avait invité mes amis, dont certains venus de très loin, dans l'espace comme dans le temps. C'est resté le plus mémorable de tous mes anniversaires. La pauvre n'a pas de chance avec le bourru que je suis. Incapable de lui rendre la pareille, je n'ai pu que l'emmener en voyage dans des lieux certes idylliques, mais dans des conditions beaucoup moins extravagantes que celles issues de son imagination. Sa dernière ressource est de s'offrir elle-même la fête dont elle rêve, faisant coïncider la date de sa naissance avec une fantastique installation contemporaine.


Françoise se réapproprie son histoire à travers ses films, mêlant fiction et documentaire, recherches d'identité et fantômes extirpés des placards. Ce soir, elle met toute son œuvre en scène dans l'appartement où elle vivait lorsque nous nous sommes rencontrés et qu'elle a entièrement décoré. Avec Annabelle et Olivier, elle a mis ses voisins à contribution, leur demandant de "jouer" leurs propres rôles. Les visiteurs devront suivre un "je" de piste d'un bâtiment à l'autre, comme le numéro qu'elle me fit le 1er janvier 2003, le plus beau jour de l'an de ma vie. J'avais figuré le joker annoncé de son film Thème Je, me voici modèle indirect d'une nouvelle fantaisie.


Je ne peux rien dévoiler de cette folie d'artiste pour laisser à ses invités le plaisir de la découverte. Disons seulement que les écrans pullulent et parfois dans des coins incongrus, que les câbles longent les murs lorsque la wi-fi des webcams ne suffit pas et que la figuration dite intelligente est nombreuse. Le mixage est fonction de la visite. La mise en scène s'efface devant l'improvisation. Le Ciné-Romand est en place, n'attendant plus que la nuit pour commencer.
Bon anniversaire, mon amour !


Les deux premières images du feuilleton-mail sont de Françoise Romand, la troisième d'Aldo Sperber.

jeudi 8 mars 2007

Saga de Xam


C'est incroyable comme les nouveaux médias font remonter les souvenirs à la surface. On croirait être resté en apnée pendant des siècles, et puis une question suivie d'une évocation font boule de neige. Pan ! Dans le mille. On en reprend pour trente ans. Les événements s'enchaînent comme un fait exprès. Jean-Denis Bonan était mon professeur de montage en première année d'Idhec. Il avait beaucoup d'imagination ou bien des nuits très agitées. Chaque matin il nous racontait son rêve en arrivant à l'école. Je l'ai toujours connu souriant. Je l'avais revu il y a quinze ans alors qu'il exposait des bouteilles de sable peint chez Alberto Bali, un voisin de mon immeuble en face du Père Lachaise. J'ai eu le plaisir de le retrouver grâce à Françoise qui avait été son assistante.
Googlisant le dessinateur "Nicolas Devil", Jean-Denis tombe hier soir sur son nom dans un de mes premiers billets d'août 2005.


Jean-Denis m'écrit qu'ils étaient très proches dans les années 70, exposant ensemble à Zurich. Il possède même une des planches originales de Saga de Xam, le livre fondateur de la nouvelle bande dessinée française, où il figure au moins deux fois : "en chanteur (mais on ne voit pas que je chante) et une fois (cette fois-là sans ressemblance) en moine lubrique dont le cerveau est composée de femmes nues (c'est cette planche que Nicolas m'a offerte il y a longtemps)". Il lui en avait aussi donné un exemplaire "avec une splendide dédicace, mais on (lui) a volé." Comment Jean-Denis sait-il que je connais Saga de Xam et que j'ai récupéré l'exemplaire de mon père l'année dernière ? Sait-il que je fus l'assistant de Jean Rollin, l'auteur du scénario, et que j'ai raconté le tournage de son film Lèvres de sang vendredi dernier ici-même ? Ou bien est-il tombé par hasard sur le commentaire que j'écrivis en marge d'un billet du blog d'Étienne Mineur le 9 mars dernier, il y a presque un an jour pour jour, ce qui expliquerait tout, enfin, pas tout, mais le début du tout :

Réalisé par Nicolas Devil d'après un scénario de Jean Rollin, épais cadavrexquis de Barabara Girard, Merri, Nicolas Kapnist, Philippe Druillet, Devil, photos de Tony Frank, couleurs de J-P Gressin, Annie Merlin, Jacqueline Sieger...On y croise des dizaines de personnages : Gingsberg, Artaud, Barbarella, Dylan, les Stones, Étienne Roblot, Zappa, J-J Schul, Kalfon, Julian Beck, Lovecraft, Valérie Lagrange, Patryck Bauchau, Edouard Niermans, Lennon, Cassius Clay, les Hell's Angels, les provos, dans une explosion graphique digne d'une bible psychédélique. Livré avec une loupe ! (éd. Éric Losfeld, 1967)

Mon père avait été contrebandier avec Losfeld, passant des livres érotiques à la frontière belge ! Tout s'enchaîne. C'est toi qui emploie le mot Incroyable ! dans ton mail, mon cher Jean-Denis, mais tu ne savais pas à quel point. Xam, Rollin, Losfeld, mon père, l'Idhec, Françoise... Le livre est devant moi. C'est cet épais volume aux pages cartonnées qui m'initia à la bande dessinée adulte. C'était aussi la seule trace de culture psychédélique à la maison avant mon voyage aux États Unis en 68. Glissées entre les pages de Saga de Xam, je découvre les fiches où j'avais recopié les phrases déchiffrées en m'aidant du code pour lire les dialogues cachés du livre. J'avais 15 ans, mais déjà plus toutes mes dents, conséquence d'un accident en cour de récréation. Si je reproduis quelques pages du livre, c'est l'ensemble que j'aurais aimé feuilleter avec vous...

Et avec toi, mon cher Jean-Denis, qui me donna le goût du montage cinématographique lorsque j'avais 18 ans. Cette fois encore, de l'autre côté du pont, les fantômes vinrent à (notre) rencontre !

mardi 6 mars 2007

Donkey Monkey, deux filles explosives


Dimanche après-midi, mon pote Anh-Van avait invité deux jeunes musiciennes pour un petit concert à la maison. Son fiston, Antonin Hoang, revenu de New York où il avait dirigé ses propres arrangements de Michel Legrand avec le compositeur au piano, faisait le bœuf avec des copains du CNSM en introduction. Du temps où nous habitions tous deux au Père Lachaise, Anh-Van offrait souvent à des artistes de fourbir leurs armes devant un auditoire d'amis. Marie-Christine assurait alors l'intendance comme elle faisait tourner la baraque de notre journal dont il était le rédac' chef. L'ABC comme tirait au nombre d'exemplaires qu'il y avait de rédacteurs ! Nous livriions chacun les copies de notre contribution, image et texte associés, à raison des 26 lettres de l'alphabet. Nous avons tenu jusqu'au Z et chaque fois nous fêtions la sortie par quelques libations chez les uns et les autres. Plus tard, Anh-Van organisa ses tables ouvertes du mardi soir. On y rencontrait toutes les couches de la population, étrangers de passage et habitués, du réparateur Darty au Prix Nobel de physique, de l'activiste radical au prêtre en soutane, du restaurateur grec de la Mouffe à ses nombreux collègues du corps médical ! C'est en pensant à lui que j'eus l'idée du titre du dernier numéro du Journal des Allumés, Vivre, référence au film de Kurosawa qui initia sa vocation...
Alors que je m'ennuie souvent aux concerts, j'ai été emballé par le duo Donkey Monkey dès Phoolan Devi, leur premier morceau. Ève Risser attaque le piano comme si elle prenait d'assaut une citadelle endormie. Concentrée sur sa main gauche qui joue les basses, elle laisse flotter la droite, mélodique et papillonnante, tandis que son esprit dessine déjà la suite. C'est une musique de compositrices loin des molassonneries mâles et des revivals rances. Yuko Oshima assure le tempo, tantôt frappant, tantôt caressant ses fûts. Les deux filles communiquent leur enthousiasme sans frime, avec fraîcheur et fougue contagieuse. Chaque morceau est une renaissance. Elles oscillent entre composition d'ensemble, humour enjoué et impro débridée. Ève prépare le piano droit avec de puissants aimants minuscules, Yuko cogne sur ses plaques de cuisine. Elles chantent, soufflent dans les tuyaux de leurs melodicas, triturant un Theremin portatif ou lorsque les conditions le permettent ajoutant sampleurs et sans reproches, tourne-disques et jouets d'enfants. Leur musique s'affranchissant des frontières de style me rappelle celle d'un autre iconoclaste, pianiste et batteur, le compositeur Jacques Thollot. Chose rare, elles me donnent envie de jouer avec elles. Françoise, aussi excitée que moi, les filme avec une petite caméra que lui a prêtée Bilkis... Donkey Monkey joue le 12 avril au Lavoir Moderne Parisien en première partie du Sens de la marche de Marc Ducret lors du festival La Belle Ouïe... Leur premier disque sort en même temps sur le label suédois Umlaut, mais il faut les voir sur scène !

jeudi 1 mars 2007

Notre petite cuisine


Les blogs ont une fin. Le graphiste Paul Cox a tenu le sien à l'occasion de l'exposition Jeu de construction, à la Galerie des enfants du Centre Pompidou, du 16 février au 9 mai 2005. Mais son blog semble n'avoir duré que seulement quelques jours, quelques jours bien remplis.

J'ai déjeuné hier avec Bernard (Vitet) au New Nïoulaville à Belleville. Ça n'a pas trop changé, sauf qu'il n'y a plus un chat, un poisson-chat peut-être, c'est sinistre. Nous avons commandé ce que nous prenions lorsque c'était notre cantine, il y a plus de dix ans maintenant. Bernard a craqué pour sa salade de méduse pimentée, j'ai jeté mon dévolu sur la soupe de poisson cambodgienne au lait de coco et nous avons partagé des tripes aux haricots noirs et des pattes de poulet, le tout cuit à la vapeur. Nous pensions aller nous repaître d'un Phô', mais Dong Huong (14 rue Louis Bonnet, une des meilleures soupes Phô' à Paris) était en congés.
Bernard n'a pas arrêté de me contredire, mais avec tant de gentillesse et de délicatesse que c'en est un plaisir. Si jamais je suis d'accord avec lui, il semble contrarié. Il use très bien du paradoxe et nous ne cessons d'argumenter. La discussion porte sur l'humanisme, sorte de struggle for life originelle, donc sur la mégalanthropie envers les animaux (je ne vous ai pas conté un récent dîner où étaient également conviés Virginie Rochetti et Jacques Rebotier ; Bernard avait enfin trouvé des amis, des bêtes, des amis des bêtes) ou sur les élections pièges à cons ("Votez dur, votez mou, mais votez dans le trou !" Tiens c'est le second en deux jours à me rappeler ce slogan de 69). Il souhaiterait savoir comment j'imagine l'avenir, mais je ne peux qu'esquisser un "Pas différent du passé". Je fais toujours les mêmes rêves auxquels répondent toujours les mêmes cauchemars. Mes rêves me sont propres, mais j'ai la tristesse de partager mes cauchemars avec le reste de l'humanité. Les choses n'ont aucune raison de s'arranger. Il faudra attendre une grosse catastrophe. L'histoire se répète sans que l'on en tire les leçons. Dommage ! J'explique à mon ami que le confort dans lequel nous vivons est resté fragile. Je ne travaille ni plus ni moins qu'avant, c'est beaucoup, certes, certainement trop, mais j'aime ça. Et puis je ne crois pas avoir le choix.
Sur le chemin du retour, j'achète du riz : du thaï, du gluant et du rond japonais. Françoise a amélioré la recette de Donghee et mélange les trois pour trouver la consistance parfaite. Rappel du billet du 10 août 2005 (Paul Cox avait déjà arrêté son blog) : "... On peut mélanger 2/3 de riz rond japonais (Shinode chez Tang par exemple) et 1/3 de riz gluant. Le laver trois ou quatre fois. Rajouter de l'eau jusqu'à un peu moins d'une phalange au-dessus du riz. À feu vif jusqu'à ce que la vapeur s'échappe des bords du couvercle, puis 10 minutes à feu très doux. Laisser reposer. Texture parfaite !"

mercredi 14 février 2007

Entièrement


J'ai déjeuné avec ma fille au restau thaï. Le soir j'ai regardé un film de Frears. L'histoire d'un producteur qui montait une revue musicale. Samedi dernier, Françoise m'a entraîné à la médiathèque de Bagnolet. J'ai parcouru un livre sur Sidney Bechet. Il était question de la catastrophe financière qu'avait représentée l'opérette Nouvelle-Orléans au Théâtre de l'Étoile. Un conflit social entre la direction du théâtre et son personnel ; Sidney se faisant porter malade pour assister à un match Salle Wagram. Mon père a mis sa vie à rembourser cette faillite. Histoire de conscience. Et moi, je suis là. À vivre mes rêves.
Papa, j'ai repensé au mien, mort il y a bientôt vingt ans. J'aimerais bien lui passer un coup de téléphone. Je ne crois pas à quoi que ce soit de rassurant après la vie, si ce n'est le repos, bien mérité si possible. Pourtant, j'ai imaginé un jour le rejoindre. Drôle d'idée. L'infini. Les atomes. Je m'aperçois que je l'oublie petit à petit. Pour être précis, ne restent que les émotions, un regard, le rire et ses pleurs de joie, sa voix, je ne sais plus, ça s'efface ; il me manque. Je n'ai pas pu retenir mes larmes. Ça faisait longtemps. Maman m'a appelé cet après-midi. C'est bon d'entendre une voix que l'on aime. Je pense aussi à Elsa et à Françoise. À chacune de nos solitudes. À chacun.
Il y a du vol à vieillir. L'héritage. On prend la place de ceux et celles qui nous ont précédés. Insidieusement. Sans qu'on en décide. On les pousse peu à peu. En approche. On bouge en fonction d'eux. Avec ou contre. J'étais redevenu un petit garçon. Pas un peu. Entièrement. Celui de mon père.

mardi 13 février 2007

Droit dans le mur


Depuis des mois, Françoise souhaitait acquérir un divan avec méridienne pour pouvoir regarder les films allongée. Comme j'ai déjà du mal à rester éveillé assis, je n'étais pas pressé. Je ne m'endors pas franchement, mais je pique du nez ; c'est frustrant, mais non réparateur. Depuis Noël, la décision était prise et nous avons regardé ici et là les canapés d'angle pour échouer hier chez Ikéa. La qualité n'y est pas géniale, mais au moins ça ne coûte pas cher. De toute façon, nous ne voulions pas de cuir qui colle aux fesses et n'avions ni les moyens ni le désir de nous offrir un truc luxueux. Alors autant faire simple ! Ce n'est pas Disneyland, mais vous connaissez forcément l'enseigne suédoise qui exploite et conditionne ses salariés. On y va pour un divan en L et on en revient avec une passoire que l'on peut poser au-dessus de l'évier, un grand pot de fleurs gris foncé ovale, des serviettes en papier assorties à la salle à manger, des prises multiples hi-tech sous globe plastique orange, une palette très large pour attraper les aliments au fond de la poêle, une brosse à vaisselle à ventouser sur le mur carrelé, etc. Et, après être passé par le rayon alimentation pour le poisson en tube et avoir attendu des heures au comptoir "retrait des marchandises" il faut faire rentrer tout ça dans l'Espace. Une astuce pour gagner une heure : passer une première fois en caisse avec les articles à retirer (un simple bon de commande) et retourner acheter les petits accessoires pendant que votre numéro est affiché par des employés trop peu nombreux. La compression de personnel se fait d'ailleurs aussi sentir dans les rayons. Si vous ne trouvez pas le prix d'un article, mieux vaut l'embarquer à bord de sa poussette et le laisser à la caisse si ça ne vous convient pas, un bac étant prévu à cet effet. D'ailleurs, tout est prévu chez Ikéa, on a l'impression d'appartenir soi-même au système suédois, ce qui explique le taux de suicide, ou du moins celui de l'ennui.
Après avoir évité les embouteillages de l'autoroute en passant par la banlieue, une heure de plus de transport que d'habitude, mais tellement plus "pittoresque" (une horreur en vaut une autre), il faut se coltiner de décharger les poids et haltères et monter le divan au premier. Argh ! Après avoir rayé le sol, défoncé les murs et le plafond, ratiboisé les marches de l'escalier, on se bousille le dos, les doigts et la santé à monter soi-même le kit vendu sans mode d'emploi. Quatre heures plus tard, vous êtes récompensés, même si vous n'avez pas réussi à fixer toutes les vis (encore faudrait-il qu'elles soient en face des trous), allez, ça tient... Il n'y a plus qu'à descendre le vieux divan dans le studio pour que mes clients ou camarades puissent s'endormir tranquilles pendant que je travaille sur le G5. C'est reparti pour un tour, en passant par le jardin !


Tout ça finit par un bon bain, un coup de Ventoline et deux di-antalvic ou son générique. Ce n'est pas vrai, j'ai résisté aux analgésiques, mais je ne suis pas certain d'avoir bien fait. Ce matin, je ne peux plus bouger ni poser un genou en terre. À force d'amorcer les vis avec les doigts, j'ai l'impression d'avoir les articulations écorchées vives. Après un dîner hébété, nous étrennons le nouveau dispositif devant un dvd acquis il y a longtemps et que je n'avais jamais regardé, craignant sa lourdeur rocky bien que ce soit une référence pour nombre de mes plus jeunes camarades. The Wall, d'Alan Parker sur un scénario du bassiste de Pink Floyd, Roger Waters, est une long clip d'une heure quarante-cinq plutôt réussi. Les animations du caricaturiste Gerald Scarfe sont formidables, le scénario plutôt sympa (mise en garde de la starification débouchant sur une fascisation et introspection sur le déséquilibre émotionnel des artistes), la musique beaucoup mieux que je ne craignais (j'étais un fan des premiers Floyd, jusqu'à Umma Gumma, abandonnant le groupe lorsqu'il est passé du psychédélisme planant au hard rock mou)... Après 25 ans, le film n'a étonnamment pas pris une ride. L'imbrication des époques, la façon de filmer et de rythmer le montage, le sujet, l'interprétation, le travail graphique en font une "comédie" musicale (dans les bonus, Waters fait remarquer que ça manque furieusement du moindre humour) intemporelle.

dimanche 14 janvier 2007

Un commencement à tout


Il y avait eu Du vent dans les branches de sassafras au Théâtre Gramont avec Michel Simon et Caroline Cellier, Le cimetière de voitures d'Arrabal avec Jean-Claude Drouot, le Living Theater de Julian Beck, mais j'ai découvert l'univers théâtral avec Michel Vinaver en 1980 au Théâtre de Chaillot grâce à Jean-André. Jacques Lassalle montait À la renverse avec, pour peu que je m'en souvienne, Françoise Lebrun et Jean-François Stévenin. Le passe-montagne tourné par le motard qui était accroupi là dans la loge m'avait beaucoup impressionné. Je crois me souvenir qu'il y avait aussi Maurice Garrel qui fit plus tard une petite apparition dans notre opéra-bouffe, L'hallali. Vinaver menait une double vie en tant qu'auteur et que PDG des sociétés Gillette et Dupont sous le nom de Grinberg, m'avait confié Jean-André Fieschi, qui plus tard épousera sa fille Barbara, la sœur d'Anouk. Leur fils avait baptisé sa poupée Elsa du nom de ma fille... Vingt quatre ans plus tard, j'ai revu Vinaver en haut des marches d'une remise de prix. Il m'avait rassuré en racontant que c'était la deuxième fois qu'il était primé par la Sacd. Je recevais moi-même ce soir-là le Prix de la création interactive après en avoir déjà été gratifié quatre ans auparavant. J'avais redouté une erreur, du moins que l'on s'aperçoive du doublon, probablement à cause du complexe d'usurpation que ressentent tant d'autodidactes. Somnambules succédait ainsi à Alphabet.
Raymond a dessiné le décor blanc de la reprise de L'émission de télévision mise en scène par Thierry Roisin à Montreuil. Je suis chaque fois épaté par le travail de mon ami. La scénographie éclaire le texte. Tous les lieux cohabitent sur le plateau. Les comédiens ne le quittent jamais, ils restent en bordure, devenant les musiciens de la partition sonore qui souligne avec simplicité et brio certains gestes importants. Les bruitages font surtout exister le hors-champ alors que leurs interprètes sont à vue, raclant une sonnette, jouant de fourchettes, transvidant une bonbonne d'eau pour faire discrètement couler un bain... L'idée est formidable, sa réalisation parfaite. J'ai d'ailleurs préféré le décor et le son de François Marillier au jeu dramatique dont la direction m'a échappé. Vinaver connaît évidemment si bien le monde de l'entreprise, ici une émission de télé-réalité et une grande surface de bricolage, que les échanges sont aussi jubilatoires qu'effroyables.


J'ai rencontré Raymond Sarti en 1989 aux milieux des tours de Mantes-la-Jolie. Le metteur en scène Ahmed Madani et lui nous avaient été "imposés" par la DRAC, mais nous n'eûmes pas à le regretter ! De notre côté, nous apportions J'accuse, avec Richard Bohringer dans le rôle d'Émile Zola. Un drame musical instantané était secondé par une harmonie de 70 musiciens dirigée par Jean-Luc Fillon et par la chanteuse de Pied de Poule, Dominique Fonfrède. Raymond avait collé un chapiteau gonflable de cinq étages de haut le long de l'une des tours destinée à être détruite. La façade de l'immeuble comme l'ancien parking ainsi recouverts étaient entièrement bleus avec de grosses croix blanches ici et là. Il avait fait creuser une tranchée pour notre trio, monter une colline pour l'orchestre et empiler des sacs de jute au milieu de la scène. Des croisillons plantés dans la terre donnaient au décor des allures de Verdun. Tout avait été repeint, un étrange mélange de Klein, Christo et Kubrick ! Richard arpentait les étages jusqu'aux balcons. Son rôle lui permettait les envolées lyriques qu'il affectionnait. Filmée à plusieurs caméras sans intelligence musicale, la "captation" n'a jamais été diffusée par la télévision. La même année, nous avons repris la partie de l'orchestre sous le titre de Contrefaçons à la Maison de la Radio. Après "J'accuse", nous avons monté Le K toujours avec Bohringer et Sarti. Raymond et moi avons continué à travailler ensemble, pour des expositions comme Il était une fois la fête foraine, pour des affiches, des disques, des théâtres de marionnettes... et nous sommes restés amis tout ce temps-là. En admirant son travail, je saisis chaque fois l'importance d'un décor laissé à la libre imagination d'un véritable scénographe.

vendredi 12 janvier 2007

Hier plutôt qu'ailleurs


Après les images de glace, de neige, d'iceberg et de banquise, j'ai allumé le feu dans la cheminée. C'est une pyramide. Du papier froissé ; du carton, un cageot ou du petit bois ; trois bûches, il faut toujours au moins trois bûches et laisser de l'air entre elles. Pourtant je n'avais pas froid. Cuisiner sur la braise a l'intérêt de donner un goût de fumée aux aliments. Françoise préfère la pierrade, j'utilise plus volontiers le grill. Ne pas laisser brûler, ce serait dangereusement toxique. Comme la cheminée tire bien, pas une odeur ne filtre dans la maison. Ce n'est pas le cas de la cuisine qui laisse s'échapper la moindre odeur dans toutes les directions. Le Crazy World d'Arthur Brown résonne à mes oreilles : Fire ! Pourtant, l'âtre installe un climat paisible. Il circonscrit le foyer. Le pare-feu permet qu'on s'en éloigne. J'ai fait réchauffer un plat portugais au micro-ondes, des pois chiches en sauce avec des pieds de boeuf, du chorizo et du boudin noir. Le mão de vaga com grão, c'est de saison. Faire du feu à Paris a quelque chose d'irréel. Nous sommes transportés. Hier plutôt qu'ailleurs. Que restera-t-il des bûches demain matin ? Les flammes qui lèchent le bois poussent à la rêverie. Dehors les quatre stères ressemblent à un bûcher. Je pense à Jeanne d'Arc, celle de Dreyer, Falconetti. Un hymne à la résistance.
Je me souviens d'une histoire corse que me racontait Jean-André. Un couple d'Anglais avait été tué à coups de fusil sur une plage. On arrête l'assassin. Lorsqu'on lui demande quel est son mobile, il répond que les Anglais ont brûlé Jeanne d'Arc. Le commissaire, incrédule, lui fait remarquer que cela s'est passé il y a des siècles. Le Corse répond avec son accent inimitable : "Peut-être, mais moi je l'ai su qu'hier."
S'il faut de tout pour faire un monde, il y a aussi un temps pour tout.

mercredi 6 décembre 2006

De l'omme

Au cours de l'après-midi, Françoise avait filmé Pascale à Radio France pendant qu'elle improvisait sur le thème de la sorcellerie pour l'émission de Bruno Letort, Tapage nocturne. De mon côté, j'enregistrais des centaines de phrases lagomorphes pour Nabaztag. Le soir, en rentrant du Théâtre de Chaillot où nous avions assisté à la dernière pièce de Jacques Rebotier, De l'omme, nous croisons par hasard Vincent Leterme sur le quai de la station Bastille. Vincent est le pianiste attitré de Georges Aperghis, l'autre grand auteur de théâtre musical en France. Cinq minutes plus tôt, nous les évoquions tous deux dans la rame de la ligne 9 qui nous ramenait de Trocadéro.


Jacques Rebotier est poète, dramaturge, homme de théâtre et compositeur. Toujours aussi critique de l'univers que l'omme bâtit à grand renfort de destructions massives et de perversions mercantiles, il continue de donner des coups de pieds dans la fourmilière et refuse catégoriquement de tourner (en) rond, fût-ce avec ses caddys, volés dans quel supermarché ? Nous voilà bien ! Sa compagne, Virginie Rochetti, qui signe scénographie, costumes et vidéo (ainsi que les deux photos illustrant ce billet), dit qu'il faut bien finir avec panache... C'est ce qu'on appelle des pessimistes gais, et je crains bien d'en faire partie. Chez Rebotier, on rigole franchement des absurdités de ce monde, de sa dérive suicidaire, de ses tics morbides. Son travail sur le langage est digne des meilleurs Oulipiens. Il fait rebondir les mots comme des balles de ping pong (d'énormes jumping balls gris argenté) entre les lèvres de ses six formidables comédiens. Pas d'ambiguïté, ici l'on joue. Comme de sales gamins qui refusent de grandir, mais ayant acquis la maturité de l'expérience. Pas facile de tenir plus de deux heures en scène en fuyant toute dramaturgie classique, zappant d'une séquence à l'autre, puzzle géant où tout s'emboîte en mises en boîtes gigognes et musique légère. Je connaissais évidemment Élise Caron pour avoir partagé, un soir de 1996, la scène avec elle en hommage au poète André Velter, et surtout pour notre collaboration l'année dernière, lors de la soirée de clôture des Rencontres d'Arles de la Photographie dans le Théâtre antique. Mais ici, point d'improvisation, son esprit vif est au service du texte. Élise l'interprète avec un humour infatigable, que vingt ans de travail avec Rebotier affinent à chaque nouvelle rencontre. Les six comédiens sont des artistes complets, sachant chanter sans leur chien, le robot Aïbo, jouer de l'accordéon, de la contrebasse ou faire marcher une grande marionnette à fils. Mais la révélation de ce soir est Gilles Privat dont un monologue extraordinaire nous laisse sans voix, mais pas sans rire. Ses duos avec Élise sont autant de scènes inoubliables. Les contes cruels que l'auteur met en scène ne sont rien d'autre que ce qui nous a faits, la mutation à l'œuvre, la catastrophe annoncée... Tout cela se joue donc en chansons et c'est drôle...


Ça tombe bien que nous y soyons allés hier soir, car aujourd'hui la troupe fait grève comme la plupart des intermittents du spectacle et de l'audiovisuel. La manifestation démarrera à 14h30 de Palais Royal pour se diriger vers Matignon. Question de vie ou de mort pour des milliers d'entre nous. Pour rappeler les derniers mots de la pièce : on est bien nazes.

mardi 5 décembre 2006

Mix-Up ou Méli-Mélo


Il est rare qu'une critique me fasse autant plaisir. Je me suis fixé une conduite de tout lire, tout écouter, mais ne jamais suivre aucun avis, car, pour peu qu'on vive assez longemps, l'on rencontre toujours quelqu'un pour aimer le vilain petit canard ou détester l'objet adulé. On sait aussi que peu importe la teneur, l'important est qu'on en parle. Notre "existence" en dépend.
Cette fois, je ne suis pas directement concerné, puisqu'il s'agit d'un article paru aujourd'hui dans les Cahiers du Cinéma sur le premier film de Françoise, sorti en 1985. Mix-Up ou Méli-Mélo, tourné en anglais, a rencontré un considérable succès aux États-Unis, mais n'a eu que très peu d'écho en France. Il avait été programmé sur Antenne 2 en semaine à 14h et les canards de télé étaient passés complètement à côté. Sa sortie en salles était également restée très confidentielle. Deux célèbres journalistes américains s'étaient entichés du film, Vincent Canby dans le New York Times, et Jonathan Rosenbaum, du Chicago Reader, qui n'hésita pas à classer Mix-Up comme "son film favori parmi son choix des dix meilleurs films en 1988" ! Dans 1000 Essential Films - Notes on the Top 100, Rosenbaum le classera encore parmi les 15 meilleurs films des années 80 aux côtés de Chris Marker, Ridley Scott, Jean-Luc Godard, Martin Scorcese, John Cassavetes, Alain Resnais... Comme cela arrive souvent, suivirent le Village Voice, le Los Angeles Times, etc. Récemment, Adam Hart réalisa un long entretien avec Françoise dans Senses of Cinema.
J'avoue avoir trouvé injuste et incompréhensible le black out hexagonal qui dure depuis vingt ans. J'ai rencontré Françoise Romand sans n'avoir vu aucun de ses films et je l'ai aimée. J'étais donc plutôt inquiet lorsqu'un soir, seul, je me suis risqué à projeter deux de ses films, malgré son interdiction formelle de les regarder à la suite ! Après avoir été estomaqué par l'invention, la sensibilité et l'originalité de Mix-Up, je ne pus résister à l'envie de découvrir Appelez-moi Madame, tourné l'année suivante. Aucun superlatif ne convaincra mes lecteurs sous la plume d'un rédacteur amoureux. Allez donc vous faire votre opinion vous-même, le dvd est distribué par Lowave. Sur son site, Françoise offre un extrait du synopsis en bonus inédit montrant que Mix-Up a été construit comme un film de fiction. Aucun de ses films n'obéit à la classification habituelle, tous jouent de l'ambiguité entre fiction et documentaire. Tous ont trait à la recherche de l'identité, jusqu'au plus récent, le dérangeant Thème Je qui cherche encore son circuit de distribution.
Depuis un an, je feuillette les Cahiers du Cinéma dans l'espoir qu'un journaliste signalera l'édition dvd de Mix-Up. C'est donc avec la joie du midinet que je reproduis ici l'article de Jean-Philippe Tessé.


Je pourrais encore ajouter que Mix-Up sortit trois ans avant La vie est un long fleuve tranquille d'Étienne Chatillez, que Tom Luddy proposa à Françoise de produire son prochain film pour Coppola, mais que les filles sont ainsi faites qu'elles laissent souvent passer les opportunités sans s'en soucier, que Françoise sait si bien mettre en confiance ses personnages qu'ils deviennent des camarades de jeu, les familles de Mix Up comme Ovida Delect dans Appelez-moi Madame, militant communiste, marié et père d'un adolescent, qui devient transsexuel à 55 ans, aidé par sa femme, ou les jumeaux des Miettes du purgatoire (court métrage pour l'instant interdit par la nièce de l'un d'entre eux) ou encore les élus de Dérapage contrôlé. On attend enfin avec impatience la programmation sur France 3 de Si toi aussi tu m'abandonnes, film sur l'adoption enfin débloqué après un conflit douloureux avec son producteur indélicat, un certain Serge Moati dont les propos furent hélas fortement contredits par sa pratique. Nous y reviendrons, mais il serait extraordinaire d'en projeter les deux versions, celle de la réalisatrice qui a fini par avoir gain de cause grâce au soutien de la profession et celle de la production, formatage télé exemplaire. Le premier est un film d'auteur tendre et critique, le second était un portrait à charge, engraissé d'un commentaire soporifique prenant les spectateurs pour des demeurés. Mix-up ou méli-mélo ?

samedi 2 décembre 2006

Le soir de la générale


Ce soir, Françoise retourne voir la pièce qu'interprète seule en scène sa sœur, Anny Romand. J'ai eu la chance d'admirer la création, en Avignon à l'été 2005, de ce travail qui m'a semblé se rapprocher du nouveau roman, par son exigence, son souci du détail et sa profondeur analytique, plus déstabilisante que rassurante. Anny, plantée sur ses deux pieds, vacillant sans tomber, expirant sans broncher son texte d'une heure pleine, Anny réussit une véritable performance d'actrice. Au théâtre, j'ai toujours souffert pour les comédiens, et cette fois le rôle est à la mesure de mon fantasme. Mémoire, incarnanation (je conserve sciemment mon lapsus), exhibition, la fragilité du théâtre me rend malade, et là je suis soufflé. Si souffler n'est pas jouer, ici c'est du sérieux, d'autant que la comédienne est mise en abyme par son personnage. Derrière elle, sur l'écran, les pas de l'autre sont toujours plus menaçants. "Nouveau théâtre", minimaliste, entier, essentiel, la vie d'une femme.

Du jeudi au samedi à 19h au Théâtre Mouffetard, jusqu'au 30 décembre.

mardi 28 novembre 2006

Le bonus absolu


J'aurais préféré rédiger ce billet après avoir tout regardé, mais 18 films d'à peu près une heure, et de cette qualité, ne peuvent pas s'avaler comme une saison de 24 heures chrono. Chaque film de la série Cinéma, de notre temps a pour sujet un réalisateur et pour auteur un autre réalisateur. Pour vous mettre en haleine, une liste, simple, efficace, dans l'ordre d'apparition :
- Chantal Akerman de Chantal Akerman
- John Cassavetes de André S.Labarthe et Hubert Knapp
- Alain Cavalier, 7 chapitres, 5 jours, 2 pièces-cuisine de Jean-Pierre Limosin
- Oliveira l'architecte de Paulo Rocha
- Abel Ferrara : Not Guilty de Rafi Pitts
- Philippe Garrel, portrait d'un artiste de Françoise Etchegaray
- HHH, Portrait de Hou Hsiao-Hsien de Olivier Assayas
- Shohei Imamura, le libre penseur de Paulo Rocha
- Aki Kaurismäki de Guy Girard
- Abbas Kiarostami, vérités et songes de Jean-Pierre Limosin
- Takeshi Kitano, l'imprévisible de Jean-Pierre Limosin
- Citizen Ken Loach de Karim Dridi
- Norman McLaren de André S.Labarthe
- Eric Rohmer, preuves à l'appui de André S.Labarthe
- Mosso Mosso (Jean Rouch comme si...) de Jean-André Fieschi
- Danièle Huillet, Jean-Marie Straub, cinéastes de Pedro Costa
- Andrei Tarkovski, une journée d'Andreï Arsenevitch de Chris Marker









Après le jeu du qui est qui ?, rappel des faits. En 1964, Janine Bazin, petit brin de femme montée sur ressorts, et André S. Labarthe, feutre et clope pendante, produisent la meilleure émission sur le cinéma qu'a jamais connue la télévision, Cinéastes de notre temps. Dans les années 70 je découvre ainsi la Première Vague (Delluc, Dulac, L’Herbier, Gance et mon préféré, Jean Epstein, par Noel Burch et Jean-André Fieschi), je vois le Cassavetes en même temps que Shadows, ce qui me donnera des clefs pour improviser. Je me souviens du Fuller monté comme un de ses films chocs (jamais pu voir Verboten depuis), Josef von Sternberg, d'un silence l'autre d'André Labarthe avec la participation de Claude Ollier (Sternberg avait refait la lumière pour s'éclairer lui-même), John Ford, entre chien et loup, l'amiral sourd comme un pot face à Labarthe hurlant et à Hubert Knapp, ou Pasolini l'enragé de Fieschi, fabuleux entretien en français. Je comprends la dimension du poète. Ces "making of" sont des leçons de cinéma incomparables. Pour une fois, on pourrait écrire sans se tromper "making off". "Faire, hors champ". Ils transmettent le savoir et la passion. Après une interruption de 17 ans, la série repart en 1989 sous le nom actuel de Cinéma, de notre temps. Plus de 80 films en tout ; la liste du livret est étonnamment incomplète. Seulement cinq femmes, Akerman, Huillet qui partage l'affiche avec Straub, Shirley Clarke, Agnès Varda et un petit bout de Germaine Dulac. Certains de ces joyaux sont déjà parus en bonus sur divers DVD : Jean Vigo de Jacques Rozier dans l'intégrale Vigo, Jean Renoir le patron : la règle et l'exception de Jacques Rivette en trois morceaux chez Criterion (ce morcellement avait mis Labarthe hors de lui), Le dinosaure et le bébé, dialogue de Fritz Lang et Jean-Luc Godard accompagnant Le secret derrière la porte, le Pasolini...
C'est vrai, cette série représente le bonus idéal, son absolu, parce qu'elle donne d'abord la parole aux auteurs. Remonter à la source est toujours le meilleur et le plus court chemin vers l'énigme ; libre à soi de se faire ensuite sa propre opinion. Documents inestimables. Second intérêt, la réalisation d'un "jeune" auteur, confronté à d'autres magiciens, produit des étincelles. Chaque film devient une œuvre à part entière dans la filmographie de celui qui la tourne. Oh, et puis je ne sais pas quoi ajouter pour inciter tous les cinéphiles à se ruer sur ce coffret de 6 DVD (mk2, 55 euros). Quel que soit le réalisateur, l'exercice est exemplaire. On aimerait donner mille exemples extraordinaires qui nous ont marqués à jamais. C'est trop long, mieux vaut voir les films. C'est ce que je retourne faire. Si vous êtes capables d'attendre jusqu'à Noël, c'est un cadeau de rêve !

lundi 20 novembre 2006

Eurydice retrouvée


Rien n'égale mon bonheur. Nous pourrions en profiter pour nous reposer, mais nous sommes tous les deux invités à participer aujourd'hui à un jury multimédia dont les prix seront remis à l'endroit même où nous nous sommes rencontrés. Pas question de se faire du pied. Modèles uniques dont nous avions chacun choisi les couleurs. Françoise avait poussé la languette jusqu'à y faire broder Thème Je, le titre d'un de ses derniers films. On ne m'y voit pas, mais j'apparais au générique sous le nom énigmatique du Joker.

dimanche 12 novembre 2006

Chat !


Chat ! C'est celui qui dit qui y est. Notre rêve julesvernien s'exauce sur la Toile. Françoise m'appelle de La Ciotat en visiophonie et ça ne coûte rien. Rien de plus du moins. Il n'y a pas encore de diffuseur de parfum, pas moyen non plus de passer le bras à travers l'écran pour te caresser. Reste entier le fantasme cronenbergien. L'audiovisuel manque de chair et ne respire pas. Ça n'a pas de goût. Tout est dans la tête. Au jeu de la main chaude, c'est froid. Pour retrouver ce que nous sommes, il faudra débrancher. Être ou ne pas être. La médiation c'est ne pas. Quand la grande panne se produira-t-elle ? Un nouveau baby boom. On sortira. Y-aura-t-il assez de bougies ? Les cyclistes et les piétons seront avantagés. L'universel se fondra dans le quotidien de proximité. Résurrection. Chat ! C'est toi le chat, je t'ai touchée.

samedi 11 novembre 2006

L'île aux fleurs


Je suis trop flemmard ce matin. Je tente de me défiler en cherchant sur YouTube ou DailyMotion quelque court-métrage que j'adore et que j'aimerais vous faire partager. Hélas je ne trouve ni Les saisons d’Artavazd Pelechian ni A Movie de Bruce Conner, ces deux-là ne semblant pas exister non plus en DVD. Je surfe encore un peu sans succès lorsque j'ai l'idée de taper le titre L'île aux fleurs dans DailyMotion. Ce site est l'équivalent français de YouTube ou Google Video. Il n'est pas utile que je parle du film puisqu'il n'y a plus qu'à cliquer dessus pour qu'il démarre. Rien ne vaut l'idée qu'on s'en fait soi-même, pas question de le déflorer, celui-ci ni plus ni moins qu'un autre. La découverte de ces petits bijoux est un tel choc ! C'est en discutant avec Luc Moullet de son Genèse d'un repas que Françoise a évoqué le film de Jorge Furtado. Je me suis aperçu qu'il figurait sur l'excellente double compilation DVD du Festival de Clermont-Ferrand éditée par le magazine Repérages que je possédais et dont l'acquisition est vivement conseillée.
À propos de ces sites qui répertorient des dizaines de millions de films téléchargés librement par les internautes en dépit des lois sur le droit d'auteur, j'ai lu hier un article éloquent dans Libération. Les principales multinationales de la musique et du film passeraient des accords particuliers avec ces sites : elles toucheraient une partie des recettes publicitaires en échange de quoi ils ne poursuivraient pas ces copies illégales difficiles à contrôler tant leur volume est colossal ! Si je comprends bien, c'est une nouvelle manière d'arnaquer les auteurs, puisque ces recettes reviendront aux majors et qu'il n'est pour l'instant absolument pas question de reverser quoi que ce soit aux ayant-droits. Quand les sociétés civiles comme la Sacem, la Sacd ou la Scam se réveilleront-elles ? Quand cesseront-elles de faire le jeu de l'industrie ? La proposition de licence globale pourrait empêcher ces nouveaux abus.
En attendant, profitez de L'île aux fleurs puisque c'est la loi de la jungle...

lundi 6 novembre 2006

Un Ensemble


Françoise m’a offert un tableau merveilleux d’Aldo Sperber. Sous la vitre d'un cadre épais, une planche scolaire de petits dessins en couleur sous-titrés en espagnol est découpée en son centre pour y insérer une photo de jambes qui dépassent d’une poubelle. J’imagine que la personne qui a les jambes en l’air le dos au mur derrière une grille cherche avec entrain comment poursuivre son œuvre. Le soir n’est pas encore tombé.
Les vignettes représentent un scorpion, musicien, tambour, petit diable, mon étoile, mon cœur, le web, black, perroquet et une crevette. La mort y est décapitée et le soleil loupe son rendez-vous avec la lune, mais la dame, à l’abri d’un arbre et armée de flèches, préfère la fréquentation du diablotin à celle du courageux ou de l’ivrogne…


Mon interprétation enfantine ne vaut que pour un jour. Le cadre profond trône à côté des huit boîtes de sardines des Mouettes d’Armor qu’Elsa m’a rapportées de L’île-Tudy. Chacune a son parfum, je n’ose pas les entamer tant elles forment un remarquable ensemble avec le vase en ampoules électriques d’Aldo et le tableau dont j’ignore s’il porte un nom.

mercredi 25 octobre 2006

Le making of du Rabbit Theater

...
Françoise a réalisé un petit montage de deux minutes où l'on voit Maÿlis, Antoine et moi mettre en place nos 100 lapins la veille de l'ouverture du Wired NextFest fin septembre. Le spectacle complet dure actuellement une vingtaine de minutes. Le film est en ligne sur le site de l'opéra Nabaz'mob, avec celui de la création au Centre Pompidou augmenté de sous-titres anglais.


En sortant du Javits Center où avait lieu l'exposition, qui a recueilli 70 000 visiteurs en 4 jours, Françoise a filmé le soir qui tombait sur Manhattan et l'a intégré au montage. Les petites lumières des bestioles wi-fi rappellent un peu les fenêtres qui s'allument dans les gratte-ciel. En regardant le nouveau film, on comprend peut-être mieux ce que nous entendons par chorégraphie lumineuse. À moins que nos robots aient menti au questionnaire fourni par les douanes américaines et qu'ils soient en fait des envahisseurs venus d'un autre monde ?

Nombreux billets sur Nabaz'mob en tapant nabaz'mob dans le champ de recherche du blog, en haut à droite de mon nom (sur fond noir)...

mardi 24 octobre 2006

La pause suivie du rêve


Cette fois, c'est pour de vrai. Étant en studio tous ces jours-ci pour le lapin de Violet, je n'ai que peu de temps à consacrer au blog. Et puis, gérer une association (je prépare mon prochain disque en duo avec Michel Houellebecq), entretenir une grande maison (angoisse de la remise en marche de la chaudière, et ça n'a pas manqué de péripéties aquatiques), exercer dix mille activités professionnelles (le bouclage du n°17 du Journal des Allumés approche), enfin le train-train quotidien amélioré... ça occupe. J'ai l'impression d'être tous les personnages de la photo à moi tout seul.


Avant d'aller me coucher et si mes yeux arrivent encore à voir l'écran, c'est qu'il est minuit passé et que je travaille depuis 4 heures du mat, me revient à l'esprit un fait divers récent. Le milliardaire Steve Wynn, 64 ans, propriétaire de casinos et d'hôtels à Las Vegas, tout fier de montrer à ses amis, Le Rêve, une ?uvre de Picasso dont il venait de conclure la vente pour 139 millions de dollars, a, dans un geste d'emphase, percé la toile avec son coude. "C'est la vengeance du peintre communiste. Picasso, t'es le plus fort !", s'est exclamée Françoise en rigolant...

mardi 17 octobre 2006

À Séoul l'herbe pousse le lundi


À Séoul, l'herbe pousse le lundi. Ça tombe bien, hier c'était lundi. Nous revenions de l'expo où Somnambules tournait enfin correctement. Pour ce faire, j'ai rampé dans la poussière car la moquette noire n'était pas encore posée dans notre salle et Nicolas a pris deux châtaignes en réglant le son, perché sur un échafaudage de fortune. Ces électrochocs lui ont redonné la frite, car la superficialité des relations humaines commençaient à le miner. Entre les petits rires gênés des Coréennes et la brusquerie des mâles, il n'est pas toujours facile de se frayer un chemin. Nous nous en sortons bien, avec une bonne dose d'humour et une tendresse dont nous ne nous départissons point. Donc, bien que ce soit le bon jour, nous n'avons pas entendu pousser le gazon, mais nous avons croisé des petits bonshommes verts très affairés.


Devant la mairie, un grand ordonnateur corrige l'alignement impeccable des manifestants écologiques qui se sont placés face à son entrée, pancartes et banderoles à la main. Ils sont divisés en trois groupes, les femmes, les jeunes et les vieux. L'un d'eux, un vieux monsieur, a des chaussures à ressorts, trois gros sous chaque semelle. J'aimerais bien en rapporter, mais je doute avoir le temps d'en dénicher l'adresse. À New York, j'avais déjà entrevu les Z-Coil, à peine moins farfelues.
Pas le temps de nous reposer, nous avons rendez-vous pour dîner avec une partie des artistes invités à l'exposition Dual Reality, dont les huit élus parmi les vingt suggérés par Iris Mayr, conservatrice à Ars Electronica. À table, nous avons fini par comprendre que la soupe se mangeait dans le petit bol, tandis qu'il fallait verser le riz dans le grand pour que la serveuse puisse ajouter de l'eau bouillante dans le caquelon afin de constituer un nouveau bouillon, sans parler de la coupelle où transvaser le bœuf depuis la poelle ni de la demi-douzaine de ramequins de panchan. Et ce n'est qu'un début !
Tout le monde rentre en taxis sauf les deux irréductibles Gaulois qui décident qu'une petite marche digestive ne peut leur faire de mal. Nous découvrons que nous pouvons faire une grande partie du chemin en sous-sol, un peu comme à Montréal, ce qui nous évite de monter et descendre sans cesse les escaliers qui permettent de traverser mais n'épargnent ni nos mollets ni nos tibias.


Dans ma chambre d'hôtel, je tchate avec Françoise, puis vidéoconférence à trois avec Rosette. Paris-Séoul-La Ciotat. Mais il est temps d'aller dormir car la journée de demain s'annonce chargée. Présentation à la presse à 11h et ouverture officielle à 17 heures. Avant ça, il nous faut terminer l'aménagement de notre salle obscure, rideau d'entrée, fauteuils pour les passifs de cette œuvre interactive, en réalité (double ?) la version grand écran du site Somnambules. Mais nombreuses installations sont loin d'être prêtes et seul un miracle nocturne permettra à l'ensemble d'exister dans les temps.

jeudi 12 octobre 2006

Transit


Pas beaucoup le temps de bloguer ce matin. Pas dormi de la nuit, vu trois films à la suite dont le très beau Transamerica avec l'excellente Felicity Huffman, méconnaissable si on l'a vue dans Desperate Housewives. L'année dernière, Françoise faisait partie du jury du Tribeca Film Festival qui lui avait accordé le prix d'interprétation féminine. Pendant toute la projection, Françoise avait cru que son rôle de transexuel était joué par un homme !
Arrivée à Roissy pour repartir demain avec Nicolas à Séoul où nous présentons l'installation Somnambules. Éplucher le courrier, payer les factures, appeler la famille, faire la lessive, parer aux urgences.
En guise d'image, la bannière étoilée qui ne tient qu'à un fil. Les Chinois, après les Arabes, rachètent les États Unis. Une économie gonflée à l'hélium, des Bush qui font marcher allègrement la planche à billets, un pays sans racines propres où toutes les avancées ont leur revers, la pauvreté qui s'étend, une prise de conscience qui germe petit à petit, l'addition sera lourde pour tout le monde.


Nydia qui va bientôt jouer le rôle principal d'une pièce de théâtre avec d'autres grannies, les grand-mères en colère, nous a offert un stylo TrueMajority.org avec un menu déroulant.


Sur une face, les dépenses militaires annuelles du gouvernement américain : 729 milliards de dollars dont 287 payés par ses alliés contre 65 la Russie, 55 la Chine et 9 pour l'Axe du Mal (chiffres du Arms Control Center)!


De l'autre, le budget intérieur : 442 milliards de dollars au Pentagone, 49 à la santé des enfants, 39 à l'éducation, 10 à l'aide humanitaire, etc. No comment ?
Concluons en rappelant le site de Mike Rupert, From the Wilderness.

lundi 9 octobre 2006

Sunday in Brooklyn


Nous nous reposons dans la nouvelle maison de Xana à Brooklyn, un petit manoir de 800 mètres carrés, tout en boiseries cirées, salles de bain en porcelaine ou en pierre, le tout meublé moderne avec beaucoup de goût. Peu de blancs habitent encore dans ces quartiers où les noirs craignent que leur arrivée fasse monter les prix, avec raison. C'est la même chose chez nous, en banlieue est. Les lofts qui se construisent en face de la maison atteignent des prix délirants. C'est déjà ce qui s'est passé dans quelques coins très pauvres de Brooklyn envahis par les blancs aisés et sans préjugés. C'est évidemment le cas de Manhattan qui est devenue un endroit très sûr, on n'y croise plus beaucoup de junkies et de moins en moins de homeless (sdf). Cela ne signifie pas qu'ils n'existent plus, ils ont simplement été déportés.


Promenade au Jardin botanique de Brooklyn. Immense comme tout ici, même les papillons... Autour du bassin japonais, nous sommes harponnés par des loubavitchs qui nous demandent de but en blanc si nous sommes juifs. Comme je leur explique que j'ai été élevé dans la laïcité et que ma morale me suffit, ils insistent pour "une petite bénédiction qui ne peut pas faire de mal" ! J'avais déjà été démarché par des Témoins de Jéhovah, par des dévôts de Krishna, pas encore par des barbus en chapeaux à larges bords. Françoise me raconte qu'une fille à qui sa sœur expliquait qu'elle ne croyait pas en Dieu s'exclama : "Mais alors qu'est-ce qui te retient de ne pas tuer père et mère ?" Nous croisons des dizaines et des dizaines de ces barbus qui remontent le long de Eastern Park Avenue, une drôle de fleur à la main, et qui répétent leurs propositions bénédictives. Ils marchent tous sur le même trottoir. De l'autre, on entend du rap qui s'échappent des fenêtres. Nous tournons à gauche vers Nostrand où les échoppes sont toutes jamaïcaines, ici c'est le reggae qui déborde sur l'asphalt. On y vend des racines à faire cuire, ignames, patates douces, yuccas, aloes, gingembre, et toutes sortes de potirons et de courges (squash). Les fastfoods locaux proposent du curry de chèvre, de la peau de porc croustillante ou des plats végétariens. Ne pas manger de viande est très à la mode outre-atlantique. On lit partout Vegan.

samedi 7 octobre 2006

Surprise-party


Jonathan nous invitant à une party upper west side, nous sommes heureux de tomber sur un guet-apens qui lui est destiné, son anniversaire-surprise fomenté par ses collègues de l'Université de Queens. Beaucoup de professeurs sont là, pratiquement tous militants du syndicat, le union, évidemment anti-Bush. La lumière vient frapper Jonathan dans le dos tandis qu'il se fige dans une pause à la Rudolf Klein-Rogge. Amusante coïncidence, il porte exceptionnellement une chemise rouge que lui avait trouvée Françoise, lui qui ne porte que l'uniforme chemise blanche lorsqu'il enseigne ou un T-shirt kaki les autres jours. À soixante ans, Jonathan n'a pas changé d'un pouce depuis des années, il prétend ne pas avoir de secret de jouvence, mais son jeu expressionniste pourrait suggérer le contraire. Mabuse ou Faust ? Il suit ostensiblement la règle du jeu : "Quelqu'un voudra-t-il bien m'aider à enlever ma peau d'ours ? "
En visitant la maison de Stuart, je reconnais les photos accrochées aux murs dans l'escalier en bois vernis et j'apprends que notre hôte est marié à la photographe Loïs Greenfield dont j'adore le travail. Elle épingle souvent les danseurs en plein vol, et je me souviens d'un film où elle dirigeait Didier (Silhol) en imperméable, lui dont les sauts m'ont toujours épaté, ainsi que Mark Tomkins et Stéphanie Aubin... Nous rencontrons un autre photographe, le libanais Walid Raad, dont Jonathan forwardait les messages cet été pendant l'invasion israélienne.
En sortant, nous allons chercher nos valises chez Regina à Chelsea pour emménager à Brooklyn dans un immense manoir vieux d'un siècle. X nous y attend avec ses amis.

vendredi 6 octobre 2006

Sex and the City


Il va falloir traverser en deux temps. Impossible de continuer à raconter nos journées par le menu, à ne montrer que des photos d'archi, et puis marche à pieds, shopping, ça tourne en rond, ou plutôt d'east side en west side, de Soho à Noho en passant par Niho, une bande très fine au milieu de Houston (Avenue), ici prononcé Aostine ! Comme si on épuisait un quartier après l'autre, Françoise dit "It's time to move !". On pense à Brooklyn.
La journée a été beaucoup plus ensoleillée que prévu. J'ai trouvé un paquet de dvd chez Downtown Music Gallery : un film de Shirley Clarke sur Ornette Coleman, un autre de Claudia Heuermann sur John Zorn, un portrait d'Harry Partch et Delusion of the Fury, une intro pataphysique à Soft Machine bourrée d'inédits avec Robert Wyatt, le Mahler chez Winter & Winter avec la musique d'Uri Caine, Uncle Meat de Zappa... En sortant du magasin, j'ai l'agréable surprise de reconnaître notre Défense de en vitrine (également en vente vpc sur notre site ;-) !
Je vois la photo du mur peint, à Broadway, comme la somme métaphorique d'un certain New York.


Sur l'autre image, Françoise ramène sa fraise devant la pistache du Caffé Reggio sur MacDougale. Joue-t-elle une touriste ou l'une de ses femmes qui recherchent un mari pour remplacer la nounou auprès des gamins ? Les New-Yorkaises ressemblent souvent aux héroïnes de la série Sex in the City. Elles peuvent être à la fois superficielles et profondes, graves et légères, pressées et cool, directes et coincées. On a l'impression que, pour elles, les mecs n'existent pas. À force de les avoir mythifiés, ils sont devenus une forme d'impossibilité. Gays, barjos ou machos, ils ne représentent rien de compatible avec leurs vies de femmes hyperactives, libérées et... flippées. Mais une absence se fait étrangement sentir : les enfants. À Manhattan, on n'en voit que très peu. On nous dit que les loyers sont trop élevés pour avoir la capacité d'y loger une famille. Il semble que leur statut soit à ranger à côté des chiens. En avoir ou pas. En attendant, on les gâte. À propos d'animaux, c'est la première fois que je vois un écureuil crier, cela ressemble à un croassement d'oiseau, dans le médium. Maintenant qu'on sait que c'est eux, on en entend partout. Décidément, Crazy Squirrel !

mardi 3 octobre 2006

La république de New York


On marche, on marche, on marche. Des heures, des jours, des nuits. On finira par mieux connaître New York que Paris. C'est toute la différence entre touristes et autochtones. Les Parisiens ne connaissent que très mal leur propre ville. Combien n'ont jamais seulement visité, par exemple, le fantastique cimetière du Père Lachaise ? Mais ici les étrangers sont partout, il semble même ne y avoir que ça. Nous prenons un peu de recul depuis la terrasse de Julien à Brooklyn. Manhattan s'étale de l'autre côté de l'Hudson River. Depuis la disparition des Twins, l'Empire State crève à nouveau le ciel de son aiguille acérée.
Nous déjeunons avec Jonathan dans un de ces jardins d'arrière-cour, très calmes, un peu zen. Contournant notre île par l'est, nous tombons sur Wall Street et Ground Zero. Retrouvant Chinatown, nous craquons pour des vêtements en cuir (une bouchée de pain, 10$ le pantalon, 40$ la veste !) et dînons de soft shell crabs, des crabes frits où tout se mange, carapaces et pinces comprises, et de cuisses de grenouilles à la citronnelle.
Françoise trouve un compte à rebours très à la mode à New York. Jeudi dernier, Regina nous a fait découvrir le sien qui ne quitte pas sa poche, puisqu'il lui sert de porte-clefs. C'est une horloge qui marche à l'envers jusqu'à l'évanouissement du pire cauchemar de nombreux Américains et de presque tous les New-Yorkais. Aujourd'hui, encore 840 jours !


Les lois scélérates, votées une semaine après le 11 septembre (vous avez dit bizarre ?), font des USA un état fasciste pas seulement dangereux pour le reste du monde, mais avant tout pour ses propres ressortissants. Nydia est une Granny qui manifeste avec d'autres grands mères devant les centres de recrutement pour expliquer aux jeunes qui veulent s'engager de quoi retourne exactement la guerre en Irak. Elle arbore un énorme badge à la boutonnière où est imprimé "War IS terrorism".

dimanche 1 octobre 2006

Experience The Future


C'est le week-end, la foule se presse de plus en plus nombreuse au NextFest dont le slogan est "Experience the Future". C'est fascinant de penser que plus de 70 000 personnes auront assisté à notre opéra. Entre les lapins et ma jupe écossaise, le mot ouf semble revenir souvent. Ça me plaît. Un gamin me demande comment on attrape les Nabaztag...
- En leur mettant du sel sur la queue.
- Mais ils n'ont pas de queue.
- C'est pour ça que c'est difficile !
"Vous n'avez pas les mêmes en escargots ?" entend-on souvent...
Les questions plus sérieuses fusent. Xana se rend compte qu'il n'y en a que 99. Une évasion ? Le comble de l'indiscipline ? Que peut-on attendre d'un tel élevage ? Ici ils seront vendus 150$ contre 115 euros en France.
Nous passons au nouveau magasin Apple, un énorme cube en verre au-dessus du sous-sol, un peu comme la pyramide de Pei mais cubique ! Le Javits Center est vraiment signé Pei, mais aucun d'entre nous n'est très emballé. Le long de la Cinquième Avenue, Françoise (le petit point orange en haut de la réflexion) et Antoine prennent la pause devant un immense miroir parabolique. Tout est toujours trop grand aux États Unis. J'apprends à ne pas finir mon assiette.


Samedi soir dans l'East Village, Jonathan nous emmène chez Kim's, une boutique de disques et dvd annonçant "The Sight and Sound of the Underground, Kim's has them all". Ce rêve dépend tout de même des éditeurs, mais je dégote la version vidéo de OHM+ avec Clara Rockmore, Cage, Risset, Steve Reich, Morton Subotnik (qui a acquis l'Xtra audio d'Antoine), Theremin, Xenakis, Babbitt, Chowning, Ashley, Max Mathews, Pauline Oliveiros, Alvin Lucier, Moog, etc., deux heures trente des pionniers de la musique électronique, ainsi que Celestial Subway Lines / Salvaging Noise de Ken Jacobs et John Zorn (un dvd Tzadik) et deux films dont j'ignore tout, mais que Françoise me conseille, True Stories de David Byrne (des Talking Heads !) et Slums of Beverly Hills, une comédie de Tamara Jenkins. Je sens que je vais devoir y retourner avant notre départ. Le reste de l'équipe Violet repart ce soir, tandis que Françoise et moi restons à New York. Demain nous déménagerons d'ailleurs à Chelsea.


L'East Village est le quartier le plus agréable où nous nous soyons promenés depuis notre arrivée, une sorte de quartier latin sans les touristes ni la bourgeoisie friquée qui l'a colonisé, ou plus exactement sans qu'on les sente, tant la faune qui déambule et s'attable aux terrasses est incroyablement bigarrée, comme partout dans cette ville cosmopolite. L'appartenance ethnique n'y a aucune importance. C'est ce qui fait certainement le charme de New York. Chaque conducteur de taxi semble déjà flotter sous un nouveau pavillon. On ne peut pas se sentir étranger dans une ville qui n'est faite que d'étrangers. Il y a New York ET les USA. Il fait si bon que c'est dur de rentrer se coucher...

vendredi 29 septembre 2006

Les arpenteurs


Nous avons beaucoup marché. D'abord de Grand Central, pour aller voir les galeries de Chelsea. À la Gallery Paula Cooper, Céleste Boursier-Mougenot présente Harmonichaos soit une douzaine d'aspirateurs jouant de l'harmonica, un air de famille avec notre opéra de lapins ! À la Kitchen, nous écoutons la Terre comme si c'était un disque et les sons invisibles du quartier (Invisible Geographies: New Sound Art from Germany par Jens Brand, Christina Kubisch, Stefan Rummel et Jan-Peter E.R. Sonntag). Nous faisons une visite au centre d'art technologique Eyebeam. et échouons dans un restaurant végétarien. Nous retrouvons Françoise au Musée Rubin pour une belle exposition sur les Sikhs, I see no stranger. Sur 8th Street, j'achète deux chemises originales et un kilt ! Je me demande quel genre de chaussures et chaussettes iraient avec...


Maÿlis nous rejoint avant le dîner à Chinatown avec Olivier et Rafi, délicieux canard laqué à la Peking Duck House. Nous discutons du nouveau Nabaztag, et en fin de soirée, nous remontons jusqu'au Public Theater où Françoise était partie rejoindre Xana et ses amis. Il est enfin temps d'héler un taxi pour rentrer nous coucher. Nous avons mal aux pieds. Il est tard à New York, tôt à Paris.

samedi 23 septembre 2006

100 lapins prennent la relève


En 1962, György Ligeti écrivait son Poème Symphonique pour 100 métronomes. En 1995, le sculpteur Gilles Lacombe mit au point un mécanisme qui en facilitera les représentations. C'est la version qu'Arte en proposa il y a une dizaine d'années (photogramme ci-dessus ; plus bas Ligeti et Françoise Terrioux par Markus Bollen).
Si Antoine et moi avons bien pensé à Cage, Nancarrow, Reich et Ligeti, en composant Nabaz'mob, notre opéra pour 100 lapins communicants, ni lui ni moi ne nous sommes rappelés le Poème Symphonique. Une centaine d'objets mécaniques ne peuvent pourtant pas tomber si facilement dans une faille de l'inconscient. Il nous semblerait juste aujourd'hui de dédier Nabaz'mob à l'un des plus grands compositeurs du XXième siècle, disparu le 12 juin dernier.
Très proche alors de George Maciunas et Nam June Paik, Ligeti était en pleine période Fluxus lorsqu'il composa le Poème. En lisant ses notes dans le livret du CD de l'Édition Sony, Mechanical Music, on apprend que les conditions de mise en place ne furent pas si différentes des nôtres : déballer les métronomes, dévider le mécanisme remonté à fond lors de la livraison, détacher les clefs colées dessous, etc. Pour Violet, c'est Maÿlis qui se charge de conformer tous les lapins. 100, ça fait du monde ! En 1963, la première représentation qui eut lieu à Hilversum aux Pays Bas fit un tel scandale que le film de l'événement programmé à la télévision hollandaise deux jours plus tard fut remplacé sans prévenir par un match de football. En composant ce happening, Ligeti "songeait à de nombreuses grilles superposées, des figures moirées, qui donneraient ensuite naissance à des structures rythmiques mouvantes... Une grille rythmique si dense d'abord qu'elle en paraîtrait presque continue : ce qui implique brouillage et désordre. Pour ce faire, il (lui) fallait un nombre suffisant de métronomes, le chiffre de cent ne représentant qu'une estimation... Le désordre régulier du début s'appelle en jargon de théoriciens de la communication (et en thermodynamique) une "entropie maximale". Les structures de grille irrégulières qui se mettent progressivement en place réduisent l'entropie, car l'uniformité initiale donne naissance à des organisations imprévues..."
Ligeti joue sur les différences de tempo et l'épuisement du remontoir qui ne laisse entendre qu'un seul métronome à la fin de l'œuvre. Nos lapins sont évidemment infatigables et leur partition est pour tous identique. Les décalages sont créés par les difficultés du wi-fi à envoyer l'information en même temps à tous, et l'entropie présente à la fin de chacun des trois mouvements provient d'une indiscipline informatique incontrôlable qui est le sujet même de notre opéra, le désir d'être ensemble et la difficulté pour y parvenir. Comme pour Ligeti, l'influence de John Cage est claire.

Pour New York, nous avons réécrit le troisième mouvement avec des percussions et des rythmes, histoire de construire un chaos ou de déconstruire la tentative de nos bestioles de s'organiser enfin. Il y a toujours une grande impatience chez les compositeurs qui ne découvriront leur œuvre que lorsque tous les interprètes seront réunis. La création au Centre Pompidou était frontale dans un dispositif de concert. Au NextFest organisé par le magazine Wired (Javits Center), la nouvelle version sera jouée en boucle pendant cinq jours dans un cylindre noir de dix mètres de diamètre. La proximité du public avec les lapins fera ressortir le dispositif acoustique des 100 haut-parleurs cachés dans le ventre de chaque Nabaztag...

dimanche 17 septembre 2006

Luc Moullet, cinéaste unique à découvrir absolument

...
Après avoir édité La comédie du travail, blaq out sort un coffret de 6 films de Luc Moullet, cinéaste dont la réflexion critique est doublée d'un humour rare et décalé. Je connaissais quelques uns de ses hilarants courts métrages comme Essai d'ouverture (l'épreuve de la bouteille de Coca), Ma première brasse (tourné à La Ciotat), Barres (comment resquiller dans le métro), Cabale des Oursins (sur les terrils du nord)... et surtout son chef d'œuvre, Genèse d'un repas, présent dans le coffret.
Pour ce long métrage de 1978, Moullet part d'une omelette, d'une boîte de thon et d'une banane qu'il a dans son assiette pour remonter toute la chaîne de production jusqu'au (pays) producteur. La rigueur du documentaire n'est jamais mise à mal par son traitement humoristique tant la sincérité de l'auteur est entière. Moullet met en scène ses reportages comme des fictions dont il est souvent le principal protagoniste, soit physiquement, soit par sa voix qui commente l'action dans une saine autodérision. Jean-Marie Straub le considère comme l'unique héritier de Buñuel et Tati. La filiation est juste côté français, mais signalons le Palestinien Elia Suleiman (Chronique d'une disparition, Intervention divine) ou le Brésilien Jorge Furtado de L'île aux fleurs (Ilha das Flores, dvd 25 ans de courts métrages, Repérages), court métrage extraordinaire évoqué avec Luc Moullet lors de notre rencontre au Forum des Images l'an passé.
Si Genèse d'un repas est un film marxiste exemplaire, aussi grave que drôle, Anatomie d'un rapport est un film féministe, mêmes adjectifs, tourné deux ans auparavant. La coréalisation d'Antonietta Pizzorno, sa compagne, a apporté au film une lucidité rare pour l'époque, même si la relation qu'entretiennent les hommes et les femmes avec leur sexualité n'a hélas pas beaucoup changé depuis trente ans ! Le film avait alors été interdit au moins de 18 ans. Dommage, tant les jeunes gens des deux sexes pourraient en apprendre les uns des autres, de l'égoïsme des garçons comme de la jouissance des filles. La réussite de l'entreprise tient à la liberté absolue que les deux réalisateurs (ci-dessus dans Genèse d'un repas) se sont octroyés l'un par rapport à l'autre.
Ce qui est formidable dans ces récits plus ou moins autobiographiques, c'est la franchise de Moullet à se mettre en scène sans complaisance. On retrouve cette sincérité impudique et loufoque dans le grinçant Thème Je de Françoise Romand, autofiction encore inédite en salles, son meilleur film depuis son premier long métrage, Mix-Up (sorti chez Lowave l'année dernière). Le critique américain Jonathan Rosenbaum avait d'ailleurs rapproché les deux films, Anatomie d'un rapport et Mix-Up, dans un article du Chicago Reader de 1988.
J'ai maintenant hâte de découvrir les autres films de Luc Moullet, présents dans le coffret, dont j'ai longtemps entendu parler et que je n'ai encore jamais vus, Brigitte et Brigitte, Parpaillon, Les contrebandières, Les aventures de Billy le Kid et Les sièges de l'Alcazar qui justifieront certainement un nouveau billet...

dimanche 3 septembre 2006

Name Dropping


Hier, après avoir mis en ligne mon billet, je me suis souvenu du passage de relais de mon Nikon relativement discret au Nokia quasi invisible. C'était l'année dernière à New York. Françoise faisait partie du jury des longs métrages de fiction au TriBeCa Festival fondé par Robert De Niro au lendemain de 9/11 pour redonner un peu d'éclat à son quartier ravagé par la catastrophe. Au premier étage du TriBeCa Grill, autour de notre table étaient réunis l'acteur le plus timide que j'ai jamais rencontré (copropriétaire du restau et de quelques autres du quartier où nous mangerons les jours suivants dont le célèbre Nobu), à sa gauche la chanteuse Sheryl Crow, le réalisateur Darren Aronofsky (Requiem for a Dream), Françoise (Romand), Griffin Dunne (acteur principal d'After Hours), Peter Scarlet (ex-directeur de la Cinémathèque française et actuel directeur du TriBeCa Film Festival), le producteur Mitch Glazer (Lost in translation), Mirsad Purivatra (directeur du festival de cinéma de Sarajevo), son épouse et deux autres pièces rapportées, Grace Hightower (Mme De Niro) et Bibi fricotant avec son petit appareil... Ce sont les trois premiers que l'on voit sur la photo, devant des toiles de Robert De Niro Senior qui encerclent la cinquantaine de convives répartis autour des autres tables. Ce sont évidemment les deux dernières avec qui j'ai discuté tout au long du déjeuner. Nokia, principal sponsor du festival, offrit ce jour-là à chacun d'entre nous un 7610 ! Les jurys devaient concourir eux-mêmes en réalisant un petit film collectif et Françoise fut la lucky winner, gagnant le 6682, resté, semble-t-il, à l'état de prototype. Son portable (3 millions de pixels) lui permet de tourner jusqu'à 45 minutes de film, ce dont elle ne se prive pas.
Comme je suis le seul inconnu de la tablée, De Niro s'adresse à moi pour briser la glace qui gèle l'ensemble des célébrités assises avec lui. J'évite soigneusement tout sujet cinématographique et ne parle que des très beaux tableaux de son papa, de nos enfants, et de musique puisqu'il a l'amabilité de s'adresser à moi. Comme Apple (encore un cadeau, c'est dingue le nombre de trucs que Françoise a rapportés, les plus chouettes étant le siège de massage qui trône au milieu de notre salon et les paires de Nike que nous avons customisées !) sollicite nos goûts musicaux par un petit questionnaire à remplir, je me permets une indiscrétion en découvrant que "Bob" a choisi en n°1 la musique du Dernier Tango à Paris composée et interprétée par Gato Barbieri. Magnifique B.O. en effet, qui bouge le cœur pour peu qu'on le sollicite ! Revenu à Paris, je commençai à prendre des photos avec mon téléphone.
J'ai omis de raconter que j'étais moi-même à New York pour travailler sur le mixage d'un disque du chanteur mahorais Baco et que cela se passait dans une banlieue 100% noire où je jouais l'unique rôle du blanc avec Nico. Le contraste entre les fastes de Manhattan et le rap de Brooklyn était saisissant, mais ça c'est une autre histoire...

samedi 2 septembre 2006

Autoportrait dans les toilettes du TGV


Le tiers de mes photos est réalisé avec mon téléphone, le reste avec un petit Nikon dont l’écran est pivotable. J’ai l’impression que mes meilleurs clichés ont été réalisés avec le portable à 2 millions de pixels, tandis que l’autre, avec ses 5 millions, offre un piqué largement dépassé par des appareils plus récents.
Avoir en permanence mon cellulaire dans la poche droite de mon jean est évidemment la solution la plus pratique. Il suffit que je pisse avant de faire le beau. Ayant une petite vessie, j’aurais du mal à attendre. Pas facile de viser comme ça, dans le train qui bouge tout le temps, mais je m’applique, question d’évaluation, de balistique.
Mes mains semblent énormes, des mains de musicien, d’autant que Françoise me fait remarquer que j’ai souvent le doigt sur l’objectif. L’index se devine d'ailleurs en bas à droite de l’image.
Dans les photos, j’essaie souvent d’avoir l’air énigmatique, un petit sourire sérieux, les lèvres sur le point de s’ouvrir pour que la parole reprenne le dessus.
Comme je passe inconsciemment en apnée dès qu’une mauvaise odeur pourrait m’assaillir, je retiens ici mon souffle, évitant le flou. Tiens la, tiens là je m’aime bien.

samedi 26 août 2006

Le modulor (Le Corbusier 2)


Autour de la cité radieuse, commencée en 1945 et livrée en 1952, s’étalent un jardin, un tennis, des jeux pour les enfants, un parking. À l'entrée de ce monument historique de 337 appartements tous habités par une clientèle de plus en plus bobo (il n'existe même plus d'appartement témoin), et abritant hôtel, restaurant, bibliothèque, école maternelle, supérette, boulangerie, boutiques, cabinets d’architectes, piste de jogging, sauna, ciné-club, etc., les gardiens sont obligés d’être présents 24 heures sur 24.

Les couloirs, qu’on appelle la rue, me font penser à ceux des hôtels de Las Vegas. Les portes dessinent des tâches de couleurs dans l’obscurité. Le Corbusier imaginait que les habitants pourraient les laisser ouvertes, et qu’en bon voisinage, les passants auraient envie d’entrer, attirés par la lumière.

Sauf quelques rares doubles, tous les appartements font 3,66 mètres de large, c’est le module. Conçus tout en longueur, sans aucune place perdue, la plupart bénéficient de la double exposition. Il y a des studios, des apparts avec trois chambres, et quelques plus grands. Séparés les uns des autres par de l’air et reposant sur des plots de plomb, ils sont insonorisés.

Adelaide est fascinée par la place prévue pour accrocher les casseroles. Rosette adore le passe-plat et les boîtes sur le palier qui servaient à la livraison des plats ou de la glace (Corbu n'avait pas imaginé la place qu'allait prendre le réfrigérateur !). Françoise rappelle le travail de Charlotte Perriand qui a conçu le mobilier.

Tous les éléments architecturaux et le mobilier sont calculés sur une sorte de nombre d’or à partir de la taille des Français des années 50, le modulor. Les plafonds peuvent sembler un peu bas, maintenant que les jeunes ont grandi.

Après nous avoir fait visiter son duplex, Emmanuel a la gentillesse de nous guider jusqu’au toit. Vue à 360° sur Marseille. Lire le billet d'hier. Le Corbusier a pensé au moindre détail pour que la vie communautaire soit favorisée.

P.S.: une dernière image.

mardi 22 août 2006

Le cap


Nous sommes une dizaine sur la terrasse, autour d'un feu imaginaire qu'entretient Giraï. Sa flamme vacille dans la nuit lorsqu'il raconte "la barrière" dont il se rapproche. Il a encore cinq ans à tenir pour devenir centenaire. C'est le but qu'il s'est fixé. Les filles lui font des tas de compliments, mais s'il nous fait rire il dit jalouser notre jeunesse. Giraï est élégant, charmant, spirituel. Adelaide dit que "c'est un beau mec". Mina lui demandant s'il a été marié, il répond "deux fois", mais ne parle que d'Angèle, la compagne partie avant lui, et chante "la tristesse", et la solitude de la vieillesse. Il choisit souvent une chanson en rapport avec la situation, commentaire en sous-titre, analyse en filigranes de l'instant fugace. Pour être certain de bien se faire comprendre, il insiste sur les mots les plus significatifs. Mais sa mémoire a désormais choisi les stations qui l'ont marquées. Il a totalement oublié d'énormes passages de sa vie pour se concentrer sur toujours les mêmes événements marquants, le génocide arménien et la drôle de guerre suivie de l'exode. Il répète ces histoires comme une mission qu'il s'est assignée, pour instruire cette jeunesse insouciante qui, au mieux, se préoccupe des injustices sociales et politiques contre lesquelles elle s'insurge, mais qui ne la touche plus jamais avec la brutalité de la guerre. Ici, du moins !
Après son départ, Elsa s'émeut de la famille de Françoise, de ses parents qui nous reçoivent merveilleusement malgré leur âge (encore qu'ils ont vingt ans de moins que Giraï, s'amuse-t-il lui-même à faire remarquer !). Une vraie famille ! Dès l'aube, Jean-Claude travaille au jardin, désherbant, épluchant, cuisinant. Rosette nourrit les canards, elle est partout à la fois. Et Giraï fait des allés et venues entre son cabanon, la maison des parents où nous prenons les repas et la maison carrée qui nous abrite. À minuit, si les jeunes (21 à 53 ans !) ne s'écroulaient pas de fatigue les uns après les autres, Tonton aurait bien refait une petite belote, "et puis ça va"...
Le lendemain matin, tandis que "les gamins" dorment encore, les vieux sont déjà tous debout.

dimanche 13 août 2006

Dans les labyrinthes de l'art moderne


Paris pétille sous la pluie comme un cachet effervescent. C'est un temps de Bretagne, mais la pêche à la crevette semble ici définitivement inadaptée. Il reste heureusement les musées, ouverts le dimanche, fermés le mardi. Hier, nous sommes donc allés au Centre Pompidou voir l'exposition David Smith (jusqu'au 21 août). Je me suis encore fait engueulé parce que je prenais une photo pour illustrer mon blog.
Les scénographies des expos prennent de plus en plus le pas sur les œuvres. En France, la mise en espace, longtemps négligée, fait pourtant ressortir leur plastique, mais c'est au détriment du sens. Encore une fois, les conservateurs semblent dépassés par cette approche néo-spectaculaire, puisqu'ils confient au scénographe le soin de mettre le travail en valeur, sans contrôler réellement ce que cela va impliquer sémiographiquement. La catastrophe devient évidente lorsqu'ils abordent quoi que ce soit en rapport avec les nouvelles technologies. L'art vidé(o) de sa substance n'en est trop souvent qu'un terrible exemple d'inculture. Les repères ont changé. Le bricolage enseigné dans les écoles des beaux-arts ne remplace pas un siècle de culture audiovisuelle. Nous reviendrons plus tard tant sur le rôle du metteur en espace que sur les formes d'expression artistique émergeant un peu partout sous la patte des jeunes créateurs. Mais ici et là, en deçà des raisons qui les fait agir, manque la pâte, le geste, la physique des corps. Si l'art est aujourd'hui si souvent vide de sens, l'urgence ne semblant hélas pas de saison, il est tout autant désincarné. Même si ce n'est pas ma tasse d'été, les grapheurs de la rue, à l'instar des rappeurs des cités, allient cette nécessité avec un engagement physique qui fait majoritairement défaut aux étudiants proprets des Beaux-arts.
Avec le sculpteur David Smith (1933-1964) dont la vie s'est arrêtée brutalement en crash automobile, on est servi pour l'engagement du corps. Le fer et l'acier qu'il martèle, qu'il découpe, qu'il soude ou qu'il grave vibrent sous sa force et son engagement. La salle rectangulaire ressemble à un labyrinthe, malgré ses allées rectilignes et ses podiums à peine visibles. On embrasse toute son œuvre d'un coup d'œil, dans sa diversité, sans être gêné pour se concentrer sur telle ou telle sculpture.
Passons sur la peinture, bigote bien qu'il s'en défende, du peintre abstrait Alfred Manessier (1911-1993, mort également d'un accident de la route), exposé au quatrième étage, c'est d'une platitude que seule la foi prudente peut susciter, que ce soit pour Dieu, la nature ou les injustices de ce bas monde.
Non, il vaut mieux retourner de toute urgence ou courir voir et entendre Voyage(s) en utopie (JLG, 1946-2006 - À la recherche du théorème perdu), la formidable et injustement boycottée exposition critique de Jean-Luc Godard qui se termine demain lundi. FONCEZ-Y ! Pour une fois qu'une installation fait sens ! Tandis que Françoise filme les écrans, la rue rentre brutalement dans l'aquarium uniformisé du Centre Pompidou. À la foule saisie par Godard, se mêle celle de la rue du Renard. Une grosse femme s'accroupit pour pisser à côté des plantes vertes agglutinées de notre côté de la vitrine. Derrière le mur de verre opposé, vers la place, les tentes des SDF forment campement, abritées des passants par des palissades, mais intégrées à la lecture que Godard réalise de notre monde. Son chantier éphémère fait écho au monde qui bouge et toute cette cruauté lui répond à son tour. L'exposition JLG est définitivement ancrée dans le réel, par le biais de fictions qui doivent beaucoup au réalisme poétique, n'en déplaise aux puristes de tous bords. Un bel éphèbe sort de sa tente avec entre les mains de tout petits chiots noirs... Rebel without a cause s'est traduit La fureur de vivre.
Après une halte pour acheter masques et tubas, ce n'est pas qu'il pleuve tant, mais changer de latitude semble être devenue une sage résolution, nous avons terminé notre périple à l'Atelier Brancusi, reconstitué par l'État sur la place devant le Centre Pompidou, condition sine qua non pour le legs du sculpteur. Il y a quelque chose qui vibre là parce que les outils sont pendus le long du mur et qu'ils partagent l'espace avec ce qu'ils ont permis de créer. Alta (White), la petite installation de James Turrell y est horriblement décevante. Affamés, nous terminons au restaurant chinois de la rue au Maire, histoire de faire un saut vers la vraie Chine, cuisine populaire éclairée crûment au néon, sans chichi, avec seulement l'effervescence de la ruche, tandis que dehors il pleut de plus belle.

jeudi 10 août 2006

Tomates


Ce ne sont pas "les dernières tomates", à moins qu'on l'entende dans son sens populaire pour "les dernières nouvelles" ! En nous dirigeant vers le Musée d'Art Moderne à l'Alma (article demain matin), nous tombons sur le marché du mercredi (ouvert aussi le samedi matin). Nous marchons en dévorant d'authentiques sandwiches libanais, une pita avec viande, véritable taboulé (le persil domine), houmous (purée de pois chiche au sésame) et baba kanouj (hachis d'aubergines à l'ail), une crêpe au za'tar (huile d'olive, thym, sumac) et une autre aux épinards.
A parte : sandwich vient de John Montagu, comte de Sandwich, à qui son cuisinier confectionnait ce repas simple pour lui éviter de quitter sa table de jeu (source : le Dictionnaire historique de la langue française en 3 volumes, d'Alain Rey).
Second a parte : le sumac est un fruit rouge des régions chaudes que l'on fait sécher et que l'on moud pour obtenir une épice au goût acidulé. Utilisées dans l'ensemble du Moyen-Orient, les feuilles en poudre peuvent remplacer le citron dans de nombreuses recettes, parfumer les fruits de mer, les salades, les volailles, la viande, aromatiser les farces, le riz... Mélangé au yaourt avec quelques fines herbes, il devient une excellente sauce d'accompagnement. J'ai l'habitude de mélanger le sumac et le thym libanais (de grandes feuilles moulues également) et d'en couvrir la viande ou le poisson. J'en avais rapporté une cargaison de Beyrouth dont le goût ne s'est nullement altéré avec le temps ! Je pense que celui de la poudre doit y être aujourd'hui beaucoup moins digeste.
Mais notre attention est happée par les surprenants fruits et légumes étalés sur les tréteaux de Maître Joël Thiébault (à gauche sur la photo). Apercevant les herbes du jardin dont le pourpier et la bourrache, je pense à Jean-Claude, le père de Françoise, qui confectionne d'exquises salades seulement en se penchant. Il cueille ce qui pousse à nos pieds sans que nous sachions que c'est comestible, lavande, coquelicot, pissenlit et un tas de plantes dont il faudra que j'apprenne les noms.

Je ne peux pas résister à acheter un échantillon de tomates variées qui me font rêver : la Branly Wine jaune que la communauté Amish a réussi à préserver, la Green Zebra, une autre tomate nord-américaine, la noire de Crimée emportée aux USA par les Tchèques en 1968 quand les chars russes entrent à Prague, la Prince Noir de Sibérie... C'est un plaisir d'écouter Joël parler de ses cultures, vingt-deux hectares à Carrière-sur-Seine. Il partage sa passion avec ses clients en toute gourmandise. Je retrouve ce qui me fascinait chez Paul Corcellet : manger devient un art, et l'on n'a même pas besoin ici d'entrer en cuisine, ce sont des aliments simples, on n'a qu'à les cueillir ! Françoise est toute heureuse de dégotter des blettes rouges appelées Charlotte qu'elle n'a jamais trouvées qu'aux États-Unis. Avant de le quitter, Joël nous offre une poignée de légumes miniatures, aubergines, courgettes, patissons, à faire revenir dans des poëlles séparées. Comme nous lui parlons de Kokopelli (production de graines bio pour le jardin), il nous conseille de prélever une cuillérée de chaque tomate, de laisser moisir chaque espèce dans un verre pendant cinq jours, puis de laver les graines et les laisser sécher sur une étoffe (surtout pas sur du papier, ça colle !), pour pouvoir les replanter l'année prochaine.

lundi 31 juillet 2006

La plus vieille salle de cinéma du monde


Le jour de l'arrivée de notre train en gare de La Ciotat, j'ai raconté la filiation étonnante de Françoise avec l'histoire du cinématographe. En passant en décapotable devant l'Eden Théâtre, j'ai pris une photo du plus vieux cinéma du monde. Aucune carte postale en vente nulle part ! Le 21 septembre 1895, eut lieu, la première projection, sur invitations, du Cinématographe Lumière. C'est là que les spectateurs s'affolèrent devant les images du train fonçant dans leur direction, et non pas à Paris deux mois plus tard, le 28 décembre, au Salon Indien du Grand Café, première séance publique payante du Cinématographe Lumière, car le programme parisien ne comportait pas ce film-ci.
Dès 1892, Antoine Lumière, le père des illustres Auguste et Louis, acquit 90 hectares, de la plage jusqu'à la colline, à la Ciotat. Nombreux de leurs films y furent tournés lorsque la famille s'y réunissait le week-end. Leur résidence, le Palais Lumière, existe toujours également, transformée en appartements.

mercredi 26 juillet 2006

David et Goliath


Dans la petite barque de profil en bas à droite, rame Jean-Claude, le père de Françoise. Il embarquait souvent sa fille regarder les mises à l'eau. Le port de La Ciotat a été désarmé, les chantiers fermés, la ville communiste est passée à droite. Il reste de nombreuses traces de cette période d'intense activité. Les grues sont toujours là. Il faudrait les classer monument historique avec le reste des installations monumentales toujours en place. J'essaierai d'en faire une photo ces jours-ci, aucune carte postale ne les montre comme elles sont, surplombant la ville de toute leur majesté. Le long de la plage, il n'y a pas une seule construction de plus de trois étages, ça tranche avec le reste de la côte. La Ciotat n'est pas encore défigurée par le tourisme comme sa voisine Cassis. Les navires ont disparu, mais Jean-Claude continue de pêcher avec son nouveau pointu. La dernière fois, Françoise et moi avons joué à la pêche miraculeuse, dix kilos de sévereaux, nous étions fiers comme Artaban.

lundi 24 juillet 2006

Giraï, 96 ans


L'oncle de Françoise a survécu au génocide arménien de 1915. Les paysans turcs, qui ne pouvaient pas avoir d'enfant ou qui avaient besoin de main d'œuvre, adoptaient les garçons ravis à leurs parents. À Trébizonde, le père de Giraï, négociant en tabac, a été pendu à la cave, le bébé a été étouffé, sa mère s'est cachée pendant deux ans derrière une commode aménagée chez des amis. Elle a laissé filer son fils pour lui sauver la vie. Le petit s'est retrouvé à garder des vaches dans la montagne. Au passage de l'armée russe, les soldats montrèrent des photos aux gamins. Giraï aurait reconnu ses parents sur l'une d'elles. Récupéré par un oncle à Batoum et envoyé seul sur un cargo vers Constantinople, il ne retrouvera sa mère que quatre ans plus tard. Dans ce qui deviendra Istamboul, on ne persécutait pas les Arméniens comme en Anatolie. La mère et son fils fuirent à Paris, où ils vivront ensemble dans une toute petite chambre, même après la naissance de Rose en 1927. Rosette a dix-sept ans d'écart avec son frère.
Giraï, bien qu'il ait été freiné par le bris du col du fémur, est toujours aussi drôle, taquin et passionné par le monde en mouvement. Il y a encore deux ans, il grimpait toujours la côte à vélo, fomentant de nouvelles inventions vélocyclistes qu'il comptait faire breveter au Concours Lépine à Paris. Il déteste se sentir assisté, ayant très tôt compris que sa longévité dépendait de son agilité, intellectuelle et physique. Giraï (Gérard en arménien) a toujours préféré marcher plutôt qu'on le raccompagne chez lui en voiture. Et tandis qu'il trotinne, il fredonne des chansons des années 30-40, que dis-je fredonne, chante à tue-tête avec un trémolo à donner le vertige, pour exercer sa mémoire. Les jambes et la tête, gages de mobilité !
Cela m'amuse toujours qu'il m'appelle "mon petit", me renvoyant au paradoxe de l'âge. Il se passionne pour les nouvelles technologies, la mémoire des ordinateurs, la qualité des images numériques... Même s'il avait acheté deux magnétophones à bande, dès 1955, pour correspondre avec Françoise et Anny qui vivaient avec leur mère et leur grand-mère à Marseille, ce n'était pas sa sphère d'intervention. Il avait vendu des journaux à une terrasse de café de la Porte de Montreuil fréquenté par tous les gitans. Rosette se souvient bien de Django Reinhardt. Refait à neuf avec des fauteuils en skaï, le café fut déserté. Giraï livrait ensuite les kiosques le dimanche. Lorsqu'Adriana, la nièce de Françoise, est venue avec la décapotable de son père, Giraï n'attendait qu'une chose, aller faire un tour sur le port et le long de la plage. La capote automatique, encore plus que le GPS, le fascine comme le reste de nos gadgets électroniques. Il y a trois ans, je lui avais demandé quel était le plus beau moment de la vie. Il répondit sans hésiter "la jeunesse" et que s'il avait su alors ce qu'il avait appris depuis... Impatient, je le coupai, comme cela m'arrive souvent : "Tu serais une bombe ?!". "Non non non", hocha-t-il, "tout en délicatesse !".
Françoise a tourné une quantité de cassettes vidéo avec et sur Giraï qui serviront très probablement au prochain film qu'elle prépare.

mardi 18 juillet 2006

L'arrivée de notre train en gare de La Ciotat


Année après année, Françoise filme ses départs de la gare de La Ciotat. À mon tour, je filme son arrivée tandis que Rosette nous attend sur l'autre quai. L'arrière grand-père de Françoise était le chef de gare à l'époque du film des frères Lumière, il avait préféré être chef de gare à La Ciotat plutôt que sous-chef à Toulon. Ce qui est magnifique, c'est que son autre arrière grand-père, Louis Trotobas, fut l'un des premiers acteurs de l'histoire du cinématographe puisqu'il était le gamin farceur de L'arroseur arrosé, celui qui marche sur le tuyau ! Françoise en a tourné un remake coquin au début de son film Thème je, elle raconte cette histoire le samedi, jour d'orgueil (parmi les 7 péchés capitaux du site, un pour chaque jour de la semaine).

lundi 17 juillet 2006

Sous les parasols


Comme il est agréable de se chamailler entre amis sur des sujets les plus variés, encore que cet après-midi tout le monde semblait d'accord sur les manipulations médiatiques, qu'on s'en foot ou qu'on assiste impuissants aux paranoïas guerrières... Le matin, nous avions commencé par le statut des intermittents pour terminer poussières d'étoiles. Tandis que les actualités squattaient mes derniers billets, nous nous reposions dans le Gard, partagés entre l'ombre et la piscine posée près des chevaux. Pascale et Jean ont transformé un ancien chai en somptueuse habitation et salle de spectacle lorsque l'envie s'en fait sentir. Quitte à venir s'isoler à la campagne, autant que le lieu soit accueillant, et nos amis de Nûba s'y entendent à merveille. À droite sur la photo, on reconnaîtra Jean-Pierre, un autre Allumé, cette fois du Triton, qui passait dans le coin avec Anna, nous faisant la surprise de leur visite. Antoine, le fils de nos hôtes, se joint à nous au déjeuner pour lequel j'avais confectionné des rillettes de sardines et Françoise avait composé un riz aux étrilles. Tout cela peut paraître anecdotique, mais la vie est aussi faite de ces moments de tendresse, plaisir de se retrouver entre amis, où la nature reprend ses droits et où nous pouvons laisser vibrer notre fibre animiste...

lundi 10 juillet 2006

Le coin de l'obsessionnel (1)


Je suis démasqué, mais on ne se refait pas, n'est-ce pas ? Comment, sinon, peut-on avoir la discipline de rédiger un billet chaque matin ? Je reprends le mode d'emploi de la maison avant le passage des pouvoirs à Jonathan en notre absence. Chacun porte sa petite névrose. Il y en a de banales, lorsque la vie nous a épargné de trop forts traumatismes. Pour les plus douloureuses, le recours à quelque thérapie s'impose de lui-même. Ce n'est jamais simple de laisser sa maison derrière soi et j'appréhende de la retrouver, dans quel état, à l'issue de mes voyages. Pour ne pas radoter, de la même façon que je raconte ici ma vie une fois pour toutes, je me débarrasse des obligations domestiques par un fichier Word que je laisse au gardien du temple. Lorsque je vivais seul, j'avais coutume d'appeler Xanadou cet édifice acquis avec mes droits d'auteur, une fierté de nouveau riche. Je passais mes soirées devant le grand écran, un morceau de chocolat dans une main, un joint dans l'autre. Je ne suis plus seul, je vis heureux, mais je ne suis pas certain d'avoir changé tant que ça. Quel travail !

Le mode d'emploi de la maison débute avec une liste de numéros de téléphone à appeler en cas d'urgence : les nôtres, ceux de ma fille, ma mère, les voisins, les amis. Suivent ceux de la maison, une tripotée, dont celui qui permet de joindre tant la métropole que les États Unis gratuitement (Jonathan est new yorkais). Je copie-colle la suite, toute une littérature qui peut paraître débile et sans intérêt à qui ne vit pas là, mais qui en dit pourtant long sur les us et coutumes, non ?
POUBELLES : Recyclables (papier, plastique) MERCREDI Verte (passe à partir de 17h) - Le reste LUNDI et JEUDI Bleue - Verre sur la petite place du boulanger.
GAZ bouteille de rechange dans garage, clef sous cuisine avec bouteille en cours.
CHAT 1/3 boîte matin ET soir – et laisser toujours de l’eau. En cas d’absence, opter pour croquettes (sous plaques cuisson) : une poignée par repas. Scotch passe par la chatière pour aller derrière, et par le soupirail de la cave pour devant. En cas de "son" absence, condamner les deux accès pour empêcher d'autres matous de venir pisser dans la maison.
ARROSAGE * extérieur tous les 2 soirs s'il ne pleut pas, bien arroser les grands bacs (conifères, noyer bambous !), arroser devant en traversant le salon avec le tuyau !!! (surtout pots et bambous) * intérieur 1 fois par semaine (le week-end, par ex.) = 2° : chb bleue & salle de bain – Escalier –1° : SdB et salon – RdC : cuisine, bureau Françoise dont tout en haut attention pas déborder, et entre fenêtres studio.
JARDIN Devant : Romarin, Estragon, Sauge, Thym, Thym citron, Ciboulette, Laurier / Derrière : Menthe, Sariette, Verveine, Thym, Laurier, Fruits selon saison.
INTERNET en cas de problème débrancher/rebrancher la prise électrique FreeBox et borne Airport – Ne pas éteindre le G5 si on s’en sert tous les jours - Pour imprimer avec la R300 il faut que le G5 soit réveillé. Sinon, prendre l’Epson 740 qui est par terre dans le studio - Suivent les mots de passe Mac et PC ainsi que tout ce qui concerne les alarmes que je ne suis assez fou au point de les détailler ici.
ELECTRICITÉ Ne pas mettre le four à la position maxi. En cas de panne, les sécurités compteur sont au-dessus de la grande loupe et à l’entrée du studio.
FENÊTRES Bien les fermer en cas d’orage.
VIDÉO Penser à allumer/éteindre le caisson de basse en cas de 5.1 - Projecteur : régler sur S-Vidéo pour VHS et Satellite, ainsi que le format 1=Normal, 2 ou 3= deux formats 16/9, 5=sous-titres… Éteindre en 2 coups (le projecteur met 2mn pour arrêter de souffler) - Ampli : VCR1=satellite et graveur DVD, VCR2=VHS, DVD=conserver position "standard" sur bouton gauche doré, etc. - Visiopass : satellite. Pour regarder la TV : allumer le graveur DVD, le Visiopass, l'Ampli sur VCR1- Modes d’emploi vidéo sous proj - Bases de données « vidéothèque », « carnet d’adresses » sur G5 - Ne pas ranger un CD ou un DVD à une mauvaise place, en cas de doute mieux vaut l’empilement et je rangerai en rentrant.
HI-FI RdC CD=appuyer sur Tape 1 (lit aussi les dvd si on allume le moniteur !). Pour radio, rien d’appuyé. Pour DVD, comme CD, en allumant en plus la TV avec télécommande appuyer 3 fois sur AV pour avoir AV3 !
FEU Attention d’ouvrir la trappe avant de se servir de la cheminée. Charbon de bois dans le cagibis jardin.
CAVE Allumer la seconde cave avec le bouton gris du bas à l'entrée de la buanderie (celui du haut éteindrait la chaudière !)... Lessive à droite de la machine, on peut rajouter du Soupline dans le compartiment de droite pour que le linge soit plus doux, choisir le textile, la température (en général 40° sauf les tissus délicats 30°), appuyer sur le bouton de droite "Marche"... on peut sécher avec l'essoreuse à gauche : choisir dans cet ordre le textile (je mets souvent "mélangé"), puis "prêt à ranger", puis "Marche"... À la fin nettoyer le grand filtre qui est à l'intérieur à gauche (in-dis-pen-sable !)... Penser à mettre les deux machines sur "Arrêt" quand terminé !
QUARTIER Très bons boulanger et boucher sur la petite place, épicier dix mètres plus loin... Au bout de la rue, tabac-journaux... Marché sympa mercredi et dimanche matins (au métro, c'est la rue qui part à gauche à la patte d'oie), fromager à gauche et poissonnerie à droite en entrant... Bonne librairie en face... Le supermarché le plus proche est Champion (seul rayon poissonnerie de la ville)... Bons films en bas au ciné (v.o.), 5 minutes à pieds... VÉLOS dans garage...
C'est grave, docteur ?

vendredi 7 juillet 2006

L'Harley sienne


Quel plaisir de revoir Bernard chevaucher sa Harley ! Une nuit il y a deux ans, il s'était fait voler sa moto devant chez lui, rue Pelleport. Depuis, il ne sortait presque plus. Je l'ai toujours connu détestant marcher. Il lui arrivait pourtant de venir à pieds jusqu'ici, de temps en temps. C'était une plaie de lui appeler un taxi tard le soir : parfois les chauffeurs se perdaient, d'autres fois ils devaient prendre quelqu'un d'autre sur le chemin, mystère, il est arrivé que l'on en appelle trois ou quatre avant d'en voir venir un seul. C'était un gag récurrent qui n'arrivait qu'à lui, n'arrangeant pas son côté casanier. Depuis le temps qu'il en parlait, il a fini par avoir les moyens de se racheter le même modèle d'occasion. C'est une bonne époque pour rouler dans le vent, lorsque l'on craint, comme lui, la chaleur. J'avais acheté un casque pour pouvoir jouer les passagers motocyclistes lorsqu'une occasion se présente...
La résistance à la marche à pieds met Bernard en danger, comme ma maman qui a de plus en plus de mal à se déplacer. Je repense à Giraï, l'oncle de Françoise et Anny, qui avait compris que sa vie dépendait de sa mobilité, intellectuelle et physique. Il y a encore deux ans, il n'avait que 93 ans (rescapé du génocide arménien, il ne connaît pas sa date de naissance exacte), il préférait rentrer chez lui à pieds pour entretenir sa santé et profitait du chemin pour chanter à tue-tête des chansons françaises des années 30-40, histoire de faire travailler sa mémoire, autre pôle indispensable de sa mobilité et de son autonomie. Sa fracture du col du fémur a été un coup de frein brutal à ses escapades à pieds ou à bicyclette, il a peur de retomber, alors il marche avec une canne. J'aime beaucoup parler avec lui du temps passé comme des avancées technologiques. Il parle de mon PowerBook comme d'une gigantesque mémoire, ça lui parle. Je pousse Bernard à acquérir un ordinateur pour le sortir de son isolement. Hier, il me disait comprendre que la virtualité accentuait la réalité des individus. Les amis qui ne sont pas connectés au Net disparaissent corps et biens. Bernard adorerait Babylone. En attendant, il passe nous voir et c'est un vrai plaisir de le voir heureux sur sa moto à 72 ans.
À gauche sur la photo, on aperçoit Jonathan qui arrivait à l'instant de New York où il enseigne au Queens College. Chaque été, il vient travailler à Paris sur l'exception culturelle française dans le cinéma et en profite pour voir les copains. Il garde notre maison lorsque nous descendons vers le sud. J'aime bien ses interrogations sur le monde, sur les différentes façons de voir les choses, ici et là-bas. Nous parlons des laissés pour compte, des banlieues enflammées, du potentiel politique qu'elles pourraient représenter alors que les partis traditionnels sont devenus anachroniques. Hier soir, la discussion avec Anny, Françoise, Bernard et Jonathan portait sur les motivations différentes des Américains au Vietnam, ou en Afghanistan et en Irak... Jonathan pense que jamais son pays n'osera attaquer l'Iran qui est un état puissant, rien à voir avec l'Irak. Le ton monte lorsqu'est abordé le rôle de l'Union Soviétique, sa politique hégémonique et son éclatement... Nous louons le courage et la détermination du peuple vietnamien. Quelle idéologie sous-tend les guerres d'indépendance ? Comment cela dégénère-t-il souvent ensuite ? Il y avait longtemps que nous n'avions pas passé une soirée "café du commerce", c'était marrant.

samedi 1 juillet 2006

Lysistrata


En commentaire du billet d'hier, la lectrice "Alibi à la une" écrivait :
"Alors ils s'y sont tous et toutes mis..."
toutes ??? je voudrais bien LES y voir !
Allez sans rancune (?) c'est partout les grandes absentes même si c'est la moitié de l'humanité. Je sais elles ressassent et ne prennent pas le pouvoir.
À qui la faute ?

Je commençai par répondre :
"Toutes" pas plus que "tous", mais c'est vrai, beaucoup moins. Toutes celles qui ont répondu "présente !", celles qui sont là, celles qu'on est allés chercher pour ne pas rester qu'entre hommes : quel ennui une fratrie de mecs, quelle obscénité ! Le jazz est un monde masculin où les femmes sont des emblèmes de publicité ou, au mieux, des égéries alcoolisées.
Heureusement celui de l'improvisation libre, des musiques barjos, est un peu plus ouvert, les filles y font leur place, pas facile. Les plus militantes ont d'abord revendiqué leur homosexualité, les plus ambitieuses rejetaient le féminisme pour être considérées à l'égal des hommes, les plus laborieuses se contentaient d'un strapontin...
Y a-t-il une expression féminine ? Je le crois. Leur sensibilité d'artiste ne s'exprime pas de la même manière. C'est moins tranché, arrondi aux entournures, c'est plus fin, parfois, comme chez les mecs pas trop machos, leur part de féminité s'exprimant plus ou moins librement...
C'est à ce moment-là que je choisis d'en faire le billet de ce matin, sachant bien que ce ne sera qu'une parole d'homme de plus, pas le choix cette fois !
Pour compléter le petit panorama rapide et réducteur, j'ajoute aux lignes précédentes que le monde de la musique classique, et, par extension, contemporaine, est tristement potache et réactionnaire, l'esprit de compétition qui y règne en fait une foire d'empoigne où les femmes n'ont à y gagner qu'une forme de contamination. La question des variétés se pose un peu moins, parce qu'on est en milieu populaire, l'enjeu n'est pas le même dans la chanson, l'arrogance porte un bémol à la boutonnière. On préfère y faire pousser des étoiles, quitte à mépriser là aussi le petit peuple des musiciens qui les accompagne, encore des mecs. Les musiques savantes, élitaires, sont chasse gardée, chasse à cour(re) ! On se plaît à croire qu'il y est question de pouvoir. Mais le pouvoir, c'est "pouvoir" faire, c'est le potentiel à créer, à diriger, à diriger sa vie, et malheureusement trop souvent celle des autres, et celle des femmes certainement.
Vaste sujet, "la moitié de l'humanité" ! Cela méritera qu'on y revienne, souvent ?! Alors autant commencer dès aujourd'hui. La parité me semble une mystification de plus, un truc en plumes inventé par les hommes pour que les femmes qui la ramènent leur ressemblent. Regardez Ségolène Royal sur les pas de Margaret Thatcher et Condolezza Rice, quelle horreur ! Il en est d'autres qui se battent avec plus de jugeotte, mais n'y a-t-il pas d'alternative à prendre le pouvoir en package avec la stupidité des mâles ? Faut-il qu'à leur tour les femmes nous gouvernent avec la même brutalité, carnage destructeur et suicidaire ? Au secours, Lysistrata (texte de la pièce d'Aristophane) ! Adolescent féministe et non-violent, j'avais trouvé géniale cette grève du sexe pour arrêter la guerre. Pourquoi les femmes qui y perdent leurs enfants, leurs frères, leur père et leur époux, ont-elles toujours été solidaires de ces bouchers sanguinaires ? Faut-il aller chercher quelque explication dans la biologie comme le fait le documentaire 1+1, une histoire naturelle du sexe (et dont j'eus la joie de composer la musique) ? Doit-on en passer par la barbarie ? Ou bien est-ce l'absurde qui nous gouverne ?
Ayant grandi dans les années 70 au milieu de femmes revendiquant l'émancipation féminine, la question n'a eu de cesse de me poursuivre. Sur les murs de la cuisine étaient épinglés des petits papiers découpés portant tous les slogans de l'époque, certains même ambigus : "Une femme sans homme, c'est comme un poisson sans bicyclette". J'aimais l'impossible. J'en rêve toujours. Attention à moi si, en discutant, j'accordais mal un adjectif, j'étais immédiatement repris et le e final était accentué avec sa liaison phonétique, appendice qui pour une fois dépassait du mot féminin. J'ai pris ainsi l'habitude d'accorder les fonctions, surtout en haut de l'échelle sociale, Madame la présidente, Madame la directrice, une écrivaine, etc.
Dans le Drame, nous n'avions qu'un tiers de musiciennes, cinq sur quinze, l'atmosphère y était tout de même plus digne, ça changeait des chambrées des autres orchestres. Dans le Journal des Allumés, chaque fois que nous le pouvons nous invitons ces dames au parloir, cette fois la harpiste Hélène Breschand, la compositrice et chef d'orchestre Sylvia Versini, les dessinatrices Chantal Montellier et Laurel (son blog). Nous le savons, c'est peu et ce n'est pas le reflet du monde réel, nous forçons les portes. Un seul des Cours du Temps fut consacré à une femme, la contrebassiste Joëlle Léandre, sa parole y est emblématique. Même si Valérie Crinière réalise le Journal (et pas seulement techniquement !), il n'y a que des hommes au comité de rédaction, et peu de femmes dirigent parmi les 42 labels de l'association. Notre trésorière, Françoise Bastianelli, en charge du label Émouvance, a redressé les comptes de l'assoc lorsque nous étions au plus mal. J'aurais pu écrire "au plus mâle" tant l'unisexicité peut être nauséabonde. Les femmes entre elles ne valent guère mieux, c'est pour cela que Lysistrata n'eut jamais gain de cause. Il faut la mixité, le partage des tâches, oui si c'est ensemble, pas de prérogatives ni de territoires réservés, l'échange est plus juste que le partage.
Je repense toujours aux derniers mots de L'innocente de Lucchino Visconti, son dernier film, quelque chose du genre : ''Pourquoi faut-il que, vous les hommes, vous nous portiez aux nues ou nous traitiez comme moins que rien ? "

mercredi 28 juin 2006

L'avocat à la casserole


Je ne sais plus comment m'est venue l'idée de cuisiner l'avocat. Il y avait foule dans le bac à légumes. Quatre pour un euro au marché des Lilas le dimanche matin, ça vaut le coup, délicieux, onctueux. Françoise confectionne souvent ses salades avec, et lorsque je les déguste nature je remplace l'éternelle vinaigrette par de la sauce de soja. Quant aux accords, ai-je pensé aux sushis, norimakis de riz, saumon, avocat, entourés d'une feuille d'algue nori ?
J'ai donc plongé l'avocat dans l'eau bouillante d'une soupe, je l'ai fait revenir avec des tomates, de l'ail et du piment façon guacamole, je l'ai fait monté en mousse dans le mixeur, cuit à la vapeur, servi froid en gaspacho... Dans tous les cas le goût reste très fin, le mariage réussi avec poisson, viande ou légumes. Je pense à lui faire rencontrer des fruits maintenant, le transformer en glace... Sa texture "beurrée" se prête à maintes combinaisons. Le servir chaud renouvelle le genre. Je jette un coup d'œil à marmiton.org, pour m'apercevoir que je n'ai rien inventé, soupes, gratins, mousses, salades, gelées, farces, avec roquefort, miel, fromage de chèvre, etc. Le site est formidable, il donne mille idées chaque fois que l'on s'interroge sur quoi faire à dîner... Et puis, comme je déteste éplucher des légumes, j'apprécie la vitesse d'exécution, un coup de couteau, dénoyautage, un tour de poignet à la petite cuillère, et hop, il passe en chair, la plaidoirie est aisée, acquitté, mieux réhabilité ! Un coup de chapeau à l'épicier de l'Opéra, Paul Corcellet, génial importateur et cuisinier, qui introduisit l'avocat en France en 1934 (billet du 4 avril)...
Et un coup d'œil à l'incontournable Cuisine Succès - L'école de cuisine, complément indispensable à toute littérature culinaire : il ne s'agit pas d'un livre de recettes, mais de tout ce qu'il faut savoir pour les réaliser, découper une viande ou un poisson, réussir une omelette ou même cuire un œuf, éplucher, parer, conserver, toutes les méthodes de cuisson sont expliquées, le bouquin est illustré d'images superbes permettant de donner un nom aux fruits exotiques, aux herbes aromatiques, etc. C'est la Bible de l'élève cuisinier, c'est un cadeau rêvé à faire à celles et ceux qui ne le connaissent pas encore ! J'y lis que l'avocat est un fruit, qu'on doit le cueillir dur pour le laisser mûrir, qu'il en existe plusieurs sortes (rugueux noircissant, antillais à peau lisse, mexicains qui restent toujours verts, petits sans noyau alors appelé avocat cornichon ou avocat cocktail). La couleur dépend des variétés, non de la maturité. Il est riche en huiles naturelles ainsi qu'en vitamines et minéraux, mais ne jamais le cuire trop longtemps pour qu'il garde son goût. En France, on a d'ailleurs tendance à toujours trop cuire les légumes.

samedi 3 juin 2006

Nouveau son pour le film Nabaz'mob


On s'améliore tous les jours. Françoise a peaufiné le montage de Nabaz'mob. Le film est maintenant plus fidèle au spectacle... J'avais préféré mettre en ligne rapidement. J'ai l'habitude d'aller vite, de prendre les événements de court et de me laisser rattraper en cours. Genre de phrase qu'il faut relire deux fois. Se reprendre. Il faut savoir battre, le faire pendant qu'il est show. Les lapins, ça rend toujours dingue.

lundi 29 mai 2006

Extrait de Nabaz'mob


Un petit extrait du film tourné par Françoise Romand est en ligne !
Voir billets des 11, 13, 17, 27, 28 mai ainsi que celui du 23 septembre.

samedi 27 mai 2006

Nabaz'mob, opéra pour 100 lapins communicants (3)


Les dés sont jetés, c'est ce soir à 20 heures dans la grande salle du Centre Pompidou pour la soirée de clôture du Web Flash Festival. Les carottes sont cuites, on ne peut plus rien modifier, les 100 lapins sont en place, apportés par leurs propriétaires pour participer à l'événement. Certains les ont customisés, ajoutant un sourire, une banane (Elvis), une culotte en dentelle (Cocotte), une guitare, des lunettes noires, une cravate ou des autocollants anthropomorphiques... Nous aurions dû nous méfier en rédigeant le programme, certaines bestioles prennent un malin plaisir à se décaler prétextant que l'œuvre "joue sur la tension entre communion de l'ensemble et comportement individuel". Alors ?! L'aléatoire fait bien partie du jeu, et le résultat ressemble tout de même à ce que nous avions à peu de choses près imaginé. C'est seulement hier soir que nous avons entendu tous les Nabaztag ensemble interpréter notre étrange opéra. Sur la photo, on aperçoit la silhouette d'Antoine Schmitt qui installe la minuscule webcam renvoyant une image géante sur l'écran tendu derrière la meute. Le dernier filage était très émouvant, chacun retenait son souffle. Françoise Romand ayant filmé les répétitions, nous espérons pouvoir donner une petite idée de ce spectacle lagomorphique à celles et ceux qui n'auront pas pu venir ou avoir de la place. Hallucinant !

mercredi 24 mai 2006

Dérapage contrôlé (1)


Françoise Romand a mis en ligne un extrait de Dérapage contrôlé, un court-métrage de 1994 qu'elle a remonté à sa façon (director's cut !). Trois minutes sur le Florida à Agen, trois minutes d'un tract vidéo, ça ne scratche pas toujours là où l'on s'y attend, deux mondes s'y croisent, deux élus s'y affichent, une bonne dose d'humour, un peu d'espoir...

mardi 16 mai 2006

Le chat, le musicien et le lapin


4 heures du matin. Je suis réveillé par un énorme vacarme au rez-de-chaussée. Redressé, je comprends en entendant le chat qu'il y a du grabuge à la cuisine. Je descends quatre à quatre pour me retrouver nez à truffe avec Scotch qui insulte le canapé. Je me baisse prudemment, lumbago oblige, pour constater qu'il n'y a rien dessous ! Le chat est hérissé, moi ahuri. Françoise me rejoint avec une lampe torche et aperçoit une petite chatte grise tapie derrière un pied. Elle est deux fois plus petite que Scotch. Bon, je ne vais pas la jouer brigade des sapeurs-pompiers, Françoise se saisit de Scotch qui se laisse faire et l'enferme en haut avec elle tandis que j'ouvre grand la porte d'entrée et avance le divan. La mignonne qui a préféré grimper jusqu'au second se laisse enfin attraper, complètement détendue... Nous comprenons qu'elle connaît très bien la maison et qu'elle a dû s'y infiltrer pendant notre escapade alsacienne, le chat étant parti en pension avec Elsa. Conclusion : ces deux-là se connaissent sinon cela aurait été autrement plus violent, et dorénavant nous bloquerons les issues félines en cas d'absence prolongée ! C'est la première chose que j'ai fait construire, ou plutôt creuser, lorsque j'ai pris possession de la maison, une double chatière dans le mur du salon, avec tapis en gazon synthétique entre les deux pour s'essuyer les pattes lorsqu'on revient du jardin. Côté rue, il faudra condamner le soupirail de la cave. Scotch a ses entrées des deux côtés. Évidemment le chat s'est rendormi, pas moi...

Parce que ce n'est pas tout ça, je dois continuer à composer la musique du film Le banquier, le maréchal et le missionnaire que j'ai enfin commencée dimanche après une courte période extrêmement désagréable de doute et d'incertitude. J'en paniquais, tant ce n'est pas mon habitude de caler devant la page blanche. Sentiment d'impuissance et d'incompétence détestable. Lorsque la matière résiste, c'est que le problème est mal posé. J'avais imaginé faire du faux-vrai, du "à la manière de". Le film est un montage d'archives sur la colonisation du Maghreb dans les années 20-30. Erreur, fatale erreur, sonoriser tout ça en jouant la carte de la reconstitution aurait donné un effet poussiéreux à l'ensemble. Et dans ce cas, il aurait mieux fallu de véritables documents plutôt que de tenter de reconstituer la musique d'époque avec des machines et les moyens du bord, très limités par mon inexpérience en la matière. Je prends le problème à bras le corps en utilisant la technique qui m'a toujours profité. Je me mets devant mon clavier et je joue, j'essaie des timbres avec le souvenir de la projection du film, surtout sans le regarder. Je m'amuse, m'apercevant que je n'ai oublié ni les gestes ni les sensations euphorisantes. Ça vient tout seul, je programme l'arpégiateur, je lui fais contrôler des tas de sons divers en fonction des notes que j'ai prise devant la table de montage. La musique se construit toute seule... Le lendemain, c'était hier, je ne peux m'empêcher d'écrire des séquences plus classiques, parce que ce sont celles qui m'angoissent le plus. Je reste victime de mes lacunes d'autodidacte, mais j'en profite en retournant mes faiblesses comme en aïkido. Je commence par des séquences de piano très debussystes et je termine avec tout l'orchestre. Je suis heureux, j'ai eu une bonne journée...

Le soir sur Arte, j'enregistre à 19h la première émission d'une série formidable, drôle et érudite, Les animaux ont une histoire. Le premier épisode, réalisé par Valéry Gaillard, était sur Lapin, extraordinaire ! Ça tombe vraiment bien au moment où je bosse avec Antoine sur Nabaz'mob. Antoine m'a demandé de ne plus parler de notre travail avant qu'on ait fini, alors motus et bouche cousue, surprise, venez le 27 mai (il faut s'inscrire, le spectacle qui est gratuit sera vite complet !) écouter 100 lapins en choeur... L'épisode de ce soir mardi est Ours, c'est de saison aussi, ça pourrait faire réfléchir quelques colonisateurs de nature pyrénéenne, le lapin ayant été superbement réhabilité hier soir ! Le commentaire est dit par Michael Lonsdale, absolument parfait. Cela me rappelle le ton qu'il avait lorsqu'il lisait pour moi le terrible Catalogue des cires anatomiques du Docteur Spitzner exposé à La Villette en 95 pour Il était une fois la Fête Foraine (disque Auvidis épuisé, dommage). C'est plein d'esprit et de toupet. Si ça reste du niveau du lapin (les réalisateurs/trices sont chaque fois différent/e/s pour aborder au cours de la semaine Hareng, Criquet, Castor), ne manquez surtout pas cette série qui n'a rien d'un documentaire animalier. C'est plutôt une encyclopédie cinématographique (remarquable bande-son, image en clair-obscur, etc.) qui ne ressemble qu'à elle-même. Il reste donc quelques auteurs à la télévision malgré les tentatives de les broyer sous le consensuel des prétendues attentes du public.

samedi 13 mai 2006

Vide-grenier Porte des Lilas


Cette fois, Elsa et Yann se sont joints à Françoise pour vendre tout ce qui nous encombre, mais je crains qu'encore aujourd'hui beaucoup de ces souvenirs ne reviennent hanter la cave. Ce sont les vinyles et les dvd qui partent le plus facilement, suivis des vêtements. La brocante d'il y a trois semaines s'était brutalement terminée sous une pluie diluvienne aux accents tropicaux. Alors je scrute le ciel...

mercredi 10 mai 2006

Bâle : Vitra, Beyeler, Tinguely et Edgard Varèse, cerise sur le gâteau !


De Colmar où Françoise a dégotté une chambre d’hôtes formidable et bon marché (avec accès gratuit à Internet, euh, je m’étais pourtant juré…), nous descendons d’abord en Allemagne, à Weil Am Rhein, Vitra (photo ci-dessus du Musée du Design, dessiné par Frank O. Gherry, l’architecte du Gugenheim et de Bilbao, hallucinant, jugez par vous-même) où est actuellement exposé le designer italien Joe Colombo. Meubles et décor futuriste des années 60 digne de Barbarella et Orange Mécanique.

Quelques centaines de mètres plus loin, à Riehen en Suisse, se profile la Fondation Beyeler, dessinée cette fois par l’architecte Renzo Piano. Un plan d’eau prolonge la salle où sont exposés Les Nymphéas de Monet, le sol est au même niveau que l’étang. Une remarquable exposition temporaire Matisse occupe hélas les trois quarts de l’espace. J’écris hélas car j’ai toujours ressenti une impression claustrophobique devant ses œuvres. Je suis toujours resté un peu à l’écart de ce grand maître comme de Picasso que j’aime surtout pour ses sculptures. Mes goûts et mes couleurs me poussent plutôt vers Bacon, Klee (là je suis servi, la collection en abrite de merveilleux) ou Kandinsky. Même chose avec le bâtiment trop rigoureux pour moi, j’ai encore l’impression d’admirer le paysage au travers de barreaux.
Au restaurant de la Fondation, déjà énervé que la serveuse nous refuse une carafe d’eau, je suis sidéré qu’ils refusent les cartes bancaires (seule fois du voyage), mais ce n’est pas le plus beau : l’addition se montant à 26,43 euros (on n’est pas obligé de payer en francs suisses), je sors l’appoint ; la salariée zélée m’annonce qu’ils ne prennent pas les pièces, on croit rêver ; s’attend-elle à ce que je laisse 30 euros pour ce risotto trop cuit et ces courgettes fadasses ?

Quelques kilomètres plus loin, à Bâle même, nous arrivons au Musée Tinguely. J’en rêve depuis des années. J’adore aller visiter son Cyclop dans la forêt de Milly. J’en profite pour rendre visite à la Chapelle Sainte-Blaise-des-Simples où est enterré Cocteau, dont il a peint les murs en représentant des herbes médicinales et où il a gravé sur sa tombe « Je reste avec vous », et puis, le reste de la journée se passe à crapahuter sur les rochers des Trois Pignons. Mais je m’égare, et je me gare. Pas besoin de vous faire un dessin, Tinguely est si ludique, si sonore, c’est un enfant qui a continué à construire son Meccano…
Je suis enchanté, mais le plus extraordinaire, c’est une exposition à laquelle je ne pouvais m’attendre, celle consacrée à l’un de mes trois compositeurs favoris, Edgar Varèse (les deux autres sont Charles Ives et Frank Zappa). Manuscrits autographes, lettres de Debussy, Cage, Zappa (celle qu’il lui écrit à seize ans), partitions inachevées, images reconstituées des projections du Pavillon Philips dessiné par Le Corbusier pour lequel Varèse a composé le Poème Électronique, ombre du portrait en fil de fer tordu par Calder, catalogue merveilleux et copieux, dessins, peintures, témoignages, et voici le graphisme pour une improvisation jazz, cassette donnée à Robert Wyatt par Mark Kidel et qu’il me confia à son tour, la tête me tourne, j’y reviendrai…

De retour à Strasbourg, avant de reprendre le train pour Paris, nous nous promenons dans le Musée d’Art Moderne et Contemporain qui abrite actuellement les collages politiques de John Heartfield. Très bel édifice d’Adrien Fainsilber. Ce n’est pas tout ça, je dois rentrer travailler, on en parle demain.

samedi 29 avril 2006

Studio GRRR (2) - le jardin


Samedi, jour de repos, si, si, ça m'arrive... Alors, si vous n'avez pas la fibre jardinière, passez votre chemin, vous vous ennuieriez, et revenez demain !
Ce matin, nous sommes allés acheter quelques fleurs printanières : des œillets d'Inde orange et bordeaux, des ancolies hybrides "de Coerulea" rouge et or, et des lupins rouges. Il n'y a plus de place pour grand chose. Au début, lorsque j'ai créé cet espace vert et coloré, après avoir cassé la chape de ciment de 40 centimètres d'épaisseur, j'ai réalisé un jardin zen, où tout était sobre et mignon. Il y avait même des rocailles, des cailloux de formes diverses, et Caroline m'avait prêté un énorme rocher en stuc, tellement réaliste qu'on s'y laissait prendre. Avec le temps, le jardin zen s'est transformé en jungle : les bambous font maintenant sept mètres de haut (ils poussent chaque année d'un mètre en une semaine ; on comprendra ainsi aisément la véracité du supplice du pal), le charme est grand et touffu (il nous cache des voisins, au demeurant charmants !), les plantes les plus agressives ont étouffé les humbles, les fraises ont été dévorées par les limaces (qu'on trucide écologiquement en leur laissant des coupelles remplies de bière ; côté escargots, nous les faisons jeûner avant de les savourer), les framboisiers se sont étiolés, mais la vigne donne de plus en plus de grappes, et on attend toujours que le kiwi hybride donne des fruits ; je suis furieux contre mon bouleau pleureur qui a toujours refusé de grandir et je protège le palmier des attaques des bambous. Le mur est envahi de lierre, de vigne vierge et de passiflore. Il y a tellement de trucs qu'il serait vain d'en dresser la liste. Chaque année est différente : il y eut celle des coquelicots apportés sans doute avec la terre, et puis celle du mauve, et une toute jaune... Nous ignorons encore à quoi ressemblera celle-ci. Elle a commencé rouge vif avec le cognassier du Japon. J'apprécie les couleurs complémentaires aux différents verts des feuillages.
Nous avons aussi rapporté de la menthe arabe pour le thé, du basilic et du persil, mais je crains toujours que ces deux-là ne déperissent trop vite, alors nous les avons cette fois plantés en pots. Les thyms (citron et ordinaire) s'étalent, le laurier est devenu un arbre, la ciboulette et la sariette sont reparties de plus belle, et la verveine citronelle s'épaissit chaque année. Françoise fait une telle consommation de tisane... Je me bats régulièrement contre une sorte de doriphores vert émeraude qui attaquent l'énorme buisson de romarin et la sauge. Craignant que les produits toxiques empoisonnent les "simples", j'ai jeté l'éponge du côté des rosiers trop souvent infestés de puçerons. Les seuls traitements que je tolère sont celui des coccinelles et le génocide à la bière évoqué plus haut.
Il y a donc deux jardins. Devant, c'est celui de la maison : églantier, lavater, tamaris, glycine, bambous noirs, conifère rampant, iris mauves, et plein d'autres espèces dont j'ignore le nom, mais je ne peux oublier le yucca qui obstrue la fenêtre de la cuisine, ni le lierre qui mange la façade, ni le muguet qui embaume à l'approche du 1er mai.
Derrière, c'est celui du studio. J'avais toujours rêvé que mon lieu de travail soit éclairé par la lumière du jour et donne sur de la verdure. J'ai pu installer quelques plantes d'intérieur entre les deux fenêtres, puisque le studio est une boîte dans la boîte. Lorsque je fatigue, je vais tailler, cueillir, humer ou simplement prendre le soleil. Lorsque personne ne me voit, il m'arrive de me vautrer dans certaines plantes dont le feuillage est très doux, d'y enfouir mon visage en l'embrassant littéralement (à bras le corps). L'hiver, il y a suffisamment de feuillages persistants (photunia, pins, palmier, toujours les bambous) pour que le paysage ne soit pas désertique. Je prends la photo maintenant, même si la lumière de cet après-midi est un peu grisâtre.
Les oiseaux m'accompagnent, même si la plupart gardent leur distance à cause de Scotch, toujours à l'affût des jeunes merles. Les adultes sont extrêmement bavards ces derniers temps, surtout le matin et le soir. Des moineaux ont fait leur nid dans le toit. Parfois je surprends des mésanges, des rouge-gorge, des verdiers... Les pies ne s'approchent plus depuis que Scotch en a attrapé une : elle avait le cou cassé, pendant en travers de la gueule du chat ; j'ai réussi à le coincer, à desserrer ses mâchoires, et comme par miracle la pie s'est envolée (air de Rossini), cette excellente comédienne faisait la morte !
Si cet aspect du studio vous semble anecdotique, préférez une visite plus professionnelle en vous reportant au billet du 18 avril dernier ou attendez la suite de ce feuilleton immobilier.

dimanche 23 avril 2006

Vide-grenier à la frontière des Lilas, Bagnolet et Paris


Il fait bon, il y a du monde aujourd'hui dimanche, Françoise joue à la marchande !

mercredi 19 avril 2006

Naufrage de l'Accroche-cœur


Tous les jours, les faits-divers hantent les colonnes des journaux. Lorsqu'ils croisent la vie privée, nous permettant de mettre un nom et un visage sur les victimes, le vertige s'empare de nous et nous rappelle à la vie.
Au Journal Télévisé, Jean-Claude, le père de Françoise, aperçoit l'épave de l'Accroche-cœur en mille morceaux, Patrick prostré sur un banc. Tous les sites d'infos reproduisent la dépêche de l'AFP : deux membres de l'équipage d'un catamaran français sont morts dans un naufrage lundi soir au large de la Costa Brava, dans le nord-est de l'Espagne, et deux personnes sont portées disparues. Le catamaran, qui avait six personnes à son bord, cinq hommes et une femme, a chaviré lundi soir près de Port de la Selva, en Catalogne, alors qu'il regagnait son port d'attache à Canet Plage, dans le sud de la France. L'équipage venait de participer à la régate de La Route du Sel qui va de Barcelone à Ibiza et qui s'est terminée dimanche. Les vents violents qui soufflaient à une force de 40-45 noeuds (70 km/h) pourraient expliquer le chavirage du catamaran, lundi entre 21H00 et 23H00. Les passagers ne possédaient pas de radio-balise automatique d'urgence, un dispositif de sécurité qui s'active lorsqu'il est immergé, et n'ont pu utiliser leur radio. Les deux survivants du naufrage ont réussi à regagner la côte à la nage mardi matin avant d'être localisés par la police espagnole et d'être hospitalisés. Deux membres de l'équipage, munis de leur gilet de sauvetage, ont été retrouvés morts mardi matin près du lieu de naufrage. Deux hélicoptères et deux navires de sauvetage maritimes espagnols étaient mardi à la recherche des deux passagers portés disparus... L'Agence Reuters précise : deux personnes sont tombées à la mer, dont on recherche toujours les corps. Deux autres se sont accrochées à l'épave avant d'être balayées par une vague. Leurs corps ont été découverts mardi matin. Les deux survivants ont réussi à se maintenir à l'intérieur de la coque, qui a finalement dérivé jusqu'à la côte au nord de Barcelone. Ce sont eux qui ont prévenu les secours. Hospitalisés en état d'hypothermie, ils souffrent de coupures et de contusions.
Brigitte avait aidé Patrick à réaliser son rêve de voile. Ils ne vivaient que pour le catamaran, s'endettant, revendant la maison de Luchon, louant le bateau pour pouvoir naviguer. Un catamaran de cette taille coûte une fortune à entretenir. Pourquoi sont-ils sortis malgré l'avis de tempête ? Patrick est costaud, il a pu regagner la côte à la nage, Brigitte y est restée. Elle aimait rigoler. Nous ne connaissons pas les quatre autres passagers, ils rejoignent le fait-divers. C'est une histoire triste. On pense aux vivants.

Sur la photo : Françoise avec Brigitte (chemise blanche) et Patrick.

lundi 13 mars 2006

Chœur automobile


Une vidéo d'une rare élégance pour une japonaise, trois autres à l'humour teuton pour VW, et une préfiguration de l'avenir des cookies et des recoupements de fichiers sur Internet...
Serge Adam m'envoie ce matin le lien vers cette pub pour une bagnole japonaise.
La musique contemporaine ne sied plus seulement aux documentaires animaliers !
Pour rester dans l'humour de ce début de semaine, Françoise me fait suivre ce lien qui n'amusera que ceux qui parlent bien anglais, et qui n'est pas sans relation avec le billet d'hier sur le danger de flicage de nos ordinateurs personnels.
Sans oublier, une autre pub automobile, cette fois allemande, et même hyper teutonne, viel Spaß ! Signalée par l'ami Drop sur son blog...

dimanche 5 mars 2006

Les Portes


Bande-annonce : Les Portes
L'installation d'art vidéo interactif, coréalisée avec Nicolas Clauss, sera présentée à l'Espace Paul Ricard, 9 rue Royale à Paris (Métro Concorde ou Madeleine) du 8 au 21 avril 2006 dans le cadre du Festival NEMO.

Au milieu d’une grande salle obscure, trois portes s’ouvrent sur des écrans de la taille du cadre. Chaque joueur fait pivoter sa porte pour découvrir ou surprendre les scènes où font face une vingtaine d’acteurs. La nudité des âmes, plus présente que celle des corps, les renvoie, comme tous les autres spectateurs déambulant au milieu de l’installation, à leurs propres émotions. Cette mise en espace, en musique et en actions, est avant tout une œuvre sensuelle qui confronte chacun et chacune à soi-même et aux autres, dans son intimité et sa curiosité.
Le secret derrière la porte vient d'un miroir qu'on est nombreux à regarder. La première porte s'ouvre sur une comédie, la seconde sur des ogres, la troisième sur la peau. Après s'être invité, le visiteur peut avoir la surprise de se reconnaître. Pourtant seul face à l'image, il doit composer pour s'intégrer à l'orchestre qui envahit l'espace. Une porte n'est pas seulement ouverte ou fermée, on peut jouer avec.

LES PORTES

Nicolas Clauss conception artistique, scénario, caméra, programmation
Jean-Jacques Birgé musique, scénario, caméra, direction de production

avec Pascale Labbé et Baco (voix), Didier Silhol, Amal Bou Achem, Stéphane Amar, Denis Andrey, Jean-Jacques Birgé, Sara Boisson, Nathalie Caclard, Émilie Chéron, Nicolas Clauss, Karine Delhomeau, Guy Dreux, Olivier Falkowski, Pascal Falkowski, David Fenech, Bertrand Guyon, Jean-Luc Lamarque, Frédéric Lebas, Olivier Poma, Sophie-Laure Raphaël, Charlotte Ricordeau, Françoise Romand, Donghee Tan, Jennifer Tan... Et la participation d’Antoine Schmitt (programmation additionnelle), Matthieu Moreau (constructeur décors) à Mille Plateaux, Interface Z (capteurs)

Coproduction A.P.R.E. / ARCADI - Région Ile de France, avec le concours du Ministère de la Culture et de la Communication (Dicréam) et le soutien de la Société civile des auteurs multimedia (SCAM, bourses d'aide à l'art numérique), de la SACEM et du Cube à Issy-les-Moulineaux
© A.P.R.E. 2005

Voir aussi billet du 10 mars

dimanche 12 février 2006

Vice Vertu et Vice Versa


J'ai découvert hier soir la comédie que Françoise a tournée en 1996.
Je comprends mieux sa fantaisie et ses idées qui peuvent au premier abord sembler abracadabrantes. Sur le papier ou énoncées à voix haute, les choses paraissent invraisemblables, mais sur l'écran tout devient plausible, plus vrai que nature. Plus c'est fou, plus c'est excitant. C'est ainsi qu'un monde se crée. Un monde secret, une vision... Une prostituée de luxe croise sa voisine, une intellectuelle au chômage. Cette rencontre imprévisible va changer le destin de ces deux femmes. En exergue, une phrase de La Rochefoucauld qui cherche à débusquer le vice sous la vertu... C'est produit par JEM pour France 3 et Canal + : dommage que ce ne soit pas plus souvent programmé.

Après nous avons revu, une fois de plus, sans jamais nous lasser, un de ses court-métrages, Les miettes du purgatoire. Aussi fascinant que Mix-Up ! Deux jumeaux de 54 ans vivant toujours avec leurs parents. L'un passe ses journées allongé à écouter de la musique électroacoustique, l'autre peint sans cesse la même tableau abstrait. Leurs journées s'égrainent au rythme des repas et des messes...

Photos de Florence Thomassin, Anne Jacquemin et Marc Lavoine tirées du film Vice Vertu et Vice Versa.

dimanche 29 janvier 2006

La bouillotte écologique


J'ai toujours été passionné par les gadgets qui changent la vie au quotidien : le mac portable et wi-fi, le vélo pliant Brompton, le maxi couteau suisse à la ceinture, le téléphone Bluetooth qui prend des photos exploitables et des vidéos, le lapin Nabazatag qui donne la météo chaque matin au réveil, les oreillettes qui tiennent au chaud sans décoiffer, etc. Françoise a rapporté de Shangaï des bouillotes amusantes pour les voyages frigorifiants. C'est une petite poche de liquide dans laquelle on brise un petit bouton qui y flotte. Instantanément se produit une cristallisation dégageant de la chaleur pendant une bonne heure. Il ne reste plus qu'à faire bouillir l'objet redevenu froid pour le liquéfier et attendre qu'il refroidisse afin de le réutiliser. Ça ne remplace pas la chaufferette à essence de Nature et Découverte (plus de six heures d'autonomie), mais ça suffit largement à une traversée de Paris à bicyclette, et ça ne nécessite aucun apport d'énergie supplémentaire.

mercredi 7 décembre 2005

Polymorphe, éclectique ou workoolique ?

Les news : Les Actualités (double album des Allumés du Jazz) et le n°14 du Journal qui lui est consacré, Les Portes (installation d'art contemporain avec Nicolas Clauss), Somnambules live en quartet, Une Médée pour Anne-Laure Liégeois, les Robots pour le Futuroscope, Nabaztag qui s'améliore en grandissant, le site des Ptits repères... Je dors peu.

Au lieu d'écrire sur le mien, je fais des commentaires sur celui des autres ! Par exemple, le passionnant blog d'Etienne Mineur qui photographie à tour de bras les beaux livres de ses potes ou qui dégotent des merveilles sur le net.

Je suis trop afféré sur mon boulot. Je termine la réalisation du double album des Allumés du Jazz (livret de 40 pages, 24 x 20 cm, de Daphné Postacioglu, qui nous a été conseillée par Etienne après qu'elle ait effectué un stage chez incandescence, décidément merci Etienne !). 34 inédits de 30 labels indépendants plus allumés que jazz, 130 minutes. J'ai intercalé des bouts de voix envoyés par les labels, des interviews téléphoniques ou au Studio GRRR, pour qu'on ait les oreilles fraîches à chaque nouveau morceau... Et il y a le Journal n°14 qui lui est entièrement consacré. Abonnez-vous en envoyant vos coordonnées à all.jazz@wanadoo.fr, c'est gratuit ! Le Journal est gratuit, pas Les Actualités, c'est le titre de l'album, 18 euros pour 34 inédits, ça vaut le jus !

J'ai 3 autres projets sur le feu, ce qui me laisse peu de temps pour bloguer ou sortir. L'installation Les Portes que nous terminons avec Nicolas Clauss, sera créée à l'Espace Paul Ricard, Place de la Concorde, du 7 au 28 avril pendant le Festival Nemo. Retenez aussi le spectacle live Somnambules le 28 janvier au Triton (Mo Mairie des Lilas) avec le violoncelliste Didier Petit et la chanteuse Pascale Labbé. Ne le manquez pas, ce n'est pas souvent qu'on performe ainsi... avec les images de Nicolas sur grand écran, et ma pomme aux machines musicales !

J'ai hâte de voir la pièce sur laquelle je travaille pour la formidable metteuse en scène Anne-Laure Liégeois, Une Médée. Le texte est passionnant, les comédiens exceptionnels, l'équipe adorable, je me verrais bien emprunter une nouvelle direction vers le théâtre. J'ai imaginé un dispositif simple, façade et fond de scène, des micros cravate, un travail sur des ambiances musicales inspirées par mon souvenir d'Elektra de Richard Strauss (le plus tendu de tous les opéras, un cri qui ne s'arrête pas) et mes envies de géographie (j'oppose histoire et géo, l'histoire éternel recommencement, la géographie immuabilité des catastrophes, je sais ça revient au même, mais ça ne fait pas le même bruit). Et puis je déteste les dispositifs complexes qui font passer la technologie avant le sens, on y perd l'essentiel... Travailler à l'économie de moyens pour préserver intacte l'imagination, renvoyer la technique à ce qu'elle est, un outil qui permet de rêver (la connaître pour pouvoir l'oublier, merci Patron - le patron était le surnom de Jean Renoir). Soigner les possibles, l'interprétation individuelle de chaque spectateur, le son et la musique s'y prêtent si bien. Je n'ai pour l'instant utilisé que des ambiances "naturelles" ou de civilisation, et seulement un instrument, le cadre du piano, maximum de tension dans la famille des cordes... J'attends de savoir si nous allons traiter une partie des voix intérieures en studio. J'aimerais bien essayer Melodyne. La création est au CDN de Montluçon début février 2006.

Last but not least, j'avance à grands pas dans ma partition quadriphonique pour le Futuroscope. Michel Koukia m'a demandé 20 minutes en boucle pour l'antichambre de l'attraction sur les robots (la queue des visiteurs durerait une heure). Gros boulot ! Je compose une dizaine de petites séquences variées qui doivent faire œuvre au bout du compte. Je commence avec des automates (boîtes à musique reconstituées), j'enchaîne avec des voix (robots, avez-vous donc une âme ?), des machines, de la musique très rythmique, plus populaire qu'intello, enfin je fais semblant de le croire... J'y bosse jour et nuit. J'utilise de vieux machins qui n'ont pas joué depuis belles lurettes et qui trônent dans la cabine, la Pâte à Son et Flux Tune (modules créés avec Fred Durieu), la voix de Pascale passée dans le H3000, plein d'autres voix et divers reportages, des vrais, des faux, le Theremin (référence obligée aux films du genre), encore des sons de piano préparé...

J'aimerais bien prendre quelques jours de repos. Ça fait rigoler Françoise.

vendredi 18 novembre 2005

Mix-Up et le pâté

Sortie dvd du premier film de Françoise Romand, Mix-Up (1985), édité par Lowave, et recette du succès !

Hier soir, Françoise fêtait la sortie dvd de son premier film, Mix-Up ou Méli-Mélo, salué par le célèbre critique américain du Chicago Reader, Jonathan Rosenbaum, comme un des 15 meilleurs films des années 80, aux côtés de Sans Soleil de Chris Marker, Passion de Jean-Luc Godard, The King of Comedy de Martin Scorcese, Shoah de Claude Lanzmann, Blade Runner de Ridley Scott, Mélo d'Alain Resnais, Yeelen de Souleymane Cissé, Love Streams de John Cassavetes... Le film, petit chef d'œuvre documentaire, raconte, avec nombre d'effets qui tirent vers la fiction et la complicité de tous les protagonistes, l'échange de 2 bébés à leur naissance en 1936. L'humour (''Mix-Up'' a été tourné en anglais en Grande -Bretagne !) et la tendresse de la réalisatrice donnent à ce drame un ton de comédie qui a emballé la salle, ce qui n'avait, paraît-il, pas été si évident à sa sortie en France il y a 20 ans. Le film avait par contre rencontré aux USA un succès phénoménal qui lui permit de faire le tour des télévisions du monde entier. Nul n'est prophète en son pays, ça nous le savons (de toilette), surtout dans notre vieux pays, très snob et somme toute très conventionnel, ce que Françoise n'est pas pour un sou. Ici, Mix-Up est passé une fois à la télé à 14h dans le cadre d'Aujourd'hui Madame en 1986 ! Lorsque j'ai découvert son premier film, quelques mois après que nous soyons ensemble, j'ai été très fier de ma compagne, et un peu rassuré ;-)
Je suggère une petite visite à son site, romand.org, où l'on peut voir quelques extraits d'autres de ses films, en particulier le dernier, qui risque de rencontrer les mêmes difficultés à être reconnu à sa juste valeur, Thème Je, sorte de fiction autobiographique qui n'a rien de politiquement correct, ce qui risque de coincer, cette fois même au pays de l'Oncle Tom ! Et puis courez acheter le dvd édité par Lowave (Librairie de Beaubourg, et très bientôt Fnac et Virgin...)...
Enfin, j'écris tout ceci en préambule de ce qui m'amène sérieusement à bloguer ici ce matin. Françoise a insisté hier soir pour que je réponde à la demande générale en donnant la recette de mon célèbre pâté, recette que je tiens à l'origine de ma copine monteuse Brigitte Dornès qui vit maintenant dans un pays où on mange délicieusement bien, la Catalogne, près de Figueras. Alors voilà :
1. Faire cuire 500g de foies de volaille dans du vin blanc (hier soir c'était du foie de lapin pour la première fois de ma vie de pâtétomane, et c'était drôlement bon, j'avais ajouté aussi une cuillérée à soupe de miel, miel que j'avais moi-même mis en pot à La Ciotat où le papa de Françoise possède quelques ruches).
2. Dans un mixeur, broyer les foies égouttés avec 400g de beurre salé, un peu de poivre, un petit verre de cognac, et le tour est joué ! A partir de là, on peut imaginer toutes les variations, en remplaçant le cognac, en ajoutant des herbes (hier soir j'avais incorporé du persil frisé et du piment d'Espelette), etc.
3. Mettre le résultat au frigidaire, attendre 24 heures, ce méli-mélo peut se conserver facilement une ou deux semaines, mais il est très rare qu'un de ces pâtés vive aussi longtemps... Attention, c'est riche ! Mais tellement bon, vous n'en reviendrez pas, mais vous ne pourrez faire autrement que d'y revenir. Succès assuré. Cela fait 20 ans que je récolte les compliments de mes invités et qu'on me demande la recette. C'est si facile que c'en est pas croyable. Voilà, c'est fait. Je peux commencer mon régime, l'avenir est assuré.
Bon appétit !

samedi 3 septembre 2005

Une drôle de semaine

Les bonnes nouvelles jouent à saute-moutons avec les épreuves. Soudain seul, je me sens un peu blogueur...

Pas si drôle que ça, la semaine. Dormi très peu. Le disque dur de mon PowerBook a crashé. Formatage obligatoire. En fin de journée j'aidai Stéphane à fomater le sien. Une précédente fois, Apple avait remplacé le disque de mon iBook. Les portables, c'est fragile. Tout réinstaller. Je ne cesse de répéter qu'il faut faire des copies de sauvegarde et ne laisser que des alias sur le bureau, n'est-ce pas Mathilde ?
Nicolas et moi sommes obligés de continuer Coexistences sans Jean-Noël. Titre de circonstance. L'absence est-elle compatible avec la coexistence ? On a fini par craquer. Travailler ensemble exige une morale à toute épreuve, une exigence individuelle, une responsabilité. Même pas suffisant de l'être. Se savoir responsable. De tout, de soi, de ce qui vous arrive, du regard de l'autre. Vivre ensemble, ce n'est pas facile. Il faut beaucoup de tendresse, avec soi déjà. De la confiance, en soi pour commencer, le minimum nécessaire, mais entière envers les amis. De la générosité, pour ne pas partir avec, pour que ça ne s'éteigne pas avec soi. La solidarité est une qualité qui se perd. Partout, chacun exige de jouir de ses droits, qu'en est-il de ses devoirs ? Cocteau dit qu'une ?uvre est une morale. L'installation a repris une direction cohérente avec le projet initial et retrouvé sa viabilité. Un travail colossal pour un nouveau rêve de somnambules.
Fredéric est réapparu. Il avait "fait un break". En deux jours, nous avons terminé un nouveau module entamé il y a six mois, une version cool de Pixel by Pixel. Je suis excité par la musique que je découvre en bougeant doucement la souris. Je me laisse porté, hypnotisé. Et déjà se profile une nouvelle machine du type de La Pâte à Son, cette fois avec des sons et un design "adulte". J'enregistre près de 250 sons dans la journée... L'excitation fait place à l'impatience, j'automatise mes gestes, j'explose mon catalogue imaginaire.
Noël et Michèle me proposent de composer la musique de leur prochain film qui est en montage. J'accepte sans n'en rien savoir. Je suis certain d'y faire "autre chose". Ça me plaît.
Antoine se demande que faire avec sonicobject.com. Les projets fabuleux ont la vie brève lorsque les moyens de les promouvoir font défaut. On a beau être habitués, on ne peut chaque fois que pester contre tant de gâchis. J'aimerais bien recommencer à travailler avec Antoine sur une suite à Machiavel.
On dit que Violet aurait vendu 12 000 lapins communicants à Wanadoo. Je souhaiterais beaucoup plus théâtraliser les messages, vraiment développer la fiction lagomorphique de Nabaztag.
Je suis un peu fatigué, mais je me rends compte que j'ai travaillé entre 12 et 16 heures presque tous les jours. Le soir, dîners délicieux avec des amis adorables. Ça rassure. Le travail et les amis. Exposition décevante à la Fondation Cartier. Dans la pièce blanche de Ham Jin, on n'entendait même pas une mouche voler. Elles étaient très occupées à prendre la pose. Elsa et moi les cherchons à la loupe. Bel effet d'échelle, réflexion très zen et rigolote. Elsa me parle de sa peur de vieillir, elle a vingt ans, j'espère l'avoir rassurée. C'est si bon de grandir. Tout est bon. Même avec son lot de misères, la vie est comme un bonbon, qu'on la suce ou qu'on la croque. On ne vieillit pas, on avance tous ensemble, même système de repère, Bernard ne devrait pas être si nostalgique, il finira par rater l'époque. La curiosité m'entraîne. Giraï a 95 ans et il ne pense quà l'avenir. Bel exemple.
Françoise est descendue dans le sud. Elle le verra. Je pense tout le temps à elle. Pourtant j'ai le temps, tout le temps... C'est si tentant.
Claire a bien arrangé la mise en page de la pochette de la chanson Ça ira que nous avions enregistrée en 2000 avec Bernard, Cédric et Philippe, et sur laquelle Baco a couché sa voix la semaine dernière. Peut-être à cause des paroles que j'ai écrites, je voulais l'illustrer avec une image tournée en 93 à Johannesburg : un black le poing levé au milieu d'une manif. Françoise trouve que ça date et me conseille de reprendre plutôt mon fond d'écran, un magnifique criquet vert posé sur une pierre. L'insecte donne un ton nouveau au morceau, dramatiquement actuel ou anticipatif !?
Je passe un temps fou à corriger et améliorer le prochain numéro du Journal des Allumés du Jazz, même chose avec le site... La nouvelle maquette est très chouette, elle fait respirer le Journal. Je suis fatigué de tout faire avec Valérie et Jean. Je crains de me retrouver vraiment tout seul avec le double-cd Les Actualités à réaliser pour la fin de l'année. Heureusement, les labels ont commencé à envoyer leurs morceaux et leurs images, ça se présente très bien. Etienne envoie deux articles et un arrangement du Kabaret de la dernière chance de Pierre Barouh. J'aime bien sa passion, même si elle le détruit, beaucoup trop souvent.
Nous avançons à pas de géant dans notre voyage dans le temps à bord du Chronatoscaphe. C'est un plaisir de travailler avec Jean. Ça va vite et ça fuse sans artifices. Il vient de m'envoyer les sons des loons, des canards du Minnesota qui portent les petits, si j'ai bien compris. Comme souvent chez les canards, leurs chants sont incroyables. La semaine prochaine, nous devons enregistrer les dialogues avec Nathalie et Laurent. Je les mixerai ensuite avec la soixantaine d'ambiances et d'événements que j'ai concoctés pour le triple cd. Jean m'a apporté le nouvel album de Jef Lee sur lequel je fais une apparition fantôme : il a spécifié "angel sounds", je me cherche, un ange passe.
Je croyais avoir vécu une semaine épouvantable, et puis à y penser pour écrire, je me rends compte que j'ai plutôt bien pris les choses et fait plein de trucs. J'ai même eu le temps de regarder House of Bamboo de Fuller, The Secret Agent d'Hitchcock, My Sister Eileen de Quine (grâce à Godard qui en parlait dans son disque 25cm sur Une femme est une femme : "Chorégraphie de Bob Fosse !"), Something Wild de Demme, La religieuse de Rivette... J'ai écouté le disque en DTS d'Olivier Sens et Guillaume Orti (la musique électroacoustique convient très bien à la spatialisation du son), le nouveau Kronos qui joue des chansons de Bollywood, les rééditions de nato (Trenet, The Melody Four, K.Okhi chante Bardot, Coxhill)... Evidemment, côté sommeil, c'est bref, trsè bref. Il faut absolument que je m'arrête. J'avais pourtant commencé par là.

samedi 20 août 2005

Papa dans le temps

Premier dîner chez ma mère depuis 20 ans. Françoise m'accompagne. La terrasse occupe tout le toit de l'immeuble, vue à 360° sur Paris. Magie du jour et de la nuit. Adolescent, je projetais des images sur les immeubles d'en face. Malgré la poussière, je grimpe sur une échelle pour retrouver des traces du passé littéraire de mon père.

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lundi 8 août 2005

Cinq mp3 composés par mes soins

Pour le n°3 des Nouveaux Dossiers de l'Audiovisuel consacré au son (février-mars 2005), j'ai écrit un article intitulé "Musique interactive, ou l'art du partage", accompagné d'un CD où figurent 3 pièces composées avec des modules de Somnambules et LeCielEstBleu : Plomberie, Hantée et Roll Over Composer.
Sabine est extrait de la musique du film de Françoise Romand, Profession, femme de...
Le troisième mouvement de Sarajevo Suite et Fin est encore inédit.
Mais je n'ai pas encore réussi à trouver un plug-in qui me convienne pour les mettre en ligne...